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Ohadata D-13-22

Du sens de l’article 14 de l’AUPSRVE


Arrêt n° 065/2012 du 07 juin 2012 de la Cour Commune de Justice
et d’Arbitrage de l’OHADA (CCJA)
par
Jérémie WAMBO
Avocat Assistant Juriste Référendaire CCJA-OHADA

Jurifis, édition spéciale, n° 12, octobre 2012, p. 89

L’article 14 de l’AUPSRVE1 dispose « la décision de la juridiction saisie sur opposition se


substitue à la décision portant injonction de payer ». Littéralement, cela signifie que dès
lors qu’opposition est formée contre une ordonnance d’injonction de payer, celle-ci cesse de
produire effet et ne pourra plus être excipée, encore moins mise à exécution, puisque la
décision sur l’opposition va se substituer à elle. C’est du reste ce qui justifie le rejet par
certaines juges, de la demande d’apposition de la formule exécutoire sur l’ordonnance
d’injonction de payer dont l’opposition n’a pas prospéré2.

Cette interprétation, si elle est conforme à l’esprit même du législateur communautaire, ne va


pas sans poser quelques problèmes pratiques. En effet, par l’opposition, le juge est saisi de
l’entier litige et peut dès lors en examiner tous les aspects, pour enfin rendre un jugement soit
de condamnation au paiement du montant, ou d’une partie du montant contenu dans
l’ordonnance en fonction des éléments de preuve qui lui auront été fournis par le créancier,
soit de débouté, si celui-ci ne rapporte pas la preuve suffisante des sommes réclamées. La
décision ainsi rendue a dépourvu de tout effet l’ordonnance d’injonction de payer initiale, et
c’est elle seule qui peut désormais soit être mise à exécution, soit faire l’objet d’une voie de
recours, notamment l’appel3. Ainsi, le jugement de condamnation doit obligatoirement
contenir le montant des sommes à payer et ne peut se borner à confirmer l’ordonnance, encore
moins à lui restituer son plein et entier effet, celle-ci ne pouvant plus recevoir apposition de la
formule exécutoire, du fait de l’opposition exercée.

Cependant, la situation devient plus complexe lorsqu’à la suite de l’opposition, il n’est pas
donné au juge d’examiner le litige au fond. C’est notamment le cas lorsque l’opposition est
jugée irrecevable parce qu’intervenue hors délai. Il en est de même lorsque l’appel contre le
jugement d’irrecevabilité de l’opposition est déclaré irrecevable parce que hors délai. Il se
pose donc la question de savoir si le juge, bien que n’ayant pas examiné le fond du litige, doit
prononcer la condamnation au paiement des sommes contenues dans l’ordonnance
d’injonction de payer désormais consolidée mais dépourvue d’effet du fait de l’opposition
déclarée irrecevable.

1
Acte Uniforme portant Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution.
2
Note du Pr Ndiaw DIOUF sous article 14 AUPSRVE.
3
La décision statuant sur l’opposition produisant les effets d’une décision réputée contradictoire, même en
l’absence de l’opposant, elle ne peut être susceptible que d’appel dans les conditions de l’art. 15 de
l’AUPSRVE.
La Haute Juridiction communautaire vient de se prononcer sur la question à travers un arrêt
du 07 juin 20124.

Dans cette espèce en effet, le créancier avait sollicité et obtenu du juge des requêtes, une
ordonnance d’injonction qu’il a signifiée à son débiteur. Ce dernier ayant formé opposition
hors délai, le jugement consécutif rendu l’a déclarée irrecevable, mais a simplement indiqué
qu’il restituait à l’ordonnance d’injonction de payer attaquée « son plein et entier effet »5.
L’appel du débiteur contre ledit jugement a également été déclaré irrecevable comme tardif.
Dès lors, muni de la grosse dûment en forme exécutoire de l’arrêt de la Cour d’Appel et de
l’ordonnance d’injonction de payer contenant les sommes réclamées, mais non revêtue de la
formule exécutoire, le créancier a entrepris une saisie-attribution au préjudice du débiteur, qui
a aussitôt saisi le juge des référés (entendez ici le juge de l’exécution) en nullité de ladite
saisie fondée sur l’absence de titre exécutoire au sens de l’article 33 de l’AUPSRVE. Le juge
des référés a validé la saisie avant de voir sa décision infirmée par la Cour d’Appel, qui a
estimé que la saisie critiquée n’était pas fondée sur un titre exécutoire au sens de l’article 33
susvisé.

