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22/12/2014
Le projet d'adhésion de l'UE à la Convention européenne peut donc être présenté comme un
rapprochement entre deux ambitions et deux histoires. En adhérant à la Convention
européenne, l'UE adhérait à un standard européen des libertés dont l'emprise est
véritablement continentale et qui couvre l'ensemble du champ des libertés.
La procédure
Le projet d'adhésion est déjà ancien. Après diverses négociations, le traité de Lisbonne de
2009 a modifié l'article 6 du traité de l'Union qui prévoit désormais que les droits
fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la CEDH et tels qu'ils résultent des traditions
communes aux Etats membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes
généraux. Il ajoute que l'"Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme", cette adhésion ne modifiant pas les compétences de l'Union telles
qu'elles sont prévues par les traités.
Sur le fond, le projet d'adhésion repose sur un principe extrêmement simple : l'UE est
assimilée à un Etat et devrait donc avoir dans la Convention européenne un rôle identique à
celui de toute autre partie. C'est précisément ce principe que la CJUE refuse absolument. On
observe d'ailleurs une vraie persévérance dans ce domaine, puisqu'elle avait déjà estimé en
1996, au vu du droit communautaire de l'époque, que la Communauté européenne n'était
pas compétente pour décider d'une adhésion à la Convention européenne des droits de
l'homme.
Il serait sans doute un peu long de reprendre tous les motifs développés par l'avis de la
CJUE, tant il est vrai que rien dans le projet ne trouve grâce à ses yeux. Les éléments les
plus importants révèlent cependant une position que l'on pourrait qualifier de protectionniste
à l'égard du droit issu de la Convention européenne, considéré comme une menace.
La CJUE veut d'abord protéger la Charte des droits fondamentaux de l'UE. Adoptée au
Sommet de Nice de 2000 comme un instrument juridique non contraignant, elle a acquis
avec le traité de Lisbonne de 2009 "la même valeur que les traités". Aux termes de ses
articles 52 et 53, la Charte précise que les droits qu'elle consacre et qui sont identiques à
ceux garantis par la Convention européenne des droits de l'homme doivent être considérés
comme ayant le même sens et la même portée. Aucune disposition de la Charte ne doit
d'ailleurs être interprétée comme limitant un droit garantir par la Convention.
De ces dispositions, on pourrait déduire que la Charte, liée par la définition des droits et
libertés donnée par la Convention européenne, lui est en quelque sorte subordonnée. La
tentation d'une telle interprétation est d'autant plus grande qu'il faut bien reconnaître que le
contenu de la Charte est loin d'être aussi élaboré que le droit de la Convention européenne,
plus étendu et considérablement enrichi par la jurisprudence de la Cour.
Aux yeux de la CJUE, la question de l'articulation entre la Charte et la Convention
européenne n'est pas réglée et c'est une des raisons de son avis négatif. Dès lors que la
Convention européenne autorise les Etats membres à définir une protection des droits plus
élevée que celle qu'elle garantit, la Charte risque en effet d'apparaître comme imposant un
droit moins exigeant. La Cour en déduit que lorsque les droits sont garantis par les deux
instruments, les Etats membres de l'UE devraient être liés par le niveau de protection imposé
par la Charte. Elle fait donc prévaloir l'unité et l'homogénéité du droit de l'Union sur
l'approfondissement des libertés par chaque Etat, approfondissement encouragé par la
Convention européenne.
Cette analyse a quelque chose de surprenant. Certes, elle repose sur la nécessité juridique
d'assurer l'application de la Charte, dont les dispositions sont obligatoires puisqu'elles sont
intégrées au TFUE. En même temps, elle consacre une vision figée des libertés, comme si la
Charte était l'effort maximum que peut se permettre l'Union en matière de libertés, le plafond
au-dessus duquel il est impossible de faire mieux.
A cette volonté de protéger la Charte des droits fondamentaux s'ajoute, de manière plus
générale, une recherche du maintien de l'indépendance du droit de l'Union européenne. Il
est vrai que la négociation préalable à l'adhésion ne semble pas avoir pris en considération
certains risques de contradiction, voire de blocage du droit européen des libertés.
Par exemple, le Protocole n° 16 à la Convention européenne, signé en octobre 2013 c'est à
dire après qu'un accord ait été trouvé sur le projet d'adhésion de l'UE, autorise les juridictions
suprêmes des Etats membres à poser à la Cour européenne des questions sur la définition
ou l'application des droits ou libertés consacrés par la Convention européenne. Là encore, la
Cour redoute que la procédure de question préjudicielle sur la mise en oeuvre des droits
reconnus par la Charte prévue par la TFUE devienne résiduelle. En effet, dès lors que la
plupart des droits garantis par la Charte sont aussi garantis par la Convention européenne,
la question préjudicielle ne concernerait plus que les droits figurant exclusivement dans la
Charte qui sont bien peu nombreux. De manière plus générale, la Cour considère que la
procédure porte atteinte à l'article 344 du TFUE, article par lequel les Etats s'engagent à ne
pas soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application des traités à un mode de
règlement autre que ceux prévus par le droit de l'UE.
Cet avis revendique donc une indépendance totale du droit de l'Union européenne et surtout
une exclusivité de la CJUE dans les contentieux portant sur des droits garantis à la fois par
la Charte et par la Convention. L'Union européenne devrait ainsi se développer en vase clos,
à l'abri d'influences qu'elle ne maîtrise pas. C'est donc aussi le refus d'un standard unique
des libertés publiques que l'Europe pourrait garantir et promouvoir.
Mais il ne faut pas s'y tromper, la CJUE ne cherche pas à protéger l'Union de la Convention
européenne elle-même. Celle-ci ne constitue-t-elle pas déjà un fondement juridique du droit
de l'UE, reconnu par le traité de Lisbonne ? Elle cherche surtout à mettre l'UE, et la CJUE
elle-même, à l'abri de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-
ci est actuellement l'objet d'une offensive menée par les Britanniques et dont on trouve
quelques échos en France, offensive visant à affirmer qu'elle menace la souveraineté des
Etats en leur imposant des contraintes auxquelles ils n'ont pas consenti ? A sa manière,
l'avis de la CJUE est aussi le révélateur de l'accroissement de l'influence britannique dans
l'Union. Le Royaume-Uni, qui a obtenu un statut dérogatoire lui permettant de ne pas être lié
par la Charte des droits fondamentaux refuse d'être désormais lié par la Convention
européenne des droits de l'homme devenue un élément du droit de l'UE. Dans ce but, il est
prêt à briser le rêve d'un droit continental reposant sur des principes communs.