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LA CELEBRATION DU MONDE

Explications linéaires

Sylvie Germain, Magnus (explication linéaire n°1)

Introduction :
Roman de Sylvie Germain paru en 2005. L’extrait se situe à la fin du récit : Magnus vit retiré près d’un
village. Il a fait la rencontre d’un moine, frère Jean, qui le réconcilie avec la vie.
[Lecture du texte à voix haute]
Projet de lecture : quelle leçon frère Jean essaie-t-il de donner à Magnus ?
Mouvements.

Premier mouvement : les bruits de la forêt


-« Magnus prend place à ses côtés. Il ne dit rien, ne pose aucune question. Il attend que son hôte
ouvre le dialogue »  les négations autour des verbes de parole et le verbe « attendre » indiquent
un instant suspendu. Quelque chose doit arriver, qui impose l’immobilité et l’attention de Magnus.
-« Mais l’autre, d’habitude si exubérant, garde le silence, et il le garde longtemps »  attente déçue,
comme l’indique le connecteur « Mais ». La rupture avec l’habitude est intensifiée par « si » devant
l’adjectif « exubérant » - qui marque déjà l’excès - et la répétition du verbe « garder » lui aussi
intensifié par l’adverbe « longtemps ».
-« La forêt alentour bruit de multiples sons sur fond du sourd bourdonnement des ruches : » 
thème du son : on comprend que frère Jean impose le silence pour que Magnus soit attentif aux
bruits de la forêt. La densité sonore (assonances et allitérations) de la phrase correspond à cette
thématique.
- suit une longue énumération qui détaille la richesse des bruits de la forêt, avec nombreuses
assonances et allitérations presque comme des onomatopées + dimension poétique du passage, avec
effets de rimes intérieures : « frémissements des feuillages, froissements des herbes, craquètements
ténus d’insectes, clapotis d’un ruisseau, craquements de brindilles sèches, petits cris perçants ou
appels flûtés lancés par des oiseaux, chuchotis et sifflements du vent, et par instants, des aboiements
de chiens et des échos de voix humaine dans le lointain. ». Tout ce qui est petit, discret, à peine
perceptible, est ici mis à l’honneur. A la fin de l’énumération, la présence humaine rompt un peu
cette harmonie, mais à peine, car la voix humaine n’est plus qu’un écho lointain.

