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L’ INSTITUTION EXORBITANTE .
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Dans la formule de NIBOYET, il faut avant tout retenir d’un côté la diversité
des droits, de l’autre la possibilité d’une collaboration entre ordres
juridiques. La condition de cette coopération inter-ordinale, le ressort de
cette possibilité est la communauté juridique. Au fond, cette coopération
inter-ordinale prend la forme d’un libre échange des institutions ; NIBOYET
précise que tout cela suppose que les institutions étrangères appelées de la
sorte à opérer dans l’ordre juridique du for
« ne soient pas trop distinctes des nôtres, afin que s’établisse ce qu’un vieil auteur
du XVIIIe siècle qualifiait un droit de parcours et d’entrecours1 entre les instituions
des divers pays. Il convient donc, de toute nécessité, qu’il existe un minimum de
parenté entre les législations, soit sur le terrain technique, soit sur celui des
conceptions sociales, c’est-à-dire de l’opportunité. En effet, toute institution se
ramène, en générale, à deux éléments : 1° soit des éléments constitutifs, absolument
comme le sont les rouages d’une mécanique ou le système circulatoire d’un être
humain, et qui obéissent généralement à des règles inéluctables, fonction du
progrès des sciences ; 2° soit des éléments qui découlent de l’idée sociale que le
législateur se fait des choses, compte tenu des influences religieuses, morales,
historiques, politiques ou économiques. La coexistence du technique et de
l’opportun est tellement évidente qu’on ne devrait pas avoir besoin d’y insister,
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bien que parfois elle soit perdue de vue » .
Relevons aussitôt ici, sans nous y attarder toutefois, ce que cette distinction
de NIBOYET doit à François GENY et à son ouvrage Science et technique du
droit privé positif, qui oppose très clairement dans toute législation
l’élément technique et l’élément scientifique – ce dernier correspondant en
gros à cet élément d’opportunité, à l’ordre le l’opportun déterminé par les
valeurs de la tradition, les données religieuses, morales, politiques,
économiques etc.
1
« Droit réciproque de deux ou plusieurs communautés voisines d'envoyer paître leur bétail sur leurs
territoires respectifs en temps de vaine pâture`` (MARION Instit. 1923)
2
NIBOYET, Traité de Droit international privé français, t. 3, p. 497
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Mais au fond, si exacte et pertinente que soit l’analyse sur laquelle repose,
la distinction n’a pas en elle-même une très grande portée. NIBOYET va
conclure en effet que les divergences sont plus graves, plus marquées sur
le terrain de l’opportunité (des valeurs essentielles) que sur celui de la
technique où tous les ordres juridiques modernes pratiquent à peu près les
mêmes procédés. Mais, de toute façon, d’un côté comme de l’autre, c’est la
divergence qui importe. Si celle-ci dépasse un certain seuil, l’exception
d’ordre public s’oppose à l’application de l’institution étrangère
exorbitante que la règle de conflit se propose d’introduire dans l’ordre
juridique du for.
Ces lignes annoncent une certaine rigueur, mais en réalité, cette rigueur,
nous précise-t-on, ne concernera que certaines discordances techniques :
celles qui sont relatives au contenu des droits et non pas celles qui sont
relatives à leur mode d’acquisition.
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Et d’ajouter :
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NIBOYET, op.cit., p. 502
5
NIBOYET, op.cit., eod. loc.
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Il n’est pas sûr que l’évolution du phénomène commande ici cette attitude
de fermeture caractéristique de l’emploi de l’exception d’ordre public ;
l’internationalisation a transformé en profondeur le « phénomène de la
frontière » et conduit à ne plus considérer que ce qui est exotique est
nécessairement inacceptable chez nous. Aussi bien ne faut-il pas être
surpris que soient proposées d’autres démarches que la démarche
traditionnelle de la règle de conflit complétée par l’exception d’ordre
public. Dans un autre monde, d’autres méthodes peuvent se révéler
adéquates.
Ceci dit, il n’est pas question dans ce cours de faire du droit prospectif, du
droit de demain. Le droit d’aujourd’hui, et même celui d’hier suffiront à
combler notre curiosité. L’institution exorbitante sera étudiée sur le mode
critique, si l’on veut bien conserver à ce terme critique son sens
fondamental.
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A l'origine, ce recueil portait le titre Pasicrisie ou Recueil général de la jurisprudence des cours de
France et de Belgique, en matière civile, commerciale, criminelle, de droit public et administratif, depuis
l'origine de la Cour de cassation, jusqu'à ce jour. Depuis 1814, la Pasicrisie belge est le recueil général de
la jurisprudence des cours et tribunaux de Belgique, à laquelle est venue se joindre la jurisprudence du
Conseil d'Etat. Depuis 1998, la Pasicrisie belge ne reprend cependant plus que les arrêts de la Cour de
cassation, rebaptisée ainsi : Pasicrisie belge, contenant les arrêts rendus par la Cour de cassation ainsi que
les discours prononcés devant elle.
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"Notre Revue sera Critique en ce sens qu'elle ne présentera pas les solutions de la pratique sans un
examen doctrinal destiné à les passer au crible de la discussion, et à bien fixer l'importance relative de
chacune d'elles. Pour obéir à cette préoccupation, elle donnera des chroniques de jurisprudence
française et étrangère. Véritables fresques du travail de nos tribunaux, celles-ci porteront sur : la
nationalité, la condition des étrangers, les conflits de lois enfin sur les conflits de juridictions…" J.-P.
NIBOYET, Rev. crit. DIP, 1934, p. VI. Les successeurs de Niboyet ont veillé tout à la fois à adapter la forme
aux évolutions de l'objet et à maintenir l'orientation du projet éditorial, qui se veut doublement critique
par la matière comme par la manière, selon ce qu'indique la suite du texte.
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Mais le système des catégories qui a cours dans l’ordre juridique français
est imparfait ; il n’a pas été élaboré de manière rigoureusement scientifique
comme cela a été fait pour les classifications des êtres animés ou des corps
chimiques. C’est l’expérience qui l’a constitué sur un mode plutôt
pragmatique, sans doute informé par la culture romaniste diffusée par les
universités mais aussi éprouvé par les nécessités de la pratique ; il s’est en
quelque sorte mis en place progressivement au fur et à mesure de
l’évolution de la vie sociale et l’apparition de besoins nouveaux qui n’ont
pas manqué d’entraîner des modifications et des innovations. Par ailleurs il
faut aussi relever que les catégories ainsi élaborées l’ont été dans la vue de
structurer la vie sociale interne ; le droit international privé les emprunte au
droit interne, non pas en raison d’une carence, mais parce que la mission
de la règle de conflit comporte la charge d’introduire dans la vie sociale
gérée par l’ordre du for des situations correspondant le cas échéant à des
institutions étrangères. Il ne lui est pas demandé de bousculer les structures
de la vie sociale interne, mais au contraire et en quelque sorte d’y
acclimater les institutions étrangères. Dans ces conditions, les institutions
exorbitantes qui procèdent d’expériences étrangères à cette vie sociale et
à ses transformations vont produire des situations qui pourraient ne pas
répondre à nos catégories et résister à l’opération de subsomption ; en
effet, bâties sur des modèles inédits en France, ces situations en
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démontrer les qualités que l’expérience n’a pas permis de révéler jusqu’à
présent. Cette vocation à triompher dans le tournoi est la compréhension de
la catégorie dont les éléments discriminants (les points du classement ATP)
circonscrivent l’extension.
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méconnaissent pas les valeurs du for, mais qui, par leur structure et les
moyens qu’elles emploient, n’ont pas d’homologue dans l’ordre du for et ne
s’ajustent pas au droit du for ; il s’agit bien d’institutions inconnues, mais qui
sont seulement des institutions exorbitantes. Il y a ainsi deux espèces
d’institution exorbitante. Ni l’une, ni l’autre n’oppose d’elle-même une
résistance à la qualification du for.
§2 Le désaccord technique.
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Alger, 9 février 1910, Rev. dr. int., 1913. 113, note anonyme
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La Cour situe sans hésiter le rapport entre A. Souissa et Freha Zaouï sur le
terrain conjugal ; il s’agit manifestement pour les magistrats d’Alger d’un
mariage. En effet, après avoir méthodiquement distingué tous les éléments
d’un contentieux complexe, ils en viennent au quatrième point litigieux
pour s’exprimer de la façon suivante :
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Pourtant il n’est pas sûr que l’on soit en présence d’un problème de
procédure. L’éradication de la pratique des catholiques traditionnalistes de
l’époque n’est pas une simple question de procédure, c’est une affaire qui
engage la conception même du mariage ; pas davantage la méconnaissance
de l’article 147 du code civil qui proscrit la conclusion d’un second mariage
avant la dissolution du premier n’est réductible à une simple question de
procédure. C’est bien la régularité au fond du mariage qui est en cause.
Vue sous cet angle, celle-ci n’offre en l’espèce où les intéressés sont
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« Attendu qu’il échet d’infirmer sur ce point la décision entreprise et de dire que,
quant à Freha Zaouï, il n’y a pas lieu à application de l’article 767 ; - Attendu en effet
que Freha Zaouï a renoncé à l’usufruit ; que dans la Ketouba de 1885, elle déclare
expressément qu’elle ne pourra réclamer en dot que 3000 francs et pas autre
chose ; - Attendu que Freha Zaouï pouvait d’ailleurs valablement renoncer à
l’usufruit ; que l’article 767 n’est pas une disposition d’ordre public ; - Attendu que,
relativement à l’usufruit de Freha Zaouï, deux appels incidents ont été relevés de la
décision entreprise, l’un par les cinq consorts Souissa, enfants mâles du premier lit,
l’autre par la dame Lasry, enfant du premier lit également ; - Attendu qu’il y a lieu
de faire droit à ces deux appels incidents […] »
Il faudra revenir sur cet écrit, la ketouba, qui est aussi une institution
exorbitante. Mais pour l’instant il suffit de constater que Freha ne recevra
pas plus que si elle n’avait jamais été mariée à Abraham. La qualification
mariage ne tire pas à conséquence ; elle ouvre sur le vide. C’est à une
observation semblable que se prête l’arrêt qui pourrait bien dans la
chronologie de la polygamie internationale devant les tribunaux français
être le second en date.
A Haïphong, le 16 avril 1918, Kam Yoei Tche a contracté, selon les coutumes
chinoises, une union avec Tsai In Hoa, sa compatriote, dont il aura six enfants
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Hanoï, 24 mars 1949, Rev. crit., 1950.399, note André Ponsard
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Mais sans doute assez tôt après cette première union, Kam Yoei Tche doute de
la capacité de son épouse à satisfaire pleinement ses ambitieux désirs de
paternité ; aussi bien, contracte-t-il, toujours à Haïphong et selon les coutumes
chinoises, une seconde union, le 5 avril 1924, avec Lin Che, dite Lin Chau
Tchen, également sa compatriote, qui lui donnera dix enfants supplémentaires.
M. Kam Yoei Tche ayant été victime d’un accident mortel, ses épouses et ses
enfants ont au procès pénal demandé réparation contre Wei You Tching,
auteur de l’accident, et Kuo Tchin dit Ke Tchieng, civilement responsable.
Voici donc des Chinois qui, en territoire français, pratiquent des usages
chinois – comme cela leur est permis par le décret du 3 octobre 1883 – et
qui prétendent être traités comme mari et femmes alors que la conception
même des unions contractées est passablement éloignée de la conception
que l’ordre juridique français cultive du mariage.
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La Cour de Hanoï n’a, semble-t-il, pas même songé à l’objection qui pouvait
se tirer de cette aggravation de l’inégalité, de cette discrimination portée
au carré ; l’égalité civile, l’égalité des sexes, l’égalité des âmes (si on se
souvient des origines canoniques de l’union conjugale recueillie par la loi
civile), tout cela est sans importance. Le mariage polygamique à la chinoise
est réduit au gabarit des catégories du droit international privé français. La
cour déclare :
« Attendu que les unions dont se prévalent les dames Tsai In Hoa et Lin Che sont
respectivement du 16 avril 1918 et du 5 avril 1924 ; que ces dates ne sont pas
contestées ; - Attendu que en application de la théorie de droit international du
respect des droits acquis, c’est en considération de cette date que la cour doit
apprécier la nature et la valeur des unions contractées par le sieur Kam Yoei Tche ; -
Attendu que ces unions devaient se faire selon les prescriptions du décret du 3
octobre 1883, alors applicable aux Chinois ; qu’en application de ce décret, les
fêtes rituelles chinoises, pour constituer des mariages légitimes devaient
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En 1853, est célébré à Salt Lake City par Brigham Young le mariage Mr
Hyde et Miss Hawkins, fidèles de l’Eglise des Mormons ; les époux sont
originaires d’Angleterre et ils se sont expatriés pour mieux vivre leur foi
auprès du fondateur de l’Eglise des Mormons qui les marie selon le rite
mormon.
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« Attendu que les dames Tsai In Hoa et Lin Che étant des concubines au sens des us et coutumes
annamites, c’est en considération de cette qualité que la cour doit rechercher si ces dames ont subi un
préjudice de par l’accident mortel du sieur Kam Joei Tche – Attendu que cette qualité de concubine ne
peut être écartée en considération du principe que cette institution est contraire à l’ordre public, c’est-à-
dire contraire aux principes du droit civil français ; qu’en l’espèce d’après le coutumes annamites, il est
à retenir que la famille annamite ne fait aucune différence entre les enfants légitimes et naturels, qui
viennent tous à la succession à égalité de parts ; qu’il faut donc en conclure que la concubine s’associe,
sinon en droit, du moins en fait, à la famille annamite ; qu’invoquer le principe de l’ordre public français
serait méconnaître les engagements pris par la France de respecter les us et coutumes des pays placés
sous notre protectorat ; - Attendu qu’il a notamment été jugé que la concubine constituant avec le
concubin une véritable association de fait, cette dernière peut solliciter de la succession une indemnité
du fait de la mort du concubin (Cour d’appel de Hanoï, 4 mai 1938, J.J. janvier 1938, p. 15) ; - Attendu que
ce droit que possède la concubine est un droit d’action en dommages-intérêts contre la succession de
son concubin dont elle ne fait pas partie, et non vis-à-vis des tiers ; le préjudice subi est éventuel et non
certain, et lorsque il provient du fait d’un tiers, il n’est pas direct ; il ne découle pas du droit de
succession qui n’appartient qu’aux héritiers lesquels succèdent aux actions appartenant au de cujus en
l’espèce l’action en dommages intérêts qui a appartenu à Kam Joei Tche, en raison de l’accident qui a
entrainé sa mort… - Attendu que les dames Tsai In Hoa et Lin Che ne pouvant exciper que de la qualité
de concubines, ne peuvent donc réclamer à ce titre, des dommages-intérêts à Wei You Tching et à Kuo
Tchin pour l’accident mortel dont fut victime leur concubin Kam Joei Tche… »
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En 1859 (ou 1860), Mme Hawkins épouse à Salt Lake City le sieur
Woodmansee dont elle aura d’autres enfants.
