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Université Hasan II

Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales,


Casablanca
Cours d’Introductions aux Relations internationales
Prof : Abdelouhab Maalmi
Année universitaire 2014-2015
Droit français, S1,
Groupe1

Chapitre I – Qu’est ce que les relations internationales ?


Les relations internationales désignent à la fois un type particulier de
phénomènes et la discipline qui a pour objet l’étude de ces phénomènes. L’objet
de ce chapitre est de définir et le phénomène et la discipline.
Section 1 : le phénomène ‘relations internationales’
Pour définir le phénomène qu’on appelle ‘relations internationales’ on
s’intéressera à :
• l’expression qui le désigne,
• la nature qui le caractérise
• son origine
• son évolution

1- L’expression ‘relations internationales’


L’expression est relativement récente. Elle date du 18e s. L’adjectif international
a été forgé par le philosophe anglais Jeremy Bentham (1748-1832) en 1781en
traduisant le Jus gentium romain (droit des gens) par droit international. Le mot
international a eu depuis un large succès et l’expression ‘relations
internationales’ se banalisera à partir du 19e s. Ce changement sémantique n’est
pas fortuit. Il dénote une prise de conscience de la place prépondérante que
commencent à prendre à partir du 18e s les Etats-nations dans les affaires du
monde, en Europe d’abord, puis dans les deux Amériques, et en Asie avec
l’affirmation du sentiment national et la multiplication des Etats nationaux à la
place des unités politiques du Moyen-âge, c’est-à-dire les empires, les cités-
Etats, les seigneuries, l’Eglise, les compagnies privées, etc..
A priori donc, l’expression relations internationales signifie qu’il s’agit
exclusivement de relations entre Etats. Mais son usage va bientôt être élargi par
commodité pour s’appliquer d’une part, à tous les acteurs intervenant dans les
affaires mondiales, anciens (papauté, empires multinationaux, cités-Etats, etc.)
ou nouveaux (organisations internationales) et, d’autre part, à l’ensemble des
relations internationales du passé. D’autres expressions concurrentes vont
apparaitre : affaires internationales, politique internationale, politique, mondiale,
politique globale, mais c’est l’expression relations internationales qui reste
dominante.
Ainsi entendue, la définition des relations internationales pose cependant
problème, ne faisant pas l’unanimité parmi les auteurs. On citera, pour preuve,
trois définitions qui, bien que différentes, se complètent parfaitement :
Pour Raymond Aron (1905-1983) les relations internationales sont celles « entre
unités politiques dont chacune revendique le droit de se faire justice elle-même,
et d’être seule maitresse de la décision de combattre ou de ne pas combattre »
(Paix et guerre entre les nations, 1962, p.20). Appliquée au passé, cette
définition englobe toute entité politiquement organisée, de la tribu à l’empire.
Mais aujourd’hui elle apparaîtrait très restrictive, limitant les relations
internationales aux seuls Etats, alors qu’avec l’ouverture sans précédent des
nations les unes sur les autres d’autres acteurs de nature diverse interviennent
sur le plan international.
Aussi Philippe Braillard et Mohammad-Reza Djalili proposent-ils une autre
définition qui tient compte des autres acteurs que les Etats mais qui retient l’idée
de frontière comme critère distinctif des relations internationales : celles-ci
seraient ainsi « l’ensemble des relations et communications s’établissant entre
des groupes sociaux et traversant les frontières » (Les relations internationales,
1988, p.5). Bien qu’elle soit une définition plus inclusive que la précédente
englobant les acteurs non étatiques, et des relations autres que la guerre, l’idée
de frontière interétatique telle qu’on la connaît de nos jours - délimitation
territoriale linéaire internationalement reconnue, avec ses symboles comme le
passeport, le visa d’entrée, la police des frontières, les douanes, etc., est elle-
même récente. Elle est liée à l’avènement de l’Etat territorial moderne en
Europe (France, Grande-Bretagne) à la Renaissance (15e s). Et plus on remonte
le cours de l’histoire plus elle est floue et malléable. La première délimitation
frontalière moderne date du traité de Campoformio de 1797 entre la France et
l’Autriche. Pour le Maroc, elle date la convention de Lalla Maghnia de 1845
signée avec la France à la suite de la bataille d’Isly (1844), et qui sépare
l’empire chérifien de l’Algérie française en entérinant la frontière tacite qui
existait entre les Marocains et les Turcs.
Autre limite de l’idée de frontière, le fait que certains événements ayant lieu à
l’intérieur des frontières nationales peuvent être considérés comme une affaire
internationale, par exemple les violations des droits de l’homme, les événements
dits du printemps arabe, les mariages mixtes entre nationaux et étrangers, la
décision du Maroc en septembre 2013 de régulariser la situation des sans-
papiers résidant sur son territoire, etc.
C’est pourquoi l’historien français Jean-Baptiste Duroselle pense que la seule
notion qui permette d’englober dans le même concept de relations
internationales les rapports impliquant à la fois Etats, unités politiques, individus
et groupes de type non étatique, c’est la notion de l’étranger. D’où sa définition
des relations internationales comme « l’ensemble des événements où l’une des
parties – individuelles ou collectives – est étrangère à l’autre partie » (Tout
empire périra, 1982, p. 42). Ainsi par exemple relèveraient des relations
internationales les rapports entre les métropoles des anciens empires coloniaux
et leurs colonies ou protectorats. De même seraient considérées comme
relations internationales celles entre les Musulmans et les non-Musulmans au
sein même de Dar al islam à l’époque du califat islamique (632-1258).
L’étranger c’est le différent, l’imprévisible, qui peut être ami ou ennemi. Il peut
être lointain ou proche. Il peut être à l’intérieur comme il peut être à l’extérieur.
Quand il est à l’intérieur deux situations définissent son caractère d’étranger,
son statut juridique (dhimmi, autochtone, colon, immigré, réfugié, non-national,
etc..), et son état psychologique (sentiment de discrimination, de ségrégation, de
non intégration, de particularisme autonomiste ou séparatiste, etc..). La
nouveauté dans la notion de l’étranger aujourd’hui par rapport au passé, c’est
qu’avec la diffusion progressive de l’Etat-nation à l’échelle planétaire depuis le
18e s. elle est devenue formellement homogène et plus simple : « l’étranger se
définit tout simplement par la non-citoyenneté » (J-B. Duroselle, ibid., p. 41).
En définitive, pour cerner ce que recouvre l’expression ‘relations
internationales’, qu’elle s’applique au présent ou au passé, les trois définitions
qu’on vient de voir, loin de s’exclure, se complètent l’une l’autre, les trois
critères d’unité politique indépendante, de frontières, et d’étranger rendant
compte des éléments fondamentaux qui définissent la relation internationale
dans sa globalité.
Sur cette base, les relations internationales peuvent être classées en deux
grandes catégories principales:
• Les relations interétatiques, que les Etats entretiennent entre eux
directement à travers leurs divers organes : gouvernement, parlement,
administrations, ou indirectement à travers les organisations
intergouvernementales ;
• Les relations transnationales, qu’entretiennent entre elles des entités,
individus ou groupes, relevant des sociétés internes : simples particuliers,
partis, syndicats, associations, entreprises, etc... Il arrive que l’Etat soit
aussi une des parties à ces relations. Aussi les relations transnationales
peuvent-elles être soit privées pures (une transaction commerciale entre
deux entreprises), soit mixtes comportant la participation de l’Etat (contrat
entre un Etat et une entreprise étrangère).

