Toujours de La Stylistique

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sprits ; dès qu’on les voit attaqués la société s’alarme, chacun s’imagine voir déjà son

monarque céleste lever son bras vengeur contre le pays où la nature rebelle a produit
un monstrec assez téméraire pour braver son cour¬ roux. Les personnes mêmes les
plus modérées taxent de folie et de sédi¬ tion celui qui ose contester à ce Souverain
imaginaire des droits que le bon sens n’a jamais discutés. En conséquence, quiconque
entreprend de déchi¬ rer le bandeau des préjugés, paraît un insensé, un citoyen
dangereux ; sa sentence est prononcée d’une voix presque unanime ; l’indignation
publique, attisée par le fanatisme et l’imposture, fait qu’on ne veut point l’entendre ;
chacun se croirait coupable, s’il ne faisait éclater sa fureuC contre lui, et son zèlee en
faveur du Dieu terrible dont on suppose la colère provoquée. Ainsi l'homme qui
consulte sa raison, le disciple de la nature est regardé comme une pestef publique ;
l’ennemi d’un fantôme® nuisible est regardé comme l’ennemi du genre humain ;
celui qui voudrait établir une paix solide entre les hommes est traité comme un
perturbateur de la société ; on proscrit tout d’une voix celui qui voudrait rassurer les
morts effrayés en brisant les idoles sous lesquelles le préjugé les oblige de trem¬ bler.
Au seul nom d’un Athée, le superstitieux frissonne, le déiste luimême s’alarme, le
prêtre entre en fureur, la tyrannie prépare ses bûchers, le vulgaire applaudit aux
châtiments que les lois insensées décernent contre le véritable ami du genre humain.
a. Au sens du «commun des hommes», de la majorité des gens. b. La «frénésie» désigne jusqu’au XVIIIe siècle
une forme de folie, un délire accompagné de fièvre, et aussi, plus largement, un emporte¬ ment violent, c. Au sens
de «prodige», «création anormale», mais aussi au sens moral, d. «Fureur» est un mot très fort, qui associe
l’emportement à l’éclipse de la raison, e. Désigne un attachement et un dévouement très vifs, voire excessifs pour
la religion, f. La «peste» désigne à l’époque toute maladie mortelle, et par métaphore «un fléau», g. «Chimère»,
«représentation imaginaire».
Présentation du texte 27
Le Système de la nature, ou des lois du monde phy¬ sique et du monde moral, qui paraît en
1770 sous le nom d’emprunt de M. Mirabaud, est condamné la même année à être
brûlé pour «crime de lèse-majesté humaine et divine». Qualifié par ses rééditeurs
modernes de «véritable bombe idéologique», l’ouvrage de d’Holbach est d’un
athéisme militant, construisant le bonheur de l’homme sur la nature et la raison, dans
un monde sans dieu.
Ce qui nous séduit aujourd’hui, c’est la violence et la force de ce discours, qui fonde
sa persuasion sur les res¬ sources de la polémique.
206 CHAP. 10. LES FIGURES
Commentaire du texte 27
Le texte ressortit à l'essai polémique. De l’essai, il pos¬ sède l’énonciation
généralisante. De la polémique, il retient le double aspect d’un discours persuasif et
agressif. Il intègre à son énoncé l'image d’un contre-discours, et fonde en partie son
argumentation sur la disqualification de l'adversaire. Le débat comprend trois actants :
l’énoncia¬ teur, le destinataire, et la Vérité, que l’énonciateur s’appro¬ prie d’emblée.
Marc Angenot, dans son essai sur La Parole pamphlétaire, a répertorié les procédés et la
théma¬ tique du pamphlet, considéré comme une forme historique (de la fin du XIXe
siècle) du genre agonique (ou littérature de combat) : nombre de ces éléments
typologiques se retrouvent dans cette page du XVIIIe siècle, à commencer par
l’évidence du scandale absolu, qui anime le texte.
