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Défense commerciale et comportement du consommateur 

:
Quelle compatibilité ?
Par Nabil BOUBRAHIMI * Marouane RAISSI *
| Edition N°:5709 Le 02/03/2020

La défense commerciale traditionnelle n’est pas une solution


structurelle aux déficits de compétitivité et le patriotisme économique
ne se décrète pas. Voilà les deux termes de l’équation de la nouvelle
politique commerciale que le Maroc doit résoudre.

Aux confluents du désordre actuel du système multilatéral et des


asymétries des accords bilatéraux, le renouvellement des instruments
de défense revêt une importance stratégique pour corriger les
distorsions dues aux pratiques déloyales mais aussi pour protéger des
secteurs à l’état embryonnaire dans une logique de protectionnisme
éducateur.

Bien entendu, l’ingénierie de la politique commerciale gagnerait à


tenir compte du corpus du droit de l’OMC (Accord antidumping,
Accord sur les subventions et les mesures compensatoires et Accord
sur les sauvegardes) et à éviter les écueils d’une protection
contreproductive qui se traduirait par des rentes de situation. Il en
ressort que le dispositif législatif national doit exploiter les zones
grises des accords multilatéraux, pour ne pas enfreindre les règles et
faillir aux engagements pris.

De surcroît, le répit procuré aux entreprises nationales, suite aux


mesures de défense, devrait permettre de réduire la pression des
importations mais surtout de procéder aux restructurations nécessaires
selon des calendriers convenus. Le but ultime étant de reconquérir
notre marché national et de gagner la confiance de nos consommateurs
avant de penser à la conquête des confins éloignés des territoires
outremer.

■ De l’impératif d’innovation en matière de défense commerciale


Si la libéralisation des échanges s’apparente à un choix volontariste du
Maroc, il ne devrait pas se traduire par une atteinte à la pérennité de
branches entières d’activité et par une destruction d’emplois. Les
choix en termes de politique commerciale ont des implications
stratégiques et économiques, certes, mais aussi sociales, politiques et
budgétaires qui constituent autant de contingences avec lesquelles les
décideurs publics doivent composer.

A ce titre, l’innovation institutionnelle et réglementaire en termes de


défense commerciale est absolument primordiale et doit s’inscrire
dans une dynamique perpétuelle. Plus qu’un simple objectif de
circonstance, le maintien des avantages comparatifs acquis et la
construction de nouveaux avantages est un processus long, qui doit
être entretenu en permanence et couplé avec une prospective
stratégique efficace.

Qui plus est, le Maroc a besoin d’une politique commerciale proactive


qui ne se contente pas de constater les dégâts et réagir à titre curatif.
Les services nationaux d’intelligence économique sont appelés à
analyser en profondeur les économies partenaires et à établir une
cartographie détaillée des secteurs et des produits, en identifiant les
risques avérés et potentiels qui planent sur la compétitivité et la survie
des équivalents nationaux.

De surcroît, un examen annuel de la politique commerciale, s’inspirant


du mécanisme de l’OMC, pourrait servir à mieux prévenir les menaces
critiques et à procéder à des ajustements rapides vis-à-vis des parties
adverses. Les Policy-makers marocains sont également attelés à opter
pour des arbitrages entre l’amont et l’aval productif (cas de Maghreb
Steel et des producteurs nationaux qui transforment la matière
importée).

L’amélioration de l’efficacité de la défense commerciale du Maroc


doit donc tenir compte des préoccupations de l’ensemble des acteurs
intéressés, sans pour autant modifier l'équilibre sous-jacent entre les
intérêts des importateurs et ceux des producteurs.

