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S C I E N C E S F O N D A M E N TA L E S

Ti053 - Physique Chimie

États de la matière

Réf. Internet : 42109

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III
Cet ouvrage fait par tie de
Physique Chimie
(Réf. Internet ti053)
composé de  :

Recherche et innovation en physique-chimie Réf. Internet : 42114

Optique physique Réf. Internet : 42528

Structure de la matière Réf. Internet : 42113

États de la matière Réf. Internet : 42109

Bases en mécanique physique Réf. Internet : 42110

Applications en mécanique physique Réf. Internet : 42643

Physique statistique et mathématique Réf. Internet : 42619

Modélisation mécanique Réf. Internet : 42400

Fondamentaux en chimie Réf. Internet : 42106

Chimie organique et minérale Réf. Internet : 42108

Chimie des milieux complexes Réf. Internet : 42529

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IV
Cet ouvrage fait par tie de
Physique Chimie
(Réf. Internet ti053)

dont les exper ts scientifiques sont  :

Jean-Pierre BROSSARD
Professeur de mécanique

Laurent CATOIRE
Professeur des universités, Directeur de l'Unité de Chimie et Procédés (UCP) de
l'ENSTA ParisTech, Membre du conseil d'administration de l'ENSTA ParisTech

Mireille DEFRANCESCHI
Agrégée de chimie, Docteur d'État en Sciences Physiques

Philippe HERVÉ
Professeur à l'Université Paris X, Directeur du Laboratoire d'Énergétique et
d'Économie d'Énergie

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V
Les auteurs ayant contribué à cet ouvrage sont :

Jean-Luc ADAM Pierre FAUCHAIS André RENOUX


Pour l’article : AF3601 Pour l’article : AF3560 Pour les articles :
AF3612 – AF3613
Michel BAUER Sergey KUDRIAKOV
Pour les articles : Pour l’article : AF3682 Didier ROUXEL
AF3640 – AF3641 – Pour l’article : AF3680
AF3642 Luis LE MOYNE
Pour les articles : Jacques SEGRÉ
Alberto BECCANTINI AF3620 – AF3621 – Pour l’article : AF3682
Pour l’article : AF3682 AF3622
Étienne STÜDER
Guy BONNAUD Boyan MUTAFTSCHIEV Pour l’article : AF3682
Pour l’article : AF3683 Pour l’article : A245p1
Olivier VALLÉE
Brigitte BOULARD Jean-Pierre PETITET Pour l’article : AF3561
Pour l’article : AF3601 Pour les articles :
AF3570 – AF3571 Bernard WEBER
Denis BOULAUD Pour l’article : AF3680
Pour les articles : Jean PHALIPPOU
AF3612 – AF3613 Pour l’article : AF3600 Thierry WOIGNIER
Pour les articles :
Christophe Jean-Marcel RAX AF3609 – AF3610
CAUCHETEUR Pour l’article : AF3683
Pour l’article : AF3565 Jean-Marc di MEGLIO
Pour l’article : A1195

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VI
États de la matière
(Réf. Internet 42109)

SOMMAIRE
Réf. Internet page

Gaz ionisés et plasmas AF3560 9

Rayonnement des plasmas et profil des raies spectrales AF3561 15

Plasmons de surface : principes physiques et applications AF3565 19

Action de la pression sur les édifices moléculaires fluides AF3570 23

Action de la pression sur les édifices moléculaires solides AF3571 27

Verres. Aspects théoriques AF3600 31

Verres. Propriétés et applications AF3601 35

Aérogels. Aspects fondamentaux AF3609 39

Aérogels. Aspects matériaux AF3610 47

Physique des aérosols. Partie 1 AF3612 53

Physique des aérosols. Partie 2 AF3613 57

Atomisation, pulvérisation et aérosols. Instrumentation AF3620 63

Atomisation, pulvérisation et aérosols. Théorie et modèles AF3621 67

Atomisation, pulvérisation et aérosols. Applications AF3622 73

Cristallisation et polymorphisme. Description du phénomène AF3640 75

Cristallisation et polymorphisme. Physico-chimie du polymorphisme AF3641 79

Cristallisation et polymorphisme. Applications AF3642 85

Surface des solides. Physisorption - Chimisorption - Ségrégation AF3680 89

Surface des solides. Couches minces. Croissance cristalline A245P1 95

La matière molle A1195 101

Combustion et explosion des prémélanges gazeux et sûreté des installations AF3682 103

Fusion thermonucléaire : fondamentaux, réalisations et perspectives AF3683 111

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VII
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Référence Internet
AF3560

Gaz ionisés et plasmas

par Pierre FAUCHAIS


Professeur
SPCTS (Science des procédés céramiques et des traitements de surface)
CNRS UMR 6638
Université de Limoges-Faculté des sciences

1. Particules présentes dans un plasma et familles de gaz ionisés AF 3 560 – 2


1.1 Définition ...................................................................................................... — 2
1.2 Degré d’ionisation ....................................................................................... — 3
1.3 Fréquence plasma ....................................................................................... — 3
1.4 États d’énergie dans un plasma ................................................................. — 4
1.5 Méthodes de production............................................................................. — 5
2. Grandeurs caractéristiques des plasmas avec interactions ........ — 6
2.1 Les collisions................................................................................................ — 6
2.2 Grandeurs fondamentales .......................................................................... — 6
2.3 Fonction de distribution .............................................................................. — 9
2.4 Types d’ionisation dans les plasmas ......................................................... — 11
3. Plasmas avec interactions..................................................................... — 11
3.1 Équations de conservation ......................................................................... — 11
3.2 Coefficients caractéristiques dans les plasmas......................................... — 11
3.3 Plasmas à l’équilibre thermodynamique................................................... — 15
3.4 Conditions d’équilibre ................................................................................. — 16
3.5 Classement des plasmas............................................................................. — 17
4. Plasmas sans interactions..................................................................... — 17
4.1 Particules chargées sans collisions dans un champ électrique
et magnétique .............................................................................................. — 18
4.2 Dérive et conductivité électrique dans un champ magnétique uniforme — 19
4.3 Trajectoires adiabatiques dans un champ B non uniforme................... — 21
5. Ondes dans un plasma............................................................................ — 22
5.1 Ondes planes dans un plasma ................................................................... — 22
5.2 Plasma sans champ magnétique : fréquence de coupure ....................... — 23
5.3 Propagation parallèle à un champ magnétique........................................ — 23
5.4 Propagation oblique et transversale .......................................................... — 24
5.5 Classification des plasmas par rapport aux ondes ................................... — 24
6. Conclusion ................................................................................................. — 24
Notations et symboles .................................................................................... — 25
Références bibliographiques ......................................................................... — 27

es plasmas sont le quatrième état de la matière et représentent près de 99 %


L de l’Univers. Ils existent soit à l’état naturel (couronne solaire, Soleil, inté-
rieur des étoiles, ionosphère, intérieur des naines blanches…), soit en labora-
toire où ils sont généralement produits par des décharges électriques. Ce sont
des gaz contenant des atomes, des molécules et des ions dans l’état fondamen-
tal ou dans un état excité, des électrons et des photons qui proviennent de la
désexcitation des états excités. Les électrons, particules très légères par rapport
Parution : juillet 2000

aux ions et aux neutres, sont fortement accélérés par les champs électriques

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite.
© Techniques de l’Ingénieur, traité Sciences fondamentales AF 3 560 − 1

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AF3560

GAZ IONISÉS ET PLASMAS _______________________________________________________________________________________________________________

et/ou magnétiques et jouent un rôle tout particulier. Il existe de très nombreuses


variétés de plasmas qui dépendent de la densité des électrons et de la tempéra-
ture (ou énergie) de ces derniers. Ils se distinguent en fait par différents critères :
— leur état d’ionisation, qui peut aller de très faible (quelques électrons dans
un « océan » de neutres) à totalement ionisés (il n’y a plus que des électrons et
des ions) ;
— les collisions entre les particules les composant, avec des plasmas relevant
de la cinétique classique et de l’équation de Boltzmann. Là encore, on peut les
séparer, d’une part, en plasmas thermiques où les collisions sont très nombreu-
ses (pression au voisinage de la pression atmosphérique) et l’ionisation due à un
effet thermique et, d’autre part, en plasmas de décharges où la distance parcou-
rue entre deux collisions est suffisamment importante pour que l’ionisation
puisse se faire par collision directe ;
— les plasmas sans interactions (ou pratiquement sans collisions) où les par-
ticules chargées se déplacent sous l’effet des champs électriques et magné-
tiques (atmosphères où les pressions sont très faibles < 0,1 Pa) ;
— les plasmas relativistes où les vitesses des particules se rapprochent de
celle de la lumière ;
— les plasmas très denses et entièrement ionisés qui se comportent comme
des solides ou des liquides (particules submicroniques chargées) ;
— les plasmas relevant des statistiques quantiques comme celle de Fermi-
Dirac, par exemple un gaz d’électron.
La propagation des ondes dans les plasmas est également très complexe car
ils contiennent des particules chargées de masses très différentes (électrons et
ions) qui vont participer à l’onde. De plus, les champs magnétiques leur donnent
un caractère anisotrope. On peut donc, là encore, les classer en différentes
familles par rapport à la propagation des ondes.
Cet article n’est qu’une introduction très sommaire à la présentation des plas-
mas.
Remerciements : ce texte reprend celui du professeur J.L. Delcroix, publié dans les Techni-
ques de l’Ingénieur en 1980. Je tiens à rendre hommage au professeur Delcroix dont je me suis
beaucoup inspiré et dont j’ai repris certains passages toujours d’actualité.
Le tableau des notations et symboles se trouve en fin d’article.

1. Particules présentes tante des particules dans un plasma, les particules lourdes, ou tout
du moins certaines d’entre elles, peuvent se trouver dans un état
dans un plasma et familles excité pendant des temps de l’ordre de 10 – 6 à 10 – 8 s. Elles se
désexcitent vers un niveau d’énergie inférieur en émettant un
de gaz ionisés photon. Cette émission de photons est en grande partie responsable
de la luminosité du plasma et, en quelque sorte, sa « signature ».

1.1 Définition Le mélange : photons, électrons, ions et neutres (dans leurs


états fondamentaux ou excités) ne peut être qualifié de plasma
que si les charges positives et négatives s’équilibrent, c’est-à-
Nous nous limiterons, dans ce qui suit, au cas des plasmas dire si le plasma est globalement électriquement neutre.
gazeux.
Ces derniers sont un mélange d’électrons , d’ions et de particules Cette propriété est connue sous le nom de quasi-neutralité .
neutres. Étant donné que les électrons ont une masse beaucoup Cependant, au voisinage d’une particule chargée (sphère de Debye)
plus faible que celle des autres particules : ou d’une surface (zone de gaine), la neutralité électrique n’est plus
mH/me = 1 836 satisfaite. Contrairement à un gaz, un plasma est donc un conduc-
teur électrique du fait de la présence des particules chargées libres.
avec mH masse d’un atome hydrogène,
me masse de l’électron, Exemple : un plasma d’hydrogène à 106 K a environ la même
conductivité électrique que celle du cuivre.
les ions et les neutres sont appelés les particules lourdes .
Les électrons, du fait de leur faible masse, sont beaucoup plus Mais, dans l’ensemble, la conductivité électrique des plasmas est
rapides que les particules lourdes. Compte tenu de l’énergie impor- de quelques ordres de grandeur inférieure à celle du cuivre [1].

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______________________________________________________________________________________________________________ GAZ IONISÉS ET PLASMAS

1.2 Degré d’ionisation avec ξ0 amplitude,


ϕ déphasage entre ξ et t avec :
1/2
Il est défini par la quantité α :  e2  –1
ω pe =  -------------- n e ( rad.s ) (6)
n m
 e 0  ε
α = ---------------- (1)
n0 + n
ωpe est appelée fréquence plasma. En effet, la fréquence corres-
avec ne = ni = n densité (nombre de particules par unité de pondante pour les ions :
volume) des électrons, égale à celles des ions, 1/2
n0 densité des neutres.  e2  –1
ω pi =  ------------ n e ( rad.s ) (7)
Un plasma est dit faiblement ionisé si α < 10 – 4 et fortement  mi ε0 
ionisé si α > 10 – 4 [2].
compte tenu du rapport des masses, même intervenant par leurs
■ Dans un plasma faiblement ionisé, quelques ions et électrons se racines carrées, est beaucoup plus petite que ωpe, c’est pourquoi la
déplacent au milieu d’innombrables particules neutres. Ce sont fréquence plasma est pratiquement celle des électrons :
alors les collisions binaires entre un électron (ou un ion) se dépla- ω p ≈ ω pe (8)
çant sous l’effet du champ électrique et une particule neutre qui
déterminent la dynamique des particules ionisées. Un calcul similaire pour un plasma uniforme mais de forme diffé-
rente conduirait à une pulsion ω telle que :
■ Les plasmas fortement ionisés (α > 10 – 4) peuvent être :
— sans interactions entre les particules, c’est-à-dire qu’ils sont ω p = Aω pe (9)
fortement dilués (par exemple, le vent solaire) et les particules char-
gées suivent sans collisions une trajectoire essentiellement détermi- avec A facteur numérique fonction de la forme (par exemple
née par les champs électromagnétiques externes ; A = 1 ⁄ 3 pour une sphère et A = 1 ⁄ 2 pour un cylindre).
— avec interactions ; on démontre alors qu’un électron particulier
peut être considéré comme en interaction avec un grand nombre Si le plasma est soumis à un champ alternatif E (E = E0 e–iωt) de
d’autres particules chargées, c’est-à-dire que ce sont les interactions
coulombiennes, dites collectives, qui déterminent essentiellement pulsion ω et si l’on néglige les collisions, la vitesse v e des électrons
la dynamique du plasma. est donnée par :

∫E
e e E e
v e = – -------- dt = – -------- -------------- = – i ω --------------2- E (10)
me me ( –i ω ) m ω
1.3 Fréquence plasma e
2
avec i nombre imaginaire 1 Π ⁄ 2 ( i = – 1 ) .
La densité de courant correspondante pour une densité d’élec-
Considérons un petit volume parallélépipédique de longueur < trons constante ne0 est alors :
parallèle à x (figure 1) contenant un nombre égal d’ions positifs et
d’électrons uniformément distribués à T = 0 K.
j e = – n e0 ev e (11)
En appliquant une impulsion de champ électrique E aux extré-
mités, impulsion suffisamment brève pour que les ions n’aient pas soit, compte tenu des équations (10) et (6) :
le temps de bouger, on forme à gauche une couche mince d’élec- 2
trons d’épaisseur dξ très petite devant < et à droite une zone avec ω pe
un déficit d’électrons. En utilisant l’équation de Poisson : j e = – i ωε 0 ---------
2
E (12)
ω
1
div E = ----- ρ e< (2)
ε0

avec ε0 permittivité du vide,



ρ e< charge d’espace  ρ e< = – e ne -------  , E
 dx 
e charge d’électron,
on a : – – + – + – + +

dξ d V
2 – + – + – + – +
– en e ------- = ε 0 ----------2 (3)
dx dx – – + – + – + +
La charge élémentaire –e subit une force :
– + – + – + – +
2 2
dV d ξ e
– eE = + e -------- = m e ---------2 = ------ n e ξ (4)
dx dt ε0 dξ dξ
L’équation différentielle : ,
2 2
d ξ e
m e ---------2 – ------ n e ξ = 0 (5) x
dt ε0

est alors celle d’un simple oscillateur harmonique : Figure 1 – Perturbation d’un élément de plasma de longueur <
entraînant de façon transitoire un excès ou un déficit de charge
ξ / ξ 0 = cos ( ω pe t + ϕ ) aux extrémités (sans agitation thermique) [3].

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Cela signifie donc que la densité de courant électrique est en


quadrature de phase retard par rapport à E , c’est-à-dire que les k 2c 2
électrons ont un comportement inductif. On établirait également ω2
une relation similaire pour les ions avec une densité de courant
me 1 I
ionique j i très faible puisque j i = -------- j e .
mi
En tenant compte de la densité du courant de déplacement :

∂E
j D = ε 0 --------- = – i ωε 0 E (13)
∂t
la densité de courant totale j = j e + j D (en négligeant j i ) devient
P
donc :
2
O 1 ωp2
 ω pe
j = – i ωε 0  1 – E
---------
2
 (14) ω2
 ω 
Le plasma présente une permittivité : ωp2
a évolution de 12 en fonction de
ω pe
2 ω2
ε r = 1 – ---------
2
(15)
ω
Celle-ci est égale au carré de l’indice de propagation ω

2 2
2 k c
1 = -----------
2
ω
soit :
2
2
2 2
k c ω pe
1 = -----------
2
= 1 – ---------
2
(16) ω(k )
ω ω
avec k vecteur d’onde et k son module.
ωp
La fréquence plasma ω p ≈ ω pe est donc une fréquence critique
c
séparant les fréquences en deux domaines.
■ v > v p : la permittivité ε r est positive et inférieure à l’unité, la
densité de courant de déplacement jD est alors supérieure à celle de
conduction je. Le plasma a un comportement capacitif et propage k
les ondes électromagnétiques sans atténuation. Cependant, la per-
mittivité ε r étant plus petite que l’unité, la vitesse de phase v ϕ des b diagramme de Brillouin
ondes électromagnétiques est supérieure à celle de la lumière et
tend vers l’infini lorsque ω tend vers ωp. Par contre, la vitesse de
Figure 2 – Diagramme de dispersion des ondes électromagnétiques
∂ω ∂ω
groupe ( v g = -------- = ------- ( k ⁄ k ) puisque ω n’est fonction que du dans un plasma [2]
∂k
∂k
module de k ) est toujours plus petite que c et varie de c pour
ω >> ωp à zéro pour ω = ωp.
Ce comportement est résumé sur la figure 2 où l’on a représenté 1.4 États d’énergie dans un plasma
2 2 2 2 2 2
k c ⁄ω = 1 en fonction de ωp ⁄ω et ω en fonction de k
(diagramme de Brillouin). Lorsque les plasmas sont dominés par les collisions, il est impor-
■ v < v p : la permittivité ε r est négative. Le courant de conduction tant d’avoir en tête les ordres de grandeur des énergies internes afin
est supérieur au courant de déplacement et le plasma a un comporte- de connaître quels états peuvent être excités.
ment inductif. L’indice de propagation est purement imaginaire et les Ces derniers sont caractérisés par leur énergie, généralement
ondes électromagnétiques sont évanescentes. Si une onde arrive sur exprimée en électronvolts (1 eV = 1,6 x 10–19 J). En effet, cette
la frontière d’un plasma venant de l’extérieur, elle se réfléchit sur cette énergie est celle gagnée par une charge de 1 C dans un potentiel de
frontière. Ce phénomène se manifeste dans la propagation des ondes 1 V. Pour les atomes présents dans les plasmas de laboratoire
radioélectriques autour de la Terre. L’ionosphère y joue, pour les fré- usuels, le tableau 1 donne les niveaux d’énergie d’ionisation ainsi
quences inférieures à quelques mégahertz, le rôle de réflecteur. que ceux du premier état excité.

Tableau 1 – Énergies de l’état ionisé et de l’état de résonance des principaux plasmas de laboratoire
Atome H He N O Ne Ar
Énergie d’ionisation ...................................................................................(eV) 13,659 24,481 14,534 13,618 21,564 15,755
1er état excité = état de résonance............................................................(eV) 10,198 21,216 10,325 9,521 16,847 11,623

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______________________________________________________________________________________________________________ GAZ IONISÉS ET PLASMAS

Comme on peut le constater, le premier état excité ou état de


résonance est relativement proche de l’état d’ionisation, ce qui
signifie qu’il faut des énergies importantes pour que la particule
Tableau 3 – Plasmas naturels d’après Delcroix [2]
produisant l’excitation (collision inélastique) puisse exciter l’atome. lg ne lg Te
Les énergies d’ionisation les plus élevées correspondent aux
atomes dont la couche électronique est complète, c’est-à-dire aux État de la matière Plasma (ne en (Te en
gaz rares, et les plus faibles, à ceux possédant un seul électron K)
m–3)
autour des couches précédentes complètes, c’est-à-dire les alcalins.
Intérieur des naines blanches 38 7
Outre les états excités dont la durée de vie est très courte, il existe Matière dense
certains états excités sur lesquels l’électron lié est retombé à la suite Intérieur des étoiles 33 7,5
de collisions et de désexcitations radiatives et pour lesquels les Magnétosphère de pulsar 18 16
règles de sélection interdisent toute désexcitation par émission d’un
photon. La désexcitation de ces états ne peut alors se faire que par Gaz fortement Couronne solaire 13 6,5
collisions et ils sont appelés états métastables . De tels atomes ou ionisé Ionosphère (250 km) 11,5 3
molécules sont des réservoirs d’énergie et leur durée de vie peut Vent solaire 6,5 5
excéder plusieurs secondes. Il n’y a pas de métastables dans les
alcalins, mais ils jouent un rôle important dans les gaz rares ou dans Gaz faiblement Ionosphère (70 km) 9 2,5
certaines molécules comme N2, O2. ionisé
Pour les molécules diatomiques, le tableau 2 donne les énergies
de dissociation (par exemple H 2 → 2H ) ainsi que les énergies de
Les plus utilisées sont les décharges luminescentes obtenues
vibration et de rotation.
avec des courants entre 10–6 A et quelques ampères et des pres-
Comme on peut le constater, la dissociation se produit bien avant sions de 10–4 à 1 kPa, et les arcs de quelques ampères à 105 A à des
l’ionisation (de l’atome correspondant ou de la molécule) et les états pressions de 10 kPa à 1 MPa [1][4][9] ; il en résulte que les puis-
de vibration et surtout de rotation sont relativement faciles à exciter. sances dissipées vont de quelques watts à une centaine de
Certains atomes ou molécules peuvent donner des ions négatifs mégawatts.
stables par fixation d’un électron supplémentaire. L’énergie corres-
Lorsque la fréquence du courant entre les électrodes croît, on
pondante, appelée affinité électronique , est en général faible
atteint une première fréquence ωci au-delà de laquelle les ions n’ont
(< 1 eV) sauf pour les halogènes.
plus le temps d’atteindre les électrodes entre deux changements
d’alternance, puis une deuxième, ωce, où les électrons ne peuvent
plus atteindre les électrodes. Celles-ci deviennent donc inutiles.
1.5 Méthodes de production Pour ω > ωce, on est en régime de décharge radiofréquence (RF)
avec un mécanisme de claquage contrôlé par la diffusion des
porteurs de charges. Cependant, compte tenu de la réglementation
Très souvent deux catégories de plasmas sont définies : les fixée par l’ITU (International Telecommunication Union), les
plasmas naturels et les plasmas créés par l’homme. Ils sont produits fréquences disponibles sont limitées (13,56 MHz – 27,12 MHz). Deux
dans une gamme de pression si importante qu’on les caractérise grands types de couplages sont alors possibles : le couplage
généralement en fonction de la température des électrons Te et de inductif qui est pratiquement le seul utilisé par les plasmas thermi-
la densité des électrons ne. ques (10 kPa < P < 1 MPa) avec des puissances de 1 kW à
Les plasmas naturels composent 99 % de l’Univers et les 1 MW [1][5] et le couplage capacitif. Ce dernier, ainsi que le
premiers connus furent la foudre et les aurores boréales. Le couplage inductif, est très utilisé pour tous les réacteurs de gravure
tableau 3 indique quelques plasmas naturels. ou d’ablation des matériaux ou pour les réacteurs de procédés de
dépôts ou de traitement de surface [9] avec des pressions de 10–3 à
Les plasmas peuvent être générés en faisant passer un courant
1 kPa et des puissances de quelques watts à quelques kilowatts.
électrique à travers un gaz. Comme les gaz à température ambiante
sont d’excellents isolants, il convient de générer un nombre suffi- ■ Avec les micro-ondes (MO) à 0,915 ou 2,45 GHz, les modes de
sant de porteurs de charge pour rendre le gaz conducteur. Cela est couplages utilisés en RF sont inappropriés. Ces fréquences ne sont
connu sous le nom de phénomène de claquage électrique et peut absorbées par le plasma que si la densité d’électrons ne est supé-
être accompli de différentes manières (le claquage crée un chemin rieure ou proche de la densité de coupure nec définie par la
conducteur entre une paire d’électrodes et induit une décharge dans relation (6), c’est-à-dire :
le gaz).
nec = 9,5 x 1015 m–3 à 0,915 GHz et 7,4 x 1016 m–3 à 2,45 GHz
■ En courant continu ou alternatif , il existe une très grande variété
de décharges qui dépendent du courant qui peut varier entre 10–9 et Ces plasmas ont donc des densités élevées par rapport à celles
105 A. obtenues avec les décharges RF basse pression. Les décharges MO
conventionnelles impliquent que la décharge soit une partie inté-
grante du circuit MO, c’est-à-dire avec des cavités résonnantes de
dimensions faibles par rapport à la longueur d’onde (12 cm à
2,45 GHz). Cependant, depuis, se sont développées des décharges
Tableau 2 – Énergies de l’état fondamental MO dans des cavités non résonnantes et multimodes se présentant
comme des enceintes cylindriques d’assez grandes dimensions
des molécules rencontrées
(quelques centaines de litres) [9]. Des décharges à onde de surface
dans les plasmas de laboratoire ont également été mises au point qui permettent de produire des
plasmas dans des tubes jusqu’à 150 mm de diamètre entre 10–3 et
Molécule H2 N2 O2 quelques kilopascals [6]. La encore, les puissances dissipées vont
de quelques watts à quelques kilowatts.
Énergie de dissociation... (eV) 4,588 9,756 5,118
+ ■ Naturellement les plasmas peuvent être produits aussi par la
Énergie d’ionisation M 2 .. (eV) 15,426 15,58 24,2 focalisation de faisceaux laser , par des ondes de choc, par des flam-
Énergie de vibration ........ (eV) 0,5459 0,293 0,192 mes éventuellement dopées avec des matériaux facilement ionisa-
bles [MagnétoHydroDynamique (MHD)], par la fission ou la fusion
Énergie de rotation.......... (eV) 1,5 x 10–2 4,98 x 10–4 3,55 x 10–4 nucléaire .

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GAZ IONISÉS ET PLASMAS _______________________________________________________________________________________________________________

Lors de la collision, les particules échangent de l’énergie cinétique


Température des électrons (eV) et/ou de l’énergie potentielle. Cela permet donc de classer les colli-
sions en trois types.
■ Collisions élastiques
10 4
Plasmas de fusion Lors de ces collisions, l’énergie cinétique et la quantité de mouve-
thermonucléaire ment sont conservées.
Exemple : toutes les collisions dans un gaz neutre à la température
Couronne solaire
ambiante sont élastiques.
10 2
Un point important qu’il convient de conserver en mémoire est
que la fraction d’énergie K transférée d’une particule de masse m à
une particule de masse M est, quel que soit l’angle de déviation,
Décharge luminescente
Lampes fluorescentes
donnée par la relation :
Décharges RF Arcs et décharges RF
1 haute pression 2 mM 2m
ondes de choc K = ------------------------2- = --------- (si m << M) (17)
(m + M) M
Flamme Générateurs MHD
Ionosphère
Cela signifie donc que les particules lourdes échangent très facile-
Température ambiante ment leur énergie par collision élastique alors que, lors de la colli-
10 –2 sion d’un électron et d’une particule lourde, la fraction d’énergie est
108 1012 1016 1020 1024 très faible. Un électron devra donc subir des milliers de collisions
élastiques pour perdre son énergie .
Vide Solides

Densité des électrons (m–3) ■ Collisions inélastiques


Ce sont les collisions où une partie de l’énergie cinétique Ecin est
RF radiofréquence transformée en énergie interne (c’est-à-dire ∆Ecin < 0). Il convient
cependant de se souvenir que ∆Ecin doit être au moins égal à
Figure 3 – Classification des plasmas [1] l’énergie interne de l’atome ou de la molécule (cf. § 1.4). Les
tableaux 4, 5 et 6 d’après Delcroix [2] résument quelques-unes des
La figure 3 résume, en fonction de la densité électronique et de la principales collisions inélastiques.
température exprimée en eV (1 eV a été pris ici égal à 7740 K : cas
des plasmas ayant des distributions maxwelliennes), les différents ■ Collisions superélastiques
types de plasma que l’on peut rencontrer dans la nature et en labo- Ce sont des collisions où une partie de l’énergie interne de la
ratoire. particule est transformée en énergie cinétique (c’est-à-dire
∆Ecin > 0).

2. Grandeurs caractéristiques
des plasmas avec 2.2 Grandeurs fondamentales
interactions
2.2.1 Sections efficaces de collision
Ces plasmas se rencontrent pratiquement dès que la pression est
supérieure à quelques dizaines de pascals.
On considère deux particules de masses mj et mk positionnées
2.1 Les collisions par leurs vecteurs r j et r k et de vitesses v j et v k . Dans un repère
fixe par rapport à k, leur position relative est :
Lorsque deux particules initialement séparées par une distance d
s’approchent l’une de l’autre, elles commencent à interagir et si,
après cette interaction, quelque changement mesurable s’est R jk = r j – r k
produit, on dit qu’une collision a eu lieu.
Compte tenu de leur nuage d’électrons, les particules neutres et leur vitesse relative :
n’ont pas de collision type « boules de billards » mais elles se
« sentent » bien avant d’être en contact physique. Cette interaction V jk = v j – v k (figure 4)
est due à la déformation de leur nuage électronique, ce qui entraîne
d’abord une force attractive (dans le cas d’un potentiel de Lennard-
Jones, cette force est ~d –7), puis fortement répulsive du fait des
noyaux positifs (pour un potentiel de Lennard-Jones, cette force est
~d –13). Du fait de cette interaction, les particules sont déviées de j Vjk k
leur trajectoire initiale.
Pour les particules neutres, avec des forces d’interaction en d –n θ ϕ
avec 7 < n < 13 , la déviation se produit pendant un temps très

court et cette collision est pratiquement celle de deux boules de


billard.
dΩ
Par contre, pour les particules chargées , la force d’interaction
étant en d –2, les particules se « voient » de très loin et la déviation
Figure 4 – Schématisation du processus de collision entre deux
de trajectoire dure un temps non négligeable par rapport à celui
existant entre deux collisions. sphères rigides de rayons r j et r k

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Rayonnement des plasmas


et profil des raies spectrales

par Olivier VALLÉE


Professeur
LASEP (Laboratoire d’Analyse Spectroscopique et d’Énergétique des Plasmas)
UPRES EA 3269
Faculté des Sciences – Université d’Orléans

1. Rayonnement et équilibre thermodynamique local ....................... AF 3 561 – 2


1.1 Lois de l’équilibre thermodynamique........................................................ — 2
1.2 Raies spectrales ........................................................................................... — 4
2. Généralités sur le profil des raies spectrales................................... — 5
2.1 Théorie de l’émission spontanée d’un photon
dans l’approximation dipolaire .................................................................. — 5
2.1.1 Calcul de la probabilité de transition ................................................ — 5
2.1.2 Fonction d’autocorrélation et limite thermodynamique ................. — 7
2.2 Aspects simplifiés de la théorie de l’élargissement des raies spectrales — 7
2.2.1 Temps caractéristiques....................................................................... — 7
2.2.2 Quelques cas particuliers................................................................... — 8
3. Calcul semi-classique dans l’approximation binaire...................... — 9
3.1 Formule de Talman-Anderson..................................................................... — 9
3.2 Approximation quasi-statique .................................................................... — 11
3.3 Approximation des impacts........................................................................ — 11
4. Élargissement par le microchamp des ions d’un plasma ............. — 13
4.1 Généralités ................................................................................................... — 13
4.2 Fonction de distribution du microchamp de Holtsmark........................... — 13
4.3 Élargissement dans le microchamp des ions............................................ — 14
4.4 Raie Hβ .......................................................................................................... — 14
5. Effets des collisions sur l’élargissement Doppler des raies ........ — 15
5.1 Fonction d’autocorrélation.......................................................................... — 15
5.2 Collisions faibles et équation de Fokker-Planck ........................................ — 16
5.3 Cas des collisions fortes.............................................................................. — 17
Références bibliographiques ......................................................................... — 17

a spectroscopie des plasmas est un domaine extrêmement spécialisé de la


L physique même si, par ailleurs, elle constitue une science très interdiscipli-
naire. Son origine vient de l’astronomie où l’étude du spectre du Soleil et des
étoiles a permis de détacher, entre autres, les premiers résultats de ce qui allait
devenir la physique quantique. C’est en 1906 que Lorentz donnera les premiers
fondements de la théorie des raies spectrales en proposant un profil qui porte
désormais son nom. Il faudra toutefois attendre le début des années 60 pour que
se dégagent, avec Baranger (1962) et Griem (1964), les principaux concepts de la
spectroscopie des plasmas et de la théorie du profil des raies spectrales. Au fil
des années, les théories, aussi bien que la masse des données expérimentales
se sont accrues, tant dans le domaine des plasmas de laboratoire, que (par un
Parution : janvier 2002

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RAYONNEMENT DES PLASMAS ET PROFIL DES RAIES SPECTRALES ______________________________________________________________________________

retour aux sources) dans le domaine de l’astrophysique où le sujet demeure


encore d’une grande importance.
Malgré l’origine quantique du rayonnement électromagnétique qui prend
naissance au sein des plasmas, on peut, dans une certaine mesure, introduire les
concepts de base de la théorie du profil des raies spectrales par le biais d’outils
classiques comme la mécanique statistique et la théorie semi-classique. C’est le
point de vue que nous adopterons ici afin de dégager les bases de cette physi-
que. En effet, le profil des raies spectrales résulte d’une double problématique :
d’une part, un aspect collisionnel qui modifiera, entre autres, la phase du train
d’onde émis par l’atome et, d’autre part, un aspect statistique lié à la nature du
gaz ou du plasma dans lequel est plongé l’atome rayonnant.
L’étude expérimentale du spectre des plasmas est un remarquable outil de dia-
gnostic de ces milieux. L’abondante littérature scientifique touchant à ce
domaine est la preuve des potentialités de la méthode. On trouvera dans
l’ouvrage de Griem, mais aussi dans la compilation exhaustive du NIST (Natio-
nal Institute of Standards and Technology) les références récentes concernant ce
domaine. Ici nous ne traiterons pas de la spectroscopie laser qui, depuis plu-
sieurs années déjà, connaît un développement considérable : la Light Induce
Fluorescence (LIF) ou la spectroscopie par mélange quatre ondes sont de plus en
plus utilisées dans les laboratoires ; ces méthodes sont très puissantes, parce
qu’elles sont locales et sensibles. Néanmoins, l’étude, menée dans cet article,
reste un préambule à ces techniques. Cependant, il ne faudrait pas croire que
l’étude du profil des raies spectrales peut complètement se passer des méthodes
quantiques qui demeurent l’outil de départ d’une étude approfondie, surtout
dans le domaine des collisions. Le lecteur trouvera en référence les traités qui
approfondissent les notions que nous allons dégager dans cet article.
Nota : le lecteur se reportera aux ouvrages de Griem référencés [2][3][4], mais aussi à la compilation du NIST [11].

1. Rayonnement et équilibre ■ Dans un plasma, les électrons jouent un rôle majeur au travers
des réactions d’excitation, d’ionisation, de recombinaison… Nous
thermodynamique local allons détailler quelques réactions qui dominent ces différents pro-
cessus :
— les processus d’excitation et de désexcitation par collision
électronique :
1.1 Lois de l’équilibre thermodynamique –
A + e £ A* + e

où l’astérisque désigne un état excité ;


— l’ionisation par collision électronique et la recombinaison à
Dans un plasma, les collisions entre les différentes espèces qui trois corps :
composent le milieu suivent un certain nombre de lois d’équilibre.
Ces lois participeront à l’intensité des raies spectrales qui assure- –
A+e £ A +e +e
+ – –
;
ront une signature de ce plasma. Dans ce paragraphe, nous rappe-
lons un certain nombre de résultats que l’on peut trouver dans un — les processus faisant intervenir le rayonnement, comme la
exposé de physique des plasmas (cf. par exemple [5][12]). photoionisation et la recombinaison :
L’intensité d’une raie spectrale correspondant à une transition + –
depuis un niveau initial i jusqu’à un niveau final f est donnée par la A + {ω £ A + e ;
loi classique :
— le bremsstrahlung (ou rayonnement de freinage), en émission
ou en absorption :
I if = N i A if { ω if (1)
– –
A + e £ A + e + {ω ;
avec A if probabilité de la transition (coefficient d’Einstein),
— et, ce qui va nous intéresser ici, l’émission et l’absorption de
ω if pulsation correspondant à cette transition, rayonnement entre deux états d’énergie d’un atome :
Ni nombre d’atomes dans le niveau initial i dans A **£ A * + { ω .
une unité de volume,
Bien d’autres processus peuvent participer à cet équilibre colli-
{ constante réduite de Planck. sionnel-radiatif, surtout si, en place de l’atome A, nous avons affaire
Cette quantité s’exprime en joule par seconde et par mètre cube. à une molécule. L’étude du profil des raies spectrales participant au
Cependant, si des quantités comme A if sont intrinsèques à l’atome, diagnostic du plasma, suppose l’existence de ce que l’on appelle
d’autres comme la population N i vont dépendre du plasma lui- l’équilibre thermodynamique local. Nous allons définir rapidement
même. ce dont il s’agit.

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_____________________________________________________________________________ RAYONNEMENT DES PLASMAS ET PROFIL DES RAIES SPECTRALES

Un plasma à l’équilibre thermodynamique complet (ETC) est Cependant, les conditions de l’équilibre thermodynamique com-
caractérisé par une même température T pour toutes les espèces plet ne sont pas satisfaites dans les plasmas de laboratoire : exis-
qui composent ce plasma (figure 1a). Le gradient de température et tence de gradients de température et densité, et le milieu est assez
de densité est nul. Les particules ont une distribution des vitesses souvent optiquement mince. On est alors amené à introduire la
maxwellienne. Du fait de ces propriétés, un certain nombre de lois notion d’équilibre thermodynamique local (ETL).
est vérifié. Dans un plasma en ETL, les lois de Boltzmann et Saha, à l’excep-
● Loi de Boltzmann : tion de la loi de Planck, s’appliquent encore localement ; le milieu est
N g souvent optiquement mince dans un domaine étendu de longueur
-----j exp – E
------j = g j – Ek
- ,
---------------- (2) d’onde. La loi de Planck n’étant plus valable, l’intensité rayonnée
N kk k T B s’obtient en utilisant l’équation de transfert du rayonnement. Les
où N j et N k sont les densités de population de niveaux j et k cor- processus collisionnels (en particulier les processus mettant en jeu
respondant aux énergies E j et E k , avec les poids statistiques g j les électrons) jouent un rôle dominant dans ces plasmas. Ce sont les
et g k ; T est la température et k B la constante de Boltzmann. électrons qui assurent l’équilibre et l’égalité des températures d’exci-
tation et d’ionisation avec leur température cinétique (figure 1b avec
● Loi de Saha-Eggert :
T1 et T2 température de deux composants du plasma). Il s’ensuit que
N+ Ne g +  2π mk B T  3 ⁄ 2 E∞ – Ej les critères d’ETL seront liés à la densité électronique du plasma.
- ------------------------
--------------- = 2 -----
gj  2  - ,
exp – ----------------- (3) Exemple : dans l’argon, alors que les raies de résonance sont auto-
Nj  h  kB T
absorbées, l’ETL existe à partir d’une densité électronique de 1016 cm–3.
avec N + et N e respectivement densités de population des Pour des densités électroniques plus faibles que 1016 cm–3, il se peut
ions et des électrons, que les électrons assurent l’équilibre entre certains niveaux (élevés),
m masse de l’électron, mais que les premiers excités, et en particulier le niveau fondamental,
g+ poids statistisque de l’ion, ne soient plus en équilibre entre eux. On dit que l’on a équilibre ther-
h constante de Planck, modynamique local partiel (ETLP). Les lois de Boltzmann et de Saha
E∞ énergie d’ionisation de l’atome, compte tenu ne sont applicables qu’à partir du niveau où l’équilibre existe.
de l’abaissement du potentiel d’ionisation.
● Loi de Planck Dans la suite de cet article nous considérerons que nous som-
3 mes à l’équilibre thermodynamique local pour les niveaux
2hν 1 considérés de la transition atomique.
I 0 ( ν ,T ) = ------------
2
- ---------------------------------------------- (4)
c exp ( h ν ⁄ k B T ) – 1
15
Aux densités électroniques relativement faibles ( N e ⭐ 10 cm–3),
avec I 0 ( ν ,T ) intensité spectrale (puissance de rayonnement les élargissements Stark (cf. § 1.2)de la plupart des raies spectrales,
traversant normalement une surface unité, par y compris celles de l’hydrogène, sont trop petits pour permettre une
unité de fréquence et unité d’angle solide), mesure précise de la densité électronique. Cependant, lorsque la
ν fréquence du rayonnement, densité électronique N e est connue, T e peut se déduire de la loi de
c vitesse de la lumière. Saha appliquée à partir d’un niveau proche de la limite d’ionisation
dont la densité de population est mesurée en valeur absolue. En fait,
■ La microréversibilité des divers processus à l’équilibre thermody- T e s’obtient à partir de la pente du graphique de Boltzmann en uti-
namique complet entraîne l’autoabsorption du rayonnement ; le lisant un nombre de niveaux régulièrement répartis entre le premier
milieu est optiquement épais. état excité et la limite d’ionisation. Les populations des différents
niveaux sont déterminées en valeur absolue (ou relative) en chaque
point du plasma (on utilisera une inversion d’Abel [2] si le plasma
possède une symétrie de révolution), à partir de leur intensité
d’émission (cf. formule (1)).
Ce graphique de Boltzmann (figure 2) est construit en portant le
logarithme des populations en ordonnée, et l’énergie des niveaux
T T en abscisse. En effet, d’après la loi de Boltzmann [relation (2)], on a
pour un niveau i donné :
Ni Ei
∇T = 0 ln ------
- - + Cte
g i = – ---------
kB T
où N i , E i et g i sont respectivement la densité de population du
a ETC niveau, son énergie rapportée au fondamental et son poids statique.
La pente de la droite obtenue ( – 1 ⁄ k B T ) permet ainsi de remon-
ter à la température T e . L’application de la loi de Saha permet
ensuite de déterminer la densité électronique.

