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Les rédacteurs du Code pénal de 1993 ont abrogé cette incrimination particulière.
Il n’est pas certain que leur décision soit de nature à faciliter la tâche des praticiens.
Véron (Droit pénal spécial, 8ème éd. p.230) : « Selon les procédés utilisés par le
prévenu, l’abus de blanc-seing devra désormais être poursuivi comme abus de
confiance ou comme faux en écritures ».
Il est possible, et le fait se présente même assez souvent, que, dans une circonstance
de la vie, un individu ait besoin de donner sa signature d’avance, sur une feuille de
papier blanc, pour ratifier une écriture privée qui sera placée ultérieurement au-dessus
de la signature: c’est ce que l’on appelle un blanc-seing.
Il n’est même pas nécessaire, aux termes de la jurisprudence, que la feuille de papier
soit entièrement blanche. En effet les arrêts, d’une part, voient un blanc-seing dans le
fait de remplir frauduleusement des blancs et intervalles laissés dans le corps de
l’écriture ou de l’imprimé précédant la signature et, d’autre part, admettent qu’il suffit
qu’il y ait un intervalle entre l’écriture et la signature qu’elle a reçue, et que l’on
puisse abuser de cette signature en remplissant l’intervalle laissé en blanc, de manière
à compromettre la personne ou la fortune du signataire.
2608. En analysant les termes de l’art. 407 on voit que le délit d’abus de d’abus de
blanc-seing suppose quatre conditions essentielles ; il faut : 1° que la feuille de papier
ait été confiée en blanc avec la seule signature de la victime ; 2° que l’abus ait pour
auteur celui à qui elle a été confiée ; 3° qu’il soit commis frauduleusement ; 4° que
l’abus soit de nature à compromettre la personne ou la fortune du signataire.
2609 . L’élément primordial du délit est un acte de confiance de la victime, acte qui
implique un mandat quelconque ; une signature donnée en blanc révèle, en effet, que
le papier, sur lequel elle est apposée, doit contenir un écrit dont cette signature est la
ratification anticipée. Le but de la remise du blanc-seing peut être de diverses
natures ; mais il est nécessaire que la feuille revêtue de la signature soit destinée à être
remplie.
Cette solution nous paraît critiquable. L’acte, ainsi souscrit avec des blancs, suppose
que le débiteur ne s’en est pas entièrement remis au créancier, puisqu’il a joint, à sa
signature, toutes les garanties ou conventions qu’il lui a plu d’y apposer. Aussi le fait
de remplir les blancs qui sont laissés dans l’acte ne nous paraît être ni un abus de
confiance ni un faux, parce que le prévenu n’a pu que modifier la convention qui est
intervenue, et non fabriquer une convention nouvelle.
b) Le blanc-seing doit avoir été volontairement remis à celui qui est accusé d’en avoir
abusé. D’où il suit que toute violence, par l’emploi de laquelle aurait été obtenu le
blanc-seing, exclurait cette mise de confiance qui est l’élément primordial du délit.
Cette solution n’est pas douteuse quand la remise du blanc-seing a été précédée de la
violence physique, si bien que le fait même de l’enlèvement par la violence
constituerait alors un vol, et son abus un faux. Mais l’emploi de manœuvres
frauduleuses, propres à tromper la victime, et à l’amener à donner un blanc-seing,
qu’elle n’aurait pas confié sans cela, fait qui, en lui-même, est susceptible de
constituer une escroquerie, peut-il faire dégénérer l’abus du blanc-seing obtenu par la
fraude en crime de faux ?
Une distinction s’impose, entre le cas où la remise du blanc-seing est déterminée par
des manœuvres excluant tonte confiance dans la personne à qui la signature est
confiée, et celui où la remise ne l’exclut pas. Ainsi, un avocat obtient de son client
une feuille de papier timbré, signée en blanc, en lui persuadant qu’il en a besoin pour
faire un acte de procédure au nom du signataire, et il en abuse, en inscrivant une
obligation, à son profit, pouvant compromettre la fortune de ce client : malgré que la
volonté de celui qui a remis le blanc-seing ait été plus ou moins trompée par cette
manœuvre, nous verrions simplement dans ce fait un abus de confiance. Mais lorsque
les manœuvres employées ont -été telles que le signataire n’a jamais eu la volonté de
remettre un blanc-seing destiné à contenir un acte déterminé, c’est sous la
qualification de faux que le fait doit être poursuivi.
c) Le blanc-seing ne peut être réputé avoir été confié à un tiers que lorsqu’il e été
remis à cette personne à titre de blanc-seing et avec un mandat quelconque. Ainsi, un
individu remet ses nom et prénoms, à titre d’adresse, à un tiers ; celui-ci fabrique, au-
dessus-de ces noms et prénoms, une obligation à son profit : il y a faux et non
simplement abus de blanc-seing.