A ce titre, il est intéressant de se référer à l’expérience de l’Union


européenne qui, malgré son poids économique sur la scène
internationale, procède à des évaluations et des ajustements réguliers
de sa politique commerciale. Outre les conditions minimales requises
par l'OMC pour instaurer des instruments de défense, l’UE a conçu
des mesures additionnelles (OMC+) telles que la «règle du droit
moindre», permettant d'appliquer des droits inférieurs à la marge de
dumping ou de subvention, et le «critère de l'intérêt de l'Union»,
assurant la prise en compte des intérêts de l’ensemble des agents
économiques dans l'UE (producteurs, importateurs et consommateurs)
avant l'adoption de mesures.

La dernière révision du dispositif européen, intervenue en 2018, s’est


assignée comme objectifs d’améliorer l’accès des PME aux
instruments de défense, de lutter contre les pratiques de
contournement tarifaire, de raccourcir les délais des enquêtes,
d’améliorer le calcul du préjudice, de prendre en compte les
considérations sociales et environnementales, etc.

La demande d’une défense commerciale efficace ne saurait être


crédible sans un engagement ferme d’améliorer la qualité du produit
national. L’Etat ne peut s’amuser à répondre à des «pétitions de
fabricants de chandelles», à l’image de celle de Frédéric Bastiat, qui
ne servent, au meilleur des cas, que des logiques rentières (Ph.
L’Economiste)

■ Du défi de la promotion d’un patriotisme économique


volontariste
Certes, une politique commerciale intelligente et proactive pourrait
contribuer à établir un «level playing field», mais elle ne constitue en
aucun cas une garantie de rattrapage des retards de réforme accumulés
depuis des années ni une assurance quant à un comportement pro-
marocain des consommateurs. C’est la raison pour laquelle la
demande d’une défense commerciale efficace ne saurait être crédible
sans un engagement ferme d’améliorer la qualité du produit national.
L’Etat ne peut s’amuser à répondre à des «pétitions de fabricants de
chandelles», à l’image de celle de Frédéric Bastiat, qui ne servent, au
meilleur des cas, que des logiques rentières (rentseeking). Les
opérateurs privés doivent assumer la responsabilité qui leur incombe
de s’impliquer davantage dans la dynamique de rattrapage, de
renouveler leurs business models et d’utiliser à bon escient le cadre
incitatif proposé par l’Etat. L’investissement en recherche appliquée
(industrielle ou organisationnelle) et en capital humain est une
variable clé pour hisser les standards de compétitivité.

Si l’appel au «patriotisme économique» peut aujourd’hui être


positivement connoté, ce sera dans la mesure où il s’affranchit de
toute tentative de manipulation ou tendance au repli et à l’autarcie. A
ce titre, Keynes avait proclamé, dans son article de 1933 sur
l’autosuffisance nationale, l’intérêt d’une conciliation entre les
externalités positives du libre-échange et la nécessité de développer un
système productif national permettant de s’affranchir, autant que faire
se peut, de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur: «les idées, le savoir,
la science, l'hospitalité, le voyage, doivent par nature être
internationaux. Mais produisons chez nous chaque fois que c'est
raisonnablement et pratiquement possible […].

Cependant, il faudra que ceux qui souhaitent dégager un pays de ses


liens le fassent avec prudence et sans précipitation». Cette
émancipation de l’économie nationale, via le «learning by
exchanging», doit être opérée de manière ordonnée, selon une période
de transition pour atteindre une indépendance économique
raisonnable.

Dans cette perspective, la rationalité du consommateur étant


universelle, l’empressement à exhorter le Marocain à consommer
national, ne suffit pas à lui seul pour endiguer la frénésie des
importations «inutiles» ou «facilement substituables». Face à
l’opulence des franchises étrangères et à la forte pénétration de
certains secteurs (habillement et alimentation), le Maroc a besoin d’un
nouveau pacte commercial fédérateur fixant les leviers d’action pour
mieux accompagner notre production nationale et redynamiser le
partenariat public-privé. Ce pacte doit redéfinir l’organisation du
marché, le rôle des acteurs et les branches critiques.