T1 T2 ln N
g λ1
λ2

∇T ≠ 0
λp

b ETL
E
La pente de cette droite détermine la température.
Figure 1 – Différence entre équilibre thermodynamique complet
(ETC) et équilibre thermodynamique local (ETL) Figure 2 – Graphique de Boltzmann

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RAYONNEMENT DES PLASMAS ET PROFIL DES RAIES SPECTRALES ______________________________________________________________________________

1.2 Raies spectrales ■ Nous dirons que le profil résulte du produit de convolution de
toutes les contributions physiques agissantes, ce qui présuppose
une indépendance statistique des phénomènes impliqués.
C’est ainsi que l’on distingue quatre principales causes que l’on sup-
Le rayonnement des plasmas dans une fenêtre de fréquences pose, au moins dans un premier temps, comme statistiquement
ω indépendantes.
ν = ------- donnée résulte d’un grand nombre de phénomènes physi-
2π — La fonction d’appareil sera mesurée de façon indépendante,
ques résultant, entre autres, des réactions qui font intervenir les mais elle peut, dans les cas de basses résolutions optiques, jouer un
diverses espèces composant ce milieu, ainsi que nous les avons rôle important sur la forme du profil. Nous n’insisterons pas sur cet
évoquées au paragraphe 1.1. La chaîne de mesure joue également aspect expérimental des profils de raies.
un rôle important par le biais de la fonction d’appareil. Autrement — La durée de vie finie des niveaux intervient dans la transition
dit, lorsque l’on observe une raie spectrale avec un spectrographe conduisant à un profil lorentzien. Nous allons y revenir dans ce
ayant une assez bonne résolution, l’enregistrement prend en géné- paragraphe.
rale l’allure donnée sur la figure 3. — L’effet Doppler correspond au mouvement désordonné des
atomes émetteurs.
■ On remarque tout d’abord sur cette figure, un fond continu lié — Les émetteurs subissent des collisions de la part de toutes les
principalement à des phénomènes physiques comme le bremsstra- particules présentes dans le milieu.
hlung (rayonnement de freinage) ou le fond continu de recombinai-
son… On suppose de plus que la raie spectrale observée est isolée Considérons maintenant ces trois derniers effets.
spectralement, mais aussi énergétiquement. Cela signifie que les ● La largeur naturelle d’une raie spectrale est liée à la durée de
niveaux atomiques, impliqués dans la transition, ne seront pas vie finie des niveaux qui interviennent dans la transition (émission
recouverts par d’autres niveaux. spontanée). Chacun des niveaux α = i, f pouvant se désexciter
vers les niveaux inférieurs avec les probabilités d’émission sponta-
Une fois extrait de son fond continu, une raie spectrale
née A α, k , il s’ensuivra une largeur des niveaux
(figure 4) va se caractériser essentiellement par trois paramètres :
— sa largeur γ ; γα = ∑ Aα, k
Nota : il faut bien remarquer qu’il s’agit ici de la demi-largeur à mi-hauteur de la raie k
(HWHM : Half Width at Half Maximum). La largeur totale à mi-hauteur s’écrit FWHM: Full
Width at Half Maximum.
On montre, avec un calcul des perturbations dépendantes du
temps, que le profil prend la forme d’une lorentzienne :
— sa position par rapport à la transition atomique telle qu’elle est
donnée dans les tables (c’est-à-dire son déplacement δ ) ; 1 (γ i + γ f) ⁄ 2
— enfin, sa dissymétrie dont nous parlerons peu dans cette étude ; I N ( ω ) = --- ------------------------------------------------------------
2 2
-
π
nous n’avons pas spécifié cette dissymétrie sur la figure. ( ω – ω0 ) + ( γ i + γ f ) ⁄ 4
En outre, nous supposons que les plasmas, qui font l’objet de cet Dans le domaine visible, la largeur naturelle est en général très
article sont optiquement minces et que, par conséquent, l’absorp- faible devant les autres causes d’élargissement, et cet effet est le
tion qui serait un phénomène susceptible de modifier la forme des plus souvent négligé pour ce domaine de longueurs d’onde.
raies spectrales, est négligeable. Il convient maintenant de s’interro- ● L’effet Doppler, lié à l’agitation thermique des atomes va
ger sur les causes qui structurent ce profil de la raie. dépendre de la température du milieu. Nous y reviendrons à plu-
sieurs reprises dans cet article, en particulier dans le paragraphe 5.
Pour l’instant, nous nous contenterons de dire que le profil de la raie
est cette fois gaussien :
1 ω – ω0 2
I D ( ω ) = ------------------- exp –  ---------------- ,
π∆ ω D  ∆ ωD 

Raie spectrale 1 ω0 v0 2 kB T
où la largeur à --e- est donnée par ∆ ω D = ------------
- , v 0 = ------------- étant la
c M
Fond continu vitesse la plus probable avec M masse de l’atome émetteur.
Aux basses densités électroniques, il arrive fréquemment que la
ω = 2πν ω0 ω température électronique soit différente de la température des espè-
ces atomiques. Le diagnostic du plasma doit alors être complété par
une mesure de cette température. On peut mesurer la température
Figure 3 – Raie spectrale « posée » sur le fond continu des atomes neutres à partir de la masse spécifique du plasma. Elle
de rayonnement peut être déterminée, par exemple, par la mesure de la vitesse de
l’écoulement du plasma et de la pression dynamique du jet. C’est
cette température des atomes qui entre dans le calcul de la vitesse
la plus probable pour évaluer la largeur Doppler de la raie.
● L’élargissement de pression (ou élargissement collisionnel) est
I(ω)
dû aux collisions que subit l’atome émetteur de la part des parti-
δ Centre de la raie cules qui l’environnent : atomes, ions, électrons…
Nota : dans le cas des électrons et des ions, on parle d’élargissement Stark.
Aile de la raie Si la pression du milieu est relativement faible, le profil I C est
γ
donné par une lorentzienne, ce que nous montrerons dans le cadre
de l’approximation semi-classique (§ 3).
ω
(Ei – Ef ) ■ Dans ce cas, et du fait que le produit de convolution de deux
ω0 =
ប lorentziennes est une lorentzienne, le profil résultant sera une
lorentzienne dont la largeur γ est la somme des largeurs de chacun
Figure 4 – Paramètres d’une raie spectrale largeur γ et déplacement δ des profils et le déplacement δ la somme des déplacements.

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Plasmons de surface : principes


physiques et applications

par Christophe CAUCHETEUR


Docteur en sciences de l’Ingénieur
Chercheur qualifié du FRS-FNRS à la Faculté polytechnique de l’université de Mons,
Belgique

1. Perspective historique et définition des plasmons de surface AF 3 565 - 2


1.1 Perspective historique .............................................................................. — 2
1.2 Définition, modélisation et excitation des plasmons de surface .......... — 2
2. Conditions d’excitation des plasmons de surface
à une interface planaire métal-diélectrique................................... — 3
2.1 Équations de Maxwell .............................................................................. — 3
2.2 Équations constitutives ............................................................................ — 3
2.3 Conditions aux limites .............................................................................. — 3
2.4 Équations d’onde ...................................................................................... — 4
2.5 Plasmons à une seule interface ............................................................... — 5
2.6 Génération de plasmons de surface........................................................ — 6
2.7 Systèmes multicouches............................................................................ — 7
3. Techniques d’excitation des plasmons de surface
à une interface planaire métal-diélectrique................................... — 8
3.1 Couplage par prismes............................................................................... — 8
3.2 Couplage par réseaux de diffraction ....................................................... — 10
3.3 Couplage par guides d’onde .................................................................... — 10
3.4 Couplage par fibres optiques ................................................................... — 10
3.5 Influence du choix du métal ..................................................................... — 11
4. Plasmons de surface localisés........................................................... — 11
4.1 Taille des particules .................................................................................. — 11
4.2 Forme des particules ................................................................................ — 11
4.3 Milieu environnant .................................................................................... — 12
4.4 Couplage interparticule ............................................................................ — 12
5. Quelques applications.......................................................................... — 12
5.1 Réfractométrie fine ................................................................................... — 12
5.2 Biocapteurs................................................................................................ — 13
5.3 Spectroscopie Raman exaltée de la surface ........................................... — 13
6. Conclusion............................................................................................... — 13
Pour en savoir plus ........................................................................................ Doc.AF 3 565

ans les métaux, il existe des ondes particulières appelées ondes plasma,
D qui correspondent à une oscillation de la densité de charges. Ces ondes
possèdent une structure longitudinale, autrement dit le vecteur d’onde qui leur
est associé est parallèle au champ électrique. Elles ne peuvent donc pas être
générées optiquement, compte tenu de la structure transverse de l’onde électro-
magnétique lumineuse. Il est cependant possible de lever cette contrainte à
l’interface entre un métal et un diélectrique, pour peu qu’une onde évanescente
présentant une composante longitudinale soit générée à cette interface. Le
mode mixte lumière/oscillation plasma ainsi engendré constitue alors le
Parution : juillet 2014

plasmon. En pratique, le couplage entre l’onde plasma et la lumière n’est

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PLASMONS DE SURFACE : PRINCIPES PHYSIQUES ET APPLICATIONS _________________________________________________________________________

possible que moyennant un accord des vitesses de phase des deux ondes. Cette
condition s’obtient lorsque les vecteurs d’onde sont identiques le long de l’inter-
face. Un moyen simple et efficace de générer une onde évanescente propice au
couplage avec le plasmon est de travailler en réflexion interne totale dans un
prisme dont une face est recouverte d’une couche nanométrique métallique.
Lorsque la lumière incidente est couplée avec l’onde plasmonique, il n’y a plus
de lumière réfléchie compte tenu du fait que l’énergie lumineuse transférée vers
le plasmon se dissipe dans le métal. Cette dissipation est liée à la partie imagi-
naire de la constante diélectrique du métal et se traduit par une certaine largeur
de résonance. Les ondes de plasmons de surface étant très sensibles aux chan-
gements d’indice de réfraction du milieu diélectrique extérieur, elles sont
naturellement exploitées pour faire de la réfractométrie fine. Les principales
applications incluent la mesure de constantes diélectriques des métaux, la réali-
sation de capteurs (bio)chimiques, la spectroscopie...
Ce principe physique, dont les premières observations remontent à plus de
100 ans, a été abondamment étudié et documenté. De nombreux ouvrages
détaillent le principe de fonctionnement des ondes de plasmons de surface et
leur utilisation. Ce dossier a pour objectif de présenter au lecteur le principe
physique sous-jacent à la génération de plasmons de surface dans les fibres
optiques. Il s’attarde ensuite sur les principales configurations utilisées pour
l’excitation de plasmons de surface. Des exemples concrets de réalisation sont
finalement discutés.

1. Perspective historique était due à l’excitation des plasmons de surface [6]. La même
année, E. Kretschmann et H. Raether ont démontré l’excitation de
et définition des plasmons plasmons à la surface d’un prisme illuminé sous un angle critique
pour obtenir une réflexion interne totale [7]. Ces travaux pionniers
de surface ont établi une méthode simple et efficace d’excitation des plas-
mons de surface, permettant de les exploiter à différents
escients [8]. À la fin des années 1970, ils furent notamment
Dans cette première partie de l’article, après un bref aperçu employés pour la caractérisation de films minces [9] et l’étudede
historique, nous passons en revue les principales caractéristiques processus chimiques à l’interface métallique. Ils sont dorénavant
des plasmons de surface, que nous détaillerons ensuite dans les utilisés comme socles de base pour la réalisation de
autres sections. (bio)capteurs [10] ainsi que pour la spectroscopie [11].

1.1 Perspective historique 1.2 Définition, modélisation et excitation


des plasmons de surface
La première observation documentée des ondes plasmoniques
de surface date de 1902 et résulte des travaux de R.W. Wood. Ce Il existe plusieurs terminologies pour les plasmons de surface
dernier a illuminé un réseau de diffraction métallique avec de la dans la littérature technologique. Le terme « polaritons » (SPP
lumière blanche (ou polychromatique) et constaté des anomalies pour surface plasmon polaritons ou PSP pour plasmon surface
dans le spectre de diffraction, prenant la forme de bandes sombres polaritons ) est couramment usité et présente l’avantage d’insister
étroites [1]. Quelques dizaines d’années plus tard, le travail théori- sur le lien entre l’excitation électronique dans un solide que
que de U. Fano a permis de conclure que ces anomalies étaient constitue un plasmon et son champ électromagnétique associé.
associées avec l’excitation d’ondes électromagnétiques de surface On retrouve également les termes « ondes de plasma de surface »
sur la tranche du réseau de diffraction [2]. En 1952, D. Bohm et D. (SPW pour surface plasmon waves ), oscillations de plasma de
Pines introduisent le plasma d’électrons dans un solide métallique surface (SPO pour surface plasmon oscillations ) et ondes électro-
pour expliquer les pertes d’énergie dues aux électrons rapides pas- magnétique de surface (SEW pour surface electromagnetic
sant à travers un feuillet métallique [3]. Ils appelèrent cette excita- waves ). Dans la suite de cet article, nous emploierons toujours la
tion un plasmon. Aujourd’hui, ce type d’excitation est plutôt terminologie de base, à savoir plasmons de surface (SP pour
qualifié de plasmon de volume, pour se distinguer des plasmons surface plasmons ).
de surface. Bien que les ondes électromagnétiques de surface Il existe également plusieurs définitions pour les plasmons de
aient d’abord été abordées par A. Sommerfeld et J. Zenneck, surface, la plupart étant incomplètes. Le suffixe « on » indique un
R. Ritchie fut le premier à introduire le terme « plasmons de rattachement à la mécanique quantique et témoigne que les
surface » en 1957 en étendant les travaux de D. Bohm et D. Pines plasmons de surface possèdent des propriétés de particules,
aux interfaces métalliques [4]. En 1958, T. Turbadar observa une incluant donc des énergies et moments spécifiques. Ainsi, peut-on
forte chute de réflectivité en illuminant un film mince métallique définir une plasmon de surface comme une excitation à l’interface
déposé sur un substrat [5]. Il ne relia toutefois pas cet effet avec entre un premier milieu présentant une permittivité négative et des
les plasmons de surface. C’est en 1968 qu’A. Otto expliqua les porteurs de charge libres (un métal) et un second milieu de permit-
résultats de T. Turbadar en démontrant que la perte de réflectivité tivité positive. Cette excitation est une oscillation collective de

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_________________________________________________________________________ PLASMONS DE SURFACE : PRINCIPES PHYSIQUES ET APPLICATIONS

charges surfaciques et se comporte comme une particule présen-


tant une énergie discrète ainsi qu’un moment. Cela étant, la majorité 2. Conditions d’excitation
des propriétés des plasmons de surface peuvent être dérivées des
équations électromagnétiques classiques, comme nous le résume-
des plasmons de surface
rons dans la suite de cet article. Il s’agit en effet d’un mode électro-
magnétique fondamental à l’interface entre un matériau de
à une interface planaire
permittivité négative et un autre de permittivité opposée, présentant métal-diélectrique
une fréquence déterminée et mettant en jeu une oscillation électro-
nique de charges surfaciques. Se pose alors la question de l’utilisa-
tion ou pas de la description classique. Il en ressort l’analyse Cette section résume le formalisme mathématique permettant
suivante. Si les matériaux supportant les plasmons de surface sont de décrire les plasmons de surface.
suffisamment larges pour être décrits par une fonction diélectrique
(permittivité), l’approche électromagnétique classique peut être
employée de manière satisfaisante. En pratique, il a été montré 2.1 Équations de Maxwell
qu’une constante diélectrique décrit précisément des milieux dont
les dimensions minimales avoisinent les 10 nm. Pour les milieux Le champ électromagnétique dans le vide est représenté en
dont la taille se situe entre 1 et 2 nm, on fait appel à une constante termes de deux vecteurs, le champ électrique E et le champ
diélectrique dépendant de la taille [12]. Pour une discussion magnétique B. La présence de matière dans l’espace occupé par
détaillée à propos des effets de taille dans les petits agrégats métal- ces vecteurs requiert d’introduire trois autres vecteurs, D, H et J,
liques, le lecteur est invité à consulter les références [13] et [14]. respectivement appelés déplacement électrique, champ magnéti-
Comme nous l’avons compris, le formalisme mathématique que dans la matière et densité de courant électrique. Ces vecteurs,
permettant de décrire les plasmons de surface repose sur les dont les composantes sont exprimées dans un repère cartésien
équations de propagation des ondes électromagnétiques, égale- orthonormé (x, y, z ), sont reliés par les équations suivantes (deux
ment appelées équations de Maxwell. Le paragraphe 2 ci-après équations scalaires et deux équations vectorielles) :
détaille le formalisme dans le cas d’une interface métal-diélectri-
que. Pour les interfaces doubles, un peu plus sophistiquées, le lec- ∇ ⋅D = ρ (1)
teur est invité à consulter les références [15] [16].
L’approche la plus couramment utilisée pour exciter des ∇ ⋅B = 0 (2)
plasmons de surface est celle du couplage de lumière dans un
prisme exploitant la méthode de réflexion interne totale (ATR pour ∂B
attenuated total reflection ). Il existe deux géométries, celle dite de ∇×E = − (3)
∂t
Kretschmann et l’autre dite d’Otto. La configuration d’Otto emploie
un prisme d’indice de réfraction élevé dont une des faces est
couverte d’une couche diélectrique de quelques microns ∂D
∇×H = J + (4)
d’épaisseur, elle-même recouverte d’une fine couche métallique. ∂t
Lorsque de la lumière est incidente vers cette face du prisme avec
un angle supérieur à l’angle critique, une onde évanescente est pro- où ρ est la densité de charges électriques libres.
duite à l’interface entre le prisme et le milieu diélectrique. Elle peut
se coupler avec un plasmon de surface à l’interface entre le milieu
diélectrique et la couche métallique, lorsque la constante de 2.2 Équations constitutives
propagation de l’onde évanescente et celle du plasmon sont
identiques. La configuration de Kretschmann exploite le même prin-
cipe mais, dans ce cas, une face du prisme est directement recou- Les relations suivantes peuvent être établies :
verte d’une couche métallique nanométrique et le plasmon se
propage à l’interface entre cette couche et le milieu diélectrique D = ε0 εrE (5)
externe. Cette configuration est plus avantageuse en pratique,
compte tenu que le plasmon peut dans ce cas révéler des change- B = µ 0 µr H (6)
ments d’indice du milieu extérieur. Cela explique donc pourquoi elle
est plus rencontrée en pratique et pourquoi elle est implantée dans
des dispositifs commerciaux comme le Biacore (société suédoise J = σE (7)
qui fait désormais partie du groupe GE Healthcare). La résolutionré-
fractométrique est de l’ordre de 10–7 UIR (unité d’indice de réfrac- avec ε0 permittivité électrique dans le vide,
tion) dans la mesure de l’indice de réfraction externe. Citons εr constante diélectrique relative,
également la possibilité d’exciter des plasmons grâce à un réseau
µ0 perméabilité magnétique dans le vide tandis,
de diffraction. Dans cette méthode, la lumière véhiculée dans un
diélectrique excite un réseau de diffraction métallique. Enfin, les µr perméabilité magnétique relative,
fibres optiques se positionnent désormais comme une alternative σ conductivité.
efficace à l’excitation des plasmons car, contrairement aux appro-
ches basées sur les prismes, elles rendent possible l’interrogation
déportée dans de très faibles volumes [17]. Ces différentes métho-
des feront l’objet d’une description dans le paragraphe 3. 2.3 Conditions aux limites
Le paragraphe 4 abordera le cas particulier des plasmons de
Afin d’obtenir une description complète du champ électroma-
surface localisés, lesquels sont obtenus dans le cas de particules
gnétique, il convient d’ajouter aux quatre équations de Maxwell et
métalliques dont la taille est inférieure à celle de la longueur
aux trois équations constitutives, un ensemble de quatre équations
d’onde de la lumière d’excitation.
appelées conditions aux limites. Ces équations imposent des res-
Enfin, le paragraphe 5 présentera quelques applications trictions au champ électromagnétique à l’interface frontière entre
contemporaines des plasmons de surface, en spectroscopie et deux milieux. Appelons N12 un vecteur unité pointant d’un
pour la réalisation de capteurs (bio)chimiques. Les principes de milieu (1) vers un milieu (2) perpendiculaire à une section infinité
fonctionnement et leur utilité seront décrits. simale de l’interface entre ces deux milieux. Les équations

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Action de la pression sur les édifices


moléculaires fluides

par Jean-Pierre PETITET


Directeur de recherche (CNRS)
Laboratoire d’ingénierie des matériaux et des hautes pressions
Institut Galilée, université Paris XIII

1. Rappels théoriques .................................................................................. AF 3 570 – 2


1.1 Effet de pression .......................................................................................... — 2
1.2 Comment définir le paramètre pression ?................................................. — 2
1.2.1 Définition thermodynamique ............................................................ — 2
1.2.2 Ordres de grandeur ............................................................................ — 3
1.3 Principales grandeurs thermodynamiques ............................................... — 3
2. Effet de la pression sur les liquides et fluides moléculaires ....... — 5
2.1 Compressibilité des liquides. Équation de Tait.......................................... — 5
2.2 Effet de la pression sur la structure des liquides ...................................... — 6
2.3 Propriétés du point critique et de la région critique ................................. — 7
2.3.1 Cas général.......................................................................................... — 7
2.3.2 Cas du point critique des métaux. Transition métal-isolant ............ — 8
2.4 Rhéologie sous pression. Effet de la pression sur la viscosité ................ — 9
2.5 Effet de la pression sur le comportement des liaisons intra-
et intermoléculaires dans les fluides ......................................................... — 10
2.5.1 Effet Raman sous pression ................................................................ — 10
2.5.2 Influence sur les mouvements moléculaires dans les liquides ...... — 12
2.5.3 Résonance de Fermi et interactions moléculaires sous pression... — 12
2.5.4 Effet de non-coïncidence.................................................................... — 13
2.6 Action de la pression sur les organismes vivants .................................... — 14
2.6.1 Effet de la pression sur la structure et la dynamique des lipides ... — 14
2.6.2 Comportement des protéines sous l’action conjuguée
de la pression et de la température .................................................. — 14
3. Conclusion ................................................................................................. — 15
Références bibliographiques ......................................................................... — 15

epuis la formulation de la loi de Boyle au dix-septième siècle et les essais de


D compression de l’Académie de Florence pour évaluer la compressibilité de
l’eau [1], la pression s’est révélée un paramètre thermodynamique central dans
le monde de la chimie et de la physique de la matière minérale et vivante. Asso-
ciée à la température, la pression est utilisée en routine pour explorer la réponse
des systèmes chimiques dans leurs divers états thermodynamiques. En fait, le
grand intérêt de la pression vient de ce que son impact énergétique excède lar-
gement celui de la température grâce à l’importance de l’effet de compression
atteint sur un système chimique. Cet effet de compression est obtenu par les
moyens techniques actuellement disponibles que sont les cellules à enclumes
de diamant (DAC), les presses multienclumes (ME), les techniques de chocs...
Cet article étudie l’effet de la pression sur les liquides et fluides moléculaires.
Parution : octobre 2003

L’article [AF 3 571] présente l’action de la pression sur les édifices moléculaires
solides.

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ACTION DE LA PRESSION SUR LES ÉDIFICES MOLÉCULAIRES FLUIDES ____________________________________________________________________________

1. Rappels théoriques

Au cours de cette revue, on utilisera la nomenclature des sym- P P


boles et les unités recommandées par l’IUPAC, ce qui signifie,
∂P
par exemple, que le module de compression B = –  -------------
Solide 2
 ∂ ln V T
Solide 1
∂ ln V
sera représenté par la lettre B, α =  ------------- représentera le coef-
 ∂T  P
a par compression, le fluide moléculaire devient un solide
∂U
ficient de dilatation thermique (isobare) et CV =  -------- la capa- moléculaire (solide 1) et, par compression des distances
 ∂T V intermoléculaires, induit des transformations de phase
cité thermique (à volume constant). jusqu'à la dissociation moléculaire conduisant à la
formation de solides monoatomiques (solide 2)

1.1 Effet de pression Énergie répulsive

ρ
L’impact énergétique de la pression est très important.

En effet, la variation d’énergie libre (par l’intermédiaire de P∆V) Énergie totale


peut dépasser 10 eV, au-delà de la cohésion des plus solides liaisons
covalentes. Par comparaison, une variation de température de
1 000 K atteint quelque 0,1 eV. Dans ce cas, c’est l’agitation thermi-
que qui va contribuer à décomposer les substances. Énergie attractive

Il en résulte que l’application de la pression modifie la densité du


milieu et, par la suite, déstabilise les liaisons intramoléculaires [2]. b description schématique de l'énergie en fonction
Une conséquence importante en est que la notion de « type de des distances interatomiques
liaison », telle qu’elle est présentée dans le tableau 1 et qui suit la
classification traditionnelle de Pauling, évolue. Figure 1 – Action de la pression (d’après [2])

Ce tableau donne une image qualitative, à la pression ordinaire,


du rôle de l’environnement électronique sur la nature et la classifica-
1.2 Comment définir le paramètre
tion des liaisons pour une position donnée des noyaux atomiques. pression ?
L’action de la pression va être de modifier l’activité des électrons
donc la nature des interactions effectives (figure 1) et de jouer sur la 1.2.1 Définition thermodynamique
structure, l’ordre magnétique ou les caractéristiques électriques
(transition isolant-métal). Dans ce sens, elle va modifier les lois chi- Pour un milieu isotrope à l’équilibre thermodynamique, l’énergie (0)

miques. Il est donc plutôt préférable de parler des mécanismes et interne E (qui décrit l’état d’un système indépendant de l’énergie
des conditions de pression qui vont faire passer d’un type de liaison cinétique de son mouvement d’ensemble et de sa position par rap-
à un autre (transition isolant-métal, amorphisation, molécularisa- port à des champs de force externes) et l’entropie S (qui caractérise
tion, liaisons hydrogène...). l’énergie nécessaire pour qu’un système passe d’un état d’équilibre

Tableau 1 – Les différents types de liaisons chimiques


Type de liaison (1) Exemple Caractéristiques des interactions
Van der Waals Matériaux vivants • Interaction à courte portée
(faible en 1/r 6) • Forces de London
Liaison hydrogène H2 O • Présence de termes électrostatiques (multipôle)
(faible en 1/r2) ≈ 0,2 eV • Bistabilité de l’interaction
Solides moléculaires Xe • Fluctuations multipôles dans les électrons localisés
(faible de 1/r6 à 1/r4) • Échange répulsif à courte portée
Solides ioniques NaCl, CsI • Transferts d’électrons
(forte en 1/r) • Effet coulombien à longue portée
• Répulsion à courte portée
Solides métalliques Li, Na • Écrantage des champs ioniques par l’effet des électrons itinérants
(forte) • Énergétique du « bain » d’électrons libres
Solides covalents Si, B, C diamant • Importance des forces angulaires (termes à trois corps)
(très fortes de 1 à 10 eV) • Fluctuations dans des systèmes à large bande
(1) Le rayon r désigne le rayon atomique de Van der Waals.

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___________________________________________________________________________ ACTION DE LA PRESSION SUR LES ÉDIFICES MOLÉCULAIRES FLUIDES

réversible à un autre état d’équilibre réversible) sont des grandeurs Dans ces conditions, le module du tenseur est donné par :
thermodynamiques fondamentales additives. C’est-à-dire que
l’énergie interne et l’entropie de l’ensemble sont égales à la somme 1 (T + T + T ) = P
--- 11 22 33
des énergies et des entropies des diverses parties constituant 3
l’ensemble macroscopique du système. En conséquence, pour une
énergie interne E donnée, S ne dépend que du volume occupé V ou, avec P pression thermodynamique définie
pour une entropie S donnée, E ne dépend que de V et non de la précédemment.
forme du système. Cela se traduit par l’équation différentielle totale
bien connue de la thermodynamique [50] [51] :
1.2.2 Ordres de grandeur
dE = TdS − PdV (1)
avec T température thermodynamique, L’unité SI de pression est le pascal (1 Pa = 1 N · m−2 = 10 dyn/cm2).
P pression Exemple : la pression due à l’atmosphère terrestre est de 105 Pa ;
définies par : aux plus grandes profondeurs océaniques, il règne une pression de
108 Pa, au centre de la Terre, une pression de 4 × 1011 Pa et au centre
T =  ------
∂E et P =  ∂E de Jupiter 1013 Pa.
   ------
∂S V ∂V S Quelle est l’échelle de pression qui caractérise la matière
Par ailleurs, d’après le principe de Maupertuis, la force exercée condensée ?
sur un élément de surface d S d’un corps s’écrit, en valeur L’énergie typique de l’état solide est donnée par l’interaction
électronique :
moyenne :
Ea = e2/2a0 = 13,6 eV
F = –  -----
∂E u
- avec e charge de l’électron.
∂r S
a0 est la longueur caractéristique de l’électron définie par :
avec r rayon vecteur porté par le vecteur unitaire u
a 0 = { 2 ⁄ m e e 2 = 0 ,529 × 10 – 8 cm
normal à la surface d S .
Cela peut s’écrire également : avec me masse de l’électron,
{ constante réduite de Planck.
∂E  ∂V u = –  ∂E d S = P d S
F = –  ------ Le volume correspondant est donc V a = a 03.
   ------  ------
∂ V S ∂r ∂V S En pratique PaVa = Ea soit :
où l’on retrouve la définition « mécanique » de la pression (rapport Pa = 14,72... × 1012 Pa
d’une force sur une surface).
Cette définition de la pression P thermodynamique n’est valable qui représente l’échelle atomique de pression.
que si E et S sont des grandeurs additives. Cela est généralement Si l’on compare avec l’échelle classique de température, soit envi-
le cas pour les fluides. Pour les solides et les liquides de forte visco- ron kBT par noyau, pour 1 000 K on obtient 0,1 eV ou 8 × 10−3 Ry
sité, où le changement de forme s’effectue avec un certain travail
ayant pour effet de changer son énergie interne, la proposition est (1 Ry (Rydberg) = e2/2a0 unités SI = 2,179 × 10−18 J), la variation de
rarement exacte. Ces considérations ont des conséquences fonda- travail par atome due à la pression est P∆V/N et peut atteindre 1 Ry
mentales sur la mesure des grandeurs sous pression et, en particu- suivant les éléments, soit environ 100 fois plus que l’énergie appor-
lier, lors de mesures dynamiques. tée par la température.
En réalité, on dit qu’un corps qui subit une déformation s’écarte Exemple : l’iode présente une variation de volume de 20 Å3/atome
de son équilibre initial ; des forces de contrainte prennent alors nais- sur une variation de pression de 100 GPa. La variation d’énergie
sance et tendent à le ramener à son état initial. La résultante de ces entre 0 et 100 GPa apportée à une molécule d’iode est de :
forces agissant sur un élément de volume du corps peut être écrite
1011(Pa) × 20 × 10−30(m3) = 20 × 10−19(J)
comme la somme des forces agissant sur chaque élément de sur-
face ds qui délimite cet élément de volume dV. Autrement dit : soit ∆E ≈ 10 eV ( 1 J = 1 ⁄ ( 1 ,601 9 × 10 – 19 eV ) ) .

Ces considérations amènent deux conclusions. Lors des expéri-

∫ ∫
mentations, avec les technologies les plus performantes, on est très
Fi d V = T ik d s k
loin de la destruction de la structure atomique interne, mais on peut
sonder les variations de structure sur un large domaine d’existence.
avec Fi une des trois composantes de la résultante de Une dernière constatation : la majeure partie de la matière con-
toutes les contraintes, densée dans l’Univers est sous haute pression.
Tik tenseur du 2e ordre représenté par une matrice
3 × 3.
Si la compression est uniforme sur chaque élément de surface qui 1.3 Principales grandeurs
délimite le volume, alors chacun de ces éléments subit une pression thermodynamiques
de même grandeur dirigée suivant la normale à la surface du corps
et toutes les composantes s’écrivent :
■ Pression thermique et pression cinétique
Tik = δikTii
L’énergie interne est un paramètre thermodynamique important
avec : 1
qui peut être calculé à partir de la connaissance de α = ----  ∂------
V et
δik = 1 pour i = k et δik = 0 pour i ≠ k V  ∂ T- P

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1 ∂ V La pression totale exercée par le milieu extérieur est égale à la dif-


κ T = – ----  ------ , respectivement le coefficient de dilatation volumi- férence entre deux termes. Le second terme correspond à la varia-
V  ∂ P- T tion de l’énergie interne par variation du volume à température
que et la compressibilité isotherme. constante, donc à énergie cinétique constante. Ce terme ne peut
La variation d’énergie interne avec la pression est donnée par la donc être dû qu’aux forces intermoléculaires. On le désigne souvent
relation : par pression interne (nulle pour les gaz parfaits). Le premier terme
est la pression cinétique traduisant l’agitation moléculaire seule.
À basse pression, on peut donc associer la pression cinétique à la
 ∂E = – T  ∂V – P  ∂V (2)
 ------  ------  ------ pression interne. Cela n’est plus vrai pour les pressions élevées.
∂P T ∂T P ∂P T
En fait toutes ces relations, bien que rigoureuses et générales,
sont données en supposant qu’il n’existe pas de frottements inter-
Il est connu que  ∂-----
E a une valeur négative à basse pression. nes et donc d’états métastables. Dans le cas des solides soumis aux
 -
∂P T pressions élevées, c’est rarement le cas et un certain nombre de
Cela signifie que, si l’on comprime une substance, l’énergie s’écoule phénomènes spécifiques de la pression vont provenir en partie de
sous forme de chaleur plus rapidement qu’elle n’entre sous forme cet état de fait.
mécanique. L’interprétation du phénomène est que les forces inter-
atomiques (supposées ne dépendre que du volume) sont en ■ Capacité thermique à pression constante
moyenne attractives dans ces conditions et l’énergie potentielle due
Comme pour α et κT, la capacité thermique à pression constante
à ces forces, lorsque les atomes sont rapprochés les uns des autres,
CP peut être décrite par une relation dépendant du volume :
décroît d’une quantité plus grande que ne s’accroît l’énergie poten-
tielle due aux forces répulsives. Cette représentation tend à suggé-
rer qu’à la limite, lorsque les atomes sont suffisamment rapprochés,  ∂C P = – T  ∂2V
 ---------  ---------
∂P T ∂T 2 P
les forces répulsives deviennent prépondérantes et  ∂-----
E devient
 -
∂P T mais l’intégration étant obtenue à partir des dérivées secondes, la
positif. L’équation (2) montre que la pression à laquelle l’expression précision des valeurs de CP est mauvaise. Tout au plus connaît-on la
change de signe est donnée par :
2
valeur de  ∂--------
V pour de nombreuses substances à la pression
 2-
P = – T  ∂V
 ------
⁄  ∂------V (3)
∂T P
ordinaire, ce qui peut apporter une idée de la variation de CP avec la
∂T P ∂P T
pression. Cette grandeur est pratiquement toujours positive, ce qui
On atteint alors un volume pour lequel les forces répulsives et les laisse entendre que CP tend à décroître avec la pression. Cependant
forces attractives s’équilibrent. il faut atteindre des pressions de près de 100 GPa pour approcher la
valeur 0 de CP (pour le potassium, par exemple, la pression néces-
Exemple : pour l’aluminium, cette pression à laquelle les forces se
compensent est de 1,8 GPa à la température ambiante. Pour effectuer saire est de 14 GPa).
ce calcul, il faut en toute rigueur tenir compte de la variation de chacun ■ CP − CV
des termes avec la pression. L’erreur est de l’ordre de 5 à 10 % et la
pression annoncée est vraisemblablement trop faible. La différence CP − CV est donnée par la relation :

On se trouve dans la même situation qu’au zéro absolu à la pres-


⁄  ∂------V
2
T  ∂------
V
 
sion atmosphérique, pour lequel  ∂-----
E = 0 . Il est instructif de com- ∂T P ∂P T
 -
∂P T et est calculable à partir des dérivées premières. Il n’y a pas de rela-
parer le décrément des volumes au zéro absolu et à la température
ambiante sous haute pression. Le décrément de volume obtenu à tion universelle décrivant son comportement en fonction de la pres-
haute pression est plus grand que celui calculé au zéro absolu. sion.

