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19 avril 2012
 

« L’auditeur interne est juge et partie »


Dalal Saddiqi

Riche d’une expérience de plus de 20 ans dans l’audit interne et auteur de l’ouvrage « L’audit
interne tout simplement », paru au mois de février, Mohsin Berrada dresse l’état des lieux de cette
spécialité au Maroc. 

« l’audit interne n’est pas un effet de mode », affirme Mohsin Berrada.

Mohsin Berrada est diplômé en études comptables et financières. il a poursuivi ses études à l’IAE
de Lyon et l’ESA de Grenoble. Il a commencé sa carrière en cabinet d’audit en tant qu’auditeur
comptable et financier où il a participé à de nombreuses missions d’audit légal ou contractuel dans
des secteurs très variés, aux audits de due diligence en relation avec les privatisations des années 90.
Il a des missions d’investigations relatives à la fraude comptable et au détournement de fonds. Il a
ensuite intégré l’entreprise en tant que directeur d’audit interne puis en tant que directeur financier.
Mohsin exerce aujourd’hui au cabinet (Manageris Consulting) en qualité de directeur associé
spécialisé dans le contrôle interne, l’audit interne, le management des risques, l’organisation et les
finances. Il est également conférencier et enseigne cette spécialité en classe Master.

En ces temps de crise financière, l’audit interne est-il une valeur ajoutée pour les entreprises
marocaines?
Nous sommes sollicités plus qu’avant par des dirigeants d’entreprises qui veulent recourir aux
services de l’audit interne par la création de département dédié. Mais l’audit interne n’est pas un
effet de mode. Le contexte économique actuel en est pour beaucoup, les dirigeants éprouvant le
besoin de rassurer les actionnaires ainsi que les parties prenantes de l’entreprise en insérant l’audit
interne dans leur politique de gouvernance. Ils ont compris que l’audit interne, de par sa
participation à la réduction des asymétries d’information, le partage du savoir et des bonnes
pratiques, favorise la communauté des pratiques et permet à l’entreprise de progresser et donc de
créer de la valeur. En connaissant puis corrigeant leurs dysfonctionnements, les entreprises sont
plus compétitives.

Pourriez-vous nous dresser un état des lieux de l’audit interne au Maroc?

Les entreprises marocaines recourent de plus en plus aux services de l’audit interne. Mais ce constat
est mitigé, car si le rattachement de l’auditeur interne à la direction générale semble devenir la
règle, garantissant ainsi à l’auditeur une certaine indépendance, ce positionnement, la plupart du
temps, ne lui offre pas le champ d’investigation ni l’importance qu’il mérite au sein de
l’organisation.  Sans compter que souvent, la direction générale, premier responsable de la stratégie
de l’entreprise, ne s’approprie pas assez le dispositif de contrôle interne comme un élément
essentiel d’aide à la décision et de succès.  Je pense qu’il faut sensibiliser les dirigeants et que
l’intervention de l’audit interne doit dépasser la seule conformité pour s’intéresser à la performance.
Ses missions se limitent souvent à des audits comptables ou de conformité, parfois elles dépassent
le périmètre de l’audit interne pour lui confier la rédaction et la mise en place des procédures qu’il
sera amené à évaluer par la suite L’auditeur interne est juge et partie.

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Quelles sont, selon vous, les limites du contrôle interne au Maroc?    
L’audit interne est la clé de voûte du système de contrôle interne. Aussi, certaines limites sont liées
aux qualités intrinsèques des auditeurs internes, leur formation, leur connaissance du métier de
l’entreprise et leur aptitude à assumer leur fonction : certains auditeurs n’ont pas le courage
d’affirmer leurs certitudes. Nous observons également que certains comportements et habitudes face
au contrôle peuvent faire échouer le déroulement du dispositif.
Le contrôle interne au sein de l’entreprise marocaine est caractérisé par des procédures
insuffisamment documentées, une application inconstante des contrôles et des processus, dans
beaucoup de cas, non cartographiés. Combien même ceux-ci le sont, leur élaboration prend
rarement en compte suffisamment les objectifs stratégiques et les risques.

Vous avez récemment publié un ouvrage sur l’audit interne, comment ce projet est-il né ?
Les nombreux participants à mes conférences et séminaires, tant au Maroc que sur le continent
africain, ont nourri et enrichi ma réflexion et alimenté cet ouvrage dont ils sont à l’origine. Il fallait
leur laisser une trace de leurs questionnements et les réponses que j’ai pu leur fournir. Ce livre est
aussi le fruit des réflexions menées avec des dirigeants d’entreprises sur la meilleure façon de tirer
profit de l’audit interne, que ce soit au niveau de son positionnement au sein de l’organisation, de sa
relation avec les membres dirigeants et les directions opérationnelles, de ses domaines de
prédilection, etc.

Pourquoi l’audit interne « tout simplement » ?

« Tout simplement » parce qu’aujourd’hui, si vous voulez une adhésion la plus large possible aux
métiers de contrôle, vous devez démystifier le langage. C’est pourquoi, j’estime que les auditeurs
internes doivent faire le marketing de leur fonction. Ils ne le font pas assez. Parfois, leur seul
contact avec les autres membres de l’organisation se fait au moment de la restitution de leurs
conclusions. Mon objectif est d’attirer l’attention du lecteur, qu’il soit dirigeant, manager ou
opérationnel quant aux bénéfices qu’ils peut tirer de l’audit interne. L’auditeur interne praticien
n’est pas oublié et les étudiants en Masters spécialisés trouveront également des réponses à leurs
questions.

Comment s’articule votre ouvrage ?