L'essai polémique est aussi, de façon plus lointaine, une forme du genre délibératif :
l’énonciateur vise à per¬ suader le destinataire d'une vérité qu’il juge utile au bon¬
heur de tous.
On étudiera dans ce texte les procédés de la persua¬ sion : en particulier, le jeu des
oppositions et leur renver¬ sement, la disqualification de l’adversaire, le rôle
argumentatif des figures, avec le jeu de l’abstrait et du concret19.
I. LES OPPOSITIONS ET LEUR RENVERSEMENT
1. L’énonciation et la construction de la référence
L’énonciation du texte est située sur un plan très général : l’énonciateur singulier
s’efface derrière une énonciation universalisante, qui place d’emblée le destinataire
comme un sujet universel, pris à témoin du scandale concernant la question religieuse.
On remarquera en particulier :
- les tournures impersonnelles : «il est très peu de gens»
(i. i) ;
- l’emploi des adjectifs et pronoms indéfinis à valeur universelle : «Tout homme», 1.
2 ; «quiconque», 1. 11 ; le distributif «chacun», 1. 6,1. 15 ;
- l’emploi des déterminants définis singuliers à valeur générique, «/'homme [...], le
disciple...», 1. 17-26 ;
19. Sur la rhétorique de d’Holbach, voir Bernard Ebenstein, «D’Holbach pamphlétaire : la Rhétorique
de l’Imaginaire», dans Mélanges de langue et de littérature française offerts à Pierre Larthomas, Collection de
l’École Normale Supérieure de Jeunes Filles, n°26, 1985, p. 165-174.
CHAP. 10. LES FIGURES 207

.
20 Sur l’hypotypose, voir p. 79.
21. Sur les connecteurs, voir p. 251.
- les synecdoques du nombre (1. 23-24 : «le supersti¬ tieux», «le déiste», «le prêtre»),
et la synecdoque ou métonymie d’abstraction («la tyrannie»), qui prennent valeur de
symboles ;
- le présent de vérité générale (confondu avec un pré¬ sent itératif dans les
hypotyposes20, comme «Au nom magique de religion et de divinité, une terreur
subite et panique s’empare des esprits», 1. 4-5).
Ceci n’ôte rien, bien au contraire, à la violence du texte. La portée générale amplifie
le propos polémique.
22La démarche de l’argumentation
L’argumentation part de propositions assertives présen¬ tées comme des vérités
générales, abstraites de toute référence singulière. Elle pose d’emblée des couples
notionnels, comme celui de l’individu et du nombre, de la vérité et du préjugé, etc.
Mais, contrairement à ce que les connecteurs21 «en conséquence», «ainsi», pourraient
faire penser, il ne s’agit pas d’une déduction rigoureuse, mais plutôt de l’amplification
progressive d’oppositions, que récapitule et renverse la dernière partie du texte. Le
texte est construit en trois temps :
- le premier amplifie par une hypotypose les réactions de la société à l’égard de qui
touche à la religion (1. 1-11) ;
- le second amplifie l’association de la folie et de la sédi¬ tion (1. 11-17) ;
- le troisième amplifie et renverse les accusations, et se termine par une hypotypose
symétrique de la première. On s’aperçoit alors que le troisième mouvement met en
place une structure d’énigme fondée sur des périphrases (1. 17-26).
La persuasion repose ainsi moins sur une suite d’argu¬ ments enchaînés logiquement,
que sur la construction d’un réseau de répétitions, de symétries, et d’oppositions, qui
précisent progressivement l'objet du débat et l’enjeu de la réfutation, et marquent une
montée de la dénonciation.