Appelé à connaître de cette demande en divorce, Sir J.P. Wilde (futur Lord
Penzance) remarque qu’il ne peut accorder le divorce que s’il y a un
mariage valable et non dissous entre Mr Hyde et Mrs Hawkins et que, si tel
est le cas, la conduite de la femme doit être évaluée en tant que cause de
divorce dans son rapport avec le comportement de Mr. Hyde. Or, à y bien
réfléchir, il lui semble qu’il est difficile d’admettre que
Pour établir son opinion, Sir J.P. Wilde s’applique d’abord à définir la
conception du mariage dans la législation anglaise : le mariage est un
contrat, mais aussi une institution, laquelle confère un statut impliquant
droits et devoirs respectifs pour ceux qui l’ont fait naître et dont les
éléments essentiels conduisent à la définir comme
« une union volontaire et pour la vie d’un homme et d’une femme, à l’exclusion
de tous les autres ».
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désigner les sujets de la relation qu’elle caractérise, sont utilisés les termes
mari et femme. Cependant, il ne faut pas succomber à la magie des mots, il
y a mariage et mariage et
« l’emploi d’un terme commun pour exprimer ces deux relations distinctes ne les
transformera pas en une seule et même chose, quoique ceci puisse entrainer la
confusion chez un observateur superficiel… » ;
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« Si, alors, les dispositions adaptées de notre système matrimonial ne sont pas
applicables à une union telle que la présente, y en a-t-il quelque autre à laquelle la
Cour puisse recourir ? Nous n’avons pas en Angleterre de loi conçue à l’échelle de
la polygamie ou ajustée à ses exigences. Et il est permis de douter qu’il arrivera
aux tribunaux de ce pays de sanctionner les devoirs (même ceux que nous
connaissons) inhérents à un système si complètement en désaccord avec la
conception chrétienne du mariage et si révoltant du point de vue des idées que
nous cultivons sur la position sociale qu’il convient d’accorder au sexe faible ».
On perçoit bien l’obstacle : le droit anglais n’est pas équipé pour traiter ce
genre d’union et dès lors ceux qui, comme M. Hyde, demandent un remède
judiciaire ne peuvent que s’adresser ailleurs. Il faut le souligner : le juge
Wilde, en bon anglais, préfère l’approche analytique en ce qu’elle conduit à
accorder la priorité aux éléments techniques : les droits et devoirs
composant en Angleterre le statut du mariage sont la réalité de ce statut qui,
en lui-même, n’est qu’une abstraction commode et opératoire sur le plan du
raisonnement ; ce n’est pas à ce statut que s’ajuste le pouvoir du juge
anglais, c’est aux spécificités des droits et des devoirs incombant à ceux qui
sont husband and wife ; aussi bien ceux qui prétendraient à cette qualité de
gens mariés alors que leur relation s’est organisée sans imposer des droits
et devoirs correspondant à ceux que connaît la loi anglaise n’obtiendront
rien du juge anglais, lequel ne dispose pas de l’outillage adéquat et doit
donc opposer une fin de non recevoir à toute demande qui tendrait à la mise
en œuvre de l’institution étrangère.
12
DICEY and MORRIS, Ch. 17 § 137
31
Donc, pas d’action en divorce pour M. Hyde ; le juge d’Angleterre n’a pas à
modifier l’institution dans laquelle le demandeur a choisi d’entrer lorsqu’à
Salt Lake City, il a obtenu de Bringham Young, fondateur et pasteur de
l’église des Mormons, d’être marié à Mme Hawkins. Ainsi l’incompatibilité
technique entre droit anglais des causes matrimoniales et droit mormon du
Territoire de l’Utah permet de sanctionner le désaccord axiologique, le
désaccord sur le terrain de l’opportunité, comme disait NIBOYET. De cette
manière, la situation concrète est escamotée. Le juge s’appuie sur une
13
A vrai dire c’était aussi la position de Bartin que son particularisme accentué portait clairement au
nominalisme : « une institution étrangère dont la lex fori est hors d’état de fournir la qualification est une
institution qui répugne à son esprit et dont le juge par conséquent n’a pas à tenir compte, à raison de ce
qu’on a si improprement appelé l’ordre public international » BARTIN, « De l’impossibilité d’arriver à la
suppression définitive des conflit de lois », JDI 1897, p. 468.
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33
père, en qualité d’enfants légitimes (The Sinha Peerage Claim, [1946] I All
E.R. 348) et elle a aussi accepté la recevabilité de la demande de divorce
que la seconde épouse, Anglaise d’origine domiciliée en Angleterre, avait
formée contre son mari devant les tribunaux anglais lorsqu’elle eut
découvert par hasard que celui-ci était encore dans les liens d’une première
union au moment où il l’épousait (Bandail v. Bandail, [1946] P. 122). Le
législateur emboîtera le pas et aujourd’hui la solution de Hyde v. Hyde qui
interdit l’accès aux remèdes du droit anglais aux parties à une union
polygamique est abandonnée du fait de son abolition par le Matrimonial
Proceedings (Polygamous mariages) Act 1972 (devenu section 47 du
Matrimonial Causes Act 1973) et on peut considérer que les unions
polygamiques sont reconnus comme mariage de manière générale par le
droit international privé anglais (for most purposes). Le concept de mariage
s’est élargi et déborde les limites du Christian marriage pour absorber des
formes d’union indifférentes au paramètre de l’égalité des époux et
obéissant non pas à la structure du millefeuilles mais à la structure stellaire
caractéristique de la polygamie.
Même ainsi démenti par l’évolution ultérieure, cet arrêt de 1866 reste
intéressant dans son rapport avec les décisions émanées des cours d’appel
françaises précédemment étudiées. Il est intéressant par la similitude des
résultats pratiques atteints, mais il est intéressant surtout par tout ce qui le
sépare des décisions françaises :
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Mais il ne faut pas trop accuser les différences relevées sur les deux rives
de la Mer Manche. La jurisprudence française a aussi pratiqué à l’occasion
l’approche « victorienne ». Le cas est célèbre ; il s’agit de l’affaire De Cousin
de Lavallière qui a donné lieu à un arrêt de la Cour de Nîmes du 17 juin
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14
S. 1929. 2. 129, note Solus, RTDciv, 1929. 1069, obs. E. Gaudemet
15
S. 1934. 1. 121, concl. Pilon, note Solus, RTDciv 1933. 452, obs. G. Lagarde
16
I. FADLALLAH, La famille légitime en droit international privé, Dalloz, 1979, n. 16-21
17
Nîmes, 17 juin 1929, préc.
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37
C’est la même technique que celle de mise en œuvre par Sir J.P. Wilde dans
l’arrêt Hyde v. Hyde : en entrant dans une institution dont les composantes
ne correspondent pas aux exigences du droit français de la formation du
mariage, les intéressés n’ont pas consenti à un véritable mariage ; dès lors,
faute de mariage il n’y a pu y avoir de mariage putatif.
« la cour d’appel, se fondant sur les faits et documents de la cause qu’elle énumère
et apprécie souverainement, a considéré que les dames Kaba n’avaient pu croire,
de bonne foi, contracter des unions produisant, notamment au regard des enfants,
les effets de mariages légitimes ; d’où il suit, abstraction faite de certains motifs
critiqués par le pourvoi, qui sont surabondants, que l’arrêt attaqué, lequel est
motivé et ne contient pas de contradiction dans ses motifs, n’a violé aucun des
textes visés au moyen »
Ce n’est pas dire ici qu’il n’y a pas eu mariage, c’est dire seulement qu’en
raison du défaut de bonne foi détecté par la Cour de Nîmes, il n’y a pas pu y
avoir mariage putatif ; la Cour de cassation n’exclut pas que le mariage
contracté more islamico soit un véritable mariage, et elle l’exclut si peu en
la cause qu’elle relève seulement de défaut de bonne foi des dames Kaba,
or ce défaut de bonne foi n’a de portée que s’il y a eu mariage – ce que nie
la Cour de Nîmes ; néanmoins, elle a eu raison de rejeter les prétentions
des enfants de Cousin de Lavallière qui, d’après ses appréciations de fait,
ne bénéficient pas de la légitimité dont les aurait doté la putativité des
mariages célébrés en la forme coutumière locale.
Mais la Cour de cassation n’a pu en rester là. Elle a fini par admettre
qu’un mariage polygamique contracté à l’étranger en conformité avec la loi
nationale des intéressés non seulement constitue un véritable mariage et
38
doit être déclaré valable dan s la mesure où il respecte les exigence des
lois applicables aux conditions de formation du mariage, mais encore
produit en France tous les effets qui ne sont pas contraires à l’ordre public.
Le pas a été franchi avec l’arrêt Chemouni du 24 janvier 1958.
Avec ses deux épouses et les enfants issus des deux unions, Chemouni
s’établit en France où l’entretien d’un double ménage lui parut assez vite
déraisonnable ; aussi et peut-être animé du désir se conformer aux mœurs
de son pays d’accueil, il abandonne une de ses épouses : il conserve la
première - prior tempore, potior jure - et rejette la Tunisienne Krieff. Celle-
ci est alors contrainte de demander à plusieurs reprises aux juridictions
parisiennes de condamner Felix Chemouni à contribuer aux charges du
mariage. Statuant en appel contre une décision qui n’avait fait droit à la
demande de Mme Krieff que dans des proportions trop limitées, le Tribunal
civil de la Seine (30 mars 1955) s’avise de ce que Felix Chemouni, en
s’installant en France, aurait perdu son statut personnel tunisien et de ce
que la loi française ne pouvait donner effet à une union contraire à l’ordre
public ; le tribunal en conclut que Mme Krieff ne peut réclamer des
aliments.
Le jugement est cassé sur pourvoi de Mme Krieff au motif principal que
39
La Cour vise l’article 3, alinéa 3 du code civil. Par quoi elle ne se contente
pas d’annoncer que le ressort de la cassation qu’elle prononce est
l’atténuation de l’exception d’ordre public. Sans doute aussitôt après le visa
reprend-elle dans un « chapeau » la formule de l’arrêt Rivière18 :
40
Ce n’est pas ainsi que la Cour voit les choses. La référence à l’alinéa 3
marque clairement le parti de la Cour : l’ordre public étant bridé par le jeu
de son atténuation, ne reste active pour soutenir la cassation que la règle de
conflit de lois relative au statut personnel. Il y a d’autant moins d’équivoque
sur ce point que, parmi les conditions justifiant le jeu de l’effet atténué de
l’ordre public, l’arrêt rappelle en termes exprès l’exigence formulée et
déjà mise en œuvre par l’arrêt Rivière, d’une acquisition d’un droit à
l’étranger qui soit « en conformité avec la loi ayant compétence en vertu
du droit international privé français ».
41
19
Trib. gr. inst. Versailles, 2 février 1960, Rev. crit., 1960. 370, concl . Lemant, note Francescakis, JCP
1960. II. 11625, concl. Lemant, obs. Louis-Lucas
20
Grands arrêts, n° 31
21
Cet élargissement n’est pas admis pour l’union polygamique en matière de regroupement familial,
CESEDA art. L 411-6, mais il s’agit alors d’une question de reconnaissance.
22
NIBOYET, Traité, op. cit., p. 502.
42
« Au décès de son mari, [la veuve] devient un élément de l’hérédité. La veuve est
une chose faisant partie de la masse successorale dont la gestion est partagée,
comme tout autre bien de la succession, entre les héritiers du de cujus. Autrement
dit, la veuve est une valeur patrimoniale transmissible à cause de mort ; elle est un
élément de l’actif successoral. Dès lors qu’il est inconcevable de partager la
veuve en nature, la dévolution de celle-ci est organisée de la manière suivante
[…] : L’Ahossi est attribuée en remariage, du moins si elle est encore jeune, aux
frères du défunt, par ordre décroissant dans l’échelle des âges ; si les frères du
défunt refusent, ou s’ils n’existent pas, alors un autre bénéficiaire peut être
désigné, comme un oncle du de cujus ou l’un de ses cousins »26.
23
NIBOYET, op. cit., p. 499.
24
V. supra, p. 25-26, p. 30.
25
C. LEVY STRAUSS, Tristes tropiques, Plon éd., coll. Terrre Humaine, p. 422
26
S. BILLARANT, Le caractère substantiel de la réglementation des successions internationales. Réflexions sur
la méthode conflictuelle, Dalloz, 2004, n.348 et s. p. 394 et s.
43
44
prononcé par la Cour d’appel d’Alger. Mais cet arrêt n’est que la
préfiguration28 d’une quatrième décision, émanée, elle aussi, de la Cour
d’Alger et qui est tout aussi intéressante ; la Cour d’appel d’Alger le 26
janvier 1911 avait à statuer sur l’espèce suivante :
Joseph Houri, Israélite tunisien, protégé italien, est mort en Tunisie sans enfant en
laissant une veuve et trois frères. Ceux-ci agissent contre la veuve qui au décès de
son mari a fait mettre sous scellés l’ensemble des biens de la succession. L’un des
trois frères exerce le lévirat qui est présenté par le tribunal comme
« une institution de droit mosaïque aux termes de laquelle lorsqu’un israélite
décède sans enfants, ses frères, par rang d’âge ont le droit d’épouser la veuve de
façon à continuer la famille ; et le frère qui exerce le lévirat hérite des biens du
défunt, pour les transmettre aux enfants à naître du nouveau ménage ; suivant la
même loi la veuve n’est libérée de cette obligation qu’après avoir mis
successivement, par ordre de primogéniture, ses beaux-frères en demeure de
l’épouser et avoir obtenu d’eux une espèce de mainlevée appelée Halitza (ou
déchaussement) »
Ainsi, en cas de résistance des beaux-frères, la veuve recouvre sa liberté
matrimoniale, mais non sa dot. Mais en l’occurrence la question de la dot se posait,
car le beau-frère dénommé Chaloum qui avait exercé le lévirat s’était ensuite
dédit. Cette dérobade emporta condamnation des frères en qualité de successeurs
à verser à la veuve 6000 frs à titre de dot et une pension de 100 frs par mois jusqu’à
répudiation. Quant à Chaloum, il fut condamné en première instance à payer un
augment de 3000 frs et une somme de 600 frs de dommages-intérêts et il lui fut
enjoint de répudier la veuve sous astreinte de 20 frs par jour29. La décision a été
confirmée en appel par la Cour d’Alger sauf à réduire de moitié les dommages
intérêts mis à la charge de Chaloum.
