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Cahiers du monde hispanique et

luso-brésilien

Sur le poème de César Vallejo : Los Desgraciados


Alain Sicard

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Sicard Alain. Sur le poème de César Vallejo : Los Desgraciados. In: Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, n°8, 1967.
Numéro spécial consacré à la deuxième partie du colloque international sur "Littérature et histoire du Pérou " pp. 79-95;

doi : 10.3406/carav.1967.1160

http://www.persee.fr/doc/carav_0008-0152_1967_num_8_1_1160

Document généré le 31/05/2016


COMMUNICATION DE M. ALAIN SICARD
Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Poitiers

Sur le poème de César Vallejo

" Los Desgraciados "

En choisissant de parler sur le poème de César Vallejo « Los


desgraciados •», notre ambition est extrêmement modeste. Non
seulement parce qu'un seul poème ne saurait refléter la pensée de son
auteur dans sa totalité, mais aussi parce que le temps qui nous est
imparti nous obligera à limiter notre enquête au seul domaine des
significations, et à nous désintéresser presque totalement de celui
des formes, fondamental, pourtant, en poésie. Ce n'est donc pas
— et pour notre part nous le regrettons — à une véritable explication
de textes que nous vous convions, mais à un simple commentaire qui,
en proposant une « lecture » possible du poème, s'efforcera d'isoler
l'idée qui en constitue, croyons-nous, le fondement, et se trouve être,
en quelque sorte, la loi de son mouvement.

¿OS DESGRACIADOS

Ya va a venir el día; da
cuerda a tu brazo, búscate debajo
del colchón, vuelve a pararte
en tu cabeza, para andar derecho.
Ya va a venir el día, ponte el saco,
Ya va a venir el día; ten
fuerte en la mano a tu intestino grande, reflexiona,
antes de meditar, pues es horrible
cuando le cae a uno la desgracia
y se le cae a uno a fondo el diente.
80 C. de CARAVELLE

Necesitas comer, pero me digo,


no tengas pena, que no es de pobres
la pena, el sollozar junto a su tumba;
remiéndate, recuerda,
confía en tu hilo blanco, fuma, pasa lista
a tu cadena y guárdala detrás de tu retrato.
Ya va a venir el día, ponte el alma.
Ya va a venir el día; pasan,
han abierto en el hotel un ojo,
azotándole, dándole con un espejo tuyo...
tiemblas ? Es el estado remoto de la frente
y la nación reciente del estómago.
Roncan aún !... Qué universo se lleva este ronquido !
Cómo quedan tus poros, enjuiciándolo !
Con cuántos doses, ¡ ay !, estás tan solo !
Ya va a venir el día, ponte el sueño.
Ya va a venir el día, repito
por el órgano oral de tu silencio
y urge tomar la izquierda con el hambre
y tomar la derecha con la sed; de todos modos,
abstente de ser pobre con los ricos,
atiza
tu frío, porque en él se integra mi calor, amada víctima.
Ya va a venir el día, ponte el cuerpo.
Ya va a venir el día;
la mañana, la mar, el meteoro, van
en pos de tu cansancio, con banderas,
y, por tu orgullo clásico, las hienas
cuentan sus pasos al compás del asno
la panadera piensa en ti,
el carnicero piensa en ti, palpando
el hacha en que están presos
el acero y el hierro y el metal; jamás olvides
que durante la misa no hay amigos.
Ya va a venir el día, ponte el sol.
Ya viene el día; dobla
el aliento, triplica
tu bondad rencorosa
y da codos al miedo, nexo y énfasis,
pues tú, como se observa en tu entrepierna y siendo
el malo, ¡ ay !, inmortal,
has soñado €sta noche que vivías
de nada y morías de todo...

Tout a été dit sur les circonstances dramatiques dans lesquelles fut
écrit ensemble des « Poemas humanos » dont « Los desgraciados »
SUR UN POÈME DE CÉSAR VALLEJO 81

