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Qui ont été les champions de l’horlogerie Suisse en 2019

et qui seront les survivants en 2020 ?


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qui-seront-les-survivants-en-2020/amp/

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Philippe Dufour, horloger à la vallée de Joux, copyright "L'illustré"

Morgan Stanley a publié sa liste du Top 50 des marques horlogères suisses1 en


collaboration avec LuxeConsult. Le rapport est très attendu par la communauté
financière et horlogère pour diverses raisons. Les CEO des marques sont bien sûr
intéressés par leur position dans la liste et surtout celles de leurs concurrents supposés.

Pour évacuer tout malentendu et en liminaire, le but principal de ce rapport est


d’identifier les parts de marché et la dynamique de celles-ci. C’est-à-dire de savoir qui
gagne et qui perd.

La deuxième remarque est que les chiffres sont basés sur 2019 et nous avons tenu
compte de l’effet dévastateur du Coronavirus pour les projections 2020 qui seront
forcément très mauvaises pour tout le monde.

A lire également : Le Temps 13.03.2020 “Horlogerie, les méga-marques milliardaires se


renforcent encore”

Leçon #1 : la polarisation de l’industrie s’est accélérée


Le premier rapport publié avec Morgan Stanley en 2018 avait déjà mis en évidence que
seulement 7 marques étaient milliardaires en chiffres d’affaires . Cette situation n’a
pas changé en 2019 à la difference qu’Audemars Piguet est passée à la 6ème place de ce
club très exclusif. La polarisation entre très peu de marques qui surperforment et
une immense majorité de maisons horlogères qui sont au mieux en stagnation et
au pire en perte de chiffres d’affaires année après année.

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Il y a une seule marque qui rejoindra probablement en 2020 – sauf si la conjoncture
actuelle l’en empêche – ce club très exclusif des Milliardaires, Richard Mille. Cette
remontée au classement de la 19ème à la 8ème place n’est pas seulement le fruit d’une
stratégie marketing implacable, mais surtout l’intégration du chiffre d’affaires dans ses
propres boutiques mono marque. La marque a fait une croissance organique de 20% en
passant de CHF 300m à CHF 360m de chiffres d’affaires, mais le reste de l’augmentation
à CHF 900 millions provient du fait que le chiffre d’affaires de ses boutiques (42 dans le
monde) est dorénavant consolidé dans les comptes de la marque.

Le classement est mené par les sept champions qui ont – à une exception près, Tissot –
progressé au niveau de leurs ventes. Sur l’ensemble des marques analysées, 50% ont
progressé, mais 30% ont reculé et parfois de façon significative.

Copyright : LuxeConsult, Morgan Stanley Research estimates, 12.03.2020

Le graphique ci-dessous (basé sur les chiffres d’affaires détaillants) démontre de façon
impressionnante la suprématie de la marque à la couronne qui détient à elle seule
presque un quart du marché de la montre suisse ! Rolex (23,4%) et sa marque sœur
Tudor (1,4%) que l’on retrouve à la 20ème place du classement avec CHF 310m de ventes.

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Leçon #2 : les marques indépendantes performent le mieux
ou “the winner takes it all”
L’industrie horlogère suisse est probablement le seul segment du luxe dans lequel
les marques indépendantes performent mieux que celles détenues par des
groupes cotés en bourse. Le top 4 du classement des indépendants est composé de
Rolex, Patek Philippe, Audemars Piguet et Richard Mille qui ont généré un chiffre
d’affaires cumulé de CHF 8,7 milliards ce qui représente 35% du marché ! Et ces
marques ont réalisé chacune leur meilleur exercice de leur histoire en termes de ventes
et de profitabilité.

Ceci est à comparer avec les 55% détenus par les quatre groupes – Swatch Group (17
marques), Richemont (11), LVMH (6) et Kering (3) – et leurs 37 marques.

