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Revue néo-scolastique de

philosophie

La notion d'être dans la métaphysique de Jean Duns Scot


Hilaire Mac Donagh

Citer ce document / Cite this document :

Mac Donagh Hilaire. La notion d'être dans la métaphysique de Jean Duns Scot. In: Revue néo-scolastique de philosophie. 30ᵉ
année, Deuxième série, n°20, 1928. pp. 400-417;

doi : https://doi.org/10.3406/phlou.1928.2520

https://www.persee.fr/doc/phlou_0776-555x_1928_num_30_20_2520

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XXI

LA NOTION D'ÊTRE DANS LA MÉTAPHYSIQUE

DE

JEAN DUNS SCOT

Introduction

Ce travail a pour but d'étudier les positions doctrinales


de Scot vis-à-vis de l'être.
La parfaite intelligence de cette notion première sur
laquelle repose toute philosophie, est pour le penseur
soucieux d'être l'artisan du vrai, la condition sine qua non
du succès. La synthèse scotiste ne tient que par sa science
de l'être ; que celle ci vienne à crouler, l'œuvre entière
serait entraînée dans sa chute, car tout système se juge à
la valeur et en fonction de sa métaphysique.
Les textes sur lesquels nous nous appuyons, appartiennent
à Y Opus oxoniense, le plus important des deux
commentaires des Sentences écrits par Scot. Quiconque se trouve
tant soit peu au courant des recherches dont les œuvres du
Docteur Subtil sont l'objet, saisira sans peine les raisons
de ce choix ; il est une chose certaine : l'authenticité de
Y Opus Oxoniense; le texte même de l'édition de Wadding
— la plus récente de nos éditions puisque celle de Vives
n'en est qu'une reprise — n'offre aucune interpolation ni
altération grave. Bien plus, il se pourrait que cette œuvre
soit l'expression de la pensée définitive de Scot, surtout si
l'on admet les découvertes de Mgr Pelzer concernant les
La métaphysique de Duns Scot 401

Reportata Parisiensia *). En tout cas, la doctrine des


Parisiensia est en accord, sur tous les points de quelque
importance, avec celle de ÏOxoniense.
De leur côté, le R. P. Pelster 2) et le cardinal Ehrle
inclinent à croire la rédaction de Y Opus oxoniense
postérieure à la composition des Parisiensia. Nous ne pouvons
songer à entrer dans les détails de cette question, notre but
se bornant à signaler les droits indiscutables de nos sources
à être regardées comme l'enseignement définitif de Scot.
De la sorte, quels que soient par ailleurs les résultats des
travaux critiques entrepris à Quaracchi, ils n'auront rien
à changer à nos conclusions.

De nos jours, la nécessité pour un système de


philosophie de déterminer soigneusement ses assises
métaphysiques, se fait peut-être sentir plus vivement qu'autrefois.
Le dédain des positivistes de jadis pour la métaphysique, a
fait place à la conviction que celle-ci répond à un besoin
de notre nature rationnelle d'être humain. Il existe même, à
l'heure actuelle, en dehors de la scolastique, un fort
mouvement panthéiste d'allure franchement métaphysique. Les
scolastiques ne sauront l'affronter sans une métaphysique
résolument intrinséciste qui soit capable, grâce à la notion
transcendantale d'être, de monter par delà le panthéisme
jusqu'à l'être transcendant. C'est donc sur cette notion du
transcendantal qu'il importe d'insister : nous avons là des
ressources immenses à dégager et à utiliser. Faire saisir
à l'esprit humain que le transcendantal suppose le
transcendant sans lequel il demeure inintelligible, puis montrer
que l'existence de celui-ci n'est nullement incompatible avec
celle d'une multiplicité d'êtres finis et qu'il n'a eu à leur
donner l'être ni par évolution ni par émanation — ce qui

1) Annales de l'Institut supérieur de Philosophie, 1924. Louvain.


2) Voir A Pelzer, lean Duns Scot et les études scotistes, Rev. Néo-Scol.,
nov. 1923; et P. Callebaut, Archivium franciscanum historicum, janv. 1924.
3
402 Hilaire Mao, Donagh

serait une contradiction — voilà l'œuvre qui incombera à


une telle métaphysique.
Si cet essai pouvait constituer une introduction au
système de Scot envisagé de ce point de vue, tous nos désirs
se trouveraient réalisés : sans pousser nos prétentions
jusqu'à vouloir donner un exposé définitif de l'ontologie
scotiste, nous avons seulement cherché à jeter quelque
lumière sur le « point de départ » de cette métaphysique.
Nous laisserons de côté tous les auteurs qui ont écrit sur
ce sujet pour n'écouter que la propre voix de Scot, afin
de pouvoir l'interpréter selon ses propres paroles, puisque
c'est là tout notre but 1).