fait partie. Il faut rendre hommage, en particulier, au professeur


Monguió O) pour la façon émouvante et sobre tout à la fois dont il
a su évoquer ce qui ne se laissait pas aisément décrire : la solitude,
la faim, la maladie, et sur cette tragédie vécue dans un anonymat
presque complet, l'ombre d'une autre tragédie, historique celle-là
et à la dimension d'un peuple : le martyre de l'Espagne « Pasión
y muerte de Vallejo », écrit le professeur Monguió qui, encore une
fois, évoque ces derniers mois de l'année 1937 mieux que je ne
saurais le faire.
Pourtant ce qui est circonstance est, ici, essentiel. Pour pénétrer
dans le poème, il nous faut tout d'abord franchir le seuil de cette
chambre d'un hôtel de dernière catégorie où le « desgraciado »
— le poète ? — s'éveille, et il nous faut imaginer le petit matin sale
à la fenêtre.
« ya va a venir el día »
cette aube qui, évoquée sous forme d'anaphore au début et à la fin
de chaque strophe, va progressivement, dans le poème, s'affirmer,
cette aube, quelle en est la couleur ? Quel en est le signe ? Est-elle
porteuse d'angoisse ou est-elle messagère d'un espoir ? Réservons
pour plus tard la réponse à cette question et laissons s'opérer le
prodigieux travail des impératifs décuplé par la violence, ça et là,
des enjambements
« ya va a venir el día; da
cuerda a tu brazo, búscate debajo
del colchón, vuelve a pararte
en tu cabeza para andar derecho »
Tout est volonté, effort, tout est tension dans cette première
strophe. Qu'y trouve-t-on ? un homme qui s'éveille et dont le corps
est comme un ressort dévidé qu'il lui faut remonter; un homme que
l'épuisement a soustrait à lui-même, et qui se cherche
« ... Búscate debajo
del colchón... »
L'enjambement ici ne traduit pas que l'effort. Cet homme qui se
cherche se cherche vers le bas, et cette direction vigoureusement
indiquée à la fin du second vers s'oppose, en apparence, à celle
indiquée à la fin du vers suivant, avec non moins de vigueur, par
l'américanisme « pararse ». Tout se passe comme si l'exploration vers le

(1) Luis MoNGió, Cesar Vallejo - Vida y obra - Bibliografía - Antologia.


Hispanic Institute (1952).

C. DE CARAVELLE 6
82 C. de CARAVELLE

bas était la condition de tout redressement, de tout émergement.


Retenons cette idée car elle contient en germe, comme nous le
verrons, une vérité fondamentale, et reprenons le fil, terriblement
tendu, de ces impératifs.
L'avant-dernier vers de la première strophe indiquait clairement
la nature de cet effort
« ... vuelve a pararte
en tu cabeza. »
Effort mental autant que physique : effort mental précédant,
préfigurant douloureusement l'effort physique, mais sans — et ceci
est essentiel — que le premier soit de quelque façon que ce soit
privilégié par rapport au second, sans que l'un et l'autre cessent d'être
inextricablement liés. Nulle volonté, nulle pensée qui n'ait son siège
dans le corps. C'est cette vérité que la seconde strophe va développer
en en tirant un certain nombre de conclusions, et de préceptes
fondamentaux.
« Ya va a venir el día; ten
fuerte en la mano a tu intestino grande »
II est significatif que le poète ait ressenti comme le besoin de
prolonger cet endécasyllabe, qui est son instrument favori, par cet
impératif « reflexiona » qui vient s'ajouter, pour ainsi dire, en
surnombre. Une sorte d'équation est, de cette façon, posée. Une
équivalence est suggérée entre le geste étrange de tenir dans sa
main cet organe de la digestion, et l'acte même de penser.
Equivalence, et en même temps dissonance, car la noblesse de l'acte
s'accommode mal de la bassesse de l'organe. En vérité, ce geste a,
n'en doutons pas, un caractère parodique. C'est, dans une version
inattendue, le célèbre geste du penseur de Rodin que Vallejo, dans
ce vers, esquisse : un penseur chez qui le ventre et non le front est
le siège de la pensée : impossibilité de la pensée pure (2). Cela va
encore être souligné par une brutale antithèse

(2) La pensée pure n'est pas seulement impossible. Elle constitue, aux yeux
de Vallejo, une véritable mutilation de la réalité (mutilation qui, si elle est
consciente, prend le nom d'imposture) contre laquelle il met en garde,
notamment dans « Terremoto » (Ed. Losada, p. 8) :
« Hablando de la lefia, callo el fuego ?
Barriendo el suelo, olvido el fósil ?
Razonando,
mi trenza, mi corona de carne ? »
et dans le poème : « Oye a tu masa... » (Ed. Losada, p. 77) :
« Bestia dichosa, piensa;
dios desgraciado, quítate la frente.
luego hablaremos. »
SUR UN POÈME DE CESAR VALLEJO 83