Ainsi encore, dans une espèce où un individu, auquel une pétition avait été remise,
avait écrit une obligation entre la pétition et la signature, la Cour de cassation a
considéré : « Que la signature dont l’accusé a été convaincu d’avoir abusé ne lui avait
pas été donnée en blanc, mais qu’elle avait été apposée au bas d’une pétition, et que
c’est en supprimant le corps de cette pétition qu’il a substitué un billet à ordre sur le
blanc qui restait entre la dernière ligne de cette pétition et la signature ; que cette
signature n’était pas un véritable blanc-seing, puisqu’elle avait été apposée au bas
d’un écrit ; qu’en supposant que ladite signataire fût un blanc-seing, elle n’avait pas
été confiée comme telle à l’accusé, puisqu’elle ne serait devenue blanc-seing que par
la suppression frauduleuse de la pétition au bas de laquelle elle était apposée ; qu’il
suit de ces considérations que le fait est un véritable faux en écriture.
Un notaire obtient, par surprise, la signature d’une personne sur une feuille de papier
timbré, et fabrique, au-dessus de cette signature, une procuration lui donnant pouvoir
de faire un emprunt ; ou bien sur le registre où sont détaillées les opérations, il insère
une mention de décharge générale au-dessus d’une déclaration signée par un client et
constatant la remise d’un jugement et d’un billet. Ces deux faits ont été jugés, par la
Cour de cassation, constituer, non des abus de blanc-seing, mais des faux.
Ainsi encore, le fait par celui qui a reçu une quittance d’insérer, dans un blanc laissé
par inadvertance, une mention préjudiciable, ne constitue pas l’abus de blanc- seing,
mais le crime de faux.
2610. Le second élément du délit résulte de cette circonstance que l’auteur de l’abus
est précisément celui à qui le blanc-seing a été confié pour en faire un usage
déterminé. Quand nous disons l’auteur, noue prenons l’expression dans son sens
juridique. C’est, en effet, une question très discutée que celle de savoir s’il y a abus de
blanc-seing ou s’il y a faux, lorsque personne, à qui le blanc-seing a été confié, le fait
remplir par un tiers. Cette question doit être résolue par l’application des principes
mêmes de la complicité.
Ou le tiers, auquel le blanc-seing a été remis pour qu’il y écrive la convention, est
réputé auteur principal, et alors il a commis un faux, dont doit être réputé complice
celui qui lui a remis le blanc-seing. Ou c’est bien ce dernier que l’on répute auteur
principal, celui qui a écrit pour lui la convention n’étant considéré que comme son
instrument et son complice, et alors tous les deux n’ont commis qu’un abus de blanc-
seing.
C’est toujours ce dernier point de vue que paraît admettre la jurisprudence. Mais s’il
est plus équitable, il est moins juridique que le premier. Dans notre droit, en effet,
celui a eu la pensée du crime, qui l’a inspiré, ou qui a donné des instructions pour le
commettre, l’auteur intellectuel, l’instigateur, en un mot, est simplement réputé
complice, la coopération directe et principale ne pouvant résulter que d’une
participation matérielle aux actes d’exécution du délit. Or, celui à qui le blanc-seing a
été confié n’a pas rempli lui-même la feuille blanche, il a simplement provoqué un
tiers à la remplir ou lui a donné des instructions pour le faire. Dans les termes de
l’article 60, il est donc complice d’une fabrication de convention, faite au moyen d’un
blanc-seing, par celui auquel ce blanc-seing n’avait pas été confié.
Mais il faut prévoir la situation inverse. C’est l’individu, à qui le blanc-seing avait été
confié, qui en a abusé en faisant précéder la signature qu’il avait obtenue
d’énonciations susceptibles de compromettre son auteur. Mais il n’a agi que sous
l’inspiration d’un tiers, dont il, n’a été que l’instrument, et qui a poursuivi, en la
dirigeant, en provoquant l’abus, la satisfaction d’un intérêt exclusivement personnel.
Il est évident que cette circonstance, qui a pour résultat d’introduire un complice,
l’instigateur, à côté du prévenu, l’auteur principal, ne peut modifier le caractère
juridique du fait, qui est un abus de blanc-seing et non un faux.
