Technologies de l’information

Projets de
transformation
numérique :
94 I

cinq pièges à éviter Pour survivre à la concurrence mondiale,

les organisations ont recours aux technologies
de l’information (TI) et lancent de vastes
Pierre Hadaya
est professeur titulaire projets de transformation numérique.
à l’École des sciences
de la gestion (ÉSG)
Pourtant, selon des études et des sondages
de l’Université du Québec récents1, de 60 % à 90 % des organisations
à Montréal (UQÀM)
et cofondateur se disent insatisfaites à cet égard. Pourquoi ?
du Groupe ASATE. Pierre Hadaya, Simon Bourdeau et Philippe Marchildon
Simon Bourdeau
est professeur à l’ÉSG-UQÀM,
fellow CIRANO, chercheur au Une des causes les plus fréquemment évoquées un plan qui leur permettra de réaliser ce qu’on
Centre facilitant la recherche
et l’innovation dans les pour expliquer l’échec de certains projets de appelle des bénéfices TI.
organisations (CEFRIO) transformation numérique est la gestion défi- La gestion des bénéfices TI peut paraître simple,
et membre du Groupe de ciente des avantages afférents. Alors que toutes mais il ne faut pas se fier aux apparences : pour que
recherche en systèmes
d’information (GreSI). les organisations, qu’elles soient petites ou ces bénéfices se concrétisent, on doit consacrer
Philippe Marchildon grandes, privées ou publiques, doivent investir beaucoup d’efforts à ces projets, et ce, tout au long
est professeur à l’ÉSG-UQÀM des sommes considérables en TI pour soutenir du parcours jonché d’embûches qu’est un projet
et membre du Centre leurs projets, la majorité d’entre elles demeurent de transformation numérique. Une analyse de la
d’expertise en transformation
numérique des organisations mal outillées, ce qui les empêche d’accomplir documentation2 à ce sujet et nos interventions
(CETNO). deux choses essentielles : 1- en déterminer dans plusieurs organisations nous ont permis
les avantages potentiels ; 2- élaborer, exécuter de repérer cinq grands pièges qu’il faut éviter
et, lorsque nécessaire, adapter promptement à tout prix et de dégager des pistes de solution.