« ... reflexiona,
antes de meditar, ... »
(« antes de » n'ayant pas ici valeur temporelle mais exprimant
l'opposition). Enfin les deux derniers vers vont exposer dans toute
leur nudité les raisons de l'impossibilité d'une pensée désincarnée
« ... pues es horrible
cuando le cae a uno la desgracia
y se le cae a uno a fondo el diente »
le malheur et la faim — le malheur, c'est-à-dire la faim : le
parallélisme des vers est éloquent. Il est à noter que la îfaim est ici
exprimée avec une très grande pudeur
« y se le cae a uno a fondo el diente »
Que fait la dent d'un homme lorsque rien dans sa course ne
l'arrête ? Que fait la dent d'un homme qui n'a — littéralement —
rien à se mettre sous la dent ? Humour sombre de Vallejo, humour
qui est si souvent chez lui l'ultime refuge de la pudeur.
Il faut, avant de lire la troisième strophe, s'attarder sur
l'impératif « reflexiona ». Selon toute évidence, le poète a voulu le détacher,
l'isoler, en faire le centre de toute cette seconde strophe.
C'est que le verbe renferme en lui une énergie que nous verrons
à l'œuvre à la fin de la troisième strophe où elle sous-tendra la
demi-douzaine de verbes que le poète y a accumulée. Ce verbe
« reflexionar » résume déjà toute une attitude en face de la lente
« defunción » provoquée par la faim. A l'orgueilleuse méditation il
faut que le « desgraciado » préfère la réflexion qui d'elle-même
ne part, ni en elle-même ne s'achève. Qu'est-ce à dire, sinon que
le « desgraciado » ne doit pas s'efforcer d'ignorer, escamoter la
réalité de sa « desgracia », mais au contraire en faire le point de
départ et l'aboutissement de toute démarche reflexive ?
« Reflexiona,
antes de meditar. »
Refus de toute méditation qui soit évasion. D'ailleurs une autre
évasion va être, au début de la troisième strophe, condamnée,
l'évasion sentimentale dans la plainte, dans l'apitoiement sur sa
propre condition :
« No tengas pena, que no es de pobres
la pena, el sollozar junto a su tumba »
S'il est légitime, en effet, de tromper sa faim (c'est peut-être le
sens qu'il faut donner au verbe fumar, au cinquième vers de cette
84 C. de CARAVELLE

strophe), il ne Test pas de se tromper soi-même : « Recuerda » :


contre ce qui endort, Vallejo choisit ce qui éveille. Il faut faire face,
rassembler tant bien que mal; recoudre (« remiéndate ») un à un
ces lambeaux d'énergie. Entreprise précaire ? sans doute, mais en
elle il faut que le desgraciado place toute sa confiance :
« confía en tu hilo blanco...
Quelle disproportion, pourtant, entre ce fil, le fil ténu des dernières
forces, et la pesante chaîne qui, dans le vers suivant lui est
savamment opposée !
« Confía en tu hilo blanco, fuma, pasa lista
a tu cadena... »
Cette chaîne — qui semble venue tout droit de la phrase célèbre
de Marx : « les prolétaires n'ont rien à perdre que leurs chaînes » (3)
cette chaîne mérite qu'on s'y arrête, de même que l'expression
verbale « pasa lista » qui la précède. Il faut s'y arrêter, parce qu'ici
resurgit l'idée qui, dans la première strophe avait été ébauchée par
l'opposition « debajo-pararte », et dans la seconde strophe « par
l'opposition « refiexiona-meditar ». C'est toujours, sous une forme
de plus en plus précise, le même conseil que le poète adresse au
desgraciado — ou, ce qui revient au même, qu'il s'adresse à lui-
même : garde-toi de faire abstraction de tout ce qui t'abaisse, de tout
ce qui t'enchaîne. Descend, au contraire dans cet enfer de ta
condition dont il te faut toucher le fond (4), « pasa lista », fais le compte
douloureux des maillons qui composent ta chaîne, car c'est de

(3) On trouve, dans Poemas humanos d'autres allusions à Marx. Dans le


poème « ande desnudo, en pelo... » (Ed. Losada, p. 53) :
« Desgracia al que edifica con tesoros su lecho de muerte ! »
Et celle, plus subtile, contenue dans « Considerando... » (Ed. Losada, p. 37) et
montrant combien le style poétique de Vallejo peut être apte à exprimer une
pensée dialectique.
« considerando
que el hombre procede suavemente del trabajo
y repercute jefe, suena subordinado. »
La notion de travail est décrite ici dans sa réalité contradictoire :
— le travail est une notion positive (« suavemente ») en ce qu'il
est cette activité par laquelle l'homme invente l'homme.
— Mais si, par le travail l'homme domine la nature (« repercute
jefe »), l'exploitation dont il est l'objet dans le système capitaliste
en fait, paradoxalement, un esclave (« suena subordinado »).
(4) C'est cette idée-force qui est, croyons-nous, également exprimée au
onzième vers de 1*« Himno a los voluntarios de la República », grâce à une
allusion extrêmement claire au mythe d'Icare qui semble avoir échappé aux
commentateurs et notamment à G. Meo Zilio :
« detienen mi tamaño esas famosas caídas de arquitecto
con las que se honra el animal que me honra ».
SUR UN POÈME DE CÉSAR VALLEJO 85

cette façon que tu parviendras à t'en libérer. A condition, bien sûr,


qu'il n'entre dans cet inventaire aucune complaisance, qu'il ne
devienne à aucun moment une fin