2- Nature des relations internationales


En dépit de l’existence d’autres acteurs internationaux, les Etats demeurent les
acteurs principaux des relations internationales. Ils contrôlent des territoires et
des populations, possèdent des armées, sont souverains et créent eux-mêmes les
règles qui régissent les relations internationales ou en définissent le cadre.
Aussi les relations internationales se distinguent des relations internes par trois
caractéristiques principales qui en déterminent la nature : l’anarchie, le risque
guerre, et la diplomatie.
L’anarchie : elle n’a pas ici le sens courant de désordre. Provenant du grec
anarkhia, le terme signifie absence de chef (arkhos) ou absence d’autorité
(arkhé). En relations internationales cela signifie que les Etats, étant souverains,
n’ont pas d’autorité centrale au-dessus d’eux. Selon les termes de R. Aron, le
trait spécifique des relations internationales, c’est « l’absence d’une instance qui
détienne le monopole de la violence légitime » comme cela est le cas à
l’intérieur des Etats. L’ONU reste une organisation interétatique et non pas
supra - étatique. Le droit international s’impose certes formellement aux Etats,
mais son application forcée, en cas de violation, dépend des Etats eux-mêmes et
non d’une instance extérieure à eux ou supérieure à eux qui n’existe pas.
Il en découle qu’entre les Etats il n’y a pas de rapports de commandement mais
des rapports qui peuvent emprunter soit la voie de l’épreuve de force, soit celle
du dialogue. La première peut impliquer la guerre, la seconde relève de la
diplomatie qui est la voie propre de la conduite quotidienne des relations entre
les Etats.
La guerre : elle est « un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à
exécuter notre volonté » (Clausewitz, De la guerre, 1955, p. 51). Entre entités
souveraines et armées, en cas de conflit, la guerre est l’ultima ratio, le dernier
recours, si aucune solution pacifique n’est trouvée à leur conflit. C’est cette
éventualité de la guerre comme ultima ratio entre les Etats qui a fait dire à R.
Aron que « les relations internationales se déroulent à l’ombre de la guerre »
(Paix et guerre entre les nations, ibid., p. 18)
La diplomatie : « Par diplomatie, j’entends le dialogue entre Etas
indépendants » (Adam. Watson, Diplomacy, 1986, p.11). Par cette définition
lacunaire A. Watson révèle la nature véritable de la diplomatie. C’est
l’ensemble spécifique des moyens, outils et activités qui permettent aux Etats de
dialoguer entre eux. Non seulement elle est l’alternative à la guerre, le moyen
fondamental de prévenir ou de rétablir la paix, et de maintenir entre les Etats
des relations pacifiques durables, mais elle est une conduite qui postule
reconnaissance et respect de la dignité l’autre même quand il est notre ennemi.
3- Origine : les relations internationales modernes
Par relations internationales modernes on entend les relations régulières entre
entités politiques souveraines dont l’avènement et le développement remontent
aux 17e et 18e siècles en Europe avant de s’étendre dans le reste du monde à
partir du 19e et la première moitié du 20e siècle à la faveur notamment du grand
mouvement de décolonisation qui a vu naître des Etats nouveaux de type
moderne en Asie, en Afrique et dans le monde arabe.
Avant le 18e siècle des relations entre entités politiques existaient bien dans
différentes parties du monde et remontaient mêmes à des temps immémoriaux.
Des traités sont apparus dès l’Antiquité sumérienne (de Sumer, région de l’Irak
actuel), des relations diplomatiques dès l’Antiquité perse, et des alliances dès
l’Antiquité égyptienne. Dans la Grèce antique s’est même formé un système de
cités-Etats (polis) semblable au système d’Etats actuel, de même qu’entre les
villes-Etats de l’Italie du nord au moment de la Renaissance qui ont été à
l’origine de la diplomatie moderne. Mais en termes de relations régulières entre
entités politiques indépendantes c’étaient là des exceptions. La règle c’étaient
des relations de dépendance entre le centre et les périphéries d’un empire qui
était la forme d’organisation politique dominante. Entre les empires les relations
étaient réduites au minimum et intermittentes : soit aux marches (zones
frontalières) de leurs territoires, quand ils coexistaient plus ou moins
pacifiquement dans un équilibre précaire (temps de paix), soit quand ils
reprenaient leur expansion et s’affrontaient pour conquérir l’un l’autre (temps de
guerre). Exemples : les relations entre l’empire musulman (omeyyade et
abbasside) et l’empire byzantin (chrétien) entre 660 et 1258 ; celles entre
l’empire ottoman et le Saint empire germanique aux 15e et 17e siècles.
Trois faits historiques ont été à l’origine des relations internationales modernes :
le premier est la constitution en Europe de grands Etats monarchiques, puissants
et bien organisés (France, Angleterre, Espagne, Suède) au détriment du Saint
empire et de la Papauté (catholique de Rome) au sortir du Moyen-âge (époque
de la Renaissance, 14e – 16e siècles).
Le second est la guerre de Trente Ans (guerres de religion entre catholiques et
protestants) entre 1618 et 1648 qui scellent la fin de la Chrétienté (unité
chrétienne autour du St empire et de la Papauté), et la division de l’Europe en
Etats souverains. En effet les traités de Westphalie de 1648 qui terminent la
guerre de Trent Ans consacrent le triomphe de l’Etat comme forme privilégiée
d’organisation politique des sociétés sue la base deux principes : le principe de
la souveraineté externe selon lequel aucun Etat ne reconnaît d’autorité au-
dessus de lui, et tout Etat reconnaît tout autre Etat comme son égal; et le
principe de la souveraineté interne en vertu duquel tout Etat dispose de
l’autorité exclusive sur son territoire et la population qui s’y trouve et aucun Etat
ne s’immisce dans les affaires internes d’un autre Etat.
Le troisième fait historique enfin, c’est la cristallisation à partir du 18e siècle,
suite aux Révolutions américaine (1776) et française (1789), du sentiment
national non plus autour de la personne du Prince comme dans les Etas
monarchiques du 17e siècle mais sur l’idée de Nation, vaste communauté qui
entend qu’aucun de ses membres, dans uns zone déterminée, ne soit dépendant
de l’étranger. D’où le phénomènel’Etat-nation qui va être le trait dominant des
relations internationales des deux siècles qui vont suivre : le monde va se
transformer en Etats qui se veulent nations. Le principe des nationalités
proclamé par la Révolution française et propagé par les armées de Napoléon
(1802-1815) conduit ainsi à l’unité italienne (1858-1870) et allemande (1864-
1870), et à l’indépendance de nombreux Etats en Europe (Belgique, Grèce,
Pologne, Roumanie, Serbie, Monténégro, Bulgarie) et en Amérique latine au
19e s, tandis que celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes contenu
dans le discours des Quatorze points du président américain W. Wilson (1918)
et dans le traité de paix de Versailles 1919) contribue à l’éclatement des empires
multinationaux en Europe (ottoman, austro-hongrois, russe) à l’issue de la
première guerre mondiale (1919-1923), et favorise la fin des empires coloniaux
après la seconde guerre mondiale (années 1950-1960).
4- Evolution : Les relations internationales contemporaines
Par relations internationales contemporaines on entend les relations qui datent
de 1945 à nos jours. Mais un aperçu du monde d’avant 1945 s’avère nécessaire
pour mieux comprendre celui d’après 1945.
A- Le monde avant 1945
Depuis l’avènement des relations internationales modernes (17e-18e s), celles-ci
ont connu deux grandes évolutions successives : émergence des nations
européennes comme puissances hégémoniques mondiales, et formation
progressive d’un ordre juridique international, d’abord (a); affirmation de
nouvelles puissances mondiales et ébauche d’une organisation universelle,
ensuite (b).
a- Le monde de l’hégémonie européenne (1814-1914)
- La marche de l’Europe vers l’hégémonie mondiale a commencé dès le 15e
siècle avec les grandes découvertes (voyages de Christophe Colombe, de Vasco
de Gama et de Magellan), la maitrise des mers (grâce aux progrès de la
navigation), et l’expansion religieuse (prosélytisme), commerciale (recherche
de l’or, des voies commerciales, notamment celle des Indes, pays des épices) et
coloniale (conquêtes de nouveaux territoires) sur d’autres continents : les deux
Amériques, l’Asie, l’océan indien, le Pacific sud (Australie, Nouvelle Zélande),
et l’Afrique. C’est le fait principalement de quelques nations européennes
puissantes et rivales : Espagne, Portugal, Angleterre, Pays-Bas, France. Signe
de cette montée hégémonique des européens, le partage du monde sous l’égide
du pape entre les prétentions du Portugal et de l’Espagne par les traités de
Tordesillas de 1494 et Saragosse de 1529.
L’expansion européenne dans le monde connaît cependant son apogée entre
1815 et 1914 dû à une course frénétique aux colonies entre les principales
puissances du continent européen, la France, la Grande-Bretagne, la Belgique,
l’Allemagne, l’Italie et la Russie (auxquelles s’ajouteraient à partir de 1900 les
Etats-Unis et le Japon). A la veille de la première guerre mondiale, la majeure
partie de la planète, en Afrique et en Asie, est partagée entre quelques empires
coloniaux : britannique, français, néerlandais, et portugais. La Conférence de
Berlin de 1884, qui marque le partage l’Afrique, fixe les règles d’occupation des
territoires.
Outre la poussée démographique qui fait qu’entre 1870 et 1914, 50 millions
d’immigrants quittent l’Europe pour les Amériques, l’Australie, la Nouvelle-
Zélande et l’Afrique, la cause principale de cette ultime étape de l’expansion
européenne reste la révolution industrielle (fin 18e et 19e s) qui, d’un côté,
fournit aux européens une supériorité absolue en termes militaires et
organisationnels , et de l’autre, créé des besoins nouveaux, notamment la
recherche des matières premières pour leurs industries et des débouchés pour le
surplus de leurs produits.
- Sur le sol européen, depuis les traités de Westphalie (1648), un nouvel ordre
politique et juridique mettant en rapport des Etats souverains émerge. Les
compétitions territoriales et les rêves d’empire ou d’hégémonie qui restent
encore vivaces attisent les rivalités et multiplient les guerres entre les nouvelles
entités. Mais à la faveur d’un équilibre européen qui commence à se mette en
place à partir de 1713 (le traité d’Utrecht), de nouvelles règles régissant les
rapports entre les Etats européens apparaissent ou sont consolidées. Le
Hollandais Grotius (1583-1645) en donne déjà en 1625 une première
formulation dan son ouvrage De jure belli ac pacis (Droit de la paix et de la
guerre), suivi du Suisse Vattel (1714-1767) qui, en 1758, rédige le premier
manuel de droit international classique, Le Droit des gens. Ainsi s’esquisse une
sorte de société ou famille des Etas européens (appelée plus tard société ou
famille des nations civilisées)
Après les guerres de la Révolution (1791-1801), et de l’Empire ou guerres
napoléoniennes (1802-1815), suit une période de cent ans (1815-1914) jouissant
d’une stabilité relative en Europe - exception faite de la guerre franco-allemande
de 1870-71 - durant laquelle l’ordre européen, qui reste basé sur un système
d’alliances pour maintenir l’équilibre entre les grandes puissances, connaît une
double évolution :
• D’une part, il s’élargit en intégrant de nouveaux Etats : En Europe, les
Etats nouvellement indépendants (Belgique, Etats d’Europe centrale et de
l’Est, des Balkans), ceux qui viennent d’être unifiés (Italie, Allemagne), et
l’empire Ottoman (1856). En dehors de l’Europe, les Etats qui viennent de
s’affirmer sur la scène internationale, les Etats-Unis et le Japon, et ceux
d’Amérique - Latine issus des empires espagnols et portugais et qui ont
obtenu leur indépendance grâce à l’appui des Etats-Unis (Doctrine
Monroe, 1823). Ainsi de régional, l’ordre européen devient international.
• D’autre part, il s’enrichit sur le triple plan des normes, des institutions, et
des moyens de gestion collective et concertée des affaires européennes et
mondiales :
Sur le plan des normes, on assiste à une multiplication des traités qui
organisent le règlement des conflits, le recours à la force, et la conduite
de la guerre mais qui abordent des sujets nouveaux comme l’utilisation
des fleuves internationaux, canaux océaniques (Panam, Suez), détroits, ou
le commerce international.

Sur le plan des instituions, une Cour Permanente d’Arbitrage est créée
pour le règlement des conflits, ainsi que nombres d’organismes
internationaux de coopération dans différends domaines de nature
technique, postal, fluvial, télécommunications, propriété intellectuelle,
etc., si bien qu’en 1914 on compte jusqu’à 37 organismes de ce type.

Sur le plan des mécanismes de concertation pour la gestion des problèmes


internationaux, il est institué un Concert européen au Congrès de Vienne
de 1815 pour restaurer l’équilibre et maintenir l’ordre et la stabilité en
Europe après les guerres de Napoléon, et gérer au moyen des congrès les
conflits politiques qui pourraient surgir entre ses membres, dont la
reconnaissance et l’admission d’Etats nouveaux au club fermé des Etats
européens.

b- Le monde en transition (1914-1945)