Deuxième mouvement : écouter la chute des feuilles


- « Frère Jean lève son visage vers la frondaison d’un hêtre et, pointant d’un doigt quelques feuilles
qui viennent de se détacher et amorcent leur descente vers la terre, il murmure ‘Ecoute ! ‘»  ce qui
est étonnant ici, c’est que frère Jean regarde et désigne les feuilles mais n’invite pas Magnus à suivre
ce qu’il contemple, mais à écouter. C’est comme si le mouvement des feuilles, pourtant décrit,
passait au second plan. Le verbe de parole « murmurer » renforce l’attitude inhabituelle de frère
Jean observée au début du texte. L’impératif et l’exclamation montrent bien le rôle du moine, qui
guide Magnus.
-« Les feuilles ovales, déjà brunies, volettent avec lenteur ; trois d’entre elles, prises dans un courant
d’air ascendant, se balancent dans les hauteurs, on dirait des virgules cuivrées qui dansent dans le
puits de lumière trouant la masse des ramures »  Le texte s’attarde sur la description des feuilles,
avec une grande poésie. La « lenteur » de la chute permet au regard de prendre son temps pour
mieux contempler, par exemple le mouvement de trois feuilles. Ce paysage automnal est
complètement transfiguré par les personnifications et la comparaison qu’introduit « on dirait » : les
feuilles qui tombent « se balancent » et « dansent » = on bascule dans un monde féerique. Les
notations visuelles sont belles, par exemple « cuivrées », « puits de lumière ».
-La comparaison qui associait les feuilles à des virgules se poursuit ensuite, dans une phrase qui file la
métaphore de l’écriture : « des virgules vagabondes ponctuant en toute liberté un texte
lumineusement nu. » : la nature est un texte qu’on peut déchiffrer sans se lasser, car ce n’est pas un
texte figé, il se réécrit sans cesse, au gré du hasard. La liberté et la lumière sont liées par l’allitération
en /L/ : la lumière éclaire la « nudité » de la nature, c’est-à-dire que tout y semble préservé, nouveau,
léger, possible, car libre.
-Effet de chute de la phrase suivante exprime cette impression de liberté, qui ménage des surprises,
selon le caprice des éléments, ici le vent personnifié : « Mais d’un coup elles dégringolent, le courant
d’air est parti souffler ailleurs. »
-Le paragraphe suivant nous permet revenir à ce qui intéresse Frère Jean (« tu as entendu ? ») et de
comprendre que la description précédente se confond avec le point de vue de Magnus, qui a su voir,
mais pas entendre, comme le soulignent l’adverbe « bien » devant le verbe « observer » et le
contraste entre « décrire visuellement » et « auditivement » (adverbe précédé de la négation). La
« farandole végétale » reprend la métaphore de la danse : on est bien dans le visuel, et non dans
l’auditif.
-« Le petit homme se réinstalle dans son silence »  retour au début du passage, puisque
manifestement Magnus a échoué. Nouvelle tentative comme le souligne le préfixe itératif dans
« réinstalle ».
-« Magnus comprend que tant qu’il ne sera pas capable de distinguer le souffle infime d’une feuille
qui tombe sur fond des divers bruits de la forêt et de la basse continue des ruches, l’autre ne dira
rien. »  frère Jean est un peu comme un guide pour Magnus, un modèle, mais par son absence
d’action (phrase négative « il ne dira rien »). Il le met en quelque sorte au défi. L’attention doit être
concentrée sur « le souffle infime d’une feuille » : l’imperceptible. Le lecteur est lui aussi invité à être
attentif aux sons, par exemple l’allitération en /F/.
- Et cela dure longtemps, le temps s’est ralenti, on est dans un éternel présent, celui qu’a choisi Sylvie
Germain pour raconter son histoire : « Les heures glissent, l’air fraîchit lentement »  grande
douceur. Répétition (« un nombre indéfini de fois ») qui doit permettre à Magnus d’être enfin à
l’écoute du monde dans ce qu’il a de plus ténu : « la chute de feuilles roussâtres ».
- L’extrait se termine par le rappel de la métaphore textuelle : « Autant de virgules erratiques et
muettes », et pose la question : comment entendre ce qui est muet ? Entrer ainsi en résonance avec
le monde comporte quelque chose de mystérieux, voire de mystique.

Conclusion : l’attention de Frère Jean aux détails de la nature rappelle celle de Sido dans son jardin,
lorsqu’elle enjoint sa fille non pas à écouter mais à regarder (par exemple le merle qui mange les
cerises) = des personnages originaux qui sont des modèles, des passeurs, pour apprendre à célébrer
le monde.

Colette, Sido, le portrait de Sido


Explication linéaire n°2

Introduction
En 1930, Colette publie Sido, récit autobiographique, dans lequel sa mère est la figure centrale. Dans
cet extrait, Colette tente de faire comprendre la singulière personnalité de sa mère à travers une
anecdote.
[Lecture du texte à voix haute]
Mouvements
[Projet de lecture] Comment Colette rend-t-elle hommage à sa mère dans ce texte ?

Premier mouvement : vue d’ensemble


- Distanciation avec sa mère : déterminant démonstratif « cette Française »
- Résumé de son existence : « son enfance dans l’Yonne », « son adolescence » en Belgique, sa vie de
femme mariée dans l’Yonne.
- Verbes au passé simple à aspect révolu + formulations d’un conte (elle « vécut »).
- Longue phrase avec énumération qui évoque le milieu culturel et artistique dans lequel a évolué
Sido en Belgique : « parmi des peintres, des journalistes, des virtuoses de la musique ». Mais cette
phrase est encadrée par le complément circonstanciel « dans l’Yonne » à c’est la Bourgogne qui est
mise en valeur, puisque Sido a choisi d’y retourner. Originalité de Sido : elle renonce à la vie urbaine
en Belgique pour la province, elle renonce à vivre proche de ses frères ainés et enfin elle renonce à
un environnement culturel.
- La dernière et brève proposition « s’y maria deux fois » intrigue également le lecteur.