28
Alger, 14 avril 1908, préc., : « LA COUR : - […] Sur le second moyen : - Attendu que Ruben Azoulaï
soutient que la succession de son fils, le mari de l’intimée [Pia Sarah Attias, Italienne, veuve de son fils
défunt], est régie par la loi de Moïse ; que ladite intimée s’étant mariée sous l’empire de ladite loi, ainsi
que cela résulte expressément de son contrat de mariage, elle ne peut exiger le paiement de sa dot, que
si, après s’être soumise à l’obligation du lévirat, elle en est libérée successivement par tous les frères de
son mari défunt ; - Attendu que le lévirat est uen disposition du droit mosaïque aux termes de laquelle
lorsqu’un israélite décède sans enfants, ses frères, par rang d’âge, ont le droit d’épouser sa veuve de
façon à continuer la famille, et le frère qui exerce le lévirat hérite de tous els biens du défunt pour les
transmettre aux enfants à naître de ce nouveau mariage ; - Attendu que , suivant la même loi, la veuve
n’est libérée de cette obligation qu’après avoir mis successivement en demeure chacun de ses beaux-
frères par ordre de primogéniture de l’épouser et avoir obtenu d’eux une sorte de mainlevée appelée
kalitza ou déchaussement ; - Attendu que le lévirat et la kalitza sont des prescriptions d’un autre âge de
la loi de Moïse que la morale universelle réprouve avec raison de nos jours ; -Attendu que ces instituions
sont aussi contraires à l’ordre public international et notamment à l’ordre public tel qu’il résulte de la loi
italienne qui exige expressément le consentement libre des époux pour la validité du mariage ; -
Attendu que la veuve Azoulaï qui est née et restée Italienne ne saurait être contrainte sous peine de
perdre sa dot à épouser contre son gré l’un quelconque de ses beaux-frères ; - Attendu en conséquence
que Ruben Azoulaï ne peut réclamer à la veuve Azoulaï l’exécution d’une obligation, qui aux yeux de
ladite intimée, doit être considérée comme n’ayant jamais existé ; - Attendu qu’il doit en être d’autant
plus ainsi qu’il est de règle générale que les tribunaux français ne peuvent sanctionner les lois
personnelles d’un étranger contraires aux principes de l’ordre public international […] ; - Par ces
motifs, - Confirme ».
29
Trib. Sousse 14 janvier et 8 juillet 1909, rapporté par D. BODEN, L’ordre public : limite et condition de la
tolérance. Recherches sur le pluralisme juridique, thèse Paris 1, 2002, p. 81 ad notam 140
45
« Attendu que toutes les parties sont d’accord pour reconnaître que la succession
devait être régie suivant la loi mosaïque ; Que d’après les règles de la loi
mosaïque, le règlement de la succession dépend, dans le cas de l’exercice du
lévirat ou droit pour les frères du défunt d’épouser la veuve par ordre de
primogéniture, droit se manifestant par la remise du kebboudchine ou symbole du
mariage, et en prenant fin que par la halitza ou déchaussement ; que si l’un des
frères du défunt a exercé le lévirat par la remise du kebboudchine, il ne peut plus
exercer la halitza, sauf rupture de l’union, ainsi intervenue, par le guitt ou acte de
divorce »31.
46
47
48
a) - s’il est nul et non consommé, le maher n’est pas exigé du non-mari,
qui ne doit assumer aucune obligation et qui doit par conséquent être
restitué s’il a eu l’imprudence de s’acquitter ; en revanche,
34
A cet égard le maher doit être rapproché de la dot ou du libellus dotis offert au Haut Moyen Age par le
futur à sa fiancée et qui était indispensable à la formation du mariage au point que son absence faisait
présumer le concubinage.
35
V. Y. LINANT DE BELLEFONDS, Traité de droit musulman comparé, II, p. 199 et s., P. GANNAGE, J.cl. Dr.
comp. V° Liban (mariage-filiation), fasc. 2, n. 21 et s., et note sous Cass. civ. 1re, 2 décembre 1997,
Kubicka, Rev. crit. 1998. 632, spéc. p. 634, DAVID A., note sous Cass. civ ; 1re, 7 avril 1998, Hamidou, Rev.
crit. 1998. 644, spéc. p. 646, M.-Cl. NAJM, note sous Cass. civ. 1re, 22 novembre 2005, Hamidou, JDI 2006.
1365, spéc. p. 1367 et Principes directeurs du droit international privé et conflits de civilisation. Relations
entre systèmes laïques et systèmes religieux, Thèse Paris II, préface Y. Lequette, Dalloz 2005, n°393 et s.,
qui, omettant la dos ex marito, souligne que l’emploi du terme dot pour traduire maher manquerait de
rigueur en ce qu’il suggère que le créancier est le mari et non la femme ; R. EL HUSSEINI-BEGDACHE, Le
droit international privé français et la répudiation islamique, thèse Paris II, LGDJ éd. 2002, n° 35 et n°63
adopte la traduction dot.
49
50
D’abord, celle-ci n’est pas mentionnée par l’arrêt et il est donc à penser
que les parties ne l’ont pas invoquée devant les juges du fond. Or, en 1978,
la jurisprudence Bisbal40 relative à l’autorité de la règle de conflit à l’égard
du juge n’est pas encore renversée, il s’en faut de dix ans41. Le juge français
n’est donc pas tenu de relever d’office l’internationalité de la situation ni de
mettre en œuvre la règle de conflit :
39
Cass. civ. 22 juin 1955, Caraslanis, Grands arrêts, n° 27
40
Cass. civ. 12 mai 1959, Grands arrêts, n°32
41
Cass. civ. 1re, 11 octobre 1988, Rebouh, Grands arrêts, n° 74
51
Ensuite et c’est une raison tout à fait différente et qui, pas plus que la
première, n’est signalée dans l’arrêt de la Cour de cassation, en matière de
nullité de mariage, la règle est que la loi applicable à la condition violée
est celle qui régit la nullité et ses conséquences (comme les tempéraments
qu’il y a lieu de leur apporter)42 ; en l’espèce le mariage est nul faute de la
célébration requise par la loi française régissant la forme, c’est donc à la loi
française qu’il convient de s’adresser pour déterminer le sort du maher. Pas
un mot pourtant sur le fondement de l’application de la loi française.
42
Cass. civ. 6 mars 1956, Vve Moreau, Grands arrêts, n° 28
43
Il fut l’annotateur de l’arrêt de la Cour d’appel de Hanoï du 24 mars 1949, Kan Chang Hoei, étudié
supra
52
Pareil moyen de cassation était voué à l’échec. Il n’est pas interdit en droit
civil français de poser en condition la célébration ou la non-célébration du
mariage. La condition se distingue précisément par cela qu’à la différence
de la charge, elle ne crée elle-même aucune obligation ; elle n’ajoute
aucune obligation à l’obligation qu’elle affecte mais conserve à celui qui
l’accepte son entière liberté. Je puis vous donner aujourd’hui la somme de
100 000 € sous la condition que vous ne vous mariez pas avant d’avoir
obtenu votre diplôme (clause de célibat, qui ne fait pas peser sur vous une
obligation de ne pas faire), ou encore sous la condition que vous vous
mariez avec la personne qui partage votre vie (donation propter nuptias, qui
ne vous impose pas de convoler). Si vous acceptez ces conditions, vous ne
renoncez pas à votre liberté matrimoniale, vous pimentez seulement son
exercice, dans la mesure où l’avènement de la condition dépend au moins
partiellement de votre volonté. Il est sûr que sur le plan psychologique la
condition peut agir comme une pression qui orientera l’exercice de votre
liberté dans un sens déterminé, mais vous n’êtes nullement exposé au
risque de l’exécution forcée : la condition n’a pas de force obligatoire et
vous ne pouvez être contraint au célibat (on n’annulera pas le mariage que
vous avez contracté au mépris de la clause de célibat) pas plus que vous ne
53
« le fait qu’une somme d’argent ait été versée par le futur mari au père de sa future
épouse en vue de cette célébration et sous la condition résolutoire de non-
célébration ne portait pas atteinte à l’ordre public ni aux bonnes mœurs ».
La Cour aurait pu en rester là. Pourtant, elle a cru devoir préciser que sa
solution, parfaitement classique, s’imposait
54
55
Il faut alors en venir aux pactes successoraux que NIBOYET avait choisis
comme exemple de divergence axiologique. L’expérience
jurisprudentielle récente en la matière est fournie par un jugement du
Tribunal de première instance de Monaco47. Mais dans la perspective du
problème de la qualification l’apport de cette décision est plutôt modeste.
46
Cass. civ. 1re, 24 février 1998, Vialaron, Rev. crit. 1998. 637, note G. Droz, JDI 1998. 730, note E.
Kerckhove, JCP 1998 II 10175, note T. Vignal, RTDciv, 1998. 347, obs. J. Hauser, 458, obs. B. Vareille et
520, obs. J.-P. Marguenaud
47
Trib. pr. inst Monaco, 23 février 1995, Lehmann, Rev. crit. 1996. 439, note B. Ancel
56
par actions l’immeuble qu’il possédait à Munich pour le prix de 3 740 000
DM.
En décembre 1973, l’affaire devient internationale puisque les époux
s’installent à Monaco où M. Lehmann acquiert un immeuble, la « villa
Bagatelle » qui sera bientôt divisée et vendue en appartements. En 1975,
avant que la vente ne soit complète, les époux changent de régime
matrimonial et adoptent la séparation de biens. En conséquence de quoi, ils
se partagent les appartements non vendus.
En juillet 1976, pour la somme de 874 000 DM, Mme Lehmann-
Hammerschmidt vend la propriété de Pöcking reçue en donation moins de
trois ans plus tôt selon un acte notarié où elle était déclarée valoir 24 200
DM (la plus value acquise serait donc de 750 000 DM !).
Le 30 août 1976, les enfants Lehmann, par un nouvel acte notarié, déclarent
renoncer à tout droit, notamment de réserve héréditaire dans la succession
future de leur père – tandis que celui-ci donne les actions d’une société
civile propriétaire d’un terrain à son fils, à charge pour ce dernier en cas
d’aliénation de reverser à sa sœur une fraction du prix. Le fils aliénera le
bien en question et il en retirera 136 000 DM pour son compte et 135 000
DM pour le compte de sa sœur.
La même année M. Lehmann établit une reconnaissance de dettes en faveur
de Lore, son épouse, pour un montant de 1 250 000 DM.
En 1985, par testament olographe, il institue son épouse légataire
universelle et réitère la reconnaissance de dette.
Il décède en 1990, laissant quelques biens mobiliers et un appartement de
58 m2 sis à Monaco estimé 1 100 000 F.
C’est alors que les hostilités commencent.
Les enfants demandent au Tribunal de première instance de Monaco, c’est-
à-dire au tribunal du lieu d’ouverture de la succession, de déclarer nul les
actes du 29 avril 1963 et du 30 août 1976 portant de leur part renonciation à
la succession du premier mourant puis à la succession du survivant. Quelle
règle de conflit mettre en œuvre ?
Il s’agit pour les enfants de convaincre le tribunal de ne pas se tourner vers
la loi allemande qui valide ces opérations, mais au contraire d’en apprécier
la validité au regard de l’article 985 du code civil de Monaco qui prohibe
toute renonciation à une succession non ouverte et interdit toute stipulation
relative à une pareille succession.
57
Au fond NIBOYET avait raison lorsqu’il enseignait que les conflits de valeurs
opposant institution du for et institution étrangère n’étaient pas les plus
difficiles à surmonter. Mais les prémisses de cette conclusion ne sont pas
forcément celles qu’il suggérait. En réalité, une institution étrangère
exorbitante sur le plan des valeurs et des principes est rarement inconnue
de l’ordre juridique du for ; elle est beaucoup plus souvent prohibée par
l’ordre du for. Précisément, si elle est prohibée c’est parce que elle est bien
connue et que ses vices et inconvénients ont été jugés tandis que si une
institution un tant soit peu exotique n’est pas prohibée, c’est que la
contrariété axiologique s’est révélée à l’examen, purement imaginaire. La
58
48
V. supra
59
§ 2 – Le désaccord technique
60
vente d’objets mobiliers corporels, laquelle se refuse également à résoudre la question du transfert de
propriété, qui reste donc dans l’orbite du droit commun des conflits de lois.
50
V. F. FERRAND, Droit privé allemand, Dalloz, 1997, p. 608 et s.
61
A suivre cette directive il faudra admettre que la loi allemande régit en tant
que loi du contrat le transfert des risques entre les parties, tandis que la loi
française indiquerait à partir de quel moment la voiture ne fait plus partie
du patrimoine du vendeur et donc du gage général offert à ses créanciers.
En l’espèce, le risque n’a pu passer à l’acheteur puisque la condition posée
par la loi allemande n’a pas été remplie, le risque est donc supporté par le
vendeur ; en revanche, puisque la voiture est en France, où prévaut le
transfert solo consensu, la propriété est passée erga omnes à l’acheteur et
les créanciers du vendeur ne peuvent plus la saisir, alors qu’au contraire
ceux de l’acheteur le pourraient. L’idée est au fond qu’il n’est pas anormal
de demander à la loi du contrat si celui-ci a ou non la force d’opérer le
transfert inter partes, i.e. de générer une obligation si puissante qu’elle
« s’auto-exécute » ; mais aussi qu’il n’est pas incongru d’interroger la loi
gouvernant le statut du bien et de la propriété dont celui-ci est l’objet pour
savoir à quelles conditions le transfert est opposable aux tiers, à quelles
conditions ceux-ci doivent plier devant le jus prohibendi en quoi se résume
le droit réel pour son titulaire. Comme l’observait BATIFFOL52 :
« la localisation du meuble est un fait extérieur auquel les tiers se fient ; elle
constitue donc le rattachement le meilleur parce qu’il sauvegarde les
relations les plus nombreuses, et le droit vise par lui-même l’intérêt
général. Sans doute le contrat tout entier ne sera-t-il pas soumis à la loi
réelle, parce que la loi d’autonomie répond aussi à des besoins légitimes,
tenant un plus grand compte des convenances des premiers intéressés »
51
Selon la loi allemande du contrat ; la loi allemande subordonnant le transfert des risques à la livraison
effectuée entre les mains de l’acheteur, on supposera ici que la livraison n’a pas eu lieu.
52
H. BATIFFOL, Droit international privé, 4e édition, n°524, BATIFFOL et LAGARDE, Droit international privé, 7e
éd. n°524.
62
53
P. LAGARDE, « Sur la loi applicable au transfert de propriété. Requiem critique pour une convention
mort-née », Liber amicorum Georges Droz, p. 151, spéc., p. 154
63
Il est vrai qu’il a pu être avancé dans un sens différent qu’en réalité la
question de l’opposabilité aux tiers se révélait curieusement surévaluée par
le droit international privé, lorsque ses positions étaient rapportées à celles
du droit civil interne. Ainsi le droit civil français admet en principe pour le
contrat de vente mobilière comme pour tout contrat une opposabilité erga
omnes. Mais il concède une exception dans le cas particulier où le bien a
été vendu deux fois par le vendeur à deux acquéreurs différents. Cette
situation, si aucun acquéreur n’a été mis en possession réelle du bien, se
résout à l’avantage du premier acquéreur ; c’est à celui-ci que le vendeur a
vendu le bien dont il était propriétaire alors qu’il a vendu au second
acquéreur un bien dont il n’était plus le propriétaire du fait de la vente
antérieur (nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet). Dans
cette hypothèse, le contrat de vente conclu avec le premier acquéreur est
opposable au second. Mais si le second acquéreur, devançant le premier,
s’est mis en possession réelle du bien vendu et revendu, à ce moment là,
par exception, l’article 1141 du code civil récompense la bonne foi et donne
la préférence au possesseur :
64
Rattachée à l’article 2279 c. civ. (aujourd’hui art. 2276), cette issue indique
par elle-même qu’en dehors du cas particulier visé (où il s’agit de rétribuer
la bonne foi du possesseur), le transfert solo consensu opéré par la vente est
en principe opposable aux tiers et, de fait, les créanciers du vendeur, dès la
conclusion du contrat en droit français, voient le bien vendu échapper à
leur droit de gage général ; ils suivent la foi de leur débiteur…
Aussi bien, si tant entre les parties qu’à l’égard des tiers le principe est que
le transfert de propriété est efficace, en droit français, du seul fait du
consentement, il faut en projetant ces analyses sur le plan des conflits de
lois affirmer que ce transfert de propriété est dans la dépendance du
contrat, qu’il entre dans la sphère d’autonomie, et par conséquent le
rattacher à la lex contractus.