Exemple : pour l’aluminium − ∆V/V est de 0,016 1 sous pression et ■ Entropie et haute pression
de 0,012 au zéro absolu.
D’après la relation  ------
∂S = –  ∂V , l’entropie décroît avec la
On peut expliquer ce phénomène en supposant que, sous pres-    ------
∂P T ∂T P
sion élevée, les atomes se déforment alors qu’il n’en est pas ainsi pression à température constante.
sous l’effet de la température.
Si l’entropie totale d’un milieu est limitée et est égale à 0 au zéro
L’énergie interne E, à l’échelle moléculaire, représente la somme absolu, comme l’exige la troisième loi de la thermodynamique [48],
des énergies cinétiques dues à l’agitation thermique et des énergies alors la décroissance totale d’entropie obtenue par l’application de
potentielles associées aux positions des molécules les unes par rap- la pression, aussi élevée soit-elle, ne peut être plus élevée que la
port aux autres. En dérivant la relation (1) :
T
CP
dE = TdS − PdV et avec  ∂------
 
S =  ∂P
 ------
valeur totale de l’entropie donnée par la relation

0
------ d T , c’est-à-
T
∂V T ∂T V ∞ ∞
 
on obtient : dire que –
∫0
 ∂S
 ------
∂P P
dP  ≡
 ∫0
 ∂V
 ------
∂T P
d P ne peut pas excéder une

 ∂E = T  ∂S – P = T  ∂P – P
 ------  ------  ------ certaine limite bien définie. Si  ------
∂V restait constant avec la pres-
∂V T ∂V T ∂T V  
∂T P
sion, cette limite pourrait certainement être dépassée, donc la
d’où l’on tire une expression de la pression totale :
décroissance de  ∂------
V lorsque la pression croît apparaît comme
 
P = T  ∂-----
P –  ∂E = T α –  ∂E ∂T P
 -  ------ ------  ------ une nécessité imposée par la thermodynamique [3].
∂T V ∂V T κ T ∂V T

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AF3571

Action de la pression sur les édifices


moléculaires solides

par Jean-Pierre PETITET


Directeur de recherche (CNRS)
Laboratoire d’ingénierie des matériaux et des hautes pressions
Institut Galilée, université Paris XIII

1. Transition liquide-solide sous pression ............................................. AF 3 571 – 2


1.1 Équation de Simon ...................................................................................... — 2
1.2 Diagramme de Tammann ............................................................................ — 2
2. Équations d’état des solides sous forte compression................... — 4
2.1 Principes ....................................................................................................... — 5
2.2 Formes des équations d’état (Birch, Murnagham...) ................................ — 6
3. Cinétique des transitions de phase induites par la pression ...... — 7
3.1 Considérations thermodynamiques sur la cinétique des transitions
de phase ....................................................................................................... — 7
3.2 Exemple de cinétique de transition : la transition graphite-diamant ...... — 9
3.3 Amorphisation et décomposition par la pression .................................... — 9
3.4 Établissement des diagrammes de phase................................................. — 10
4. Modification des propriétés électroniques par effet de pression — 11
4.1 Optique non linéaire.................................................................................... — 11
4.1.1 Génération de second harmonique .................................................. — 11
4.1.2 Processus à un et deux photons ....................................................... — 12
4.2 Effet de la pression sur les semi-conducteurs .......................................... — 12
5. Apport de la théorie dans le comportement des solides
sous pression ............................................................................................ — 12
6. Conclusion générale................................................................................ — 13
Références bibliographiques ......................................................................... — 13

’action de la pression sur les fluides modifie la portée des mouvements


L internes et entraîne ainsi des phénomènes de réorganisation allant jusqu’à
la notion de transition de phase liquide-liquide cf. [AF 3 570]. L’effet de la pres-
sion sur les solides est une extension de ce qui a été décrit pour les fluides. La
principale différence vient des valeurs des pressions appliquées qui peuvent
atteindre, en statique, plusieurs térapascals. À ce niveau, l’environnement élec-
tronique des atomes est perturbé et les propriétés de la matière modifiées. Cela
a permis de mettre en évidence des phénomènes insoupçonnés, malmenant des
concepts bien établis, tels que la notion de point critique solide-solide, la disso-
ciation moléculaire et, surtout, un très large éventail de nouvelles formes de
transitions de phases. Ce dernier point ouvre des perspectives à la fois sur une
meilleure compréhension de l’intérieur des objets célestes et sur l’émergence de
nouveaux matériaux fonctionnels. Depuis vingt ans, un important développe-
ment dans le domaine a été permis grâce à la technologie des enclumes de dia-
mant (DAC comme Diamond Anvil Cell) ainsi qu’aux expériences d’onde de
Parution : octobre 2003

choc. Il est cependant important de faire remarquer au lecteur que les expérien-

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AF3571

ACTION DE LA PRESSION SUR LES ÉDIFICES MOLÉCULAIRES SOLIDES ____________________________________________________________________________

ces réalisées à de telles pressions se font dans des volumes extrêmement petits
(< 10 −3 mm3) avec des gradients de pression (et de température dans les expé-
riences pression-température) élevés. Ces réserves ne jettent aucun doute sur
les phénomènes parfaitement reproductibles observés, mais ne permettent pas
de conclure avec certitude sur les étapes physico-chimiques suivies entre l’état
initial et l’état final observé. C’est pourquoi la communauté scientifique s’inté-
resse actuellement à la fois à la conception de dispositifs permettant de réaliser
des expériences sur de « gros » volumes (> 1 mm3) et à une plus grande utilisa-
tion des techniques de choc.

1. Transition liquide-solide B suit la relation :

B = B 0 (V 0 /V ) η
sous pression
De la même façon, le module de compression à la fusion Bm peut
être regardé comme une fonction du volume à la fusion Vm et :

1.1 Équation de Simon Bm = B0,m(V0,m/Vm)η


avec m indice indiquant la fusion,
Une première étape est de savoir comment évolue sous pression 0 origine de la courbe de fusion à la pression
élevée la transition liquide-solide. À l’exception de quelques sub- ordinaire.
stances bien connues (eau, quelques sels, bismuth, antimoine...), la La détermination de η demande l’obtention de valeurs expéri-
température de fusion d’un solide augmente avec la pression. La mentales. Bien qu’utilisée parfois pour extrapoler des données
relation empirique : expérimentales, la loi de Simon doit surtout être regardée comme
une bonne loi d’interpolation au même titre que la loi de Tait pour
lg(Pm + a) = b lg Tm + c les liquides. On peut le constater sur les exemples donnés figure 1.
avec Pm et Tm pression et température de fusion, Cependant en utilisant une troisième loi semi-empirique, la loi de
Lindemann, traduisant la vibration d’un réseau cristallin au moment
a, b et c constantes ajustables, de sa fusion :
a été proposée par Simon [1] pour représenter la courbe de fusion. RTm = ΩβmVm
Historiquement, en évaluant la constante c au point triple Tt (et à
pression Pt négligeable), Simon a exprimé cette équation sous la avec R constante molaire des gaz,
forme :
Ω proportionnel au coefficient de Poisson,
Pm 1/b on a une série de relations reliant les paramètres de la fusion à la
Pm = a[(Tm/Tt)b − 1] ou T m = T t  1 + -------- pression :
 a
Tm = T0,m(V0,m/Vm)η − 1
valable pour des substances à bas point de fusion pour lesquelles
b ≈ 2 (He, H2, Ne, N2...). Bm = B0,m(V0,m/Vm)η
Elle a été généralisée pour des substances à plus haut point de
fusion en remplaçant Tt par T0,m la température de fusion à la pres- Bm = B0,m(Tm/T0,m)η/(η − 1)
sion ordinaire [2]. Dans ce cas b ≈ 4. Pour réduire la courbe à un seul
paramètre, on utilise désormais la pente à l’origine de la courbe Tm/T0,m = (Bm/B0,m)(Vm/V0,m)
donnée par l’équation de Clapeyron : L’extrapolation aux pressions élevées n’est réalisable que dans la
mesure où l’équation d’état utilisée est elle-même extrapolable [3].
∆ Sm
 d T m = ------------
 ------------ 0 ∆ Vm
d Pm
Comme pour l’équation de Tait pour les fluides (cf. [AF 3 570]), on
1.2 Diagramme de Tammann
a cherché à justifier l’équation empirique de Simon à cause du bon
accord qu’elle offre pour représenter les données expérimentales.
La fusion et la cristallisation sont des phénomènes familiers.
L’une des justifications les plus connues est celle de Gilvarry [3] uti-
Cependant l’action de la pression sur certaines substances conduit,
lisant l’équation d’état simplifiée de Murnaghan. Celle-ci (cf. § 2)
comme on l’a vu, à des comportements singuliers qui montrent que
exprime que le coefficient d’incompressibilité varie linéairement
le phénomène de fusion est beaucoup plus général qu’il ne paraît et
avec la pression :
devrait réserver des surprises étonnantes non seulement pour les
changements de phase mais également pour la formation d’états
P = (B0/η)[(V0/V )η − 1]
amorphes [5] [6]. Typiquement, les liquides ont un volume par unité
de masse et une compressibilité plus élevés que leurs solides cor-
avec B0 module d’incompressibilité correspondant au
respondants. Mais on a vu dans l’article [AF 3 570], § 1 que, sous
volume molaire normal V0,
l’effet de la pression, un liquide peut avoir le même volume par
η constante. unité de masse qu’un solide. Il en est de même pour l’enthalpie et la

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___________________________________________________________________________ ACTION DE LA PRESSION SUR LES ÉDIFICES MOLÉCULAIRES SOLIDES

1 250 200

Tm (P) – Tm (P0) (K)


Tm (K) Eu

1 000

NaNO2 100
750 Ba Ge KH2AsO4

500 K
KNO2
0
H2

250 Sb
Bi

0 – 100
0 3 6 9 12 0 2 4 6
P (GPa) P (GPa)
Figure 1 – Représentation de quelques
P est en GPa pour KNO2 aussi mais avec une échelle différente de celle des autres produits données expérimentales par l’équation
de Simon (d’après [4])

d Tm
du volume molaire et de l’entropie. La région II, où le signe de ------------
dP
Pression

∆V < 0 est inversé, désigne la région où le volume du solide est plus grand
∆S = 0 que celui du liquide (cas de l’eau, du bismuth, de l’antimoine et
II
d’autres sels...). Les domaines I et II sont assez bien représentés par
III l’équation de Simon. La région III présente un phénomène de
fusion inverse. Contrairement à la transition liquide-gaz, la transi-
=0

∆V = 0 tion cristal-liquide ne peut pas présenter un point critique au-delà


∆S

∆S > 0
duquel les deux phases seraient indiscernables.
I
Remarque. La notion de point critique solide-solide a souvent
Pc , Tc
été évoquée par les thermodynamiciens. D’après la théorie de
=0 Landau, il existe un point critique liquide-gaz parce qu’il n’y a
∆V
∆V = 0 pas de paramètre d’ordre à la transition liquide-vapeur (même
∆S < 0 symétrie) alors que la solidification entraîne toujours la modifi-
cation d’un paramètre d’ordre si la transition n’est pas du pre-
mier ordre. La représentation de Tammann confirmerait cette
approche. Ce sujet reste délicat.
IV
∆V > 0
∆S = 0
Cette représentation est attirante car elle élimine la notion
Température d’extension de la courbe de fusion à des températures infinies.
Beaucoup de commentateurs ont estimé que la fusion inverse n’a
Sur ce diagramme figurent également la position du point critique (Pc , Tc) lieu qu’en conditions extrêmes de pression et de température.
et la courbe de saturation
Cependant une telle situation s’est rencontrée à des pressions et des
températures modérées dans le cas de polymères (exemple du
Figure 2 – Représentation générale du diagramme de Tammann 4-méthyl-1-pentène par Rastogi et al [8]). Le principal intérêt de ce
résultat est d’avoir montré que la phase amorphe passait de
manière continue à la phase liquide. Beaucoup de substances, des
capacité thermique, généralement plus élevées dans les liquides. métaux notamment, passent de l’état cristallisé à l’état amorphe.
Les différences d’enthalpie entre liquide et solide à basse tempéra- Dans ce cas particulier, le passage d’un état à l’autre est réversible et
ture peuvent ainsi devenir nulles. Tammann [7] a proposé un dia- s’effectue au voisinage des conditions d’équilibre et, suivant la
gramme universel P, T (figure 2) pour une substance pure en figure, la cristallisation se fait en chauffant (!).
indiquant d’abord les lignes où ∆V et ∆H sont nuls ainsi que les fron- Suivons deux parcours sur le diagramme de la figure 2.
tières entre le cristal et le liquide (ou le milieu amorphe) définies
comme lieu de la température de fusion Tm en fonction de la pres- (1) À T fixé (flèche noire), un liquide cristallise par compression et
sion. Dans cette représentation, la région de stabilité du cristal se le cristal refond si l’on augmente la pression. Le volume décroît à la
trouve ainsi à l’intérieur d’une loupe entourée par les phases fluide cristallisation à basse pression et croît à la cristallisation sous pres-
et amorphe. sion élevée. Il n’y a pas de phase cristalline ordonnée au sens clas-
sique au-dessous de la frontière de la loupe et un liquide peut donc
Ce diagramme, très audacieux à son époque, permet aujourd’hui
être refroidi jusqu’à 0 K par l’intermédiaire d’une multitude de
d’interpréter certains des phénomènes observés sous pression. La
chemins P-T contournant la phase solide cristalline.
région de stabilité d’un cristal est entourée par la région de stabilité
du fluide correspondant. Sur la figure 2, la région I définit la zone où (2) À P fixé (flèche bleue), un liquide cristallise par refroidissement
la fusion est « normale » c’est-à-dire avec des variations positives et le cristal finit par fondre une nouvelle fois en accentuant le refroi-

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AF3600

Verres
Aspects théoriques
par Jean PHALIPPOU
Professeur à l’Institut des Sciences de l’Ingénieur de Montpellier (ISIM)
Département Matériaux
Laboratoire des Verres, UMR CNRS n° 5587
Université de Montpellier II

1. Le verre : types et analyse..................................................................... AF 3 600 – 2


1.1 Solides non cristallins ................................................................................. — 2
1.2 Grandes familles de verres ......................................................................... — 3
1.3 Formation des verres .................................................................................. — 5
1.3.1 Approche chimique ............................................................................ — 5
1.3.2 Approche cinétique ............................................................................ — 6
1.3.3 Domaine de transition vitreuse ......................................................... — 7
1.4 Analyse structurale...................................................................................... — 8
1.4.1 Analyses spectroscopiques ............................................................... — 8
1.4.2 Analyse par diffusion de rayonnements........................................... — 9
1.4.3 Modélisation structurale .................................................................... — 10
2. Transition vitreuse ................................................................................... — 10
2.1 Aspect phénoménologique de la transition vitreuse................................ — 10
2.2 Approche thermodynamique ..................................................................... — 11
2.3 Modèle phénoménologique de la relaxation structurale [24].................. — 11
3. Immiscibilité dans les verres ................................................................ — 13
3.1 Séparation de phase.................................................................................... — 13
3.2 Mécanismes de la séparation de phases................................................... — 14
3.3 Démixtion suivie d’une lixiviation.............................................................. — 15
3.4 Consolidation ............................................................................................... — 15
Pour en savoir plus........................................................................................... Doc. AF 3 602

es verres sont connus et utilisés depuis très longtemps. Leur composition a


L été, au fil des siècles, améliorée pour en faire de nos jours des objets cou-
rants, voire indispensables. Les améliorations successives ont été le résultat
d’une démarche empirique basée sur des observations macroscopiques.
La formation de la structure d’un verre est encore actuellement imparfaite-
Parution : juillet 2001 - Dernière validation : mars 2017

ment comprise, son analyse reste délicate à réaliser. Les techniques spectro-
scopiques permettent d’accéder à des informations locales concernant certains
éléments sélectionnés du verre. L’ensemble de ces informations conduit à
proposer l’existence d’un ordre local aux premiers voisins et d’un désordre à
longue distance.
Ces connaissances sont cependant insuffisantes pour rendre compte des pro-
priétés des verres et des efforts continus sont déployés pour obtenir des infor-
mations sur la structure à moyenne distance. C’est dans ce domaine, compris
entre un et quelques nanomètres, que l’on devrait trouver l’explication de
l’agencement structural des verres.
Dans un matériau désordonné, les techniques expérimentales permettant
d’accéder à la fonction de distribution radiale donnent des représentations uni-
dimensionnelles du réseau tridimensionnel. Les informations sont nécessaire-
ment moyennées et ne permettent pas de distinguer des détails ponctuels de la
structure.

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AF3600

VERRES _____________________________________________________________________________________________________________________________

De nombreux espoirs dans la connaissance de la structure des verres résident


dans la modélisation. Cette science fait chaque année des progrès remarquables
et son incidence sur la connaissance de la structure des verres devrait être
essentielle dans la mesure où il devient possible de distinguer les motifs origi-
naux ne correspondant pas à l’analyse globale moyennée issues des techniques
expérimentales.
Il est probable que certains phénomènes ou propriétés découlent de la pré-
sence de motifs ou entités structurales particuliers du réseau vitreux. Ces entités
structurales peuvent se trouver en très faible concentration.
Pour compléter la difficulté d’appréhension du verre, le phénomène de transi-
tion vitreuse, qui lui est intimement rattaché, est encore mal compris. Ces der-
nières années des approches très différentes et nombreuses ont été
développées pour élucider ce phénomène. Il reste cependant difficile de rendre
compte tout à la fois de l’aspect thermodynamique et l’aspect relaxationnel de
cette transition. Il n’existe pas de théorie qui rende compte de la totalité des
divers aspects, physiquement observés, associés à cette transition.
On voit donc, que à bien des égards, le verre reste un matériau complexe et
peu compris. Il n’en a que plus d’intérêt pour la communauté scientifique.
L’article « Verres » fait l’objet de deux fascicules :
AF 3 600 Aspects théoriques
AF 3 601 Propriétés et applications
Les sujets ne sont pas indépendants les uns des autres.
Le lecteur devra assez souvent se reporter à l’autre fascicule.

1. Le verre : types et analyse atomique est désordonné à longue distance mais peut présenter un
ordre à courte distance, c'est-à-dire aux premiers voisins. Cet état
condensé possède la faculté de s'écouler. Le cristal correspond à un
arrangement ordonné des atomes suivant une séquence qui se tra-
duit par un type de structure. Cet état condensé et ordonné présente
1.1 Solides non cristallins les propriétés d'un solide. Les atomes vibrent autour d'une position
d'équilibre déterminée. Cependant, il existe une famille de maté-
riaux qui présentent globalement les propriétés d'un solide, mais
■ Selon la température et la pression, les composés chimiques se dont l'arrangement atomique ne présente pas d'ordre à longue dis-
rencontrent sous divers états de la matière. Les trois états usuels tance. Contrairement aux solides cristallins qui montrent des pics
sont le gaz, le liquide et le cristal. L'état gazeux est caractérisé par le sur les diffractogrammes de rayons X, les solides non cristallins pré-
fait que les molécules sont distantes les unes des autres. Elles sont sentent un « halo » diffus relativement large.
animées d'un mouvement aléatoire désordonné. L'état gazeux est
un état désordonné non condensé. Dans l'état liquide, les molécules ■ Les solides non cristallins peuvent être décomposés en deux
sont nettement plus proches les unes des autres. L'arrangement grandes familles : les amorphes et les verres.

Historique
Le verre a toujours été un élément du développement des techni- obtenus par soufflage d'une ampoule de verre qui, après ouverture,
ques. Les verres naturels (obsidienne) étaient jadis utilisés dans la était étalée sous forme de disque. Les verres colorés, dont la com-
confection des pointes de flèche. Au troisième millénaire avant J.-C. position comporte souvent une quantité non négligeable de K2O,
le verre apparaît sous forme d'émail recouvrant des poteries céra- entrent dans la confection des vitraux.
miques. Le verre massif, sous forme de pâte de verre, fait son appa- En 1675, les verriers anglais commercialisent le verre au plomb.
rition en Mésopotamie, puis en Égypte. Les compositions verrières L'indice de réfraction élevé de ce verre le fait associer au cristal de
ne sont d'ailleurs pas très éloignées des compositions actuelles. On roche. Il conserve, de nos jours, le qualificatif abusif de « cristal».
y retrouve les composants majeurs du verre à vitre : la silice, SiO2, Une dizaine d'années après, le procédé de coulée sur table permet
l'oxyde de sodium, Na2O, et l'oxyde de calcium, CaO. À cette épo- une production intensive, bien que discontinue, de larges plaques
que, le verre est un matériau de décoration (collier en perles de de verre à vitre. Actuellement, le liquide est directement déversé en
verre) et, plus rarement, un objet ayant une fonction de récipient. Le continu sur un bain d'étain liquide sur lequel il flotte.
verre creux est tout d'abord réalisé à l'aide d'un noyau de sable ou
d'argile trempé dans le bain en fusion ou sur lequel était enroulé un La technologie verrière et la quantité pratiquement infinie des
cordon de ce liquide visqueux. La réalisation d'objets creux par compositions et, par conséquent, des propriétés a permis à chaque
soufflage est découverte par les Phéniciens 300 ans environ avant avancée scientifique de formuler des verres répondant à la fonction
J.-C. Pendant plusieurs siècles, les progrès du verre sont associés souhaitée. Les ampoules électriques et les fibres optiques sont, à
aux techniques d'élaboration et de mise en forme. Les premiers ver- des dates différentes, la démonstration de la flexibilité de ce maté-
res plats semblent avoir été fabriqués à l'époque romaine. Ils sont riau qui autorise des cadences de production élevées.

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AF3600

_____________________________________________________________________________________________________________________________ VERRES

● Les amorphes correspondent à des matériaux pour lesquels le


désordre structural est en majeure partie associé à une technique de VM
synthèse ou une action extérieure imposée par l'expérimentateur. (ou H ) Liquide stable
Certains dépôts à partir de voie gazeuse, les gels, les cristaux irra-
diés, sont quelques exemples de composés amorphes.
● Le nom de verre est généralement réservé aux solides obtenus
par refroidissement d'un liquide et qui, lors de ce refroidissement, Liquide métastable
ont acquis les propriétés d'un solide sans pour autant présenter un
ordre cristallin.
● Les verres présentent le phénomène de transition vitreuse Domaine de
caractéristique d'un matériau obtenu par refroidissement d'un transition vitreuse
liquide.
Lors du refroidissement, un liquide peut se trouver à une tempé-
rature inférieure à la température de fusion (TF) dans un état métas- Verre
table de surfusion. Pour certains d'entre eux, cet état de surfusion
al
peut s'établir sur un grand intervalle de température. On parle alors Crist
de liquide verrogène. La figure 1a permet de comprendre la forma-
tion d'un verre. Partant de la phase liquide haute température, le
volume molaire VM (ou l'enthalpie H) décroît avec la température. À
une température inférieure à la température de fusion, pour un trai-
tement de durée infinie, le liquide sera transformé en un cristal dont
Tam Tg TF T
le volume molaire (ou l’enthalpie) est bien plus faible que celui du
liquide surfondu correspondant. Cependant, si le refroidissement
est continu et rapide depuis l'état liquide stable jusqu'à très basse a évolution de VM (ou H ) depuis le liquide stable jusqu'au verre
température, le liquide passe dans un domaine de température où il
se trouve dans un état de surfusion. C'est cet état métastable qui va
progressivement se figer pour donner naissance au verre à tempé-
rature ambiante. Le passage continu du liquide surfondu au verre
est appelé domaine de transition. La température de transition VM
vitreuse Tg est définie comme l'intersection des courbes extrapo-
lées à partir du liquide et du verre. Ce domaine s'étend sur un inter-
valle de température dépendant de la nature du verre et de la vitesse Liquide
v de refroidissement. Plus la vitesse de refroidissement est élevée et surfondu
plus la transformation s'effectue à haute température. L'inverse est
vrai pour un refroidissement lent (figure 1b).
La variation du volume molaire du verre en fonction de la tempé-
rature est continue et pratiquement linéaire. Ainsi, le coefficient de
dilatation thermique linéique est quasiment constant. C'est là une
des propriétés du verre. (v1)
Verre
À température ambiante, Tam (figure 1a), le verre présente un VM1
volume molaire supérieur à celui du cristal correspondant. Sa struc- (v2)
ture ouverte facilite la diffusion des espèces chimiques de faible
taille. VM2
(v3)

VM3
1.2 Grandes familles de verres
Tg 3 Tg 2 Tg 1 T
■ Les verres inorganiques d'oxydes constituent la plus grande
famille de verres industriels. Le verre à vitre est un verre d'oxydes
VM1 , VM2 , VM3 indiquent les volumes molaires respectifs des verres
optimisé pour son inertie chimique, sa dureté, sa transparence et
son coût de fabrication. La composition d'un verre d'oxyde indus- obtenus pour les différentes vitesses de refroidissement :
triel est toujours exprimée en pourcentage pondéral d'oxydes. Il est v1 > v2 > v3
généralement constitué par un grand nombre d'éléments. La multi-
plicité des éléments contribue au désordre et favorise l'obtention b influence de la vitesse de refroidissement
d'un verre en évitant la cristallisation lors de l'étape de refroidisse-
ment. Les silicates, les borates, les phosphates ou des mélanges de
Figure 1 – Phénomène de transition vitreuse
ces constituants forment la série des verres usuels.
Le tableau 1 donne quelques compositions de verres industriels.
● La famille des silicates fait intervenir la silice SiO2 comme élé-
par pulvérisation...). Un verre de silice est caractérisé par sa qualité
ment essentiel de la formation du réseau vitreux. La silice à l'état optique, son taux d'impuretés et sa teneur résiduelle en eau, mesu-
naturel est très abondante sous forme de cristaux de quartz (sable). rée à l'aide de la bande d'absorption située à 2,73 µm. La masse
Au-delà de 1 750 °C, on obtient un liquide qui, refroidi rapidement, volumique de ce verre est très faible : 2,2 g/cm3. Il possède par
donnera naissance à un verre de silice vitreuse. (0) ailleurs une excellente transparence dans le domaine de l'ultraviolet
Les différentes nuances des verres de silice sont innombrables car et, de ce fait, est très utilisé comme enveloppe de lampes, fenêtres
un verre de silice peut aussi être obtenu par d'autres voies de syn- ou cuves. La température de transition vitreuse est de l'ordre de
thèse (réaction de SiCl4 avec O2, gels, irradiation de quartz, dépôt 1 200 °C et son coefficient de dilatation linéique, 5.10–7K –1, est parmi

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33
34
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AF3601

Verres
Propriétés et applications
par Brigitte BOULARD
Maître de Conférences
Institut des Molécules et Matériaux du Mans, UMR CNRS 6283, Le Mans Université,
Le Mans, France
et Jean-Luc ADAM
Directeur de Recherche CNRS
Institut des Sciences Chimiques de Rennes, UMR CNRS 6226, Université de Rennes 1,
Rennes, France
Note de l’éditeur :
Cet article est la réédition actualisée de l’article [AF 3601] intitulé « Verres - Propriétés et
applications » rédigé par Jean PHALIPPOU et paru en 2001.

1. Les verres et l’optique ................................................................................ AF 3 601v2 - 2


1.1 Transparence et couleur............................................................................. — 2
1.2 Verres pour dispositifs optiques................................................................ — 4
1.3 Verres athermiques..................................................................................... — 6
1.4 Nouvelles optiques ..................................................................................... — 6
2. Propriétés mécaniques des verres ............................................................ — 7
2.1 Caractéristiques mécaniques en fonction de la température.................. — 7
2.2 Rupture ........................................................................................................ — 7
2.3 Mécanique de la rupture ............................................................................ — 7
2.4 Renforcement du verre............................................................................... — 9
3. Corrosion des verres................................................................................... — 11
3.1 Durabilité chimique..................................................................................... — 11
3.2 Verres durables ........................................................................................... — 12
3.3 Verres à durabilité contrôlée...................................................................... — 12
4. Verres spéciaux........................................................................................... — 13
4.1 Vitrocéramiques .......................................................................................... — 13
4.2 Verres de liaison.......................................................................................... — 14
4.3 Fibres optiques............................................................................................ — 14
4.4 Fibres dopées pour amplification optique ................................................ — 16
4.5 Guides plans et guides canaux .................................................................. — 17
4.6 Fibres laser .................................................................................................. — 17
4.7 Verres pour laser de haute énergie ........................................................... — 17
4.8 Capteurs chimiques ou biochimiques....................................................... — 18
5. Conclusion ................................................................................................... — 18
6. Sigles............................................................................................................ — 18
Pour en savoir plus .............................................................................................. Doc. AF 3 601v2

râce à l’amélioration des techniques de fabrication des verres d’oxydes et


G à la modification de leur composition, les domaines d’applications de ce
matériau se sont diversifiés au cours de siècles. L’émergence de familles de
verre de chalcogénures ou de fluorures, de verres métalliques étend encore les
potentialités de ces matériaux hors du commun.
Parution : avril 2018

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AF 3 601v2 – 1

35
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AF3601

VERRES ___________________________________________________________________________________________________________________________

Le verre possède des qualités thermo-mécaniques remarquables. Sa mise en


forme (verre creux, verre plat, fibre ou microbille) est aisée. Sa dureté appré-
ciable autorise un excellent état de surface et de poli. Seuls les matériaux de
très grande dureté peuvent en rayer la surface. Le verre est cependant un
matériau fragile, mais des traitements spécifiques permettent d’augmenter sa
résistance sous contrainte et de minimiser les effets de sa rupture. En contrô-
lant la recristallisation partielle de certains verres, on peut obtenir des
vitrocéramiques transparentes dont les propriétés mécaniques sont nettement
supérieures à celles du verre parent.
Le verre est un matériau étanche avec une bonne durabilité chimique et donc
largement utilisé pour le conditionnement des liquides, et également pour le
confinement de déchets (radioactifs par exemple). De par sa transparence ou
sa couleur, il est aussi un élément de l’architecture moderne. En modifiant sa
surface par dépôt de couches, de nouvelles fonctions chimiques ou optiques
peuvent être obtenues (hydrophobe, autonettoyant, antireflet, isolant ther-
mique, etc).
Il est possible de faire varier de façon continue les propriétés optiques des
verres par modification de leur composition et aussi de prédire la valeur de ces
propriétés sur la base de relations empiriques simples. Ainsi, on peut corriger
des défauts de vision, des aberrations chromatiques en choisissant les verres
adéquats. Le principe de propagation de la lumière dans une fibre optique ou
un guide planaire a permis le développement des réseaux de télécommunica-
tions modernes et des lasers. Les verres de chalcogénures transparents dans
l’infrarouge ont permis le développement de dispositifs pour l’imagerie noc-
turne, de capteurs chimiques et biochimiques très sélectifs.
L’objectif de l’article est de fournir les informations essentielles sur la com-
position et les diverses propriétés des matériaux vitreux. Il décrit l’évolution
des procédés de fabrication et de la recherche de nouveaux verres fonctionnels
en réponse aux attentes dans les domaines de l’énergie, de l’optique et du
développement durable.
Cet article fait suite à l’article [AF 3600] « Aspects théoriques ».
Le lecteur trouvera en fin d’article un tableau des sigles utilisés.

1. Les verres et l’optique pression et du fluide. Les abrasifs les plus utilisés sont CeO2,
Fe2O3, Cr2O3, ZrO2, Al2O3 et le diamant. Il est maintenant admis
que, lors du polissage, une couche hydratée se forme à la surface
Le verre, matériau homogène et isotrope, présente des proprié- du verre. La formation de cette couche dépend de la nature du
tés intrinsèques uniques dans le domaine de l’optique. Le verre verre et du fluide utilisé. Cette couche subit l’action des grains
est homogène à des échelles de longueur bien inférieures à celles abrasifs. Un grain de dureté moyenne comme CeO2 et un support
des longueurs d’onde du visible. S’il est préparé dans de bonnes élastique ou viscoélastique (polyuréthane) donnent d’excellents
conditions, il ne contient aucune imperfection pouvant entraîner résultats.
une réfraction ou une réflexion interne de la lumière incidente.
Les verres d’oxydes et quelques verres fluorés sont retenus
pour la plupart des applications optiques dans le domaine du 1.1 Transparence et couleur
visible. Leur transparence n’est pas leur seul atout. Les verres
d’oxydes minéraux ont une dureté supérieure aux aciers usuels. La transparence d’un verre est une notion liée à la transmission
Ils peuvent surtout être facilement mis en forme par moulage, optique définie par la loi de Beer Lambert :
pressage ou étirage. Par un pressage de haute précision, on
atteint maintenant une précision dimensionnelle meilleure que le
centième de millimètre avec des rugosités inférieures à 10 nm.
Certaines lentilles asphériques sont réalisées par pressage. La
fabrication des fibres optiques pour télécommunications est réali- avec I0 intensité d’un rayon entrant dans un volume,
sée par étirage. défini à l’intérieur du verre, d’épaisseur x,
À température ambiante ou peu élevée (hors du domaine de I intensité du rayon émergeant.
relaxation), la géométrie de la surface d’un verre n’est pas évolu- α coefficient d’absorption relié à l’indice
tive dans le temps. d’absorption K (λ) [1] par :
Une surface de qualité optique est obtenue par polissage. Le
polissage et l’état final de la surface dépendent de la nature du
verre, du grain d’abrasif, du support permettant le transfert de

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AF 3 601v2 – 2

36
Référence Internet
AF3601

___________________________________________________________________________________________________________________________ VERRES

Si la transmission est mesurée au travers d’un volume de résonance de l’oscillateur. Pour cette fréquence, l’absorption est
matière limité par deux surfaces planes parallèles et convenable- maximale.
ment polies, l’intensité transmise est plus faible en raison des
Pour les verres d’oxydes classiques, les absorptions K sont
pertes par réflexion sur les faces d’entrée et de sortie. Dans le cas
localisées dans le domaine du proche UV et vers 3 à 4 μm dans le
où le rayon lumineux entrant est sous incidence normale, on
domaine de l’infrarouge. Dans le domaine du visible (λ1, λ2), n
obtient :
décroît de n1 à n2 lorsque la longueur d’onde augmente. La varia-
tion de l’indice avec la longueur d’onde, appelée dispersion, est
de la plus haute importance pour les dispositifs optiques. Techni-
quement, on modifiera la dispersion en déplaçant la bande
où R exprime la réflexion : d’absorption côté UV vers les grandes longueurs d’onde par ajout
de certains éléments (Tl, Pb, Bi…).
La transparence optique est limitée aux hautes énergies (basses
longueurs d’onde) par les transitions électroniques entre la bande
de valence (BV) et la bande de conduction (BC) du verre. Cet écart
est la largeur de bande interdite souvent appelé « band gap ».
avec rapport entre l’indice de réfraction du verre et Ainsi, lorsque l’énergie E = hν (ν la fréquence et h la constante de
celui du milieu environnant. Planck) des photons incidents est suffisante, ils provoquent le saut
n et K respectivement les parties réelles et imaginaires d’un électron de BV sur BC et le photon incident est absorbé. Par
de l’indice de réfraction complexe : contre, si l’énergie E est inférieure à la largeur de bande interdite,
elle est insuffisante pour permettre la transition électronique et le
flux de photons traverse le verre sans être absorbé. Pour les
Dans le domaine du visible, K, qui a une très faible valeur, peut verres d’oxydes de notre environnement quotidien, le band gap
être négligé (figure 1). optique est de l’ordre de 8 électron-volt (eV), correspondant à une
longueur d’onde de 150 nm assez loin dans l’ultra-violet (UV). Ces
Ces grandeurs sont les manifestations de l’interaction d’une verres sont donc transparents à la lumière visible. La plupart des
onde électromagnétique avec des oscillateurs du réseau. éléments entrant dans la formulation des verres de chalcogénures
L’indice de réfraction du verre est : (S, Se, Te, As, Sb…) sont porteurs de doublets libres électro-
niques non liants à l’origine de niveaux électroniques qui s’inter-
v calent entre les niveaux liants et anti-liants dans le diagramme
d’énergie. Ces niveaux non liants diminuent la bande optique
avec c vitesse de la lumière dans le vide, interdite, qui devient voisine de 2 eV, rendant ainsi ces verres pra-
tiquement opaques dans le visible.
v vitesse de la lumière dans le verre.
À l’autre extrémité de la plage de transparence, dans l’infra-
Le verre étant un matériau diélectrique, l’indice de réfraction rouge (IR), ce sont les vibrations des liaisons constitutives du
complexe est relié à la permittivité relative complexe par : réseau vitreux qui absorbent l’énergie des photons. Sur le modèle
de l’oscillateur, il apparaît que plus les atomes constitutifs du
verre sont lourds, plus la fréquence de vibration, et donc l’énergie
À l’aide de cette expression et de l’équation du mouvement associée, seront faibles. Ainsi, toute chose égale par ailleurs, les
pour un oscillateur harmonique simple, on peut calculer les évolu- verres au tellure sont ceux qui présentent les énergies d’absorp-
tions de n et K en fonction de la fréquence (figure 1). tion multi-phonons les plus basses, plus basses que celles des
L’indice de réfraction n varie brutalement lorsque la fréquence verres au sélénium et au soufre.
de la lumière incidente devient proche de celle correspondant à la Notons, qu’en plus de la vibration fondamentale d’une liaison
chimique, ils existent des harmoniques d’ordre supérieur dont les
énergies sont des multiples entiers de l’énergie fondamentale
avec p = 2, 3, 4… Ces harmoniques donnent naissance à
des bandes d’absorption dès lors que l’énergie des photons inci-
dents E = hν est égale à Ep. Le rendement de ces absorptions dites
multiphonons décroît rapidement avec p. Cependant, alors que les
fréquences de vibrations fondamentales sont pour la plupart loin
Dis dans la gamme de l’infrarouge (au-delà de 20 μm pour les chalco-
per génures), les harmoniques d’ordre supérieur se déplacent vers le
sion
moyen infrarouge et limitent l’extension des domaines de trans-
parence à typiquement 7-8 μm pour les sulfures (figure 2), 11 μm
pour les séléniures et 18 μm pour les tellurures. Il ne s’agit là que
d’ordres de grandeur qui dépendent également de la nature des
autres éléments entrant dans la formation du verre et de l’épais-
seur de l’échantillon.
La transmission optique décroît lorsque l’indice augmente en
raison des réflexions déjà mentionnées. La perte par réflexion est
particulièrement importante pour les verres de chalcogénures
([AF 3600], § 1.2) qui, bien que transparents dans le domaine de
l’infrarouge, ont un indice élevé (figure 3).
Dans les dispositifs optiques de précision, les pièces en verre
sont recouvertes de couches antireflets. Les antireflets sont consti-
Figure 1 – Évolution de l’indice de réfraction et de l’absorption du
tués par un assemblage (3 ou 4) de couches d’épaisseur et
verre en fonction de la fréquence ou de la longueur d’onde de la d’indice différents. Les couches sont élaborées par dépôt sous
lumière incidente vide ou par dépôt sol-gel. Indice et épaisseur des couches sont

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AF 3 601v2 – 3

37
Référence Internet
AF3601

VERRES ___________________________________________________________________________________________________________________________

La couleur rouge est actuellement obtenue par précipitation de


cristaux de CdS contenant de très faibles quantités de Se.
Lorsqu’on augmente la quantité de sélénium, le verre passe du
Silice
100 Fluorures jaune à l’orange, puis au rouge. Le verre rubis au cuivre est
constitué par une dispersion colloïdale de Cu et de Cu2O. Anté-
Transmission (%)

80
Sulfures rieurement, cette couleur était obtenue par précipitation d’amas
Séléniures colloïdaux d’or. La réduction des ions Au3+ thermiquement acti-
60 vée est assurée par la présence d’ions Sn2+ ou Sb3+. Des réduc-
Tellurures
tions par des rayonnements agissant sur les éléments
40 photoréducteurs Ce3+ sont aussi utilisées.
20

0 1.2 Verres pour dispositifs optiques


1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27
Longueur d’onde (µm) 1.2.1 Caractéristiques
Les verres pour l’optique sont des verres très particuliers pour
Figure 2 – Transmission infrarouge typique des grandes familles de
verres lesquels l’homogénéité doit être très grande. Aucune fluctuation
de composition ou de densité macroscopique (bulles, stries dues
aux sublimations de matière, courants de convection, dissolution
des parois du four) ne sont tolérées. Les verres pour l’optique
sont le plus souvent élaborés dans des creusets en platine rhodié
ayant une forme minimisant la sublimation de certains éléments.
Lors de la fusion, un agitateur assure l’homogénéité de la fonte.
Ils sont refroidis lentement (quelquefois durant des mois pour les
lentilles de télescopes), afin d’éviter les contraintes résiduelles.
La propriété essentielle recherchée est l’homogénéité de
l’indice de réfraction qui doit être constant au moins à 10–4 et,
pour les optiques les plus performantes, à 10–6. Chaque verre est
accompagné d’une fiche comportant ses caractéristiques.
La deuxième grandeur importante est la dispersion de l’indice
dans le domaine du visible. Pour cela, on choisit tout d’abord trois
longueurs d’onde représentatives du spectre visible :
– la raie bleue de l’hydrogène, λ = 486,1 nm pour laquelle l’indice
du verre est nF ;
– la raie jaune de la lampe du sodium, λ = 589,3 nm pour
laquelle l’indice du verre est nD ;
– la raie rouge de la lampe à hydrogène, λ = 656,3 nm pour
laquelle l’indice du verre est nC.
La dispersion est caractérisée par le nombre d’Abbe, dit aussi
constringence, donné par la relation :

Le verre, dont la dispersion est faible, aura une constringence


élevée. Pour comprendre la variation de l’indice de réfraction en
fonction des compositions verrières, on fait appel à la relation de
Lorentz-Lorenz :
Figure 3 – Domaine des verres pour l’optique en fonction de leur
indice de réfraction et du nombre d’Abbe (constringence)

rigoureusement contrôlés et quelquefois optimisés pour donner avec RM réfraction molaire du verre
un effet coloré (verres d’oxydes). RM,i réfraction molaire ionique de l’élément i,
La coloration des verres est essentiellement obtenue par l’ajout masse molaire moyenne
de métaux de transition ou de terres rares qui possèdent des
couches 3d ou 4f incomplètes. La couleur provient des transitions ρ masse volumique.
électroniques induites par le champ des ligands [2]. La couleur xi fraction atomique de l’élément i.
dépend de la nature de l’élément, de la géométrie du site, lui- En supposant le verre constitué par des ions, la réfraction
même dépendant de la nature du verre. Par exemple, l’ion cobalt molaire serait la sommation pondérée des réfractions ioniques
qui, dans les verres de silicates, donne une coloration d’un bleu des divers éléments. Dans les verres d’oxydes, les atomes d’oxy-
profond, donne une coloration rose dans les verres riches en gène, comparativement beaucoup plus volumineux que les
B2O3. Les verriers modifient une coloration par ajout d’un autre cations, participent majoritairement à la valeur de la réfraction
élément, par modification de l’atmosphère du four de fusion ou molaire. Les oxygènes non pontants, porteurs d’un électron excé-
par substitution partielle de l’oxygène dans le verre (par exemple, dentaire, sont nettement plus polarisables que les oxygènes pon-
soufre associé au Fe3+ en position tétraédrique pour les verres tants. Leur réfraction ionique est élevée. Une modification de
ambrés). composition, entraînant une variation notable du nombre d’oxy-

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AF 3 601v2 – 4

38
Référence Internet
AF3609

Aérogels
Aspects fondamentaux
par Thierry WOIGNIER
Directeur de Recherche au CNRS
Aix Marseille Université, Université d’Avignon, CNRS, IRD, IMBE
IRD UMR 237, Campus Agro Environnemental Caribéen, le Lamentin, Martinique, France
Note de l’éditeur
Cet article est la réédition actualisée de l’article AF3609 intitulé « Aérogels – Aspects fonda-
mentaux » paru en 2004, rédigé par Jean Phalippou et Laurent Kocon.

