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Khalid Chraibi - Oumma.

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Charia, Droit musulman, Questions de sociétés musulmanes

La charia, le « riba » et la banque


Par Khalid Chraibi
samedi 29 septembre 2007

Un courant religieux conservateur, prenant naissance dans les Etats du Golfe, se propage
depuis plusieurs années dans les autres pays musulmans, s’étendant à de nombreux aspects de
la vie quotidienne. Par exemple, sous l’influence des prédicateurs du Moyen Orient, des
Marocains se demandent, aujourd’hui, (comme beaucoup de musulmans résidant en Europe et
en Amérique du Nord), si les opérations de banque moderne sont conformes à la charia, alors
que d’autres citoyens n’hésitent pas à affirmer que seules les opérations des « banques
islamiques » sont « halal ».

Cette influence des Etats du Golfe sur la culture des musulmans résidant dans d’autres pays,
ressort clairement de la question posée, au cours de l’été 2006, au prédicateur qatari Yusuf al-
Qaradawi, alors en visite au Maroc : un Marocain peut-il licitement contracter un prêt à intérêt
auprès d’une banque marocaine, pour financer l’achat d’un logement, puisqu’il n’existe pas
au Maroc de banques offrant des « produits islamiques » ?

Le prédicateur s’est référé à une décision du Conseil Européen de la Fatwa, qui autorise les
minorités islamiques vivant en Europe, sans accès à des banques opérant selon les règles de la
charia, à prendre de tels prêts, en se basant sur la règle : « La nécessité abolit les interdits
» (addarouratou toubihou al mahdhourat). D’après lui, cette règle s’applique parfaitement au
cas marocain.

L’influence des prédicateurs du Moyen Orient sur les Marocains, en matière de choix
bancaires, s’amplifiera, sans doute, au cours des prochaines années, du fait que Bank al
Maghrib a maintenant autorisé le système bancaire national à commercialiser des « produits
islamiques » sélectionnés, dans le cadre de « fenêtres » spécialisées. Le revirement des
autorités marocaines, qui se sont opposées au cours des deux dernières décennies à ce genre
d’opérations, s’explique, entre autres, par l’engagement des opérateurs des pays du Golfe à
investir plusieurs milliards de dollars dans l’économie marocaine, à la seule condition qu’on
leur fournisse les « conduits » adéquats.
Au cœur du débat sur les institutions bancaires des deux types, on trouve le concept d’intérêt.
La banque moderne l’applique dans ses opérations, alors que la banque « islamique » en nie
l’utilisation. Or, dans l’esprit de nombreux musulmans, le concept d’intérêt est
inextricablement lié à celui de « riba », que le Coran interdit de manière explicite et sans
équivoque.

Le riba recouvre en premier lieu l’usure, sur l’interdiction de laquelle il y a unanimité. Mais,
d’après une majorité des oulémas, il englobe aussi « l’intérêt sous toutes ses formes ». Mais,
de nombreux experts estiment, depuis le milieu du 19è s., que l’extension de la notion de riba
aux intérêts bancaires, sur la base du « qiyas » et de l’ijtihad, s’est faite sur des bases
juridiques discutables, dans la mesure où les opérations de banque moderne sont de nature
totalement différente de ce qui existait en Arabie, au temps de la Révélation.

En effet, ce n’est qu’aux 19è et 20è s., suite à l’occupation de différents pays musulmans par
des Etats européens, que les structures bancaires modernes, utilisant des instruments
financiers incorporant le concept d’intérêt, ont fait leur apparition dans ces pays. Les oulémas
ont assez rapidement compris le fonctionnement du système, et réalisé que l’intérêt constituait
une rémunération justifiée du capital financier et de l’épargne.

C’est ce qui explique que, depuis un siècle et demi, les Grands Muftis d’Egypte et Sheikhs
d’Al-Azhar, ayant assimilé cette conclusion, déploient des efforts théoriques considérables
pour établir la différence entre les intérêts bancaires (aux retombées économiques positives et
donc souhaitables) et le riba prohibé.