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Leçon #3: les profits sont encore plus concentrés sur un
nombre très réduit de marques
L’estimation faite par Morgan Stanley x Luxeconsult est de CHF 5,3 milliards d’EBIT 2
générés par l’ensemble de l’industrie, dont 59% sont le fruit des 4 marques
indépendantes citées plus haut ! Pour faire court et résumer ces quatre marques :

Croissent plus vite que le reste de l’industrie et gagnent des parts de marché
Et elles sont plus profitables, car nous estimons leur marge EBIT en moyenne à
35% avec Richard Mille au-delà des 40%

Les quatres groupes cotés en bourse (Swatch Group, Richemont, LVMH et Kering)
doivent se contenter de 39% de la marge générée pour l’ensemble de l’industrie. En
prenant leurs part de marchés cumulées à 55% des ventes totales leur profitabilité au
niveau de chaque marque est nettement inférieure à celle des quatre marques
susmentionnées.

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Alors que reste-t-il pour les autres ? Pas grand-chose à vrai dire…. 90% des ventes et
surtout 98% des profits sont contrôlés par 41 marques (4 indépendants + 37
marques de groups).

Quelques hypothèses sur le futur de l’horlogerie Suisse


Nous estimons le marché de la montre Suisse à un peu plus de CHF 50 milliards
(valeur des ventes au détail) avec une croissance en 2019 de 2,6% des exportations
(statistiques des exportations de la fédération horlogère suisse). En constatant la hausse
constante du prix moyen des montres vendues et surtout la chute abyssale du nombre
de montres suisses vendues l’année passée (-3,1 millions d’unités), on peut aisément
conclure à un repli d’un grand nombre de marques suisses dans une niche très haut de
gamme.

L’horlogerie Suisse est toujours maître du jeu sur le marché mondial de l’horlogerie et
détient encore 53% en valeur, mais que 2% du volume. La baisse de 13% (3,1 millions de
montres) des volumes l’année passée est concentrée sur tous les segments de prix
inférieurs à CHF 2’000 prix d’exportation correspondant à CHF 5’000 prix public. Les
montres de cette categories ont perdu des parts de marché en valeur et en quantités.

La baisse reflète une décroissance ininterrompue depuis 20 ans (2000, 29 millions


d’unités vendues), mais fortement accélérée en 2019 (20,6 millions).

Lire également : Blog Le Sablier / “L’industrie horlogère suisse ne doit pas devenir une
réserve d’indiens”

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Hypothèse #1:
L’industrie horlogère Suisse devrait se focaliser sur le fait qu’elle perd
continuellement des parts de marché dans l’entrée de gamme jusqu’au milieu de
gamme. La retraite vers le haut ne peut pas être la solution pour toutes les marques. Il
faut affronter la concurrence dans l’entrée de gamme et notamment les montres
connectées, dont Apple est le leader incontesté avec une croissance de 36% l’année
passée et plus de 30 millions d’Apple watches vendues3 !

Quelque va se réveiller et devenir la nouvelle Swatch !

Hypothèse #2:
Les marques fortes génèrent une dynamique vertueuse. Le milieu de gamme
(Longines, Tudor et Tissot), le premium (Rolex, Omega, Cartier, IWC, TAG Heuer, Breitling)
et le haut de gamme (Patek Philippe, Audemars Piguet, Richard Mille) sont chacun
dominés par des fortes à forte notoriété. Ces maisons horlogères sont capables
d’investir dans leur communication, l’innovation produits et l’intégration de leur réseau
de distribution (pour ce dernier point avec les exceptions de Rolex et Patek Philippe).

Hypothèse #3:
Les agglomérations de marques fortes créent des appels d’air pour des niches. A
côté des marques citées plus haut à titre d’exemples des sous-segments de marchés
vont devenir suffisamment intéressants pour des concepts plus pointus.

Les artisans horlogers ou signatures de créateurs (ex. un designer qui signe ses
montres) : ils produisent des quantités extrêmement faibles de montres, parfois
moins que 50 pièces par année. Ils vendent en grande partie directement au client
final (le fameux DTC « direct-to-consumer ») et engrangent la totalité de la marge
tout en ayant un dialogue direct avec leurs clients. On peut citer Kari Voutilainen,
Rexhep Rexhepi ou De Bethune comme les meilleurs exemples et Philippe Dufour
comme l’horloger ayant ressuscité “l’horlogerie soignée” dans les années 1990.
Les micro-marques avec un « story-telling » cohérent avec leur territoire de
marque. MB&F et son fondateur Max Büsser ont su créer ce genre de concept avec
chaque année une nouvelle montre éditée en série limitée et développée en
partenariat avec l’un des horlogers susmentionnés. Le but n’étant pas de créer une
collection permanente, mais de faire comme dans la haute joaillerie des pièces
uniques ou fortement limitées en quantité. Le design des montres ne suit pas une
identité de marque, mais un fil rouge qui dans ce cas est la création d’un
instrument du temps tri-dimensionnel avec une interprétation unique et innovante
de l’affichage du temps.

