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Sophia Aboudrar
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Sophia ABOUDRAR
ABSTRACT. — What place does the feminine take in the elaboration of normative
plans of action ? In 1791, Olympes de Gouges signs a Declaration of the Rights of
Women and Women Citizens. For the first time in history, the principle of a formal and
real equality between the sexes is asserted, while we are reminded of the irreducible dif-
ference between men and women.
The parallelism of forms indeed implies a parallelism of contents. But the repetition
of the Declaration of the Rights of Man and Citizens, and its adaptation for the female
sex bear witness to the inadequacy of common law to grasp the specificity of « genders ».
Equality must be thought about in and through difference. The feminine must be spoke ;
it must be declared.
1. E. Morin-Rotureau (2002).
2. O. de Gouges (1786), préface.
3. Paule-Marie Duhet (1971) émet certaines réserves quant à la véracité des origines
nobiliaires de Marie Gouze. Ainsi souligne-t-elle son souci de « se créer un personnage...
elle tricha sur son âge... et elle affirma toujours être de descendance illustre » (p. 82).
4. Au contraire, Paul Noak (1993) et Olivier Blanc (1989) tiennent pour acquise la
bâtardise d’Olympe de Gouges, et donc aussi ses origines nobles.
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Devenue veuve très tôt après son mariage, elle tentera une car-
rière de femme de lettres, et se lancera à l’assaut de la gloire. Si son
œuvre théâtrale n’obtiendra pas le succès escompté, la Révolution
française donnera en revanche à cette patriote révolutionnaire la
possibilité d’exprimer des opinions et de formuler des revendica-
tions remarquablement féministes et actuelles.
On peut certes considérer que
« ce qu’Olympe de Gouges a dit et écrit en faveur des femmes est
l’expression de son existence propre peu conforme aux modèles communs
de la fin du XVIIIe siècle (et que)... marginale par ses origines elle... tend à
révéler la cause des pauvres, celle des Noirs, et, bien au-delà de son cas
personnel, celle des femmes »8,
mais cette mise en relief du lien étroit qui unit la vie de la révolu-
tionnaire à ses options politiques et philosophiques ne doit pas
minimiser la valeur intrinsèque des opinions par elle exprimées :
Olympe de Gouges est avant tout une théoricienne, et les mesures
qu’elle propose, dont certaines d’avant-garde, ne seront, au mieux,
adoptées qu’au XXe siècle, constituent un programme aussi cohérent
que novateur. Une lecture qui transcende la dimension biogra-
phique de sa pensée s’impose alors, si l’on veut en apprécier à sa
juste mesure la portée encore, et plus que jamais, actuelle.
C’est pourquoi, si un très bref aperçu historique est apparu
nécessaire pour situer les travaux d’Olympe de Gouges, le propos
n’est néanmoins pas ici de projeter plus avant un regard d’historien
sur les deux textes qui nous occupent, la Déclaration des droits de la
femme et de la citoyenne et la Forme du contrat social de l’homme et de la
femme. C’est au contraire en détachant cette œuvre de son
contexte historique, en lui ôtant pour l’analyse toute dimension
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Le choix du modèle.
La Déclaration des droits de l’homme de 1789 :
égalité et spécificité
Le principe d’une égalité civile entre les sexes est consacré par
Olympe de Gouges, en dix-sept articles, sur le modèle de la Déclara-
tion des droits de l’homme. Le choix de cette forme et le texte qui en
résulte, en miroir donc de la Déclaration proclamée deux ans aupa-
ravant, manifestent avec force la dimension féministe10 de la
démarche d’Olympe de Gouges. Le parallélisme des formes induit
un parallélisme des contenus : les droits de la femme sont proclamés
dans une Déclaration qui contrebalance en la complétant la Déclara-
tion des droits de l’homme de 1789, précisément parce que ces droits
ont la même force, le même poids, la même légitimité.
Ce principe d’un égalitarisme rigoureux entre les sexes trouve sa
source dans « les lois de la nature et de la raison »11. Olympe de
12. Ibid.
13. « Sur l’admission des femmes au droit de cité », Journal de la société de 1789,
3 juillet 1790.
14. Selon la célèbre formule de Poullain de la Barre ([1673], 1984).
15. Sur l’écho dans la philosophie de cette approche nouvelle, voir Diderot,
L’Encyclopédie, notamment l’article « Jouissance » ; pour un exposé de cette évolution,
voir Catherine Larrère (1997).
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27. Sur la dimension d’action des énoncés performatifs, classification dont relèvent
les Déclarations, cf. Bourdieu, 1982 ; P. Amselek 1986 ; John L. Austin, 1991.
28. Art. XI : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits
les plus précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers
les enfants. Toute citoyenne peut donc dire librement, je suis mère d’un enfant qui vous
appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité. »
29. Ch. Fauré, 1985, p. 190.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
P. Amselek (dir.), 1986, Théories des actes de langage, éthique et droit, Paris,
PUF.
John L. Austin, 1991, Quand dire c’est faire, trad. franç. G. Lane, Paris, Le
Seuil.
A. de Baecque, M. Rebérioux, D. Godineau (dir.), 1989, Ils ont pensé les
droits de l’homme, textes et débats, 1789-1793, Paris, Ligue des droits de
l’homme, Études et documentations internationales.