« ... pasa lista


a tu cadena y guárddala detrás de tu retrato »

la réflexion sur soi est nécessaire, mais elle exige un


dépassement.
Ici le monologue intérieur marque un temps d'arrêt. La quatrième
strophe, que nous abordons, introduit une trêve dans la tension
des impératifs, un silence au cours duquel l'oreille écoute. Qu'il
s'agisse des bruits de pas dans les couloirs (« pasan »), ou, dans
la seconde moitié de la strophe de la présence sonore et invisible des
dormeurs, des couples qui peuplent l'hôtel et dont le voisinage ne
fait qu'accentuer chez le « desgraciado » la sensation de solitude
(« con cuántos doses, ay, estás tan solo »), ces notations auditives
sont suffisamment explicites pour qu'il ne soit pas besoin de s'y
attarder. Par contre les notations d'ordre visuel, qui ont également
leur place dans cette strophe ouverte au monde du dehors, sont loin
d'être aussi claires.
« Han abierto en el hotel un ojo,
azotándolo, dándole con un espejo tuyo •»

Ces deux vers présentent une telle difiiculté que nos chances de la
vaincre sont bien minimes. Nous en proposerons, cependant, une
interprétation :
Un homme — un homme qui à force de faim et de malheur, n'est
plus tout à fait lui-même — un homme, à son réveil, se regarde
dans la glace d'une chambre d'hôtel — Ce qu'il y voit est
l'image même de cette aliénation dont il est victime : l'œil étranger
sous le regard duquel l'homme se sent objet — Le miroir devient
œil; il devient l'incarnation traduite par l'indéfini de la 3e personne
« Han abierto » de cette dépossession de soi qu'éprouve le «
desgraciado ». L'hallucination a opéré une sorte d'échange entre l'œil et
le miroir; or c'est cet échange qui obscurcit le sens de ces deux vers
dont la version objective serait, croyons-nous :

« Han abierto en el hotel un espejo


azotándolo, dándole con un ojo tuyo »

Ce qui, déjà, exprimerait parfaitement cette minute atroce où


l'homme ne se reconnaît pas dans l'image que lui présente le miroir.
L'inversion de vers à vers « ojo-espejo » ne faisant que parachever
86 C. de CARAVELLE

cette impression douloureuse en lui conférant une dimension


proprement hallucinatoire (5).
Ce qui suit semble d'ailleurs confirmer une telle hypothèse :
l'interrogation « tiemblas ? », et surtout la double explication
fournie par le poète

« ... Es el estado remoto de la frente


y la nación reciente del estómago. »

L'état aliéné de ton esprit d'une part, et d'autre part ta faim, la


faim que tu viens de retrouver à ton réveil. Il faut, en passant,
noter que, dans le jeu de mots quelque peu grinçant qui s'établit
entre « estado » et « nación », l'estomac, une fois de plus, prend le
pas sur le cerveau : l'état, selon Littré, n'est que « la forme du
gouvernement d'une nation ».
Il est temps de refermer la parenthèse que constituait en quelque
sorte cette quatrième strophe

« Ya va a venir el día, repito


por el órgano oral de tu silencio »

(5) Notre hypothèse s'est vue confirmée par une lettre de notre ami Saúl
Yurkievich (auteur de l'excellente « Valoración de Vallejo » Universidad Nacional
del Nordeste, 1958) qui, consulté sur ces deux vers, aboutit par des voies
différentes à une interprétation voisine de la nôtre : « Han abierto en el hotel un
ojo » : lo desconcertante de este verso es el singular de ojo; si dijese « los
ojos », el sentido sería directo, claro, unívoco. Pero este solo lo torna
inusitado, ambiguo. Nos revela un mecanismo frecuente en la poesía de Vallejo : el
enrarecimiento de la expresión para tornarla polivalente. Quizá pensara inicial-
mente en « los ojos », y luego sustituyese este lugar común por el singular
« ojo » que cobra una doble acepción, que carga con dos significados : el propio,
« ojo humano », ojo que se despierta. O sea, los ruidos delatan que alguien ha
abierto los ojos. Pero también puede interpretarse « ojo » en sentido metafórico,
como « ventana ». De todos modos, este singular es mucho más expresivo que
el plural. El plural sería una connotación objectiva; en singular, apunta a
nuestra imaginación, ramifica su sentido.
« Azotándolo, dándole con un espejo tuyo » : éste es el verso que hace de la
estrofa un todo poco inteligible. La posibilidad de clarificar es mínima.
« Azotándolo » significa « castigándolo », y se refiere al ojo; la idea de castigo,
de pena, de sufrimiento está ligada a todo el contexto del poema : hambre,
dolor físico, soledad, desamparo, pobreza. Ahora, cabe la interpretación de que
el ojo al cual se refiere en el verso anterior sea el propio ojo de Vallejo. Aquí
también, esta disyunción del sujeto, mantenida a lo largo de todo el poema
(Vallejo se trata a sí mismo de « tú », se objetiva, se contempla como si fuese
otro sujeto) contribuye a crear ambigüedad. « Dándole con un espejo tuyo »,
la primera interpretación parece ser la de « dándole con tu propia imagen
reflejada en el espejo ». O sea : « abro el ojo y me azota mi propio imagen de
hombre macilento, sufriente, inerme, reflejada en el espejo de mi habitación ».
Pero aquí habría metástasis : « imagen » está sustituido por « espejo ».
La palabra « espejo » está llena de connotaciones potenciales, enrarece el sentido
lo puebla de contenidos posibles : realidad reflejada = irrealidad, el espejo
como testigo de nuestros padecimientos, como revelador de nuestra imagen, etc. »
SUR UN POÈME DE CÉSAR VALLEJO 87

