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bénédicte bourinet

danneville
DEA de Droit Privé Fondamental
Avocat au Barreau de l’Aveyron

Confédération Générale de Roquefort


36 avenue de la République
BP 40348
12103 MILLAU CEDEX

Millau, le 12 avril 2019

Mes réf. : CONFEDERATION GENERALE DE ROQUEFORT – BLEU DE BREBIS SOCIETE

Monsieur le Président,

Vous m’interrogez sur la licéité, et plus précisément sur la conformité à la protection des
Appellations d’Origine Protégées (AOP), de l’étiquetage d’un fromage persillé au lait de
brebis pasteurisé, fabriqué par la SOCIETE FROMAGERE DE RODEZ (Groupe LACTALIS),
qui comporte la dénomination de vente « BLEU DE BREBIS » et qui est commercialisé
sous la marque semi-figurative SOCIETE, enregistrée dans les registres de l’INPI sous le
n° 4268498.

Vous me demandez aussi, dans un contexte de mise en cause publique de ce produit et


d’interpellation de la CONFEDERATION GENERALE DE ROQUEFORT, quelles actions et
obligations incombent à cette dernière.

I – Sur l’atteinte à la protection de l’Appellation d’Origine Protégée Roquefort

En application des dispositions de l’article 13 § 1 du Règlement UE n° 1151/2012 et de


l’article L. 643-1 du Code rural et de la pêche maritime, le nom d’une Appellation
d’Origine, ou toute autre mention l’évoquant :
- ne peuvent pas être utilisés pour un produit similaire ou comparable ;
- ne peuvent être utilisés pour un produit non similaire ou non comparable que
lorsque cette utilisation ne constitue pas ou n’est pas susceptible de constituer
un détournement ou un affaiblissement de la notoriété de cette Appellation.

3, boulevard de la Capelle
12100 MILLAU
05 65 58 12 32 / 06 51 64 77 82
Fax : 09 71 70 52 84
benedicte.danneville@gmail.com
Des sanctions pénales peuvent aussi s’appliquer en cas d’atteinte à la protection des
AOP :

- L’article L. 432-4 5 ° du Code de la consommation interdit d'utiliser un mode de


présentation faisant croire ou de nature à faire croire qu'un produit bénéficie
d'une appellation d'origine protégée, d'une indication géographique protégée ou
d'une spécialité traditionnelle garantie, sous peine d'une peine
d'emprisonnement de deux ans et d'une amende de 300 000 euros (article L.
453-5 dudit Code) ;

- L’article L. 441-1 1° du Code de la consommation, interdit pour toute personne


de tromper ou tenter de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé
que ce soit, sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la
composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises, sous les
mêmes peines (article L. 454-1 dudit Code).

En l’espèce, le fait que le BLEU DE BREBIS litigieux soit commercialisé sous la marque
SOCIETE et sous ce packaging porte, à mon sens, atteinte à la protection de l’AOP.

En effet, la marque commerciale SOCIETE évoque l’Appellation d’Origine Protégée


Roquefort à plusieurs titres :

- La marque SOCIETE est historiquement liée à l’AOP Roquefort :


C’est personne morale dénommée SOCIETE DES CAVES ET DES PRODUCTEURS
REUNIS DE ROQUEFORT, constituée en 1842 et regroupant des fabricants de
Roquefort, qui a déposé en 1948 la marque ROQUEFORT SOCIETE, selon sa raison
sociale ;

- La marque SOCIETE est juridiquement liée à l’AOP Roquefort, puisque, dans


toutes ses variantes, elle est toujours la propriété de la SOCIETE DES CAVES ET
DES PRODUCTEURS REUNIS DE ROQUFORT ;

- La marque Société est commercialement liée à l’AOP ROQUEFORT, la SOCIETE


DES CAVES se prévalant elle-même, dans ses communications, du lien entre
l’AOP et sa marque à l’ovale vert ;

- La marque SOCIETE est verbalement liée à l’AOP Roquefort, puisque, si elle a pu


être enregistrée seule, elle est traditionnellement enregistrée sous la forme
complexe ROQUEFORT SOCIETE ;

- Enfin et surtout, la marque SOCIETE est liée à l’AOP Roquefort dans l’esprit du
consommateur, de sorte qu’il existe un risque de confusion : l’ovale vert évoque
à lui seul le Roquefort ; la SOCIETE DES CAVES elle-même a soutenu ce risque de
confusions dans le dossier RONCARIFORT ou RONCARIBLUE (pour mémoire, il
s’agissait d’une contrefaçon de Roquefort, fabriquée et commercialisée par un
tiers en Espagne sous la marque TGT entourée d’un ovale vert) ; au besoin, des
études auprès de consommateurs pourraient confirmer ce lien.

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Le risque de confusion est encore renforcé en l’espèce par le fait qu’il s’agisse d’un
fromage bleu, visible au travers d’une fenêtre transparente de la face principale de
l’emballage et d’apparence visuelle similaire au Roquefort, qu’il est mentionné sur
l’étiquetage que c’est du lait de brebis (100 %) qui est mis en œuvre, que l’origine
aveyronnaise du produit est mise en exergue et enfin que ce fromage soit présenté sous
des dimensions, dans un conditionnement et sous des couleurs proches de ceux que la
SOCIETE DES CAVES utilise pour commercialiser le Roquefort.