54
V. J. FLOUR, « Quelques remarques sur l’évolution du formalisme », Etudes Ripert, t. 1, p. 93, spéc. p.
102 : critiquant la dissociation entre effets inter partes et opposabilité aux tiers : « La distinction n’est-elle
pas artificielle, dès lors que l’objet du contrat est de transférer ou constituer un droit dont le propre est
d’être opposable à tous ? Pour un contrat translatif ou constitutif de droit réel, il revient au même de ne
pas exister ou de na pas être opposable »
55
L. D’AVOUT, Sur les solutions du conflit de lois en droit des biens, préface H. Synvet, thèse Paris II,
Economica, 2006, n°141 et s., n° 481 et s.
65
66
56
V. L. D’AVOUT, op. cit., n°487
67
Quelle que soit la voie méthodologique indiquée par les auteurs, il reste
que le désaccord technique repéré par NIBOYET à propos du transfert de
propriété dans la vente n’élève pas un obstacle infranchissable à la
qualification contrat et au jeu du système de règles de conflit du for. Tout au
plus faut-il admettre que la divergence sur les moyens peut inciter à
accueillir à côté du principe de la mise en œuvre de la règle de conflit
relative au contrat de vente, une solution particulière pour régler la
question de la protection de certains tiers de bonne foi57.
Mais en fait, si on parvient à s’en sortir à si bon compte, c’est parce que
l’incorporation du transfert de propriété dans la catégorie contrat n’a pas
rencontré, dans les relations franco-allemandes, une résistance
caractérisée. Au demeurant, les conclusions qu’autorise l’examen de cette
57
Il est bien possible que la solution préconisée par M. KHAIRALLAH soit la plus élégante, mais il est
douteux qu’elle soit venue à l’esprit des juges. La qualification loi de police est pertinente dans la
mesure où la protection du crédit public est élevée au rang d’objectif d’intérêt étatique ou collectif,
voire d’intérêt public, ce qui n’est pas absolument avéré. Le recours à la règle de conflit relative au
statut réel se conçoit pour autant que la protection assurée en France par l’inopposabilité procède à
l’étranger d’une institution détachable du contrat lui-même. En tout cas, c’est bien à la règle de conflit
que se réfère l’arrêt Locautra, Cass. civ. 1re, 9 décembre 1974, Rev. crit., 1975. 504, note E. Mezger, JDI
1975. 534, note A. Ponsard, qui dans le cas de la revente en France d’un matériel que le [re]vendeur
s’était procuré en Allemagne par l’effet d’une vente ensuite annulée approuve la cour d’appel d’avoir
distingué « les questions qui relèvent de la loi du contrat [ : les conditions d’acquisition de la propriété]
et celles qui relèvent de la loi réelle [ la protection de ce droit de propriété]»
68
La même facilité – pour relative qu’elle soit – ne se retrouve pas avec les
sûretés mobilières conventionnelles ; celles-ci ont nourri et embarrassée la
jurisprudence – sans doute parce que l’écart technique entre institutions
françaises et instituions étrangères était plus marqué et moins aisément
réductible .
58
Cass. req., 23mai 1933, Rev. crit., 1934. 142, note J.-P. N(iboyet), S. 1935. 1. 253, note H. Batiffol
69
70
La loi française est bien déclarée applicable selon une formule qui ne
laisse aucune ambigüité.
71
72
73
production en France sur les biens qui y sont situés des effets spécifiques
de l’acte régulièrement conclu à l’étranger. Il s’agissait d’éviter que de
pareilles sûretés sans publicité en France ne créent chez les tiers l’illusion
d’une solvabilité du débiteur. Et pour parvenir à ce résultat les juridictions
françaises ont pensé trouver dans les ressources de la qualification la voie
la plus directe pour aboutir à neutraliser la sûreté étrangère sur un bien
situé en France. Alors qu’en réalité, il leur suffisant de faire appel à l’ordre
public par exemple pour empêcher la production en France des effets des
droits acquis à l’étranger ; l’intervention de l’exception d’ordre public
pouvait être fondée sur la protection du crédit public en France lequel
exigerait que dans les limites du territoire un bien mobilier ne soit l’assiette
d’un droit réel qu’autant que la loi française le prévoie et l’organise
notamment par le moyen de la publicité.
61
Rev.proc.coll. 1988. 305, note Soinne ; v. aussi J.-P. Rémery, La faillite internationale, p. 83.
62
D. 1991. 276, note J.-P. Rémery, JDI 1991. 991, note A. Jacquemont
74
La formule quelle que soit la loi applicable évoque celle que retient l’article
9 du Règlement Rome 1 après l’article 7 de la Convention de Rome et que
retiennent aussi certaines conventions internationales pour caractériser les
lois de police. La Cour de cassation s’est montrée encore plus explicite
dans un arrêt Sté Comast du 8 janvier 200263 :
« Il résulte de l’article 7 de la convention de Rome] que les dispositions de celle-ci
ne pourront porter atteinte à l’application des règles de la loi du pays du juge saisi
qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable au contrat ;
que l’action en revendication à l’encontre d’une société soumise à une procédure
collective ayant été portée devant un juge français tenu d’appliquer les règles qui
régissent impérativement cette situation, c’est à bon droit que la cour d’appel a
écarté l’application du droit italien »
63
Rev. crit. 2002. 328, note D. Bureau
64
V. aussi Cass. civ., 1re, 3 mai 1973, Nederlandsche Middenstands Financierings BanK BV, Rev. crit. 1974.
100, note Mezger, JDI 1975. 74, note Fouchard, Rec. gén. lois, 1974. 453, obs. Droz, réitérant le motif et la
solution de 1933 à propos d’un matériel industriel ayant fait aux Pays-Bas l’objet d’un transfert fiduciaire
de propriété à titre de garantie entre deux sociétés néerlandaises avant d’être introduit en France. Cass.
civ. 1re, 11 mai 1982, Localease, Rev. crit. 1983. 450, note G. Khairallah, D. 1983. 271, note C. Witz,
abandonne la solution et le motif, mais en l’occurrence le bien introduit en France y était détenu et
75
exploité par l’utilisateur en vertu d’une sous-location consentie par un crédit-preneur et ne conférant
qu’un droit personnel non soumis à publicité en France.
65
Revue critique, 1977. 126.
66
V. sur ces problèmes, mais sans soutien positif, les travaux de F. DAHAN, La Floating Charge dans les
rapports internationaux de droit privé (Essai sur la reconnaissance d’une institution étrangère), thèse Paris
1, 1995, et « La Floating Charge : Reconnaissance en France d’une sûreté anglaise », JDI, 1996. 381
67
Stimulant davantage la promotion du crédit que la protection des tiers.
76
77
Mais aux yeux des juges le véritable problème consistait à savoir si, en
premier lieu,
- l'Université de Mourmansk constituait ou non une personne morale
distincte de l'Etat de la République Fédérative de Russie et si, en second
lieu,
69 et aussi des organisateurs français de la revue navale comme de la Fédération de Russie elle-même,
toutes ces parties demandant pour les mêmes motifs la mainlevée de la saisie.
70
Trib. gr. inst. Brest, 24 juillet 2000, Dr. mar. fr. 2000. 1026, Gaz. Pal., 2001, n°161, p. 35, v. G. de LA
PRADELLE, Blocage des comptes en banque de missions diplomatiques et saisie d'un navire d'Etat affecté
à une personne publique, eod. loc., p. 22.
71
L’engagement pris par l’Etat signataire d’une clause d’arbitrage d’exécuter la sentence dans les
termes du règlement d’arbitrage implique renonciation de cet Etat à l’immunité d’exécution, Cass. civ. ,
1re, 6 juillet 2000, Creighton Ltd c. Qatar, Rev. arb. 2001. 114 note Ph. Leboulanger, JDI 2000. 1054 note I.
Pingel, JCP 2001. II. 10512, note Ch. Kaplan et G. Cuniberti, RTDcom 2001. 410 obs. E. Loquin.
78
72
Rennes, 27 juin 2002, DMF 2002. 734, obs. J.-P. Rémery
73
21 Rev. Centr. East Eur. Law [1995] 237, p. 242
79
74
V. R. DAVID, Grands systèmes de droit contemporain, n. 253, BUTLER, Marxian Concepts or Ownership
in Soviet Law, 23 Col. J. Trans'l Law [ 1985] 281 ,
75
"Article 296 : Droit de gestion opérationnelle - 1. Sur le bien qui lui est affecté, l’entreprise publique ou
l’institution exerce les droits de possession, de jouissance et de disposition dans les limites imposées
par la loi, en accord avec les fins de l’activité, les missions assignées par le propriétaire et la destination
du bien.
2. Le propriétaire du bien affecté à une entreprise publique ou à une institution a le droit de reprendre
le bien à concurrence de ce qui est en excédent ou non utilisé ou de reprendre le bien-même s’il n’est
pas exploité conformément à sa destination."
80
76
Mourmansk State Technical University, Université Technique d'Etat de Mourmansk
81
Enfin, il convient d’ajouter que dans les cas où le droit français, par
exception – ordre public, loi de police ou autre –, fait obstacle au droit qui a
pu être acquis à l’étranger, le moment d’intervention ne se situe pas,
comme la jurisprudence Kantoor de Maas-Société DIAC voudrait le faire
croire, en amont du fonctionnement de la règle de conflit, au stade du choix
de celle-ci, avant sa mise en œuvre, mais en aval lorsque les prérogatives
conférées par la loi étrangère se révèlent dangereuses pour les tiers en
France.
82
III. – Le trust.
Il faut bien s’y arrêter – tant la réputation est solidement faite à cette
institution d’être exorbitante et réfractaire à l’analyse civiliste. Cette
réputation est bien méritée, si effectivement il faut se placer au point de vue
de l’analyse civiliste. Mais, rien n’assure que ce point de vue, lorsqu’il s’agit
du choix de la règle de conflit et donc lorsqu’il s’agit de la qualification, soit
suffisant et pleinement adéquat : la qualification repose sur l’analyse de
l’institution sur laquelle s’est modelée la situation qui a donné lieu au projet
ou question de droit, mais elle repose sur l’analyse comme le pied de
l’athlète repose sur le tremplin afin de mieux s’élever et d’accéder au
niveau du jugement synthétique.
83
Mais ce serait laisser croire qu’il n’y a qu’à approuver les positions que
l’auteur établit dans sa thèse. Or cette approbation ne va pas sans quelques
nuances.
84
a) les biens du trust constituent une masse distincte et ne font pas partie du
patrimoine du trustee ;
b) le titre relatif aux biens du trust est établi an nom du trustee ou d’une autre
personne pour le compte du trustee ;
c) le trustee est investi du pouvoir et chargé de l’obligation, dont il doit
rendre compte, d’administrer, de gérer ou de disposer des biens selon les
termes du trust et les règles particulières imposées au trustee par la loi.
Le fait que le constituant conserve certaines prérogatives ou que le trustee
possède certains droits en qualité de bénéficiaire ne s’oppose pas
nécessairement à l’existence d’un trust »80.
Mais pour être à peu près complet dans l’effort de présentation ; il faut aussi
mentionner l’article 4 de la convention qui précise que celle-ci « ne
s’applique pas à des questions préliminaires relatives à la validité des
testaments ou d’autres actes juridiques par lesquels des biens sont
transférés au trustee ». C’est dire d’une certaine façon qu’il ne faut pas
confondre l’acte par lequel un trust est créé et le trust lui-même ; de fait, le
trust est une figure juridique d’exploitation des utilités d’un bien ou d’un
ensemble d’actifs, ce n’est pas en lui-même l’acte qui le met en place.
L’institution d’un trust est en quelque sorte un phénomène parasitaire ; le
trust se greffe sur un transfert de propriété convenu avec le trustee ou
encore sur un testament attribuant les biens en trust à un légataire qui
devient trustee. L’acte juridique qui sert de support au trust est ainsi soumis
à ses propres règles ; il a un régime distinct qui ne relève donc pas de la
convention de 1985, bien qu’au bout du compte il puisse peser sur la
réalisation du trust ; par exemple, si par extraordinaire la loi applicable à la
forme du testament (Convention de la Haye du 5 octobre 1961) annule
celui-ci ou bien si la loi applicable au fond à la dévolution testamentaire qui
régit la disposition de dernière volonté est réfractaire à la création de ce
complexe de relations juridiques caractéristiques de l’institution.
80
« legal relationships created – inter vivos or on death – by a person, the settlor, when assets have been
placed under the control of a trustee for the benefit of a beneficiary or for a specified purpose.
A trust has the following characteristics
a) the assets constitute a separate fund and are not a part of the trustee’s own estate ;
b) title to trust assets stands in the name of the trustee or in the name of another person on behalf of the
trustee ;
c) the trustee has the power and the duty, in respect of which he is accountable, to manage, employ or
dispose of the assets in accordance with the terms of the trust and the special duties imposed upon him
by law.
The reservation by the settlor of certain rights and powers, and the fact that the trustee may himself have
rights as a beneficiary, are not necessarily inconsistent with the existence of a trust ».
85
86
87
aux facultés d’analyse de l’auteur grâce auxquelles elle peut détecter très
exactement l’artifice et constater avec justesse que la qualification dans ces
hypothèses était essentiellement verbale, que le juge cherchait dans le
glossaire de la langue juridique française un terme qui permît
d’appréhender la question de droit posée et qui permît aussi de motiver la
réponse qu’il apportait. Il y a une part de rhétorique, imposée ici par
l’obligation de motivation, laquelle est au fond une obligation de dire les
raisons qui fondent la solution ; pour dire, il faut des mots, il faut un lexique
partagé avec les destinataires de la motivation…
88
Surtout la Cour jugea que le trust était valable. C’est ce qui importe ici.
82
D’après les termes de l’arrêt il semble que les appelants souhaitaient profiter du caractère inconnu du
trust et précisément de la difficulté de le qualifier dans son ensemble, alors qu’ils soutenaient, à bon
escient, une qualification successorale.
89
Retour sur le Sedov et d’autres. Dans l’affaire du Sedov nul ne doutait que
les droits de l’Université de Mourmansk relevaient de la loi russe ; seul
embarrassait le problème de l’incidence exacte de ce droit de gestion
opérationnelle sur le droit de gage des créanciers de la Fédération de
Russie : la Compagnie Noga pouvait-elle saisir le voilier ?