C’est un monde en transition car il s’agit d’une période charnière séparant un
monde ancien dominé par l’Europe, et un monde nouveau dominé par les Etats-
Unis. Trois faits capitaux vont ainsi marquer cette période : l’éclatement, pour la
première fois, de deux guerres mondiales à 20 ans d’intervalle (1914-1918 ;
1939-1945); La montée progressive et irrésistible des Etats-Unis comme
nouvelle puissance mondiale ; la marche vers la mise en place, pour la première
fois là aussi, d’une organisation internationale universelle.
Les deux guerres mondiales qui éclatent en 1914, puis en 1945 en Europe, non
seulement traduisent l’échec des mécanismes mis en place par les Européens
pour conduire et réguler les affaires mondiales, mais elles causent aussi le déclin
de l’hégémonie de l’Europe sur le monde. Les deux guerres ont eu pour cause
principale le choc des nationalismes et des puissances en quête de pouvoir, de
territoires et de richesses.
- La guerre 1914-1918 : Elle éclate en ayant pour enjeu le sort des empires
multinationaux en déclin (empire ottoman) ou menacés d’éclatement (empires
Austro-hongrois et Russe), et pour facteur aggravant la division de l’Europe en
deux camps opposés (Allemagne, Autriche-Hongrie, empire Ottoman et Italie,
d’un côté ; France, Grande-Bretagne et empire Russe, de l’autre) liés par un
rigide réseau d’alliances rendant inévitable la généralisation de tout conflit
opposant deux grandes puissances (ici en l’occurrence l’Autriche-Hongrie et la
Russie à propos des Balkans). La guerre mobilise 65 millions d’hommes, et fait
près d’une dizaine de millions de Victimes. Elle entraîne l’effondrement des
empires Austro-hongrois et Ottoman. Le premier est remplacé par des Etats-
nations, le second donne lieu à la république de Turquie et voit ses dépouilles
(dans le Croissant fertile) partagées entre les puissances victorieuses, la France
et la Grande-Bretagne (accords secrets Sykes-Picot de 1916). Les empires Russe
et allemand disparaissent en tant que tels et voient leurs territoires réduits. La
France et la Grande-Bretagne bien que vainqueurs en sortent affaiblis
économiquement et démographiquement. Seuls les Etats-Unis, intervenus
tardivement (1917) dans la guerre aux côtés de l’alliance franco-britannique, en
sortent renforcés voyant sa prééminence industrielle et financière confirmée.
- L’entre-deux-guerres (1919-1939) : C’est une période cruciale pour l’avenir
des relations internationales. Le déclin relatif de la Grande-Bretagne et de la
France consécutif à la guerre 1914-1918 qui s’accélère avec la crise économique
de 1929, favorise la montée d’autres puissances hostiles, totalement ou
partiellement, au statu quo, à l’ordre établi (hégémonie franco-anglaise,
colonialisme, démocratie libérale, capitalisme), et qui portent chacune, face à la
prétendue mission civilisatrice des puissances coloniales dominantes, un projet,
une mission ou un grand dessein qui lui est propre : Refondation de l’Empire
romain (Italie fasciste), sphère de coprospérité de la grande Asie orientale
(Japon), espace vital pour la Grande Allemagne (Allemagne nazie), révolution
communiste (Union soviétique), Manifest Destiny pour démocratiser le monde
(Etats-Unis).
Au lendemain de la première guerre mondiale, les Etats-Unis, déjà première
grande puissance, mais encore plus préoccupés par les affaires américaines
(Doctrine Monroe), et leurs relations commerciales que par les questions de
politique mondiale (isolationnisme), parviennent à imposer leur vision de
l’ordre de l’après guerre définie par Wilson dans ses fameux Quatorze points.
Idéaliste, croyant à la possibilité d’un monde de démocratie et de libertés,
harmonieux et pacifique, organisé et régi par le droit, Wilson propose la création
d’une Société des Nations pour fonder et garantir l’ordre international de ses
rêves. Créée par le traité de Versailles de 1919, celle- ci commence à
fonctionner à partir de janvier 1920. Faisant écho au Concert européen de 1815-
1913, c’est la première fois dans l’histoire de relations internationales qu’est
instituée une organisation ayant une vocation universelle et dotée d’une une
compétence générale pour gérer les affaires mondiales.
Outre la SDN, d’autres institutions sont créées pour renforcer son action, dont
notamment la Cour Permanente de Justice internationale (La Haye, 1920),
l’Organisation Internationale du Travail, la Commission Internationale de la
Navigation Aérienne, ainsi que bien d’autre organisations internationales qui
voient le jour pendant cette période.
La SDN, ayant pour but principal d’empêcher les agressions, et de promouvoir
le règlement pacifique les conflits, le respect du droit international, et le
désarmement, débute avec 42 membres fondateurs, auxquels vont s’adjoindre
petit à petit d’autres membres, à l’exception notable des Etats-Unis dont le Sénat
a refusé de ratifier le Traite de paix de Versailles de 1919 pour désaccord avec
Wilson, prouvant le penchant isolationniste encore fort des Américains à
l’époque.
L’Organisation fonctionne plus ou moins bien pendant une décennie en
parvenant à résoudre un certain nombre de conflits et gérer certains territoires
placés sous son autorité. Elle entre en crise à partir des années trente. Affaiblie
par la non adhésion de l’Amérique, l’exclusion de l’Union soviétique (1939), le
retrait progressif de nombre d’autres membres - 16 au total dont l’Italie,
l’Allemagne et le Japon - et le manque de moyens à la mesure des ses
ambitions ; défavorisée par les circonstances dont la Crise économique de 1929
qui, partie des Etats-Unis, frappe de plein fouet l’ensemble des pays
industrialisés en attisant les réactions protectionnistes et de chacun pour soi, la
SDN se révèle de plus en plus incapable de remplir sa mission. Impuissante
devant les violations de ses propres règles (invasion de la Ruhr par la France et
la Belgique en 1923), et la multiplication des actes d’agressions (invasion de
l’Ethiopie par l’Italie, de la Mandchourie par le Japon, de la Finlande par
l’Union soviétique), la SDN cesse pratiquement de fonctionner à partir de 1939
avec le déclenchement de la seconde guerre mondiale.
- La Seconde guerre mondiale (1939-1945) : Initiée par l’Allemagne hitlérienne
elle se situe dans la suite logique de la première. Dirigée contre le traité de
Versailles (1919) qui a non seulement privé l’Allemagne wilhelmienne (celle de
Guillaume II de 1888 à 1918) de son statut impérial en la dépouillant de ses
territoires, mais il l’a carrément mise sous la tutelle de ses vainqueurs,
notamment la France. La nouveauté cependant de la seconde guerre mondiale
par rapport à la première est triple, ce qui la rend encore plus meurtrière et plus
globale touchant presque tous les continents (à l’exception du nouveau monde).
Au choc des nationalismes (plutôt conquérants) caractéristique du premier
conflit, s’ajoute celui des idéologies et des régimes suite à la révolution
bolchevique de 1917 en Russie, devenue Union soviétique, et la montée dans les
années 20 et 30 des régimes fascistes en Allemagne et en Italie, et militariste au
Japon. Aussi les nouvelles alliances mettent cette fois d’un côté, les
Démocraties occidentales (France, Grande-Bretagne, Etats-Unis
principalement), garantes de l’ordre de Versailles, et de l’autre, les nouveaux
régimes dictatoriaux ou totalitaires désireux de changer l’ordre établi en leur
faveur. L’URSS, ennemie des libéraux comme des fascistes, s’allie d’abord avec
l’Allemagne hitlérienne (Pacte germano-soviétique de 1939) puis, attaquée par
celle-ci en 1941, se tourne vers le camp occidental qui remporte finalement la
guerre. La seconde nouveauté, c’est l’intervention, vers la fin de la guerre, d’une
arme tout à fait nouvelle et exceptionnelle, la bombe atomique qui, lancée en
août 1945 par les Etats-Unis sur deux villes du Japon, Hiroshima et Nagasaki,
fait 230 000 victimes au total obligeant l’empire nippon à capituler. La seconde
guerre mondiale se termine par la victoire des Démocraties occidentales et
l’URSS qui imposent leur paix aux vaincues (les puissances de l’axe et leurs
alliés), après avoir fait plus de 50 millions de morts. C’est le conflit le plus
meurtrier de tous les temps. L’URSS, qui reconstitue un empire encore plus
vaste que celui des Tsars, devient la puissance dominante en Europe. Les Etats-
Unis, quant à eux, sont au sommet de leur ascension en exerçant sur e monde
une hégémonie quasi absolue. Le centre de gravite de la politique mondiale
n’est plus l’Europe.
B- Le monde après 1945
De 1945 à nos jours les relations internationales ont passé par deux étapes : celle
de 1945 à 1991 caractérisée par la division du monde en deux blocs, l’un conduit
par les Etats-Unis à l’Ouest et l’autre par l’URSS à l’Est, c’est le monde
bipolaire ; et celle de 1991 à nos jours marquée par la fin de la division Est-
Ouest et l’unification marchande du monde, ou le phénomène de la
mondialisation, c’est le monde globalisé.
a- Le monde bipolaire (1945-1991)
Bien que marqué par l’antagonisme Est-Ouest et ses conséquences, le monde de
l’après-guerre comporte aussi des aspects positifs d’intégration ou d’unification.
Cinq éléments peuvent ainsi être distingués pour le caractériser : Remise en
ordre du monde ; guerre froide et équilibre de la terreur ; émergence du Tiers-
monde ; Relèvement de l’Europe, du Japon et de la Chine.
- La remise en ordre du monde :
Avant même la fin des combats, les Alliés (Etats-Unis, Grande-Bretagne, URSS
principalement) se consultent et mettent sur pied à l’instigation des Etats-Unis
une nouvelle organisation mondiale destinée à remplacer la SDN. C’est ainsi
qu’est signée à San Francisco le 27 juin 1945 la Charte des Nations Unies. La
nouvelle Organisation (ONU) proclame comme principes : l’interdiction du
recours à la force, le respect des droits de l’homme, égalité et non discrimination
entre les peuples, et droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Pour maintenir la
paix et garantir le nouvel ordre international, les Puissances vainqueurs de la
guerre (Etats-Unis, Grande-Bretagne, URSS plus la France et la Chine)
s’attribuent chacune un droit de véto au Conseil de sécurité, seul organe de
l’ONU à disposer de pouvoirs réels allant jusqu’à l’emploi de la force.
Partant d’une conception plus globale du nouvel ordre international, ne se
limitant pas à ses seuls aspects politiques et diplomatiques, les Etats-Unis
prévoient, comme pour la SDN, qu’autour de l’ONU gravitent une série
d’organisations affiliées consacrées aux questions économiques et sociales.
Aussi dès 1944 sont mises en place deux institutions fondamentales, appelées
institutions des accords de Breton Woods, le Fond monétaire international
(FMI), et la Banque internationale pour la construction et le développement
(BIRD), suivies du General Agreement on Tarifs and Trade (GATT) établi par
la charte de la Havane de 1948. De multiples autres organisations
intergouvernementales, universelles et régionales, vont voir le jour par la suite
dans différents domaines de la vie internationale pour atteindre vers la fin des
années 80 le nombre de 378 organisations.
Par ailleurs, l’ancienne Cour Permanente de Justice Internationale devient La
Cour Internationale de Justice, dont le statut est annexé à la Charte des Nations
Unies (CIJ).
- Guerre froide et équilibre de la terreur :
Ayant été attaqués et entrainés malgré eux dans la guerre en 1941 (invasion
allemande de l’URSS en juin, attaque japonaise de la base navale américaine à
Pearl Harbor en décembre), l’intervention américaine et soviétique a été
décisive pour remporter la victoire des Alliés contre les puissances de l’Axe
(Allemagne, Italie, Japon) en Europe et en Extrême - Orient. La France et le
Royaume - Uni étant ruinés par la guerre, la Chine minée par la guerre civile
entre nationalistes de Tchiang Kaï-chek et communistes de Mao Tsé-toung, seuls
les Etats-Unis et, dans un moindre degré, l’URSS sortent renforcés de la guerre.
Comme pour l’organisation mondiale future, dès les derniers mois de la guerre à
Yalta (février 1945) et Potsdam (juillet 1945) Américains, Soviétiques et
Britanniques se mettent d’accord sur les principes devant organiser l’occupation
par les Alliés des zones libérées des forces nazies en attendant que soient signés
des traités de paix définitifs. En Extrême - Orient, l’URSS, entrée en guerre
contre le Japon juste à la veille de sa capitulation devant les forces américaines,
occupe la moitié de la Corée et plusieurs iles japonaises. En fait que ce soit en