3. Amplification et renversement des oppositions a. Uindividu et le nombre
Le texte établit l’opposition entre l’individu et le nombre («il est très peu de gens qui
ne partagent plus ou moins les opinions du vulgaire»). Plus précisément, ce que pose
«il est très peu de gens qui ne» (qui vaut aussi comme effet
208 CHAP. 10. LES FIGURES
intensif de litote), c’est l'existence du petit nombre, et sa valorisation. La minorité est
valorisée à partir de l’opposi¬ tion implicite avec «les opinions du vulgaire» : elle est
du côté de l’opinion éclairée contre les préjugés de la majorité, dans une hiérarchie
qui place les Lumières au-dessus des majorités («le vulgaire»). Un lieu commun est
ici mobilisé, celui de la qualité : le singulier vaut mieux que le nombre.
Le texte construit ainsi des paradigmes oppositionnels.
D'un côté la série des «tout homme qui», «celui qui», «quiconque» (1. 2, 1. 10-11),
précisée par des qualifica¬ tions rendues synonymes par leur symétrie :
- «s’écarte des idées reçues»,
- «ose contester»,
- «entreprend de déchirer le bandeau des préjugés».
Et l'on aperçoit, dans ce contexte de débat idéolo¬ gique, la synonymie discursive de :
«opinions du vulgaire [en matière de religion]», «idées reçues» et «préjugés», avec
une gradation dans la péjoration.
De l’autre côté, le nombre, marqué par «générale¬ ment» (1. 3), «plus sage que les
autres» (1. 4), «[ 1]es esprits», «la société», «chacun», «les personnes même les plus
modérées» (1. 6-9), «d’une voix presque unanime», l'indignation publique» (1. 13-
14), «on» (1. 14 et 16), et surtout par l’absence d’agent dans les constructions attri¬
butives. Celles-ci prédiquent un jugement péjoratif sur le sujet grammatical, que
soulignent les parallélismes syn¬ taxiques et sémantiques :
- «est généralement regardé comme un frénétique, un présomptueux» (1. 3),
- «paraît un insensé, un citoyen dangereux» (1. 12), parallélismes relayés par
l’expression «taxent de folie et de sédition» (1. 9).
Le libre-penseur est donné pour un fou dangereux. Les couples binaires reflètent un
amalgame récusé par le texte : celui de la religion et de l’État, de la religion et de la
monarchie.
D'autre part, les parallélismes développent dans le second mouvement du texte les
conséquences de la peur. Ils associent, dans l’évidence d’un même scandale, la
résistance aux préjugés et les réactions qu’elle suscite : «sa sentence est prononcée»,
«l’indignation publique [...] fait qu’on ne veut point l’entendre». D’Holbach uti¬ lise
ici, comme figure d’amplification, l’accumulation
CHAP. 10. LES FIGURES 209
22. Conglobation
voir encadré p. 228.
(ou conglobation pour Fontanier), qui consiste à exposer une même idée sous
plusieurs aspects22.
Dans la dernière partie du texte, l’auteur reprend et retourne cette opposition. Mais le
renversement fait alors appel à la dissociation d’un autre couple notionnel, celui de
l’apparence et de l’être véritable.
b. L’être et le paraître
Les verbes attributifs posent les jugements comme l’effet des apparences, d’une
illusion subjective : «est regardé comme», «paraît», mais aussi «se croire» (1. 15),
symé¬ trique du jugement porté par l’opinion sur le «présomp¬ tueux, qui se croit [...]
plus sage que les autres» (1. 3-4). «Supposer» («dont on suppose la colère
provoquée», 1. 16-17) pose l’hypothèse, présuppose qu’elle n’est ni vraie ni fausse,
mais en l’absence de confirmation, penche plutôt du côté de l’illusion.
Quant au verbe «s’imaginer», il présuppose que l’objet de croyance est faux. Le sème
d’illusion est repris dans «Souverain imaginaire» puis dans «fantôme nuisible», qui
évoque une chimère de l’imagination. Il est aussi présent dans «imposture», qui
désigne une tromperie fondée sur l’apparence.
c. Le renversement des apparences
Le dernier mouvement, relancé par «ainsi», récapitule les oppositions et les renverse.