Deuxième mouvement : célébration d’une femme exceptionnelle


- Passage de la distanciation à l’éloge avec deux groupes nominaux mis en valeur dans un chiasme
« sa rurale sensibilité, son goût fin de la province » --> appartenance à une France rurale et évocation
de sa finesse et de sa sensibilité comme si elles étaient le produit de ce lieu.
– Mais interrogations+ phrase négative très brève : « d’où, de qui lui furent remis […] ? », « Je ne
saurais le dire » (l. 4). --> mystère autour de cette singulière personnalité.
- Colette évoque avec modestie le cœur de son projet littéraire : il s’agit de célébrer sa mère (« Je la
chante, de mon mieux », « Je célèbre »). Les deux verbes au présent d’énonciation définissent l’art
de Colette : rendre hommage en utilisant toutes les ressources musicales du langage.
- Hommage perceptible dans une métaphore filée laudative qui oppose « la clarté originelle » de la
mère aux « petites lumières péniblement allumées au contact de ce qu’elle nommait le "commun des
mortels" » --> caractère un peu hautain de Sido, que justifie Colette avec l’adjectif péjoratif
(« petites ») et par l’adverbe négatif « péniblement ».
-->Sido est un être libre qui ne se laisse pas dicter sa conduite par les convenances et
qui est restée proche des origines.
-« Elle refoulait, éteignit souvent les petites lumières » = métaphores  elle ne se laisse pas
enfermer dans les normes et les convenances.

Troisième mouvement : une anecdote éclairante


Anecdote pour comprendre comment Sido se démarque du « commun des mortels ».
-Voisin caractérisé de manière comique, dans une métonymie qui le réduit à sa localisation
« l’Ouest » et à ses salves « d’éternuements ».
- Tableau cocasse avec les épouvantails et les merles, « vieux chemineaux”.
- Sido s’inspire du voisin puis ellipse (« Peu de jours après ») --> Sido est sous un arbre la tête levée
vers le ciel. L’adverbe « passionnément » contredit l’adjectif « immobile » --> intensité de son
observation = opposition entre le voisin ridicule et Sido.
-Lexique de l’élévation --> Sido métamorphosée en déesse « à la rencontre du ciel ». Pourtant :
-Sido « bannissait les religions humaines… » = Sido est plus intéressée par les phénomènes naturels
que par les inventions humaines.
-Discours direct = dialogue comique entre Colette et sa mère, à partir de la compréhension de la
petite fille (« – Mais maman, l’épouvantail… », « – Mais, maman, les cerises !... ») = répliques courtes
--> dynamisme.
- Phrase exclamative (« Qu’il est beau ! ») et une question rhétorique (« les mouvements de sa tête
et cette arrogance ? ») --> enthousiasme de Sido devant la beauté du merle.
- Au lieu de déplorer le fait que l’oiseau mange ses cerises, Sido célèbre l’habileté et l’intelligence de
l’oiseau : « Et tu vois comme il se sert de sa patte ? », « Et ce tour de bec pour vider le noyau ? », « Et
remarque bien qu’il n’attrape que les plus mûres… ».
-Les chuchotements (« chuchotait ma mère ») et l’immobilité de la mère contrastent avec l’attitude
du voisin
- Sido transmet son admiration à sa fille, elle l’invite à la contemplation à l’’aide d’injonctions et de
questions rhétoriques qui sont des ordres déguisés : « Chut !... Regarde… », “Et tu vois… » en
anaphore, « Et remarque », « Chut ! ».
= un véritable art d’être au monde : écouter, regarder, saisir la beauté d’un petit oiseau.
-Colette prouve qu’elle a compris cette leçon en insérant une description pleine de sensualité et de
poésie du merle en train de picorer les cerises :
* subtiles couleurs du petit oiseau noir dans une expression musicale où se rencontrent allitérations
et assonances « oxydé de vert et de violet ». Contraste entre le plumage et « la chair rosée » =
tableau coloré.
* rythme ternaire = enchaînement parfait des actions, sensibilité de Colette au rythme de la langue :
« piquait les cerises, / buvait le jus, /déchiquetait la chair rosée… ».
-Retour de Sido à la réalité, mais Colette n’oublie pas la fusion entre sa mère et la nature, avec la
formulation « ses yeux couleur de pluie ».
-Célébration du caractère unique de Sido : gaieté (« riante », « dansant », « allégrement »), énergie
(« frénésie », « qui me foulait »), mépris affirmé pour le conformisme (« un universel mépris », « un
dédain »).