Europe ou en Extrême-Orient, il apparait clair dès 1945 que par la présence de
leurs troupes dans ces régions, les vainqueurs se réservent des zones d’influence
durables. D’où la division de fait de Europe entre un Est sous influence
soviétique (Allemagne de l’Est, Berlin -Est, Europe de l’Est), et un Ouest sous
influence occidentale (Allemagne de l’Ouest, Berlin-Ouest, Europe de l’Ouest),
de même que de la Corée entre une Corée du nord dominée par les Russes, et
une Corée du sud dominée par les Américains. Deux mondes opposés par leur
philosophie politique et économique prennent ainsi place.
Dès 1946 l’antagonisme Est/Ouest devient manifeste. Chaque camp cherchant à
consolider sa zone d’influence, les désaccords et mésententes entre soviétiques
et occidentaux se multiplient sur tous les sujets internationaux concernant
l’immédiat après-guerre et approfondissent ainsi leur méfiance mutuelle. En
1947 les Etats-Unis allouent une aide économique exceptionnelle, sous le nom
du plan Marshall, à l’Europe occidentale y compris la Turquie. En 1948
l’URSS achève sa mainmise sur les différents pays de l’Europe de l’Est en y
imposant ses conceptions politiques et économiques. Aussi de la Baltique à
l’Adriatique s’établit une chaîne de démocraties populaires sous contrôle
soviétique. En Janvier 1949 est créé, en réplique au Plan Marshall américain, le
Conseil d’Assistance Economique Mutuelle (CAEM) pour organiser les rapports
économiques au sein du bloc socialiste.
De 1947 à 1962 une série de crises gaves émaillent les rapports entre les deux
camps dans différentes parties du monde : coup de Prague (1948), blocus de
Berlin (1948), Guerre de Corée (1950-1951), crise des missiles à Cuba (1962),
en même temps que se renforce le camp soviétique par la victoire des
communistes en Chine (1949), guerre d’Indochine et partage du Vietnam en
deux Etats distinct dont un Etat prochinois au nord (1954), révolution de Castro
à Cuba (1959), etc.
Face à ce que les Occidentaux perçoivent alors comme une menace communiste,
les Etats-Unis mettent en place dès mars 1947 la politique de containment, une
stratégie globale visant à endiguer le communisme et l’Union soviétique dans le
monde.
Sur le plan militaire, la guerre froide se caractérise par la constitution des
alliances de défense, la course aux armements, et la dissuasion nucléaire. En
avril 1949 les Occidentaux créent l’alliance atlantique (Organisation du Traité
Nord-atlantique, ou OTAN), à laquelle réplique l’URSS par l’institution du
Pacte de Varsovie en mai 1955. En dehors de l’Europe les Etats-Unis suscitent
la conclusion de pactes de sécurités régionaux au Proche-Orient (CENTO), en
Asie du Sud-est (OTASE), et dans le Pacifique - sud (ANZUS).
De 1945 à 1949 les Etats-Unis sont seuls détenteurs de l’arme atomique (les
deux explosions sur Nagasaki et Hiroshima). En compensant ainsi la supériorité
soviétique et du Pacte de Varsovie en armes conventionnelles ils entendent
dissuader l’URSS de toute tentative d’agression contre leurs alliés en Europe.
Mais en 1949 l’URSS fait exploser sa première bombe atomique, établissant
ainsi ce qui va être appelé l’équilibre de la terreur, une dissuasion mutuelle par
l’arme absolue. Dans le même temps s’enclenche une course aux armements
conventionnels et non conventionnels (armes de destruction massive) pour
qu’aucun adversaire n’acquière un avantage sur l’autre.
C’est grâce à cet équilibre de la terreur que l’antagonisme Est-Ouest non
seulement n’a pas conduit à un affrontement direct entre les deux supergrands,
mais il a obligé ces derniers à trouver des terrains d’entente pour organiser leur
compétition, notamment après la crise des missiles à Cuba de 1962. D’où la
qualification de la guerre froide par R. Aron comme « paix impossible, guerre
improbable ». Ainsi entendue elle déterminera l’ensemble des relations
internationale (tensions, détente, coexistence pacifique, crises, guerres par
procuration, polarisations politiques dans le Tiers-monde, compétition spatiale,
scientifique, technologique, etc.) jusqu’à l’effondrement de l’URSS en 1991.
- L’émergence du Tiers-monde :
Forgée par le démographe Alfred Sauvy en 1952, l’expression de Tiers-monde
désigne l’ensemble des Etats issus des deux vagues de décolonisation ayant lieu,
l’une entre 1945 et 1960 (Moyen-Orient, Maghreb, Asie du Sud et du Sud-Est),
l’autre dans les années soixante (Maghreb, Afrique) (I. Sachs, La découverte du
Tiers-monde, 1971). Le nombre total des Etats augmente ainsi fortement sur la
scène internationale et modifie l’équilibre au sein de l’ONU et les autres
institutions internationales que les nouveaux Etats s’empressent d’intégrer.
Trois caractères communs réunissent ces nouveaux Etats justifiant leur
appellation Tiers-monde (J. Soppelsa, Géopolitique de 1945 à nos jours, p. 209):
• Leur volonté de se démarquer du conflit Est/Ouest, et de s’inscrire dans
une trajectoire propre.
• Etant pauvres ou sous-développés ils portent des intérêts généraux
communs face aux pays nantis et leurs privilèges.
• Ayant subi la domination, l’exploitation et l’humiliation ils veulent être
quelque chose à l’avenir.
Au plan politique, les pays du Tiers-monde tentent un premier rassemblement à
Bandung (Indonésie) en avril 1955 avec la participation de la Chine. Mais pour
montrer leur autonomie par rapport aux deux blocs ils fondent en 1961à
Belgrade (Yougoslavie) sans la Chine, le mouvement des Non-alignés basé sur
trois critères : non appartenance à une alliance militaire, refus des bases
militaires sur son territoire, et pratique d’une politique indépendante basée sur la
coexistence pacifique. Le mouvement se réunit en conférence tous les trois ans
pour exprimer ses doléances et prendre position sur toutes les questions
mondiales ou d’intérêt commun.
Au plan économique, le Tiers-monde met en exergue la différenciation
Nord/Sud (le Nord développé, notamment les pays à économie de marché,
contre le Sud sous-développé ou pauvre). Il provoque en 1964 la mise en place
au sein des Nations Unies d’une Conférence sur le commerce et le
développement (CNUCED) animée par le Groupe des 77 qui porte les
revendications des pays en voie de développement (P.V.D). Dans les années 70
le Groupe des 77 fait adopter par l’Assemblée générale des Nations Unies une
résolution appelant à l’instauration d’un Nouvel ordre économique international
qui est demeurée lettre morte.
Malgré ses efforts pour demeurer indépendant par rapport aux deux blocs, le
mouvement des Non-alignés n’a pu échapper avec le temps à la polarisation
est/ouest de ses membres (pays dits progressistes tel Cuba contre pays dits
modérés tel le Maroc), particulièrement depuis la fin des années 70.
L’apparition du Tiers-monde sur la scène internationale a eu un triple impact sur
les relations internationales :
• Elle a contribué à la transformation du droit international public classique
en le purgeant des marques inégalitaires, discriminatoires et impérialistes
de l’ère coloniale, et en l’enrichissant de questions nouvelles tel que le
droit international développement notamment ;
• Elle a introduit une dimension éthique nouvelle dans les relations
internationales en posant les questions de justice et d’équité dans les
relations économiques Nord/Sud et partant de l’obligation morale de
l’aide au développement;
• Elle a contribué au développement de l’action multilatérale des
organisations internationales, spécialement l’ONU, en matière
économique et sociale
- Le relèvement de l’Europe, du Japon et de la Chine :
Le monde bipolaire n’est pas figé, mais il évolue. Entre les deux supergrands la
compétition se poursuit mais le feu nucléaire les contraint à modérer leur
antagonisme et à coopérer pour contrôler soit la course aux armements (accords
d’arms control, conventions de réduction des armements) ou la prolifération de
l’arme nucléaire (Traité de non-prolifération, TNP), soit les crises qui puissent
surgir dans le monde (crises de guerre froide comme la crise des euromissiles de
1979, conflits régionaux tels que l’affaire de Suez ou les guerres israélo-arabes,
guerre du Vietnam, etc. ). C’est donc dans ce contexte de conflit-coopération
entre les superpuissances que les blocs s’assouplissent, voire se rapprochent
(accords d’Helsinki, CSCE) et voient apparaitre en leur sein des velléités
d’autonomie ou de puissance : France, Allemagne, Europe occidentale, Japon à
l’Ouest, Yougoslavie, Roumanie, Albanie, Chine à l’Est. Mais les plus
importants changements concernent la réémergence de l’Europe, du Japon et de
la Chine.
• L’Europe : aidée (plan Marshall) et protégée (OTAN) par les Etats-Unis,
l’Europe occidentale se relève rapidement de ses ruines, se construit et en
quelques décennies, des années 50 aux années 70 (les 30 glorieuses) elle
devient la troisième puissance économique du monde après les Etats-Unis
et le Japon. De six membres lors de la signature du traité de Rome
instituant la Communauté économique européenne (CEE) en 1957, elle
passe à 12 à la fin des années 80, devenue entretemps. C’est ainsi qu’elle
peut mener à partir des années 70 une politique autonome de coopération
économique avec le bloc de l’Est, et les pays du sud, de soutien à l’ONU
et aux institutions internationales, et imposer aux deux supergrands un
rapprochement entre les deux blocs en Europe (Accords d’Helsinki de
1975, et institution de la Conférence sur la sécurité et la coopération en
Europe, CSCE).
• Le Japon : La guerre froide fait passer le Japon du statut de pays vaincu et
occupé à celui de pays associé à l’effort américain de containment du
communisme en Extrême-Orient. Protégé et soutenu par les Etats-Unis
(traité de San Francisco de 1952), le Japon entreprend son redémarrage de
son économie et de son industrialisation. Il se hisse dès les années
soixante au rang de deuxième puissance économique mondiale, mettant sa
diplomatie au service de la conquête des marchés. Il contribue
grandement également à l’industrialisation des pays de son ancienne zone
d’influence (sphère de coprospérité), appelés pour cela les Nouveaux pays
industrialisés (NPI) ou les quatre Dragons : Taiwan, Corée du sud, Hong
Kong, Singapour. Il tente un rapprochement avec la Chine
• La Chine : Après la prise de pouvoir par les communistes en 1949, la
Chine devient l’alliée de l’URSS, mais tente également de prendre la tète
des pays du Tiers-monde à la conférence de Bandung (1955). A partir de
1956, après la mort de Staline et l’arrivée au pouvoir de Khrouchtchev,
elle devenant très critique à l’égard de Moscou, elle rompt avec l’URSS
en 1961dénonçant l’hégémonisme soviétique (social-impérialisme). La
Chine rejoint ainsi le camp des ennemis de l’Union soviétique. Après une
période d’isolement international due à la révolution culturelle (1966-
1969), à son activisme révolutionnaire dans le Tiers-monde (maoïsme), et
à des affrontements avec les voisins (Inde, URSS) pour cause de
contentieux frontaliers, la Chine communiste est finalement reconnue par
les Etats-Unis en 1971- qui l’intègrent ainsi dans leur stratégie de
containment et d’équilibre à l’égard de Moscou - ce qui lui permet
d’entrer à l’ONU et de reprendre son siège permanent au Conseil de
sécurité occupé jusque là par la Chine nationaliste de Taipeh (Taïwan).
Mais le vrai tournant pour la Chine date de la mort de Mao en 1976 et la
montée du nouvel homme fort Deng Xiaoping qui dirige de facto la Chine
de 1978 à 1992. En 1978 ce dernier ouvre l’ère des réformes en lançant
les quatre modernisations (agriculture, industrie, science et technologie,
défense nationale) destinées à faire de la Chine une grande puissance
économique à l’aube du XXIe siècle. Il introduit l’économie de marché
tout en maintenant un Etat centralisé, développe les échanges
commerciaux avec l’Occident, ouvre le marché chinois aux
investissements étrangers, japonais et occidentaux notamment, et poursuit
une diplomatie de détente avec les voisins de la Chine (URSS, Japon,
Inde). Dans les années 80 il obtient de la Grande-Bretagne la restitution
de Hong-Kong en 1997, et du Portugal celle de Macao en 1999. En deux
décennies les côtes chinoises connaissent un essor économique sans
précédent.
Première puissance démographique du monde (1,400 milliard hab.), la
Chine ambitionne de rattraper le Japon et le dépasser sur le plan
économique et technologique vers la fin du siècle, et de retrouver ainsi la
place qui lui revient sue la scène internationale en tant que puissance
mondiale traitant d’égal à égal avec les autres grandes puissances,
notamment les Etats-Unis.