1. Rappels sur la formation des gels ............................................................. AF 3 609v2 - 3


2. Les différentes familles de gels ................................................................. — 5
3. Extraction du solvant ................................................................................. — 13
4. Méthode d’obtention des aérogels ........................................................... — 19
5. Monolithicité ............................................................................................... — 20
6. Texture des aérogels .................................................................................. — 21
7. Structure des aérogels ............................................................................... — 24
8. Les aerogels : matériaux « modèles »....................................................... — 27
9. Conclusion ................................................................................................... — 28
Pour en savoir plus .............................................................................................. Doc. AF 3 609v2

epuis la première conférence internationale qui s’est tenue à Padoue en


D 1981, il est bien établi que les procédés sol-gel peuvent être une nouvelle
voie de synthèse de matériaux aussi différents que des verres, des céramiques
ou des composites, permettant la synthèse de matériaux sous forme de films,
de fibres ou de produits massifs.
Qu’est-ce exactement que le procédé sol-gel et pourquoi est-il si attractif
pour les scientifiques spécialistes des matériaux ? Une définition précise de la
méthode sol-gel est difficile car elle s’apparente à une grande variété de tech-
niques de synthèse et de procédés pour lesquels l’une des étapes utilise le
matériau sous forme d’un gel. Afin de contourner cette difficulté, il est plus
judicieux d’expliciter ce qui correspondra à un gel dans la suite de cet article :
un gel sera un milieu biphasique constitué par un solide et un fluide obtenu
par un processus d’agrégation progressif et isotrope à partir d’une solution.
La première raison de l’intérêt porté par la communauté scientifique pour les
gels fut d’ordre technologique, il s’agissait de synthétiser des matériaux à haute
valeur ajoutée. Dans ce but les principaux avantages du procédé sol-gel sont :
– la grande pureté des composés précurseurs qui peut être préservée au
cours du procédé ;
– pour les systèmes chimiques à plusieurs composants, l’homogénéité des dif-
férentes espèces peut être obtenue par réaction chimique dans la solution mère ;
– il serait possible de contrôler la morphologie du produit final (film, fibre,
matériau massif) par un ajustement de la viscosité ;
– dans le cas des poudres céramiques, on aurait une amélioration de la
réactivité au frittage grâce à leur grande surface spécifique.
Parution : juillet 2017

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AF 3 609v2 – 1

39
Référence Internet
AF3609

AÉROGELS ________________________________________________________________________________________________________________________

La seconde raison est plutôt à mettre à l’actif des physiciens des matériaux
et non des ingénieurs. Elle est dictée par l’intérêt de ces milieux en tant que
modèles. Notamment, les gels ont été utilisés pour tester les modèles théo-
riques d’agrégation et les structures obtenus par simulation numérique ou
l’analogie « gélification-percolation ». Il a été envisagé que les gels et les aéro-
gels pouvaient développer un réseau de phase solide ayant une structure
fractale dans un certain domaine d’échelle, cette structure étant liée au type de
mécanisme de gélification mis en jeu. La possibilité de contrôler ces méca-
nismes permettrait d’ajuster les caractéristiques fractales des matériaux.
Mais qu’est-ce qu’un aerogel ? Une image souvent utilisée consiste à décrire
l’aérogel comme une « fumée figée. » Il faut dire que la fraction volumique de
matière contenue dans l’aérogel ayant la plus faible densité est inférieure à
0,14 %. Cela signifie que l’air occupe 99,8 % du volume de l’aérogel. Le plus
léger d’entre eux a une masse volumique à peine trois fois plus élevée que
celle de l’air. De ce fait, ce solide présente des propriétés singulières qui sont
exposées dans cet article.
Il va de soi que, pour obtenir des matériaux aussi légers mais rigides, il faut
synthétiser un réseau solide hautement réticulé avec un minimum de matière.
De ce point de vue, les gels organiques et minéraux sont les meilleurs candi-
dats. Le réseau solide est formé de liens fins interconnectés entre lesquels le
solvant est localisé. Cependant, si le solvant s’évapore, le solide restant occupe
alors un volume bien plus faible que le gel de départ. Ces gels perdent au
moins 90 % de leur volume lors de cette étape de séchage. Le séchage induit
un affaissement irréversible du réseau de matière. Cet affaissement de la
microstructure poreuse est dû au fait que lors du séchage, l’interface liquide-
vapeur vient au contact des parois des pores du gel. Un ménisque s’établit et
entraîne l’apparition d’une pression capillaire de tension dans le liquide. Un
gradient de contrainte existe dans le matériau, ce gradient est lié à la difficulté
qu’éprouve le fluide localisé au cœur du matériau à s’écouler vers la surface.
L’utilisation d’une technique de séchage hypercritique permet d’éviter ces
contraintes ainsi que l’apparition de fissures qui en découlent. Elle autorise le
séchage d’un gel sans en altérer sa texture. Le solvant est alors évacué à une
pression et une température supérieure au point critique. Dans ces conditions,
le solvant est transformé en un fluide hypercritique homogène où les phases
liquide et vapeur sont indiscernables. L’énergie interfaciale liquide-vapeur
devient nulle ; en conséquence, aucune contrainte capillaire ne peut s’exercer.
L’aérogel est le nom donné au gel séché par évacuation hypercritique du
solvant et pour lequel l’air a remplacé le solvant. C’est un solide de très faible
densité, quelquefois transparent et qui peut être considéré comme étant le
même matériau que le gel mais pour laquelle seule subsisterait la partie solide.
Un aérogel est donc un gel qui a été séché d’une manière très particulière
permettant de conserver la délicate structure du solide telle qu’elle était établie
dans le gel de départ. Le séchage est réalisé à l’aide d’un autoclave. Une éléva-
tion de température et de pression permet de dépasser le point critique du
liquide. C’est la raison pour laquelle ce mode de séchage est appelé hypercri-
tique. En résumé, l’aérogel est issu d’un mode singulier de synthèse de solide ;
c’est aussi le produit d’un mode inusuel de séchage.
On peut définir un aérogel comme un gel dont le liquide localisé dans les
interstices des parties solides a été remplacé par de l’air au moyen d’une tech-
nique de séchage préservant la structure de la phase solide (généralement par
séchage hypercritique). Le réseau liquide a été transformé en un réseau de
pores.
Dans la littérature certains gels de silice de très faible densité, mais séchés
dans les conditions normales, sont parfois appelés aérogels ou « aerogel like
materials » compte tenu de leur large volume poreux et de propriétés phy-
siques semblables à celles des aérogels obtenus par séchage hypercritique.
Dans cet article le terme aérogel sera réservé aux seuls gels séchés dans les
conditions hypercritiques.

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AF 3 609v2 – 2

40
Référence Internet
AF3609

_________________________________________________________________________________________________________________________ AÉROGELS

1. Rappels sur la formation La relation entre la fonctionnalité f du précurseur (f > 2) et sa


capacité à « gélifier » fut étudiée entre autres par Flory [4] et
des gels Stockmayer [5] [6], selon une approche statistique en faisant les
hypothèses suivantes :
– la réactivité des fonctions est identique quel que soit le degré
1.1 Définition d’un gel et critère d’avancement de la réaction ;
pour l’obtention d’un aérogel – il ne se forme pas de liaisons intramoléculaires (cycle) au sein
d’une même macromolécule ou amas ;
Un gel est un système biphasique solide-liquide thermodynami- – la gêne stérique n’est pas prise en compte.
quement stable constitué d’un double réseau interpénétré continu Ces trois hypothèses permettent de relier la fonctionnalité du
tridimensionnel, l’un solide et le second liquide. Flory [1] a pro- précurseur f au degré d’avancement de la réaction lors de la prise
posé une classification des gels qui s’applique aussi bien aux gels du gel et déterminent les degrés de polymérisation moyens en
organiques qu’aux gels inorganiques : nombre et en poids du système [J5810].
– gels lamellaires comme la mésophase et gels d’argile ; Pour une polymérisation par polycondensation de deux mono-
– gels à liaison covalente de type polymérique ;
– gels constitués par l’agrégation physique (cristallisation) de mères, l’un étant au moins trifonctionnel et le second
chaînes polymériques ;
– gels particulaires constitués de particules de taille submicro- difonctionnel , la méthode statistique conduit à la relation
nique liées entre elles pour former un réseau poreux. suivante :
L’obtention d’un aérogel impose des contraintes sur les éner-
gies de liaison qui assurent la cohésion du réseau solide. Elles
doivent, en effet, être suffisamment élevées pour supporter les
traitements de séchage supercritique que ce soit, par exemple, en
présence de solvant classique [2] (eau, éthanol, éther) ou en pré- avec pc nombre total de sites réactionnels de type A
sence de CO2 [3]. Cette contrainte est le critère limitatif qui fait ayant réagi lors de la transition sol-gel/nombre
que tout gel ne peut être transformé en aérogel. Les gels dits total initial de sites réactionnels de type A,
chimiques, dont la cohésion est assurée par des liaisons fortes, f fonctionnalité du monomère ,
constituent donc a priori de meilleurs candidats que les gels dits
physiques, dont la cohésion est assurée par des forces de van der
Waals, des liaisons hydrogène, des enchevêtrements de chaînes r nombre total de groupements A sur nombre total
polymériques avec éventuellement des zones de cristallisation, de groupements B.
des liaisons de type électrostatique, des rapprochements de zones Dans les faits, la valeur de pc apparaît sous-évaluée en raison
hydrophobes. de l’existence de réactions intramoléculaires lors de la croissance
des macromolécules ou amas ; elles ne tient pas compte non plus
de la gêne stérique intramoléculaire qui peut limiter l’accès à des
1.2 Définition de la gélification sites réactifs.
De plus, cette approche purement moléculaire ne permet pas de
distinguer un état de précipitation de celui d’une prise de gel. Elle
La gélification est un processus qui fait apparaître, au sein
ne permet donc que de définir une condition nécessaire à la prise
d’une solution, une phase solide qui s’organise pour constituer
du gel mais, en aucun cas, une condition suffisante.
un réseau continu tridimensionnel qui emprisonnera le solvant.

1.2.2 Critère cinétique pour des mécanismes


Cette phase solide peut être issue, par exemple, de réactions réactionnels de type hydrolyse
chimiques entre solutés, mais aussi de la déstabilisation d’un sol et condensation
ou de la précipitation d’un polymère en présence de non-solvant.
Ces deux dernières méthodes constituent en fait un cas particulier La synthèse sol-gel d’oxydes métalliques fait intervenir succes-
de la première pour laquelle les étapes de formation et d’organi- sivement des réactions d’hydrolyse et de condensation. Les condi-
sation des entités de fortes masses moléculaires (colloïde, macro- tions de gélification ont pu être corrélées non seulement à des
molécule) sont distinctes. critères moléculaires (capacité pour le précurseur à s’hydrolyser
puis à polycondenser) mais également à des critères de cinétique
La gélification n’est possible que si la fonctionnalité du précur-
relative entre l’hydrolyse et la condensation [7] :
seur, le mécanisme réactionnel et sa cinétique ainsi que le mode
d’agrégation sont adaptés et vérifient les critères suivants. – si les deux cinétiques sont lentes, il se forme des sols ou des
colloïdes qui peuvent gélifier suivant un mécanisme d’agrégation ;
– si les deux cinétiques sont rapides, il apparaît un précipité
1.2.1 Critère sur la fonctionnalité des précurseurs gélatineux ;
– si la cinétique d’hydrolyse est rapide et celle de la condensa-
Selon une approche « polymériste », la fonctionnalité du précur- tion lente, un gel monolithique peut se former ;
seur f correspond au nombre de sites réactionnels susceptibles – si la cinétique d’hydrolyse est lente et la condensation rapide,
d’être à l’origine de la formation d’une chaîne macromoléculaire. on favorise l’apparition d’un précipité non gélatineux.
Elle définit ainsi la nature du gel qui sera synthétisé :
Ce critère cinétique, qui s’applique parfaitement aux synthèses
– si f = 2, les polymères sont linéaires. Le gel, s’il s’en forme un, sol-gel en présence d’alcoxyde de titane, doit être cependant uti-
sera donc de type physique ; lisé avec précaution. Il ne définit que des tendances générales qui,
– si un précurseur de fonctionnalité supérieure à 2 est présent en fonction de la nature de l’élément métallique, peuvent être plus
dans la solution, il peut y avoir une amorce de ramification et, si sa ou moins vérifiées. En particulier, cette approche ne prend pas en
concentration est suffisamment importante, formation d’un réseau compte le phénomène de diffusion des espèces, soluté ou amas,
tridimensionnel. Le gel est alors de type purement chimique. dans la solution.

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1.2.3 Modèles d’agrégation Il est probable que l’hydrolyse et la condensation d’espèces


chimiques introduites dès le début de la réaction conduisent à la
Suite aux réactions chimiques amenant la transformation des formation d’amas initialement isolés. Ces amas continuent de
monomères, des particules apparaissent dans le milieu et vont croître par condensation mutuelle. Dans le cas où la réaction est
s’assembler pour finalement donner naissance à un gel où la par- limitée par la diffusion, le collage des amas est instantané dès que
tie solide occupe la totalité du volume de la solution initiale. Dès le contact entre amas s’établit. Dans le cas de l’agrégation limitée
les premiers instants de l’agrégation des particules, des amas par la réaction, les contacts ne sont pas tous efficaces. La probabi-
solides apparaissent flottant dans le milieu réactionnel. lité de collage est inférieure à 1. Les amas s’interpénètrent plus
Pour rendre compte de la croissance du réseau, plusieurs facilement, donnant naissance à un réseau solide plus compact.
modèles d’agrégation ont été proposés. La plupart de ces ■ Type amas-amas
modèles font appel à la notion de géométrie fractale [AF4500]. La
croissance produit un réseau qui est autosimilaire par dilatation La catalyse acide favorise l’hydrolyse au détriment de la poly-
d’échelle. Dans le cas des gels issus de processus d’agrégation condensation. On privilégie la formation de dimères et d’espèces
aléatoire, l’autosimilarité est de type statistique. Cela revient à à faibles masses moléculaires, de faible étendue, qui diffusent
dire que la matière apparaît comme ayant une géométrie statisti- librement dans le milieu. Leur agrégation, sous forme de struc-
quement identique lorsque l’on fait varier l’échelle d’observation. tures ramifiées, conduit à la formation d’un amas dont la dimen-
Pour décrire l’agrégation, il faut spécifier si la croissance du sion fractale traduit une structure relativement compacte. On peut
réseau se fait par ajout de monomère à l’amas initial ou si la associer cette morphologie à un procédé d’agrégation amas-amas
croissance s’effectue par agrégation entre divers amas. Mono- (tableau 1) limité par la réaction. La dimension fractale du gel
mères ou amas vont décrire une trajectoire selon un mouvement serait sensiblement égale à 2. Lors de l’opération de séchage
brownien ou balistique. Enfin le collage va être limité par l’étape supercritique, qui entraîne un retrait sensible, une restructuration
la plus lente. L’étape lente est soit la diffusion des espèces, soit la du réseau induit une plus grande compacité se traduisant par une
réaction chimique conduisant à la formation d’un lien nouveau. augmentation de la dimension fractale qui est dans les aérogels
acides de l’ordre de 2,2.
Ces divers cas d’agrégation ont été simulés numériquement [8]
Dans le cas d’une catalyse basique, l’agrégation se fait aussi par
[9]. Le tableau 1 montre la géométrie des objets résultant de
un processus de collage amas-amas. Cependant, puisque la
divers modes de croissance. La dimension fractale de volume Df,
condensation est favorisée, tout contact entre amas est considéré
indiquée sous chacun des schémas, exprime la compacité de la
comme étant irréversible. L’agrégation est alors uniquement limi-
structure obtenue.
tée par la vitesse de diffusion des amas (qui peut être choisie
■ Type monomère-amas indépendante ou inversement proportionnelle à la taille). La
dimension fractale des gels basiques, de 1,8, est en accord avec le
Dans l’agrégation de type monomère-amas (tableau 1), des modèle cinétique d’agrégation amas-amas limité par la diffusion.
monomères réactifs sont créés en fonction du temps. Ils se L’absence de modification dimensionnelle notable lors de l’étape
condensent préférentiellement sur l’amas formé mais ne se de séchage implique que l’aérogel basique présentera une dimen-
condensent pas entre eux. Si l’agrégation est limitée par la diffu- sion fractale voisine de 1,8.
sion, on obtient un réseau très lâche comparativement à ce que
l’on obtiendrait si l’agrégation était limitée par la réaction. ■ Caractéristiques d’un objet fractal
La caractéristique principale de ce type de géométrie où l’objet
présente des irrégularités à toutes les échelles comprises entre les
dimensions de la particule élémentaire et celle de l’amas concerne
Tableau 1 – Divers cas d’agrégation, simulés la répartition spatiale de la matière [10].
numériquement (d’après [8] [9])
Dans une fractale, la masse m(r) contenue dans une sphère de
Étape limitante rayon r, centrée sur un point quelconque de l’objet, obéit à la loi
Type d’agrégation de puissance [AF4500] :
Réaction Diffusion

avec Df la dimension fractale, inférieure à 3.


La masse décroît lorsque l’échelle d’observation augmente. En
conséquence, la masse volumique ρ de la fractale va aussi
dépendre de l’échelle d’observation :
Monomère-amas

Pour un matériau réel, la masse volumique de la particule élémen-


taire de taille a est constante et égale à la masse volumique du
Df = 3,00 Df = 2,50 solide ρS :

Pour les grandes échelles d’observation, le matériau perd son


caractère fractal et sa masse volumique correspond à la masse
volumique apparente ρa :
Amas-amas

Ce domaine d’homogénéité s’établit pour une valeur d’échelle


supérieure à la longueur de corrélation ξ telle que :
Df = 2,09 Df = 1,80

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2.1.1.1 Mécanismes réactionnels en phase aqueuse


Un cation (Mz+) mis en solution subit une solvatation qui
conduit à des réactions d’hydrolyse définies ci-dessous :

à l’origine de la formation des espèces suivantes :


– [MONH2N]z+ est appelé « aquo-ion », avec N correspondant au
nombre de molécules d’eau solvatant le cation métallique. Les liai-
sons sont de type aquo  ;
– [M(OH)x(OH2)N–x](z–x)+ est appelé « hydroxo-aquo-ion », avec N
correspondant au nombre de molécules d’eau solvatant le cation
métallique ;
– [M(OH)N](N–z)− est appelé « hydroxo-ion ». Les liaisons sont de
type hydroxo  ;
– [MOx(OH2)N–x](N+x–z)− est appelé « oxo-hydroxo-ion », avec N
correspondant au nombre de molécules d’eau solvatant le cation
métallique ;
– [MON](2N–z)− appelé « oxy-ion ». Les liaisons sont toutes de
type oxo .
Figure 1 – Variation de la masse volumique suivant l’échelle
d’observation Le modèle de charge partielle (PCM) développé par J. Livage et
al. [11] [13] permet de déterminer le domaine d’existence des
espèces à un pH donné. Il dépend de la charge z du cation, de son
La figure 1 traduit les notions précédentes. nombre de coordination N et de son électronégativité.
La pente de la droite (figure 1) dans le domaine fractal est égale Le diagramme charge-pH (figure 2) définit les domaines d’exis-
à Df − 3. tence des espèces aquo, hydroxo et oxo en fonction du pH de la
solution et de la charge du cation métallique [14].
Le modèle des charges partielles montre que les espèces les
plus susceptibles de condenser et donc potentiellement de former
2. Les différentes familles un gel sont les hydroxo-ions. Deux types de réactions de conden-
sation existent :
de gels – l’olation : la liaison entre atomes métalliques est assurée par
un groupement hydroxyle (OH). Sur une espèce de type hydroxo-
Les gels sont issus de réactions dites de chimie douce qui aquo, la réaction s’opère par substitution nucléophile selon le
s’opèrent en phase liquide en présence d’un précurseur ionique mécanisme suivant :
ou covalent. Ce dernier réagit en présence d’un réactif, de cataly-
seurs ou sous l’effet de la température pour constituer une espèce
solide colloïdale ou macromoléculaire qui s’organisera en réseau.
L’objectif de cette section est de décrire les différents modes de
synthèse de ces espèces et de donner des exemples de conditions
opératoires pour l’obtention de gels destinés au séchage supercri-
tique. – l’oxolation : la liaison entre atomes est assurée par un pont
oxo . La réaction est une substitution de type nucléophile
avec ou comme agent nucléophile et élimination
2.1 Gels minéraux
La gélification des composés d’oxydes métalliques est gouver-
née, dans la majorité des cas, par deux réactions principales qui
sont l’hydrolyse et la polycondensation. En fonction de la nature
du solvant, du catalyseur et des précurseurs, leurs mécanismes
réactionnels peuvent être plus ou moins complexes. Ils ont fait
l’objet, de par le développement des procédés sol-gel, d’une litté-
rature abondante et ont été bien décrits par les travaux de
J. Livage et al. [11] et dans le livre de C.J. Brinker et G.W. Scherer
[12].

2.1.1 Aérogels issus de précurseurs ioniques


Ces précurseurs sont constitués d’un cation métallique et d’un
contre-ion de type carbonate, nitrate, halogénure… Ils sont donc
solubles dans l’eau et réagissent suivant des mécanismes
chimiques qui font intervenir leurs différentes formes acido-
basiques (H+, H2O, OH−). Lorsque le solvant utilisé pour la syn- Figure 2 – Diagramme charge-pH définissant les domaines aquo,
thèse est l’eau, le gel est appelé aquagel. hydroxo et oxo d’un cation de charge z+ (d’après [14])

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d’eau. Elle se décompose en deux mécanismes élémentaires qui une solution aqueuse ou organique (alcool, DMF, DMSO…). Selon
sont : les auteurs, le cation initialement hydraté donc de type aquo, se
transformerait en espèce hydroxo-aquo par déplacement acido-
basique. Le proton, ainsi libéré, réagirait sur l’oxygène de
l’époxyde et provoquerait l’ouverture du cycle. Les espèces
hydroxo-aquo polycondensent ensuite par olation ou oxolation
pour constituer des oligomères.
Nota : DMF = diméthylformamide ; DMSO = diméthylsulfoxyde.

Les conditions d’obtention d’un gel dépendent essentiellement :


– de la nature du cation et de sa charge, qui doit être supérieure
à 2. Pour des cations de type M2+ (M = Ni2+, Co2+, Zn2+, Mn2+,
2.1.1.2 Synthèse de Kistler en phase aqueuse Cu2+), le système précipite ;
– du contre-ion composant le sel métallique. Pour la synthèse de
En raison du mode de gélification en phase aqueuse qui néces- gels d’oxyde de chrome en milieu aqueux, le sel métallique
site des étapes d’échange de solvant avant le séchage supercri- ne conduit pas à la formation de gel contraire-
tique, ces synthèses furent pratiquement abandonnées au profit
de synthèses impliquant des précurseurs de type alcoxyde en ment au sel  ;
milieu alcoolique. Toutefois, elles permirent dès 1932 [15] l’élabo- – de la nature du solvant. Il influe non seulement sur le proces-
ration d’aérogels de composition variée (tableau 2). L’aquagel sus de gélification mais également sur la cinétique de prise de gel
étant formé, des étapes d’échange de solvant sont réalisées afin (tableau 3) ;
d’effectuer le séchage en présence d’un solvant chimiquement – de la nature du réactif, l’époxyde ;
inerte vis-à-vis du réseau solide constituant le gel. – de la concentration en précurseur ;
Les colonnes intitulées « 1re et 2e étapes » du tableau 2 – du rapport entre le réactif (époxyde) et le précurseur. Le temps de
détaillent les conditions de gélification. La colonne « échange de prise de gel tg diminue lorsque la proportion d’époxyde par rapport
solvant » précise la nature des solvants utilisés lors de cette étape au précurseur augmente. Pour une solution à base de nitrate de
qui consiste à remplacer l’eau par des solvants qui, en conditions chrome en présence d’oxyde de propylène dans de l’éthanol, le
supercritiques, ne détériorent pas le réseau du gel. temps de prise de gel est supérieur à plusieurs mois pour un
rapport de 7 alors qu’il est de 3 h pour un rapport de 11.
Ces synthèses spécifiques à chaque précurseur ont l’inconvé-
nient de comporter un grand nombre d’étapes (sept étapes pour
l’aérogel d’oxyde de fer). 2.1.2 Aérogels d’oxydes métalliques issus
de précurseurs moléculaires
2.1.1.3 Synthèse de gel en présence d’époxyde
Les composés de type carboxylates M(O2CR)n [17] [18], les β-
Ce procédé [16] permet la synthèse d’une grande variété de dicétonates M(b-dik)n [b-dik = (O)CRCHCRC(O)] [19] [J5831] et les
gels d’oxydes métalliques (Cr2O3, Fe2O3, Al2O3, In2O3, Ga2O3, alcoxydes M(OR)n ou oxoalcoxydes MO(OR)n [20] [21] [AF4500]
SnO2, HfO2, ZrO2, Nb2O5, Ta2O5, WO3). La réaction s’effectue en avec M un élément généralement métallique et R un groupement
présence d’un précurseur métallique hydraté et d’époxyde dans alkyle peuvent constituer des précurseurs d’oxyde. Les alcoxydes

Tableau 2 – Élaboration d’aérogels obtenus par séchage supercritique de gels issus de sels métalliques
qui ont gélifié en milieu aqueux (d’après [15])
Précurseur Séchage
1re étape 2e étape Échange de solvant
métallique supercritique

Tungstate de sodium Formation d’un aquagel en Eau → éthanol → éther Éther


présence de HNO3

Acétate d’aluminium Formation d’un sol par Gélification par déstabilisation Eau → éthanol Éthanol
dialyse du sol en présence de

Chlorure de fer III Formation d’un sol en Gélification par déstabilisation Eau → éthanol → éther → Propane
présence de CO3(NH4)2 du sol en présence de K2SO4 éther de pétrole → propane
Gélification à 100 ˚C

Chlorure d’étain III Hydrolyse et peptisation du Gélification du sol par Eau → éthanol → éther Éther
précipité en présence évaporation lente du solvant
d’ammoniac

Tableau 3 – Influence du solvant sur le temps de prise de gel tg à température ambiante (d’après [16])

Solvant t-Butanol 2-Éthoxyéthanol 1-Propanol Éthanol Méthanol DMF DMSO Éthylèneglycol

tg ..............[h] 1,3 2 2,6 3,1 14 20 72 240

Solution composée de ([Cr] : 0,35 M) et d’oxyde de propylène avec un rapport molaire époxyde/Cr = 11.

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Tableau 4 – Liste des éléments du tableau périodique


existant sous forme d’alcoxydes (d’après [20])
H He
Li Be B C N O F Ne
Na Mg Al Si P S Cl Ar
K Ca Sc Ti V Cr Mn Fe Co Ni Cu Zn Ga Ge As Se Br Kr
Rb Sr Y Zr Nb Mo Tc Ru Rh Pd Ag Cd In Sn Sb Te I Xe
Cs Ba La Hf Ta W Re Os Ir Pt Au Hg Tl Pb Bi Po At Rn
Fr Ra Ac

La Ce Pr Nd Pm Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Lu
Ac Th Pa U Np Pu Am Cm Bk Cf Es Fm Md No Lw

sont de loin les précurseurs les plus employés grâce aux nom- La seconde étape est une condensation suivant trois méca-
breux avantages qu’ils présentent (grande diversité d’éléments nismes différents :
accessibles (tableau 4), existence de précurseurs hétérométal- – l’alcoxolation qui s’accompagne d’une élimination d’alcool :
liques, possibilité d’utiliser plusieurs précurseurs différents au
cours d’une même synthèse, pureté élevée, thermodynamique-
ment stable, solubilité élevée…). Leur synthèse pour des applica-
tions dédiées à l’élaboration des aérogels a été, en particulier,
décrite par R.C. Mehrotra [22]. La famille des oxoalcoxydes, de
comportement chimique similaire aux alcoxydes, permet
d’étendre encore cette accessibilité à d’autres éléments (Pb, Re).

2.1.2.1 Réaction générale


La réaction générale entre un alcoxyde métallique et l’eau, dans
le cas où elle serait totale, peut s’écrire :
– l’oxolation qui s’accompagne d’une élimination d’eau

Elle met en jeu deux types d’équilibre :


– l’hydrolyse :

– l’olation qui s’accompagne d’une élimination d’eau ou d’alcool.


– et la condensation : Cette dernière réaction nécessite la présence d’eau ou d’alcool de
coordination au niveau de l’atome métallique.

2.1.3 Synthèse de gels d’alcoxyde métallique


Les gels sont synthétisés par réaction d’un alcoxyde métallique
avec l’eau dans un solvant de type alcoolique pour former l’alco-
gel. Les différents constituants de la solution sont les suivants :
■ Le précurseur
De type alcoxyde métallique, il impose non seulement la com-
2.1.2.2 Mécanismes d’hydrolyse et de condensation position chimique du réseau mais influe également sur les ciné-
des alcoxydes tiques des réactions d’hydrolyse et de polycondensation. Ainsi,
l’augmentation du caractère électrophile du cation favorise la
Les réactions contribuant à la formation d’un gel sont similaires réaction d’hydrolyse (tableau 5). L’emploi de certains agents com-
à celles du paragraphe 2.1.1.1. Elles s’effectuent en présence plexants (acide acétique, acétylacétone…) atténue ce regain de
d’eau dans un solvant organique généralement de type alcoo- réactivité et permet de contrôler les cinétiques de réaction. La
lique. La première étape est l’hydrolyse de l’alcoxyde métallique, masse des groupements alkyle influe également sur la vitesse
qui consiste à former des groupements hydroxo suivant le méca- d’hydrolyse, qui diminue lorsque la longueur de la chaîne aug-
nisme de substitution nucléophile décrit ci-dessous. mente (effets constatés sur les alcoxydes de silicium [23]) ;

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AF 3 609v2 – 7

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AF3610

Aérogels
Aspects matériaux
Thierry WOIGNIER
Directeur de Recherche au CNRS
Aix Marseille Université, Université Avignon, CNRS, IRD, IMBE
IRD UMR 237, Campus Agro Environnemental Caribéen, le Lamentin, Martinique
Note de l’éditeur
Cet article est la réédition actualisée de l’article AF 3 610 intitulé « Aérogels – Aspects ma-
tériaux » paru en 2004, rédigé par Jean Phalippou et Laurent Kocon.

1. Propriétés optiques .................................................................................... AF 3 610v2 - 2


1.1 Transparence............................................................................................... — 2
1.2 Indice de réfraction et dispersion .............................................................. — 3
2. Propriétés mécaniques............................................................................... — 3
2.1 Propriétés acoustiques et vitesse du son.................................................. — 4
2.2 Modules élastiques et contraintes de rupture .......................................... — 4
2.3 Ténacité et propagation subcritique de fissure ........................................ — 5
3. Propriétés thermiques................................................................................ — 6
3.1 Techniques de mesure ............................................................................... — 7
3.2 Conductivité thermique (solide, gaz, radiation) ....................................... — 7
3.3 Conductivité thermique des aérogels de silice et des aérogels
organiques................................................................................................... — 9
4. Différentes techniques de traitement ou de mise en forme associées ...... — 11
4.1 Pyrolyse des aérogels organiques............................................................. — 11
4.2 Densification des aérogels ......................................................................... — 12
4.3 Mise en forme ............................................................................................. — 18
5.
Applications des aérogels .......................................................................... — 19
5.1 Aerogels de silice et minéraux................................................................... — 19
5.2 Aérogels organiques et aérogels de carbone........................................... — 20
5.3 Les aérogels précurseurs de matériaux .................................................... — 21
6. Conclusion ................................................................................................... — 22
Pour en savoir plus .............................................................................................. Doc. AF 3 610v2

es premiers « aérogels » ont été préparés en 1931 lorsque Kistler, de l’uni-


L versité du Pacifique de Stockton en Californie, chercha à démontrer qu’un
gel contenait un réseau solide continu de même taille et de même forme que
ce gel. Kistler conjecturait que lors du séchage, l’interface liquide-vapeur du
liquide d’évaporation exerçait des forces importantes de tension superficielle
conduisant à l’effondrement de la structure solide. Il a alors découvert l’aspect
principal de la production d’aérogel : le séchage hypercritique qui consiste à
faire passer de manière continue, c’est-à-dire sans changement d’état, la phase
liquide sous sa forme gazeuse.
Les premiers gels étudiés par Kistler étaient des gels de silice préparés par
condensation acide d’une solution aqueuse de silicate de sodium. L’eau pré-
sente dans la solution était échangée par un alcool afin que puisse être réalisé
Parution : juillet 2017

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AF 3 610v2 – 1

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le séchage hypercritique, permettant finalement d’obtenir des aérogels trans-


parents, de faible densité et très poreux.
Même s’ils apparaissaient intéressants à de nombreux égards, les aérogels
furent néanmoins délaissés par suite du trop long temps de préparation et ce
n’est qu’à la fin des années 1970 que l’intérêt fut renouvelé par la mise au
point d’un nouveau processus de fabrication par l’université Claude Bernard à
Lyon. En remplaçant le silicate de sodium par un alcoxysilane, le tetramethoxy-
silane (TMOS), et en hydrolysant ce TMOS dans une solution de méthanol,
produisit en effet un gel en une seule étape, appelé « alcogel » puisque le
liquide remplissant les pores n’était autre qu’un alcool.
Cette technique a été petit à petit appliquée à d’autres précurseurs organo-
métalliques conduisant à des aérogels minéraux autres que la silice (alumine,
zircone, TiO2…). Dans les années 1990, elle a aussi été proposée pour la syn-
thèse d’aérogels organiques issus de la polycondensation de résorcinol et de
formaldéhyde. Des aerogels de carbone ont ensuite été obtenus par pyrolyse
des aerogels organiques. L’attrait de la texture particulière des aérogels incite
la communauté scientifique à les décliner dans une grande variété de compo-
sitions pour des applications qui touchent à des domaines aussi différents que
peuvent l’être l’isolation thermique, l’électrochimie, la catalyse, la détection de
particules, l’acoustique, le confinement des déchets nucléaires, l’astrophysique
mais aussi les biosciences.
Dans la suite de cet article, sont traitées quelques propriétés des aérogels,
qu’ils soient de type organique ou plus particulièrement de silice (oxyde
simple), ces derniers ayant été les plus étudiés. Dans la dernière partie de
l’article nous présenterons diverses applications de ces matériaux.

1. Propriétés optiques neutre sont relativement peu transparents. En milieu basique,


après séchage supercritique, l’aérogel présente une bonne trans-
parence. La catalyse basique favorise l’étape de condensation. Les
Les aérogels de silice, en raison de leur transparence, sont sus- particules primaires sont de plus grande taille et la taille moyenne
ceptibles de présenter des propriétés optiques d’intérêt dans le des pores est plus élevée que dans le cas des gels acides. Pour
domaine du visible. obtenir des aérogels de silice transparents, l’hydrolyse des
alcoxydes de silicium est généralement réalisée au moyen de
Les aérogels issus de réticulations organiques sont, pour la plu- solutions aqueuses ammoniaquées. On obtient un résultat iden-
part, opaques. Les aérogels de résorcinol formaldéhyde, de très tique avec des solutions aqueuses d’acide fluorhydrique. Bien
faible densité, de couleur rouge, sont légèrement transparents. qu’il s’agisse d’un acide, la solution se comporte plutôt comme
Les gels de mélamine formaldéhyde sont transparents mais l’éva- une base. Les ions fluorures F− agissent d’une manière identique
cuation du solvant, lors de l’étape de séchage, a pour consé- à celle des ions OH–.
quence d’entraîner leur opacité.

1.1 Transparence
Un matériau transparent est un matériau qui transmet la
lumière. Pour une bonne transmission, il faut, d’une part, que le
matériau ne soit pas absorbant dans le domaine spectral consi-
déré et, d’autre part, que la diffusion soit faible. Étant donné la
faible densité des aérogels, l’indice de réfraction est relativement
faible et l’on peut, en première approximation, négliger les pertes
optiques par réflexion.
L’absorption de la silice amorphe dans le visible est faible. Le
verre de silice est un verre utilisé en instrumentation optique. La
silice est l’élément constitutif essentiel des fibres optiques utili-
sées dans les télécommunications. Son indice de réfraction est
parmi les plus faibles des verres d’oxydes. Il est de 1,4585.
Dans les aérogels de silice, on peut dire que seule la diffusion
limite la transmission de la lumière.
La transparence des aérogels est directement liée aux condi-
tions de synthèse du gel. L’étape de séchage supercritique joue
un rôle mineur puisqu’un gel de silice séché en milieu alcoolique
ou à l’aide de CO2 présente quasiment la même transmission
dans le domaine du visible (figure 1) [1]. La transparence dépend
essentiellement du pH de l’eau d’hydrolyse de la solution Figure 1 – Spectre de transmission de deux aérogels de 3 mm
d’alcoxysilane initiale [2]. Les gels synthétisés en milieu acide ou d’épaisseur issus d’un même gel

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AF 3 610v2 – 2

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Cependant, la diffusion de la lumière dépend beaucoup de la


densité. Les aérogels basiques, de densité comprise entre 0,05 et
0,3, transmettent bien la lumière incidente. Pour des densités infé-
rieures, on constate une opacification qui augmente lorsque la
densité décroît. Pour synthétiser des aérogels de silice de très
faible densité, d < 0,01, transparents, un procédé tout particulier
est utilisé. Il consiste à former le gel en deux étapes successives.
La première est une étape d’hydrolyse acide réalisée avec une
quantité substœchiométrique d’eau, et la seconde est l’étape de
condensation réalisée en milieu basique [3]. La gélification s’opère
dans un milieu autre que l’alcool, produit chimique de la réaction
qui interdit une hydrolyse complète des alcoxysilanes (tétramé-
thoxy- ou tétraéthoxysilanes). Le procédé en double étape permet
l’obtention d’aérogels très transparents comme l’indique la
figure 2. En outre, la diminution de la densité s’accompagne alors
d’une augmentation de transmission [3].
La diminution de la transmission lorsque la longueur d’onde
décroît et tend vers le rayonnement ultraviolet (UV) est due à la
diffusion. La diffusion est de type Rayleigh. L’intensité varie
comme la longueur d’onde à la puissance − 4. Cette légère diffu-
sion se traduit par une légère coloration bleue lorsque l’aérogel
est observé à 90˚ de la lumière incidente et par une légère colo- Figure 2 – Transmission UV-visible d’aérogels d’épaisseur 2,5 cm
ration jaune lorsque il est observé directement en transmission.