L'objet de la métaphysique

La métaphysique est la science de l'être comme tel et de


tous ses attributs d'être; ainsi l'enseignait Aristote, suivi
en cela par tous les scolastiques, et Scot, dans son
commentaire des Métaphysiques d' Aristote; nous donnera, de
la métaphysique, la description suivante :

« Maxime scibilia primo modo sunlcommunissima, ut ens


inquantum ens... haec autem communissima pertinent ad considerationem
Metaphysicae secundum Philosophum in IV hujus in principio « Est
enim scientia quae speculatur ens inquantum ens et quae huic

1) Les références à l'œuvre même de Scot seront données de la manière


suivante :
Ox. 1, d. 3, q. 3, n. 10.
Ox. = Opus oxoniense q. = Quaestio
1, 2, 3, 4 — Liber t, 2, 3, 4 n. = Numerus marginalis
d = Distinctio
Quand, dans une distinction, il n'y a qu'une seule question, nous omettrons
la mention « quaestio unica », ainsi :
Ox. 2, d. 16, n. 17
Nous nous servirons de l'édition de Wadding (Paris, Vives, 1891-1895, 26 vol.);
l'Opas Oxoniense s'y trouve à partir du tome VIII jusqu'au tome XXII inclus.
Dans la même édition imprimée à Lyon en 1638-39, Y Opus Oxoniense
commence au tome V, chaque livre des sentences comprend un volume à l'exception
du dernier qui en comprend trois.
La métaphysique de Duns Scot - 403

insunt secundum se »... Igitur necesse est aliquam scientiam uni-


versalem quae per se considérât illa transcendentia, et hanc
scientiam vocamus Metaphysicam quae dicitur a meta quod est trans,
et physis scientia, quia est de transcendentibus. » ])

Cette conception de la métaphysique, science de ïêire à


l'état pur, se retrouve en plus d'un texte de Y Opus Oxo-
niense. Elle se fait jour dès le prologue :

« Praeter scientias spéciales oportet esse aliquam communem in


qua probeiitur in communi omnia quae sunt communia illis specia-
libus ; igitur praeter scientias spéciales oportet esse aliam
communem de ente in qua tradatur cognitio passionum de ente quae sup-
ponitur in aliis scientiis specialibus. Si igitur aliqua est naluraliter
de Deo, praeter istam est, alia de ente naturaliter scito inquantum
ens. » z)

Ou encore :

« Scientia de necessitate extendit se ad omne ens quia omne ens


est scibile » 3) « patet per Philosophum quod est scientia quaedam
entis inquantum ens » 4) « Cognoscit intellectus noster aliquid sub
ratione entis in communi, alioquin metaphysica nulla esset scientia
intellectui nostro. » 5)

Ainsi il existe une science de l'être, mais l'être, objet de


cette science qui surpasse toutes les sciences particulières,
lui-même le plus universel de nos concepts, qu'est-il donc ?
L'être, pour Scot, c'est tout ce qui est ou est susceptible
d'être ; réel et possible, du fait qu'ils s'opposent au néant
ou non-être, sont de l'être. Le non-être, c'est l'impossible,
ce qui répugne à être; il n'est jusqu'à son concept qui
n'implique contradiction. Scot l'affirme dans une foule de
passages ; nous n'en relèverons que quelques-uns :

1) Quaest. super Libros Met. Aristot. Prolog., n. 55.


2) Ox. prolog., q. 2 lateralis, n. 20.
3) Ox. 2, d. 20, n. 11.
4) Ox. 4, d. 49, q. 8, n. 5.
5) Ox. 1, d. 3, q. 3, n. 3.
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« Ens, hoc est cui non répugnât esse » l) « Baptismus non est
pure non-ens sicut impossibile ». « Sive non ens aceipitur proprie
pro impossibili quod includit contradictionem, sive pro pura nega-
tione vel privatione quia non ens non habet quid est » *) « Illud
quod non est ens nihil est » 3). « Licet modus non sit res sieut ilia
cujus sit modus, non tamen nulla res est, sicut nee nullum ens
quia tune nihil esset » 4) « Non ens simpliciter est purum nihil...
isti non-enti oppositum est quodeumque ens quantuncumque
minimum habet de entitate » 5) a Omne non-ens est impossibile. » 6).

Tous ces textes enseignent nettement la transcendance


de l'être et établissent, à l'évidence, que tout ce qui n'a pas
l'être,est pur néant et impossibilité. L'occasion se présentera
plus tard de se demander si vraiment Scot, tout au long de
son œuvre, demeure parfaitement fidèle à cette doctrine et
s'il n'admet pas, par ailleurs, l'existence de certaines réalités
étrangères à l'être. Il nous faut auparavant étudier sa
conception de Tunivocité et ses idées sur la manière dont
l'être donne naissance à ses inférieurs.