b- Le monde globalisé (depuis 1991)


En 1989 le monde entre dans une phase nouvelle avec l’effondrement du bloc
socialiste, suivi de la disparition de l’URSS en 1991. Ainsi au monde
bipolaire de l’après-guerre succède un monde unipolaire où seule une
superpuissance reste sur la scène mondiale, les Etats-Unis. A la guerre
froide, au conflit idéologique Est/Ouest, se substitue une politique
internationale globalisée dans un système unifié diplomatiquement par la
disparition des blocs, économiquement par le marché, et socialement par les
nouvelles technologies de communication et d’information (NTIC). Des
problèmes globaux se posent alors de plus en plus aux Etats, les rendant de
plus en plus interdépendants. Dans ce contexte les traits caractéristiques
principaux des relations internationales de l’après-guerre froide peuvent ainsi
être résumés :
• Un rôle accru des Nations Unies, notamment du Conseil de sécurité
devenu un véritable Directoire du monde quand la paix et la sécurité
internationales sont en cause, d’autant qu’en ces matières ce dernier
dispose d’un pouvoir discrétionnaire d’interprétation.
• L’unipolarité de l’hyperpuissance américaine qui lui donne la
possibilité de s’affranchir des contraintes multilatérales, y compris
celles des Nations Unies, et de privilégier l’action unilatérale quand
elle estime que la défense de ses intérêts vitaux l’exige (modèle de la
présidence de G. W. Bush, 2001-2009).
• Confirmation de la montée fulgurante de la Chine qui devient depuis
2010 la 2e puissance économique mondiale, devançant ainsi le Japon
qui occupait cette place depuis 1968.
• La globalisation économique ou mondialisation. Poussée par le
dynamisme du capitalisme qui ne peut fonctionner dans un seul pays,
aidée par les nouvelles technologies de communication et
d’information, et favorisée par la dislocation des blocs de la guerre
froide, l’économie de marché développée dans les pays capitalistes
se généralise et intègre les économies nationales dans une économie
mondiale sur le plan commercial (échanges de biens et services),
productif (investissements directs à l’étranger, mobilité des activités
de production des beines et services ), et financier (mobilité des
capitaux financiers ou de portefeuille). D’où un rôle accru des firmes
et des instituions financières internationales.
• Apparition de problèmes globaux (environnement, droits de
l’homme, pauvreté, défaillance d’Etats, guerre civiles, terrorisme,
épidémies, maladies, trafics illicites, crime organisé, piraterie, etc.)
demandant une coopération ou collaboration accrue des Etats pour y
faire face. Parallèlement se développe une société civile mondiale
animée par les déférentes ONG, nationales ou internationales.
• Enfin, fin du Tiers-monde comme catégorie analytique et morale,
depuis qu’il n’est plus homogène et que des pays naguère en voie de
développement se sont industrialisés ou comptent parmi les
économies émergentes. Il est remplacé par d’autres notions telles que
Sud, pays les moins avancés, etc.