Une application directement liée à la transparence des aéro- Étant donné la très faible valeur de l’indice de réfraction, dans le
gels est la capture des poussières cosmiques (cf. § 5.1.6). domaine du visible, cet indice est pratiquement indépendant de la
L’analyse des poussières cosmiques a été facilitée par la mise longueur d’onde λ. La dispersion, entre 337 et 633 nm [5] est de :
en œuvre d’aérogels permettant de capter individuellement
les particules. Embarqués dans un véhicule spatial, les aéro-
gels sont déployés ou découverts lors de la phase de la cap-
ture. La particule entrant dans l’aérogel est ralentie par la
matière, puis finalement piégée. Plusieurs aérogels de densi-
tés différentes sont utilisés. La profondeur de pénétration de
La possibilité de réaliser un milieu transparent d’indice ajus-
la particule dans l’aérogel permet de calculer la vitesse initiale
table trouve son application dans les détecteurs Cherenkov
de la particule. Étant donné que l’aérogel est transparent, la
(cf. § 5.1.2). L’effet Cherenkov est l’émission d’une onde lumi-
trajectoire de la particule est aisément visualisée. La particule
neuse cohérente. Cet effet apparaît lorsqu’une particule relati-
est ainsi récupérée de manière individuelle, caractérisée et
viste chargée (pions, kaons ou protons) se propage dans un
chimiquement analysée.
milieu à une vitesse supérieure à celle de la lumière dans ce
La transparence, alliée aux propriétés d’isolation thermique, même milieu. Cet effet est analogue à l’onde de choc créée par
est recherchée pour diminuer au maximum les pertes ther- le passage du mur du son. Le moment des particules est cal-
miques au niveau des vitrages. Isolant thermique très efficace, culé par la courbure de la trace dans le champ magnétique. La
l’aérogel, s’il est transparent, permet l’absorption des rayonne- vitesse de la particule est directement reliée à l’angle du cône
ments extérieurs par les objets situés à l’intérieur d’une pièce. que forme la lumière émise. Il suffit de disposer plusieurs aéro-
Les rayonnements infrarouges (IR) émis par ces objets sont gels de densités différentes pour discriminer chacune des parti-
réfléchis par des vitres contenant l’aérogel. L’aérogel produit cules, l’effet Cherenkov n’apparaissant que pour les particules
ainsi un effet de serre particulièrement efficace. Cette propriété de vitesse adéquate.
peut être aussi amplifiée si l’on place après l’aérogel un mur ou
Un compteur Cherenkov solide comme l’aérogel est plus
revêtement noir très absorbant dans le visible. De ce fait, la
commode que les chambres à gaz pressurisé auparavant utili-
chaleur réémise se propage préférentiellement à l’intérieur de
sées [6].
la pièce.

1.2 Indice de réfraction et dispersion 2. Propriétés mécaniques


Dans le domaine visible, les aérogels transparents ont un indice
de réfraction particulièrement faible en raison de leur grande L’utilisation, la manutention et la mise en place d’un matériau
porosité. La mesure de l’indice de réfraction est réalisée suivant la sont facilitées si l’on connaît préalablement ses propriétés méca-
méthode de l’angle minimal de déviation d’un faisceau lumineux niques dites d’usage. Il faut aussi quelquefois usiner le matériau
(généralement à une longueur d’onde de 632,8 nm) par un prisme pour lui donner sa forme définitive. À côté de ses propriétés, il est
découpé ou même directement mis en forme lors de la prise du aussi nécessaire de connaître sa réactivité vis-à-vis du milieu
gel. La précision sur l’indice est de l’ordre de 10−3. Les mesures naturel et, dans le cas des aérogels de silice, sa réactivité vis-à-vis
conduisent à une relation empirique entre l’indice n et la densité de l’eau contenue dans l’atmosphère environnante.
apparente de l’aérogel da [4].
La détermination des propriétés élastiques des aérogels est réa-
lisée soit par des techniques dynamiques, soit par des techniques
statiques.

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AF 3 610v2 – 3

49
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AF3610

AÉROGELS ________________________________________________________________________________________________________________________

2.1 Propriétés acoustiques et vitesse élastique. Cet effet est contraire à celui observé dans les milieux
denses où la vitesse augmente en fonction de la contrainte
du son uniaxiale imposée. Également observé dans les aérogels orga-
niques, de carbone ou de silice, certains auteurs [9] avancent
La propagation des ondes sonores dans un milieu isotrope
l’hypothèse qu’il serait dû à des déformations de flexion des liens
conduit à la détermination des constantes élastiques C11 et C44 à
associant les nanostructures du squelette solide. Ainsi, malgré
partir des vitesses de propagation respectives des ondes longitu-
l’augmentation locale de densité, il y aurait diminution de la rigi-
dinales vL et transverses vT et de la connaissance de la masse
dité du composé.
volumique apparente :
En raison de la faible vitesse du son, il a été envisagé d’utiliser
les aérogels de silice comme ligne de retard acoustique. Le retard
serait d’environ 1 ms pour 10 cm d’aérogel.
Ces mesures sont réalisées par la méthode du pulse écho dans le
domaine du mégahertz où l’onde est générée par un matériau pié-
zoélectrique. La diffusion Rayleigh Brillouin permet d’accéder aux Une autre application potentielle concerne l’amélioration des
mêmes vitesses. Il est cependant nécessaire d’avoir un aérogel télémètres pour appareil photographique. Le milieu aérogel, en
transparent, la résolution du spectromètre ne permettant pas les raison de sa faible densité et de la faible vitesse du son, per-
mesures dans les aérogels dont la densité est inférieure à 0,10 – mettrait un meilleur ajustement d’impédance acoustique entre
 0,15. l’air et le transducteur ultrasonore. Cependant, le problème
majeur est de trouver l’agent de couplage adéquat car les aéro-
Concernant les méthodes ultrasonores (domaine du mégahertz), gels ne peuvent être mis au contact de liquides (colles) sans
la longueur d’onde acoustique est de l’ordre du millimètre. détérioration de leur texture.
Puisque la taille moyenne des pores (10 à 20 nm) est très infé-
rieure à la longueur d’onde acoustique, on peut assimiler l’aérogel
à un milieu continu. Les vitesses du son mesurées sont comprises
entre 50 et 300 m/s, c’est-à-dire inférieures à celle du son dans 2.2 Modules élastiques et contraintes
l’air. Ces faibles valeurs sont associées à la texture particulière de rupture
des aérogels quelle que soit leur nature (silice, mélamine-formal-
déhyde, résorcinol-formaldéhyde) [7]. Le gaz envahissant la poro- Les mesures statiques relativement classiques permettent
sité de l’aérogel joue un rôle mineur sur la vitesse pour les d’estimer tout à la fois les modules élastiques et les résistances
aérogels usuels. Cependant, pour les aérogels de silice de densité (ou contraintes limites) à la rupture. Bien que des mesures de
inférieure à 0,02, la vitesse du son devient dépendante de la compression soient reportées dans la littérature [10], les mesures
nature et de la pression du gaz [8]. La figure 3 montre l’évolution les plus nombreuses sont les mesures de flexion, en raison du
de la vitesse des ondes longitudinales vL en fonction de la pres- caractère fragile des aérogels. Le comportement des aérogels en
sion d’air résiduel. L’étude a été réalisée sur un aérogel de densité
flexion est parfaitement élastique. L’aérogel se rompt brutalement
égale à 0,0053 qui est parmi les plus faibles que l’on puisse pro-
lorsque, dans le domaine élastique, la contrainte atteint la
duire. La vitesse dépend entre autres de la densité du gaz [7]
contrainte limite. La fracture est conchoïdale, en tout point ana-
envahissant les pores.
logue à celle d’un verre. Certains aérogels de très faible densité
La vitesse du son est une mesure relativement précise. Elle a (da < 0,01) peuvent se déformer sous l’effet de leur propre poids.
permis de mettre en évidence un phénomène très particulier asso- Dans ce cas, les techniques ultrasonores déjà décrites sont préfé-
cié à la texture des aérogels. La vitesse des ondes longitudinales rées.
décroît lorsque les aérogels sont comprimés uniaxialement. Ce
Les propriétés mécaniques d’un aérogel sont dépendantes des
phénomène, totalement réversible est, en fait, une non-linéarité
traitements que subit le gel préalablement au séchage supercri-
tique. Le gel est un milieu évolutif dans le temps. Le retrait dû à la
synérèse, la poursuite des réactions de polycondensation et les
phénomènes de dissolution-redéposition entraînent une augmen-
tation des propriétés mécaniques de la phase solide. Le vieillisse-
ment du gel est la cause du renforcement du réseau et, en
conséquence, les propriétés mécaniques de l’aérogel seront
dépendantes du temps de vieillissement.
Ainsi les modules de Young et la résistance à la rupture d’aéro-
gels de même densité dépendent du temps de vieillissement du
gel préalable au séchage supercritique. L’extraction du solvant
localisé dans les pores stoppe l’étape de vieillissement.
Aérogel de Les figures 4 et 5 montrent l’évolution respective des modules
très faible de Young et de la contrainte à la rupture d’aérogels neutres obte-
densité : 5.10–3 nus après vieillissement du gel pendant des temps croissants. Les
gels élaborés en milieu neutre ont été volontairement choisis car
le vieillissement a un effet beaucoup plus conséquent que sur les
gels basiques. Les deux séries d’aérogels présentent des densités
initiales différentes. Elles augmentent avec le vieillissement en rai-
son des phénomènes de retrait et de synérèse évoqués précédem-
ment.
Les modules des aérogels sont très faibles et restent inférieurs
à 1 GPa. Les contraintes limites à rupture présentent les caracté-
ristiques communes aux matériaux fragiles. On observe une forte
Figure 3 – Évolution de la vitesse du son, mesurée dans l’air, d’un dispersion des valeurs. Les valeurs reportées sont les moyennes
aérogel de très faible densité en fonction de la pression résiduelle des essais portant sur 10 échantillons. Bien que les contraintes à
(d’après [7]) rupture soient elles-mêmes très faibles et inférieures à 1 MPa,

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AF 3 610v2 – 4

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_________________________________________________________________________________________________________________________ AÉROGELS

Figure 4 – Module de Young de deux séries d’aérogels (I et II)


mesurés en flexion trois points pour des temps de vieillissement
croissants

Figure 6 – Module de Young des aérogels neutres et basiques


en fonction de la masse volumique

Figure 5 – Contrainte limite à la rupture en flexion pour deux séries


d’aérogels (I et II) de temps de vieillissement croissants

pour les échantillons de très faible densité, la déformation limite


avant rupture peut être considérable.

Exemple
Un aérogel de silice obtenu en condition neutre, de densité 0,12 a Figure 7 – Contrainte limite à la rupture en flexion d’aérogels
une déformation limite à rupture de l’ordre de 2,5 %, ce qui est très neutres et basiques en fonction de la masse volumique
inhabituel pour un matériau inorganique.
percolant [12]. Les mesures de contraintes à rupture en flexion σf
La comparaison entre les aérogels neutres et basiques (figure 6) (moyenne sur 10 échantillons) sont peu dépendantes de la cata-
montre que ces derniers ont des modules de Young plus faibles à lyse initiale (figure 7). La contrainte suit, là encore, une loi
masses volumiques égales. Cela conduit à dire que la connectivité d’échelle en fonction de la masse volumique apparente :
du réseau solide est plus faible dans les aérogels basiques. Ils
sont constitués par des particules plus grosses et la taille
moyenne des pores est relativement élevée comparativement aux
aérogels neutres. Comme le montre la figure 6, la variation des L’exposant γ est compris entre 2,5 et 2,6.
modules élastiques avec la densité peut se mettre sous la forme
d’une loi d’échelle :
2.3 Ténacité et propagation subcritique
de fissure
où l’exposant β, compris entre 3,6 et 3,7, est directement obtenu Les aérogels étant fragiles, très poreux et développant une
par la pente des droites. La valeur de cet exposant a été traitée en grande surface spécifique, pour toute application, il est indispen-
termes de propriété de structure hiérarchique [11] ou de milieu sable de connaître leur comportement dans les conditions de

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AF 3 610v2 – 5

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AF3612

Physique des aérosols


Partie 1
par André RENOUX
Professeur des universités
Laboratoire de physique des aérosols et de transfert des contaminations (Lpatc)
Université Paris-XII-Faculté des sciences et technologie
et Denis BOULAUD
Directeur de recherches à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
Professeur à l’Institut national des sciences et techniques nucléaires

1. Quelques rappels de théorie cinétique des gaz .............................. AF 3 612 – 3


1.1 Milieu ne comportant qu’une seule sorte de molécules .......................... — 3
1.2 Milieu constitué par deux sortes de molécules (ou particules) ............... — 4
1.3 Équation de la diffusion. Lois de Fick ........................................................ — 6
2. Sédimentation des aérosols.................................................................. — 7
2.1 Fluide continu. Régime laminaire Kn << 1. Loi de Stokes........................ — 7
2.2 Écarts à la loi de Stokes. Cas de nombre de Reynolds élevés................. — 8
2.3 Domaine intermédiaire. Formule de Millikan ( Kn ≈ 1 ) ............................ — 9
2.4 Domaine moléculaire (Kn >> 1) .................................................................. — 11
2.5 Quelle relation choisir ? .............................................................................. — 11
2.6 Nombres adimensionnels utilisés en physique des aérosols.................. — 12
3. Phénomènes de thermophorèse, photophorèse,
diffusionphorèse ..................................................................................... — 12
3.1 Thermophorèse ........................................................................................... — 12
3.2 Photophorèse............................................................................................... — 14
3.3 Diffusionphorèse ......................................................................................... — 14
4. Conclusion ................................................................................................. — 15

nventé par l’Allemand Schmauss en 1920, le mot aérosol désigne la suspen-


I sion, dans un milieu gazeux (air, dans la plupart des cas), de particules liqui-
des, solides ou les deux, présentant une vitesse limite de chute négligeable.
Dans l’air, dans les conditions normales, cela correspond à des particules de
dimensions comprises entre quelques fractions de nanomètre et 100 µm.
Parution : janvier 2003 - Dernière validation : février 2015

En toute rigueur, l’aérosol est un système diphasique formé par des particules
et le gaz porteur. Mais dans la pratique, et nous le ferons dans cet article,
« aérosol » est souvent synonyme de « particule ».
La science des aérosols, initiée comme telle dans le courant des années 1950,
s’est considérablement développée durant ces vingt dernières années. En effet,
considérés parmi les polluants atmosphériques majeurs, impliqués dans le
réchauffement global de la planète et l’éventuel trou d’ozone, les aérosols inter-
viennent dans de nombreux phénomènes naturels.
Nous citerons le bilan radiatif de l’atmosphère, leur influence sur la visibilité,
la formation des nuages et des précipitations, les échanges océan-atmosphère.
Ils sont également les vecteurs de la radioactivité atmosphérique.
De la sorte, afin de pouvoir mieux appréhender les phénomènes atmosphéri-
ques et leur dynamique, le modèle « gaz » initialement utilisé tend à céder la
place à un modèle «aérosol », même si ce dernier est plus compliqué.
On les retrouve également dans de nombreux domaines industriels, dans le
monde des salles à empoussièrement contrôlé (salles propres), dans la filtration,
l’épuration de l’air, la climatisation. On les rencontre davantage encore dans les

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AF3612

PHYSIQUE DES AÉROSOLS _______________________________________________________________________________________________________________

industries de pointe utilisatrices de technologies impliquant certaines de leurs


propriétés physiques et dont les produits fabriqués dépendent très fortement
des transferts de la contamination (aérospatial, électronique, circuits intégrés,
agroalimentaire, pharmacie, nanotechnologies liées à la métallurgie).
On les prend en compte également dans la sûreté des réacteurs nucléaires
(expérience Phébus de l’IRSN Cadarache, par exemple).
Leurs effets sur la santé font l’objet de nombreuses investigations et mesures
dans le cas de l’hygiène industrielle. N’oublions pas non plus les 15 000 morts
par an et les 500 000 cas d’infections diverses dans les hôpitaux français dont les
aérosols, mal maîtrisés, sont en partie responsables.
En fait, la science des aérosols est maintenant devenue une « grande science »
alimentée par d’importants investissements financiers entraînant, bien entendu,
des retombées économiques conséquentes [1]. Son domaine touche la physi-
que, la chimie et, de plus en plus, depuis quelques années, la biologie avec ce
que l’on appelle les bioaérosols.
Mais, quelles que soient leur origine et leur nature, on constate que le compor-
tement des aérosols dépend très fortement de leurs propriétés physiques. C’est
pourquoi nous allons en développer les principales caractéristiques. Nous
n’aborderons pas ici le problème, compliqué, de la forme et des dimensions des
aérosols. Le lecteur pourra se reporter à la référence [2].
On s’intéressera d’abord aux propriétés mécaniques des aérosols. Après quel-
ques rappels de la théorie cinétique des gaz, nous permettant d’introduire le
coefficient de diffusion et la mobilité dynamique, nous développerons les lois de
Stokes et Cunningham relatives aux déplacements des aérosols dans l’air.
Dans une deuxième partie (article [AF 3 613]), nous aborderons la coagulation
des aérosols pour étudier le domaine, particulièrement important pour leur métro-
logie, de leurs propriétés électriques. Les propriétés optiques conduisant aux
compteurs optiques de particules, servant de base aux compteurs de noyaux de
condensation, les CNC, leur adhérence et leur réentraînement seront également
traités ainsi que la condensation et l’évaporation des aérosols liquides.
(0)

Notations et symboles Notations et symboles


Symbole Désignation Symbole Désignation
B Mobilité dynamique t Temps
CD Coefficient de traînée u Vitesse du gaz porteur
Cu Coefficient du Cunningham v Volume de toutes les particules
D Coefficient de diffusion v0 Volume d’une particule
E Énergie vm Vitesse moyenne d’agitation thermique du gaz porteur
Re Nombre de Reynolds τ Temps de relaxation
Rg Rayon d’une goutte η Viscosité dynamique
T Température (K) λa Libre parcours moyen de l’aérosol
V Vitesse λm Libre parcours moyen
V ou Vm Vitesse moyenne ν Viscosité cinématique
Vp Vitesse la plus probable ou vitesse de la particule ρ Masse volumique
Vq Vitesse quadratique moyenne σ Diamètre d’une molécule
dp Diamètre d’une particule ϕ Flux de particules
k Conductivité thermique Indices
kB Constante de Boltzmann A, B Composé A, composé B
m Masse d’une molécule (ou d’une particule) p Particule
n Nombre de particules (ou de molécules) g Gaz
p Pression m Moyenne
rp Rayon d’une particule 0 Initial
S Distance d’arrêt ᐉ Limite
t Température (°C)

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______________________________________________________________________________________________________________ PHYSIQUE DES AÉROSOLS

1. Quelques rappels de Si, maintenant, dn désigne le nombre, par unité de volume, de


molécules dont le module des vitesses est compris entre V et V + dV :
théorie cinétique des gaz 3⁄  mV 2
n 2m
d n = -----------  ----------
2 2
V exp  – -------------- d V (6)
2 π  k B T  2 k B T
Les particules d’aérosols sont en suspension dans un gaz, et cer-
taines sont de très faibles dimensions, de sorte que, par suite du
Cette relation correspond à la distribution maxwellienne des
choc des molécules sur les particules d’aérosols, elles sont, tout
vitesses.
comme ces dernières, soumises au mouvement brownien. Sous
certaines conditions, on peut donc leur appliquer les lois de la théo- ■ En théorie cinétique des gaz, on a l’habitude de considérer trois
rie cinétique des gaz. vitesses statistiques :
— la vitesse moyenne V :
1.1 Milieu ne comportant qu’une seule
8 kB T
sorte de molécules V = --------------
πm
(7)

On est conduit à admettre trois hypothèses : — la vitesse quadratique moyenne :


— les molécules sont toutes identiques, sphériques, et leur
volume propre v 0 est très faible par rapport au volume v de leur 3 kB T
ensemble ; Vq = -------------
- (8)
m
— leur répartition obéit aux lois du hasard et leur nombre est
constant dans un volume donné ; — la vitesse la plus probable V p qui correspond au maximum de
— les mouvements des molécules sont rectilignes et uniformes, la courbe dn/dV :
et leurs chocs sont élastiques.
2 kB T
Vp = -------------
- (9)
m
1.1.1 Distribution des vitesses.
Loi de Maxwell-Boltzmann On remarque que :

Soit un ensemble de molécules en équilibre thermique. Le nom- Vp < V < Vq


bre n d’entre elles possédant l’excès (ou le défaut) ∆ E d’énergie par
rapport à l’énergie moyenne d’agitation thermique k B T à la tempé- ■ Flux de particules
rature T (en kelvins) est : C’est le nombre ϕ de particules traversant l’unité de surface pen-
dant l’unité de temps. De dimensions L–2 T–2 on montre [3] que :
∆E
n = n 0 exp  – ---------- (1)
 k B T
V
ϕ = n ---- (10)
avec n0 nombre de molécules possédant l’énergie E 0 , 4
kB constante de Boltzmann (= 1,380 662 × 10–23 J/K).
Les molécules d’un gaz ont des vitesses réparties uniformément 1.1.2 Libre parcours moyen
dans tous les sens, dont les grandeurs sont elles-mêmes distribuées
suivant une loi indépendante de l’élément choisi. Le nombre, par Au cours de chaque collision supposée, nous l’avons dit, élasti-
m3, de molécules dont les vitesses ont des composantes comprises que, les molécules rebondissent, leur vitesse change en grandeur et
entre u et u + du, v et v + dv, w et w + dw s’écrit : en direction. De ce fait, la trajectoire d’une molécule est une ligne
d n = nf ( u, v, w )du dv dw = nf ( u, v, w )d τ (2) brisée dont les différentes portions rectilignes ont des grandeurs et
des directions variables. Chacun de ces segments est le libre par-
avec n nombre total de molécules par m3. cours de la molécule entre deux chocs, leur moyenne arithmétique
La fonction f, appelée fonction de Maxwell, représente donc la étant le libre parcours moyen λ m . On calcule que :
probabilité pour qu’une molécule ait son point de vitesse (la vitesse 1
est assimilée à un point dans le repère u, v, w), dans l’élément de λ m = ----------------------
2
(11)
volume d τ = du dv dw : nπσ 2
avec σ diamètre de la molécule.
∫∫∫
+∞
f ( u, v, w )d u dv d w = 1 (3)
–∞ On remarque que λ m est inversement proportionnel à la concen-
tration moléculaire.
On calcule que, pour une molécule de masse m et de vitesse V
On admet qu’un choc se produit entre deux molécules lorsque
( V 2 = u 2 + v 2 + w 2 ) , à la température T (K) :
leurs centres sont à la distance σ.

m
3⁄  mV 2 Exemple : pour l’air, à la température de 20 °C, on utilise la relation :
f =  -----------------
2
exp  – -------------- (4)
 2π k B T  2 k B T 5 × 10
–3
λ m (cm) = --------------------- (12)
p (Torr)
Le nombre dn de molécules, par unité de volume, dont le vecteur
& & & avec p pression atmosphérique (en Torr).
vitesse est compris entre V et V + d V s’écrit : On rappelle que 1Torr = 133,3224 Pa.

m
3⁄  mV 2 Le libre parcours moyen intervient dans les phénomènes dans
d n = nf d V = n  -----------------
2
exp  – -------------- d V (5) lesquels une propriété moléculaire, répartie initialement de façon
 2π k B T  2 k B T hétérogène dans une masse de gaz, tend à s’uniformiser par suite

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Physique des aérosols


Partie 2
par André RENOUX
Professeur des universités
Laboratoire de physique des aérosols et de transfert des contaminations (Lpatc)
Université Paris-XII-Faculté des sciences et technologie
et Denis BOULAUD
Directeur de recherches à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
Professeur à l’Institut national des sciences et techniques nucléaires

1. Coagulation des aérosols ...................................................................... AF 3 613 – 2


1.1 Coagulation thermique ou par diffusion brownienne .............................. — 3
1.2 Influence de la coagulation sur la granulométrie d’un aérosol ............... — 5
1.3 Efficacité de collision................................................................................... — 6
1.4 Cas des forces autres que celles dues à l’agitation thermique
ou à la gravitation........................................................................................ — 7
2. Propriétés électriques des aérosols ................................................... — 7
2.1 Mobilité électrique....................................................................................... — 7
2.2 Classification des ions. Ions atmosphériques ........................................... — 8
2.3 Expression de la mobilité électrique d’un ion........................................... — 9
2.4 Recombinaison des petits ions................................................................... — 10
2.5 Particules chargées...................................................................................... — 10
3. Propriétés optiques des aérosols ........................................................ — 15
3.1 Quelques définitions ................................................................................... — 15
3.2 Absorption de la lumière par les aérosols................................................. — 16
3.3 Diffusion de la lumière par les aérosols .................................................... — 16
4. Adhérence des aérosols sur une paroi............................................... — 18
4.1 Forces de Van der Waals ............................................................................. — 18
4.2 Forces électriques........................................................................................ — 18
4.3 Forces de capillarité..................................................................................... — 19
5. Réentraînement des particules fixées sur une paroi ..................... — 20
5.1 Force de portance ........................................................................................ — 20
5.2 Force de traînée ........................................................................................... — 20
6. Condensation/évaporation des aérosols liquides ........................... — 21
6.1 Quelques définitions ................................................................................... — 21
Parution : avril 2003 - Dernière validation : février 2015

6.2 Effet Kelvin ................................................................................................... — 22


6.3 Effet des particules étrangères ................................................................... — 23
6.4 Grossissement des gouttelettes ................................................................. — 24
— 26
Références bibliographiques .........................................................................

ans cette seconde partie, nous traitons d’abord de la coagulation des aéro-
D sols qui, lorsque leur nombre est suffisant, agit sur leur concentration et leur
granulométrie. Puis nous étudions leurs propriétés électriques, mises en appli-
cation dans les sélecteurs électrostatiques permettant d’obtenir leur granulomé-
trie. Nous abordons ensuite leurs propriétés optiques qui, pour les particules de
dimensions supérieures à 0,1 µm, permettent, également (compteurs optiques
de particules), d’accéder à leur répartition dimensionnelle. L’adhérence et le
réentraînement des particules font l’objet d’une étude particulière. C’est, en
effet, un domaine qui voit se développer un certain nombre de recherches

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PHYSIQUE DES AÉROSOLS _______________________________________________________________________________________________________________

appliquées (usines de retraitement des combustibles nucléaires, bioaérosols


dans les habitations, les environnements industriels et hospitaliers, nettoyage
des gaines de ventilation). Nous terminons enfin cet aperçu des propriétés phy-
siques des aérosols par l’étude de la condensation et de l’évaporation des aéro-
sols liquides, dont les résultats sont mis en application dans les compteurs de
noyaux de condensation qui permettent de détecter jusqu’aux nanoparticules.

Le lecteur se reportera à l’article [AF 3 612] : Physique des aérosols. Partie 1 pour l’étude des
propriétés mécaniques des aérosols.
(0)

Notations et symboles Notations et symboles


Symbole Désignation Symbole Désignation
B Mobilité dynamique s Taux de saturation
Cu Facteur de correction de Cunningham v Volume
D Coefficient de diffusion vm Volume d’une mole
I Intensité lumineuse α Paramètre de taille
J Taux de nucléation δ Épaisseur de la couche limite
K Coefficient de coagulation ε Efficacité de coagulation (ou de collision)
Kn Nombre de Knudsen ε Constante diélectrique
M ou m Masse (des particules, des gouttes, des ions, etc.) η Viscosité dynamique
NA Nombre d’Avogadro λi Libre parcours moyen des ions
P Pression λp Libre parcours moyen des particules
Re Nombre de Reynolds λg Libre parcours moyen des molécules du gaz porteur
RGP Constante molaire des gaz ρ Masse volumique
T Température thermodynamique (K) γ Viscosité cinématique
V Vitesse χ Longueur de Debye
Vm Vitesse moyenne d’agitation
Z Mobilité électrique d’un ion Liste des indices
dp Diamètre d’une particule g Gaz ou goutte
d* Diamètre critique i Ion
e Charge élémentaire i, j Nombres
kB Constante de Boltzmann m Moyen
n Concentration (des particules, des ions, des molécules, etc.) p Particule
p Nombre de charges élémentaires (appellé aussi ai et aj) s Sédimentation
rp Rayon d’une particule v Vapeur

1. Coagulation des aérosols les petites particules suivent les fluctuations aléatoires de vitesses
dans le fluide : deux aérosols se trouvant dans deux tourbillons voi-
sins peuvent alors entrer en collision. Le second mécanisme est la
coagulation turbulante inertielle : les particules ayant une densité dif-
férente de celle du fluide, deux aérosols de tailles différentes auront
La coagulation des aérosols est le processus d’adhésion ou de donc des « temps de réponse » différents, ce qui permet la collision.
fusion d’une particule d’aérosol avec une autre.

Mais il faut toujours avoir à l’esprit qu’une très grande proxi-


mité ou un choc entre particules n’entraîne pas nécessairement
Quand cette approche, conduisant au contact, s’effectue unique-
la coagulation des aérosols concernés. Un coefficient appelé
ment grâce au mouvement brownien (diffusion), on dit qu’il y a coa-
efficacité de collision (ou efficacité de coagulation) rend compte
gulation thermique ou par diffusion brownienne. En fait, ce
de ce fait.
phénomène n’apparaît, nous le verrons, que si la concentration des
aérosols dans le milieu considéré est suffisante.
En régime turbulent, les fluctuations de vitesse au sein du fluide Des champs extérieurs peuvent aussi exercer une influence sur la
peuvent influer sur le mouvement des particules, conduisant à deux formation d’agglomérats : champs électriques, champs acousti-
mécanismes. Le premier est la coagulation par diffusion turbulente : ques, etc. On dit alors qu’il y a coagulation cinématique.

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En physique des aérosols, la coagulation est d’une importance


capitale car, en fait, elle régit le comportement, l’évolution et la dis- n (r )
parition d’un nuage particulaire.
n∞
Exemple : dans le cas de l’aérosol atmosphérique, le mode
« accumulation » est constitué, pour une large part, par l’aérosol prove-
nant de la coagulation des particules ultrafines issues du mode 2rp
« nucléation ».
rp
r
1.1 Coagulation thermique
ou par diffusion brownienne
Particule fixe Particule mobile
Les premières expériences sur la coagulation thermique ont été
Figure 1 – Variation du nombre de particules n en fonction
réalisées par Tolman et collaborateurs en 1919. La première théorie
de la distance r
avait été ébauchée par Smoluchowski dès 1911, et ce n’est qu’en
1932 qu’elle fut améliorée par Whytlaw-Gray et Paterson.
Là encore, nous serons amené à considérer différentes théories ■ Cas où Kn ≈ 1
suivant les valeurs du nombre de Knudsen : Dans ce cas, on doit multiplier K1 par Cu, le facteur de correction
de Cunningham (cf. [AF 3 612], § 2.3) :
λ
Kn = -----g- K 2 = K 1 Cu
rp
Donc :
4 kB T
K 2 = ------------- Cu (3)
1.1.1 Cas d’un aérosol monodispersé 3η
K2 augmente lorsque le rayon de l’aérosol diminue.
■ Expression du coefficient de coagulation dans le domaine de
Stokes (Kn < 1) ■ Cas où Kn > 1. Méthode de la sphère limite
La théorie précédente repose sur l’hypothèse que la concentration
Par définition, on appelle coefficient de coagulation K le nom- en particules est nulle à la surface de la particule, supposée fixe, qui
bre de chocs qui se produisent, par centimètre cube et par sera heurtée par celles qui sont mobiles, et qu’elle augmente très rapi-
seconde, pour une concentration de une particule par centimètre dement dès qu’on s’en éloigne (figure 1). Cela sous-entend donc qu’il
cube. existe un gradient de concentration particulaire très élevé au voisinage
des particules mobiles. Seulement, ce gradient est d’un calcul difficile.
En physique des aérosols, K (L3T–1) s’exprime habituellement De la sorte, pour simplifier, on admet que tout se passe comme si les
en cm3.s–1. particules sont assujetties aux lois du mouvement brownien jusqu’à
une distance de l’aérosol sur lequel on étudie la fixation, distance de
Puisque r p > λ g le milieu gazeux se comporte, vis-à-vis des l’ordre du libre parcours moyen et que, à partir de là et sur cette épais-
aérosols, comme un fluide continu. Supposons, en plus, que le seur, la propagation s’effectue comme dans le vide.
nombre de Reynolds Rep est inférieur à 0,1. On peut alors considé- Pour fixer les idées, supposons notre particule fixe. La fixation
rer que l’écoulement du fluide autour de la particule est laminaire. d’un autre aérosol identique sur elle s’effectue donc en deux temps :
d’abord une période d’approche par diffusion, obéissant aux lois du
Dans ce cas, on calcule que le coefficient de coagulation s’écrit [1] :
mouvement brownien, puis, lorsque la particule devant être fixée
K = 8π Dr p (1) arrive sur la sphère de rayon L , une période de fixation, la particule
parcourant une trajectoire rectiligne de longueur δ = L – 2 r p
avec D coefficient de diffusion des particules coagulantes de (comme si elle était dans le vide).
rayon rp. C’est la théorie de la sphère limite, très utilisée en physique des
aérosols.
Mais D = k B TB et, dans le domaine de Stokes, la mobilité dyna-
mique s’écrit (cf. article [AF 3 612], § 2.3) : On calcule que [1][2] :

1 1 2 3⁄2
B = ---------------- 3 2
L = --------------- ( 2 r p + λ p ) – ( 4 r p + λ p )
6π η r p 6 λp rp
(4)

avec η viscosité dynamique du gaz porteur. avec λp libre parcours moyen apparent des particules défini, par
De ce fait, le coefficient de coagulation peut s’écrire sous la forme : analogie avec le libre parcours moyen des molécules
gazeuses, par :
4 kB T 8D
K 1 = ------------- (2) λ p = --------------- (5)
3η π V mp

Il s’agit là d’un résultat important qui montre que, pour les gros- V mp vitesse moyenne d’agitation thermique de la particule,
ses particules (rp > 1 µm), le coefficient de coagulation K est indé- aussitôt après qu’elle vient de subir un choc, soit :
pendant des dimensions des particules.
2 kB T
V mp = 2 ------------- (6)
π mp
Il est, pour l’air à la température ordinaire, sensiblement égal
à 3,0 × 10–10 cm3.s–1. avec mp la masse de la particule.

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PHYSIQUE DES AÉROSOLS _______________________________________________________________________________________________________________

De la sorte, l’épaisseur de la couche limite est, en tenant compte alors :


du mouvement relatif des aérosols :
2 kB T Cu ( r p1 ) Cu ( r p2 )
K 12 = ------------- ( r p1 + r p2 ) ---------------------
- + ---------------------- (13)
δ = 2 ( L – 2 rp ) (7) 3η r p1 r p2

Enfin, on calcule que, dans le cas d’aérosols très fins (rp < 10–2 µm) ■ Domaine intermédiaire (λg ≈ rpi)
[1][2][3], le coefficient de coagulation peut s’exprimer par : La relation (8) K 3 = 8π Dr p β prend ici la forme :
K 3 = 8π Dr p β (8) K 12 = 8π ( D 1 + D 2 ) ( r p1 + r p2 ) β

avec : avec :
1
1 β = --------------------------------------- (14)
β = ------------------------------------------------- (9) r 4D
2 rp 4D ------------ + -------------------
------------------ + ------------------------
2 rp + δ r V δ r Vm 2
p mp 2
r + ---
2
qu’on peut également, en faisant apparaître λ p le libre parcours rp 1 + rp 2 D1 + D2
r = ---------------------
- D = -------------------
- 
moyen apparent des aérosols, mettre sous la forme : 
2 2
 (15)
1 2 2 2 2 
β = ----------------------------------------- (10) δ = δ1 + δ2 et Vm = V mp1 + V mp 2 
2 rp π λp
------------------ + --------------- -
2 rp + δ 2 r 2 ■ Domaine moléculaire (rpi < 10–2 µm)
p

r
β décroît avec r p . On peut, dans ce cas, négliger le terme ------------ dans l’expression de
δ
Le tableau 1 donne les valeurs du coefficient de coagulation K r + ---
2
dans le cas d’aérosols monodispersés de rayon r p . Suivant les
dimensions considérées, on utilise les coefficients K1, K2 ou K3. β, de sorte que K12 se réduit à :

2 2 2
K 12 = π ( r p1 + r p2 ) V mp1 + V mp2 (16)
On constate que K passe par un maximum vers rp = 10–2 µm,
puis devient constant et égal, sensiblement, à K = 3 × 10–10 cm3.s–1, Si ρ est la masse volumique des aérosols de rayon r p i , leur
pour r p > 1 µm. vitesse moyenne d’agitation thermique s’écrit :

1 6 kB T
V mp i = --- -------------
- (17)
π ρr 3
1.1.2 Cas d’un aérosol bidispersé pi
et :
On suppose maintenant que, au début de la coagulation, on se 2 6 kB T  1 1
trouve en présence de deux sortes de particules de rayon r p1 et r p2 , K 12 = ( r p1 + r p2 ) -  ------- + -------
------------- (18)
ρ r 3 r 3 
de coefficients de diffusion D1 et D2, de vitesses moyennes d’agita- p1 p2
tion thermique V mp1 et V mp2 . On appelle K12 le coefficient de coa-
gulation des particules de rayon r p1 avec celles de rayon r p2 ; K12 Le tableau 2, d’après [1][4], donne les valeurs de K12 pour diffé-
est donc le nombre total de collisions, par centimètre cube et par rents rayons r p1 et r p2 .
seconde, entre aérosols de rayon r p1 et de rayon r p2 , pour une On constate tout d’abord que les valeurs de K12 sont beaucoup
concentration de 1 cm–3 pour chaque sorte. plus fortes que celles des coefficients de coagulation correspondant
à un aérosol monodispersé. De plus, ce tableau nous permet de tirer
■ Domaine de Stokes (rp1 et rp2 >> λg) un certain nombre de conclusions importantes sur le plan pratique.
On a alors :
Le coefficient de coagulation K12 croît très rapidement lors-
K 12 = 8π ( r p1 + r p2 ) ( D 1 + D 2 ) (11) que le rapport r p1 ⁄ r p2 ou r p2 ⁄ r p1 augmente. De sorte que, dans
le cas d’un agglomérat résultant de la coagulation d’une petite
Et, si chaque coefficient de diffusion D est de la forme : particule avec une grosse, la dimension de celui-ci ne doit pas
différer sensiblement de celle de la plus grosse.
kB T Ainsi, dans un aérosol polydispersé, les petites particules sont
D i = ----------------- Cu ( r p i ) (12)
6π η r p i très rapidement collectées par les plus grosses.

avec Cu ( r p i ) coefficient de correction de Cunningham pour r p1


De ce fait, dans un mélange d’aérosols initialement hétérogène,
ou pour r p2 ,
on ne trouve pratiquement pas de particules très différentes de la
η viscosité dynamique du gaz porteur dont les moyenne, les plus petites, même si elles étaient initialement présen-
molécules ont le libre parcours moyen λ g , tes, étant rapidement fixées par les plus grosses. (0)

Tableau 1 – Valeurs du coefficient de coagulation K dans le cas d’un aérosol monodispersé de rayon rp
rp ....................................................... (µm) 10–3 2 × 10–3 5 × 10–3 10–2 2 × 10–2 5 × 10–2 0,1 1 2
K ...................................... (10–10 cm–3.s–1) 4,5 6 9 12 11 7,2 5,2 3,1 3

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(0)

Tableau 2 – Valeurs de K12 (en 10–10 cm3.s–1) en fonction de rp1 et rp2

rp2 (µm)
rp1 (µm)
10–3 2× 10–3 5× 10–3 10–2 2 × 10–2 5 × 10–2 1
10–3 4,5
2 × 10–3 15 6
5× 10–3 53 26 9
10–2 1,7 × 102 62 26 12
2 × 10–2 5,7 × 102 2,1 × 102 59 27 11
5 × 10–2 2,7 × 103 8,8 × 102 2 × 102 67 26 7,2
1 1,54 × 106 6,4 × 103 1,7 × 103 90 3,1

Si, au temps t = 0 , la concentration particulaire est n = n 0 , la soit


concentration totale de particules est réduite de moitié au bout du
temps : n0
n = ---------------------
- (22)
1 + Kn 0 t
–1
t 1 ⁄ 2 = ( 8π Dr p n 0 ) (19)
C’est à partir de relations de ce type qu’on peut déterminer expé-
rimentalement K.
Ainsi, pour des aérosols de rayon initial r p = 1 µm à une concen-
tration initiale n 0 = 10 3 cm–3, le temps au bout duquel la concen- Si on tient compte des pertes sur les parois, il faut écrire :
tration diminue de moitié est de l’ordre de 106 s mais, pour
dn 2
n 0 = 10 7 cm–3, ce temps n’est que de quelques centaines de ------- = – Kn – λ s n (23)
dt
secondes, et tombe à 3 × 10–2 s pour n 0 = 10 11 cm–3. Donc, dans un
aérosol très concentré, toutes les particules ou presque sont consti- avec λs constante de pertes.
tuées par des agglomérats et, par cm3, leur nombre après quelques
minutes devient indépendant de la concentration initiale. Si on suppose que K et λs demeurent constants dans le temps et
si n = n 0 au temps t = 0 , l’intégration conduit à :
Exemple : le temps nécessaire pour obtenir 2 × 106 p.cm–3 est pra- 1 1 K K
--- =  ------ + ----- exp ( λ s t ) – ----- (24)
tiquement le même si n0 = 1012 ou 5 × 108 p.cm–3. n  n 0 λ s λs

Nota : on emploiera l’abréviation p.cm–3 pour particules par centimètre cube. Bien entendu, du fait de la coagulation, au fur et à mesure que la
concentration n diminue au cours du temps, le diamètre des particu-
les augmente. Si on suppose qu’il n’y a pas de pertes, on peut
considérer que la masse d’un aérosol confiné reste constante, de
1.2 Influence de la coagulation même que la masse m par unité de volume. Ainsi, pour des particu-
sur la granulométrie d’un aérosol les liquides (sphères de masse volumique ρp, de diamètre initial d0
et de diamètre d(t) à l’instant t) :

π 3 π 3
Il ne faut donc jamais oublier que, pour qu’il y ait coagulation, m = n 0 --- ρ p d 0 = n ( t ) --- ρ p [ d ( t ) ]
6 6
il faut que la concentration particulaire soit suffisante, supé-
rieure à quelques 105 p.cm–3 en général. soit :

n0 1⁄3
d(t)
---------- = ---------- (25)
1.2.1 Aérosol initialement monodispersé d0 n(t)

avec n(t) donné par la relation (22).