Conclusion
[Bilan] Dans ce portrait, Colette peint sa mère comme un esprit libre, prompt à s’écarter des sentiers
battus. Elle évoque aussi sa capacité à s’émerveiller devant le spectacle quotidien de la nature. Elle
célèbre « sa clarté originelle », c’est-à-dire sa capacité à voir la beauté du monde dans une anecdote
pétillante. Cet hommage est original car Colette ne masque pas les aspects plus contestables de la
personnalité de sa mère : son indifférence aux autres, sa singularité assumée.
[Ouverture] Mais ce texte, dans lequel s’exprime l’admiration de Colette pour sa mère, nous permet
également de comprendre d’où Colette tient son regard sur le monde. Dans ses œuvres, elle
applique les injonctions maternelles : elle se tait, elle regarde et cherche à saisir la beauté du monde.
Dans « Maquillages », Colette observe avec tendresse les femmes en mettant en application les
préceptes maternels : « J’écoute, mais surtout je regarde. »

Colette, Les Vrilles de la vigne, « Jour gris », le pays enchanté


Explication linéaire n° 3

Introduction
Ce texte a été publié en 1908 dans le recueil Les Vrilles de la vigne. Colette passe alors quelques jours
en baie de Somme avec son amante Missy. Elle y décrit son sentiment amoureux, mais aussi sa
mélancolie. Ce texte narratif s’apparente également à un poème en prose par sa disposition en
paragraphes courts, sa structure répétitive, ses effets de musicalité et sa tonalité lyrique.
[Lecture du texte à voix haute]
Mouvements
[Projet de lecture] En quoi ce texte propose-t-il une célébration originale du pays natal ?

Premier mouvement : une nature singulière


- Proposition subordonnée hypothétique « Et si tu arrivais » --> Colette invite son amante à partager
des souvenirs liés au pays de son enfance, désigné par le groupe nominal « mon pays ».
-Ce dispositif structure tout le texte : on retrouvera la conjonction de subordination « si » pour
envisager les différentes étapes de la découverte de ce pays.
--> Colette s’évade ailleurs, s’isole dans une rêverie, des souvenirs.
-Cette rêverie est solitaire, même si Colette emploie le pronom personnel « tu ». En réalité, c’est un
masque car Colette est en train de définir son ressenti et ses désirs : « tu m’oublierais et tu t’assoirais
là pour n’en plus bouger jusqu’au terme de ta vie » = hyperbole --> pouvoir presque magique d’un
lieu qui fait tout oublier, même l’être aimé.
-Pourtant, ce paysage ne paraît pas si idyllique : « un jardin noir de verdure et sans fleurs ». Ici,
l’adjectif « noir » et la préposition privative « sans » donnent l’impression d’un lieu triste. Eléments
rudes caractérisent la montagne : « les cailloux”, “les chardons ». L’azur est « mauve et poussiéreux »
= absence d’idéalisation.
-Cependant, évocation poétique : rythme ample (rythmes binaires, ternaire) + effets d’assonances en
[on] : « au fond », « montagne ronde », « les papillons et les chardons ». Tableau mélancolique,
comme l’humeur de Colette : « noir de verdure », « bleuir », « azur mauve et poussiéreux ».
Deuxième mouvement : le pays des songes
-Reprise de mon pays » = motif poétique --> célébration.
- « encore » --> inspiration de Colette lorsqu’elle décrit le pays de son enfance. Elle le transforme en
un lieu magique et merveilleux. Les défauts éventuels du paysage sont métamorphosés à l’aide
d’images mélioratives : la « vallée étroite » devient « un berceau » protecteur, le brouillard est un «
gracieux spectre de brume ». Les nuages créés par la brume prennent des formes fantaisistes qui
renvoient à un monde imaginaire et fantastique : « femme endormie, serpent langoureux, cheval à
cou de chimère… ». Le brouillard est comparé à la fin à une âme : « vivant comme une âme ».
-Exemple de travail poétique de Colette sur la langue = le rythme du texte et les sonorités : groupe
ternaire d’adjectifs pour caractériser ce brouillard personnifié (« ténu, blanc, vivant »), suivi d’une
expansion plus longue (« un gracieux spectre de brume couché sur l’air humide… »). Les points de
suspension donnent l’impression que cela se répand, mais invitent également le lecteur à s’imaginer
ce brouillard. Dans la phrase suivante, ce brouillard vivant est encore évoqué à l’aide de quatre
compléments de plus en plus longs qui se terminent encore une fois par des points de suspension -->
Le lecteur a l’impression d’être lui aussi entouré par le brouillard dans ces phrases amples où les jeux
d’allitérations et d’assonances produisent une prose très musicale (en [B] : « brouillard », « berceau »
« brume », « blanc » ; en [U] « ténu », brume » « humide »…).
- Evolution des temps verbaux. L’utilisation du présent et du futur (dans le premier paragraphe, on
avait l’imparfait et le conditionnel) donne davantage vie à cette hypothèse, qui devient un souvenir.
-De manière très sensuelle, elle évoque l’effet produit par ce paysage en s’appuyant sur le goût et le
toucher (« à boire l’air glacé », « frisson »).
-La dimension fantastique de ce paysage est confirmée par l’hyperbole finale : « toute la nuit tes
songes seront fous ».