D’Holbach a recours à des périphrases, qui se substi¬ tuent comme des rébus
définitionnels, au terme propre employé au début de la dernière phrase : «Au seul
nom d’un Athée» (l’italique de renforcement souligne la modalisation autonymique).
Il crée une structure d’énigme et d’attente, propre à piquer l’attention, tout en
imposant un paradigme de définitions positives de l’athée. Celles-ci relaient les
qualifications antérieures, plus générales, qui définissaient l’opposant aux préjugés
religieux.
Ces périphrases définissent des équivalences synonymiques : «L’homme qui consulte
sa raison, le disciple de la nature» («raison» et «nature» deviennent synonymes dans
ce contexte), et constituent les traits d’une défini¬ tion de l’athée : «celui qui voudrait
établir une paix solide entre les hommes», «celui qui voudrait rassurer».
Elles prennent place dans des antithèses qui opposent cette définition méliorative de
l’athée à des prédications
210 CHAP. 10. LES FIGURES
dévalorisantes : «est regardé comme une peste publique», «est regardé comme
l’ennemi du genre humain», «est traité comme un perturbateur de la société», 1. 18-
21.
Ces antithèses sont soulignées par les répétitions (lexicales : «est regardé comme»,
«l’ennemi», 1. 18-19, allitératives : «paix solide», «perturbateur de la société») et les
parallélismes : «l’ennemi d’un fantôme nuisible»/ «l’ennemi du genre humain»
(épanadiplose)23, expres¬ sion reprise en fin de paragraphe par «le véritable ami du
genre humain».
«Le véritable ami du genre humain» donne le mot de la fin. Il clôt le retournement des
couples notionnels, remodèle l’opposition du vrai et du faux, et s’oppose terme à
terme à «l’ennemi du genre humain». Mais la réfutation va plus loin. A l’époque,
«l’ennemi du genre humain», ou «l’ennemi», est aussi une périphrase reçue, présente
dans tous les esprits, pour «le diable». L’anti¬ thèse («ennemi d'un fantôme
nuisible»/«ennemi du genre humain») se double d'un paradoxe : l’ennemi d’un fan¬
tôme nuisible, pour tout le monde, est le diable. La connotation fait apparaître l’athée
comme un personnage qui excède la représentation.
Pour ce qui est du dernier mouvement, il rassemble les oppositions, les transforme en
antithèses, et retourne les jugements de l’opinion, précédemment exprimés. «Les lois
insensées» réfute le recours au «bon sens» et l’accusa¬ tion d'être «un insensé» ;
«rassurer», s’oppose à l’isotopie de la peur ; «établir une paix solide» s’oppose
rétrospecti¬ vement à l’amalgame de la folie et de la subversion, et réconcilie
l’individu et le social ; si l’athée est «l’homme qui consulte sa raison», le prêtre, lui,
«entre en fureur». La dernière phrase amplifie par l’hypotypose et la gradation les
réactions passionnelles à l’égard de l’athée.
En même temps, les oppositions précédentes se trou¬ vent réévaluées : s’écarter des
idées reçues, braver, entre¬ prendre de déchirer le bandeau des préjugés, sont
connotés de manière positive, et s’opposent à la crédulité, à la pas¬ sivité de l’opinion
(«le vulgaire applaudit», 1. 25).
La cohésion du texte est ainsi fondée avant tout sur des répétitions lexicales, et sur les
isotopies sémantiques. Les liaisons entre phrases sont quasiment inexistantes : la
juxta¬ position domine, hormis la présence de deux connecteurs («En conséquence»,
et «ainsi»), qui scandent la reprise
23. Épanadiplose
voir encadré p. 228.
CHAP. 10. LES FIGURES 211
24. Voir p. 272-273.
25. Personnifieatioi
voir encadré p. 229.
amplificatoire, plus qu’ils ne marquent une suite logique d’arguments. Prédomine le
style coupé24, avec la parataxe et l’asyndète (cf. en particulier la phrase 1. 11-17).