le silence, à nouveau, va devenir intérieur : il va redevenir l'organe


de cette voix qui reprend sa méditation là où elle l'avait laissée :
el hambre, et une dernière formule va résumer ce que les trois
premières strophes du poème s'étaient appliquées à définir, à savoir
l'attitude qui doit être celle du « desgraciado » en face de ce
problème fondamental : la faim
« y urge tomar la izquierda con el hambre
y tomar la derecha con la sed; >
Assumer, prendre en charge; voilà l'exigence première qui
s'impose au malheureux. Ceci rappelé, le poème va pouvoir faire un
nouveau pas en avant, mais dans une direction que le bref émer-
gement dans la circonstance auquel nous venons d'assister a
sensiblement modifié. L'atroce musique des ronfleurs résonnant dans
le silence et la solitude de la quatrième strophe, a fait se profiler,
à l'horizon du poème, tout un univers de dormeurs repus — repus,
dirait Valle jo, « del trago que a uno le falta (6) ». C'est vers cet
univers, à la fois hostile et indifférent, que vont se tourner les trois
dernières strophes du poème, où va s'opérer le dépassement
précédemment annoncé. Car désormais la réflexion du « desgraciado »
s'exercera moins sur lui-même que sur ses rapports avec la société,
moins sur sa faim que sur les causes objectives de cette faim.
Ce sont pourtant, d'abord et encore, ses préjugés qu'il lui faudra
combattre, et en premier lieu un mythe auquel Vallejo s'en prend
sans plus tarder : le bon pauvre :
« ... de todos modos
abstente de ser pobre con los ricos, >
le bon pauvre qui cache, derrière un sourire, sa rancœur, alors
que cette rancœur, il devrait l'attiser
« atiza
tu frío, porque en él se integra mi calor, amada víctima. »
C'est en effet dans cette rancœur qui arme les révoltes, que le
poète place ses plus chères espérances. En vain le « desgraciado »
chercherait-il à échapper à cette lutte dont la société est le champ :
le combat est inévitable. Comme pour achever de nous en convaincre,
la sixième et avant dernière strophe va opposer de façon tout à fait
explicite forces de vie et forces de mort, dans une sorte de diptyque
qui prépare l'antithèse finale « vida-muerte ». Si nous étions
surpris par la forme fantastique que le poète donne à cette double

(6) « Parado en una piedra... » (« Poemas humanos », p. 70, Ed. Losada).


88 C. de CARAVELLE

évocation, il faudrait nous reporter aux tout derniers vers du poème


et souligner le verbe « soñar ». Il ne faut pas, en effet, perdre de
vue, que toute cette méditation se situe dans le demi-sommeil qui
précède l'éveil, et au cours duquel la réalité revêt un caractère
fantasmagorique. Ainsi le cortège, presque abstrait, de lendemains
et d'espérances qui, drapeaux en tête, comme un cortège de premier
mai, s'en vient au devant du malheureux pour le tirer croirait-on
du fond de son épuisement :
« la mañana, la mar, el meteoro van
en pos de tu cansancio, con banderas. »
semblent sorties d'un cauchemar :
« y, por tu orgullo clásico, las hienas
cuentan sus pasos al compás del asno »