Section 2 : Etude des relations internationales


L’étude des relations internationales est ancienne, mais avant que la discipline
des relations internationales ne soit elle-même née (1919), ces dernières étaient
abordées ou étudiées sous divers aspects : historiques, philosophiques,
juridiques, économiques, etc. En témoigne, par exemple, un ouvrage collectif
paru en 1916 intitulé An introduction to the study of international relations où
sont présentées diverses contributions portant sur différentes facettes des
relations internationale mais sans effort d’intégration du tout dans un ensemble
cohérent.
Ce n’est qu’au lendemain de la première guerre mondiale, avec la naissance
d’une discipline nouvelle, spécifiquement dédiée aux relations internationales
en tant que telles, que la recherche d’un objet propre et unifié pour la nouvelle
discipline est entamée. Or, même après 95 ans d’existence, la question d’un
objet spécifique aux Relations internationales demeure sujette à controverse.
Dans cette section, nous verrons d’abord les différentes approches principales
dont les relations internationales ont toujours fait l’objet pour montrer leurs liens
étroits avec la nouvelle discipline. Nous aborderons, dans un second temps, la
nouvelle discipline et les différentes problématiques qu’elle soulève en tant que
domaine d’études autonome.
1- Approches des relations internationales
Plusieurs disciplines concourent à l’étude des relations internationales, chacune
d’elles les abordant sous un angle différent. Cinq approches peuvent ainsi être
distinguées : historique, philosophique, juridique, économique, et sociologique.
A- Approche historique
C’est l’une des approches les plus anciennes des relations internationales, sinon
la plus ancienne. C’est pourquoi l’histoire des relations internationales est
parmi les disciplines les plus établies des sciences humaines. Ses premières
règles remontent aux œuvres d’Hérodote (Histoires, 5e siècle av. J-C),
Thucydide (Histoire de la guerre du Péloponnèse, 431-411 av. J-C), et Polybe
(Histoires, 3e-2 siècle av. J-C).
Connaître le passé c’est l’objet de l’histoire. En relations internationales, le
passé peut être celui d’un événement ou d’une série d’évènements (guerre, chute
d’un empire ou d’une grande puissance, crise économique, guerres de
Napoléons, processus de paix au Proche-Orient, etc.), d’une période (entre-les-
deux guerres, guerre froide, protectorat français au Maroc, etc.), d’une époque
(Antiquité, Moyen-âge, Age moderne, Renaissance, époque des Royaumes
combattants en Chine, Dynastie abbasside, etc.), d’une région (Maghreb,
Méditerranée, Asie du Sud-est, etc.), d’un continent (Europe, Afrique, etc.), du
monde (histoire universelle), d’une entité (civilisation, empire, Etat, système
international, organisation, institution, etc.), ou d’une personnalité historique
(action d’un empereur, monarque, calife, sultan, chef d’Etat ou homme
politique, etc.).
Il s’agit dans tous ces cas de décrire, raconter, narrer des faits ayant eu lieu
dans le passé, en un lieu donné, en les inscrivant dans leurs successions
chronologiques : par exemple, le déroulement des faits qui ont conduit à la
guerre froide entre les Etats-Unis et l’URSS.
Le travail de l’historien consiste donc à reconstituer les faits du passé en
respectant leur chronologie, leur déroulement dans le temps. Les faits et leurs
dates ne peuvent être ni créés de toutes pièces, ni imaginés, ni attribués à des
forces autres que matérielles ou humaines. Pour l’historien (moderne), la
mythologie ou l’intervention divine n’entrent pas en ligne de compte pour
reconstituer l’histoire, et expliquer rationnellement les événements. Les
croyances, les récits merveilleux (Poèmes d’Homère), ou les Livres saints sont
ici considérés comme des faits culturels ou religieux qui peuvent entrer dans
l’explication historique d’un événement (victoire des Musulmans à la bataille de
Badr en 624) ou d’une époque (Antiquité, Moyen- âge européens) non en tant
que sources d’informations historiques (récits bibliques ou coraniques), mais en
tant que facteurs façonnant les mentalités collectives et les comportements des
acteurs : L’historien moderne n’expliquerait pas par exemple la victoire des
Musulmans à Badr par le secours apporté par Dieu en envoyant ses anges aider
les Croyants moins nombreux contre les Associationnistes plus nombreux
(Coran, 123-124/III), car ce n’est ni rationnel, ni un fait humain pouvant être
vérifié, mais il considérerait, au mieux, la croyance de la partie musulmane en
l’aide divine comme un des facteurs moraux (foi, esprit de sacrifice, vigueur,
courage) ayant concouru certainement à l’issue de la bataille.
Les faits doivent donc être vrais ou véridiques, ayant eu lieu effectivement. Ils
doivent être puisés dans des sources vérifiables, susceptibles d’être soumises à
la critique rationnelle et historique : vestiges archéologiques, archives
diplomatiques, récits historiques, mémoires, presse..).
Par rapport à la discipline des Relations internationales, Les apports
fondamentaux de l’approche historique peuvent ainsi être résumés:
• Mettre de l’ordre dans la confusion des faits historiques (dates, périodes,
chronologies..) ;
• Etablir la vérité historique (origines de la guerre froide) ;
• Expliquer le passé (causes de la crise des missiles à Cuba en 1962) ;
• rendre compte du déroulement et de la transformation des relations
internationales (évolution du système bipolaire, passage du système
bipolaire au système de l’après-guerre froide) ;
• Sauvegarder la mémoire historique (dont on peut, entre autres, tirer des
leçons pour le présent, des exemples pour étayer des propositions
générales, ou à laquelle ou peut retourner pour comprendre des problèmes
du présent);
Mais les Relations internationales ne se réduisent pas à l’histoire
B- L’approche philosophique
Contrairement à l’approche historique, l’approche philosophique des relations
internationales est restée pendant longtemps très peu significative même si elle
connait aujourd’hui un regain d’intérêt très important.
Si l’on se limite à la philosophie politique occidentale depuis l’Antiquité (alors
que cela est encore plus valable pour la pensée politique musulmane par
exemple), les grands philosophes n’ont accordé que peu d’importance aux
relations internationales dans leur spéculation sur la politique.
Préoccupés en priorité par l’essence de la politique, par les fondements de la
cité, de l’Etat, ou de l’autorité politique, de l’harmonie interne, et par la
recherche du meilleur régime politique, ou de la cité idéale, ils considéraient les
relations entre les citées comme un objet de réflexion mineur ou secondaire, soit
qu’ils les prenaient pour un simple sous-produit de la cité (dépendant de
la qualité du régime politique interne, ou de l’orientation autarcique ou non de
la cité), soit qu’ils les jugeaient moins aptes à une évolution significative au-
delà de l’alternance monotone de la paix et de la guerre.
Mais malgré cela un certain regard philosophique sur les relations
internationales est perceptible d’abord chez les penseurs politiques antiques,
qu’il s’agisse de Thucydide, Zénon, Cicéron, Xénophon, Isocrate, Platon ou
Aristote. Il s’affirme ensuite avec les théologiens et du christianisme médiéval
tels que St Augustin et St Thomas d’Aquin, avant de se développer avec les
penseurs modernes de Machiavel à Marx en passant par Grotius, Hobbes, Locke,
Rousseau, Kant, et Hegel pour ne citer que ceux-là. A partir des années 80 et 90
l’approche philosophique des relations internationales connaît un essor sans
précédent dû notamment à la crise que vit la discipline des relations
internationales depuis l’effondrement du bloc soviétique et la disparition de
l’URSS.
Le regard philosophique sur les relations internationales se distingue d’abord
par le fait qu’il s’interroge sur l’essence (nature immuable, principe) des choses
(nature humaine, nature de la société, nature de la société internationale), sur
leurs finalités, et leur sens (finalités du politique, sens de l’histoire). Il se
distingue ensuite par le fait qu’il porte des jugements de valeur (en termes de
bien et de mal, de juste et d’injuste) sur ce qui est (réalité internationale
existante) par rapport à ce qui devrait être (l’ordre idéal).
Aussi la philosophie des relations internationales depuis l’Antiquité jusqu’à nos
jours s’articule-t-elle autour de quelques thèmes tels que : Nature humaine,
primat de la cité ou du genre humain, sens de l’alternance de la paix et de la
guerre, guerre juste et injuste, unité du genre humain, droit naturel, état de
nature/anarchie, sens de l’Histoire (philosophie de l’histoire), paix perpétuelle,
justice internationale.
Outre ces thèmes qui sous-tendent toujours la discipline des relations
internationales et divisent les théoriciens, un autre thème de nature
philosophique (épistémologie) marque les débats actuels en relations
internationales, il s’agit de la nature de la connaissance produite par la
discipline : est-elle scientifique? Est-elle adaptée à la nature de son objet? Une
connaissance scientifique des relations internationales est-elle possible ?
C- L’approche juridique
A côté de l’approche historique, c’est l’approche qui a le plus dominé dans
l’étude des relations internationales, notamment depuis la formation du droit
international moderne. Il s’agit d’une approche qui s’attache à étudier les
principes, normes, règles, institutions et procédures qui, de façon coutumière ou
formelle, naissent dans le milieu international pour régir et organiser les
rapports entre agents appartenant à ce milieu. L’étude de la dimension juridique
ou normative des relations internationales consiste donc à mettre au jour les
obligations juridiques qui s’établissent et se développent entre les agents
internationaux, autrement dit les engagements mutuels en vue d’agir d’une
certaine manière les uns envers les autres, selon le principe de Pacta sunt
servanda (principe du respect de la parole donnée, principe de la bonne foi),
sous peine de sanctions.
L’approche juridique des relations internationales est principalement l’œuvre
des jurisconsultes ou des juristes. En islam Al-Shaibani (749/750-805) est
généralement considéré comme le père du droit international musulman avec
son traité al-Syar. De même que Grotius, en Occident, tenu pour le fondateur du
droit international public moderne avec son traité De jure Belli ac Pacis (1625).
Cette approche est aujourd’hui fondamentale en raison de la place grandissante
qu’occupe désormais le droit dans la vie internationale. Non seulement il y a
maintenant, même encore imparfait, un ordre juridique international, postulant
l’existence d’une société ou communauté internationale fondée sur des
principes de coexistence ou de solidarité, mais les Etats se déclarent et se
veulent tous légalistes, et se soucient du droit dans la gestion quotidienne de
leurs affaires extérieures (De Lacharrière, La politique juridique extérieure,
1987). Aussi le droit international en tant que donnée de la réalité internationale
ne saurait être ignoré par la discipline des RI.
D- L’approche économique
L’étude économique des relations internationales est, par rapport aux approches
examinées plus haut, relativement récente. Elle date du 18e siècle, avec les
débuts du capitalisme industriel. L’œuvre pionnière à cet égard demeure La
richesse des Nations du philosophe et économiste anglais Adam Smith (1723-
1790). Branche de la science économique, l’étude des relations économiques
internationales est une des approches les plus développées en relations
internationales.
Cependant depuis 1970 cette approche se présente sous deux formes différentes
sinon opposées, l’économie internationale, et l’économie politique
internationale. La première, se voulant plus scientifique, étudie les problèmes
des échanges commerciaux, financiers et monétaires internationaux en faisant
abstraction de l’Etat et du politique, en ne retenant que la logique des marchés
(ménages et entreprises) qui s’enchevêtrent (commercial, productif, monétaire)
en milieu international. Alors que la seconde, en revanche, se considérant plus
proche des réalités économiques internationales, étudie les mêmes phénomènes
mais en les réinsérant dans un espace international tel qu’il est structuré par les
Etats et leurs rapports politiques.
Par exemple, le commerce extérieur : L’économie internationale tend à
l’expliquer par une théorie pure (hypothético-déductive) de l’échange
international, la théorie des avantages comparatifs (tendance des pays à
exporter les produits pour lesquels ils ont un avantage comparatif en termes de
facteurs de production, et importer les produits pour lesquels cet avantage
comparatif leur fait défaut). L’économie politique internationale, elle, pose le
problème du commerce extérieur différemment, en termes de choix de la
protection ou de l’ouverture et cherche à l’expliquer non par la seule loi du
marché, mais par des facteurs autant économiques que politiques, autant internes
qu’externes : pression des groupes d’intérêts, contraintes institutionnelles,
politiques internationales, etc. (cf. les multiples accords de libre-échange signés
par le Maroc).
C’est pour cette raison que la seconde approche – l’approche politique de
l’économie internationale – tend à se rattacher plus à la discipline des Relations
internationales relevant de la science politique qu’à celle des Relations
économiques internationales relevant plutôt de la science économique.
E- L’approche sociologique
L’approche sociologique s’est imposée avec l’apparition des Relations
internationales comme discipline au lendemain de la première guerre mondiale.
Sociologie, terme inventé par le philosophe français August Comte (1798-1857)
au 19e siècle, veut dire science de la société, connaissance objective, (par la
réflexion, l’observation et l’expérimentation), des faits sociaux dans leur
globalité (relations, processus, structures), et dans leurs interactions mutuelles,
sans les réduire à un domaine particulier (économie, politique, religion, morale,
droit, esthétique, etc.). Etudier la société comme totalité, et les faits sociaux
comme des choses positives en les séparant de nos jugements de valeur, tel est
l’objet de la sociologie (A. Comte, Cours de philosophie positive, 1830-1842).
Pour les relations internationales, la perception de plus en plus du milieu
international comme formant une société (régularité, interdépendances,
institutions, normes), mais toujours menacée par la guerre (première guerre
mondiale), et la volonté de dépasser les études sectorielles et d’échapper à la
domination des historiens et des juristes dans l’étude des relations
internationales, ont d’emblé orienté la nouvelle discipline vers l’approche
sociologique. Il s’agit, comme pour la société interne, de traiter les phénomènes
internationaux comme des faits sociaux, de les appréhender dans leur totalité,
et d’y rechercher les déterminants et les régularités qui, telles des « lois »
objectives, affectent le comportement des acteurs sur la scène internationale (G.
Devin, Sociologie des relations internationales, 2002, p. 3). C’est ce que M.
Merle appelle une approche globale, ne privilégiant aucun aspect spécifique des
relations internationales a priori, et systématique, recherchant les lois
permanentes (naturelles, nécessaires ou objectives), et évolutives (juridiques ou
morales) qui régissent les relations internationales (M. Merle, Sociologie des
relations internationales, 1974, p. 9).
Telles sont les principales approches des relations internationales. Reste à savoir
à présent en quoi l’étude dite sociologique des relations internationales peut
prétendre constituer une discipline globale et autonome appelée Relations
internationales ?
2- Discipline des Relations internationales
Trois traits caractérisent la discipline des Relations internationales : elles est
récente et évolutive ; elle est controversée ; elles est divisée.
A- Discipline jeune et évolutive
Née d’un souhait exprimé lors de la Conférence de la Paix à Paris en 1919, la
nouvelle discipline voit le jour en Grande-Bretagne avec la création de la
première chaire de Politique internationale à l’Université de Wales à
Aberystwyth. Entre 1919 et 1933, institutions et universités dédiées à l’étude des
relations internationales vont se multiplier en Grande-Bretagne même, aux
Etats-Unis, en Australie et en Suisse.
Une discipline universitaire se définit par un objet spécifique, par des institutions
d’enseignement et de recherches, et par des traditions de pensée. De 1919 aux
années 50 du 20e siècle, la nouvelle discipline prend deux caractéristiques : une
domination anglo-américaine, et un partage entre deux écoles, l’Américaine et
l’Anglaise, et entre trois traditions de pensée, la réaliste, l’idéaliste, et la
réaliste - libérale. Mais jusqu’aux années 70, une certaine unité caractérise la
discipline avec la double hégémonie de l’école américaine, et du réalisme.
A partir des années 70, la discipline rentre dans une phase de divisions et de
controverses mais aussi d’enrichissement. L’hégémonie américaine est remise
en cause avec l’affirmation de l’Ecole anglaise, et l’apparition d’autres écoles
en dehors du monde anglo-saxon, en Europe continentale, en Amérique-Latine
et plus tard en Asie; la domination réaliste se voit contestée par la résurgence du
courant libéral, et la montée de pensée marxiste et tiers-mondiste.
La division de la discipline va s’accentuer encore plus à partir des années 90,
après la chute de l’URSS, le reflux du marxisme et du tiers-mondisme, et la
montée des courants critiques, post-positivistes, postmodernistes, féministes, et
le courant postcolonial.
Nous nous limiterons ici à deux points essentiels pour la suite du cours : l’objet
des Relations internationales et les principaux courants en Relations
internationales.
B- Discipline controversée : quel objet ?
Dès les deux premières décennies de son existence , voulant être autonome et
globale selon la formule de Merle, la discipline des Relations internationales