La démarche argumentative du texte repose essentiel¬ lement sur l’amplification et la
dissociation d’oppositions reçues dans l’opinion et joue d’un accord présupposé du
destinataire sur les lieux du préférable (la vérité, préfé¬ rable aux apparences et
supérieure aux préjugés, la raison supérieure aux passions sans contrôle). La
persuasion vise la croyance d’un destinataire qui se trouve pris dans une hiérarchie de
valeurs implicite.
IL LA DISQUALIFICATION DE L’ADVERSAIRE ET LES FIGURES
Si le texte construit un réseau d’oppositions, il fonde aussi sa persuasion sur la
dévalorisation de l’adversaire : sont enjeu l’ironie et les figures.
1. Les hypotyposes
Les hypotyposes du texte (1. 4-9, 23-26), sont des figures de la présence, elles créent
un effet de réel. En même temps, elles ont une valeur argumentative. La structure
syntaxique de la phrase marque la simultanéité entre «Au nom magique de religion et
de divinité» (1. 4-5) et la pré¬ dication verbale qui développe le tableau de la peur,
amplifié par «dès que», et l’adverbe «déjà».
C’est une manière d’illustrer le caractère «magique» des conduites, réduites à la
superstition, et leur caractère païen : l’adjectif «panique» («terreur subite et panique»)
redouble le sème d'immédiateté, mais, dissocié du sub¬ stantif par «et», il connote
aussi l’analogie avec le dieu Pan (voir, 1. 22, les «idoles»). La synecdoque «les
esprits» (synecdoque de la partie pour le tout) souligne l’effet de possession magique :
avec la personnification25 de «ter¬ reur» associée à «s’emparer de», et la métaphore
guer¬ rière de «s’alarmer».
L’hypotypose, 1. 4-9, d’autre part, souligne l’importance de l’imagination, et le
caractère imaginaire des représen¬ tations. La répétition des verbes dénotant la vision
remo¬ tive la signification visuelle d’«être considéré comme»,
212 CHAP. 10. LES FIGURES
de «s’imaginer voir», en relation avec «imaginaire», et «fantôme» : le fantôme, ici,
c’est presque le fantasme. L’athée et la divinité sont les pôles opposés d’une même
représentation qui échappe à la raison.
Les hypotyposes, et l'ensemble du texte développent l’association entre la religion et
la violence. Le champ sémantique de la colère, et de la colère liée à la perte de la
raison est développé : «courroux», «indignation» «fureur», «colère», (1. 8-9, 13, 15,
16). «Fureur» est associé dans une antithèse à «zèle» («sa fureur contre lui, et son zèle
en faveur du Dieu terrible», 1. 15-16), terme qui dénote la passion dans l’attachement
religieux. «Indi¬ gnation», «fanatisme» et «imposture», condamnent la violence dans
l'expression du religieux, et la tromperie des apparences.
Parallèlement, la religion est associée à la «terreur» (au «Dieu terrible») et à ses
manifestations («s’alarmer», «trembler», «frissonner», 1. 6, 1. 22-24). Le Dieu
terrible, le préjugé, et le nom de l’Athée sont mis sur le même plan : ils ont le même
degré de réalité imaginaire, et le même pouvoir sur les esprits.
2. Les périphrases
Les périphrases désignant la divinité sont aussi des figures argumentatives, qui
définissent et qualifient en même temps l’objet du discours.
«Son monarque céleste» (1. 7), «ce Souverain imagi¬ naire» (1. 10) : la métaphore
politique contenue dans la périphrase associe dérisoirement la religion ou la divinité et
la monarchie. «Céleste» est un adjectif de relation (la divinité est un souverain du ciel,
comme le monarque français est sur terre, et de droit divin). Il prend cependant aussi
dans le cotexte une valeur d’adjectif de qualité, en gradation avec «imaginaire». Les
deux dénominations insistent sur le pouvoir dérisoire de cette divinité chimé¬ rique :
la souveraineté est chimérique, et si l’on continue le raisonnement, l’association de la
religion et de la monarchie l’est aussi. L’appellatif de «fantôme nuisible» va plus loin
encore : c’est la chimère elle-même qui est source de maux pour les hommes.