Dans les affaires Kantoor de Maas et Société DIAC, la Cour de cassation avait
choisi de se placer sur le terrain de la validité de la clause conférant la
sûreté et, ayant retenu l’application de la loi française du lieu de situation,
elle avait ainsi de manière quasi expresse jugé que la sûreté globalement
considérée entrait dans la catégorie du statut réel. Mais on sait que cette
qualification était commandée par la volonté de fonder (non pas la nullité,
mais) l’inopposabilité de la sûreté étrangère aux créanciers du possesseur
du bien en France. Seulement pour refouler aux frontières les droits issus
de la sûreté allemande, la Cour de cassation a cru devoir balancer le pavé
de l’ours et, pratiquent un a fortiori, s’en prendre à la validité de l’acte :
quod nullum est, nullum effectum producit. En l’espèce, la Cour de Paris va
qualifier l’institution de manière tout aussi tendancieuse, mais
apparemment dans le dessein inverse d’assurer la pleine efficacité en
France de l’acte passé sous la loi américaine.
90
Dans sa note à la Revue critique 1972, p. 530, DROZ approuve la solution aux
motifs que la réalisation de l’attribution mortis causa au bénéficiaire selon la
volonté du settlor incombe au trustee et qu’il n’est pas possible de négliger
la position ce celui-ci à cet égard, laquelle procède du contrat. Or, plaide le
commentateur, ce serait négliger cette position du trustee, en aggravant ou
même seulement en altérant les engagements qu’il a pris, si on appliquait à
leur exécution une autre loi que celle sous l’autorité de laquelle les parties
ont placé leur contrat. L’argument est faible : en acceptant le trust et les
fonctions qui lui étaient proposées, le trustee a dû ou aurait dû envisager
(spécialement s’il est, comme en l’espèce, un professionnel du trust) les
diverses éventualités susceptibles d’influer sur la nature et l’étendue de ses
charges et il n’a pas ou n’aurait pas dû négliger les risques inhérents à la
constitution d’un trust mortis causa, révocable ou modifiable ad libitum par
le constituant qui ne lui pas promis de ne jamais changer de domicile83. La
démonstration de Droz ne peut donc absoudre la Cour de Paris du « péché
d’amalgame » (si c’en est un) ni de sa pratique de la « qualification
fonctionnelle » qui en l’occurrence lui permettait de fourrer le contrat d’un
trust mortis causa, alors qu’on se trouvait certainement dans un cas où le
dépeçage était on ne peut plus légitime, quoi qu’en pense Mme GODECHOT.
83
Il faut d’ailleurs remarquer qu’en l’espèce d’une part la dame de Hénin était toujours domiciliée à
Paris au moment de son décès comme elle l’était au moment de la constitution du trust, d’autre part que
la Pennsylvania Company n’a pas été troublée dans sa gestion du trust par la modification de la
désignation des bénéficiaires survenue en 1934, puisque celle-ci ne lui avait pas été signifiée et qu’elle
ne semble avoir été davantage perturbée par la régularisation de cette modification opérée la Orphans
Court de Philadelphie en 1948.
91
« il importe peu que ce contrat ait eu pour effet entre la constituante et le trustee un
démembrement de propriété admis par la loi américaine mais inconnu en droit
français dès lors que les biens affectés par ce démembrement étaient situés en
Amérique et que l’exécution du contrat devait se poursuivre dans ce pays […] »
92
« n’a pas, en l’espèce, à rechercher si les droits des bénéficiaires sont nés dans
des conditions compatibles avec l’ordre public français, mais seulement si ces
droits, nés sous l’empire de la loi étrangère compétente, sont eux-mêmes
compatibles avec cet ordre public ; au surplus les exigences de l’ordre public
français en la matière ne sauraient être tenues pour impérieuses puisque notre
droit admet la révocabilité de certaines libéralités, notamment celles qui résultent
des stipulations pour autrui et, en particulier, des assurances sur la vie »
Il faut croire que les catégories sont souples, ce qui n’étonne pas s’il est vrai
que le système de catégories est « le produit de l’expérience juridique et
93
Ainsi s’agissant des décisions relatives aux sûretés réelles mobilières, elle
n’hésite pas à procéder une qualification globale de l’opération, dans son
ensemble, qualification statut réel, qui permet d’aboutir à la loi française
prohibitive des pactes commissoires et en principe à une nullité qu’il lui
faut aussitôt convertir en inopposabilité, ce qui est bien suffisant dès lors
que la question de droit à résoudre est limitée à l’exercice d’un droit de
préférence. La qualification tendancieuse déporte les problèmes vers l’aval
et contraint ici à malmener la loi française qui ne reçoit pas l’application
que ses termes promettent.
Ainsi avec le trust, lui aussi qualifié dans son ensemble, mais cette fois pour
déboucher sur une loi étrangère permissive, complétée par un contrôle de
l’ordre public. Derechef la qualification tendancieuse n’empêche pas le
déport des problèmes vers l’aval.
A. La substitution
Zieseniss, Civ. 1re 20 février 1996, Rev. crit. 1996. 692, note Droz, chron. Y.
Lequette au D. 1996, doctr. 231
Eckensberger, Paris, 26 juin 1981, Rev. crit. 1982. 537, note B. Ancel, Cass.
civ. 1re, 22 avril 1981 et Cass. civ. 1re, 15 février 1983, Rev. crit. 1983, 645,
note B. Ancel
B. L’adaptation
94
Le conjoint survivant
95
96
- 1. Les lois de chaque Etat ont autorité dans les limites de son territoire et
obligent tous ses sujets, mais pas au-delà ;
- 2. Sont réputés sujets d’un Etat tous ceux qui se trouvent à l’intérieur de ses
frontières, qu’ils y demeurent à titre permanent ou à titre temporaire ;
84
F.K. Savigny, Traité de droit romain, trad. Guenoux, 2e éd. Paris 1860, repr. Ed. Panthéon-Assas, 2002,
av.-propos H. Synvet, §361 – 5, p. 131 : « Ce n’est là qu’une pétition de principe ; car pour reconnaître si
des droits sont bien acquis, il faut tout d’abord savoir d’après quel droit local nous devons juger de leur
acquisition ».
85
U. HUBER, Praelectiones juris Romani et hodierni, Franeker, 1689, devenues Praelectiones juris civilis
dans l'édition de Leipzig de 1707, De conflictu legum, n. 2 , V. trad. fr., B. ANCEL et H. MUIR WATT, « Du
conflit des lois différentes dans des Etats différents », Mélanges J. Héron, Paris , p. 1 et s.
97
- 3. Les autorités des Etats, par courtoisie, font en sorte que les lois de chaque
peuple, après avoir été appliquées dans les limites de son territoire,
conservent leur effet en tout lieu, sous la réserve que ni les autres Etas, ni leurs
sujets n'en subissent aucune atteinte dans leur pouvoir et dans leur droit.
La question de la loi applicable reste enfouie dans le principe de
territorialité fondé sur une certaine conception de la souveraineté des
ordres juridiques.
En bref, le premier axiome nous dit que chaque ordre juridique est
exclusivement maître de la teneur et de l’application du droit sur son
territoire et qu’il est dénué de toute compétence normative sur ce qui se
passe hors de son territoire. Le deuxième axiome traduit en termes de
compétence – ou, dans une langue plus philosophique, en termes
d’impératif – cette souveraineté à l’égard des personnes : l’ordre juridique
local est compétent pour gouverner la conduite de toute personne se
trouvant sur son territoire, qu’elle y demeure pour y avoir fixé son domicile
ou qu’elle n’y soit qu’en villégiature ou simplement en transit.
98
99
Cette union sans complémentarité des sexes est exorbitante par rapport au
droit civil français, qui ne connaît sur le mode unisexe qu’un partenariat -
communauté de vie conventionnelle. Néanmoins dès lors qu’un mariage
100
A vrai dire, la solution a sans doute quelque chose de magique qui fait
impression sur beaucoup d’esprits. Deux françaises qui se livreraient à
cette cérémonie espagnole sans rencontrer d’objection en Espagne où elles
ont résidé suffisamment longtemps pour se ménager l’accès auprès de
l’officier de l’état civil local seraient en France considérées comme mariées
l’une à l’autre, alors même que leur loi nationale commune leur interdit ce
genre de mariage. Puisque cela s’est passé à l’étranger sous la protection
du droit étranger, le pavillon couvre la marchandise et il n’y aurait rien à
redire la dessus en France, en dépit du fait que les mêmes personnes
n’auraient pu d’après les règles de conflit françaises régissant leur état et
capacité, obtenir le même résultat en France ou des autorités françaises à
l’étranger. Le droit acquis à l’étranger serait ainsi reconnu en France.
86
HUBER, op. cit.
87
Jus gentium, l’expression est ici utilisée dans son sens originel ; il n’y avait à Rome qu’un seul justum
matrimonium, celui du jus civile accessible en principe aux seuls citoyens romains. Les unions
conjugales des non-citoyens relevaient des lois pérégrines, du droit étranger et elles étaient alors
conclues iure gentium. Huber imagine ici qu’une loi étrangère autorise l’union incestueuse.
88
Ce n'est pas entre droit frison et droit hollandais, mais entre droit écossais et droit anglais qu'à plus
d'un siècle de distance s'est jouée dans les mêmes termes pour connaître la même issue l'affaire du
mariage du cornette Dalrymple v. Dalrymple v. Dalrymple, (1811) 2 Hag. Con. 54, 161 ER 665.
101
toutefois, si un Frison allait en Brabant avec la fille de son frère pour l'y
épouser et revenait ici ensuite, l'union ne semble pas devoir être reconnue,
parce que de cette façon notre droit serait bafoué par les pires exemples;
et là-dessus importe l'observation suivante; il arrive souvent que des
jeunes gens encore sous curatelle désirant sceller leurs secrètes amours
par le mariage se rendent en Frise Orientale ou autres lieux où le
consentement au mariage des curateurs n'est pas exigé conformément aux
lois romaines, lesquelles sur cet article n'ont plus cours chez nous. Ils y
célèbrent le mariage et regagnent aussitôt leur Patrie89. Je suis d'avis que
cette manœuvre manifestement ne tend qu'à la ruine de notre droit et qu'en
conséquence nos juges ne sont pas tenus par le Droit des gens90 de
reconnaître pareilles noces et les réputer valables91; et de beaucoup il
vaut mieux affirmer que contreviennent au Droit des gens92 ceux qui, le
sachant et le voulant, offrent aux ressortissants d'un autre Etat de partager,
en raison de sa complaisance, un droit contraire aux lois de leur patrie ».
Ainsi sauf ordre public, si l’union est incestueuse par exemple, ou sauf
fraude à la loi dans le dernier cas envisagé, la reconnaissance de la
situation modelée sur une institution exorbitante s’impose.
89
Gretna Green a donc pu trouver son modèle hors des Îles britanniques.
90
Cet appel au Droit des gens marque bien que la reconnaissance du droit acquis à l'étranger est une
obligation née de la dialectique des souverainetés pour l'Etat d'accueil dont il ne peut se libérer que
dans des cas exceptionnels où son identité est menacée.
91
A noter que Story s'oppose sur cette question à Huber en refusant la sanction de la fraude préférant,
en considération des enfants, un mariage frauduleux à un mariage nul mais consommé.
92
Intéressante tentative de normalisation de l'exception de Comitas : la réaction de rejet du for d'accueil
est légitimé par le manquement de l'Etat d'origine à ladite Comitas.
93 A propos d’une adoption-protection prononcée par un jugement malien (Paris, 4 juin 1998, Rev. crit.
1999. 108), Mme MUIR WATT donne sur ce point des explications qui pourraient, par généralisation et au
prix de quelques retouches de vocabulaire, être transposées à l’hypothèse de la reconnaissance des
situations constituées à l’étranger ; ainsi lorsqu’elle écrit (Rev. crit. préc. p. 116, n. 10-11) que « la
fonction de la reconnaissance s’épuise dans la constatation de l’aptitude de la décision [ : situation]
étrangère à produire un effet normatif quant aux points de droit qu’elle tranche [ : établit] sans préjuger
aucunement de la qualification de son contenu. C’est pourquoi il est indifférent, tout d’abord, que les
catégories du for ignorent l’institution étrangère qu’elle met en œuvre… L’objet propre du contentieux
de la régularité n’est pas de qualifier le contenu de la décision [ : situation] étrangère, car une telle
qualification ne prend son sens qu’en vue de la réalisation d’effets attachés à l’état de droit qu’elle
consacre, en vertu d’une règle distincte ».
102
Cette doctrine des droits acquis est plus ancienne que l’Ecole hollandaise.
Celle-ci n’est que le développement d’un mode de gestion spécifique du
droit des conflits qui apparaît dès les origines de la discipline et qui
pourrait être appelé mode de gestion vertical de la pluralité des ordres
juridiques ; ce mode de gestion (on dirait assez volontiers aujourd’hui,
« cette méthode » comme on parle de la méthode de la reconnaissance)
s’oppose sur le plan historique comme sur le plan théorique au mode de
gestion horizontal, lui aussi apparu dès les origines de la discipline et qui a
dominé et sans doute dominera encore longtemps la matière en dépit de
contestations épisodiques –à l’échelle des siècles.
Il convient de jeter un coup d’œil sur ces deux approches avant d’examiner
le sort que leur réserve aujourd’hui la jurisprudence confrontée aux
institutions exorbitantes.
103
Jus commune et jura propria. Aux XIIIe-XIVe siècles, la division des tâches
entre les deux puissances suprêmes, le Saint-Siège et l’Empire, confie
l’administration du temporel à ce dernier – lequel s’en acquitte en
s’appuyant sur le droit romain, qui avec la renaissance du XIIe siècle est
celui fixé par Justinien, complété par le droit canonique pour former le jus
commune. Mais l’Empereur (Princeps) n’exerce pas son dominium mundi de
manière uniforme ; sa faiblesse relative l’oblige à composer avec la
diversité des potestates locales et spécialement, avec la diversité des
pouvoirs municipaux (civitates sibi principes). Son aspiration à l’universalité
qu’il n’est pas en mesure de satisfaire par la voie d’une législation
commune à l’ensemble de ses sujets, passe par l’affirmation de
l’universalité du jus commune, mais non par l’affirmation de son exclusivité.
Ne disposant pas en fait des moyens d’empêcher les potestates locales de
légiférer ou de maintenir les coutumes répondant aux besoins locaux,
l’Empire s’en accommode en feignant de croire ces foyers législatifs
municipaux ou régionaux ne sont que des pouvoirs dérivés de sa propre
puissance et que les statuts et coutumes, jura propria, qu’ils produisent ne
104
105
106
étage, c’est au jus proprium du situs rei de dire si pareille construction est
permise ou non. De la sorte, d’en haut, par une relation verticale entre
l’Empereur et la cité, se détermine grâce à cette distinction des statuts le
domaine d’action normative concédé à chaque potestas locale.
98
Comp. L. CONDORELLI, La funzione del riconoscimento delle sentenze straniere, Milan, 1967, p. 14 et s.