GESTION I VOLUME 44 No 3 I automne 2019


Piège n° 1 :
négliger de faire
tous les efforts requis
Dans de nombreuses organisations, on croit à
tort qu’il suffit d’adopter une nouvelle TI pour
en tirer des avantages. La réalité est tout autre :
le déploiement d’une TI doit être accompagné
de tous les efforts nécessaires pour en réussir
l’implantation et pour en assurer l’utilisation
optimale. Les organisations qui veulent évi-
ter le piège des fausses économies d’efforts
doivent donc faire deux choses. Il leur faut
tout d’abord déterminer soigneusement et
illustration : istock
mettre en œuvre l’ensemble des changements
qui permettront à la fois : 1- d’implanter la TI
avec succès ; 2- de simplifier, d’optimiser ou
de renouveler la structure et les processus de
Technologies de l’information I
Un bénéfice TI,
c’est une amélioration
ou un gain qui peut
profiter à une ou à plusieurs
parties prenantes d’une
organisation et qui résulte
de transformations réalisées
grâce à l’implantation
et à l’utilisation d’une TI. I 95
l’organisation ; 3- de créer de la valeur pour les
clients ; 4- de simplifier la vie des employés en
leur permettant d’effectuer leurs tâches plus
efficacement et plus rapidement. Ensuite, elles
doivent consacrer temps et ressources à diverses
activités (communications, formation, soutien
aux utilisateurs, etc.) pour aider les membres du
personnel à embrasser le changement et pour
faire en sorte qu’ils en tirent profit.
Piège n° 2 :
ne pas répartir
les responsabilités
Il arrive trop souvent que le service informatique
d’une organisation porte à lui seul la responsa- Pour aller
bilité de la production des bénéfices des projets plus loin
de transformation numérique. La participation Bourdeau, S., Hadaya, P.,
et Marchildon, P.,
des autres unités d’affaires à ces projets se limite « Mesure des
généralement à la formulation de leurs besoins, bénéfices des projets
ce qui laisse au service informatique toute la en technologies de
l’information » (rapport
charge de mener à bien l’implantation de la nou- de projet), CIRANO,
velle TI. Il s’agit là d’un cas flagrant de mauvaise Montréal, 2018, 92 pages.
revuegestion.ca
 I Technologies de l’information
Dans de nombreuses organisations,
on croit à tort qu’il suffit d’adopter une
nouvelle TI pour en tirer des avantages.
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GESTION I VOLUME 44 No 3 I automne 2019
répartition des responsabilités qui, combinée
au flou entretenu quant à l’imputabilité de la
réalisation des bénéfices TI, fait en sorte que ces
avantages ne se matérialisent que rarement.
Pour éviter ce piège, il est essentiel que les uni-
tés d’affaires concernées par ces projets partagent
la responsabilité de la production des bénéfices TI :
après tout, ce sont surtout elles qui en profite-
ront. Elles doivent donc formuler leurs véritables
besoins, définir de nouvelles façons de faire (par
exemple : harmoniser les tâches du personnel
en fonction des TI adoptées) et mobiliser leurs
employés pour qu’ils s’approprient les nouvelles TI.
Piège n° 3 :
ne pas évaluer les bénéfices TI
Rares sont les organisations qui ont recours à des
indicateurs de performance pour évaluer le succès
de leurs projets de transformation numérique.
Or, comme on le sait trop bien, ce qui n’est pas
mesuré ne peut pas être amélioré. Pour éviter ce
piège, il faut donc concevoir des indicateurs de
performance adéquats. Ces mécanismes de gou-
vernance permettent aux organisations d’évaluer
en continu les résultats de leur transformation
numérique et d’ajuster le tir au besoin afin de
maximiser les bénéfices TI qui en découlent.
Toutefois, il faut préciser que ces indicateurs
profiteront aux organisations seulement s’ils
sont adéquats, c’est-à-dire s’ils permettent
d’évaluer correctement les bénéfices TI que
celles-ci veulent tirer de leurs projets de trans-
formation numérique. Potentiellement nom-
breux, ces bénéfices peuvent varier selon la
nature de la TI déployée (progiciels de gestion
intégrés, outils de collaboration ou d’intelli-
gence d’affaires, progiciels de logistique ou
de gestion des transports, sites Web, etc.) et
selon les objectifs poursuivis (résolution de
problèmes, réduction des coûts, accroissement
de la productivité, diminution de l’empreinte
écologique, innovation, etc.).
Piège n° 4 :
avoir une vision fragmentée
de la transformation numérique
En dépit des bonnes pratiques reconnues en la
matière (exemples : systèmes de gestion de la
stratégie, approches d’architecture d’affaires ou
d’architecture d’entreprise TI3), il arrive encore
trop souvent que des organisations conçoivent et
réalisent leurs projets de transformation numé-
rique en silo. En effet, la plupart d’entre elles le font
avant tout pour résoudre des problèmes ponctuels
et isolés, sans tenir compte des répercussions
potentielles de ces projets entre eux et sur les autres
composantes de l’organisation, et en les choisis-
sant uniquement en fonction des bénéfices TI
espérés. Résultat : les bénéfices potentiels sont
souvent surestimés, alors que les reprises de
travaux4 sont largement sous-estimées, ce qui
réduit considérablement les véritables avantages.
Pour ne pas tomber dans ce piège, une bonne
gestion des bénéfices TI exige que l’organisation
gère ses projets de transformation numérique
comme un tout, c’est-à-dire en prenant soin
de bien séquencer leur réalisation et en tenant
compte des liens d’interdépendance qui peuvent
exister entre les projets, notamment en mettant
d’abord en œuvre les projets qui constitueront
des fondations solides en vue de la réalisation des
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Notes
1- Voir notamment :
a) McKinsey Global
Institute, « How to Beat
the Transformation Odds »
(étude), avril 2015, 10 pages ;
b) Hastie, S., et Wojewoda, S.,
« Standish Group 2015
Chaos Report – Q&A with
Jennifer Lynch », Standish
Group, octobre 2015 ;
c) Kotter, J. P., A Sense of
Urgency, Brighton (MA),
Harvard Business Press,
2008, 208 pages ; d) Chris-
tensen, C. M., Alton, R.,
Rising, C., et Waldeck, A.,
I 97
« The Big Idea – The New
M&A Playbook », Harvard
bénéfices TI et en gérant conjointement tous les l’organisation plutôt que de se focaliser unique- Business Review, vol. 89,
n° 3, mars 2011, p. 48-57.
projets afin de profiter des synergies potentielles. ment sur les échéances et sur les coûts auxquels
2- Bourdeau, S., Hadaya, P.,
sont assujettis les projets de transformation et Marchildon, P., « Mesure