s’est posé trois questions cruciales qui ont fait, font encore, l’objet de longues
controverses :
- Quel est son but ? A quoi vise-t-elle ? (Pourquoi les Relations
internationales ?)
- Quel est son objet d’étude ? Quelle est sa problématique centrale ? (Sur
quoi les Relations internationales ?)
- Quelle est sa méthode ? (Comment les Relations internationales ?)
La troisième question, bien qu’importante, n’est pas originale car on la retrouve
dans les autres sciences sociales (méthodes des sciences sociales). En revanche,
la première, et surtout la seconde suscitent encore divisions et controverses.
La question du but, s’est posée dès 1919 et les réponses ont été influencées par
le contexte historique de l’entre-deux-guerres marqué par l’idéalisme
wilsonien, la création puis l’échec de la SDN et l’effondrement de l’ordre de
l’après-guerre. Aussi dans un premier temps, les idéalistes partisans de Wilson
et de la SDN dominent et assignent comme but à la nouvelle discipline de
contribuer à changer la politique internationale existante, vue comme
responsable de la catastrophe de la première guerre mondiale. Mais face aux
déboires de la SDN et aux dures réalités de la politique internationale monte un
courant opposé dit réaliste, dont E.H. Carr fut un des premiers porte-voix (E.
H. Carr, The Twenty Years’ Crisis, 1919-1939), qui affirme que la discipline doit
au contraire considérer la politique internationale telle qu’elle est et se contenter
de l’expliquer. C’est le cœur du débat entre idéalistes et réalistes qui dure
jusqu’à nos jours.
La question de l’objet est encore plus complexe à cause des multiples dimensions
des relations internationales. Un auteur de l’intérieur même de la discipline
comme Ph. M. Defarges nie encore que les Relations internationales soient une
science mais une discipline carrefour associant plusieurs autres disciplines (Ph.
M. Defarges, Relations internationales, 1993, p.50).
Un autre élément ajoute également à la complexité de la détermination de l’objet
de la discipline : la diversité des acteurs et donc des types de relations à étudier.
Est-il significatif que soient étudiées toutes les relations internationales, quels
qu’en soient les acteurs ? Ou est-il plus significatif de choisir un type de
relations jugé plus pertinent pour assurer à la fois cohérence et une meilleure
intelligibilité de l’objet ? Là aussi la réponse est partagée entre ceux qui
privilégient les relations interétatiques, principalement les réalistes, et ceux qui
préfèrent les relations transnationales, généralement les libéraux (individu
comme unité de référence), et les marxistes (classe sociale comme unité de
référence.
Enfin, troisième élément de complexité, l’approche sociologique elle-même qui
n’est pas homogène, et impose donc de choisir l’instance pertinente de la société
internationale pour déterminer l’objet et définir la problématique de la
discipline: Le politique ? Le social ? Ou l’économique ? Là un consensus
semble s’être formé dès le départ, et par la suite au niveau de l’Unesco (1950),
sur le rattachement des Relations internationales à la science politique, et donc
sur le choix du politique comme l’instance pertinente pour concevoir l’objet des
Relations internationales comme discipline autonome parmi les disciplines
relevant du champ d’investigation de la science politique.
Que veut dire alors le politique ici comme instance pertinente définissant l’objet
des Relations internationales ? Jean Leca (Traité de science politique, 1985,
p.150) définit le politique à partir d’une problématique fondamentale composée
de quatre éléments structurels : une communauté organisée (unité agrégative) ;
des processus de conflit et de coopération pour le contrôle des ressources
rares ; une structure d’autorité (pouvoir de direction de l’unité); des
mécanismes de contrôle des comportements et de gestion des processus de
conflit et de coopération. Ces éléments renvoient donc à la question politique
telle que se pose dans le cadre naturel qui est le sien, à savoir la communauté
politique interne.
Mais la même problématique se retrouve au plan international mais en des
termes plus aigus dans la mesure où la société internationale ne comporte pas
d’autorité centrale de direction, mais des relations de puissance entre
communautés politiques autonomes. Par conséquent l’objet des Relations
internationales comme problématique peut être formulée comme étant l’étude
des processus de conflit et de coopération pour le contrôle des ressources rares,
des rapports de pouvoir que ces processus impliquent, et des mécanismes de
régulation, de contrôle, et d’arrangement de ces mêmes processus. En résumé,
la problématique politique internationale, comme celle interne, implique autant
la question des luttes et rapports de pouvoir entre les acteurs internationaux
(problématique de la compétition pacifique), que celle de la direction, du
contrôle et de la gestion des affaires du monde (problématique de l’ordre
international)
C- Discipline divisée : Des théories nombreuses et concurrentes
A l’heure actuelle on peut dénombrer pas moins de neufs grands courants
théoriques se disputant la discipline des Relations internationales (A. Macleod et
D. O’Meara, Théories des relations internationales, 2007). En fait seulement
quelques théories dominent. Elles sont toutes issues du monde occidental, et des
Etats-Unis en particulier. Elles reflètent en quelque sorte l’évolution des
relations internationales et l’état de la puissance dans le monde. La désuétude
de la théorie islamique classique de dar al-Harb et dar al-Islam marque la fin
de l’ordre international musulman avec la colonisation, puis son remplacement
par l’ordre des Etats-Nations. Le reflux du marxisme est la conséquence directe
de la disparition de l’URSS. La théorie de la dépendance, issue de l’Amérique-
Latine dans les années soixante-dix en parallèle avec l’affirmation alors du
Tiers-monde sur la scène internationale, est aujourd’hui abandonnée, ce dernier
ne constituant plus une catégorie analytique pertinente. Mais à l’inverse, dans la
Chine actuelle, où l’étude des relations internationales connait un essor sans
précédent, une tentative de repenser le monde est à l’œuvre en conformité avec
le nouveau statut de puissance mondiale de l’empire du milieu.
Les théories des relations internationales n’ont rien avoir avec les théories
mathématiques ou physiques. Elles sont des constructions intellectuelles visant
à expliquer ou interpréter le monde complexe que nous vivons. Elles ne sont pas
cependant de simples spéculations philosophiques, mais des ensembles
cohérents et rationnels de propositions fondamentales d’où il est possible de
tirer des conséquences vérifiables. Mais comme toute théorie, elles peuvent être
adossées explicitement ou implicitement à des philosophies d’où elles tirent leur
postulats de base d’ordre ontologique (la réalité), épistémologique (la
connaissance) ou éthique (jugements de valeurs). Une théorie vivante et efficace
c’est celle qui donne lieu à des programmes de recherches, ou à laquelle on
recourt le plus, consciemment ou inconsciemment, pour interpréter les
événements internationaux. Elle peut avoir des implications pratiques, en
influençant par exemple, de façon implicite ou explicite, les politiques
étrangères des Etats.
On se limitera ici à quatre théories ou cadres théoriques qui nous semblent
aujourd’hui les plus importants, dont le marxisme qui reste malgré tout un cadre
théorique incontournable pour comprendre le fonctionnement du capitalisme
mondial. On se contentera de présenter les éléments de base de chacune d’entre
elles.
a- Le marxisme et la théorie de l’impérialisme
Les fondements du marxisme reviennent à Marx et Engels, la théorie marxiste
de l’impérialisme revient à Lénine (Lénine, L’impérialisme, stade suprême du
capitalisme, 1916). L’analyse de l’histoire des sociétés en termes de mode de
production et de luttes des classes conduit Marx et Engels à axer leur attention
sur le fonctionnement du capitalisme dans les sociétés industrielles et les luttes
de classes auxquelles il donne lieu au-delà des frontières étatiques qu’ils
qualifient d’artifices créés par la classe bourgeoise capitaliste (détentrice des
moyens de production) pour diviser et mieux exploiter la classe ouvrière ou le
prolétariat. D’où leur appel qui achève leur livre commun Le Manifeste
communiste publié dans le contexte révolutionnaire de 1848 en Europe :
« Prolétaires de tous les pays unissez-vous ».
Mais la guerre franco-allemande de 1870 et la première guerre mondiale
montrent la fragilité de la solidarité prolétarienne et la force du nationalisme, ce
qui pousse Lénine (père de la révolution bolchevique de 1917 en Russie) à
rédiger le texte fondateur de la théorie marxiste de l’impérialisme en 1916.
Voulant refonder la solidarité prolétarienne et sauver le socialisme du virus
nationaliste Lénine, se basant sur les travaux d’un non marxiste, Hobson
(Imperialism - A Study, 1902) et de Hilferding (le capital financier, 1910),
élabore une théorie qui établit un lien de cause à effet entre le capitalisme d’un
coté, le colonialisme et la première guerre mondiale de l’autre. En effet,
l’évolution du capitalisme compétitif vers un capitalisme monopolistique
(création de monopoles) à la faveur de la loi de la concentration du capital, et la
fusion du capital bancaire et du capital industriel donnant lieu au capitalisme
financier rendent la concurrence encore plus féroce entre les cartels capitalistes
à la recherche des marchés d’exportation de capitaux et de produits industriels
dans les régions encore peu développées selon la loi du développement inégal et
la logique de l’accumulation du capital. Les rivalités entre puissances
capitalistes s’en trouvent ainsi accentuées pour l’acquisition des colonies et le
partage territorial du globe. D’où la course aux armements et finalement la
guerre.
Ainsi le triptyque capitalisme (monopolistique), impérialisme, guerre, se trouve
corrélé et expliqué fournissant aux marxistes une grille d’analyse de base de la
politique internationale qu’ils affineront fur et à mesure qu’évoluent les réalités
internationales : fin de l’impérialisme colonial, apparition du Tiers-monde, rôle
des Etats-Unis comme nouveau centre du capitalisme mondial, rôle des
multinationales et des institutions financières internationales dans le
fonctionnement de ce dernier, apparition de nouveaux pays industrialisés dans le
Tiers-monde, schisme sino-soviétique, socialisme de marché de la Chine post-
maoïste, effondrement de l’URSS et la mondialisation. Aujourd’hui, après la
phase tiers-mondiste et la théorie de la dépendance (expliquant le sous-
développement et les relations inégalitaires entre le centre capitaliste et ses
périphéries du tiers-monde) ((P. Baran et P. Sweezy, G. Frank, S. Amin , Dos
Santos), l’approche marxiste des relations internationales est surtout représentée
par la théorie du système-monde du sociologue américain I. Wallerstein où tous
les événements mondiaux du 16e siècle à nos jours sont expliqués par la
formation et les besoins fonctionnels de l’autoreproduction de l’économie-
monde capitaliste, cœur du système-monde actuel (I. Wallerstein, Comprendre
le monde : Introduction à l’analyse des systèmes-mondes, 2006 )
b- Le réalisme ou théorie de l’anarchie internationale
Obsédés par la sécurité et l’ordre, les réalistes - H. Morgenthau, R. Aron, H.
Kissinger et K. Waltz, leurs principales figures de proue - se demandent pour
quoi les Etats se font la guerre, et ce qui peut garantir la paix ? Ne croyant pas à
la paix perpétuelle ils se tournent d’un côté, vers l’histoire (européenne
essentiellement), et de l’autre, vers les penseurs et philosophes politiques pour y
chercher des éléments pouvant les aider à construire leur théorie. De la première
ils tirent le caractère tragique de l’histoire, leur pessimisme quant à une
transformation significative des relations internationales, et le rôle central qu’y
jouent les grandes puissances. Des seconds, notamment Thucydide, Machiavel,
Hobbes, Hume et Rousseau, ils déduisent les notions clés qui fondent le pouvoir
explicatif de leur théorie : la nature humaine, l’état de nature (à laquelle ils
assimilent l’anarchie internationale), et la puissance.
La nature humaine est l’élément immuable qui explique le pourquoi de la
société, de l’Etat et de la politique : animal social, mais cupide, égoïste et avide
de pouvoir, l’homme, poussé par son instinct d’auto-conservation et éclairé par
sa raison, passe contrat avec ses semblables et s’organise dans un Etat. Ainsi il
sort de l’état de nature où il était initialement, et dans lequel il ne pouvait
compter que sur lui-même (loi du plus fort) pour assurer sa survie sans cesse
menacée par les autres mus par les mêmes désirs que lui (autonomie, sécurité,
pouvoir). Dans l’état civil (Hobbes), l’homme troque sa liberté de l’état de
nature, contre la sécurité et l’ordre, et la possibilité de réaliser non seulement ses
désirs sans crainte pour sa vie, mais de conduire une vie plus noble : morale,
familiale, artistique, productive, etc.
Organisé et rassuré dans l’Etat, l’homme retrouve cependant l’insécurité entre
les Etats. L’anarchie qui règne entre ces derniers reproduit les mêmes
caractéristiques que celles de l’état de nature des individus avant leur entrée
dans l’état civil, c’est-à-dire, selon la formule de Hobbes, un état de guerre de
tous contre tous. Ainsi, ne comptant que sur lui-même (et ses alliés) pour assurer
sa survie et sa sécurité sur la scène internationale, l’Etat n’a d’autre choix que
de chercher le maximum de sécurité en essayant d’avoir le maximum de pouvoir
(sur les autres ou à l’égard des autres), autrement dit la puissance. La puissance
devient de ce fait le premier intérêt de l’Etat dans la vie internationale, et la
politique internationale, une politique de puissance. Dans l’état de nature
comme celui qui règne ainsi entre les Etats, ni le droit, ni la morale (éléments
fragiles et incertains) ne peuvent se substituer à la puissance.
Aussi, quand les intérêts vitaux (indépendance, intégrité territoriale, honneur
national, sécurité des institutions politiques, économique et culturelles) sont
menacés, la guerre devient un risque majeur. Mais des moments de paix plus ou
moins durables peuvent se réaliser si s’établit entre les Etats soit une hégémonie
(Pax Romana), soit un équilibre (directement ou sous forme d’alliances),
bipolaire (Sparte -Athènes, Etats-Unis - URSS), ou multipolaire (équilibre
européen 17e -18e siècles, puis entre 1815 et 1914).
c- Le libéralisme ou théorie de l’interdépendance
Marqué par l’idéalisme wilsonien de l’entre-deux guerres, ne partageant pas le
pessimisme des réalistes et croyant à la possibilité d’un dépassement de la
politique de puissance par une organisation appropriée de l’anarchie
internationale, les libéraux combinent eux aussi deux sortes d’arguments pour
fonder leur interprétation des relations internationales : des arguments
philosophiques défendant une conception différente de la nature humaine et de
l’état de nature, comme chez Grotius, Locke et Kant, et des arguments
empiriques tirés de la réalité internationale concrète.
Pour les libéraux la vision hobbesienne de la nature humaine et de l’état de
nature est partielle et partiale visant à justifier l’ordre et le pouvoir absolu au
détriment de la liberté. Or il n’y a pas que les penchants négatifs chez l’homme à
l’état de nature. Il a aussi des penchants positifs, notamment le besoin de vie
sociale qui suppose bienveillance et assistance mutuelles et qui, combiné avec
celui de l’autopréservation, pousse l’homme à rechercher d’autres moyens que la
force pour vivre en paix avec ses semblables et jouir de ses droits naturels, vie,
liberté, propriété. Aussi, loin d’être un état de guerre en permanence, l’état de
nature est plutôt une succession de périodes de guerre et de périodes de paix due
au recours parfois injuste et soudain à la violence. Seule cette éventualité qui
rendait fragile la vie sociale à l’état de nature, poussa l’homme de par son
intelligence à passer un contrat social avec ses semblables et rentrer dans l’état
civil en s’organisant et en se soumettant à un pouvoir central ayant seul le droit
d’user de la violence, sans aliéner pour autant ses doits naturels, notamment la
liberté et la propriété. Ainsi, pour les libéraux, si l’état civil et meilleur que l’état
de nature, celui-ci n’est pas pour autant synonyme d’état de guerre ou
d’absence de règles.
Il en est de même de l’anarchie internationale où des règles peuvent exister et
réguler la conduite des Etats même lorsqu’ils recourent à la force. Et ce pour les
mêmes raisons qu’entre les individus à l’état de nature. Ce sont les règles du
droit naturel qui ont pour raison d’être la protection et la satisfaction des droits
et intérêts des individus qui les composent, et qui transcendent la séparation des
peuples en Etats indépendants. Ce sont les règles qui s’adressent au genre
humain en tant que tel.
Outre ces arguments philosophiques en faveur de l’ordre et la coopération en
dépit de l’anarchie, les libéraux de l’entre-deux guerre à aujourd’hui recourent
plus encore aux arguments tirés de l’évolution des relations internationales qui
ne cessent de s’éloigner du schéma interétatique traditionnel depuis la
révolution industrielle. Il s’agit de trois évolutions principales : l’accroissement
des interdépendances, l’intensification des relations transnationales, et la
multiplication des acteurs non étatiques sur la scène internationale. Non
seulement ces évolutions expliquent l’acceptation, forcée ou voulue, par les
Etats des contraintes limitant leur souveraineté et les obligeant à collaborer,
mais elles leur imposent de rompre résolument avec la politique de puissance
des siècles passés et de la remplacer par une politique de responsabilité en
dotant le milieu international de mécanismes appropriés, juridiques et
institutionnels, pour résoudre les conflits, faciliter les échanges, et assurer la
sécurité collective.