■ De la complémentarité du jeu des acteurs et priorisation de


l’intérêt national
Notre politique commerciale, y compris l’organisation de notre
marché intérieur, ne doit pas être fondée sur de fausses évidences. Au
niveau de nos métropoles, les consommateurs  ne privilégient pas
nécessairement les magasins les moins chers, mais ils sont de plus en
plus en quête de valeur et d’expériences agréables. A titre
d’illustration, certains espaces de distribution étrangers proposent non
seulement des discounts réguliers mais offrent également un cadre
remarquablement agencé, magnifiquement éclairé avec un
merchandising moderne et respectueux du client.

Aujourd’hui, le consommateur contemporain a besoin de qualité de


service, de conseil et de suivi après-vente. Nos entreprises et nos
commerces n’ont malheureusement pas tous le souci de construire des
bases de données clients ni de pérenniser leurs relations commerciales.
L’acte de vente est souvent conçu comme l’aboutissement d’une
opération ponctuelle. C’est bien pourquoi, face à un tel état d’esprit,
toute politique commerciale, aussi efficace soit-elle, serait dépouillée
de son essence, n’étant pas soutenue par la complémentarité du jeu des
acteurs et par la priorisation de l’intérêt national.

Au regard des éléments discutés dans cet article, prétendre que la


domination de nos entreprises et nos commerces par des produits
étrangers soit une découverte récente serait un vrai oxymore.
Constater que notre politique de défense commerciale ne remplit pas
sa fonction, paraît être une banalité qui se passe de démonstration.
Nous récoltons les fruits de ce que nous semons!

Education industrielle et reconquête du marché intérieur

Face à la multiplication des franchises étrangères et à la forte


pénétration de certains secteurs (habillement et alimentation), le
Maroc a besoin d’un nouveau pacte commercial fédérateur fixant les
leviers d’action pour mieux accompagner la production nationale et
redynamiser le partenariat public-privé (Ph. L’Economiste)

Si le débat académique autour du libre-échange et du protectionnisme


reste controversé, il n’en demeure pas moins que l’idée d’adaptation
du degré d’ouverture au stade développement n’est pas totalement
dénuée de sens. La réduction de la distance par rapport à la frontière
de compétitivité requiert des efforts de rattrapage et de mise à niveau.
En revanche, force est de constater que la préférence des
consommateurs pour les produits importés, plutôt guidée par des
attributs de qualité et d’innovation, ne pourrait s’infléchir à une simple
surtaxation de ces biens. Au demeurant, les arguments conventionnels
en faveur d’une défense commerciale fondée sur l’impression que
certains accords nous seraient défavorables ne semblent plus valables.
La meilleure défense passerait d’abord par une reconquête de notre
territoire économique et une adaptation rapide de l’offre nationale aux
besoins des consommateurs locaux.

                                                                         

Le coût de la non-qualité de plus en plus élevé

L’exemplarité est également demandée au niveau des habitudes


d’approvisionnement des entreprises marocaines, voire même de
l’Etat et des collectivités territoriales. La clause de la préférence
nationale, prévue au titre de la commande publique, doit faire l’objet
d’une attention particulière à cet égard.

Aussi, et à l’ère des réseaux sociaux et de la société de surinformation,


le coût de la non-qualité devient de plus en plus élevé. En effet,
l’évolution des mentalités et l’essor de l’économie numérique
conjugués à l’agressivité des stratégies de communication
commerciale bouleversent les façons de consommer et favorisent
l’attachement émotionnel aux marques étrangères.

Autre source d’inquiétude, c’est que le contenu en importations du


panier d’un ménage marocain est positivement corrélé au pouvoir
d’achat. La propension à consommer des produits importés augmente
avec le niveau de revenu. Nous avons donc clairement besoin d’un
choc de l’offre qui agirait sur l’élasticité de la demande intérieure de
produits étrangers en améliorant le degré de substituabilité de ces
produits par des produits nationaux, en adoptant une tarification
compétitive et en dynamisant le temps de réaction de la production
nationale, tant en quantité qu’en qualité, à la concurrence extérieure.

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