«Le Dieu terrible dont on suppose la colère provo¬ quée» : l’appellatif est ici une
parodie des dénominations bibliques (Dieu de colère, Dieu jaloux), et une reprise
CHAP. 10. LES FIGURES 213
26. Hypallage
«Figure qui attribue à un objet l'acte ou l'idée convenant à l'objet voisin» (H. Morier, op. cit., p. 516). Elle consiste
souvent à qualifier un abstrait ou un élément inanimé par un adjectif s'appliquant à un être animé du contexte.
ironique du point de vue prêté à l’opinion : terrible, à ce qu’on dit.
3. Métaphores et métonymies
Il faut revenir sur l’expression contenant la périphrase déjà commentée : «chacun
s’imagine voir déjà son monarque céleste lever son bras vengeur». La dérision passe
d’abord par l’utilisation du distributif «chacun» et de «son» qui rendent ridicules la
multiplicité des représentations et l’appropriation singulière. En même temps, le texte
de d’Holbach montre la circulation de la croyance, de l’entité collective (exprimée par
la métonymie, ou synecdoque d’abstraction «la société») à l’individu (le même
mouve¬ ment fait passer de «l’indignation publique» à «chacun»).
«Lever son bras vengeur» est une métonymie de la cause, qui contient une
hypallage26 («vengeur» s’applique au dieu, et constitue même une épithète reçue) : la
figure concrétise l’image de la vengeance, en fait un symbole mais aussi une statue.
La divinité n’est représentable que sous forme d’images, qui ne sont que fantômes, ou
«idoles», au sens de simulacres : la métaphore de l’athée «brisant les idoles» file
l’assimilation du dieu à une statue (le Dieu terrible, comme figure du Commandeur),
et construit en même temps le renversement des oppositions. Alors que les premiers
chrétiens brisaient les idoles païennes, c’est ici l’athée qui brise les statues des faux
dieux. La métaphore s’insère dans un contexte quelque peu énigmatique («rassurer les
morts effrayés en brisant les idoles sous lesquelles on les oblige de trembler») qui
évoque l’image du jugement dernier pour la réfuter.
«Déchirer le bandeau des préjugés» insère pareille¬ ment le symbole, à partir d’une
représentation métapho¬ rique associant abstrait et concret. On peut y ajouter la
personnification par synecdoque d’abstraction : «la tyrannie prépare ses bûchers», 1.
23, et les synecdoques du nombre («le superstitieux», «le déiste»...) associées à des
verbes exprimant des sentiments, ou les manifesta¬ tions concrètes des sentiments (1.
23-26).
Quant à «peste publique», expression prêtée au dis¬ cours adverse pour qualifier
l’athée, c’est un type de cli¬ ché politique, qui assimile la société à un organisme et
fait de l’opposition une maladie du corps social.
214 CHAP. 10. LES FIGURES
4. L’ironie et la violence verbale
a. L'ironie
L’ironie est ici fondée principalement sur la polyphonie. Elle est une figure
d'argumentation, dans la mesure où elle reprend une opinion attribuée à l’adversaire
pour la réfuter.
Les deux hypotyposes constituent une description ironique, dans la mesure où elles
manifestent un point de vue dont l'énonciateur se dissocie (l’accumulation des
propositions en style coupé sert de marqueur ironique, de même que les mots
«magique», «s’imagine», et les péri¬ phrases désignant la divinité).
Certains morceaux de phrases sont plus directement polyphoniques : «un frénétique,
un présomptueux, qui se croit insolemment plus sage que les autres» reprend un
jugement, voire des propos, que rejette l’énonciateur. De même, l'expressio,
«hier»A<aujourd’hui»/«demain»..

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