Ce n’est guère le lieu de citer, ici, toutes les fatwas significatives énoncées sur ces questions,
en Egypte, pendant le dernier siècle. Muhammad Abduh, Mahmud Shaltut, Muhammad
Sayyed Tantawi ou Nasr Farid Wasil (tous Grands Muftis d’Egypte et Sheikhs d’Al-Azhar),
sont les auteurs de textes importants, pour ne citer que certains des noms connus sur le plan
international. Tous ces éminents experts de la charia considèrent que l’assimilation du riba à
l’intérêt bancaire est discutable, et constitue une interprétation abusive des règles du droit
musulman.

Abd al Mun’im Al Nimr, ancien ministre des Habous d’Egypte, fournit une bonne illustration
de ces propos : « L’interdiction du riba se justifie par le tort porté au débiteur. Mais, puisqu’il
n’y a aucun tort porté aux personnes qui procèdent à des dépôts dans une banque,
l’interdiction du riba ne s’applique pas aux dépôts en banque. » Des raisonnements similaires
s’appliquent aux divers autres aspects des opérations bancaires.

Quand on limite le domaine du riba à celui de l’usure, comme le font ces juristes islamiques
éminents, la banque moderne n’est plus concernée par le riba, puisqu’elle ne se livre pas à
l’usure. Et c’est exactement cela le raisonnement marocain en la matière, par exemple.

Quant à la proposition selon laquelle les activités des banques islamiques n’incorporent pas
d’intérêt, elle soulève un débat de fond. D’après certains, ces banques se contenteraient, dans
certains cas, de procéder à des manipulations sémantiques, substituant un mot à un autre («
loyer » au lieu d’ « intérêt », par exemple) ou introduisant des étapes multiples dans une
procédure (rédaction de deux contrats au lieu d’un seul), pour atteindre leurs buts lucratifs,
tout en respectant, en apparence, les stipulations de la charia. Cela ferait partie des « hiyals
» (ruses juridiques) dans lesquelles les théologiens musulmans sont passés maîtres, au cours
des siècles.
Ainsi, par exemple, un musulman habitant aux Etats-Unis, et cherchant à acheter un logement
en utilisant un crédit bancaire, s’est adressé simultanément à une banque américaine
conventionnelle et à une banque islamique opérant aux Etats-Unis pour obtenir leur devis au
sujet du coût global de l’opération. A sa grande surprise, le devis de la banque islamique était
plus élevé que celui de la banque conventionnelle américaine. Il s’est adressé à un site
islamique d’internet, pour essayer d’obtenir une explication. Un théologien renommé lui a
répondu qu’il y avait encore peu de banques islamiques opérant aux Etats-Unis, d’où les devis
élevés de ces dernières.

Mais, continuait-il, la situation ne manquera pas de s’améliorer, à l’avenir, quand il y aura


suffisamment de banques islamiques en activité sur le territoire américain, pour les obliger à
baisser le prix de leurs prestations du fait de la concurrence.

La question que le théologien n’a pas abordée dans sa réponse, et qui est pourtant importante,
est la suivante : « Si le devis de la banque islamique qui n’applique pas d’intérêt est supérieur
à celui de la banque conventionnelle qui en applique un, quel est l’avantage pour le
consommateur qu’une banque n’applique pas le taux d’intérêt assimilé au riba, si elle lui fait
payer des commissions et des frais d’un montant supérieur à celui qu’impliquent le taux
d’intérêt et les frais des banques conventionnelles ? »

Car, il faut bien le constater, le prêt sans intérêt de la banque islamique lui revient plus cher
(ou dans le meilleur des cas aussi cher) que le prêt avec intérêt de la banque conventionnelle.
Ce n’est certainement pas l’objectif recherché par l’islam, quand il dénonce la pratique du
riba.

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