Troisième mouvement : la forêt enchantée


- On retrouve la même structure que dans les deux premiers paragraphes.
-Toutefois, Colette utilise également deux impératifs pour inciter sa compagne, mais aussi le lecteur,
à se plonger avec elle dans cette rêverie et cette promenade imaginaire : « Écoute encore, donne tes
mains dans les miennes ».
-La subordonnée relative « que je connais » reprend celle du début du texte --> écho poétique et
lyrique.
-Chemin mis en valeur par les couleurs éclatantes des fleurs qui le bordent : « jaune et bordé de
digitales d’un rose brûlant ». Le sentier est ensuite caractérisé par l’adjectif mélioratif « enchanté »,
puis par une périphrase hyperbolique : « qui mène hors de la vie » = chemin qui mène au paradis.
- Thématique de l’ascension reprise par le complément circonstanciel « là-haut, où finit le monde » et
devient explicite avec la comparaison de la forêt au paradis : « toute pareille au paradis ».
- Hypotypose avec l’utilisation du présent de l’indicatif qui actualise les moments évoqués : « t’y
entraîne », « et bat à tes oreilles ».
- Poésie dans l’évocation des frelons, décrits de manière lyrique par leur « chant bondissant », par la
synesthésie mêlant le son (« chant »), la vue (« bondissant ») et le toucher (« fourrés de velours ») et
par le jeu d’allitérations et d’assonances : « chant » / « bondissant », « bondissant » / « frelon », «
frelon » / « fourré », « fourré » / « velours ».
-Métaphore qui assimile le chant du frelon au battement du cœur avec l’emploi du verbe « bat à tes
oreilles », ce qui annonce la comparaison « comme le sang même [du] cœur » = fusion entre Colette
et le monde.
- Isolement du lieu : « là-haut, où finit le monde », « forêt ancienne, oubliée des hommes » = topos
du locus amoenus.
-Interruption laissant la conjonction de coordination « car » en suspens.