C'est un tout autre cortège qui s'avance : le cortège hideux de


l'hypocrisie sociale, où la hyène imite le pas pacifique de l'âne.
Du reste toute la strophe va refléter la même effrayante duplicité,
chaque pensée, chaque sourire, chaque geste dissimulant une
menace :
« la panadera piensa en ti,
el carnicero piensa en ti, palpando
el hacha en que están presos
el acero y el hierro y el metal... »
Ne nous étonnons pas de voir en bonne place, dans ce cauchemar
social le boulanger et le boucher. Il n'est pas douteux que, l'un
comme l'autre, ils aient plus d'une fois hanté le sommeil du
malheureux Vallejo. Mais dans cette strophe, l'ennemi n'est pas seul mis
en cause. Ne faut-il pas voir, de la part du poète, une sorte
d'autocritique dans l'allusion qui est faite à son « orgullo clásico » ?
la dignité dans laquelle désespérément le malheureux se drape ne
fait que rendre plus facile et éterniser la sinistre farce : « jamás
olvides », conclut Vallejo,
« ... jamás olvides
que durante la misa no hay amigos. »
la dignité, la charité, l'amour du prochain ne sont que leurres.
Il n'est, dans cette société où l'homme exploite l'homme, d'autre
réalité que la lutte.
Lorsqu'au début de la dernière strophe le jour enfin va se lever,
la métamorphose sera achevée de l'aube sale et décourageante du
début du poème en aube des révolutions; la métamorphose sera
SUR UN POÈME DE CÉSAR VALLEJO 89

achevée du gisant des premiers vers en combattant, en


révolutionnaire :
« Ya viene el día; dobla
el aliento, triplica
la bondad rencorosa (?)
y da codos al miedo, nexo y énfasis... »
C'est l'ultime exhortation, la plus pressante, aussi. La bonté fait
alors dans le poème sa première apparition. Mais elle a revêtu son
armure. Elle a fait sienne, et elle a intégré cette rancœur qui la
contredit mais qui arme son bras. De même que pour triompher
elle a dû se charger de négation et devenir « Bondad rencorosa »,
de même et inversement, l'épouvante, que la société de cauchemar
à l'instant évoquée fait naître en l'homme, peut également susciter
en lui une réaction positive, réaction de défense puis de révolte
salutaire. Ainsi la cohorte des hyènes peut-elle avoir un double
effet paralysant et stimulant, être à la fois « nexo » et « énfasis ».

Nous voici arrivés à la fin de notre lecture, et devant les quatre


derniers vers où le poète s'apprête à nous livrer sous sa forme la
plus concise l'idée qui est le principe du poème :
« pues tú, como se observa en tu entrepierna y siendo
el malo, ay !, inmortal,
has soñado esta noche que vivías
de nada y morías de todo »
le caractère causal de proposition ne laisse, en effet, pas de place
au doute : c'est dans cette opposition « vida-muerte » que le poème
a puisé l'essentiel de sa matière; c'est de cette antithèse que les
impératifs ont tiré leur force. Cependant le sens profond de cette
opposition n'apparaîtra que lorsque seront élucidés les deux vers
desquels le poète semble la faire découler :
« como se observa en tu entrepierna y siendo
el malo, ay ¡ ay !, inmortal, »
Car il est clair qu'une construction corrélative relie ces deux
propositions aux deux éléments de l'opposition qui suit immédiatement:
« vivías » et « morías ». De sorte qu'il faut lire : « pues tu has

(7) On trouve la même idée dans le poème de la p. 65 (Ed. Losada)


viene, hay días, una gana ubérrima... » :
« quiero ayudar al bueno a ser un poquillo de malo. »
90 C. de CARAVELLE

soñado que como se observa en tu entrepierna, vivias de nada y,


siendo el malo, ay !, inmortal, morías de todo. »
Nous ne croyons pas utile de commenter le second membre de
l'opposition. Pour qui vient de regarder passer, dans la strophe
précédente, la cohorte des affameurs, « el malo inmortal » ne pose pas de
problèmes d'interprétation; quant au « morías de todo », il n'est que
de se rappeler cet affrontement avec la faim qui occupe toute la
première partie du poème.
Le premier élément : « como se observa en tu entrepierna, vivías
de nada » est d'une interprétation plus délicate. On sait que c'est
un thème particulièrement cher à Vallejo que celui de la vie au sein
même de ce qui l'anéantit :
« tú, pobre hombre, vives, no lo niegues,
si mueres. »
peut-on lire dans « El alma que sufrió de ser cuerpo ». Pour traduire
ce caractère irréductible de la vie qui s'obstine à se manifester
même lorsque tout se conjugue pour l'abolir, pour traduire cette
permanence de la vie dans ce qu'elle a d'absurde, d'insolite chez
un être anéanti par la privation, Vallejo, dans une démarche qui
le caractérise tout à fait, se tourne vers le corps. C'est à lui qu'il va
demander un symbole, et c'est une des manifestations physiologiques
les plus intimes qui va le lui fournir : ce que dans un autre poème
— « El sermón sobre la muerte » (8) — Vallejo appelle « el alarde
fálico ». Est-il besoin de dire que ce symbole, sous la plume de
Vallejo n'a rien de trivial ? Est-il meilleure traduction du « vivir de
de nada » que ce phénomène physiologique ? Est-il quelque chose
chez un homme qui s'éveille épuisé par la misère de plus insolite,
de plus contradictoire ? « mi contradicción bajo la sábana »,
c'est d'ailleurs en ces termes que le poète y faisait encore allusion
dans le « sermón sobre la muerte » déjà cité.