L'abstraction de la notion d'être

D'où nous vient cette notion d'être, serait-ce une idée


innée ou bien n'aurait-elle pas plutôt sa source dans
l'expérience ?
L'être à l'état transcendantal n'est doué d'aucune
existence ; nos sens n'ont pas prise sur lui. C'est là une vérité
que Scot reconnaît comme tous les scolastiques de son
temps ; avec eux il professe qu'en ce monde notre
connaissance débute nécessairement par l'expérience des sens :
d'où la nécessité de l'abstraction. Voyons maintenant com-

1) Ox. 4,'d. 8, q 1, n. 2.
2) Ox. 4, d. 1, q. 2, n. 2.
3) Ox. 2, d. 3, q. 6, n. 30.
4) Ox. 2, d. 1, q. 4, n. 13.
5) Ox. 4, d. 11, q. 3, n. 43.
6) Ox. 1, d. 36, n. 13.
La métaphysique de Duns Scot 405

ment, dans le cas de l'être, il entendra cette abstraction :


> car, de sa manière de concevoir ce processus, dépendent
nombre de solutions qu'il apportera aux grands problèmes
que soulève la science de l'être.

L'objet de notre intelligence

La quiddité des substances matérielles constitue l'objet


propre, en ce monde, de l'intelligence humaine. Ce n'en est
pas l'objet adéquat, mais, dans notre état actuel, tout notre
savoir nous vient de l'être matériel perçu par les sens :

« Nihil potest adaequari intellectui nostro ex natura potentiae


in ratione primi ohjecti nisi communissimum, tamen pro statu isto
non naturaliter intelligit alia quae non continentur sub illo primo
motivo. » l)

Ni la nature de notre intelligence, ni le fait de son union


avec le corps n'en sont cause, puisque pour l'âme unie, après
la résurrection, à un corps glorifié cette sujétion cessera.
C'est à notre état actuel — que celui-ci soit un châtiment
du péché originel ou qu'il provienne d'un acte de la libre
Volonté de Dieu — que cela est dû.

« Si quaeritur quae est ratio istius status non videtur esse nisi
stabijis permanentia legibus divinae sapientiae, quod intellectus
noster non intelligat pro statu isto, nisi ilia quorum species relu-
cent in phantasmate et hoc sive propter poenam originalis peccati,
sive propter naturalem concordiam potentiarum animae in ope-
rando, secundum quod videmus quod potenlia superior operatur
circa idem circa quod inferior, si utraque habeat operationem per-
fectam, et de facto ita est in nobis quod quodcumque universale
intelligimus, ejus singulare actu phantasiamur. Ista tamen concordia
quae est de facto pro statu isto, non est ex natura nostri intellectus,
unde intellectus est, nec etiam unde in corpore est, tune enim in
corpore glorioso necessario haberet similem concordiam, quod fal-
sum est. Utcumque igitur sit iste status sive ex mera voluntate Dei,

1) Ox. I, d. 3, q. 3, n. 24.
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sive ex mera justitia punitiva, sive ex infirmitate... sive, inquam,


haec sit tota causa, sive aliqua alia, saltern non est primum
objectum intellectus, ut intellectus est, quidditas rei materialis, sed
aliquid commune ad omnia intelligibilia licet primum objectum
adaequatum sibi in movendo pro statu isto sit quidditas rei sensi-
bilis » l) « Nunc determinate movetur (intellectus noster) a sensibi-
libus vel ab his quae abstrahuntur ab his. » *)

Du donné matériel des sens nous nous élevons par


l'abstraction à l'universel 3).
S'il est vrai qu'en cet état, nous avons besoin pour
connaître, de l'impulsion du monde sensible, par contre, il n'est
pas exact que ces quiddités soient l'objet adéquat de notre
intelligence comme telle. L'objet adéquat, c'est l'être tout
court.
v • ■*
« Primum objectum metaphysicae quae est habitus intellectus est
ens quod est naturaliter prius vero et non verum quod est passio
entis, est subjectum metaphysicae. » 4)

C'est l'être pris en soi, dont la notion transcendante est


applicable à tout ce qui est ou peut être, qui constitue
l'objet adéquat de notre intelligence.