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Les initiatives de crowdfunding4 et crowdsourcing 5. Le meilleur exemple récent
et suisse étant Code41 qui a démarré son projet avec comme leitmotiv la
transparence sur les origines de ses composants (TTO / Transparence totale sur
l’origine). L’équipe de projet a décidé de communiquer dès le début en toute
transparence sur l’origine des composants, même s’ils sont par exemple chinois.
Leur initiative produit la plus intéressante à mes yeux à été de lancer une montre
avec un mouvement fait 100% en Suisse et dont le coût compte pour 87% dans le
prix de revient total. Ils ont fait le choix – payant vu les ventes phénoménales à leur
taille – de prendre un mouvement fabriqué par une manufacture de mouvements
totalement indépendante – Timeless, plutôt que de banaliser le produit en prenant
un mouvement ETA ou Sellita qui aurait certes coûté beaucoup moins cher, mais
qui aurait été aussi beaucoup moins unique.
Un autre exemple de l’utilisation intelligente des réseaux sociaux et du big data
récoltés sur les clients potentiels (comme chez Code 41) est Daniel Wellington. Car
ce n’est certainement pas le produit qui a fait la différence… mais le dialogue avec
un public cible sur Instagram notamment. Un succès phénoménal pour une
marque lancée en 2011 et qui a vendu en 2018, 2,5 millions de montres. Le succès
est déjà en diminution, mais le fait est que toutes ces montres ont été vendues au
détriment de montres Swiss made, notamment de Swatch qui propose des
montres nettement plus intéressantes. Le facteur critique ici n’est pas le produit,
mais la façon d’engager un consommateur sur les codes d’une marque.
Et finalement les marques de modes qui étendent leur proposition
horizontalement avec des montres dont le positionnement prix correspond à leur
clientèle. La montre est vue comme un accessoire au même titre que le parfum
que l’on vend à la caisse. De bons exemples de cette stratégie sont Ck Watches
(licence anciennement exploitée par Swatch Group), Guess ou Diesel.

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Dépendance des principaux groupes de luxe au marché chinois

Cette année va extrêmement compliquée pour toute l’économie et l’ensemble des


marques de luxe. Au risque de me répéter, le deuxième semester ne permettra pas de
compenser les chutes abyssales sur l’ensemble des marchés et de la Chine en premier
lieu. Beaucoup de marques avec une assise financière déjà fragile avant le Coronavirus
vont disparaître et mon estimation est que d’ici fin 2020, 30 à 60 marques horlogères
Swiss made auront définitivement « tiré la prise ». Avec tout le respect dû aux victimes de
cette pandémie, je pense que cette crise aura deux effets positifs majeurs sur notre
industrie :

De remettre en question notre dépendance à un seul marché, la Chine et ses


marchés connexes (les achats de touristes chinois).
Et de chercher des alternatives aux fournisseurs chinois pour la fabrication de
composants horlogers, dont certaines marques – dites Swiss made – abusent en
toute impunité. Il ne s’agit pas de passer d’un extrême à l’autre du jour au
lendemain, mais de repenser les fondamentaux d’une industrie en incluant les
fournisseurs suisses qui sont les « faiseurs » !

1. Ce rapport est réservé aux clients de la banque Morgan Stanley


2. EBIT : Earnings Before Interests and Taxes; bénéfice de l’entreprise avant
soustraction des intérêts dus aux créanciers et aux actionnaires (dividende) et les
taxes et impôts.
3. Estimations de Strategy Analytics Strategy Analytics
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4. Crowdfunding : financement participatif
5. Crowdsourcing : création participative par une communauté digitale. Les
internautes peuvent participer p.ex. au design d’une montre.

The english version of this article has been published here : watchesbysjx

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