Elucidé el « vivir de nada » et son étrange symbole, il faut bien se


garder de le séparer du « morir de todo » avec lequel il forme un
couple indissociable : « Has soñado que vivías de nada », c'est-à-dire:
« Has soñado que vivías de esta muerte de la que estas muriendo. »
« Vida » et « muerte » se présentent ici dans une unité
contradictoire qui nous introduit au cœur de la pensée de Vallejo.

(8) Ed. Losada, p. 33.


SUR UN POÈME DE CÉSAR VALLEJO 91

Cette idée de la vie trouvant son aliment au sein même de ce qui


la nie se situe, en effet, au confluent des deux grands courants de
pensée qui sont à l'origine de l'idéologie complexe de Vallejo :
christianisme et marxisme. Mais il faut ajouter qu'elle change
radicalement de nature et de sens selon qu'elle se situe dans une
perspective idéaliste ou matérialiste. Dans le premier cas, elle est
vécue sur le mode agonique du déchirement; dans le second — qui
est celui qui aujourd'hui nous occupe — elle est vécue sur le mode
dialectique du dépassement, et ce n'est pas, alors, en termes de
rédemption, mais en termes de lutte qu'est posé le problème de la
destinée humaine. A ce que Vallejo lui-même appelait les « cantos
subjuntivos », aux litanies de l'espérance, succède alors ce « canto
imperativo » (9) que constitue « los desgraciados », dont l'appel
pressant renvoie explicitement à un autre appel, celui lancé au début
de ce siècle par Eugène Potier :
« Debout les damnés de la terre !
Debout les forçats de la faim ! »
les damnés de la terre. Dans la version espagnole de «
l'Internationale » : « los pobres del mundo ». Vallejo dit « los desgraciados ».
« Los desgraciados » : au terme de notre enquête autour de ce
poème entièrement écrit au singulier, voici que nous découvrons et
que nous comprenons le surprenant pluriel du titre. C'est que le
dépassement de la contradiction « muerte-vida » se fait dans un
sens qui est, en dernière analyse, celui de toute l'œuvre de César
Vallejo, et qu'un poète français — qui lui aussi gagna sur la solitude
et sur le doute le droit à l'espérance — Paul Eluard a exprimé dans
un vers fameux :
« De l'horizon d'un seul à l'horizon de tous. »
N'est-ce-pas là, splendidement résumé, l'itinéraire poétique de
Cesar Vallejo ?

DISCUSSION

M. RODR1GUEZ-MOÑINO.
El señor Sicard nos ha guiado a través de ese hilo blanco para
entender este complejo poema de Vallejo. Aun en los textos
contemporáneos, hace falta unir el amor intenso por el texto y el
conocimiento profundo del poeta y su obra.

(9) Ed. Losada, p. 36.


92 C. de CARAVELLE

M. MONGUIÓ.

Magnífico trabajo de penetración, no sólo en un texto, sino en


el texto con relación a la obra conjunta del autor. Ello aparte, una
pequeña observación, la cual a la vez puede debilitar su
interpretación y, desde otro ángulo, reforzarla. No estoy seguro de que sea
paródica la oposición « ten fuerte en la mano a tu intestino grande ».
En su contexto, intestino y pensamiento (es decir no sólo la figura de
Rodin) se relacionan con algo íntimo del poeta, la corporización
constante, y el intestino representa el pan, el sustento. Y en la
primera poesía de Vallejo, aun en la anterior a los Heraldos negros,
publicada en periódicos trujillanos, el pan que da la madre, o el
padre, no sólo sustenta el cuerpo, sino a la vez el pensamiento y la
comunicación. Pues como usted lo señala muy bien, ambas
vertientes de Vallejo se funden : la vertiente agónica cristiana, la
vertiente dialéctica marxista. Ambas suelen confundirse y la
explicación se dificulta. En Vallejo el pan es eucaristía, y comunión.
Y sin comunión, no hay solidaridad de los hombres. Pienso que eso
de intestino-pensamiento no es paródico, sino que indica la soledad
humana, la falta de comunión. Se refuerza el sentido de soledad
y alienación, con lo que se explica mejor el levantamiento frente
al espejo del hombre alienado. Por otra parte, no entiendo del
mismo modo la palabra recuerda, en el sentido antiguo de «
despierta ». Según el contexto, pienso en el sentido moderno corriente.
Por lo demás, un trabajo magnífico.

M. SICARD.

Encuentro muy penetrante y rica la explicación propuesta por el


profesor Monguió, pero no creo que ambas interpretaciones se
contradigan : como lo acaba de sugerir el Profesor Monguió, su
penetrante explicación me parece que viene reforzar la que propuse,
añadiéndole esa dimensión cristiana que nunca está totalmente
ausente de los poemas de Vallejo.