« Intellectus cognoscit aliquid sub ratione communion quam sit


ratio entis materialis, quia cognoscit aliquid sub ratione entis
in communi, alioquin metaphysica nulla esset scientia intellectui
nostro. » 5) Quidquid per se cognoscitur a potentia cognitiva vel
est objectum ejus primum vel conlinetur sub isto objecto, ens
autem ut est communius sensibili per se intelligitur ab intellectu
nostro, alias metaphysica non esset magis scientia transcendens
quam physica, ergo non potest aliquid esse objectum primum
intellectus nostri quod sit particularius ente. » 6)
« Quod si ens ponatur aequivocum creato et increato, substantiae

1) Ox. 1, d. 3, q. 3, n.24.
2) Ox. 4, d. 45, q. 4, n. 3.
3) Ox. 4, d. 49, q. 1, n. 3.
4) Ox. 1, d. 3, q. 3# n. 23.
5) Ox. 1, d. 3, q. 3, n. 3.
6) Ibid.
La métaphysique de Duns Scot 407

et accidenti, cum omnia ista sint per se intelligibilia a nobis, nullum


videtur posse poni primum objectum intellectus nostri, nec propter
virtualitatem nec propter communitatem ; sed ponendo illam posi-
tionem quam in Ia Quaest. hujus Dist. de univocatione entis, potest
aliquo modo salvari aliquod esse primum objectum intellectus
nostri. » *)
« Ens est primum objectum intellectus nostri, quia in ipso con-
currit duplex primitas, sel. communitatis et virtualitatis; nam omne
intelligibile aut includit essentialiter rationem entis, vel continetur
virtualiter vel essentialiter in includente essentialiter rationem
entis. Omnia enim genera et species et individua, et omnes partes
essentiales generum et ens increatum includunt ens quidditative.
» Omnes differentiae ultirnae includuntur in aliquibus istorum
essentialiter vel quidditative. Omnes passiones entis includuntur
in ente et in suis inferioribus virtualiter...
» Et ita patet quod ens habet primitatem communitatis ad prima
intelligibilia, hoc est ad conceptus qualifioativos differenfiarum
ultimarum et passiones propriarum. » z)
« Ens secundum quod abstrahens a sensibili et insensibili est vere
objectum intellectus. » 3)

Mais si notre intelligence ne se borne pas à l'être sensible


et s'étend à l'être entier, nous voilà, du coup, à même par
nos seuls moyens naturels, de parvenir à la connaissance de
Dieu et des esprits purs.

« Sed restât unum dubium, si ens secundum rationem suam com-


munissimam sit primum objectum intellectus, quare non potest
quodeumque contentum sub ente movere naturaliter intellectus...
et tune videtur quod Deus naturaliter posset cognosci a nobis, et
substantiae omnes immateriales quod negatum est : immo negatum
est de omnibus substantiis et de omnium substantiarum partibus
essentialibus, quia dictum est quod non concipiuntur in aliquo
concepto quidditativo nisi in conceptu entis. Respondeo objectum
primum potentiae assignatur illud quod adaequatur potentiae in
ratione potentiae, non autem quod adaequatur potentiae ut in
aliquo statu. Quemadmodum primum objectum visus non ponitur

1) Ox. 1, d. 3,q. 3, n. 6.
2) Ox. 1, d. 3, q. 3, n. 8.
3) Ox. 1, d. 3, q. 3, n. 22.
408 Hilaire Mac Donagh

illud quod adaequatur visui existenti in medio illuminato lumine


candelae, praecise, sed quod natum est adaequari visui ex se,
quantum est ex natura sui.
Nunc autem ut probatum est prius contra priai a m opinionem ad
quaestionem de primo objecto intellectus hoc est adaequati, quae
ponit quidditatem rei materialis esse primum objectum, nihil potest
adaequari intellectui nostro ex natura potentiae in ratione primi
objecti, nisi communissimum, tamen pro statu isto ei adaequatur
in ratione motivi quidditas rei sensibilis et ideo pro statu isto, non
naturaliler intelliget alia quae non continentur sub illo primo
motivo. » l) Ox. i, d. 3. q. 3, n. 24.
« Alia est opipio quae ponit Deum esse primum objectum
intellectus... Contra istam opinionem arguitur sic : Primum objectum
naturale alicujus potentiae habet naturalem ordinem ad illam poten-
tiam. Deus non habet naturalem ordinem ad intellectum nostrum
sub ratione motivi, nisi forte sub ratione alicujus generalis attributi
vel secundum illam opinionem quam prius tenui 2) (quod Deus non
intelligitur nisi sub ratione ends) non habebit naturalem ordinem,
nisi sub tali conceptu universali : sed particulare quod non
intelligitur nisi in aliquo communi, non est primum objectum intellectus
sed m agi s illud commune. » 3)

Cette doctrine que l'objet adéquat de notre intellect est


l'être ut sic, mais qu'en ce monde toutes nos idées jaillissent
du sensible, revient sans cesse dans Y Opus Oxoniense, non
seulement dans la quaestio qui lui est consacrée exprofesso,
mais en mainte autre occasion. Quelques citations suffiront.