99
Bartoli Sassoferratei In primam Codicis Partem Praelectiones, Lyon, 1546, n. 50 du commentaire sur
Cunctos populos où l’auteur affirme le caractère extra territorial à l’égard de la femme qui s’est
soustraite à l’exécution de sa peine en s’enfuyant du lieu de son domicile où elle a encouru une
condamnation au bûcher : sans doute l’exécution ne peut avoir lieu, du moins la mort civile qui s’attache
à la condamnation a effet au lieu de refuge, car les décisions de ce genre qui « emportent réduction de
l’état affectent la personne et la suivent telle la lèpre le lépreux » (v. « Le Commentaire de Bartole ad
legem Cunctos populos sur la glose Quod si Bononiensis, mis en français », in Mélanges Anne Lefebvre-
Teillard, Ed. Panthon-Assas, 2010, p. 53 et s.) ; v. aussi eod. op. , n. 32
107
Le facteur déterminant n’est pas la forme que revêt le produit normatif, mais
la compétence reconnue à son auteur et le problème à résoudre est celui
d’une répartition des compétences dont la clé est fournie par les règles de
conflit relatives au statut personnel et au statut réel.
100
BARTOLE, op. cit., , n°47
101
BARTOLE, op. cit, n. 50
102
Eod op., n. 40
103
Eod op., n. 36
104
pouvoir de légiférer, distingué du pouvoir de juger (potestas adjudicandi) et du pouvoir de
contraindre (potestas cogendi) selon une trilogie scholastique qui se retrouve telle quelle dans le
Restatement (third) of the Foreign Relations Law of the United States, St Paul Minn., 1987, vol 1, p. 230 et s.
108
105
REVIGNY, Ad legem Properandum § Sin autem (C., 3,1, 13 , §3) reproduit par MEIJERS in Etudes d’histoire
du droit international privé, (traduction TIMBAL et METMAN) Paris, 1967, p. 126-127 ; BARTOLE lui emboîtera
le pas.
106
L. CONDORELLI, La funzione del riconoscimento di sentenze straniere, p. 7 ad notam, v. aussi n. 9
109
C’est dire qu’avec ce mode de gestion vertical, il n’y pas lieu de distinguer
dans l’arsenal du droit international privé entre règle de conflit de lois et
règles de conflit de juridictions – entre règles de compétence ou règles de
reconnaissance.
107
Art. 218, gl. 6, n. 4
108
Commentarius ad Pandectas, L. I, Tit. IV, De statutis, n.1
109
U. HUBER, De conflictu legum, préc., n. 2 : « Les autorités des Etats, par courtoisie, font en sorte que les
lois de chaque peuple, après avoir été appliquées dans les limites de son territoire, conservent leur effet
en tout lieu, sous la réserve que ni les autres Etats, ni leurs sujets n'en subissent aucune atteinte dans
leur pouvoir et dans leur droit » .
110
« celui qui est pourvu d’un tuteur ou d’un curateur par le juge compétent
[est] entravé par cette tutelle ou curatelle à l’égard de n’importe lequel de
ses biens en n’importe quel lieu qu’il se trouve. Ceci ne procède pas
seulement de l’autorité du seul statut, mais aussi de l’autorité du droit
110
Eod. op., n. 3, et pour d’autres application n.6 et n.12.
111
V. B. ANCEL et H. MUIR WATT, « Du statut prohibitif (droit savant et tendances régressives) », Mélanges
Bruno Oppetit, p. 7 et s.
111
« qui sont carrément exorbitantes comme celle qui donne au tuteur le droit
de jouissance légale qui s’ajoute au droit d’administrer les biens du pupille
ou du mineur. Un tel droit exorbitant ne s’étend pas au delà des biens
situés dans le ressort du statut qui le confère, parce qu’il porte davantage
sur les choses et les biens qu’il n’entre dans le gouvernement de la
personne, même si le tuteur ou curateur a le soin de la personne. C’est
qu’ayant le soutien du droit commun la protection de la personne s’étend
ainsi partout : au contraire, le droit de faire les fruits siens, parce qu’il est
réel, ne peut se porter hors du lieu où le statut l’accorde…»113.
Et il a déjà été relevé que le troisième axiome de HUBER comportait la
réserve s’opposant à la reconnaissance des droits acquis à l’étranger « que
ni les autres Etats, ni leur sujets n’en subissent aucune atteinte dans leur
pouvoir et dans leur droit »
112
Conclusiones, p. 556
113
Ibidem
112
114
Cass. Civ., 19 avril 1819, Grands arrêts, n°2.
113
s’effacer devant la coutume, « les seigneurs et le roi par dessus eux doivent
respecter et ‘garder’ la coutume », selon ce qu’observait P. C. TIMBAL115.
114
Et c’est cet élément rationnel qui seul importe dans le conflit de coutumes
parce que précisément les coutumes se distinguent les unes des autres par
leurs contenus respectifs ; c’est cette différence de teneur, cette variation
de l’élément rationnel, qui complique l’existence des individus lorsque
leurs intérêts viennent à se développer simultanément dans deux ou
plusieurs collectivités coutumières : le divergence entre les règles
coutumières est source d’embarras et c’est en cela qu’il y a conflit. C’est le
sort des sujets d’obéir aux règles, mais encore faut-il savoir à laquelle il
convient d’obéir. Toute la dimension du pouvoir, du commandement, et
partant de la compétence, qui n’est que délimitation du pouvoir de
commander, reste hors champ.
118
P.C. TIMBAL, op. cit.,
115
Celle-ci demande d’abord que le régime qui sera imposé ne constitue pas
un obstacle au développement normal de la relation, c’est-à-dire ne la
soumette pas à des contraintes plus sévères et plus nombreuses que celles
qui s’appliquent aux relations internes ; c’est ce que recherche le procédé
des règles de conflit de lois lorsque élisant une loi il exclut toutes les autres,
de sorte que, comme dans les hypothèses purement internes, le sujet n’est
tenu pour une même question que par une seule règle.
Cette justice conflictuelle veut ensuite que cette règle de droit - qui est
destinée à servir de modèle de conduite (future) avant de devenir un outil
de jugement (des conduites passées) - ne soit imposée qu’à ceux qui sont
en mesure de la connaître avant d’agir et ainsi de l’observer spontanément.
Cette requête d’accessibilité à la règle conduit assez naturellement à
119
V. supra n°4
116
120
Egalité des coutumes en ce sens du moins que sur le immeubles situés à Villeneuve et à l’égard des
Villeneuviens (il s’agit de Villanova Regis, devenue Villeneuve-sur-Yonne et non de Villeneuve-sur-Lot
dont les habitants sont les Villeneuvois) la coutume de Villeneuve a la même valeur et autorité que la
Coutume de Paris sur les immeubles situés à Paris et à l’égard des Parisiens.
121
Au temps médiéval, aucune prime à la lex fori, qui n’existe pas dans la consistance qui lui est
aujourd’hui donnée et qui associe aux dispositions relatives à la procédure, un jeu complet de règles de
fond que naturellement le juge a quelque scrupule a écarter en faveur d’une loi étrangère, même si
celle-ci est désignée par une règle de conflit (c’est toute la question du statut procédural de la règle de
conflit et de son application d’office), alors que jadis elle se limitait à n’être qu’un stilus curiae
fournissant les ordinatoria litis, et laissant les decisoria litis aux diverses coutumes touchées par la cause ;
au demeurant, le ressort de chaque juridiction embrassait plusieurs détroits coutumiers de sorte
qu’aucune des coutumes qui y avaient cours ne pouvait revendiquer la qualité de lex fori.
117
La première de ces deux questions est celle de l’extradition, qui est cette
institution en vertu de laquelle le prévenu d’une infraction qui est détenu
par l’autorité judiciaire du lieu de son arrestation est remis à l’autorité
judiciaire qui est compétente pour connaître du délit et qui manifeste la
volonté d’exercer cette compétence. A l’évidence, le mécanisme est
destiné à garantir le respect et donc la réalisation des règles distribuant la
compétence entre les juridictions. J. de REVIGNY confère à ce mécanisme un
caractère quasi-automatique : Ego dico quod remittendus sine causae
cognitione delicti122. Le fait que le juge saisi de la demande d’extradition
doive s’abstenir de connaître de la cause au fond révèle l’existence active
d’un système commun de répartition de la potestas adjudicandi, aux termes
duquel il doit s’effacer devant le juge compétent. C’est bien ainsi que
l’entend le Parlement de Paris123.
122
Ad authenticam Qua in provincia (C,3, 15, 2), repr. in MEIJERS, Etudes d’histoire du droit international
privé, p.167 ; il faut avoir présent à l’esprit qu’à cette époque la matière délictuelle est mixte, mi-pénale,
mi-civile.
123
V. MEIJERS, Etudes…, op. cit. , p. 31 et s.
118
Cela suffit pour que se retrouve ici dans l’espace du Royaume cette facilité
de circulation assurée par le mode de gestion vertical ou impérial, mais
naturellement, au seul bénéfice de l’action normative des juridictions, c’est-
à-dire des jugements – à l’exclusion donc de l’action normative des règles
124
Ad legem Properandum § sin autem (C, 3, 1, 13, §3), repr. in MEIJERS, op. cit., p. 126 ; Dans son cours à
l’Académie de droit international, MEIJERS (« L’histoire des principes fondamentaux du droit
international privé… », Rec. cours La Haye, 1934, III, 547, spéc. p. 632) observe que tous les auteurs de ce
temps « reconnaissent ainsi qu’un jugement prononcé dans un Etat peut être exécuté dans un autre, soit
par suite de lettres réquisitoires du juge qui a prononcé le jugement, soit par l’intermédiaire d’une
action nouvelle se fondant sur la sentence (NEUMEYER, p. 106, note 1, G. DURANT, Speculum, tit. De exec.
sent. § nunc est dicendum in fine, BARTOLE, ad D. 42, 1, 15, 1 § Sententiam) ; le second procédé, celui de
l’actio iudicati, est utilisé en Italie (dans les pays de jus commune, v. A. MIELE, ), le premier, celui des
lettres rogatoires est sanctionné par le Parlement de Paris.
125
Ordonnance de Saint Germain en Laye de 1667, tit. 17, art. 6
126
V. Art. 41, 53 et 54 Règlement Bruxelles I, où les « lettres rogatoires » ou « réquisitoires » sont
devenues « certificat ».
127
P. de FONTAINES, op. cit. eod. Loc.
128
V. B. BASDEVANT-GAUDEMET et J. GAUDEMET, Introduction historique au droit - XIIIe-XXe siècles, 2e éd. p.
123 et s.
119
Ce mode de gestion royal, dualiste, est celui qui domine encore aujourd’hui
le droit international privé positif français, faisant preuve d’une continuité
admirable, quoique parfois bousculée – régulièrement en doctrine qui
longtemps reste majoritairement statutiste, mais aussi en pratique
notamment au XIXe siècle sous l’influence combinée de la codification et
d’auteurs tels que Mancini, Pillet etc. Mais il faut aussi relever que la
frontière séparant les domaines respectifs du mode horizontal et du mode
vertical, du conflictualisme et du statutisme, manque à tout le moins de
fermeté. Il n’est pas surprenant que le mode vertical, celui de la
reconnaissance des droits acquis ou du statutisme, s’efforce de repousser
l’autre, puisque précisément il ne distingue pas entre les différentes formes
que revêt l’action normative et est prêt à régir aussi bien le sort
international des règles que celui des décisions et, à vrai dire, de tous les
actes et faits juridiques. De fait, il se manifeste très tôt et de manière
durable dans le champ que revendique le conflit de lois, avec le
phénomène des lois de police par exemple. Plus inattendues sont, en sens
contraires, les immixtions du conflit de lois dans le domaine du mode de
gestion vertical, spécialement de la reconnaissance des décisions ; ainsi,
ouvertement jusqu’à l’arrêt Cornelissen129, la régularité internationale d’un
jugement au regard de l’ordre juridique français dépendait, entre autres,
de sa conformité au système français de conflits de lois : le juge étranger
devait avoir respecté les règles de conflit françaises – et il n’est pas avéré
que cette intrusion soit définitivement condamnée, car elle pourrait bien
encore être observée de manière clandestine dans certains cas sous le
masque complaisant d’une intervention de l’ordre public130. Toutefois,
129
Cass. 1re civ., 20 février 2007, Rev. crit. 2007. 420 et la note, D. 2007. 1115, note L. d’Avout et S. Bollée,
JDI 2007. 1195, note F.-X. Train, et B. ANCEL et H. MUIR WATT, in Mélanges H. Gaudemet-Tallon, p. 136 et s.
130
Trib. gr. inst. Paris, 26 novembre 2008, Rev. crit., 2009. 310 et la note
120
121
Il faut noter aussi au passage cette affaire apporte la preuve une nouvelle
fois de ce que les constructions intellectuelles comme ces idéal typen que
constituent les deux modes de gestion de la diversité à l’instant évoqués, se
réalisent rarement à l’état pur dans l’histoire. Ce sont des recompositions
artificielles, des œuvres de l’esprit que la complexité delà sociale et
juridique se plait à perturber. En l’occurrence, il fallait une donnée
exceptionnelle pour que la théorie des droits acquis, issue du mode de
gestion vertical, puisse s’emparer d’une situation non judiciaire. Cette
donnée consistait dans l’existence, à vrai dire marginale, de deux ordres
juridiques au sein du Royaume comme s’il y avait eu contamination du
modèle impérial ; le roi avait admis que s’établisse et perdure en France à
côté de l’ordre juridique de droit commun un ordre juridique particulier,
propre aux réfugiés juifs expulsés de la Péninsule ibérique.
122
132
AN Y1664, DENISART, op. cit, p. 569, MERLIN, op. cit. p. 160-161
123
133
Selon MERLIN, op. cit., p. 155 : « Henri II régnait alors : il les accueillit avec bonté et leur accorda des
lettres-patentes qui leur permirent d’entrer dans le royaume, d’en sortir, d’aller et venir sans aucun
trouble ni empêchement. Cet exemple a été suivi par les successeurs de Henri ; et de règne en règne ;
ces lettres patentes ont été renouvelées avec l’extension de pouvoir vivre selon leurs usages, et défenses
de les y troubler, TANT EN JUGEMENT QUE DEHORS. Enfin, Louis XVI les a confirmés dans leurs privilèges dès
les premières années de son règne, et leur a accordé de nouvelles lettres-patentes au mois de juin
1776… »
124
travaux et de faire accéder par les décrets de 1790-1791 les Juifs à la peine
citoyenneté française.
