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L a loi relative aux droits d’auteurs et aux droits voisins dans la société de
l’information, longuement préparée [1], largement contestée [2], vient d’être
censurée par le juge constitutionnel [3]. La censure porte sur une partie non
1
Le titre I de la loi a pour objet de transposer la directive du 22 mai 2001 [7] sur 2
l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la
société de l’information. Un des intérêts majeurs de la décision rendue par le juge
constitutionnel au cœur de l’été tient dans de nouvelles précisions sur les rapports
entre l’ordre juridique constitutionnel et l’ordre juridique communautaire. C’est à
cet aspect qu’est consacré le présent commentaire.
A ce titre, cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la décision du 10 juin 2004 3
rendue sur la loi relative à l’économie numérique [8]. Cette dernière avait fait l’objet
de commentaires contrastés [9]. Son ambiguïté avait en e fet conduit dans un
premier temps à y voir une consécration de la primauté absolue du droit
communautaire. De grands quotidiens avaient titré dans ce sens [10], le Premier
ministre d’alors, Jean-Pierre Ra farin, interrogé au journal de vingt heures d’une
grande chaîne hertzienne [11], s’était félicité d’une telle reconnaissance.
En réalité, si le Conseil constitutionnel a firme que la transposition des directives est 4
une exigence constitutionnelle, ce qui va certes dans le sens des commentaires sus-
évoqués, il n’en précise pas moins l’exception de « dispositions constitutionnelles
expresses [12] » contraires. Dès lors, à l’enthousiasme premier avait succédé un doute
second. Que sont ces réserves constitutionnelles expresses contraires et le juge
constitutionnel se permettrait-il d’écarter une directive en cas de contrariété, au
risque de mener la France devant le prétoire communautaire ? Le juge a par ailleurs
précisé en 2006 qu’il ne lui revient pas de contrôler la loi par rapport à une directive
en dehors des cas de transposition [13]. Il ne s’agit là que d’une application de la
jurisprudence IVG [14] par laquelle le Conseil constitutionnel refuse de contrôler la loi
par rapport aux engagements internationaux de la France. L’évolution est liée à la
constitutionnalisation de l’Union européenne depuis 1992. Ainsi, depuis lors, il entre
dans les missions du Conseil constitutionnel de veiller au respect du droit
communautaire, par cela seul que le pouvoir constituant l’a inscrit dans la norme
suprême.
Quant au principe d’e fet direct, il est reconnu par les juges nationaux, aux prix de 9
raisonnements parfois sophistiqués, le Conseil d’État refusant l’invocabilité de
substitution des directives communautaires. La jurisprudence Cohn-Bendit [23]
refusant à l’individu de se prévaloir d’une directive à l’encontre d’une mesure
individuelle est toujours d’actualité même si ses e fets privatifs des droits tenus
d’une directive sont anéantis. En e fet, l’invocabilité d’exclusion, reconnue par le juge
administratif, permet de se prévaloir de la directive non pas à l’encontre d’une
mesure individuelle mais à l’encontre d’une mesure réglementaire, laquelle, si elle
n’est pas conforme à la directive, prive dès lors la mesure individuelle de base
légale [24].
S’agissant des exceptions aux droits exclusifs de reproduction, que les dispositions 14
de la section intitulée « Mesures techniques de protection et d’information »,
insérées dans le code de la propriété intellectuelle par la loi déférée, [elles] devront
être entendues comme n’interdisant pas aux auteurs ou aux titulaires de droits
voisins de recourir à des mesures techniques de protection limitant le bénéfice de
l’exception à une copie unique, voire faisant obstacle à toute copie, dans les cas
particuliers où une telle solution serait commandée par la nécessité d’assurer
l’exploitation normale de l’œuvre ou par celle de prévenir un préjudice injustifié à
leurs intérêts légitimes ; qu’en e fet, toute autre interprétation serait manifestement
incompatible avec le respect du principe du « test en trois étapes », auquel le 5 de
l’article 5 de la directive du 22 mai 2001 susvisée subordonne, comme il a été dit ci-
dessus, l’exercice de chaque exception aux droits exclusifs des auteurs et titulaires de
droits voisins » [31].
A – L’ÉLARGISSEMENT DE LA RÉSERVE DE
CONSTITUTIONNALITÉ
Autant la notion de « disposition constitutionnelle expresse » apparaît 19
d’interprétation stricte, autant la nouvelle expression d’« identité constitutionnelle »
pourrait s’avérer d’interprétation large.
Il résulte une grille d’analyse précisée des rapports entre le droit constitutionnel et le 31
droit communautaire. L’identité constitutionnelle de la France prime. Le Conseil
constitutionnel ne s’estime pas compétent pour contrôler la loi par rapport à une
directive sauf en cas de transposition de l’une par l’autre. Il ne s’estime pas
davantage compétent pour saisir la CJCE d’un renvoi préjudiciel. Enfin, il n’exclut
pas de censurer une loi qui méconnaîtrait manifestement une directive dans le cadre
de sa transposition.
A l’heure où la Cour de justice est des plus vigilantes sur le respect du droit 33
communautaire par les juridictions suprêmes [41], il n’est pas certain que la
jurisprudence du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2006 ne doive pas être précisée
rapidement.