« Ens est objectum commune adaequatum... ens, dico, in


communi et quodlibet ens spéciale quacumque differentia entis con-
tractum sub eadem ratione movet, sive hoc sit ratio individui sive
ratio speciei. » 4)

1) Cette citation de Scot et celles des pages 6 et 7 sont fort importantes pour
bien comprendre sa métaphysique du surnaturel. Nous ne pouvons cependant
entamer une discussion à ce sujet, la pensée de notre auteur sur cette question
de la connaissance naturelle de Dieu étant d'ailleurs très difficile à saisir.
Cfr. Ox Prol., q. 1, et Ox. 4, d- 49, q. 11. Ainsi que Garriqou-Laorange, O. P.,
Dieu, son existence, sa nature, p. 575.
2) Ox. 1, d. 3, q. 2, nn. 5, 18.
3) Ox. 1, d. 3, q. 3, n. 3.
4) Ox. 1, d. 3, q. 3, n. 5.
La métaphysique de Duns Scot 409

« Si ens potest habere conceptus vel rationem communem ad ens


crealum et increatum, est object um adaequatum intellectus, non
quod per abstractionem illam, sit objectum intellectus : sed quia
a quolibet intelligibili potest abbtrahi una talis ratio vel conceptus...
Si essentia divina non ponatur esse objectum primum intellectus
creati, cum secundum coramuniter loquentes, creato et increato
nihil potesl esse commune univocum, sequitur quod potenlia non
organica non habet unum objectum unius rationis et
adaequatum. » !) « Generalius est objectum primum intellectus ut est talis
potentia quam primum objectum ejus motivum pro statu isto, et
sub objecto primo modo accepto continetur quodcumque ens crea-
tum » *) « Experimur in nobis quod cognoscimus actu universale ;
experimur enim quod cognoscimus ens. » 2)
« Primum objectum intellectus humani est ens : ergo et quod-
libet in quo salvatur ratio entis est objectum perse ejus. » 4)
« Omnis enim intellectus habet pro objecto totum ens. » 5)
« Sed intellectus habet objectum totum ens et ideo potest elevari
ad aliquid immateriale, immo elevari ad quodlibet cognoscendum...
Non est contra rationem intellectus, immo summo competit ei
elevari ad videndum objectum supernaturale... Intellectus est capax
omnis intelligibilis » 6) « Totum ens est objectum suum (intelleclus)
et per consequens non quietatur nisi in cogitatione summi
intelligibilis in se. » 7)

De tous ces textes se dégage avec évidence que Scot


conçoit l'être comme la notion la plus universelle à laquelle
on ne parvient que par élimination du sensible ; Yens ne se
confond donc pas pleinement avec l'individu concret. Notre
auteur enseigne-t-il, par ailleurs, la saisie intellectuelle
immédiate ou intuition du singulier ? Toujours est-il que
dans tous ses textes sur la nature de l'être, objet de notre
intelligence, il écarte la question.

« Sive intelligatur singulare sive non, non est cura ad proposi-

1) Ox. 2, d 24, n. 8.
2) Ox. 4, d. 43, q. 1, n. 10.
3) Ox. 4, d. 45, q. 4, n. 3.
4) Ox. 4, d. 49, q. 8, n. 4.
5) Ox. 4, d. 49, q. 8, n. 6.
6) Ox. 4, d. 49, q. 11, n. 11.
7) Ox. 1, d.3,q. 6, n.5.
410 Hilaire Mac Donagh

turn, certum est enim quod universale potest ab intellectu intelligi


et magis ponitur a philosophia quod intellectus est potentia dis-
tincta a potentia sensitiva propter intellectionem universalis...
quam propter cognitionem singularis, si posset intelligere singu-
lare. » l) « Et hoc supposito quod singulare non posset intelligi sub
propria ratione, de quo alias. Loquor enim modo de illis quae
certum est posse intelligi secundum omnem opinionem. » 2)

Notons, en passant, qu'ici Scot, comme en maint passage


de ses œuvres, parle à la façon de quelqu'un qui n'est pas
absolument sûr de ses propres opinions, et fait plutôt
montre d'une mentalité de théologien soucieux de prendre
autant que possible pour base de ses arguments ce qu'il
sait devoir être admis de tous. — L'être donc, puisqu'il
n'est pas le simple donné primitif des sens, est, — notre
auteur l'établit expressément, — le fruit d'une élaboration
abstractive. Pénétrons un peu la nature de cette sorte
d'abstraction. Nulle part dans les œuvres de Scot rien de
particulier ni d'explicite à ce sujet. Toujours il en parle de
la même manière que de l'abstraction des universaux ; il
ne se rend pas compte que c'est là une abstraction
improprement dite, puisque du fait de sa transcendance, l'être,
même dans sa notion abstraite, ne peut différer du résidu
dont on vient de l'abstraire. Voici quelques textes qui
prouvent combien cette notion à'abstractio improprie dicta
lui est étrangère.