C’est l’arrêt de cette Cour d’Appel que la Haute Juridiction communautaire vient de casser, en
précisant « … mais attendu que l’application de cet article (art. 14) suppose que la juridiction
compétente ait été mise en situation de statuer sur le fond du litige alors qu’en l’espèce aussi
bien l’opposition à l’ordonnance d’injonction de payer que l’appel contre le jugement ont été
faits hors délai et ont été déclarés irrecevables par des décisions devenues définitives qui
seraient un obstacle à toute reprise de la procédure en raison du principe de la chose jugée ;
que l’absence de l’opposition à l’injonction de payer comme le fait pour les juges de n’avoir
pas statué sur le fond de la contestation pour cause de forclusion des opposants, alors même
qu’aucune faute ne peut être reprochée au créancier poursuivant, justifie l’apposition de la
formule exécutoire sur l’ordonnance d’injonction de payer ou sur le jugement qui vaut dès
lors titre exécutoire ; qu’en se fondant sur l’article 14 de l’Acte uniforme pour en déduire que
la saisie a été pratiquée sans titre exécutoire au sens de l’article 33 de l’Acte uniforme, la
décision dont est pourvoi a fait une mauvaise interprétation de la loi ; qu’il y a en
conséquence lieu de casser l’arrêt attaqué et d’évoquer le fond (…) attendu qu’en effet,
faute d’opposition à l’ordonnance d’injonction de payer ou en cas de jugement ou arrêt
n’ayant pas examiné le fond en raison de la tardiveté de l’opposition ou de l’appel,
l’ordonnance d’injonction de payer accompagnée de la décision irrévocable du Tribunal
ou de la Cour d’Appel vaut bien titre exécutoire justifiant la procédure d’exécution
entreprise … ».

Cette position de la Cour intervient à juste titre, dans la mesure où dans le cas ci-dessus
exposé, l’ordonnance d’injonction de payer devenue irrévocable ne pouvait pas être mise à
exécution, le Greffier se refusant d’y apposer la formule exécutoire, en invoquant l’article 14,
d’une part, l’arrêt de la Cour d’Appel bien que revêtant la formule exécutoire ne contenant
aucune condamnation chiffrée, d’autre part. Or, l’article 33.1 de l’AUPSRVE susvisé précise
que constituent des titres exécutoires « les décisions juridictionnelles revêtues de la formule
exécutoire et celles qui sont exécutoires sur minute ». Cette interprétation stricte des
dispositions combinées des articles 14 et 33 de l’AUPSRVE par la Cour d’Appel a manqué de
déboucher sur une sorte de déni de justice, voire une impasse, les deux décisions étant
désormais irrévocables, mais inexécutables.

4
CCJA, Arrêt n° 065/2012 du 07 juin 2012, Aff. DIAKITE Moussa c/ DIOULO Serge et autres, inédit.
5
TPI d’Abidjan, Jugement n° 1283/Civ. D3 du 17 mai 2006, inédit.
En somme, s’il est vrai que la décision de la Haute Juridiction permettra au créancier de
rentrer dans ses droits, il est également vrai que le problème reste entier à notre sens, la
décision de la Cour ne pouvant pas se substituer à l’ordonnance d’injonction de payer initiale.
En réalité, le créancier ici est obligé de mettre à exécution, simultanément, deux décisions de
justice, alors que le législateur a pris le soin d’indiquer qu’en définitive, une seule décision
sera rendue, se substituant à l’ordonnance d’injonction de payer dont opposition. Nous
pensons dès lors, qu’il est important de demeurer dans la lettre et l’esprit de l’article 14 et de
dire qu’il revient aux juges statuant sur l’opposition, d’assortir leurs décisions de
condamnation chiffrée, s’il y a lieu, quand bien même le litige n’aura pas été examiné au
fond, le montant de l’ordonnance attaquée étant consolidé soit par le débouté, soit par
l’irrecevabilité de l’opposition. Il ne pourrait d’ailleurs en être autrement, l’indication de
l’article 14 nous paraissant péremptoire. On peut affirmer que rendues suivant ce canevas, les
décisions sur opposition pourront être mises à exécution, seules, sans gymnastique aucune.

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Jurifis Infos – n° 12, Edition spéciale – Octobre 2012, p. 89.

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