Si la concentration particulaire n varie uniquement à la suite de
rencontres entre les aérosols, on peut admettre que le nombre dn Pour un aérosol monodispersé, le diamètre d augmente avec le
de ces derniers qui disparaissent, par coagulation, pendant le temps temps suivant la relation :
dt, dans l’unité de volume, est proportionnel à n2, ce qu’on écrit 1⁄3
sous la forme : d = d 0 ( 1 + n 0 Kt ) (26)

2 Cette relation peut, du reste, s’appliquer à des particules solides à


d n = – Kn d t (20)
structure ouverte. Pour fixer les idées, le tableau 3 donne, pour une
valeur de K = 5 × 10 –10 cm3.s–1, le temps nécessaire, d’une part
avec K coefficient de coagulation des particules. pour que la taille des aérosols double, d’autre part pour que la
En intégrant, si n = n 0 au temps t = 0 , K étant supposé constant, concentration diminue de moitié.
la concentration n au temps t est donnée par : Ce tableau montre que si les observations ne durent qu’une
quinzaine de minutes, on peut négliger la coagulation pour des
concentrations inférieures à 106 p.cm3. Par contre, si on opère pen-
1 1
--- – ------ = Kt (21) dant plusieurs jours, la coagulation ne peut être négligée que si
n n0 n 0 < 10 3 p.cm3. (0)

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PHYSIQUE DES AÉROSOLS _______________________________________________________________________________________________________________

Des travaux expérimentaux effectués par Barbe, en 1987, mon-


Tableau 3 – Temps au bout duquel le diamètre des aérosols trent que, pour un aérosol bimodal dont les couples de diamètres
a doublé et leur concentration diminué de moitié varient de (1 µm ; 2,3 µm) à (1 µm ; 3,4 µm), l’efficacité de coagula-
( K = 5 × 10 –10 cm3.s–1) tion brownienne ε B peut, effectivement, être prise égale à l’unité.
Par contre, l’efficacité de coagulation gravitationnelle ε G varie entre
Temps au bout 0,3 et 0,4, ce qui est très supérieur aux valeurs prédites par les théo-
Concentration Temps au bout
duquel la ries de Fuchs et de Pruppacher et Klett.
initiale n 0 duquel le diamètre
concentration Pour des particules coagulantes de rayons r p1 et r p2 , Fuchs [3]
(p.cm–3) a doublé propose, pour l’efficacité de coagulation gravitationnelle :
a diminué de moitié
1014 140 µs 20 µs 3 r p2 2
ε GF = ---  ---------------------- (30)
1012 1,4 × 10–2 s 2× 10–3 s 2 r p1 + r p2
1010 1,4 s 0,2 s tandis que Pruppacher et Klett aboutissent à :
108 140 s 20 s 2
1 r p2
106 4h 33 min ε GPK = ---  ---------------------- (31)
2 r p1 + r p2
104 16 jours 55 h
La relation (31) est valable pour r p2 ⁄ r p1 ⭐ 0,5 et r p i ⭐ 10 µm.
102 4 ans 231 jours
Exemple : ainsi, pour une particule de rayon r p1 = 1,5 µm et une
particule de rayon r p2 = 0,5 µm ( r p2 ⁄ r p1 = 0,33 ) , ε = 0,031.
1.2.2 Cas d’un aérosol polydispersé
Équation de la coagulation Considérons une particule sphérique de rayon r p1 sédimentant
au travers d’un nuage monodispersé de particules de rayon r p2 .
Soit Kij le coefficient de coagulation des particules de rayon r p i Si V 1s et V 2s sont les vitesses de sédimentation des particules de
avec celles de rayon r p j et np la concentration des particules p-uples rayon r p1 et r p2 , on définit le coefficient de coagulation gravitation-
obtenues par la coagulation de p particules unitaires à l’instant t. nel (appelé aussi noyau de collision) :
Le nombre de particules p-uples apparaissant, par cm3 et par 2
K G ( r p1 r p2 ) = V 1s – V 2s π ( r p1 + r p2 ) (cm3.s–1 ou en m3.s–1) (32)
seconde, par coagulation des particules n-uples (concentration nn)
et k-uples (concentration nk), telles que p = n + k , est : En faisant intervenir l’efficacité de collision ε , KG doit en fait
n = p–1 s’écrire :
1
---
2 ∑ K nk n n n k (27)
K G ( r p1 r p2 ) = ε V 1s – V 2s π ( r p1 + r p2 )
2
(33)
n=1

Le coefficient 1/2 évite de compter deux fois un choc entre les À partir de la relation (33), on peut établir les variations du coeffi-
mêmes particules (l’interaction i + j est la même que l’interaction cient de coagulation gravitationnel avec le rayon des particules. La
j + i ). figure 2 montre ces variations pour rp1 = 1,5 µm, en prenant
ε = ε G F , ρ 1 = 0,91 g.cm–3 et ρ 2 = 0,98 g.cm–3. On constate que KG
Le nombre de particules p-uples disparaissant par cm3 et par
passe par un maximum pour r p2 = 1,00 µm. Pour les valeurs de KG
seconde par coagulation des particules p-uples et des autres aéro-
inférieures à KGmax, il existe donc deux valeurs de r p2 donnant la
sols est :
même valeur de KG.

np ∑ Knp nn (28)
n=1
3 –1
KG (cm.s
Le taux de formation des particules p-uples s’écrit donc : )
10 –8
n = p–1 ∞
dn 1
---------p = ---
dt 2 ∑ K nk n n n k – n p ∑ Knp nn (29) rp1 = 1,5 µm
n=1 n=1

C’est l’équation de la coagulation, dont la résolution permet d’étu-


dier les variations du spectre granulométrique de l’aérosol au cours
de sa coagulation [4].

10–9
1.3 Efficacité de collision

Il s’agit d’une notion fondamentale, puisque tout le processus


de coagulation en dépend : en effet, il s’agit de déterminer la
probabilité qu’a un choc entre deux particules de conduire à la
coagulation.
rp2max
10–10
On a l’habitude de prendre l’efficacité de collision brownienne 0,5 1 1,5 rp2 (µm)
égale à l’unité. On admet que deux particules ayant subi un choc
brownien demeurent suffisamment voisines pour que la probabilité
qu’elles ont d’entrer une seconde fois en collision soit très grande Figure 2 – Variation du coefficient de coagulation gravitationnel
(phénomène des collisions multiples). en fonction du rayon des particules [5]

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Atomisation, pulvérisation
et aérosols
Instrumentation

par Luis LE MOYNE


Docteur HDR Ingénieur
Maître de conférences

1. Atomiseurs, pulvérisateurs et autres dispositifs ............................ AF 3 620 - 2


1.1 Qualification des atomiseurs ...................................................................... — 2
1.1.1 Granulométrie ..................................................................................... — 2
1.1.2 Pénétration .......................................................................................... — 2
1.1.3 Angle d’ouverture ............................................................................... — 3
1.2 Atomisation de liquides normaux .............................................................. — 3
1.2.1 Atomiseurs à pression (injecteurs) .................................................... — 3
1.2.2 Atomiseurs à swirl (injecteurs à swirl) .............................................. — 3
1.2.3 Atomiseurs à deux fluides.................................................................. — 3
1.2.4 Atomiseurs rotatifs ............................................................................. — 4
1.2.5 Atomiseurs spécifiques ...................................................................... — 4
1.3 Atomisation de solides en fusion ............................................................... — 5
1.3.1 Atomiseurs à fluide ............................................................................. — 5
1.3.2 Atomiseurs à électrode tournante ..................................................... — 5
2. Aspects fondamentaux ........................................................................... — 6
2.1 Mécanismes de pulvérisation ..................................................................... — 6
2.2 Régimes d’atomisation ................................................................................ — 6
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. AF 3 620

es processus de formation de gouttes et particules sont omniprésents dans


L l’industrie et dans la nature. Mais peu de phénomènes aussi courants ont
reçu une appellation si erronée. En effet, bien que souvent on entende parler
d’atomisation, on est loin de réduire à l’état d’atomes et les échelles obtenues
usuellement restent largement supérieures aux échelles atomiques et molécu-
laires. Le terme pulvérisation est à peine plus correct car la réduction à l’état
de poussière ne s’appliquerait qu’à la création de particules solides. Restent les
termes plus vagues comme brumisation, création d’aérosols (particule en sus-
pension), de sprays... En toute rigueur, il faudrait parler de phases (au sens
physique relatif à un état de misère) dispersées (dans le sens où ses consti-
tuants n’occupent pas un volume connexe), liquides pour les gouttes, solides
pour les particules.
Comme on l’a dit, elles sont partout : dans les chambres de combustion des
voitures, des avions, des fusées, des chaudières, les traitements de surface
(peintures, revêtements, nettoyage...), les traitements thermiques, les inhala-
teurs en médecine, la parfumerie, l’épandage agricole, les imprimantes et
photocopieurs, la fabrication de composants électroniques, les extincteurs
d’incendie, mais aussi dans le brouillard, la pluie, les nuages, les éruptions vol-
caniques, les geysers... De façon générale, l’étude de la formation de gouttes et
particules est commune aux processus d’émulsion, de séparation de liquides,
de vaporisation et condensation, qu’on veuille accélérer ces processus par la
Parution : janvier 2010

formation de gouttes ou au contraire les ralentir en évitant l’apparition de


gouttes.

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63
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ATOMISATION, PULVÉRISATION ET AÉROSOLS ___________________________________________________________________________________________

Cette atomisation, puisque c’est le terme usuel, peut s’obtenir par de nom-
breux procédés : interaction aérodynamique, mécanique, électrostatique, mais
aussi par cavitation, ou même par ultrasons. Les domaines d’application et les
moyens d’obtention sont si nombreux qu’il faut restreindre le cadre de l’article
aux phénomènes dont le contrôle et les lois de comportement sont les plus dif-
ficiles à maîtriser et qui représentent aux yeux de l’ingénieur l’information la
plus précieuse. Ainsi, deux cas seront traités uniquement par la suite : la créa-
tion de gouttes à partir d’un liquide et la création de particules solides à partir
d’un corps en fusion. Sont exclus donc en particulier les processus de concas-
sage produisant des poudres solides à partir de corps solides.
Pourquoi atomiser ? En premier lieu, dans les applications des phases dis-
persées de liquides ou d’alliages en fusion, c’est la très grande surface
d’échange offerte par les gouttes qui est utile pour obtenir des taux de réac-
tion, de refroidissement, d’évaporation ou de solidification extrêmement
élevés à un coût énergétique faible. Aussi, c’est la taille (et la morphologie) des
gouttes créées qui est capitale. Cette taille peut varier de la centaine de nano-
mètres à quelques millimètres selon les applications. Un choix correct du type
d’atomiseur et du processus d’atomisation mis en jeu permet d’obtenir prati-
quement n’importe quelle taille moyenne, distribution de tailles et parfois
forme souhaitées. Ensuite, lors d’interactions des phases dispersées avec des
parois solides de nombreuses réalisations sont possibles, dont certaines des-
tructrices comme l’impact de glace sur les rotors d’hélices ou d’ailes d’avions,
de gouttes d’eau sur les aubes de turbine à vapeur, mais d’autres très utiles
comme le refroidissement par aspersion ou l’application de peintures.
Enfin, l’atomisation de matières en fusion permet la fabrication de poudres et
d’aérosols solides avec des taux de solidification importants résultant dans le
captage de certaines formes allotropiques stables à haute température, mais
aussi l’homogénéité dans le cas d’alliages, résultant dans des propriétés méca-
niques meilleures pour les poudres obtenues par atomisation que par d’autres
moyens conventionnels, à un prix souvent avantageux.
Les développements récents de la technologie des atomiseurs, des théories
des mécanismes de formation de gouttes, mais aussi du calcul parallèle et des
méthodes optiques non intrusives de mesure, ont profondément modifié la
compréhension et la portée du processus d’atomisation.

1. Atomiseurs, pulvérisateurs du fait que ces propriétés varient en général avec le temps et la
zone, voire l’échelle, d’observation de la phase dispersée.
et autres dispositifs
1.1.1 Granulométrie
Afin de comprendre et prévoir les propriétés des phases disper- Cette propriété mesure la taille des gouttes ou particules géné-
sées, il est indispensable de connaître les moyens technologiques rées lors de l’atomisation. Elle comprend le diamètre moyen ou
développés pour les générer. Un très bref aperçu de ces dispositifs toute longueur caractéristique moyenne (pour les particules non
accompagnés d’une description succincte de leur fonctionnement sphériques) ainsi que tous les moments statistiques (écart-type...)
est donné ici selon une classification reposant sur le paramètre de relatifs à cette longueur caractéristique. En général, on cherche à
contrôle principal pour chacun des dispositifs. D’autres classifica- obtenir des distributions de tailles de gouttes « fines », c'est-à-dire
tions sont évidemment possibles. d’un faible diamètre moyen mais aussi avec un écart-type le plus
faible possible.

1.1 Qualification des atomiseurs


1.1.2 Pénétration
Cette classification met en évidence une très grande diversité de
dispositifs d’atomisation. Elle s’explique par la difficulté d’obtenir Cette propriété mesure la distance maximale parcourue par les
quelles que soient les conditions génératrices, les propriétés des gouttes ou particules issues de l’atomisation depuis le dispositif
liquides et des gaz, ainsi que les conditions extérieures des phases atomiseur. Elle est fortement dépendante du temps et peut attein-
dispersées avec les caractéristiques voulues. Ces caractéristiques dre une valeur maximale à l’issue de plusieurs phénomènes :
peuvent se résumer dans la plupart des cas à trois qualités – la vaporisation ou la combustion totale des gouttes ;
globales : granulométrie, pénétration et angle d’ouverture. Il faut – le ralentissement par la force de traînée aérodynamique
parler de qualités et non pas de propriétés car il n’existe pas à jusqu’à la valeur de vitesse du gaz ambiant (nulle pour un gaz au
l’heure actuelle de dispositif ou de méthode de mesure étalon leur repos), la trajectoire des gouttes ne dépend alors que du transport
donnant une valeur objective, indépendante des conditions par le gaz « porteur » ;
d’essais quelle que soit la gamme de dispositifs observés et aussi – l’impact avec une paroi solide ou une surface liquide.

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1.1.3 Angle d’ouverture


Cette propriété mesure l’angle au sommet du point initial de sor-
tie de l’atomiseur du triangle rectangle formé par la ligne moyenne
de l’atomiseur, la droite issue du point initial de sortie de l’atomi-
seur et contenant la goutte la plus lointaine de la ligne moyenne Accès réservoir Vanne à pointeau
de l’atomiseur, et la normale à la ligne moyenne de l’atomiseur
passant par la goutte de pénétration maximale. Cet angle est parti-
Buse
culièrement dépendant du plan d’observation (sauf pour des jets
coniques), de la taille minimale détectable des gouttes, et du
temps. Cette vision simpliste suppose que le spray se présente Réservoir de carburant Levier pression
sous forme conique, souvent sa forme est plus complexe et diffé-
rents angles peuvent être définis. Spray

Figure 1 – Schéma d’un atomiseur à pression – Injecteur multi-trous


1.2 Atomisation de liquides normaux (doc. VegBurner)

Dans un premier temps, nous nous intéressons à l’atomisation


de substances qui sont liquides dans les conditions normales de
température et pression, mais aussi par extension aux substances Liquide Liquide Liquide
qui se présentent liquides à l’intérieur du dispositif d’atomisation
mais sont gazeuses dans les conditions régnant à l’extérieur du
dispositif d’atomisation. Dans ce dernier cas, les gouttes formées
ne peuvent demeurer liquides en équilibre et s’évaporent très vite
selon un mode appelé ébullition « flash ».

1.2.1 Atomiseurs à pression (injecteurs)


Il s’agit du dispositif le plus répandu et le plus simple (figure 1).
Il consiste à introduire, sous une forte pression, un liquide à tra-
vers un orifice de taille réduite. Le diamètre de cet orifice d’injec-
tion peut atteindre quelques dizaines de micromètres pour
certaines applications et quelques centaines de micromètres pour Fentes coniques Fentes axiales Fentes tangentielles
les injecteurs de moteurs Diesel par exemple. La taille des gouttes et hélicoïdales
créées dépend jusqu’à un certain point de la taille de l’orifice
d’injection et du niveau de pression d’injection. Afin que ne soient Figure 2 – Schéma d’atomiseurs à swirl – [5]
pas bouchés les orifices d’injection par des impuretés, on impose
des niveaux de filtration préalable d’au moins un ordre de gran-
deur inférieur au diamètre de l’orifice. Ces dispositifs restent néan- 1.2.2 Atomiseurs à swirl (injecteurs à swirl)
moins sujets à l’érosion des orifices lorsque les niveaux de
pression augmentent et au colmatage résultant du dépôt sur les Lorsque l’on souhaite distribuer les gouttes obtenues sur un
parois des orifices, en particulier lorsque les niveaux de tempéra- angle d’ouverture plus grand, il est nécessaire d’utiliser des atomi-
ture sont eux aussi élevés (chambres de combustion). Pour des rai- seurs à swirl (de l’anglais « tourner », figure 2). Dans ces dispositifs,
sons pratiques de perçage, les orifices ont en général une le liquide est animé d’un mouvement de rotation préalable à la sor-
géométrie cylindrique de section constante, mais il a été montré tie de l’atomiseur, d’axe confondu avec celui de l’orifice d’injection.
que les orifices convergents ou divergents avaient une influence Pour cela, il suffit en général d’alimenter de façon tangente, avec le
sur la taille des gouttes obtenues, en favorisant en particulier la liquide à atomiser, un convergent débouchant sur l’orifice d’injec-
cavitation du liquide. La rugosité de la paroi intérieure de l’orifice tion. Une vitesse angulaire élevée est recherchée donnant lieu à une
doit pouvoir jouer un rôle déterminant aussi mais la difficulté de expansion conique du liquide avec un évasement central donnant
réaliser et mesurer des rugosités à de si faibles dimensions n’a pas lieu à une tulipe liquide de laquelle sont émises les gouttes. Au centre,
permis de résultats concluants. Le rapport longueur/diamètre des il n’y a pratiquement que le gaz ambiant (cône creux). Des angles
orifices optimal pour la granulométrie la plus fine est de 4. Les d’ouverture de 30o à 180o peuvent être obtenus selon l’intensité
angles d’ouverture pouvant être obtenus avec ces atomiseurs sont relative du mouvement de rotation. Dans ce genre d’atomiseurs,
rarement supérieurs à 15o. Des variantes existent avec des géomé- l’interruption du débit de liquide n’est effective qu’après évacuation
tries d’orifice allongées (fentes) permettant d’obtenir des nappes du liquide contenu dans le convergent, ce qui est fait lors de l’arrêt
planes d’atomisation. Les phases dispersées obtenues sont en du fonctionnement sans la pression d’alimentation nécessaire à une
général concentrées sur la ligne (ou le plan) moyenne, on parle de rotation intense. Dans la plupart des cas, il se produit une vidange
cônes d’injection pleins. Les grandes gouttes contenant la majeure par goutte-à-goutte pouvant être très préjudiciable en termes de
partie de la masse sont distribuées sur la ligne moyenne (axe de sécurité, émissions de polluants et contrôle de process. De la même
l’injecteur). façon, les très faibles débits sont inexploitables car la vitesse de
rotation dépend du niveau de la pression d’alimentation et donc des
Du point de vue pratique, le débit de ces injecteurs ou atomi- faibles niveaux conduisent à une très mauvaise granulométrie.
seurs peut être efficacement interrompu par l’obstruction de l’ori-
fice d’injection et régulé par le niveau de la pression
d’alimentation. À noter néanmoins que le dédoublement du débit 1.2.3 Atomiseurs à deux fluides
est obtenu par un accroissement de la pression d’alimentation
1.2.3.1 Déformation du brouillard
d’un facteur quatre, aussi la plage de fonctionnement vis-à-vis du
débit de liquide atomisé est restreinte, vers les niveaux bas à Les injecteurs de base décrits dans les sections précédentes
cause d’une atomisation dégradée (grosses gouttes) et vers le haut fournissent en général un spray ou brouillard de gouttes de sec-
à cause des niveaux de pression atteints. tion circulaire. Il est possible de façonner le nuage de gouttes pour

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Atomisation, pulvérisation
et aérosols
Théorie et modèles

par Luis LE MOYNE


Docteur HDR Ingénieur
Maître de conférences

1. Formation de gouttes .............................................................................. AF 3 621 - 2


2. Théories de stabilité linéaires............................................................... — 4
3. Critères de rupture................................................................................... — 9
4. Effets de la turbulence ........................................................................... — 10
5. Modélisation eulérienne ......................................................................... — 10
6. Cascades de rupture – approche statistique .................................... — 11
7. Cavitation ................................................................................................... — 14
8. Effervescence ............................................................................................ — 16
9. Électrostatique .......................................................................................... — 17
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. AF 3 620

es processus de formation de gouttes et particules sont omniprésents dans


L l’industrie et dans la nature : les chambres de combustion des voitures, des
avions, des fusées, des chaudières, les traitements de surface (peintures, revê-
tements, nettoyage...), les traitements thermiques, les inhalateurs en
médecine, la parfumerie, l’épandage agricole, les imprimantes et photoco-
pieurs, la fabrication de composants électroniques, les extincteurs d’incendie,
Parution : janvier 2010 - Dernière validation : février 2015

mais aussi dans le brouillard, la pluie, les nuages, les éruptions volcaniques,
les geysers... De façon générale, l’étude de la formation de gouttes et parti-
cules est commune aux processus d’émulsion, de séparation de liquides, de
vaporisation et condensation, qu’on veuille accélérer ces processus par la for-
mation de gouttes ou au contraire les ralentir en évitant l’apparition de
gouttes.
Les processus et mécanismes physiques mis en jeu sont en général assez
simples sur le principe, mais le passage d’une phase continue liquide à une
phase dispersée se fait par la déformation puis la rupture de la surface. Cette
déformation apparaît subtilement, d’abord comme une perturbation superfi-
cielle imperceptible. Puis, grâce à l’amplification par le couplage de forces
appliquées au liquide, la perturbation grandit et atteint une amplitude telle que
les contraintes appliquées dépassent celles qui permettent la cohésion ; c’est la
rupture. Des phénomènes non-linéaires sont donc responsables du passage à
la phase dispersée et, par nature, leurs expressions présentent des difficultés
aux mathématiciens et aux physiciens voulant prévoir ou reproduire leurs
effets.

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ATOMISATION, PULVÉRISATION ET AÉROSOLS ___________________________________________________________________________________________

C’est un domaine où la théorie est encore relativement élémentaire dans le


sens où seuls quelques cas d’école d’atomisation (instabilité de Rayleigh)
bénéficient d’expressions permettant une quantification précise de la taille et
de la vitesse des gouttes produites. Dans la plupart des cas, seules les ten-
dances et les aspects qualitatifs peuvent être reproduits par la théorie. Nous
verrons dans cette section quelles sont les principales voies théoriques explo-
rées pour la représentation de l’atomisation de façon aussi exhaustive que
possible. Néanmoins, compte tenu du grand nombre de travaux menés sur le
sujet et de la complexité de certaines expressions algébriques, nous suggérons
au lecteur voulant approfondir le sujet de se référer à la bibliographie.

1. Formation de gouttes 72 µm

1.1 Ligaments
t – t0 = – 114 µs, – 63 µs, – 11 µs
L’étape intermédiaire entre la surface de liquide en déformation
et l’apparition des gouttes est la formation de ligaments, filaments
ou digitations à la surface du liquide. Les caractéristiques de ces
ligaments dépendent des conditions « externes » de l’écoulement a avant rupture
et des propriétés du liquide. L’étirement de ces ligaments conduit
à une épaisseur radiale telle que le volume de liquide contenu se
conserve, donc pouvant être relativement faible, jusqu’à ce que la 72 µm
rupture intervienne et les forces de tension superficielle remo-
dèlent le liquide sous forme de gouttes. Le rayon final de ces
gouttes peut être très supérieur à l’épaisseur moyenne des liga- t – t0 = 11 µs, 63 µs, 114 µs
ments, mais de l’ordre de grandeur de la racine cubique du
volume du filament. Une des raisons pour que les gouttes résul-
tant de la rupture des ligaments soient si grosses réside dans la
« cascade de coalescence » qui tend à regrouper les fragments b après rupture
issus de la rupture initiale du ligament. Tant qu’il y a une attache
du ligament à la masse liquide, l’instabilité capillaire est ralentie, Figure 1 – Rupture d’un ligament liquide (Eggers)
alors que le ligament est étiré par sa propre inertie, par des forces
aérodynamiques, des ondes capillaires et d’autres mécanismes.
Lorsque le liquide constituant le ligament se détache, l’échelle
de temps des phénomènes de rupture et de coalescence devient
inférieure. En effet, une analyse dimensionnelle simple permet de
former une échelle temporelle pour l’action de la tension superfi-
0
ρV
cielle τ σ = à partir du volume V du ligament. Si les forces
σ
agissant sur celui-ci sont plus rapides, le ligament s’étire. Lors de
2
ρh 3
la rupture, cette échelle temporelle devient τ σ = où h est
σ
l’épaisseur du ligament.
4
La dynamique des filaments a été étudiée notamment par
Villermaux et Marmottant dans [7]. Le système régissant le rayon
du ligament peut s’écrire :
6
∂r γ r ∂u
+ r+ 0 0 =0
∂t 2 2 ∂x
∂u σ  1 ∂r ∂3 r  3ν ∂  ∂2 r  8
+ γu = −  2 − − r 
∂t ρ  r0 ∂x ∂3x  r02 ∂x  ∂x 

Sa différentiation par rapport à t et x conduit à l’équation : 10

∂2 r ∂r 3 2 σ  2 ∂2 r ∂4 r   ∂3 r 1 ∂r 2 
+ 2γ + γ r−  −r0 −r4  − 3ν  2 + γ =0
∂2 t ∂t 4 2ρr03  ∂x 2 0 ∂x 4   ∂x ∂t 2 ∂x  12

pour la perturbation du rayon r du ligament le long de son abs-


cisse curviligne x avec une fonction taux d’étirement longitudinal –1 0 1 –1 0 1 –1 0 1 –1 0 1
γ. La dynamique du ligament détermine les modulations d’ampli-
tude maximales selon le taux d’étirement (figures 1 et 2). Elle Figure 2 – Rupture d’un ligament liquide pour différents débits
conditionne la façon dont le ligament se fractionne et en particulier de liquide (1 ; 5 ; 15 et 25 ml/min) – (Wilkes et al.)

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la disparité des fragments d’après la distribution des modulations La conservation de la masse donne :
d’amplitude. Il se forme alors des fragments liquides indépendants
qui peuvent se regrouper par agrégation. Cette vision aboutit à des ∂rv r + ∂zv z + v r / r = 0
distributions de type Gamma pour la taille finale des gouttes L’étude de similitude du problème fait apparaître trois groupes
issues du fractionnement des ligaments qui recoupent bien des adimensionnels :
mesures expérimentales. Ces distributions sont serrées pour des
gouttes issues de ligaments réguliers et élargies pour des fila- ρR U
– celui de Reynolds : Re = ;
ments tortueux. Cette dynamique des ligaments explique la forme µ
exponentielle des distributions de taille fréquemment observées
ρ gR 2
dans les sprays. – celui de Bond : G = ;
σ
µU
– celui du Nombre capillaire : Ca = .
1.2 Rupture σ
Ou alternativement :
On peut considérer que le goutte-à-goutte constitue la forme
d’atomisation la plus élémentaire. De façon schématique, un ρR U 2
cylindre liquide s’allonge sous l’effet de certaines forces (inertie, – celui de Weber : We = ;
σ
gravitation...), ce qui conduit à une modification de la courbure de µ
sa surface libre et à l’action de la tension de surface. – celui de Ohnesorge : Oh = Z = ;
ρR σ
Dans le cas le plus simple, un liquide adhérant sous une surface
plane forme des gouttes sous l’effet de la pesanteur. La tension de ρ gR 2
– celui de Bond : G = .
surface assure la cohésion du liquide et déforme la surface libre σ
sous une forme sphéroïdale, jusqu’à ce que le poids du liquide À la surface du liquide, on peut écrire deux conditions limites.
accumulé dépasse les forces de tension de surface. Le bilan des L’égalité des contraintes normales permet d’obtenir :
forces en présence conduit à la taille des gouttes :
n S n = − γ (1/R1 + 1/R2 )
σ
d = 3, 3 Et celle des contraintes tangentielles :
ρC g
nS t=0
De la même façon, pour un liquide sortant d’un orifice de petite
taille (capillaire) et soumis à l’action de la pesanteur, en absence L’expression des rayons de courbure à partir du rayon d’un
d’autres forces et lorsque la vitesse de formation des gouttes est cylindre de révolution à l’abscisse z donne :
faible, le bilan des forces conduit à l’expression :
1 1 1 ∂z2 H
 6d σ 
1/ 3 + = −
d = 0  R1 R 2 H (1+ (∂z H ) )
2 1/ 2 (1+ (∂z H ) 2 ) 3/ 2
 ρC g 
Une dernière équation peut être écrite en identifiant la vitesse
D’autres expressions de forme similaire sont possibles selon le du fluide à la surface et la vitesse de la surface elle-même :
rayon de courbure retenu lors du détachement de la goutte (voir
encadré Instabilité capillaire).
∂t H + v z ∂z H = v r r =H
La description détaillée de la forme que prend la surface lors de
la création de la goutte et dans quelles conditions plus précisé- Ce système d’équations décrit un problème à frontières mobiles
ment a lieu la rupture a été faite par différents auteurs. Elle passe relativement complexe. Lors de l’étirement du cylindre liquide, la
par la recherche de solutions (approchées) des équations de tension superficielle aura pour effet de réduire la section transver-
Navier-Stokes écrites pour un problème de symétrie axiale en sale jusqu’à ce qu’elle devienne nulle au moment de la rupture
coordonnées cylindriques : quelque part le long du col formé entre la goutte qui se détache et
la partie « fixe » du cylindre liquide. En toute rigueur, la descrip-
∂tv r + v r ∂rv r + v z ∂zv r
tion de la rupture elle-même aurait besoin d’une description aux
= − ∂r p / ρ +ν (∂r2v r + ∂z2v r + ∂rv r / r − v r / r 2 ) échelles moléculaires et les équations ci-dessus ne sont valables
∂tv z + v r ∂rv z + v z ∂zv z que juste avant ou juste après celle-ci. Des solutions asympto-
tiques existent qui décrivent la forme de la surface lors de l’étire-
= − ∂z p / ρ +ν (∂r2v z + ∂z2v z + ∂rv z / r ) − g ment juste avant la rupture, puis lors de la rétraction suivant la
rupture. Pour les écrire, partant du fait que lors de la rupture les
L’instabilité capillaire échelles de longueur et de temps peuvent être arbitrairement
petites autour de la singularité que représente le lieu et le moment
de la rupture, on peut ne considérer que des échelles indépen-
dantes des conditions initiales ou limites du problème, dépen-
dantes uniquement des caractéristiques du fluide. Ainsi, les unités
R de temps et d’espace peuvent être définies comme :
u
(ρν 2 ) (ρ2 ν 3 )
Cν = ; tν =
σ σ2
Si l’on désigne par z0 le lieu de la rupture et t0 le moment où elle
a lieu, le changement de variables :
Lorsqu’une surface se déforme, les forces de tension superficielle
augmentent avec la réduction du rayon de courbure. Le liquide est 1/ 2
évacué de la zone de déformation, diminuant la section de la zone
z ′ = (z − z 0 ) /Cν , t ′ = (t − t0 ) /tν , ξ = ± z ′/ t ′
de déformation et entraînant ainsi une réduction supplémentaire
du rayon de courbure. Les effets se conjuguent et s’amplifient mu- permet de situer le comportement singulier du système lorsque
tuellement jusqu’à entraîner la rupture. z ′ ⬍⬍ 1 et t ′ ⬍⬍ 1 .

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ce qui conduit au système différentiel ordinaire :


Vd
300 s (ψ / 2 + ξ ψ ′/ 2) + ψ ψ ′ = φ ′/φ 2 + 3ψ ′′ + 6ψ ′φ ′/φ
s (− φ + ξ φ ′/ 2) + ψ φ ′ = − ψ ′φ / 2
250
Avec s = 1 si t < t0 et s = – 1 si t > t0 . La résolution numérique de
200 ce système permet de décrire la forme de la surface libre autour de
la rupture.
150
Cette approche simplifiée néglige en particulier les effets de l’ali-
mentation en liquide et ne prédit pas la taille de la goutte formée.
100 Des études numériques sont alors nécessaires pour résoudre la
forme de la surface lors de la formation de la goutte pour des
50 débits liquides importants.
Re = 0,03
Re = 3
0
0 10 20 30 40 50 60

Nombre capillaire Ca = 50, différents de celui de Reynolds


1/G
2. Théories de stabilité
Rupture d’un ligament liquide pour différents débits de liquide
(1 ; 5 ; 15 et 25 ml/min)
linéaires
Figure 3 – Volume et forme d’une goutte lors de la rupture du
ligament en fonction de l’inverse du nombre de Bond (Wilkes et al.)
2.1 Instabilité d’un cylindre liquide
parfait isolé (Rayleigh)
Cette première approche de l’atomisation bien que peu appli-
cable aux atomiseurs ordinaires (sauf à l’atomisation par vibration)
16 Ca = 0,012 représente la base de tous les modèles d’atomisation reposant sur
Ld l’étude de stabilité. Aussi, nous détaillons ici son développement
Ca = 0,12
14 de façon à rendre compréhensibles d’autres modèles plus
complexes qui reprennent les mêmes étapes dont nous ne présen-
12
terons que les résultats.
10
On considère un cylindre axisymétrique de liquide parfait (non
8 visqueux) incompressible dont la surface se déforme lors du pas-
sage d’une perturbation. Le rayon initial R du cylindre passe alors
6 à R + η.
4 L’objet de cette approche est de déterminer quel type de pertur-
bation sera amplifié au cours de l’écoulement du liquide. On fait
2
l’hypothèse que les perturbations qui grandiront le plus (les plus
0 instables) seront les principales responsables de la rupture du jet
10–1 1 10 Re liquide et détermineront les caractéristiques des gouttes de liquide
Nombre de Bond G = 0,17 se détachant du cylindre.
La perturbation peut être considérée comme sinusoïdale :
Figure 4 – Longueur du ligament et forme d’une goutte lors de la 2π
rupture du ligament en fonction du nombre de Reynolds (Wilkes et al.) η = η0 cos kx, de longueur d’onde λ = , k étant le nombre d’onde
k
et x l’abscisse le long de l’axe de symétrie.
L’écoulement peut être considéré comme la superposition d’un
Pour ces variables, la vitesse et le rayon du cylindre liquide champ de vitesses non perturbé et celui résultant du passage de la
sont : perturbation. L’hypothèse de fluide parfait permet de faire dériver
en particulier le champ de vitesse de la perturbation d’un
tν potentiel :
v (z ′, t ′) ≡ v 0 (z , t ) , h (z ′, t ′) ≡ Cν−1H (z , t )

V = grad (φ)
Les solutions du nouveau système :
ce qui en coordonnées cylindriques ( x , r, θ ) donne les
composantes :
 1 ∂ [(∂ v ) h 2 ]
∂t ′v + v ∂z ′v = − ∂z ′   + 3 z ′ z ′
h  h2  ∂φ ∂φ 1 ∂φ 
(ux ; ur ; uθ ) =  ; ; 
∂t ′ h + v ∂z ′ h = − (∂z ′v ) h / 2  ∂x ∂r r ∂θ 

Sont recherchées sous la forme : On peut à présent écrire l’équation de conservation de la masse
sous la forme :
−1/ 2
h = t ′ φ (ξ ) , v = ± t ′ ψ (ξ ) div (V ) = ∆φ = 0

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Et l’équation de conservation de la quantité de mouvement


(Euler) selon la direction axiale : d0
∂u ∂u ∂p
ρ x + ux x = −
∂t ∂x ∂x
où p est la perturbation de pression et ρ la masse volumique.
Uj
Afin de trouver une solution analytique, il est nécessaire de
linéariser cette équation. Cela est fait de deux façons. D’abord, en
considérant que l’amplitude des perturbations est petite devant le L
rayon du jet liquide, ce qui permet d’écrire l’équation d’Euler à la
surface du liquide r = R et non pas en R + η. Ensuite, le terme dj
convectif est arbitrairement négligé. Ainsi, en r = R, on a :

∂ux ∂p ∂2 φ ∂p
ρ =− , soit ρ =−
∂t ∂x ∂t ∂x ∂x
Pour ce problème axisymétrique, la perturbation doit être nulle
au niveau de l’axe de symétrie, ce qui permet d’assurer que la
constante apparaissant après intégration par x doit être nulle car
dépendant uniquement du temps. Ainsi :

∂φ
ρ =− p
∂t
Comme pour le cas de la formation de gouttes, les conditions
limites à la surface du cylindre liquide sont l’égalité des
contraintes et la continuité cinématique. Pour linéariser le pro-
blème, ces conditions sont écrites en r = R et pas en R + η. Ainsi : d