« Cum enim substantia non immutet immediate intellectum


nostrum ad aliquam intellectionem sui, sed tantum accidens sensibile,
sequitur quod nullum conceptum quidditativum habere poterimus in
ea nisi sit aliquis talis qui potest abstrahi a conceptu accidentis ;
sed nullus talis quidditativus abstrahibilis est a conceptu accidentis
nisi conceptus entis... Nullus igitur conceptus quidditativus habetur
naturaliter de substantia immediate causatus a substantia, sed
tantum causatus vel abstractus primo de accidente, et illud non est nisi
conceptus entis. » 3)

1) Ox. I, d. 3. q.6, n. 5.
2) Ox. 1, d. 3, q. 2, nn. 21 et 22.
3) Ox. 1, d. 3, q. 3,n. 11.
La métaphysique de Duns Scot 411

C'est là un cas typique d'abstraction au sens strict.


Comme s'il se trouvait dans l'accident quelque chose
d'étranger à l'être que, en abstrayant l'être, on laisserait
de côté ; et ce serait cette notion d'être ainsi abstraite de
l'accident qu'on appliquerait à la substance !
Ailleurs il compare encore cette notion à celle de genre.
Celle-ci s'obtient en abstrayant des divers individus que
groupe le genre. Il en va de même pour la notion d'être :
elle s'abstrait des divers êtres substances ou accidents qui
tombent sous nos sens.

« Consimiliter Philosophus dicit in VII Phys. quod in génère


latent aequivocationes, non enim est aequivocatio quantum ad logi-
cum qui ponit diversos conceptus sed quantum ad realem philoso-
phum est aequivocatio quia non est ibi unitas naturae, ita igitur
omnes auctoritates quae sunt in metaphysica et physica quae
essent de hac materia possunt exponi propter diversitatem realem
illorum in quibus est attributio, cum qua tamen stat unitas
conceptus abstrahibilis ab eis, sicut patuit in exemplo. Concedo tamen
quod totiun illud quod accidens est attributionem essentialem habet
ad substantiam et tamen ab hoc et ab illo potest conceptus unus et
communis abstrahi. » l)
A quolibet intelligibili potest abstrahi una talis ratio vel
conceptus (communis ad ens creatum et increatum). » 2)

Lorsque nous en viendrons à la question des modes par


lesquels l'être se contracte, nous rencontrerons d'autres
exemples de la même confusion.
Transcendantal, applicable à tout ce qui est ou peut être,
l'être est, de toute nécessité, vague et indéterminé. Comment
Scot peut-il donc écrire que l'être est un concept simpliciter
simplex et notre première idée distincte. Ce sont pourtant
ses propres paroles.

« AUus est conceptus simpliciter simplex, et alius est


conceptus simplex qui non est simpliciter simplex. Conceptum simpliciter

1) Ox. I, d. 3, n. 17.
2) Ox. 2, d. 24, n. 8.
412 Hilaire Mac Donagh

simplicem voco qui non est resolubilis in plures conceptus, ut con-


ceptus entis vel ullimae differentiae... Aliud est confuse intelligere
et aliud confusum intellige. Confusum enim idem est quod indis-
tinctum et sicut est duplex indistinguibilitas ad propositum, scl.
totius essentialis in partes essentiales et totius universalis in partes
subjectivas... Confusum igitur intelligitur quando intelligitur ali-
quid indistinctum altero praedictorum modorum. Sed confuse dici-
tur aliquid concipi quando concipiJur sicut exprimitur per nornen ;
distincte vero quando concipitur sicut exprimitur per definilionem.
Primum actualiter cognitum confuse est species specialissima, cujus
singulare efficacius et fortius primo movet sensum... supposito
quod singulare non potest intelligi sub propria ratione 8) » Secundo
dico de cognitione actuali distincta conceptorum et dico quod est
converso quia primum sic conceptum est communissimum et quae
sunt propinquiora sibi sunt priora et quae sunt remotiora posteriora
sunt. Hoc sic probo quia ex secundo praemisso nihil concipitur
distincte nisi quando concipiuntur omnia quae includuntur in
ratione ejus essentialis ; ens includitur quidditative in omnibus
conceptibus quidditativis inferioribus ; ergo nullus conceptus
inferior distincte concipitur nisi concepto ente. Ens autem non potest
concipi nisi distincte quia habet conceptum simpliciter simplicem,
engo potest concipi distincte sine aliis et alia non sine eo distincte
concepto, ergo ens est primus conceptus distincte conceptibilis. »2)

Certes ces passages ne nient pas que la notion d'être ne


soit vague. Bien au contraire, l'universel, nous affirment-
ils, est un concept confus et de tous nos concepts, l'être est
le plus universel, communissimum, il s'ensuit donc qu'il
est confus. Seulement, comment le peut-il s'il ne se résout
en concepts quidditatifs simples ? D'ailleurs, nous le verrons
plus loin, l'idée de Scot que l'être peut s'affirmer quiddita-
tivement de toutes les notions quidditatives inférieures, n'est
pas sans offrir des difficultés en ce qui regarde la
transcendance de l'être, malgré qu'à maintes reprises et ici même
on enseigne celle-ci avec force. La notion générale d'être
comprend Dieu et le créé, la substance et l'accident ainsi

1) Ox. 1, d. 3, q. 2, nn. 21, 22; cfr. ibid., d. 8, q. 3, n. 18.