d- L’École anglaise ou la théorie de la société internationale


École anglaise, c’est le terme donné dans les années 80 à un courant de
Relations internationales basé en Angleterre, mais qui ne peut être classé ni tout
à fait libéral ni tout à fait réaliste. Ses principaux représentants sont M. Wight,
H. Butterfield, A. Watson, H. Bull et B. Buzan. Son principal apport réside dans
le concept de société internationale développé par H. Bull notamment dan son
ouvrage The Anarchical society : A study of order in world politics, 1977.
Partant d’une interprétation de l’anarchie à la manière de Locke, mais centrant
son étude sur les Etats à l’instar des réalistes, l’École anglaise cherche à mettre
au jour les éléments d’ordre dans la politique internationale en menant une
enquête à la fois historique, juridique sociologique sur les ordres internationaux
qui se sont développés depuis le 15e siècle en Europe avant de se répandre dans
le reste du monde (H. Bull /A. Watson, The expansion of international society,
1984). Ainsi Bull distingue deux étapes dans l’évolution internationale affectant
l’état de l’anarchie interétatique. La première étape est désignée par le concept
de système international, la seconde par le concept de société internationale.
Dans un premier temps, à la fin de l’époque féodale, les nations européennes
constituent un système international, c’est-à-dire un ensemble d’Etats où le
comportement (décision, action) de chacun d’entre eux est pris en compte dans
le calcul commandant le comportement de tous les autres. C’est cette interaction
de type diplomatico-stratégique (paix et guerre) qui explique l’extension des
guerres inter-européennes jusqu’à devenir mondiales fur et à mesure que
s’étend le système. C’est dans ce sens aussi que les relations Est-Ouest à
l’époque de la guerre froide constituèrent un système, ou les cinq pays du
Maghreb actuel.
Dans un second temps, peu à peu vers la fin du 19e siècle, les nations
européennes évoluent vers une société internationale, étape en progrès par
apport à la première. Selon Bull, une société internationale est une construction
consciente qui suppose deux choses : une conscience d’avoir certains intérêts et
certaines valeurs en commun ; mise en place d’un ensemble de règles et
institutions communes destinées à réguler leurs relations réciproques. Une sorte
de contrat social (à la manière de Locke) adapté au milieu international et
remplissant au moins trois fonctions : limitation du recours à la force, respect de
la parole donnée, et réciprocité des intérêts. Ainsi, les « conventions de la guerre
froide » selon l’expression de R. Aron, ou le traité de l’UMA de 1989 entre les
cinq pays du Maghreb.
Deux remarques cependant : La première est que dans la société internationale,
la logique et les mécanismes du système international (grandes puissances,
équilibre, recours à la force) ne disparaissent pas, mais ils sont toujours là. D’où
une certaine tension entre les deux qui peut aller jusqu’à menacer la société
internationale d’effondrement (première et seconde guerres mondiales, tensions
et crises de la guerre froide, gel de l’UMA). La seconde remarque est que la
société internationale peut encore évoluer passant d’une société pluraliste où
dominent les Etats, à une société solidariste où les valeurs, règles et institutions
communes ne se limitent plus aux seuls Etats mais s’étendent aux individus et
groupes indépendamment des frontières nationales (cosmopolitisme à la manière
de Kant). Les droits de l’homme dans la politique mondiale actuelle, et l’Union
européenne peuvent être considérés de nos jours comme des traductions du
modèle d’évolution internationale à la kantienne.
e- Le constructivisme
C’est un courant théorique qui a commencé à se développer en Relations
internationales à partir des années 80. Bien que diversifié, l’une de ses figures de
proue demeure l’américain A. Wendt (Social theory of International Politics,
1999). En fait il s’agit, selon Wendt lui-même, d’une version plus forte du
libéralisme, à partir d’une réinterprétation originale de l’anarchie interétatique.
Les courants libéraux jusqu’ici, ainsi que l’Ecole anglaise, considèrent
l’anarchie interétatique, à l’instar des réalistes, comme une donnée évidente et
objective avec laquelle il faut compter. Or pour les constructivistes, l’anarchie
n’a rien d’objectif ou d’évident. C’est le résultat de la pratique des Etats,
rationnalisé par les théoriciens. Certes, il n’y a pas au-dessus des Etats une
autorité centralisant l’usage de la force et le pouvoir d’édicter et d’appliquer de
la loi. Mais ce fait lui-même et tout ce qui en découle sont sujets à
interprétation, car loin d’être des phénomènes extérieurs, et fixes s’imposant
aux acteurs et aux théoriciens, ce sont des construits créés par ces derniers. Les
constructivistes ici inversent l’approche d’Auguste Comte signalée plus haut,
qui consiste à aborder les faits sociaux comme des choses positives séparées de
nos croyances, nos idées et nos jugements de valeur.
Or selon les constructivistes, l’anarchie en Relations internationales - notion
apparue pour la première fois sous la plume de G. Lowes Dickinson en 1926
(The international anarchy, 1926) - est un concept référant à une réalité liée à
l’histoire européenne, passant de la féodalité à l’âge des Etats-nations
souverains. La pratique des Etats européens, imitée par les autres par la suite,
inscrite dans les normes et les institutions du droit international, puis érigée en
concept par les théoriciens réalistes donnent l’illusion qu’il s’agit d’une
structure objective alors qu’elle n’est qu’intersubjective, formée des idées,
croyances, normes et instituions partagées par les Etats et les milieux
académiques spécialisés. Ainsi repensée, l’anarchie non seulement peut être
pratiquée autrement si une autre culture qu’hobbesienne ou réaliste (culture
lockéenne, ou kantienne) est diffusée et adoptée, comme en Europe occidentale
après la seconde guerre mondiale, mais elle peut même être dépassée comme
réalité historique, et remplacée par une autre structure tel qu’un Etat mondial
par exemple (A. Wendt, Why a world State is inevitable ? 2003).

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