L’ouvrage est structuré en cinq parties, traitant de l’audit interne et de ses domaines de
prédilection : contrôle interne, management des risques, gouvernance et fraude interne. J’ai utilisé
une approche de progression didactique. Pour chaque thème abordé, je définis d’abord le concept,
en y apportant une réponse très pratique.  Ensuite j’aborde les enjeux et les acteurs avant de couvrir
la méthodologie, tout en remettant l’auditeur interne au centre pour préciser son rôle. Quand cela est
nécessaire, des schémas explicatifs viennent donner un éclairage sur la manière dont il faut
structurer et mettre en œuvre ces processus. Je termine le livre par un quizz afin de permettre au
lecteur d’évaluer ses connaissances et surtout de passer à l’action. Un glossaire accompagne le livre
pour préciser et faciliter la compréhension du langage de l’auditeur interne.◆

Trois cas de fraude

L’audit de fraude est un métier à part, estime Mohsin Berrada. Il nous dévoile 3 cas de fraude qu’il
a réussi à « flairer » lors de ses missions d’investigation.

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Salariés fantômes

Un chef d’entreprise, qui a embauché en l’espace de cinq années consécutives et avec la complicité
du chef du personnel, en se procurant des copies de CIN, une centaine de salariés fantômes. C’est-à-
dire des salariés qui ne travaillent pas dans l’entreprise, contrairement au salarié fictif derrière
laquelle se cache une personne physique. tLes salariés fantômes étaient mis au salaire minimum et
le paiement se faisait par chèque au nom d’une personne travaillant pour la société, complice du DG
et du chef du personnel censé se charger de la distribution des émoluments après retrait du montant
du chèque de la banque. L’argent était ensuite partagé entre les trois personnes. Suite à une mission
que les actionnaires nous ont confiée, ayant constaté un changement dans le train de vie du chef du
personnel, nous avons pu, par simple déplacement sur site et après comptage des personnes y
travaillant et la consultation et le recoupement des documents de paie (bulletins de paie, livre des
congés, état des absences, etc.), reconstituer le schéma de fraude.Le montant de la fraude, enregistré
durant les cinq années, a été reconstitué pour un montant global de 2 800 000 dirhams.

Détournement de moyens de paiement

Un DAF, homme de confiance du DG qui a essuyé plusieurs refus d’augmentation de salaire,


confronté à des difficultés financières personnelles, a détourné des chèques fournisseurs pour son
compte.  Le schéma de fraude était simple : il récupérait le chèque après signature du DG, le
photocopiait, puis transmettait la copie avec la liasse de documents originaux à la comptabilité pour
enregistrement. Le DAF changeait ensuite le nom du bénéficiaire sur le chèque pour le remplacer
par son nom et détournait ainsi le montant qui y était porté. Aucun suspens n’apparaissait ainsi sur
l’état de rapprochement. Ce qui a permis cette fraude, c’est le fait que les chèques étaient remplis
sur une machine à bille dont l’encre était effaçable (fortement commercialisées dans les années 90,
en remplacement du fameux dactylo), ce qui permettait au DAF de replacer tout simplement le
chèque sur la machine, signé par le DG, pour changer son montant sans que cette opération ne laisse
de trace.Les fournisseurs qui réclamaient leur règlement se faisaient alors prier d’attendre, le DAF
prétextant des difficultés de trésorerie passagères.  Nous avons découvert cette fraude suite à une
mission d’audit d’optimisation du BFR, à la demande du DG. Nous avions à « circulariser »
quelques fournisseurs pour leur demander de confirmer leur solde dans les comptes de la société, et
l’exploitation des écarts constatés entre les deux situations nous a permis de reconstituer le schéma
de fraude. Le DAF a profité de la non séparation des fonctions de préparation des titres de
paiements et de remise desdits titres aux fournisseurs, des possibilités offertes par la machine à bille
pour changer les données transcrites sur un chèque, mais aussi du manque de procédures en la
matière.Il a été licencié après avoir remboursé les sommes détournées, soit 160 000 dirhams sur une
période 6 mois.

Détournement de marchandises

Obtenir dans le système la création d’une fiche client pour son référencement, indispensable pour
l’enregistrement de la moindre facture, a permis à un commercial de créer plusieurs comptes avec
des noms différents et de faux identifiants fiscaux. Le système n’étant pas paramétré pour bloquer la
création d’un nouveau client logé à une adresse déjà saisie, il a utilisé la même adresse de livraison
pour les faux clients, qui était au fait un dépôt. Les prélèvements de marchandises pour ces faux
clients se faisaient ensuite par des transporteurs indépendants, qui les acheminaient au dépôt
indiqué.  La marchandise était alors immédiatement écoulée auprès de tiers receleurs qui venaient
se servir au dépôt. L’audit interne, dans le cadre d’une mission portant sur l’évaluation de la
procédure de suivi de nouveaux comptes, a pu obtenir une piste après avoir relevé le non-
verrouillage du système supportant la procédure. Le manque de suivi au sein de l’entreprise, la non-

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compétence de la responsable ADV pour occuper ce poste (une réceptionniste redéployée dans le
service commercial) et le non-verrouillage du système et la culture du chiffre d’affaires qui sévissait
dans l’entreprise ont fait que, ce commercial détournait sans que personne ne s’en rende compte,
pendant 8 mois, pas moins de 780 000 dirhams.

«  Les organisations doivent être conscientes d’une réalité, le fraudeur est toujours engagé par sa
victime ; ce qui pose la question du recrutement et du rôle de la direction des ressources humaines
et de la direction générale pour organiser un environnement de confiance, de motivation, d’éthique
et de contrôle. La contribution de l’audit interne en matière de prévention et de détection de la
fraude n’est pas une option.» Extrait de L’audit interne tout simplement, par Mohsin Berrada, paru
chez Afrique challenge édition.

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