2) Ox. 1, d. 3, q. 2, n. 24 ; cfr. ibid., d. 1, q. 4, n. 15.
La métaphysique de Duns Scot 413

que les principes qui entrent dans la composition de la


substance, c'est-à-dire la matière et la forme.

« Ens suffieienter dividitur tanquam in illa quae includunt quid-


ditative ipsum, in ens creatum et in decem genera et in partes
essenliales decem generum. » l)

L'univocité de l'être

Cette transcendance demeurerait vide de sens, si le


concept d'être était équivoque, en d'autres termes s'il
s'appliquait aux divers êtres en des sens absolument
différents. Dieu et la créature sont bien de l'être, sinon au même
titre, du moins pas en un sens entièrement différent. Reste
à savoir si c'est là une application univoque, c'est-à-dire
si tous les êtres sont de l'être absolument dans le même sens
du terme. La réponse de Scot diffère tout à fait de celle des
Scolastiques de son temps : parfaitement, répond-il, l'être
s'applique à tout d'une manière univoque, aussi bien à Dieu
qu'au créé, à la substance qu'à l'accident. Cette réponse,
pour quiconque a pris contact avec la métaphysique scola-
stique est quelque peu déconcertante. Aussi un soigneux
examen des divers endroits où l'auteur s'est expliqué sur
ce point s'impose-t-il à nous. Nous nous efïorcerons de
déterminer, avec le maximum de précision, sa vraie pensée
et la signification exacte qu'il entend donner à ses exprès-
.

sions.
C'est à propos de la cognoscibilité divine qu'il est fait
mention, pour la première fois, de la célèbre univocité
scotiste, non cependant comme vérité absolue mais comme
opinion soutenable. En s'écartant des doctrines reçues,
Scot se sent sur un terrain mouvant, aussi a-t-il plutôt l'air
d'un théologien qui hésite à soutenir une opinion nouvelle
que d'un métaphysicien contraint par la nature et les

1) Ox. 1, d. 3, q. 3, n. 7 ; cfr. Idid., d. 19, q. 1,-n. 7.


414 Hilairë Mac Donagh

exigences de sa science, à se montrer — parce qu'il se croit


en face des nécessités suprêmes des choses — catégorique
et exclusif en ses affirmations.

« Non asserendo quia non consonat opinioni communi potest dici


quod non tantum in conceptu analogo conceptui creaturae conci-
pilur Deus qui sel. sit omnino alius ab illo qui de creatura dicitur
sed in conceptu aliquo univoco sibi et creaturae. » l)

Cet « omnino alius » aura heurté quelque peu les oreilles


des tenants de l'analogie : Scot combattrait-il l'opinion
commune ou bien ne faut-il voir en ses attaques que des
escarmouches contre la pure équivocité ou quelque analogie
par trop extrinsèque? Nous y reviendrons plus tard, mais,
en attendant, l'expression a aiguisé notre envie de savoir
ce qu'il entend par univocité ; au reste nous allons être
immédiatement fixés. Scot poursuit :

« Et ne fiat contentio de nomine univocalionis, conceplus univo-


vocum dico qui ita est unus quod ejus unitas sufficit ad contra-
dictionem affirmando et negando ipsum de eodetn. Sufficit etiam
pro medio syllogistico, ut extrema unita in medio sic uno sine
fallacia aequivocationis, concludantur inter se unum. » 2)

Cette définition n'autorise-t-elle pas à conclure que


l'univocité de Scot n'est pas l'univocité au sens strict mais une
univocité plus large incluant l'analogie?
Nous voilà loin de l'univocité à la manière de saint
Thomas et de ceux qui, comme lui, enseignent que l'être ne
saurait être univoque. Pour Scot l'univoque et l'équivoque
n'admettent aucun moyen terme ; aussi, lorsqu'il affirme
l'univocité, il n'entend exclure que la pure équivocité. Dans
la suite de notre exposé nous verrons si l'univocité se borne
à ce rejet ; toujours est-il que la définition qu'il en donne,
s'écarte de la définition classique. Cajetan en faisait déjà la

1) Ox. 1, d. 3, q. 2, n. 5.
2) Ibid., n. b.
Hilaire Mac Donagh 415

remarque dans son traité classique « De Nominum Ana-


logia » :

« Contradictio enim dicitur consistere in affirmatione et negatione


ejusdem de eodem, etc. et non in affirmatione et negatione univoci
de eodem univoco ; idenlitas siquidem tam rerum quam rationum
ad identitatem proportionalem se extendit. Ex hoc autem apparet
Scotum in /. Sent. Dist. 5. q. 1 (en réalité question 2) vel male
exposuisse conceptum univocum, etc... Si enim identitas sufficiens
ad contradictionem univocalio dicitur, constat quod ponendo ens
esse analogum, et secundum proportionalitatem tantum unum,
satisfiet univocationi » l).