 1 1 ∂η ∂φ Figure 5 – Théorie de Rayleigh


∆p = σ  + , et =
 R1 R 2  ∂t ∂r

L’expression du rayon de courbure dans le cas présent donne : dont on déduit, par élimination de A et η0 , l’équation de disper-
sion en r = a :
3
  ∂η 2   2
σ I (ka)
 1+  ∂x   ω2 = (1− a 2 k 2 ) k 1
ρa 2 I0 (ka)
R1 = R + η et R 2 =
∂ 2η
∂x 2 Lorsque le facteur ka est inférieur à 1, la perturbation prend la
forme d’une sinusoïde d’amplitude croissante (exponentiellement)
1 ∂ 2η car ω est imaginaire, c’est l’instabilité. En dérivant l’équation de
qui se linéarise dans le cas où η est petit en : = .
R 2 ∂x 2 dispersion par rapport au nombre sans dimension ka, il apparaît
un maximum pour le facteur d’amplification dont l’expression est :
En absence de perturbation : R1 = R et R2 = ∞, ce qui permet
d’écrire l’expression de la perturbation de pression : σ 2πa
ω max = 0, 343 , pour la valeur (ka)max = = 0,696. La lon-
ρa 3 λmax
 1 1  1 1   1 ∂2η 1  gueur d’onde de cette perturbation de facteur d’amplification
p = σ  +  − +  =σ  − −
 R1 R2  sans  R1 R2  avec   R + η ∂x 2 R  maximale a comme valeur λmax = 4,51 × 2a.
 perturbation perturbation 
Selon cette vision du phénomène, la perturbation la plus ampli-
que l’on peut simplifier, pour η petit, en : fiée déformera prioritairement le cylindre liquide jusqu’à la rup-
ture. Afin d’obtenir un critère simple de rupture, on suppose que le
σ  ∂ 2η  cylindre reste uni tant que l’amplitude de la perturbation est infé-
p=− η +R2 2 
R 2  ∂x  rieure au rayon initial du cylindre. Alors, des morceaux du cylindre
de longueur λ et de rayon a se détachent et l’on peut prédire la for-
En cherchant une solution à fonctions séparées pour φ sous la mation de gouttes identiques dont le diamètre d est obtenu à par-
forme : φ = X (x ) R (r ) e–iωt, la résolution de l’équation ∆φ = 0 tir d’un bilan de masse simplifié :
conduit à une famille de solutions : φ = Aeikx I0 (kr )e–iωt.
πd 3
∂η ∂φ = πa 2 λ
La condition cinématique = conduit à une perturbation de 6
∂t ∂r
la forme : η = η0 eikx e–iωt. Soit des gouttes de diamètre : d = 1,89 × 2a, c’est-à-dire deux
En injectant ces solutions dans les équations de mouvement et fois environ le diamètre de l’orifice de sortie du jet.
la condition cinématique, on obtient le système : Quoique les approximations puissent sembler grossières, la
théorie de Rayleigh (figure 5) se vérifie assez bien dans les injec-
 σ teurs à vibrations, lorsque l’on excite le jet liquide de vitesse u, à la
− i ρ A I0 (kr )ω = 2 (η0 − a 2 k 2 η0 )
 a u
k A I ′ (kr ) = − i ω η fréquence ν correspondant à la longueur d’onde λmax : ν = .
 0 0 λmax

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71
72
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AF3622

Atomisation, pulvérisation
et aérosols
Applications

par Luis LE MOYNE


Docteur HDR Ingénieur
Maître de conférences

1. Simulations numériques......................................................................... AF 3 622 - 2


1.1 Modèles simplifiés ....................................................................................... — 2
1.1.1 Modèle d’analogie de Taylor (TAB) ................................................... — 2
1.1.2 Modèle Wave....................................................................................... — 2
1.1.3 Modèle LISA (linearized stability sheet atomisation)....................... — 3
1.2 Simulations numériques ............................................................................. — 3
1.2.1 Modèles RANS .................................................................................... — 3
1.2.2 Modèles Lagrangiens ......................................................................... — 3
1.2.3 Suivi d’interface .................................................................................. — 3
2. Techniques de mesure spécifiques à l’atomisation ....................... — 4
3. Distributions de taille – Lois empiriques ........................................... — 5
3.1 Distributions usuelles .................................................................................. — 5
3.2 Diamètres moyens ....................................................................................... — 6
3.3 Corrélations pour les diamètres moyens ................................................... — 6
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. AF 3 620

’omniprésence des phases dispersées (liquides pour les gouttes, solides


L pour les particules), dans la nature et dans l’industrie, dont le processus de
formation est communément appelé atomisation ou pulvérisation, n’est pas à
démontrer. La desc ription des proc essus et mécanismes physiques mis en jeu
lors du passage d’une phase continue liquide à une phase dispersée se révèle
complexe. Alors que les caractéristiques (taille et vitesse) des gouttes peuvent
être déduites précisément de la théorie pour quelques cas d’école d’atomisa-
tion, seules les tendances et aspects qualitatifs peuvent être obtenus dans la
plupart des cas. Nous verrons dans cet article qu’il n’en demeure pas moins
que de nombreuses simulations sont menées afin de caractériser les phases
dispersées, aidées il est vrai en cela par l’émergence de calculateurs
modernes. Les techniques de mesures spécifiques à l’atomisation seront ici
abordées, ainsi que les distributions détaillées des tailles de gouttes obtenues
de façon empirique afin de parer à la difficulté d’obtention des prédictions
théoriques.
Parution : janvier 2010

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73
Référence Internet
AF3622

ATOMISATION, PULVÉRISATION ET AÉROSOLS ___________________________________________________________________________________________

1. Simulations numériques ρ a3


0 ,5
0, 34 + 0, 38 W e 15
,
Ω 1  = 2
 σ  (1+ Z ) (1+ 1, 4 T 0 ,6 )
Compte tenu de la complexité du phénomène d’atomisation, il a
été envisagé dès l’apparition des moyens de calcul intensif, de les avec :
utiliser pour prévoir les caractéristiques des brouillards de gouttes
obtenus, ainsi que leur évolution. Malgré la puissance des calcula-
teurs modernes, des modèles simplifiés sont encore largement uti- W e10 ,5 ρ U 2a
Z= ; T = ZW e 02 ,5 ; W e1 = 1 ;
lisés dans l’industrie, bien que les simulations directes du R e1 σ
phénomène connaissent un essor important ces dernières années. ρ2U 2a Ua
On se propose ici de donner un aperçu des principales techniques W e2 = ; R e1 =
utilisées. σ ν1

La longueur du noyau du jet liquide L peut être estimée en


1.1 Modèles simplifiés considérant la masse extraite au jet par formation des gouttes :

1.1.1 Modèle d’analogie de Taylor (TAB) ca ρ|


L=
f (T ) ρg
Dans cette approche, le cylindre liquide en sortie de l’injecteur
(ou les gouttes issues d’une première atomisation) est assimilé à
un système masse-ressort avec amortissement. L’oscillateur est
forcé par l’interaction aérodynamique. Le terme inertiel comprend La fonction f (T ), T = Z W eg0 ,5 , approche asymptotiquement la
la masse de la goutte, ou de la parcelle du jet que l’on estime se 3
pulvériser, la force du ressort est constituée par la tension superfi- valeur (valable dès T > 100). La constante c varie de 15 à 30 et
cielle et l’amortissement lié à la contrainte visqueuse. 6
prend en compte les effets de l’écoulement à l’intérieur de l’injec-
Le bilan de ces forces mène à l’équation : teur.
Les gouttes issues de la rupture sont supposées munies d’une
d 2y 5 µ dy 8σ 2ρ U 2 composante normale à la direction principale du jet dont la valeur
+ + y− m =0
dt 2 ρ r 2 dt ρ r 3 3ρr 2 maximale définit l’angle du jet selon la relation :

où y est le paramètre de distorsion du diamètre (si y > 1, la goutte


casse), r est le rayon de la goutte, µ, σ et ρ sont la viscosité, la θ ΛΩ 4π ρg
tg = = f (T )
tension superficielle et la masse volumique du liquide, ρm est la 2 AU A ρ|
masse volumique du gaz et U la différence de vitesse gaz/goutte.
Si la goutte se divise, elle crée des gouttes de rayons identiques r2,
donnés en faisant le bilan énergétique par : La constante A prend en compte là aussi les effets de l’écoule-
|
r1 7 ρ r13  dy 1 
2 ment inter-injecteurs : A = 3 + 2a , | étant la longueur de l’orifice
= +   3,6
r2 3 σ  dt  d’injection (buse) et 2a son diamètre.
Le critère de rupture conduit à des gouttes de rayon r :
Les indices 1 et 2 étant relatifs aux états de la goutte avant et
après scission. r =BΛ
L’expérience montre que la valeur de 2r2 approche assez bien le
diamètre moyen de Sauter des distributions de jets automobiles, Une polydispersion de tailles des gouttes est obtenue en faisant
en supposant celles-ci du type Rosin-Rammler pour les injecteurs à varier aléatoirement la constante de rupture B :
Swirl ou du type χ2 pour les autres injecteurs.
B = 0, 3 + 0,6P

1.1.2 Modèle Wave où P est une variable aléatoire comprise entre 0 et 1.


C’est peut-être le modèle le plus utilisé actuellement. Celui-ci a Lorsque le rayon estimé par le critère de rupture est supérieur
été proposé par Reitz en partant de l’idée que le jet liquide en au diamètre de la goutte initiale, ces relations ne peuvent pas être
sortie de l’orifice se détachait en parcelles initiales appelées appliquées. Le rayon des gouttes secondaires est alors estimé par :
« blobs », qui, sujettes aux instabilités donnaient lieu à l’amplifica-
tion de certains modes selon la théorie correspondante (voir  1 1

ci-dessus) et donc à des gouttes dont la taille est unique. Cette 3πa 2 U  3  3a 2 Λ  3 
r = min   ,   
taille est assimilée au diamètre moyen ou au DMS d’une distribu-  2Ω   4  
tion adaptée. La taille de ces « blobs » est celle de l’orifice de sortie
de l’injecteur et la fréquence de leur formation dépend directement
du débit liquide de sortie. Des instabilités de Kelvin-Helmotlz se La taille du « blob » initial est naturellement réduite par chaque
développent dès la sortie de ces « blobs » à leur surface, supposée goutte qui s’en détache. La diminution temporelle du rayon des
sphérique, et des gouttes s’en détachent alors. Le calcul du mode « blobs » obéit à la relation :
le plus instable se fait selon les formules exposées ci-dessus avec
un critère de rupture simplifié correspondant. Rappelons que ces da a −r a
=− , où τ est le temps de rupture τ = 3,726 B | .
relations sont : dt τ ΛΩ

Λ (1+ 0, 45 Z 0 ,5 ) (1+ 0, 4 T 0 ,7 ) B | est une constante introduite pour prendre en compte les
= 9,02 effets de l’écoulement interne à l’injecteur. Des valeurs allant de
a (1+ 0,87 W e 167 , 0 ,6
2 ) 1,73 à 30 ont été proposées.

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74
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AF3640

Cristallisation et polymorphisme
Description du phénomène
par Michel BAUER
Directeur du Département international d’analyse
Sanofi-Synthélabo

1. Quelques exemples du phénomène observé .................................... AF 3 640 - 2


2. Définitions.................................................................................................. — 2
2.1 Polymorphisme et allotropie ...................................................................... — 2
2.2 Solvates. Hydrates. Pseudopolymorphisme ............................................. — 3
2.3 Phases amorphes ........................................................................................ — 3
2.4 Faciès ou habitus des particules cristallines. Agglomération/agrégation — 3
2.4.1 Faciès. Habitus des particules cristallines ........................................ — 3
2.4.2 États d’agrégation/agglomération..................................................... — 4
3. Éléments concernant la cristallisation .............................................. — 4
3.1 Nucléation .................................................................................................... — 4
3.2 Croissance cristalline................................................................................... — 7
3.3 Conclusion.................................................................................................... — 7
4. Éléments de cristallographie ................................................................ — 7
4.1 Généralités ................................................................................................... — 7
4.2 Systèmes cristallins et réseaux de Bravais ............................................... — 8
4.3 Défauts cristallins ........................................................................................ — 11
Références bibliographiques ......................................................................... — 11

e premier article examine en détail, après un bref rappel historique, les


C différentes définitions concernant le polymorphisme cristallin et l’état
amorphe ainsi que celles concernant les particules pulvérulentes (habitus/
faciès, états d’agrégation et d’agglomération). Le polymorphisme et les faciès
cristallins sont la conséquence d’un processus complexe, appelé cristallisation,
pour lequel une brève introduction est proposée dans le cas de la cristallisation
d’une molécule à partir d’un solvant. Celle-ci souligne les différents paramètres
physico-chimiques jouant un rôle clé dans ce phénomène (nucléation, énergie
d’activation de germination, rôle du solvant et des impuretés, etc.). Enfin, dans
un dernier paragraphe, un rappel concernant les éléments de cristallographie
(systèmes cristallins/réseaux de Bravais, maille cristalline, unité asymétrique)
est abordé dans le but de fixer un certain nombre de définitions nécessaires à
la compréhension globale des trois articles qui composent cette étude.

Le but de ces articles est de décrire ce phénomène et d’envisager ses conséquences dans le
domaine pharmaceutique principalement, mais aussi dans d’autres a priori moins connus. Ils
paraîtront dans l’ordre suivant :
— [AF 3 640] - Cristallisation et polymorphisme. Description du phénomène ;
— [AF 3 641] - Cristallisation et polymorphisme. Physico-chimie du polymorphisme ;
— [AF 3 642] - Cristallisation et polymorphisme. Applications pharmaceutiques et autres.
Parution : avril 2004

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75
Référence Internet
AF3640

CRISTALLISATION ET POLYMORPHISME ____________________________________________________________________________________________________

1. Quelques exemples 2. Définitions


du phénomène observé
Durant la retraite de Russie en 1812, opérée dans le cadre d’un 2.1 Polymorphisme et allotropie
hiver particulièrement rigoureux, les armées napoléoniennes, outre
la pression incessante des armées russes, eurent à subir un événe- Il est courant de définir le polymorphisme cristallin comme
ment étrange particulièrement délétère sur le moral des troupes l’aptitude d’une molécule à cristalliser suivant différents systèmes
déjà très bas [1] : la peste (certains disent la lèpre) de l’étain. La cristallins (cf. § 4). Dans le cas des corps simples (atomes), on parle
vaisselle des soldats et les boutons de leur uniforme étaient faits d’allotropie (concept introduit par le chimiste suédois Berzelius).
en étain. Sous l’influence du froid intense qui régnait à l’époque,
vaisselle et boutons se mirent à tomber en poussière, l’un après Exemple : allotropie du soufre, allotropie du carbone (graphite -
l’autre, comme victimes d’une épidémie... diamant).
Dans la revue Script datée du 7 août 1998, une société pharma-
ceutique annonce qu’elle ne peut plus assurer la livraison d’un de Cette définition n’est cependant pas suffisamment précise. Pour
ses médicaments phares utilisé dans la lutte contre le sida. la rendre univoque, il faut apporter d’autres précisions concernant
Ces évènements, apparemment très éloignés l’un de l’autre, sont l’enchaînement atomique de la molécule à l’état solide, son état
de fait la conséquence d’un même phénomène physique : le poly- fondu ou en solution, ainsi que son état gazeux. De ce point de vue,
morphisme (cf. encadré « Historique »). la définition la plus générale prenant en compte les données ther-
modynamiques (cf. article [AF 3 641]) est donc [10] :
Le but de cet article est de décrire ce phénomène.

Le polymorphisme cristallin correspond à l’aptitude d’une


Brefs aperçus historiques molécule donnée à exister à l’état solide, suivant une même
structure primaire (enchaînement atomique), sous différentes
En 1788, Klaproth observe que le carbonate de calcium CO3Ca formes cristallines présentant les mêmes caractéristiques phy-
cristallise suivant deux formes différentes : l’aragonite (système sico-chimiques en solution, à l’état fondu et à l’état gazeux.
orthorhombique) et la calcite (système rhomboédrique). Si Ten-
nant découvre en 1796 que le diamant est essentiellement
composé de carbone, c’est Humphrey Davy en 1809 qui suggère Une molécule cristallisant, par exemple, dans deux systèmes dif-
que le graphite et le diamant correspondent à deux arrange- férents suivant des conformations différentes (mais de structure pri-
ments différents du carbone en phase solide. Cependant, c’est maire identique) présentera bien le phénomène du polymorphisme
Mitscherlich qu’il faut créditer de l’avancée la plus décisive dans (certains pourront préciser : polymorphisme conformationnel).
la reconnaissance du phénomène du polymorphisme.
En effet, c’est lui qui, dans une publication parue en français Par contre, dans le cas où la molécule est susceptible d’exister à
en 1821 dans les Annales de chimie et physique [2] [3] fait part l’état solide suivant des formes tautomères distinctes (structures
de ses observations concernant l’existence de formes cristalli- primaires différentes) mais conduisant très rapidement à l’état
nes différentes pour le monophosphate de sodium, introduisant liquide ou fondu et à l’état gazeux à un équilibre entre les différents
explicitement le terme de polymorphisme. Il met ensuite en évi- tautomères, on parlera de desmotropie (certains utiliseront le
dence deux formes cristallines différentes du soufre, la forme terme : polymorphisme tautomérique). Un tel cas, plutôt rare,
monoclinique et la forme rhomboédrique. Dès lors, les décou- concerne par exemple la molécule d’Irbesartan [11] aux propriétés
vertes de formes cristallines différentes pour les corps simples hypertensives. La figure 1 représente les deux formes tautomères
et les molécules vont se multiplier. Wöhler et Liebig découvrent A et B de celle-ci obtenues au niveau du cycle tétrazole et la figure 2,
en 1832 deux formes cristallines différentes pour la benzamide, les deux structures cristallines obtenues à partir des monocristaux
premier cas publié apparemment de polymorphisme d’une correspondants.
molécule organique. C’est en 1870 que Lehmann montre que les
formes cristallines du soufre peuvent échanger leur domaine de En poussant les choses à l’extrême, il faut noter que la définition
stabilité en fonction de la température, et ce de façon réversible. générale donnée précédemment ne lève pas toute ambiguïté. En
Les notions d’énantiotropie et de monotropie sont créées. Nous effet, que signifie avoir les mêmes caractéristiques physico-
reviendrons en détail sur ces termes qui font référence aux sta-
chimiques en solution ou à l’état fondu, par exemple ?
bilités thermodynamiques comparées en fonction de la tempé-
rature et de la pression des différentes formes cristallines d’une
même entité chimique. Ces notions ne sont pas dépourvues
d’ambiguïté comme l’a fait remarquer dès 1913 Tamman [4].
Deux formes cristallines peuvent être en relation d’énantiotro-
pie dans un domaine de pression et température données et en
O O
relation de monotropie dans un autre domaine correspondant à
de hautes pressions (l’inverse semblant a priori plus que rare).
Il y a cependant quelques raisons pratiques qui ont favorisé la N N N N
pérennité de ces expressions et que nous examinerons.
Dans le domaine pharmaceutique, l’un des plus concernés
par les conséquences de ce phénomène, il faut attendre le début H
des années 1960 pour voir des équipes comme celles de Brand- N
N
N N
stätter [5] s’attaquer à l’étude systématique du polymorphisme N N
et celle d’Higuchi [6] pour en évaluer les impacts en termes de N N
cinétique de dissolution et de biodisponibilité. Vers la fin des H
années 1960 paraît l’article d’Haleblian et Mc Crone [3] couvrant
les aspects essentiels du polymorphisme, de la morphologie
des cristaux et leurs conséquences dans le domaine pharma-
ceutique. Depuis, de très nombreux articles ont été consacrés Figure 1 – Structures moléculaires à l’état solide des deux formes
au polymorphisme [7] [8] [9].
desmotropes de l’Irbesartan

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76
Référence Internet
AF3640

___________________________________________________________________________________________________ CRISTALLISATION ET POLYMORPHISME

b Cp
État liquide
surfondu

État
vitreux

c
Tg T

a Figure 3 – Variation de la capacité thermique à pression constante


IRBESARTAN forme A IRBESARTAN forme B Cp en fonction de la température. Définition de la température
de transition vitreuse T g

Figure 2 – Structures cristallines des deux formes desmotropes


de l’Irbesartan

La condition doit être que les différentes espèces en solution


(tautomères, conformères, isomères, énantiomères) sont le siège
d’une interconversion rapide se traduisant, au niveau macroscopi-
que, par une identité de propriétés physico-chimiques à l’échelle
du temps caractéristique de la méthode d’analyse. Or, cette vitesse
d’interconversion est fonction de la température. Suivant le temps
mis pour atteindre l’équilibre, on pourra ou non considérer que Tabulaire
l’on est en présence de polymorphisme pour une molécule
donnée. Dans la plupart des cas rencontrés, il n’y a cependant pas
d’ambiguïté.

Plaquette Prismatique Aciculaire Lamellaire


2.2 Solvates. Hydrates.
Pseudopolymorphisme Figure 4 – Représentation schématique des principaux types
d’habitus (d’après [3])
Une molécule sera dite présentant le phénomène du pseudopo-
lymorphisme si elle incorpore dans sa structure cristalline des molé-
cules de solvants (solvates) ou d’eau (hydrates) en quantité discrète Autour de la température T g , la molécule présente une variation
(stœchiométrique). Comme nous le verrons dans l’article [AF 3 641], progressive de capacité thermique Cp (à pression constante)
la stœchiométrie peut ne pas être respectée dans certains cas. Il faut comme indiqué figure 3.
noter que le terme « pseudopolymorphisme » a été utilisé dans des
sens différents [8]. C’est pourquoi, suivant Byrn et Al [12], il vaut On notera que cette transition à caractère cinétique n’est pas une
mieux parler de solvates et de solvates désolvatés si le produit transition de phase du deuxième ordre au sens d’Ehrenfest.
conserve sa maille originale après départ du solvant (similarité des Comme nous le verrons dans l’article [AF 3 642], cet état de grande
diagrammes de poudre RX). On parle alors de formes isomorphes enthalpie libre de Gibbs G par rapport à l’état cristallin peut être
entre le solvate et le solvate désolvaté. Par commodité, nous éventuellement utilisé, en particulier dans le domaine pharmaceu-
pourrons employer les deux termes dans la suite de cet article. tique, pour améliorer les caractéristiques de solubilité et de disso-
lution d’une molécule particulièrement peu soluble.

2.3 Phases amorphes 2.4 Faciès ou habitus des particules


cristallines.
Les différentes structures cristallines que peut présenter une Agglomération /agrégation
molécule donnée en cas de polymorphisme sont toutes carac-
térisées par un ordre à longue distance [typiquement > 1 000 Å
(100 nm)]. Dans certaines circonstances, il est également possible
de l’obtenir sous forme d’une phase amorphe caractérisée par un
2.4.1 Faciès. Habitus des particules cristallines
ordre à courte distance [typiquement < 100 Å (100 nm)]. La descrip-
Une caractéristique physique des poudres, au moins aussi impor-
tion du concept de phase amorphe n’est pas chose simple et peut
tante que le phénomène de polymorphisme, est l’aspect externe des
varier d’un auteur à l’autre. Nous dirons simplement qu’une phase
particules solides, généralement repéré par les vocables de faciè s
amorphe est en règle générale caractérisée par une température de
ou habitus.
transition vitreuse Tg au-dessous de laquelle la molécule est dans
un é tat vitreux et au-dessus dans un é tat liquide surfondu (état La figure 4 présente des faciès habituellement rencontrés pour
pâteux, caoutchoutique pour les « polyméristes »). des monocristaux.

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78
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AF3641

Cristallisation et polymorphisme
Physico-chimie du polymorphisme
par Michel BAUER
Directeur du Département international d’analyse Sanofi-Synthélabo

1. Introduction aux aspects physiques et thermodynamiques ........ AF 3 641 - 2


1.1 Modèle fondé sur la notion d’empilement ................................................ — 2
1.2 De la sphère aux atomes et molécules réels............................................. — 3
1.2.1 Forces attractives mises en jeu.......................................................... — 3
1.2.2 Forces de répulsion ............................................................................ — 4
1.2.3 Énergie réticulaire. Modélisation et prédiction du polymorphisme — 4
1.3 Étude thermodynamique du polymorphisme........................................... — 5
1.3.1 Notion d’énantiotropie et de monotropie......................................... — 6
1.3.2 Détermination du caractère énantiotropique ou monotropique
des systèmes polymorphiques. Règles de Burger .......................... — 9
1.3.3 Examen des systèmes par analyse calorimétrique différentielle
(ACD).................................................................................................... — 9
1.3.4 Aspects cinétiques et cristallographiques des transitions de phase — 11
1.3.5 Étude thermodynamique des systèmes par mesures
des solubilités à saturation ................................................................ — 12
1.3.6 Étude thermodynamique du système par mesure des capacités
thermiques à pression constante ...................................................... — 14
1.3.7 Détermination théorique approximative de T T ............................... — 14
1.4 Polymorphisme et réactivité chimique ...................................................... — 14
1.5 Polymorphisme et cinétique de dissolution intrinsèque.......................... — 15
1.6 Conclusions.................................................................................................. — 16
2. Cas des solvates et hydrates. Pseudopolymorphisme .................. — 16
2.1 Généralités ................................................................................................... — 16
2.2 Aspects thermodynamiques....................................................................... — 17
2.3 Aspects structuraux..................................................................................... — 17
2.4 Étude simplifiée du processus de désolvation/déshydratation ............... — 18
2.5 Transition de phase au cours de la désolvatation/déshydratation .......... — 18
2.6 Quelques propriétés des solvates et hydrates .......................................... — 18
2.7 Conclusions.................................................................................................. — 20
3. Méthodes d’études .................................................................................. — 20
3.1 Principales techniques................................................................................. — 20
3.2 Commentaires.............................................................................................. — 21
4. Cas des molécules contenant des carbones asymétriques ......... — 22
5. Méthodes d’obtention (criblage polymorphique)............................ — 22
Références bibliographiques ......................................................................... — 23

euxième d’une série de trois, cet article aborde les principes physiques et
D thermodynamiques à l’origine du polymorphisme.
Après avoir montré comment la notion d’empilement de sphères peut
constituer un modèle simple permettant la compréhension du phénomène du
polymorphisme et de ses conséquences, une étude détaillée des forces physiques
mises en jeu dans les empilements cristallins est proposée (forces ioniques, de
Van der Waals, de répulsion) ainsi qu’une rapide évocation des techniques de
modélisation du polymorphisme.
Parution : avril 2004

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79
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AF3641

CRISTALLISATION ET POLYMORPHISME ____________________________________________________________________________________________________

Le cœur de l’article est consacré à une introduction à la thermodynamique du


polymorphisme cristallin. Après avoir rappelé les définitions de l’enthalpie libre
de Gibbs et de l’entropie d’un système cristallin, les notions d’énantiotropie et
de monotropie caractérisant les stabilités thermodynamiques relatives en fonc-
tion de la température et de la pression, pour différentes formes cristallines
d’une même molécule, sont discutées dans le cadre des diagrammes pression/
température et enthalpie libre/température. Des exemples de systèmes mono-
tropiques ou énantiotropiques sont ensuite décrits montrant, en particulier,
comment l’analyse calorimétrique peut aider à la classification des phéno-
mènes. Les relations entre la différence d’enthalpie libre de Gibbs de deux for-
mes cristallines et leurs solubilités à saturation, leurs cinétiques intrinsèques de
dissolution et leurs réactivités chimiques sont ensuite démontrées. Ce para-
graphe, d’une importance fondamentale, permet de comprendre les consé-
quences du polymorphisme dans divers domaines, tout particulièrement celui
du domaine pharmaceutique ; ces conséquences sont exposées dans le troi-
sième fascicule [AF 3 642].
Ce deuxième article traite, par ailleurs, du cas des solvates et hydrates et, de
façon plus succincte, du cas où les molécules présentent une chiralité (car-
bones asymétriques essentiellement).
Enfin, une revue des méthodes analytiques de caractérisation du polymor-
phisme ainsi que des méthodes d’obtention (criblage polymorphique) sont
abordées avec un renvoi important à la littérature.

Le lecteur trouvera une description détaillée du phénomène ainsi que les différentes défini-
tions concernant le polymorphisme dans le premier article de cette série :
[AF 3 640] - Cristallisation et polymorphisme. Description du phénomène.

1. Introduction aux aspects


physiques
et thermodynamiques
a stable b métastable/instable c instable
1.1 Modèle fondé sur la notion
d’empilement Figure 1 – Différents empilements possibles
pour un même type de billes
Considérons un ensemble très simple constitué par des sphères
dans le champ de pesanteur. Une première couche peut être placée
sur une surface plane, chaque sphère étant en contact avec ses voi-
On voit donc, à partir d’un modèle très simple, comment des
sines. On peut ensuite placer une deuxième couche en plaçant les
entités identiques peuvent donner lieu à des organisations spa-
sphères comme sur la figure 1a en venant compléter les vides
tiales différentes caractérisées par des énergies et donc des réacti-
laissés entre deux sphères, optimisant ainsi l’espace offert.
vités/stabilités différentes. On a là fondamentalement la notion de
On obtient, dans ce cas, l’empilement le plus compact possible polymorphisme, les situations présentées figures 1a et 1b, corres-
correspondant à une énergie potentielle minimale et à une densité pondant à l’existence de deux formes cristallines et la figure 1c au
maximale. On peut également empiler les couches successives, cas de l’existence d’une phase amorphe. On peut même en déduire
comme sur la figure 1b. À l’évidence, cette situation correspond à une loi importante : plus le système sera dense (donc existence
une énergie potentielle du système plus importante que dans le d’un faible volume libre interparticulaire), moins les entités indivi-
cas précédent créant une situation d’instabilité (ou de plus grande duelles pourront « bouger » et plus stable sera le système. Comme
réactivité). Les volumes intersphères laissés libres sont plus impor- nous le verrons, cette relation densité/stabilité a des exceptions. Le
tants que dans le premier cas conduisant à un empilement de den- modèle considéré ici est trop frustre.
sité plus faible.
Comme nous le décrirons dans le paragraphe dédié à la thermo-
On peut enfin imaginer que les sphères sont réparties au hasard dynamique du phénomène, ce qui règle l’existence d’un système
sans ordre sur une distance appréciable (figure 1c ). physique, c’est la nécessité téléonomique pour son énergie libre
L’énergie potentielle du système est largement supérieure à celle d’atteindre un minimum dans des conditions environnementales
des deux cas précédents. Le volume libre interparticulaire est très données (de pression et température en particulier). Assez souvent,
important, la densité d’empilement faible et la réactivité du sys- cette contrainte se traduit par l’empilement le plus compact (dense)
tème maximale. possible, mais ce n’est pas toujours le cas.

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1.2 De la sphère aux atomes


et molécules réels 10
Énergie répulsive
Si la sphère placée dans un champ de pesanteur est un modèle U
de départ acceptable comme introduction au phénomène du poly-
morphisme, il ne peut être développé très loin. Il faut donc 5
considérer les entités physiques réellement concernées que sont
les atomes ou les corps simples, les ions et les molécules et voir
comment ils peuvent générer l’allotropie ou le polymorphisme.
0
Les forces mises en jeu pour expliquer l’existence des structures Énergie
cristallines stables et métastables (autrement dit de l’état solide) totale
adoptées par les atomes et les molécules ne font pas appel à la Um
force de gravitation. –5
Elles sont fondamentalement de nature quantique [1] et
comprennent à la fois des forces de nature attractive, f A(r ) et répul-
Énergie attractive
sive f R(r ) dépendant toutes plus ou moins de la distance r entre les
– 10
molécules, comme cela est représenté figure 2, étant admis r
qu’elles dérivent dans les deux cas d’une énergie potentielle attrac-
tive [2] :
∂U A ( r ) Figure 2 – Énergie d’interaction U entre deux atomes ou molécules
f A ( r ) = – ----------------------
- en fonction de leur distance r
∂r
et répulsive :
∂U R ( r )
f R ( r ) = – ----------------------
∂r
On constate l’existence d’un minimum d’énergie U m pour une U
valeur r m qui représente la distance moyenne d’un atome, ion ou
molécule par rapport à ses voisins les plus proches. On associe
ainsi un type d’organisation spatiale (à travers r m) à une situation U*
1,2
énergétique (à travers Um). On peut facilement concevoir que,
dans certains cas, il sera possible d’obtenir différentes organisa-
tions spatiales correspondant à des énergies différentes U Um, 1
(figure 3) ainsi que nous le suggérions à partir du modèle d’empi- U*
2,3
lement.
Um, 2
Dans le cas décrit sur la figure 3, on voit que le produit concerné
(ions, atomes, molécules minérales ou organiques) présente trois
formes cristallines distinctes 1, 2 et 3 dont les énergies
(considérées à la température du zéro absolu) sont U m,1 , U m,2 et Um, 3
U m,3 correspondant à des stabilités croissantes de la forme 1 vers
* *
la forme 3. Si les énergies d’activation U 1,2 et U 2,3 qui règlent les
cinétiques de transformation 1 → 2 → 3 sont suffisamment impor-
tantes, la possibilité existe d’isoler les formes métastables 1 et 2
ainsi que, bien sûr, la forme 3 qui correspond à l’énergie réticulaire Structure 1 Structure 2 Structure 3
la plus faible (et donc la forme la plus stable).

Figure 3 – Variation de l’énergie de réseaux


Autrement dit, c’est parce qu’il y a existence possible des en fonction de la forme cristalline considérée (à T = 0 K)
formes métastables, qu’il y a polymorphisme (ou allotropie).

1.2.1 Forces attractives mises en jeu pour des cristaux ioniques minéraux (exemple : NaCl) et 50 à
100 kJ/mole pour des cristaux ioniques organiques.
■ Forces ioniques
■ Forces de Van der Waals
Elles sont présentes essentiellement dans les cristaux ioniques
(par exemple, CINa, sel d’une molécule organique, etc.). Elles sont Pour expliquer la structure des cristaux constitués par des molé-
non directionnelles et peuvent être modélisées par la loi de cules neutres électriquement, il faut faire appel aux forces de Van
Coulomb régissant l’énergie potentielle électrostatique Ue entre der Waals. Celles-ci peuvent être expliquées par des considérations
deux ions i et j de charges opposées Zi e et Zj e séparés par une dis- quantiques [1], mais nous nous contenterons ici de les énumérer.
tance rij , égale à : ● Les forces d’attraction dipôle-dipôle (dites de Keesom) pro-
( Zi e ) ( Zj e ) viennent de l’existence de moments dipolaires permanents µ au
U e = – --------------------------------- (1)
4π ε 0 r ij sein des molécules et donnent lieu à une énergie d’attraction Ud-d
du type :
avec e charge (en Coulombs) de l’élection, 4
µ
ε0 constante diélectrique du vide. U d-d = – C 1 --------- (2)
r6
Les forces électrostatiques sont fortes et correspondent à des
énergies de l’ordre de plusieurs centaines de kilojoules par mole avec C 1 constante dépendant de la température.

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● Les forces d’attraction de type induction (dites de Debye) ont forces de répulsion sont fondamentalement de nature quantique et
sont une conséquence directe, d’une part, du principe d’exclusion
pour origine l’influence du moment dipolaire permanent µ d’une
de Pauli en ce qui concerne les électrons des molécules qui se rap-
molécule sur la distribution des charges des molécules voisines prochent les unes des autres et, d’autre part, de la répulsion des
créant ainsi un effet de polarisation induite. L’énergie correspon- noyaux atomiques chargés positivement.
dante U ind est du type :
La variation de ces forces est extrêmement sensible à la distance
2
αµ intermoléculaire. C’est pourquoi, en termes de modélisation, on
U ind = – C 2 -------------- (3)
r6 utilise, pour traduire l’énergie de répulsion U R , des expressions
empiriques du type (avec C ′, B et b des constantes) :
avec C 2 constante,
α polarisabilité de la molécule. C′
U R = ---------- (5)
● Les forces de dispersion (dites de London) ont pour origine r 12
l’existence de moments dipolaires instantanés même au sein de
ou U R = B e–br (6)
molécules ne possédant pas de moments permanents (exemple :
gaz rares, CCl4 , etc.). dont l’évolution est extrêmement rapide dès que r tend vers sa
Le moment dipolaire instantané d’une molécule crée, comme valeur à l’équilibre r m .
dans le cas des interactions type Debye, une polarisation des molé-
cules avoisinantes par induction. L’énergie correspondante U L est
du type : 1.2.3 Énergie réticulaire. Modélisation
2 et prédiction du polymorphisme
α-
U L = – C 3 -------- (4)
r6
■ À partir de l’ensemble des forces décrites précédemment, il est
avec C 3 constante, possible a priori de calculer l’énergie réticulaire U ret du système
α polarisabilité. cristallin adopté par une molécule et de comparer le résultat à
Toutes ces forces n’ont pas de caractère directionnel et sont rela- enthalpie de sublimation ∆H subli à laquelle elle est reliée.
tivement faibles. L’énergie correspondante est de l’ordre de la
dizaine de kilojoules par mole. Cela explique pourquoi, dans le cas ■ Modélisation et prédiction du polymorphisme
des molécules organiques neutres, où ces forces de Van der Waals
Comme nous le verrons dans le paragraphe suivant, la structure
opèrent principalement, on trouve en général des températures de
cristalline adoptée par une molécule peut se transformer, en fonc-
fusion peu élevées.
tion des domaines de pression et de température, en une autre
● La liaison hydrogène a pour origine la présence dans une molé- structure dans le cadre d’un processus de transition de phase
cule des groupements du type R—O—H ou R1R2N—H ; on montre solide-solide. La raison profonde de cette caractéristique en est la
alors que, du fait de l’électronégativité des atomes d’oxygène et variation d’entropie des formes cristallines en fonction de la tem-
d’azote, les liaisons O—H et N—H acquièrent un caractère ionique pérature et de la pression ∆S (T, p ). Comme il n’est guère possible
important se traduisant par une fraction de charge élémentaire posi- de trouver un modèle mathématique permettant d’évaluer S (T, p ),
tive au niveau de l’atome d’hydrogène. Celui-ci peut alors établir la modélisation et la prédiction du polymorphisme s’opèrent en
des liaisons par pont hydrogène avec des atomes électronégatifs supposant les molécules au zéro absolu (absence de vibration des
comme l’oxygène et l’azote qui, eux, portent une charge négative molécules autour de leur point d’équilibre). Des logiciels sont
fractionnaire. Ce sont plus précisément les doublets libres qui subis- apparus sur le marché qui utilisent des champs de forces fondés
sent l’action attractive de la charge positive portée par l’atome sur l’utilisation de la mécanique moléculaire [67] [68]. Très généra-
d’hydrogène. Compte tenu de leur caractère p marqué (en termes lement, ces champs de force contiennent des termes décrivant
d’orbitale), on conçoit que la notion de directionnalité est prépondé- l’énergie de la molécule elle-même dans sa (ou ses)
rante. Les liaisons par pont hydrogène sont, par conséquent, diri- conformation(s) adoptée(s) dans la maille et, bien sûr, des termes
gées et vont jouer un rôle important dans l’émergence et la stabilité décrivant l’énergie d’interaction intermoléculaire à l’origine de
des formes cristallines par le maillage qu’elles introduisent. Ces l’existence de la structure cristalline.
l i a i s o n s c o rr e s p o n d e n t à d e s é n e r g i e s d e l ’ o r d r e d e 2 0 L’énergie potentielle totale E totale de la molécule au sein de la
à 30 kJ · mol–1 situées donc entre celles caractéristiques des liaisons structure cristalline est alors du type suivant [3] :
purement ioniques et celles correspondant aux liaisons de Van der
Waals. E totale = E s + E b + E tor + E vdw + E elec (7)
● Les forces de covalence correspondent à des liaisons homo- avec Es énergie de vibration des liaisons de la molécule entre
polaires se caractérisent par la mise en commun d’électrons des
couches externes. Elles sont par nature orientées et les énergies atomes voisins ,
mises en jeu sont de l’ordre de plusieurs centaines de kilojoules par Eb énergie de torsion angulaire dans le plan ,
mole. L’un des exemples les plus connus concerne les deux formes
Etor énergie de torsion autour d’une liaison
allotropiques du carbone, à savoir le diamant et le graphite où des
liaisons σ et π dans le deuxième cas sont mises en jeu. Nous ne
considérerons pas plus avant ce type de forces non présentes dans centrale ,
le polymorphisme cristallin des molécules organiques qui nous
occupent. Evdw énergie provenant des interactions de Van der Waals
Pour une étude plus approfondie, on pourra consulter les modélisées par des équations fondées sur les
références [1] [2] [3]. relations (2) (3) (4) (5) et (6),
Eelec énergie provenant des interactions électrostatiques
intra et intermoléculaire [équation type (1)].
1.2.2 Forces de répulsion
Un autre terme d’énergie rendant compte des liaisons hydro-
Comme nous l’avons dit au début de ce paragraphe, il faut intro- gène peut être également ajouté. L’énergie potentielle totale E est
duire des termes répulsifs dans l’énergie d’interaction intermolécu- fonction des positions intra et intermoléculaires des atomes i
laire afin d’expliquer l’existence des structures cristallines. Ces constituant les molécules repérées par des distances r i .