L’exigence d’acte notarié. ii) Il faut noter également qu’il convient de faire
la preuve, selon les exigences du droit commun, par acte notarié, de
l’accomplissement effectif des démarches dictées par la loi juive et dont
l’ordre juridique royal impose l’observation en l’espèce. A proprement
parler, l’intervention du notaire n’est pas ici une cristallisation qui
dévoilerait la prise en charge de la dissolution du mariage par le droit
hébraïque ; pareille cristallisation ne relève pas en principe du droit de
l’ordre requis, mais des autorités dont les diligences sont prévues et
organisées par l’ordre d’origine. La minute est ici l’ouvrage du notaire
royal et non pas, évidemment des rabbins qui ne sont pas investis de
125
126
Ce qu’il faut retenir ici, c’est que dans un système de conflit en principe
d’obédience conflictualiste, l’exception statutiste peut se manifester en
diverses occasions – pour faire triompher notamment les lois de police du
135
L’histoire des époux Peixotto se dérobe ici ; les démarches prescrites par le Châtelet ne seront pas
entreprises, Sara Mendès d’Acosta décédant avant qu’elles ne soient engagées et c’est donc une
dissolution mortis causa qui interviendra pour mettre un terme à ce procès, sinon aux démêlés
judiciaires de Samuel Peixotto, v. sur ce point M. HUMBERT, art. préc. p. 310
136
Les Juifs portugais sont-ils ou ne sont-ils pas régnicoles ? V. M. HUMBERT ; op. cit., p. 314 et s.
137
Les circonstances évoquées à la note 48 empêcheront de faire fonctionner la réserve ; il aurait été
intéressant de voir le développement de la procédure fixée par le Châtelet à cet égard, compte tenu,
d’une part, du caractère unilatéral et discrétionnaire de l’acte de dissolution en la cause et aussi, d’autre
part, du fait qu’avant le décès de son épouse Samuel Peïxotto était passé en Espagne, s’y était fait
baptiser et avait présenté à l’évêque de Siguenza requête pour faire décider que sa conversion
emportait annulation de son mariage (v. M. HUMBERT, op. cit., eod loc.), de sorte qu’il aurait sans doute
été difficile au juge civil d’admettre qu’un divorce pût être invoqué par un converti pour se libérer d’un
lien régulièrement constitué avant sa conversion (v. Parl. Paris 2 janvier 1758, Borach-Levy, A. N. X1A
7826, f°328, v. DENISART, 8e éd. préc. v° Divorce, §III, p. 569, cité par J. HUDAULT art. préc. p. 538, objectant
que « la loi qui concerne l’indissolubilité du lien… a pour objet le bon ordre et le maintien de la
société »).
138
Faut-il esquisser ici un parallèle avec la jurisprudence que la Cour de cassation a inaugurée le 17
février 2004, à propos des répudiations unilatérales et masculines pratiquées dans certains pays
d’obédience coranique (arrêts Aït Amer et Khireddine Rahmani, Rev. crit., 2004. 423, note P. Hammje, JDI
2004. 1200, note L. Gannagé, Grands arrêts, n°64) ? N’ayant pas à leur disposition le Protocole n°VII
additionnel à la Convention européenne de sauvegarde les droits de l’homme et des libertés
fondamentales, le Châtelet et, au besoin, le Parlement après lui eussent certainement trouvé quelque
moyen de refouler la répudiation (ne serait-ce que du côté du caractère purement discrétionnaire)…
Mais poursuivre sur ces suppositions, ce serait entrer dans le champ de la jurisprudence-fiction…
127
139
V. B. ANCEL et H. MUIR WATT, « Du statut prohibitif (Droit savant et tendances régressives », Etudes à la
mémoire de B. Oppetit, p. 7 et s.
140
E. PATAUT, Le renouveau de la théorie des droits acquis, Trav. com. fr. DIP 2006-2008, p ; 71 et s.
128
141
V. commentaires de P. HAMMJE, Rev. crit. 2009. 483 et s., P. CALLE, Defrénois, 2009. 1662
129
130
les bornes de son imagination. Ce risque serait retombé sur les partenaires
ayant opté pour ces constructions exorbitantes en les privant de la
possibilité d’exercer en France les droits qu’ils étaient censés en tirer.
Une catégorie vorace. Ceci étant, l’article 515-7-1 place sous l’autorité de la
loi du l’Etat de l’enregistrement la totalité de l’aventure partenariale :
conditions de formation et effets du lien, conditions et effets de la
dissolution. C’est là faire preuve d’une vaste ambition et ne pas reculer
devant les complications. Mais l’idée fondamentale est qu’il aurait été
déraisonnable ou en tout cas inapproprié de scinder conditions et effets
d’un côté, et formation et dissolution de l’autre. Ces éléments sont traités
par les législations nationales de manière globale et solidaire : à conditions
simples, effets réduits – les précautions ne s’imposent pas pour un maigre
profit (c’est de l’analyse économique du droit) ; à conditions strictes, effets
importants ; à formation lourde et solennelle, dissolution lourde et
solennelle, mais à formation légère, dissolution simplifiée. Ce
conditionnement mutuel n’empêche pas que, comme souvent avec les
institutions sans substrat naturel, chaque loi reste libre de se situer où il lui
convient sur l’échelle de la rigueur ou du libéralisme, de sorte que le droit
comparé ouvre un large éventail à la diversité : autant de lois, autant de
partenariats, tot leges, quot consortia, diraient les lettrés. De cette manière,
en évitant le morcellement de l’institution, sont prévenues les incohérences
qui résulteraient de l’application, d’une part, d’une loi sévère aux
conditions de formation et, d’autre part, d’une loi avare de conséquences
aux effets d’un partenariat international ou encore de la désignation, d’un
côté, d’une loi imposant un formalisme simplissime pour la création du lien
et, de l’autre côté, d’une autre loi prodigue en solennités pour la
dissolution. Mais il est vrai que cela n’empêchera pas les difficultés de
surgir en aval de la reconnaissance142.
142
V. P. HAMMJE, art. préc. p. 488 et s.
131
132
ii) A quoi il faut ajouter que cette disposition du code civil ne peut
sérieusement être représentée comme une règle de conflit de lois
classique, bilatérale, opérant parmi les lois au contact desquelles se trouve
le partenariat un choix qui serait à la fois élection de l’une et exclusion de
toutes les autres. Bien au contraire, l’article 515-7-1 est prêt à s’aligner sur
n’importe quelle loi et, de la sorte, se dérobe au choix. Or le choix est, on l’a
vu, caractéristique du mode de gestion horizontal qui ne se réfère pas à
133
l’élément impératif des règles en présence, qui est indifférent au cercle des
destinataires desquels chacune entend obtenir obéissance. Il ne considère
que la diversité de la teneur des règles en concours et se détermine en
fonction de la nature du rapport de droit que ces règles s’offrent à régir. Ce
n’est évidemment pas ce que fait l’article 515-7-1 qui en vérité ne choisit
aucune loi.
143
R. MUSIL, L’homme sans qualités, éd. du Seuil
134
135
144
M. VARGAS LLOSA, La tía Julia y el escribidor, 1977 ( : La tante Julia et le scribouillard, 1980)
145
J. BEALE, Treatise on the Conflict of Laws, 1935, §8A-9 et s.
146
Comp. art. 370-5 c. civ.
147
P. HAMMJE, art. préc. p. 489, où sont mentionnés l’article 58 de la loi belge du 16 juillet 2004, l’article
2, §5 de la loi néerlandaise du 6 juillet 2004, l’article 17b, §4 EGBGB.
136
ii) Le refus de coordination. Mais ce n’est pas la seule limite qui tienne en
échec la reconnaissance en France d’un partenariat enregistré à l’étranger.
Il en est une autre, tout à fait incongrue, que pose l’article 515-7-1 lui-même
à l’encontre de son dessein qui est, d’après les meilleurs commentateurs,
de répondre « aux objectifs mêmes du droit international privé dans le
domaine de l’état des personnes […], mais également aux exigences
communautaires imposant aujourd’hui une reconnaissance facilitée de l’état
des personnes, au nom de la libre circulation des personnes, voire de la
citoyenneté européenne, et au nécessaire respect dû à la vie familiale des
individus tel qu’envisagé par la convention européenne des droits de
l’homme »148. En effet, ne bénéficieront de la bienveillance de l’article 515-
7-1 que les partenariats obéissant « aux dispositions matérielles de l’Etat de
l’autorité qui a procédé à [leur] enregistrement ». Or, dans l’hypothèse d’un
partenariat conclu entre deux personnes de nationalité différente et/ou
domiciliées respectivement en des pays différent, l’Etat du lieu
d’enregistrement, face à cette situation internationale, n’aura pas
nécessairement appliqué les dispositions matérielles de son droit ; le
rapport étant marqué d’extranéité, il aura fait jouer ses règles de droit
international privé lesquelles auront pu bien conduire à l’application d’une
loi qui n’est pas la sienne. Dans ce cas, point de faveur et, à vrai dire, point
de solution ; le bénéfice de la reconnaissance est refusé, mais l’article 515-
7-1 n’indique pas ce qu’il faut faire de ce partenariat dont il n’est pas exclu
qu’il soit régulier partout ailleurs qu’en France.
148
P. HAMMJE, art. préc. p. 484
137
lois classique. Et il a souhaité que cette règle de conflit de lois classique soit
la plus simple et la plus favorable possible à l’institution. En conséquence, il
a interdit que la désignation de l’ordre d’enregistrement se prolonge par la
prise en compte des règles du droit international privé de celui-ci ; ce
faisant, contrevenant au mode de gestion vertical, il refusait de s’aligner sur
le point de vue de l’ordre compétent, sur le point de vue de l’ordre de
l’enregistrement, alors qu’il a cru ne faire autre chose que protéger le
partenariat de la complication du renvoi – sans doute aussi parce qu’il lui a
semblé qu’en légitimant le tourisme partenarial, c’est-à-dire le choix de
l’ordre d’enregistrement par les intéressés eux-mêmes, il s’effaçait devant
l’autonomie des parties, avec laquelle, on le sait, le renvoi n’est pas
compatible. Par cette bévue sur la nature de la règle qu’il édictait, il n’a fait
que rétrécir le champ d’efficacité de celle-ci : ne seront reconnus en France
que les partenariats conformes au droit matériel du pays de
l’enregistrement, et seront laissés de côté, privés de liberté de circulation,
privés de vie familiale normale, tous les partenariats dont le pays de
l’enregistrement a exigé qu’ils respectent un droit matériel étranger
désigné par ses solutions de conflit.
138
Dans ces conditions, l’exclusion du renvoi par cet article 515-7-1 offre un
exemple rare de traitement discriminatoire ouvertement imposé par la loi.
Le Français qui contracte un partenariat dans un pays étranger qui prescrit
le respect de la loi française ne bénéficiera pas de la reconnaissance tandis
que bénéficiera de la reconnaissance le Français qui contracte un
153
Lequel auteur ne récusait que la construction intellectuelle échafaudée par BEALE ; W. W. Cook
soutenant pour sa part que chaque Etat est dans son propre ordre juridique maître du sort qu’il convient
de réserver aux situations qui par certains de leurs éléments sont au contact d’Etats étrangers, sans que
les réactions de ces derniers doivent commander l’attitude du premier : Local Law Theory
154
V. supra.
139
Mais il ne faut pas trop espérer. Il n’est pas sûr, en effet que la question
prioritaire de constitutionnalité ni l’exception d’inconventionnalité soient
jamais soulevées ; c’est que, assez généralement, les ordres juridiques qui
connaissent le partenariat se préoccupent surtout de délimiter la
compétence de leurs autorités d’enregistrement et alignent
paresseusement la détermination de la loi applicable sur leur choix de
compétence, se satisfaisant de la formule forgée par NIBOYET : auctor regit
actum. Il s’ensuit que bien rares seront probablement les cas dans lesquels
le partenariat enregistré à l’étranger n’aura pas été conclu sous l’empire de
la loi du pays de son enregistrement. Les occasions manqueront ainsi en fait
de soulever les questions de conformité aux traités ou à la constitution.
140
Dans les deux cas, l’ordre juridique du for est confronté à une institution
étrangère exorbitante – d’ailleurs formellement prohibée par son droit
interne – et, dans les deux cas il est confronté à une tentative de pénétration
qui trouve ou voudrait trouver son vecteur dans un acte instrumentaire
public. La figure n’est pas absolument inédite ; elle avoisine celle de
l’affaire Peixotto où le Châtelet avait exigé un acte notarié attestant
l’accomplissement des formalités requises par la loi mosaïque ; elle
141
Affaire Mennesson. A vrai dire, il n’est pas tout à fait juste de dire que
cette affaire a confronté l’ordre juridique français au problème de la
maternité de substitution accomplie à l’étranger. Car, en fait, ce problème
a été posé de manière oblique ; les intéressés, qui se sont trouvés être les
défendeurs dans la procédure, avaient pensé pouvoir faire avaler par
l’ordre juridique français l’institution exorbitante de la gestation pour
autrui par le simple effet de transcription sur les registres français de l’état
civil des certificats et actes de naissance établis en Californie et imputant
légalement la maternité à la femme « commettante » ou « commanditaire »
de l’opératrice ou gestatrice américaine. C’est donc sous l’angle
bureaucratique, celui des écritures, des registres que la résistance du droit
français est éprouvée et non pas directement au fond. Voici les
circonstances qui sont au départ de l’affaire.
Mariés depuis plusieurs années, Dominique et Sylvie Mennesson, de
nationalité française, savent qu’en raison de quelque déficience de
l’épouse, ils ne pourront jamais avoir d’enfant. Ils décident d’utiliser les
facilités que les sciences médicales, le droit californien et certaines
femmes américaines peuvent offrir. Se rendant en Californie, ils sont mis en
contact avec une dame Mary Ellen Floyd, qui se porte volontaire pour
suppléer Sylvie dans la fonction de gestatrice, dans le respect des lois et
procédures californiennes. Les époux Mennesson obtiennent ainsi le 14
juillet 2000 une décision de la Cour suprême de Californie leur conférant «
la qualité de père et mère des enfants à naître portés par Mary Ellen Floyd,
la gestatrice, depuis mars 2000, conformément à la loi de l’Etat de
Californie qui autorise, sous contrôle judiciaire, la procédure de gestation
pour autrui aux termes du Family Act Section 7630 et 7650, sous protocole
médical par recours à une fécondation in vitro avec gamètes de Dominique
Mennesson et Mary Ellen Floyd et gestation par cette dernière ». Le 25
octobre 2000, - Valentina, Léa, Désirée et Fiorella, Pearl, Isadora, deux
jumelles, naissent à La Mesa, comté de San Diego où sont établis des
142
1°) il n’y a rien de contraire à l’ordre public à transcrire sur les registres de
Nantes des actes régulièrement dressés aux Etats-Unis en conformité d’un
143
155
Paris, 25 octobre 2007, D. 2007. AJ. 2953, obs. F. Luxembourg, JDI, 2008. 145, note G. Cuniberti, Gaz
Pal, 2008. 20, note G. de Geouffre de La Pradelle, Defrénois 2008. , n°38717, obs. Chendeb,
156
P. LAGARDE, note précitée p. 325 : « Les parents de l’enfant ne peuvent plus invoquer en France les
actes de naissance établis à l’étranger. L’enfant est privé en France de filiation maternelle et peut-être
aussi de filiation paternelle, comme l’indique l’arrêt cassé de la Cour d’appel de Paris. C’est en effet la
transcription de l’acte de naissance dans son ensemble, indiquant les filiations maternelle et paternelle,
qui est annulé. Si les parents ne sont pas mariés, le père pourrait certes reconnaître l’enfant. S’ils sont
mariés, le père le pourrait également, théoriquement, reconnaître l’enfant comme adultérin et né de la
mère porteuse, mais ce serait contraire à la réalité psychologique et sociale, et même à la vérité
juridique, car il n’y a pas d’acte de l’état civil établissant la maternité de la mère porteuse ». Au pluriel, il
aurait été plus exact de parler des « commanditaires » et non des « parents de l’enfant », puisqu’en
l’espèce l’épouse du père n’est en rien la mère de l’enfant. Il aurait été aussi plus juste de concéder
qu’en aucun cas l’enfant n’est privé de filiation, il est seulement privé de la faculté d’invoquer des
instrumenta travestissant la réalité de sa filiation. Enfin, il aurait été plus franc de reconnaître que le
commanditaire qui se trouvait être le père biologique avait la faculté d’établir volontairement sa
paternité tandis que la sous-traitante, mère de substitution, dont la maternité n’était pas constatée dans
les actes de l’état civil n’était pas dans une situation plus dramatique que celle de la mère qui en France
a accouché sous X et n’a pas reconnu l’enfant.