L'unité de proportionnalité de notre notion d'être suffit à


rendre contradictoire toute affirmation et négation
simultanée de ce dit concept. Mais la seconde partie de la
définition de Scot offre plus d'intérêt encore et d'importance.
Elle met à vif la raison profonde pour laquelle Scot s'élève
avec tant d'énergie contre tout rejet de l'univocité de l'être.
Et cette seconde partie va même à confirmer la première.
Car la remarque vaut également pour l'analogie proprement
dite. La nature de l'univoque lui permet, au dire de Scot,
de servir de moyen terme à un syllogisme. Ainsi se trahit
son secret et constant souci, souvent exprimé par la suite,
de nous ménager un moyen d'arriver à connaître l'existence
et la nature de Dieu en partant du contingent qui nous
enserre et s'offre à nos regards immédiats. A quoi bon ce
souci ! L'analogue, entendu tout au moins au sens de saint
Thomas et de ses disciples, peut parfaitement servir de moyen
terme à nos raisonnements. Et de fait, ce moyen terme non
seulement peut, mais, — la preuve de l'existence de Dieu
l'exige rigoureusement, — doit être analogue et non uni-
voque, vu que nous n'avons prise sur le transcendant que
par le transcendantal. Que le concept d'être ou tout autre
se rapportant à Dieu diffère totalement du même concept
appliqué aux créatures et que ce soit en face de l'univocité,

1) De Nominum analog ia, caput X, p. 277 (Ed. De Maria, Rome, 1907).


416 Hilaire Mac Donagh

— Scot semble l'insinuer, — l'unique terme de


l'alternative, alors c'en est fait du moyen terme de nos syllogismes,
les chemins qui conduisent notre raison de la créature à
Dieu sont à jamais coupés.
Cajetan n'était pas le premier à remarquer dans la
définition de Scot ce changement de signification de l'uni-
voque.Un contemporain et adversaire de Scot, le dominicain
anglais Thomas de Sutton, commente comme suit, dans
son ouvrage Contra Ioannem Scolum, cette même définition.

« Quod dicit (Scotus) de univocatione entis, si per univocationem


non plus intelligeret quod dicit se velle intelligere, tolerabile esset
dictum suum quamvis philosophi non omne taie univocum vocant,
quod sufficit ad contradiclionem vel ad unitatem medii in syllogismo ;
sed tamen ipse extendit, volens quod ens sit omnino univocum » ').

Laissons de côté pour l'instant la question de savoir si,


dans les applications Scot, demeure fidèle à cette définition.
Notre critique continue :

« Omnes ponentes, ipsum ens esse analogum ponunt ipsum aliquo-


modo conceptual secundum analogiam, i.-e. secundum propor-
tionem, nec tamen ponunt ipsum univocum nisi velint abuti signi-
ficationem vocabuli vocando analogum sicut iste facit » 2).

C'est encore cette définition qui induisit Javelle à ne voir


en cette question qu'un différend de mots plutôt qu'une
opposition de doctrine entre le docteur Angéliqne et le
docteur Subtil 3) : une analyse attentive nous conduira à
une conclusion opposée.
Nous nous trouvons donc en présence d'une innovation
portant sur la signification des notions d'univoque et
d'équivoque. Scot s'en était-il aperçu ou était-ce chez lui
gauchissement inconscient de termes? Si les moyens de trancher

1) Op. cit., 1. 1, d. 3, q. 2, cité par P. Longpré in Etudes franciscaines, mai 1923,


2) Ibid., d. 3, q. 5.
3) Cfr. P. Descoqs, S. J., Institutiones Metaphysicae Generates, 1. 1. Paris,
Beauchesne, 1925.
La métaphysique de Duns Scot 417

cette question avec pleine certitude nous font défaut, les


peines qu'il prend pour définir minutieusement sa pensée
afin d'éviter toute dispute de mots, « ne fiat contentio de
nomine univocationis », semble indiquer qu'il se rendait
parfaitement compte de la signification nouvelle qu'il
donnait aux termes. Bien plus, au paragraphe suivant,
avant de présenter ses preuves de l'univocité de l'être, il
prend soin de remarquer qu'il s'agit de l'univocité telle
qu'il l'a définie plus haut.

Hilaire Mac Donagh, 0. S. F. C.


(à suivre).

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