Notes
[1] Le projet est déposé au bureau de l’Assemblée nationale le 12 novembre 2003. Elle a
pour objet majeur de transposer la directive européenne du 22 mai 2001, directive
2001/29/ CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur
« l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la
société de l’information ».
[2] Les débats s’exacerbent progressivement sur la question sensible des droits
d’auteurs, l’urgence est finalement déclarée et l’opposition saisit le Conseil
constitutionnel, donnant lieu à la décision ici commentée.
[3] Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative aux droits d’auteurs et
droits voisins.
[4] Considérant n° 57. Le dernier alinéa de l’article 21, qui instituait, dans des
conditions imprécises et discriminatoires, une cause d’exonération de la
répression prévue par le reste de cet article à l’encontre de l’édition de logiciels
manifestement destinés à échanger des œuvres sans autorisation.
[5] Considérant n° 60. En raison de la définition imprécise de la notion
d’« interopérabilité », les références à cette notion figurant aux articles 22 et 23 de
la loi déférée, qui exonéraient de responsabilité pénale le contournement des
« mesures techniques de protection » voulues par les auteurs et titulaires de droits
voisins, ainsi que l’altération des éléments d’information relatifs à leur régime de
protection, lorsque de tels actes étaient « réalisés à des fins d’interopérabilité ».
[6] Considérant n° 65. Il juge contraire au principe d’égalité devant la loi pénale,
l’article 24, qui, dans le cas particulier de l’utilisation d’un logiciel d’échanges « pair
à pair », qualifiait de contraventions des actes de reproduction ou de mise à
disposition d’œuvres protégées qui constitueraient des délits de contrefaçon s’ils
étaient commis par tout autre moyen de communication en ligne.
[11] Jean-Pierre Ra farin était en e fet l’invité du Journal de 20 heures présenté par
Patrick Poivre d’Arvor.
[13] Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances,
considérant n° 28.
[14] Décision 74-54 DC du 15 janvier 1975, IVG, Rec. p. 19, JCP, 1975, II, 180030, note E.
M. Bey, RDP, 1975, p. 185, note L. Favoreu et L. Philip, D. 1975, Jurisprudence, p. 530,
note L. Hamon, GP, 14 et 15 janvier 1976, Jurisprudence, p. 25, note A. Pellet, AJDA,
1975, p. 134, note J. Rivero, JDI, 1975, p. 249, note D. Ruzie, CDE, 1975, p. 608, note J.
Rideau.
[15] CJCE 15 juillet 1964, Costa c/ ENEL, a f. 6/64, Rec. 1964, p. 1141.26, sur le principe de
primauté, CJCE 5 février 1963, Van Gend en Loos, a f. 26/62, Rec. 1963, p. 3 sur le
principe d’e fet direct.
[20] Révisant de nouveau l’article 88-2, en indiquant que « la loi fixe les règles relatives
au mandat d’arrêt européen en application des actes pris sur le fondement du
traité sur l’Union européenne ». Loi constitutionnelle n° 2003-267 du 25 mars 2003
relative au mandat d’arrêt européen.
[22] V. par ex. décision n° 98-400 du 20 mai 1998, Loi organique déterminant les
conditions d’application de l’article 88-3 de la Constitution, JORF, 26 mai 1998, p
8003.
[25] CJCE, Van Duyn du 4 décembre 1974 (41/74). Les critères sont ceux de règles claires,
précises et inconditionnelles.
[34] Décision n° 2004-496 DC, 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie
numérique, considérant n° 7.
[35] Décision n° 2004-496 DC, 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie
numérique, considérant n° 7.
[36] Décision n° 2004-496 DC, 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l’économie
numérique, considérant n° 7.
[37] Décision n° 2004-497 DC, 1er juillet 2004, Loi relative aux communications
électroniques et aux services de communication audiovisuelle, considérant n° 18.
[38] Décision n° 2004-499 DC, 29 juillet 2004, Protection des données personnelles,
considérant n° 7.
[39] Décision n° 2004-498 DC, 29 juillet 2004, Loi relative à la bioéthique, considérant n°
4.
[41] V. dernièrement CJCE, 13 juin 2006, a f. C 173/03, Traghetti del mediterraneo SpA,
en liquidation contre Repubblica italiana. Dans cette décision, la Cour juge
contraire aux exigences communautaires une loi italienne par trop limitative de
l’engagement de la responsabilité de l’État en raison de ses juridictions suprêmes.
Cette jurisprudence est la suite de l’arrêt Köbler qui pose le principe de la
responsabilité de l’État en raison des violations du droit communautaire par une
juridiction suprême. CJCE, 30 septembre 2003, C 224/01, Köbler, Rec., p. I-10239.
Plan
I – LA PRIMAUTÉ ET L’EFFET DIRECT DU DROIT COMMUNAUTAIRE
CONFIRMÉS
A – LA PRIMAUTÉ ET L’EFFET DIRECT DU DROIT COMMUNAUTAIRE, VOLONTÉ DU
POUVOIR CONSTITUANT
B – DES RÉSERVES D’INTERPRÉTATION CONDITIONNÉES PAR LA DIRECTIVE
COMMUNAUTAIRE
Auteur
Florence Chaltiel
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2008
https://doi.org/10.3917/rfdc.068.0837
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Pour citer cet article
Cairn.info