Quatrième mouvement : le retour au réel


- Première phrase = rupture. Colette sort de son introspection et semble découvrir Missy : « te voilà
pâle “ et « les yeux grands » , « avec des yeux jaloux ».
-Réaction de Missy + questionnements et phrases négatives « Que t’ai-je dit ? », « Je ne sais plus” -->
Colette était dans un état second : « Tu me rappelles à toi, tu me sens si lointaine ».
-Rythme plus saccadé, avec des phrases plus brèves contrastant avec les phrases amples des
paragraphes précédents + usage de l’imparfait « je parlais, je parlais de mon pays pour oublier la mer
et le vent » --> Colette n’est plus dans la description, mais dans l’analyse rétrospective.
-Répétition du verbe « parler », quatre fois dans ces deux paragraphes = processus d’envoûtement
par la parole.
-Retour au réel avec la métaphore du « chemin », cheminement symbolique qui s’oppose au « petit
chemin » de son enfance.
-Métaphore /personnification --> Colette = plante : « j’arrache de mon pays, toutes mes racines qui
saignent ».
- Dernier paragraphe marque une évolution. Présentatif « Me voici ! » et présent « je t’appartiens »
--> Colette est totalement revenue de son voyage intérieur.
-Elle renouvelle son explication / excuse dans une tournure restrictive : « Je ne voulais qu’oublier le
vent et la mer ». Elle avoue le caractère illusoire et poétique de sa description : « J’ai parlé en songe
».
- Omniprésence de tournures négatives, restrictives = retour à un réel qui est éloigné du rêve : « Ne
le crois pas ! », « n’y va pas », « en vain », « Tu ne verrais que… ». Les éléments énumérés font écho à
ceux évoqués dans les paragraphes précédents mais sans le processus d’idéalisation : « une
campagne un peu triste », « un village paisible et pauvre » « une vallée humide », « une montagne
bleuâtre et nue ».
-Mais dernière hyperbole méliorative et sensuelle qu’elle nuance juste avec le modalisateur « sans
doute » et un point d’interrogation : « sans doute un pays de merveilles, où la saveur de l’air enivre ?
» = le pays de son enfance a nourri son âme.

Conclusion
[Bilan] Colette célèbre son pays natal de manière originale : elle parvient, par les pouvoirs de
l’écriture, à métamorphoser un paysage plutôt rude et stérile en éléments merveilleux. Mais elle est
consciente que cette ode au pays natal est une illusion qui n’est possible que par l’enchantement
littéraire.
[ouverture] Finalement, Colette célèbre donc la littérature qui permet de voir le monde autrement et
de produire du beau.

Colette, Les Vrilles de la vigne, « Le dernier feu », l’ode aux violettes


Explication linéaire n°4

Introduction
« Le dernier feu », texte publié dans le recueil Les Vrilles de la vigne et dédié à Missy. Cet extrait
dévoile une triple célébration : celle de la femme aimée, celle de l’enfance et celle du printemps
naissant. Tout commence avec une banale conversation entre les deux amantes à propos de la
couleur des violettes.
[Lecture du texte à voix haute]
Mouvements
[Projet de lecture] Comment l’évocation des violettes permet-elle de célébrer l’enfance ?

Premier mouvement : un dialogue amoureux


-Moment tendre entre Colette et Missy, qui contemplent les premières violettes du printemps,
écloses « par magie »  valorisation.
-Complicité entre les deux femmes : tutoiement, expérience partagée, même attitude, passé
commun (« les reconnais-tu ? », « Tu te penches, et comme moi tu t’étonnes », « ne sont-elles, pas
ce printemps-ci, plus bleues ? »). Dialogue rapporté de manière assez libre et elliptique sans mention
du nom des locutrices  confusion entre les deux interlocutrices.
-Néanmoins, on comprend que Colette défend la thèse selon laquelle les violettes étaient « moins
obscures, d’un mauve azuré » l’année précédente.
-Sorte de badinage amoureux (« taquinerie »), que Colette finit par abréger, pour se consacrer à
l’éloge de la femme aimée : « le rire grave », le regard (« le vert de l’herbe neuve décolore l’eau
mordorée de ton regard »)  éléments de la nature et du corps se mêlent pour célébrer à la fois la
beauté des couleurs d’un printemps naissant et celle des yeux de la femme aimée.
-Colette finit par dépasser ce différend sur la couleur des violettes en sollicitant un autre sens,
l’odorat : « narines », « parfum », « respirant ». En effet, si les couleurs des violettes sont
changeantes d’une année sur l’autre, le parfum, lui, reste le même, « invariable ».
-Cette antithèse permet de mettre en œuvre le processus de la mémoire affective. En effet, ce
parfum identique, qui ne change pas, ramène Colette à l’année précédente, et même encore plus
loin. Elle retrouve son enfance en respirant le parfum des violettes. Le bonheur éprouvé est
perceptible dans la métaphore qui transforme les violettes en « philtre qui abolit les années » et l’on
comprend mieux l’emploi du nom « magie » à la première ligne du texte.
-Impératif du verbe « regarde », en anaphore = invitation à partager ce voyage dans le passé.
-Exclamation  force de l’évocation.