2611 . La troisième condition du délit, c’est qu’il y ait un abus frauduleux du blanc-
seing ainsi confié.
a) Cet abus consiste, aux termes de l’article 407, dans l’inscription d’un acte au-
dessus de la signature. Il faut en réalité préciser : il doit s’agir d’un acte non conforme
aux conventions arrêtées entre la personne qui l’écrit, et le signataire ; dans le cas
contraire, il n’y aurait aucun délit, non pas faute de préjudice, mais faute d’abus,
puisque l’acte écrit serait conforme au mandat donné par le signataire.
L’abus doit être frauduleux, c’est-à-dire que l’acte doit être écrit avec la conscience et
la volonté d’opérer une obligation ou décharge différente de la convention arrêtée
avec le signataire, et de nature à compromettre, au moins d’une manière éventuelle, sa
fortune ou sa personne ; mais il est manifeste que la définition matérielle de l’abus,
telle qu’elle a été plus haut précisée, permet de dire que le fait même de cet abus
implique, en général, l’intention frauduleuse (dolumin se habet). Cependant cette
intention sera rendue plus manifeste encore par l’usage même du blanc-seing ainsi
rempli.
b) Mais il n’est pas nécessaire, pour que le délit existe, qu’il ait été fait usage de l’acte
frauduleusement rédigé au-dessus de la signature. C’est la fabrication même d’une
convention, différente de celle pour la constatation de laquelle le blanc-seing avait été
confié, qui forme l’abus. Sans doute, comme dans toute falsification d’écriture, ce
n’est pas précisément le faux qui est préjudiciable, c’est l’usage du faux, soit in
judicio, soit extra judicium. Mais on doit simplement conclure de cette observation
que si, d’un côté, l’abus du blanc-seing est consommé par le simple fait de
l’inscription frauduleuse d’une obligation ou d’une décharge au-dessus de la
signature, d’un autre côté, l’usage d’un blanc-seing, déjà frauduleusement rempli,
constitue aussi et toujours le délit d’abus de blanc-seing.
c) L’usage, en effet, comme l’exprime une jurisprudence aujourd’hui bien constante,
« reproduit et perpétue » l’abus de blanc-seing, déjà consommé par l’inscription
frauduleuse ; d’où il suit que la prescription ne commence à courir qu’à dater du
dernier usage qu’on a fait de blanc-seing.
d) Si donc la personne, à qui le blanc-seing était confié et qui l’a rempli, en fait usage,
elle continue à être coupable d’un abus de blanc-seing et non d’un crime de faux, sans
qu’on puisse d’ailleurs considérer ce fait d’usage comme constituant un nouveau délit.
C’est la continuation du même délit. Mais le tiers, qui participerait sciemment au fait
d’usage, sans avoir participé à la fabrication de la convention, ne pourrait prétendre
obtenir l’impunité, sous prétexte qu’il ne serait intervenu qu’après la consommation
du délit. D’où il suit que l’abus de blanc-seing est un délit continu, quand on
l’envisage, non dans le fait de la falsification, certainement instantané, mais dans le
fait d’emploi du blanc-seing, frauduleusement rempli, soit par l’auteur de la
fabrication, soit par un tiers.
2612 . La dernière condition du délit est que l’écriture, mise au-dessus de la signature,
opère obligation ou décharge, ou puisse compromettre, d’une façon quelconque, la
personne ou la fortune du signataire.
b) Du moins, tout acte qui n’aurait pas cet effet préjudiciable ainsi compris, alors
même qu’il aurait été écrit avec une intention frauduleuse caractérisée, ne
constituerait pas un abus punissable ; d’où il suit que la supposition d’une convention,
radicalement nulle, exclurait le délit, puisque l’acte incriminé, manquant de l’un de
ses éléments essentiels, ne serait pas de nature à compromettre la personne ou la
fortune du signataire. Mais si cet acte n’était entaché que d’une nullité relative ; de ces
nullités qui peuvent être couvertes ou supplées, le fait constituerait l’abus de blanc-
seing puisqu’il serait de nature à causer une préjudice au signataire.
2613. Le principe, qui sera plus complètement rappelé à propos de la preuve de l’abus
de confiance, d’après lequel, si le juge de l’action est juge de l’exception, le droit des
preuves se détermine, non pas d’après la nature de la juridiction saisie, mais d’après
celle de la question à résoudre, permet-il de considérer que la preuve testimoniale est
admissible pour démontrer l’existence d’un abus de blanc-seing ?
2614. L’abus de blanc-seing est puni par la loi de la même peine que l’escroquerie.
C’est donc un abus de confiance aggravé par le moyen même qui a été employé par
l’agent pour le commettre.