Pour toutes ces raisons, le produit litigieux, tel qu’il est présenté à la vente à ce jour,
avec la marque commerciale semi-figurative SOCIETE, est susceptible de constituer un
détournement ou un affaiblissement de l’Appellation d’Origine Protégée Roquefort, et
porte donc atteinte, à mon sens, aux articles précités définissant le cadre civil de la
protection des AOP.

Cette présentation est également susceptible d’entrainer des sanctions pénales, sur le
fondement des articles du Code de la consommation précités, le consommateur étant
manifestement et a minima induit en erreur.

Au surplus, nonobstant l’argument principal et rédhibitoire de l’utilisation de la marque


SOCIETE, se pose aussi une question moins juridique, plus éthique.

Il est en effet difficile de concevoir que la SOCIETE DES CAVES mette sur le marché, sans
aucune concertation ni information préalable, un produit qui porte atteinte à la
notoriété du Roquefort et à la protection de l’Appellation, alors que dans un même
temps, elle est le premier fabricant de Roquefort AOP, participe à ce titre à la vie et à la
gouvernance de l’Organisme de Défense et de Gestion de l’Appellation Roquefort, et
préside la CONFEDERATION GENERALE DE ROQUEFORT un an sur deux, et en
l’occurrence à ce jour.

Celui qui défend l’intérêt collectif ne devrait pas faire le choix de son intérêt individuel
quand ce dernier porte atteinte à l’intérêt collectif.

Aucun texte ne le prescrit pour le cas, mais il en va de la crédibilité de la


CONFEDERATION GENERALE DE ROQUEFORT qui incarne l’intérêt collectif de la filière.

Ce « conflit d’intérêts » avait déjà été soulevé en 2006/2007, alors que la SOCIETE DES
CAVES avait sorti un produit identique sous la dénomination de vente PERSILLE et sous
la marque commerciale LOU PERAC.

L’Appellation Roquefort était alors évoquée à la marge, mais ce qui avait ému
unanimement les opérateurs de la filière à l’époque, c’est le fait que ce soit le principal
fabricant de Roquefort AOP qui créait lui-même la concurrence du Roquefort sans les
contraintes de l’AOP.

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II – Sur les obligations et la responsabilité de la CONFEDERATION GENERALE DE
ROQUEFORT

La CONFEDERATION GENERALE DE ROQUEFORT a la qualité d’Organisme de Défense et


de Gestion de l’Appellation d’Origine Protégée Roquefort, selon la décision de l’INAO du
14 juin 2007.

A ce titre, il lui appartient de « participer aux actions de défense et de protection du nom


du produit et du territoire ainsi qu’à la valorisation du produit », en application de
l’article L. 642-22 du Code rural et de la pêche maritime et de l’article 9.2. de ses statuts.

Sauf à manquer à ses missions statutaires et légales, la CONFEDERATION GENERALE DE


ROQUEFORT doit donc veiller à faire appliquer et respecter les dispositions précitées
relatives à la protection des AOP.

Bien évidemment à l’égard de tiers, mais également, à l’égard de ses membres, puisque
la loi ne distingue pas.

La CGR a qualité pour engager les actions civiles et pénales précitées, ou y intervenir si
l’action était engagée par l’INAO, la DGCCRF ou tout autre opérateur qui y aurait intérêt
(de la filière ou hors filière).

A l’égard de ses membres, la CGR doit soumettre préalablement la difficulté au Conseil


d’administration, puis éventuellement organiser une conciliation interne, amiable et
préalable conformément aux dispositions de l’article L. 632-1-3 du Code rural et de
l’article 18 de ses statuts.

L’opérateur concerné doit bien évidemment dans ce cas s’abstenir de tout vote au sein
du Conseil d’administration dans la prise de décision et le suivi de l’affaire.

En l’espèce, le produit litigieux a été mis sur le marché il y a quelques jours.

La CONFEDERATION GENERALE DE ROQUEFORT n’a pas été saisie du sujet


préalablement, ni par la SOCIETE DES CAVES, ni par aucun autre opérateur.

En revanche, les prises de positions publiques de Monsieur José BOVE, Député


européen, les 10 et 11 avril 2019, et de Messieurs Alain Fauconnier, Président du Parc
Naturel Régional des Grands Causses, et Arnaud VILALA, Député du Sud Aveyron, le 12
avril 2019, saisissent la CONFEDERATION GENERALE DE ROQUEFORT et l’obligent
maintenant à apporter une réponse.

Il est également possible que l’INAO somme prochainement la CGR de prendre position
sur la question, comme cet organisme a pu le faire antérieurement sur d’autres dossiers
impliquant des opérateurs de la filière.

L’avis strictement juridique sur le sujet est exposé en première partie de la présente
consultation.

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Il appartient maintenant aux professionnels de statuer, selon le processus de résolution
interne précité.

La célérité s’impose compte tenu du fait que le Député européen ait aussi appelé à
« boycotter » la prochaine fête de Roquefort.

Dans l’attente de la position de la CONFEDERATION GENERALE DE ROQUEFORT, il me


semble opportun d’expliquer le processus de résolution interne à Monsieur José BOVE
et de lui demander de ne pas anéantir, avant même qu’elle n’ait vu le jour, la première
fête de Roquefort, de ne pas discréditer les compétences et l’engagement de la
CONFEDERATION, et finalement de ne pas lui-même contribuer à affaiblir la notoriété de
l’Appellation Roquefort.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de mes sincères salutations.

Bénédicte BOURINET DANNEVILLE

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