157
V. H. MUIR WATT, European Federalism and the «New Unilatéralism», 82 Tulane L. Rev., 1983 (2008), p.
1991 s.
144
C’est bien cette théorie que l’arrêt retient aussi dans son premier motif :
formellement régulier, l’acte de naissance étranger doit être réputé
exprimer la réalité substantielle. Manifestement, la Cour de Paris présente
le syndrome des vrais faux-papiers dont on pouvait croire jusqu’à présent
qu’il affectait, outre quelques prévenus « en cavale », les immigrants
clandestins et les bénévoles « solidaires » : si le document produit, aussi
mensonger soit-il, a toutes les apparences du document officiel, sa
régularité externe rend indiscutables les qualités qu’il atteste et convertit
en comportement déloyal tout contrôle qui serait exercé à l’initiative de la
partie à qui on l’oppose. A beau mentir qui vient de loin…
158
V. L. d’AVOUT, note préc. : « l ‘existence d’un acte public ou d’une décision de justice étrangère ne
font pas écran au conflit de lois préexistant ; les actes attribuables à une autorité publique, au lieu
d’éteindre en toute circonstance le conflit de lois, ne font parfois que le raviver »
159
Ce n’est pas la première fois que la Cour de Paris s’autorise à mettre en œuvre cette théorie du
mensonge ; v. Paris, 11 juin 1994, 0smar B. alias Jessica, Rev. crit., 1995. 308, note Y. Lequette.
145
146
et doit même refuser d’accorder autre chose, un aliud, que ce qu’il est
habilité à accorder.
161
Cass. civ., 1re, 18 juillet 2000, Wallon, Rev. crit. 2001. 349, note H. Muir Watt : c’est en principe le
jugement étranger qui doit être transcrit et non l’acte de l’état civil dressé en application de celui-ci ;
par aillerus l’acte de l’état civil étranger « reconstitué » en vertu du jugement d’adoption prononcé à
l’étranger indiquait un lieu de naissance fictif.
147
En dehors des cas spécifiés par la loi (art. 422 c. pr. civ.), le ministère
public « peut agir pour la défense de l’ordre public à l’occasion des faits qui
portent atteinte à celui-ci » (art. 423). C’est cette voie de droit ouverte au
parquet qui complique ici sensiblement les choses dans la mesure où elle
est exercée non pas en vue de faire déclarer la nullité de la filiation, mais
d’obtenir directement et exclusivement l’annulation de la transcription.
148
« ne fait pas obstacle à l’action de ministère public puisqu’il [art. 47 c. civ.] vise
l’acte instrumentaire lui-même qui fait foi de ses seules constatations matérielles,
mais ne concerne nullement les questions d’état »
162
Note préc.
149
Retour à la Cour de Paris. C’est dans ces conditions que l’affaire fait retour
devant la cour d’appel de Paris autrement composée. Le ministère public
appelant du jugement de Créteil, demande, d’une part, que son action soit
déclarée recevable – pour quoi il a l’appui de l’arrêt de cassation – et,
d’autre part, que soit prononcée l’annulation de la transcription des actes
de naissance. Ceux-ci ont été dressés en exécution de la décision de la
Cour supérieure de l’Etat de Californie du 14 juillet 2000 et, soutient-il,
forment avec elle un ensemble indissociable ; la transcription donnerait
effet au tout en France. Or, il se trouve qu’au principe de ces opérations il y
a une gestation pour autrui qui contrevient à l’ordre public (art. 16-7 et 16-9
c. civ.) et qui va prospérer en France à l’abri de la transcription. La
transcription n’est pas faite pour servir de couverture aux violations de
l’ordre public.
Les époux Mennesson voient plus grand et formulent en réponse toute une
série de demandes. Certaines ne sont en réalité que des arguments
d’ambiance, destinés à exercer une sorte de pression morale sur la cour
d’appel ; cela justifie moins les honoraires que la demande d’honoraires…
C’est ainsi qu’est sollicité un sursis à statuer au prétexte que le législateur
150
151
« L’action du ministère public ne vise pas à contester l’état des enfants, mais à
écarter les effets en France de leur état civil établi aux Etats Unis »
152
163
Idée déjà exploitée par Paris, 26 février 2009, JCP 2009. n°26, 22 juin p. 17, note A. Mirkovic
153
164
Au demeurant, la contestation au fond engagerait le sort du jugement étranger imputant la maternité,
or du point de vue du Registre civil, la reconnaissance d’un jugement aux fins de transcription passe
(hors traité) par la procédure d’exequatur« Il ne peut être procédé à aucune inscription en application
d’un jugement ou d’une décision étrangers qui n’ait force de chose jugée en Espagne ; ainsi, pour y
procéder il faudra obtenir préalablement l’exequatur », Règlement sur le Registre civil, art. 83. En
l’espèce, cette disposition n’intervenait pas, puisqu’il s’agissait de l’efficacité d’un acte de l’état civil,
pour lesquels pareille procédure judiciaire n’est pas prévue : art. 81 « L’instrument authentique, qu’il
soit en original ou en copie, qu’il soit judiciaire, administratif ou notarial est un titre d’inscription du fait
dont il fait foi. De même l’instrument authentique étranger, avec autorité en Espagne conformément aux
lois et aux traités internationaux »
154
Cette dissociation est parfaitement admise par la DGRN qui (V., septimo)
reconnaît que
« l’acte de l’état civil californien est dressé aux seules fins d’attester la filiation des
enfants et fonde une présomption de paternité qui peut être détruite par décision
de justice [selon le droit californien, tandis que] la transcription sur le Registre civil
espagnol de l’acte de l’état civil californien produit les effets indiqués par les lois
espagnoles sur les Registres […] Pour quoi, toute partie ayant qualité peut attaquer
le contenu de ladite inscription par la voie civile ordinaire devant les tribunaux
espagnols ».
Cette séparation de l’instrumentaire et du substantiel, la Cour de Paris la
pratique elle-même sur le plan procédural pour délimiter l’objet de la
demande, puisqu’elle tient à préciser :
« l’action du ministère public ne vise pas à contester l’état des enfants, mais à
écarter les effets en France de leur état civil établi aux Etats-Unis »,
155
« l’acte de naissance ayant été établi en exécution du jugement d’adoption, son sort
est inexorablement lié à celui de ce dernier. Si le jugement lui-même… s’avère
165
Sauf le cas où il y aurait une convention, par exemple, bilatérale prévoyant un régime particulier de
reconnaissance pour les jugements d’état ; dans cette hypothèse le chef alimentaire bénéficierait du
régime communautaire ou des facilités de la Convention de la Haye de 1973 tandis que le chef d’état
bénéficierait du régime résultant de la convention bilatérale.
166
V. Cass. civ. 1re, 12 juillet 1994, Rev. crit., 1995. 68 et la note, spéc. pp. 77-78 et Mélanges Sturm, p.
1343 et s.
167 Cass. civ. 1re, 12 novembre 1987, Rev. crit. 1986. 557, note E. Poisson Drocourt, D. 1987 . 157 note J.
Massip, 18 juillet 2000, Epoux Wallon, Rev. crit., 2001. 349, note H. Muir Watt
156
irrégulier, l’acte reconstitué pour tenir compte du nouvel état civil de l’adopté
tombe ainsi de son socle168 »
Par le jeu de cette indissociabilité (le terme est repris de l’arrêt Wallon de
2000), la transcription demandée par les époux Mennesson se trouve
pareillement subordonnée aux conditions de régularité des décisions
judiciaires selon le droit commun français des effets des jugements. Il
apparaît dès lors qu’il n’y a quant au travail juridictionnel à effectuer dans
le périmètre de la demande d’annulation de la transcription, aucune
différence avec celui exigé par une demande de reconnaissance de
jugement. La Cour de Paris qui était en ligne avec la DGRN sur le plan de
l’objet de la demande, rejoint la Cour de Bari sur le plan de son traitement
juridictionnel.
157
La DGRN ne s’est pas accordée cette facilité ; il est vrai qu’elle a conclu à la
régularité des actes de l’état civil californien et à la possibilité de leur
transcription ; s’il suffit que manque une condition de régularité pour que la
reconnaissance reste hors de portée, à l’inverse celle-ci ne peut être
acquise que s’il est établi que toutes les conditions de régularité sont
réunies. Il était donc nécessaire de vérifier l’absence de fraude à la loi.
Quoi qu’il en soit, la DGRN croit pouvoir remarquer que
« Les intéressés ne se sont pas servi d’une « règle de conflit » pas plus que de
quelque autre norme dans le dessein d’éluder une loi impérative espagnole. Il n’y a
pas eu de modification du point de rattachement de la règle de conflit espagnole,
par exemple, par un changement artificiel de la nationalité des enfants pour
provoquer l’application de la loi de Californie grâce à la création d’une connexion
existante, quoique fictive et vide de contenu, avec l’Etat de Californie ».
La formule est intéressante, de même que le visa sous lequel elle se place,
essentiellement celui de l’article 12. 4 Codigo civil qui énonce que
« sera considérée comme une fraude à la loi l’utilisation d’une norme de conflit
dans le but d’éluder une norme impérative espagnole ».
346 et la note
158
171 par la référence à l’arrêt Cornelissen qui a précisément expulsé le règlement du conflit de lois du
processus de vérification de la régularité.
172 Comp. BUREAU et MUIR WATT, n° 267 et n°279 ; v. Cass. civ. 1re, 1er mars 1988, Rev. crit. , 1989. 721, note
A. Sinay-Cytermann, Cass. civ. 1re, 6 juin 1990, Rev. crit. 1991. 593, note P. Courbe, D. 1990. Som. com.
265, obs. B. Audit
159
La fraude est ainsi démobilisée dans ces trois affaires. En revanche, l’ordre
public est bien sollicité.
160
trouve encore dans les liens d’une première union. D’après la Cour de
Paris les articles 16-7 et 16-9 du code civil sont aussi exigeants et aussi
têtus que l’article 147 du code civil et, exprimant aussi l’ordre public
international français, ils tiennent en échec la décision californienne :
i) En premier lieu, la cour admet qu’il peut être incommode pour les
jumelles ou pour les personnes qui en ont la garde de ne pas disposer des
facilités que procure la transcription lorsqu’il conviendra de faire en
France la preuve non contentieuse de leur état, mais elle juge que la
173
Art. 3 : « 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions
publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes
législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. 2. Les Etats parties
s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des
droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de
lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées ».
161
complication des démarches que cela impose aux intéressés (qui, a-t-elle
noté, se rendent « régulièrement aux Etats Unis pour leurs activités
professionnelles ») est infiniment moins grave que la publication
d’informations pêchant par défaut et dissimulant une infraction lourde à la
prohibition française qui n’a certainement pas été édictée de manière
arbitraire, pour nuire aux enfants, mais qui répond à des motifs d’intérêt
général, social et collectif. La proportionnalité joue contre les intimés.
« au regard du droit français, se verraient priver (sic) d’actes d’état civil indiquant
leur lien de filiation, y compris à l’égard de leur père biologique ».
C’était, on l’a dit, évidemment faux ; les actes américains ne pouvaient être
annulés par un juge français. La seule incidence en France de la non-
transcription - faut-il y insister ? - n’est pas l’anéantissement des actes
étrangers, mais la nécessité d’aller chercher des copies ou extraits auprès
du service de l’état civil de San Diego. Pour le reste, la filiation biologique
ou autre n’est pas en cause. Dès lors, venant à résipiscence, elle peut
affirmer que
« l'absence de transcription n'a pas pour effet de priver les deux enfants de leur
état civil américain et de remettre en cause le lien de filiation qui leur est reconnu à
l'égard des époux Mennesson par le droit californien ».
162
« se concrétise dans le droit dudit mineur à une « identité unique », […lequel] comporte le
droit de jouir d’une filiation unique valable en divers pays et non d’une filiation variant de
pays à pays qui les ferait changer de parents chaque fois qu’ils franchiraient une frontière ».
tandis qu’elle admet ailleurs (§V, 7°) que la transcription n’établit pas en
droit la preuve de la filiation des enfants parce que
« toute partie ayant qualité peut attaquer le contenu de ladite inscription par la voie
civile ordinaire devant les tribunaux espagnols ».
Autrement dit la DGRN, qui n’est pas compétente pour connaître du rapport
substantiel de filiation issu d’une gestation pour autrui, ne s’alarme de
l’éventualité d’un démenti judiciaire. Peu lui importe, en somme, de
publier une information trompeuse. En effet, à
« la transcription de l’acte de l’état civil californien sur le Registre civil espagnol est
le moyen le plus effectif de réaliser ce droit des mineurs à leur identité unique par
dessus les frontières des Etats ».
Ce n’est pas par ce biais que la Cour d’appel de Bari parvient à autoriser la
transcription sur les registres de l’état civil de la commune de Bari. Cette
solution n’est que la conséquence de la reconnaissance des parental orders
britanniques dont la régularité, objet de l’instance, est constatée au double
motif
163
1° que ces décisions ne heurtent pas l’ordre public international italien dès
lors que dans l’instance indirecte celui-ci se fait plus libéral que l’ordre
interne qui n’imposerait ses prohibitions qu’aux nationaux italiens (?)174 ;
Bien sûr, en France non plus, il n’est pas question de laisser les enfants à
l’abandon, mais ce soin qui incombe assurément à M. Mennesson peut,
pour être partagé par Mme Mennesson, passer par d’autres voies que celle
de la transcription sur les registres de l’état civil et de la « désactivation »
de l’impérativité de dispositions qui ont leur raison d’être.
174
La rédaction du § 15-1 est assez malencontreuse lorsqu’elle s’efforce de distinguer deux niveaux
d’ordre public international qu’une plume française aurait assignés respectivement à l’effet plein (en cas
de rattachement sérieux avec l’ordre juridique français) et à l’effet atténué (en l’absence de tel
rattachement)
175
V. §16 à §18
176
§18-1 et s.
177
§ 16-1, 16-2 et 16-3
164
165
166
Tempus defuit