M. DEVOTO.

Como el profesor Monguió, insisto en la calidad y la generosidad


con que se ha analizado el poema. No una rectificación, sino
ratificación : el señor Sicard comienza el tema del hambre con « y se le
cae a uno a fondo el diente ». Para mí, ese verso, que termina el
tema de la desgracia, es un vers-charnière. No hay nada que ponerse
bajo el diente, sino que « se le cae a uno a fondo ». En la versión
SUR UN POÈME DE CÉSAR VALLEJO 93

tradicional del final « he soñado esta noche que morías », los


sueños son muerte, siempre muerte, presagios de muerte. El temor
del niño al dentista, que compartimos todos, es temor de muerte.
Un sueño premonitorio de cesación de la existencia, no sólo por el
hambre, sino total. El hambre empieza entonces. El diente lleva a la
comida, pero cierra un estado de angustia. Diente sirve de bisagra
para el giro del poema. Enseguida empieza el diente-comer. Creo que
el diente como muerte y necesidad de entierro es algo polivalente
que cabe en el poema. Y la arquitectura se refuerza por el sentido
onírico de caerse los dientes, por la declaración « ha soñado que
morías ».

M. ALVAREZ BRUN.
Por haber nacido en provincia vecina a la de Vallejo, y haber ido
al colegio de Santiago de Chuco, el mismo del poeta, quiero indicar
que en la región se cree con la mayor firmeza que el soñar la caída
de un diente anuncia la muerte de un familiar. Por lo demás, en
los poemas de Vallejo suelo hallar palabras y modismos regionales
que Vallejo ha elevado con su genio poético.

M. DURAND.
En el folklore peruano actual hay dos versiones de una copla
de marinera, que alternan : « Me había quedado dormido, tu
ausencia me recordó ». O bien « me despertó ». El sentido antiguo
de recordar, « despertar », pues, subsiste. Y ya se sabe que en
Santiago de Chuco, zona campesina, la tendencia arcaizante es
muy fuerte.

M. MONGUIÔ.
Creo haberme referido a esa tendencia arcaizante en la tierra de
Vallejo. Ese sentido de « despertar » es normal en el Perú; pero mi
objeción se atiene a la situación de recordar en el poema. En toda
gran poesía, el autor dice algo, a veces vario o ambiguo, lo cual se
puede leer de muchas maneras, de donde vendrán otras tantas
interpretaciones a través de los siglos. Tales variedades o
ambigüedades hacen sobrevivir al poema.

M. CROS.
Très souvent, dans la poésie de Vallejo, on retrouve ces sortes de
prises de conscience quotidiennes. Dans l'expression « Ya va a venir
94 C. de CARAVELLE

el día, ponte el saco », il y a un américanisme; mais je me demande


si ce « ponte el saco » n'est pas tout simplement ponte el cuerpo.
(Relaciona el verso con un despertar doloroso; se refiere también a
la doble dirección en que a menudo se busca el poeta; a veces entre
ese desconocido que es el ser y ese cuerpo y la sensación del estar.)

M. SICARD.

Pour moi, « ponte el saco » c'est une simple façon de dire :


« Lève-toi pour affronter une nouvelle journée ». Mais il est bien
évident que chez Vallejo, tout ce qui de près touche le corps revêt
une très grande dignité.

M. HIGGINS.
Una interpretación acertada, aunque ante el americanismo
« pararte » yo veo una oposición entre « pararte » y « andar », o sea
entre la inmovilidad y la movilidad. Para mí lo fundamental en
Vallejo es su sentido del absurdo. Uno de sus recursos puede ser
presentar las cosas al revés. Así, para enfrentarse al caos del mundo,
al levantarse por la mañana hay que adaptarse, y para andar hay
que pararse.

M. SICARD.

Je crois qu'il y a vraiment un américanisme ici.

M. SALOMON.
En parado Vallejo parece jugar con los sentidos del vocablo; en
otros poemas puede verse, como aplicado a una piedra y también
a un desocupado.

M. FENET-GARDE.

« El estado remoto de la frente », ne serait-ce pas l'état de


sommeil uniquement et non pas l'état d'aliénation ?

M. SICARD.
« El estado remoto de la frente » explique ce qui précède et
n'annonce pas ce qui suit. Cela se rattache, selon toute évidence, à
« espejo tuyo ». J'ai choisi l'interprétation qui me semblait être
dans la logique du poème (en ce qui concerne el espejo-ojo).
SUR UN POÈME DE CÉSAR VALLEJO 95

M. FENET-GARDE.

Est-ce que espejo ne peut pas être le semblable, ton semblable à


toi, ton miroir, l'autre ?

M. SICARD.

C'est une interprétation possible, mais que, personnellement, je ne


partage pas.

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