Piège n° 5 :
être obsédé par
les coûts et par les délais
Nous savons déjà que le succès d’une équipe
de projet repose sur sa capacité à respecter les
contraintes du « triangle d’or » (qualité, coûts,
échéances). Toutefois, lorsque les organisations
mènent des projets de transformation numé-
rique, elles ont tendance à trop se focaliser sur
les contraintes de coûts et d’échéances, ce qui
les amène souvent à négliger la qualité des
transformations requises pour améliorer le fonc-
tionnement de l’organisation (exemples : per-
formance des processus d’affaires et méthodes
de travail du personnel). Cette situation a pour
conséquence d’accroître l’ampleur des reprises
de travaux et de diminuer les bénéfices TI.
La solution : passer d’une culture de livraison de
illustrationS : istock
numérique. Et comme il s’agit d’un changement
majeur, il entraînera probablement une refonte
du processus de budgétisation annuel et une
des bénéfices des projets
en technologies de l’infor-
mation » (rapport de projet),
CIRANO, Montréal,
révision de l’allocation des primes de rendement. 2018, 92 pages.
3- Voir Hadaya, P., et
Réalisme et persistance Gagnon, B., « Gestion
rigoureuse et agile de la
« Patience et longueur de temps font plus que stratégie : un préalable à la
force ni que rage », dit la fable. Il est donc inu- croissance à long terme des
entreprises », Gestion HEC
tile et contre-productif de fixer des objectifs et Montréal, vol. 43, n° 2, été
des échéances irréalistes pour les projets de 2018, p. 94-99, ainsi que
transformation numérique. Les avantages de Hadaya, P., et Gagnon, B.,
« L’architecture d’affaires :
ces projets peuvent se concrétiser rapidement, le chaînon manquant dans la
en quelques semaines ou en quelques mois, formulation, l’implantation
mais ils peuvent aussi ne faire sentir leurs et l’exécution d’une stratégie
d’affaires », Gestion HEC
effets concrets qu’après quelques années. Les Montréal, vol. 42, n° 4,
gestionnaires doivent donc faire preuve de hiver 2018, p. 90-93.
patience et ne pas chercher à faire uniquement 4- Les reprises de travaux
des gains à court terme. Ceux qui adopteront consistent à modifier
certains aspects d’un
une vision à long terme et qui parviendront à

projet de transformation
TI à une culture de réalisation de bénéfices. En éviter les cinq pièges que nous avons décrits numérique après sa mise
d’autres mots, il faut se concentrer sur la création ci-dessus se donneront toutes les chances de en œuvre afin d’obtenir
les bénéfices TI escomptés
de valeur grâce à l’implantation et à l’utilisation de tirer le maximum de bénéfices de leurs projets au moment de l’approbation
nouvelles TI pour l’ensemble des constituants de de transformation numérique. du projet.

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