Deuxième mouvement : le tableau de l’enfance retrouvée


- Reprise des bribes de la conversation précédente (« Plus mauves…non, plus bleues… ») mais ici,
introspection solitaire.
-Anaphore du verbe « je revois » = retour en arrière. Hypotypose (description tellement précise et
détaillée qu’on a l’impression que le paysage s’anime sous nos yeux) pour décrire les paysages de son
enfance.
-Champ lexical de la nature printanière dans une ample phrase au rythme accumulatif :
l’énumération commence par évoquer les grands ensembles que sont les prés et les bois en
s’attachant aux hauteurs (« les bourgeons ») pour finir sur les minuscules violettes qui tapissent les
sous-bois = locus amoenus en convoquant différents éléments.
-Diversité des éléments (végétation, eau, sable, bois, fleurs) et des couleurs  beauté des lieux
décrits : « le vert insaisissable », « les jeannettes jaunes au cœur safrané ».
-Rythme ternaire qui célèbre la profusion des violettes : « et des violettes, des violettes, des
violettes… ».
- Colette fait également revivre la petite fille qu’elle était, une petite fille que le printemps
« enchantait déjà d’un bonheur sauvage ». L’adverbe « déjà » laisse entendre qu’elle n’a pas changé.
-Mais l’enfant qui se dessine dans cet autoportrait est « silencieuse », « prisonnière le jour dans une
école ». Son bonheur est « sauvage » : étymologiquement, cet adjectif caractérise ce qui est en
relation avec la forêt.
- L’oxymore « triste et mystérieuse joie » nous fait également découvrir la personnalité d’une petite
fille dont l’enthousiasme pour la nature est teinté de mélancolie, parce qu’elle a conscience de la
fragilité et du caractère éphémère de l’enfance, de la beauté, de la liberté.

Troisième mouvement : l’ode aux violettes


- « violettes » répété sept fois = leitmotiv poétique.
- 1ère phrase = juxtaposition de groupes nominaux scandée par l’anaphore du nom « « violettes » 
hommage, envolée lyrique qui énumère toutes les violettes existantes, mais les points de suspension
laissent entendre que c’est inépuisable.
- Groupes nominaux de plus en plus longs  enthousiasme lyrique.
-Ode aux violettes = symphonie de couleurs : « blanches » (l. 18), « bleues » (l. 19), « blanc bleu veiné
de nacre mauve », « pâles ».
- Expressions oxymoriques : « fleuries sous la neige », « roussies de gel » = paradoxe de la floraison
des violettes.
-Personnification : « laideronnes, pauvresses parfumées ».
- Après ces longues énumérations, la brève apostrophe lyrique exprime de manière éclatante l’amour
et la vénération de Colette pour ces fleurs : « Ô violettes de mon enfance ! ».
-Poursuite de la personnification : « Vous montez devant moi », « petits visages innombrables » =
vision de Colette.
- Evocation sensuelle de l’ivresse provoquée par cette vision qui ravive tous les printemps de son
enfance = bonheur. Elévation qui mène ces « petites fleurs écloses par magie dans l’herbe » au début
du texte à une envolée, à une apothéose dans « un ciel laiteux d’avril ». Tout cela grâce au pouvoir
de l’écriture lyrique de Colette.

Conclusion
[Bilan] Dans ce texte poétique et lyrique, Colette célèbre le bonheur d’aimer et le bonheur de
retrouver les impressions d’enfance. Mais elle célèbre aussi la beauté étrange, discrète et paradoxale
de ces petites violettes déchiquetées, qui, à son image, parviennent à renaître après le dur hiver.
[Ouverture] Si Colette « abolit les années » grâce au parfum retrouvé des violettes de son enfance,
Proust retrouve quant à lui, dans Du côté de chez Swann, publié en 1913, le temps passé grâce au
goût d’une madeleine trempée dans du thé.

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