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À partir de là, on recherche des minimums locaux de l’énergie l’agitation des molécules par rapport à leur point d’équilibre ainsi
∂ E totale que l’accès de celles-ci à diverses situations conformationnelles.
potentielle définis par --------------------
- = 0 et qui vont permettre de Autrement dit si, à la température de 0 K, les molécules dans les
∂ ri
formes 1 et 2 sont considérées comme figées dans des états éner-
remonter à la structure et aux positions des molécules dans la gétiques uniques donnés, au fur et à mesure que la température T
maille. va augmenter, pour une pression donnée, les molécules vont dis-
Nous renvoyons le lecteur à la littérature [3] [4] [5], mais il faut tribuer leur énergie suivant des degrés de liberté (en termes
souligner que la modélisation doit faire appel à des spécialistes. d’espace et de vitesse) de plus en plus nombreux (soit w leur nom-
Par ailleurs, dès lors que les molécules présentent la possibilité de bre). D’après L. Boltzmann, chaque forme sera caractérisée par une
nombreuses conformations, les temps de calcul peuvent devenir entropie :
rédhibitoire. Enfin, dans le cas relativement fréquent où la molé-
cule se présente sous forme de sels du type A+ X – par exemple, S 1 (T ) = R lg w 1 

c’est plutôt la difficulté d’adapter les champs de force à la diversité  à p donnée (8)
des problèmes qui est le point délicat. Il n’existe pas en particulier S 2 (T ) = R lg w 2 
de champs de force susceptibles de prendre en compte les liaisons 
ioniques dans les molécules organiques. Par contre, si les structu-
res absolues obtenues par analyse sur monocristaux sont disponi- Ces mêmes entropies, exprimées dans le cadre de la thermo-
bles, on peut calculer les énergies Ui (0) au zéro absolu pour dynamique classique d’équilibre, deviennent :
chaque forme cristalline i, ce qui peut apporter d’utiles informa-
tions en complément de celles obtenues expérimentalement et s,1
T 
p ( )
dont il sera question au paragraphe suivant. S1 ( T ) =
0
 CTT 
----------------------- d T 

Notons enfin que cette méthode fondée sur la minimisation de
 à p donnée (9)
l’énergie potentielle réticulaire n’est pas toujours suffisante pour T s,2
C p (T ) 
prédire correctement les formes cristallines réellement obser-
vées [6]. La méthode peut générer en particulier un nombre impor-
S2 ( T ) =
0

----------------------- d T 
T 
tant de minimums locaux d’énergie produisant des structures 
hypothétiques peu réalistes. s,1 s,2
avec C p ( T ) et C p ( T ) capacités thermiques à pression cons-
L’effet de la température doit être bien sûr considéré dans sa
relation avec l’entropie des systèmes. Il faut également considérer tante des deux formes cristallines 1 et 2 (en J · mol–1 · K–1).
l’aspect croissance cristalline et la stabilité mécanique des parti- À ce stade, il est important de comprendre que, plus l’énergie
cules qui en découle. totale d’un système est distribuée à travers ses composants sui-
D’autres approches sont possibles comme celles fondées sur la vant un grand nombre de degrés de liberté en termes de direction
notion « d’ingénierie cristalline » utilisant la notion de synthons de mouvement dans l’espace à trois dimensions et de distribution
supramoléculaires [7] [8]. On part d’une structure connue (phase des vitesses, plus une partie importante de cette énergie totale ne
mère) et on essaie d’extraire un fragment périodique contenant, si sera plus utilisable pour être transformée en une autre de type
possible, une part importante de l’énergie réticulaire de la phase mécanique et chimique par exemple ; d’où le concept introduit par
mère. W. Gibbs d’enthalpie libre G d’un système à une température T
sous une pression p correspondant à cette partie d’énergie unique-
Partant de ce motif de base, on tente de trouver un ou plusieurs ment transformable et qui va caractériser directement la réactivité
empilements dans l’espace par adjonction de nouveaux éléments physico-chimique (autrement dit la stabilité) du système.
de symétrie (ou déplacement d’éléments de symétrie déjà existant
de la phase mère). Nota : à propos du potentiel thermodynamique G introduit par Gibbs, on trouve, dans
la littérature, également les termes enthalpie libre de Gibbs ou énergie libre de Gibbs ou
Comme dans la situation décrite plus haut, on procède alors à bien énergie utilisable. Nous pourrons indifféremment utiliser les trois expressions.
une minimisation de l’énergie des réseaux ainsi générés. Ces
réseaux virtuellement générés peuvent faire l’objet d’un calcul de La relation fondamentale entre G, H, S et T devient :
leurs spectres de diffraction de rayons X théoriques permettant G (T ) = H (T ) – T S (T ) pour une pression p (10)
une comparaison avec les formes cristallines expérimentalement
obtenues. traduisant le fait :
énergie utilisable = énergie totale – énergie « perdue » ou non
transformable.

1.3 Étude thermodynamique Si nous considérons les deux formes cristallines, nous aurons
alors les relations :
du polymorphisme
G1 ( T ) = H1 ( T ) – T S1 ( T ) 

Dans toute la suite de ce paragraphe, la lettre ᐉ fait référence  pour une pression p donnée (11)
G2 ( T ) = H2 ( T ) – T S2 ( T ) 
à l’état liquide (fondu) de la molécule et s à l’état solide (cristal- 
lin). Dans le cas de deux formes cristallines 1 et 2 par exemple,
s,1 s,2 L’énergie libre G des deux formes est, comme on le voit, fonction
C p et C p désignent les capacités thermiques à pression
de la température T et de la pression p. L’étude thermodynamique
constante des formes cristallines 1 et 2 (à ne pas confondre avec du polymorphisme va donc consister à trouver les domaines de
le symbole C représentant la concentration). Quand il n’y a pas température et de pression où :
d’ambiguïté, ces symboles sont placés en indice comme dans
H s,2 , enthalpie de la forme cristalline (solide) 2.
G 1 < G 2 ⇒ forme 1 plus stable thermodynamiquement 

G 2 > G 1 ⇒ forme 2 plus stable thermodynamiquement  (12)
Il faut maintenant considérer l’influence de la température. En 

élevant cette dernière, on va apporter à chacun des deux systèmes G 2 = G 1 ⇒ formes 1 et 2 en équilibre thermodynamique 
(forme 1, forme 2) de l’énergie qui va augmenter dans le cristal 

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AF3642

Cristallisation et polymorphisme
Applications
par Michel BAUER
Directeur du Département international d’analyse Sanofi-Synthélabo

1. Conséquences essentielles du polymorphisme dans le domaine


pharmaceutique........................................................................................ AF 3 642 – 2
1.1 Polymorphisme / cinétique de dissolution et biodisponibilité ................ — 2
1.2 Polymorphisme et profils de dissolution................................................... — 3
1.3 Polymorphisme et réactivité physico-chimique........................................ — 4
1.4 Polymorphisme et fabrication des formes galéniques............................. — 6
1.4.1 Influence des traitements sur la transformation des solides.......... — 6
1.4.2 Cas des traitements mécaniques ...................................................... — 6
1.5 Exemple concernant une nouvelle molécule en développement ........... — 7
1.6 Conséquences du faciès et des états d’agrégation................................... — 10
1.7 Cas des excipients ....................................................................................... — 11
2. Quelques aspects réglementaires concernant le domaine
pharmaceutique........................................................................................ — 13
2.1 Cas des génériques ..................................................................................... — 13
2.2 Polymorphisme et brevetabilité ................................................................. — 14
3. Autres domaines d’application ............................................................ — 14
3.1 Industrie alimentaire ................................................................................... — 14
3.1.1 Beurre de cacao .................................................................................. — 14
3.1.2 Margarine ............................................................................................ — 15
3.2 Pigments et colorants.................................................................................. — 15
3.3 Photographie................................................................................................ — 16
3.4 Canons à grêle ............................................................................................. — 16
4. Conclusions générales............................................................................ — 16
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. AF 3 642

et article est essentiellement consacré aux conséquences du polymor-


C phisme dans le domaine pharmaceutique. Comme cela a été expliqué dans
l’article précédent [AF 3 641], deux formes cristallines peuvent présenter suffi-
samment de différence d’enthalpie libre de Gibbs (à pression et température
données) pour que les différences de solubilité, de cinétique de dissolution et de
réactivité chimique aient des conséquences notables sur la biodisponibilité et la
stabilité de médicaments. Cela explique pourquoi les autorités de santé exigent
une étude approfondie de ce phénomène qui doit être présenté dans les dos-
siers d’enregistrement (y compris ceux des produits génériques). Des exemples
ainsi qu’une liste de références importantes sont fournis afin de permettre au
lecteur un approfondissement dans ce domaine. Une étude particulière concer-
nant l’influence du faciès cristallin et des états d’agglomération/agrégation est
aussi décrite. Enfin un bref examen des conséquences du polymorphisme dans
le domaine alimentaire et dans celui des colorants est proposé pour terminer.
Pour une étude complète sur le sujet, le lecteur est invité à consulter les deux fascicules
précédents :
[AF 3 640] Cristallisation et polymorphisme. Description du phénomène
[AF 3 641] Cristallisation et polymorphisme. Physico-chimie du polymorphisme
Parution : juillet 2004

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CRISTALLISATION ET POLYM ORPHISM E ____________________________________________________________________________________________________

1. Conséquences essentielles la paroi cellulaire intestinale. Par un processus de perméation, la


molécule active traversera le système cellulaire pour aboutir dans la
du polymorphisme dans le circulation sanguine où elle pourra rejoindre son(ses) site(s)
d’action (figure 1).
domaine pharmaceutique En simplifiant (en particulier en ne prenant pas en compte le
métabolisme possible), on peut dire que la concentration sanguine
finale C de la molécule est fonction de la cinétique de dissolution in
Les articles parus précédemment [AF 3 640] et [AF 3 641] ont déjà vivo (J) et de la vitesse de perméation (P) de la molécule à travers la
fait entrevoir les principales conséquences attendues dans le paroi intestinale.
domaine pharmaceutique.
Pour toute molécule active, on considère a priori trois situations
Elles concernent essentiellement : (figure 1) en termes de profil pharmacocinétique :
— la cinétique de dissolution et, éventuellement, la — la concentration C peut, à un moment donné, dépasser la
biodisponibilité ; concentration toxique ;
— la fabricabilité du principe actif et du produit fini ;
— la concentration maximale n’atteint pas la limite à franchir
— la stabilité de ces deux derniers.
pour présenter une activité ;
Ces domaines ayant déjà été plus ou moins développés, nous — la concentration se situe bien entre les seuils de toxicité et
nous contenterons donc ici d’aborder brièvement certains aspects. d’activité.
Dans un nombre de cas non négligeables, C est limitée par la
perméation P. Par contre, si C est limitée par la cinétique de disso-
1.1 Polymorphisme / cinétique lution, on peut concevoir [cf. article [AF 3 641], équations (22) et
(34)] que le polymorphisme puisse avoir une conséquence sur la
de dissolution et biodisponibilité biodisponibilité.
En fait, il faut reconnaître que, sauf dans certains cas, les différen-
La plupart des médicaments sont encore prescrits par voie orale ces d’énergie libre G entre les différents polymorphes ou pseudo-
(comprimés, gélules, suspensions, solutions buvables). La forme polymorphes d’une même molécule, de l’ordre de quelques
galénique une fois arrivée dans l’estomac va subir un processus de kilojoules, correspondent à des différences de solubilité ou de vites-
délitement / désintégration libérant progressivement le principe ses intrinsèques de dissolution suffisamment peu importantes pour
actif tout au long du tractus gastro-intestinal. Celui-ci passera que cela permette de mettre en évidence des différences significa-
ensuite en solution à l’état moléculaire. Il pourra alors diffuser vers tives de biodisponibilité.

1 Prise du 2 Dissolution
médicament
sous forme orale
(comprimés,
gélules) 3 Absorption
Passage dans
la circulation
sanguine
Concentrations plasmatiques (µg · mL–1)

Cp en molécules 10
au niveau de
la paroi A
8
Concentration
toxique
6
Parois intestinales
Cinétique Circulation 4 B
de dissolution sanguine
in vivo (J ) Concentration
Perméabilité P 2 minimale efficace
Molécules dissoutes C
Formulation solide 0
0 2 4 6 8 10 12
Cp concentration en molécules dissoutes de PA au niveau de la paroi intestinale Temps (h)

Figure 1 – Schéma très simplifié du processus de libération d’un principe actif PA absorbé par voie orale et de son passage dans la circulation
sanguine ; courbes des taux sanguins correspondants

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AF 3 642 − 2 © Techniques de l’Ingénieur

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____________________________________________________________________________________________________ CRISTALLISATION ET POLYM ORPHISM E

Par ailleurs, il faut rappeler que la démonstration d’une bioéqui-


valence entre formes cristallines n’est pas toujours aisée, liée à : L’étude de la recristallisation d’une molécule à partir d’une
phase amorphe et la façon de la prévenir fait l’objet maintenant
— la variabilité intra/intersujets ; de nombreuses recherches en vue d’un usage pharmaceutique.
— au problème du métabolisme quand il existe ; Dans le cas où celle-ci présente une faible solubilité aqueuse
— aux effets de gommage dus à la forme galénique ; et donc une cinétique de dissolution lente, on peut tirer profit
des propriétés des états amorphes pour améliorer la cinétique
— au fait que, in vivo comme in vitro, les formes cristallines anhy-
de dissolution (sauf cas exceptionnels vide supra) et, si cette
dres peuvent se transformer en hydrates plus ou moins solubles
dernière en est l’étape limitante, l’absorption. Une quantité
suivant des cinétiques plus ou moins contrôlées pouvant dépendre
importante de publications est consacrée à ce sujet [10] [71].
également de la formulation.
Nous citerons le cas de la novobiocine [11] et de l’azlocilline [12]
Nota : l’effet de gommage d’une formulation signifie que, à travers la composition en comme exemples de médicaments voyant leur biodisponibilité
excipients ou par le processus de fabrication, on peut modifier certaines caractéristiques
physico-chimiques intrinsèques du PA. Voir le cas de l’ampicilline ci-dessous.
ou leur activité significativement augmentée quand ces molé-
cules sont préparées sous forme de phases amorphes.
Cela dit, dans le cas du développement d’un médicament géné- La grande difficulté dans le développement de ces formes
rique, s’il est avéré que la cinétique de dissolution est un facteur tient au fait que, par leur grande réactivité, elles sont suscepti-
limitant, il faudra effectuer réglementairement une étude de bio- bles de dégradation chimique et peuvent par ailleurs recristalli-
équivalence quand elle est possible et justifiée, bien sûr. Dans les ser au cours du temps, en particulier en présence d’eau.
références citées dans les articles [AF 3 640] et [AF 3 641], le lecteur
pourra trouver des études de polymorphisme / biodisponibilité.

Exemple : citons les cas de l’ampicilline [1] [2] traitée ci-dessous, 1.2 Polymorphisme et profils
de la carbamazépine [3] [4], du pentabarbital [5], du chloramphénicol
[6], de l’érythromycine [7] [8] [9] (2e exemple présenté). de dissolution
Afin de souligner la complexité de la relation polymorphisme / disso-
lution / biodisponibilité, il est important de faire un certain nombre de
remarques dans le cas des molécules que l’on vient de citer. Même s’il n’y a pas de conséquence en termes de biodispo-
• Pour l’ampicilline susceptible de se présenter sous forme anhy- nibilité, il est important, ne serait-ce que pour des considérations de
dre ou de trihydrate, des conclusions contradictoires ont pu être tirées contrôle de qualité, d’illustrer succinctement les différents profils de
en termes de biodisponibilité. S’il a été montré que la forme anhydre dissolution susceptibles d’être rencontrés tant au niveau du principe
présente une dissolution plus rapide que le trihydrate, ce qui est un actif que du produit fini dans le cas de l’existence d’un polymor-
comportement assez classique (cf. article [AF 3 641], § 2) avec une phisme pour une molécule donnée. La cinétique de dissolution
meilleure biodisponibilité [1], d’autres études [2] ont pu conclure dépend, bien sûr, de la forme cristalline considérée (caractérisée par
l’inverse. En fait, on peut penser que, dans les formulations utilisées son enthalpie libre de Gibbs G), mais également de l’habitus, de
concluant à la bioéquivalence des deux formes, la composition et le l’état d’agglomération, de la distribution granulométrique, de la sur-
procédé d’obtention ont pu gommer les différences entre les formes face spécifique et de la réactivité surfacique. Pour accéder à la
anhydres et trihydratées en ayant, par exemple, favorisé la transforma- vitesse de dissolution intrinsèque J, on opère à partir d’une pastille
tion anhydre ⇒ trihydrate au cours de la fabrication de la forme galé- circulaire obtenue en comprimant le produit à étudier (vérifier que la
nique. pression n’a pas induit de transformation polymorphique). Les
effets de granulométrie, d’agglomération et de surface spécifique
• Pour l’érythromycine base, il a été montré qu’elle peut exister présenté au solvant sont ainsi éliminés. Si l’on se place dans des
sous diverses formes cristallines incluant une forme anhydre, une conditions où la concentration C(t) en solution à un instant donné t
forme dihydrate et une forme amorphe. Les études menées chez le est faible devant la concentration à saturation Cm à la température T
volontaire sain ont montré que les formes anhydre et dihydrate étaient et dans le solvant considéré, on constate très souvent que la
absorbées plus rapidement [7] [8] [9] que la forme amorphe et que vitesse :
celle présente dans la formulation commerciale (mélange de formes
anhydre et amorphe).
Bien que cette situation soit sans doute rare, on peut penser que la dC(t)
J = --------------- (pour t donné)
forme amorphe est moins mouillable et/ou se présente sous formes dt
d’agglomérats plus ou moins solubles, conduisant à une diminution de
la surface accessible au solvant (cf. § 1.6 le cas du furosémide). est constante.
Exemple : nous présentons, figure 2, le cas du sulindac [13]. On
En conclusion, il faudra toujours, dans le cas d’un polymorphisme note que, comme cela est très généralement le cas, la vitesse intrinsè-
avéré, effectuer une caractérisation complète des propriétés physico- que de dissolution J est plus grande pour les formes solvates organi-
chimiques des différentes formes, en particulier de leur solubilité et de ques que pour la ou les formes cristallines non solvatées, ce qui
leur cinétique intrinsèque de dissolution. Cependant, il est éventuellement peut être mis à profit pour améliorer la biodisponibilité.
aujourd’hui difficilement possible de prédire les conséquences du L’explication habituellement fournie [14] est que la variation d’énergie
polymorphisme sur la biodisponibilité, tant d’autres facteurs au libre de Gibbs de mélange ∆Gm est généralement négative (exother-
moins aussi importants peuvent intervenir dans ce domaine (méta- mie) dans le cas d’un solvant organique libéré durant la dissolution en
bolisme, variabilité intra-intersujet, formulation galénique, états milieu aqueux et contribue donc à l’augmentation de la cinétique de
d’agglomération, transformation solide/solide in vivo et in vitro, etc.). dissolution.
On remarque, dans le cas cité, la quasi-identité des vitesses de deux
Remarque sur l’utilisation des phases amorphes solvates qui amène à les considérer comme des formes solvatées
isoénergétiques (le concept de polymorphes isoénergétiques fait réfé-
Pour terminer ce paragraphe, nous allons aborder le cas des rence à la quasi-identité des solubilités sur une plage importante de
phases amorphes. Ces phases, caractérisées par une absence température et donc à un ∆G ≠ 0).
d’organisation à grande distance, présentent, comme nous
l’avons dit, une énergie libre de Gibbs G plus élevée que celle La figure 3 présente les courbes de la vitesse J obtenue pour les
d’une phase cristalline, même métastable, d’une molécule formes 1 (hémihydrate) et 2 (anhydre) de la molécule présentée
donnée. dans l’article [AF 3 641], § 2.5, figures 25, 26, 27, 28, 29.

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AF3642

CRISTALLISATION ET POLYM ORPHISM E


Quantité dissoute (mg/mL) ____________________________________________________________________________________________________

C (t )
25
2
20

1
15

10 t

a cas d'une dimorphie


5
C (t ) 3
0
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90
Temps (min) 2

forme anhydre
solvate chloroforme 1

solvate acétone
t
Figure 2 – Vitesse intrinsèque de dissolution du sulindac b cas d'une trimorphie
(d’après [13])

Figure 4 – Profils de dissolution dans le cas de polymorphie


Quantité dissoute (mg/mL)

T = 37 °C les différences de cinétique de dissolution purement liées au poly-


6 morphisme (en particulier si la différence ∆G entre les deux formes
Anhydre est inférieure à quelques kilojoules).
5
4 Hemihydrate Pour simplifier, nous avons représenté figure 4 les différentes
3 situations possibles.
2 Dans le cas de la figure 4 a, la forme 2 métastable (qui peut cor-
1 respondre également au cas d’une phase amorphe) nuclée sponta-
0 nément en forme stable 1 au bout d’un certain temps (ou bien après
0 10 20 30 40 50 ensemencement (in)volontaire par la forme 1). On pourra se référer
Temps (min) au cas de l’acide iopanoïque [7] ou du sulfabenzamide [15].
Dans le cas de la figure 4 b, où trois formes sont possibles, la
courbe 3 correspond à la nucléation de la forme la plus instable (qui
Figure 3 – Vitesse intrinsèque de dissolution pour les formes 1 et 2 peut être la phase amorphe) conduisant à la forme la plus stable 1.
de la molécule décrite dans l’article [AF 3 641] La courbe 2 correspond au cas où la forme métastable 2 (seule ou
dans sa formulation) se solubilise dans le milieu de dissolution sans
que le processus de nucléation de la forme 1 se déclenche. On voit
Confirmant la théorie générale (mais qui souffre bien sûr d’excep- combien il faudra être prudent dans le cadre du développement
tions), la forme anhydre se dissout plus rapidement que pharmaceutique d’une nouvelle entité chimique (NEC) avant la mise
l’hémihydrate. Les profils peuvent devenir plus compliqués si des en place des tests de dissolution avec, dans le cadre du contrôle de
transformations solide/solide ont lieu pendant la manipulation qualité, des normes à l’appui.
(cf. article [AF 3 641], figure 29). Rappelons enfin la nécessité de faire preuve d’esprit critique dans
Exemple : un cas intéressant est celui du sulfathiazole pouvant l’examen des données de la littérature, en particulier dans le cas où
exister sous trois formes cristallines distinctes I, II, III. Les deux pre- les molécules peuvent former divers hydrates (ce qui est assez fré-
mières, métastables, se transforment rapidement dans l’eau à 37 ˚C en quent). La température à laquelle est effectuée la manipulation ainsi
forme stable I donnant in fine des profils identiques à celui de la forme que la présence de surfactant dans le milieu de dissolution peuvent
I [15]. modifier considérablement les vitesses des formes les unes par rap-
port aux autres [7].
Si, maintenant, on étudie les profils obtenus à partir des différen-
tes formes (y incluant la forme amorphe) d’un même principe actif
étudié seul ou dans sa formulation galénique suivant les méthodes
classiques de dissolution décrites dans la Pharmacopée européenne
1.3 Polymorphisme et réactivité physico-
par exemple (méthode avec palette ou panier tournant), ceux-ci chimique
pourront être différents suivant les cas.

Soulignons de nouveau que, pour les molécules peu hydrosolu- Il est important de se rappeler que les molécules à l’état solide
bles, la distribution granulométrique et les états d’agglomération présentent toujours une certaine réactivité physico-chimique, bien
pourront jouer un rôle très important pouvant aller jusqu’à obscurcir sûr plus faible en général qu’à l’état liquide ou gazeux, encore que,

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AF3680

Surface des solides


Physisorption – Chimisorption – Ségrégation
par Didier ROUXEL
Maı̂tre de Conférence au laboratoire de Physique des Milieux ionisés et Applications
(LPMIA) – UMR 7040, Université Henri Poincaré Nancy I

et Bernard WEBER
Directeur de Recherche au CNRS, LPMIA – UMR 7040, Université Henri Poincaré Nancy I

L’ancienne édition de l’article a été rédigée

par Bernard WEBER


Jean-Jacques EHRHARDT
Directeur de Recherche au CNRS (Laboratoire Maurice Letort)

et André THOMY
Directeur de Recherche au CNRS (Laboratoire commun CNRS Saint-Gobain, Unité Mixte 37)

1. Présentation générale des phénomènes .................................... AF 3 680 – 2


2. Structures superficielles ............................................................... — 4
2.1 Cristallographie 2D ............................................................................. — 4
2.2 Structure des couches adsorbées ou ségrégées ............................... — 4
2.3 Quelques résultats sur la structure des surfaces et des couches
adsorbées ........................................................................................... — 6
3. Thermodynamique des surfaces .................................................. — 6
3.1 Fonctions thermodynamiques et relations générales ....................... — 6
3.2 Grandeurs d’excès pour les surfaces planes..................................... — 7
3.3 Équations fondamentales des systèmes limités par une surface
plane ................................................................................................... — 8
3.4 Variations de l’énergie superficielle................................................... — 9
4. Modèles d’adsorption et de ségrégation.................................... — 10
4.1 Ségrégation et adsorption en couche monoatomique. Systèmes
binaires dilués .................................................................................... — 10
4.2 Ségrégation et adsorption dans les systèmes concentrés................ — 12
5. Transitions de phase bidimensionnelle ...................................... — 13
5.1 Définitions .......................................................................................... — 13
5.2 Conditions........................................................................................... — 13
5.3 Thermodynamique des phases 2D .................................................... — 14
5.4 Transitions 2D gaz-liquide-solide. Points triples et critiques 2D ...... — 14
5.5 Transitions entre une phase commensurable et une phase
Parution : juillet 2009 - Dernière validation : février 2015

incommensurable. Transitions C-I ..................................................... — 15


5.6 Polymorphisme bidimensionnel ........................................................ — 15
5.7 Effet des imperfections du substrat................................................... — 15
6. Passage de l’état bidimensionnel à l’état tridimensionnel.
Mouillage .......................................................................................... — 16
6.1 Mouillage complet. Mouillage incomplet.......................................... — 16
6.2 Variation du nombre de couches adsorbées en fonction
de la température. Transition de mouillage ...................................... — 16
7. Cinétique d’adsorption et de désorption ................................... — 17
7.1 Vitesse d’adsorption. Rendement de choc. Quantité adsorbée ........ — 17
7.2 Adsorption directe. Adsorption avec état précurseur ....................... — 17
7.3 Vitesse de désorption. Désorption thermique programmée ............ — 18
8. Conclusion........................................................................................ — 19
Pour en savoir plus.................................................................................. Doc. AF 3 680

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SURFACE DES SOLIDES –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

e domaine des surfaces revêt une importance particulière car tout corps,
L liquide ou solide, interagit avec le milieu ambiant à travers la surface qui
le délimite. Or, les atomes se trouvant à la surface d’un solide ou d’un liquide
présentent une coordinence moins importante que ceux situés au cœur de ce
système. On conçoit donc que ces atomes confèrent à la surface des propriétés
tout à fait spécifiques. Ainsi, l’énergie nécessaire pour augmenter la surface
d’un solide est toujours positive, ce qui a pour conséquences, entre autres,
que les systèmes condensés ont tendance, pour minimiser cette énergie de
surface :
– à diminuer l’étendue de cette surface ;
– à réagir avec les molécules de l’atmosphère ambiante pour former une cou-
che dite d’adsorption ;
– à faire ségréger en surface l’élément du solide qui a la plus faible énergie
superficielle ;
– ou à conduire à des relaxations superficielles (modification des distances
entre les plans cristallins), voire donner lieu à de profondes reconstructions
superficielles.
Ces propriétés particulières donnent aux systèmes dispersés (présentant une
grande surface spécifique) un rôle important dans des domaines très divers de
la physique, de la chimie, mais aussi de la géologie et de la biologie. Certaines
réactions chimiques, thermodynamiquement possibles, sont accélérées, ou
sont favorisées quand elles sont en compétition avec d’autres réactions possi-
bles, grâce à la surface de certains solides. Ce phénomène, la catalyse hétéro-
gène, revêt une importance cruciale, par exemple en pétroléochimie. Des
remarques analogues pourraient être faites dans les domaines de la métallur-
gie, de la corrosion, de l’adhésion et de la rupture des solides, de la lubrifica-
tion, de la tribologie, de la croissance cristalline, de l’électronique, des micro-
systèmes, etc. À la limite, dans les nanosystèmes, quand le nombre d’atomes
« de surface » devient équivalent, voire supérieur, au nombre d’atomes « de
volume », la notion même de surface, comme délimitant un corps ou une
phase, perd de son sens et la physique elle-même peut changer de nature.
Le présent article traite plus particulièrement de l’adsorption et de la ségréga-
tion. Pour un panorama général de ces phénomènes et de leurs applications, on
pourra consulter les ouvrages cités au § 1.

la même époque l’informatique a permis les premières études


1. Présentation générale théoriques. En effet, la perte de la symétrie tridimensionnelle du
des phénomènes cristal avait empêché leur développement analytique, comme ce
fut le cas pour la physique du solide dès les années 1930.
Actuellement nous avons affaire à un secteur qui s’est considéra-
blement développé en 30 ans, comme l’atteste l’ouvrage édité par
L’importance de ces phénomènes superficiels a été comprise très
C. B. Duke : « Surface Science, the first thirty years » [1] qui pré-
tôt. Ainsi, J. W. Gibbs a développé la thermodynamique des surfa-
sente un grand nombre d’articles de revue. Ce secteur rassemble
ces à la fin du 19e siècle. De même, un grand nombre de travaux de
des scientifiques d’horizons très divers (des métallurgistes, des
I. Langmuir, dans le domaine de l’adsorption et de la cinétique chi-
mique hétérogène, n’ont pas perdu de leur actualité, bien qu’ils physico-chimistes, des physiciens du solide, des électroniciens,
datent du début du 20e siècle. Cependant, malgré quelques excep- des électrochimistes, des tribologues, des corrosionistes, des biolo-
tions importantes, les études expérimentales sur des surfaces bien gistes, etc.) et trouve des applications dans ces différents domai-
contrôlées furent presque inexistantes avant les années 1970. Au nes, comme en fait foi, par exemple, l’ouvrage « Frontiers in Sur-
cours de cette décennie, et surtout de la suivante, ces recherches face and Interface Science » [2].
ont pu commencer dans de bonnes conditions grâce au développe-
ment de l’ultravide, favorisé par la recherche spatiale. Des pres- Pour en approfondir les détails et les applications, consulter
sions inférieures à 10-8 Pa sont en effet nécessaires pour éviter la aussi les ouvrages suivants : [3], [4], [5], [6] et [7], dont certains
contamination des surfaces, la réactivité de ces dernières étant traitent également d’aspects théoriques, de techniques expéri-
généralement très forte (analogue à celle de radicaux libres). À la mentales d’investigation des surfaces, de croissance cristalline
suite de cela, la mise au point de techniques spécifiques a permis et d’ingénierie des surfaces présentés dans d’autres articles de
d’étudier la structure (diffraction d’électrons lents) et la composi- ce traité.
tion superficielle (spectrométrie d’électrons Auger, 1967). Enfin, à

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–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– SURFACE DES SOLIDES

& Les surfaces réelles sont généralement très complexes : plans


cristallins différents, joints et défauts divers, marches monoatomi-
E(r ) ques ou polyatomiques, crans le long de ces marches, adatomes,
E des adlacunes, atomes étrangers, etc. Les propriétés d’un atome varie-
ront selon sa position sur cette surface. Sans ignorer l’importance
E gaz de ces défauts, ce que nous présenterons dans la suite de l’article
concernera cependant des surfaces homogènes (faces monocristal-
E dis Ep lines) ou à imperfections contrôlées. Sur ces surfaces, on décrira
E s’
les phénomènes d’adsorption et de ségrégation, qui sont analo-
gues : il s’agit de l’enrichissement superficiel en un ou plusieurs
éléments par rapport à la phase solide (ségrégation) ou à la phase
Es
gazeuse (adsorption) pour minimiser l’énergie interfaciale. Les
deux processus seront donc souvent présentés simultanément.

& L’adsorption d’un gaz sur une surface peut se traduire par la for-
mation de liaisons chimiques fortes (énergies supérieures à quelques
dizaines de kilojoules par mole). Il s’agit alors de chimisorption et,
E ads
dans ce cas, il y a saturation pour des quantités de l’ordre d’une cou-
che monoatomique. Pour des énergies de liaison plus faibles (physi-
solide surface gaz
sorption), il se forme généralement plusieurs couches d’adsorption.
r
& Le terme de ségrégation, qui s’applique aux hétérogénéités de
composition, est utilisé par les métallurgistes. On distingue la
a cas d’une interface solide-gaz
ségrégation majeure, au niveau du lingot, et la ségrégation
mineure, au niveau du grain. Il s’agit dans ces deux cas de ségré-
gations hors équilibre dues aux vitesses de diffusion finies qui ne
E(r) permettent pas l’homogénéisation complète lors de la solidifica-
tion. Elles peuvent s’étendre sur des épaisseurs très importantes
(celles du lingot ou du grain).
La ségrégation superficielle à l’équilibre qui nous occupe ici a été
E dis mise en évidence plus tardivement. Elle trouve son origine dans
E s’
l’énergie superficielle qu’elle tend à minimiser ; elle subsiste à
l’équilibre et s’étend rarement sur plus de trois ou quatre couches
monoatomiques (1 nm environ).
Es

& L’énergie potentielle d’interaction E (r) entre un solide et un


atome en phase gazeuse, en phase adsorbée ou ségrégée et en
phase dissoute, est représentée sur la figure 1a en fonction de la
distance r à la surface. Cette figure met en évidence le minimum
d’énergie Eads dans l’état adsorbé, avec éventuellement des
minima intermédiaires (états précurseurs) d’énergie Ep, les éner-
gies d’activation (barrières) de désorption Edes – Eads, d’activation
solide I surface solide II
de dissolution Edis – Eads, d’activation d’adsorption Edes – Egaz (sou-
r vent négligeable) et d’activation de diffusion dans le solide Es’ – Es,
les énergies d’adsorption Eads – Egaz, de ségrégation Eads – Es, de
dissolution Es – Egaz.
b cas d’une interface solide I - solide II
 La figure 1b représente le cas d’une interface solide-solide.
Selon les valeurs relatives de Edis, de Edes et de la température, on
Figure 1 – Énergie potentielle d’interaction entre un solide pourra avoir :
et un atome en fonction de la distance r à la surface
– confinement dans le réservoir surface (adsorption irréversible à
& Les interfaces que l’on peut rencontrer sont extrêmement diver- basse température ou ségrégation si la barrière de diffusion peut
être franchie) ;
ses : solide-solide (joints de grains, de phases, fautes d’empilement,
plans de macle, surfaces de précipités, interfaces métal-oxyde, fibre- – échange (mise à l’équilibre) solide-surface (à température plus
matrice, etc.), solide-liquide (électrode-électrolyte, solide en équili- élevée si Edis < Edes) ;
bre avec son liquide, interfaces dans les suspensions, les sols, – échange gaz-surface (si Edis > Edes) ;
etc.), liquide-liquide (émulsions), liquide-gaz (mousses), solide-gaz – échange complet (équilibre) gaz-surface-solide à température
(solide avec sa vapeur saturante, équilibre d’adsorption, fumées, encore plus haute.
etc.) ; au niveau de ces interfaces, la composition est différente de
celle du volume (y compris à l’équilibre). Une telle différence se ren-  Dans la suite, on pourra trouver l’un ou l’autre de ces cas selon
contre également avec d’autres défauts (dislocations, défauts ponc- les circonstances, par exemple, équilibre purement superficiel
tuels, etc.) toujours pour minimiser leur énergie. Les concepts utili- (structure en fonction de la température et de la quantité adsorbée)
sés pour étudier ces défauts peuvent être identiques, mais dans la si la température est uniquement suffisante pour vaincre la barrière
suite nous nous limiterons essentiellement aux joints de grains et de diffusion superficielle, à l’exclusion des barrières de désorption
aux interfaces solide-gaz (surfaces libres ou externes). Dans cet arti- et de dissolution, ou équilibre phase adsorbée-phase gazeuse en
cle, nous utiliserons donc indifféremment les termes surfaces ou physisorption. Il n’a pas été possible de considérer tous les cas
interfaces et les exemples présentés seront le plus souvent relatifs dans le cadre de cet article, c’est ainsi que l’on traitera la cinétique
aux solides métalliques qui ont été très étudiés expérimentalement. d’adsorption, mais pas celle de ségrégation. Les points abordés,

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SURFACE DES SOLIDES –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

concernant les aspects structuraux, thermodynamiques et cinéti- Il vient immédiatement que a1 et a2* ainsi que a2 et a1* sont
ques, seront donc illustrés : orthogonaux. On démontre également que les aires des mailles
– par des exemples étudiés avec suffisamment de détails pour élémentaires dans l’espace direct et dans l’espace réciproque sont
avoir des résultats sûrs et précis (physisorption sur les solides inverses l’une de l’autre. Comme dans un réseau purement 2D le
lamellaires pour les changements de phase bidimensionnels) ; vecteur a3 dans la troisième direction est nul, il vient que le vecteur
– par des exemples d’intérêt didactique (cinétique d’adsorption) a3* tend vers l’infini. En conséquence, le réseau réciproque d’un
ou pratique (ségrégation aux joints de grains), mais qui n’ont pas réseau 2D est constitué par un système de tiges perpendiculaires
toujours atteint le même stade de précision que les précédents. au réseau direct 2D et passant par les nœuds du réseau construit
grâce aux vecteurs a1* et a2*. (Notons que dans une autre conven-
Il convient en effet de se souvenir que les systèmes où l’équi- tion, le réseau réciproque 2D peut être défini, de façon analogue au
libre complet (gaz-surface-volume) a été étudié, en prenant en réseau 3D, par les relations a1. a1* = a2 . a2* = 2p. Dans ce cas le
compte toutes les relaxations superficielles du réseau, sont produit des aires des mailles élémentaires dans l’espace direct et
peu nombreux. dans l’espace réciproque est égal à 2p).
Le cas de la physisorption est à cet égard intéressant, car il n’y
a pas de dissolution et le substrat se comporte comme un Enfin, on peut montrer que le diagramme de diffraction
réservoir à peu près inerte en ce sens que l’adsorption n’y observé en DEL est une image du réseau réciproque associé à
introduit que des perturbations négligeables et au demeurant la structure de la surface, les directions de diffraction pouvant
réversibles. être prévues par la construction d’Ewald. Pour cet aspect, le
lecteur pourra se reporter aux articles [29] et [30].

2.2 Structure des couches adsorbées


2. Structures superficielles ou ségrégées
2.2.1 Origine de l’ordre
L’arrangement périodique bidimensionnel (2D) des atomes,
molécules ou ions en surface d’un matériau peut a priori être étu- La structure des couches formées par adsorption ou ségrégation
dié par des techniques de diffraction utilisant comme particules dif- d’atomes ou de molécules sur une surface présente souvent un
fractantes des électrons, des atomes d’hélium, des photons X, des ordre, dont l’origine peut être comprise en considérant les différen-
neutrons, etc. mais la méthode la plus couramment utilisée est la tes forces d’interaction auxquelles sont soumises les espèces
diffraction d’électrons lents (DEL ou LEED en anglais) qui permet adsorbées. En dehors des forces d’adsorption, dont les composan-
de déterminer relativement facilement le réseau de surface pour tes perpendiculaires déterminent directement la liaison avec la sur-
des faces monocristallines simples (faibles indices de Miller), voire face et dont les composantes parallèles permettent, selon leur
vicinales (indices de Miller élevés), l’obtention du motif lui-même intensité, de franchir ou non la barrière de potentiel séparant deux
nécessitant une étude quantitative nettement plus complexe. sites voisins (diffusion superficielle), il faut considérer les forces
d’interaction entre atomes ou molécules adsorbés appelées inter-
Pour connaı̂tre la morphologie à l’échelle atomique et étudier les
actions latérales. Ces interactions peuvent être attractives ou répul-
reconstructions de surface, nous disposons depuis le milieu des
sives, elles peuvent être indépendantes du substrat ou se faire par
années 1980 [8] de toute une panoplie de microscopies à champ
l’intermédiaire du substrat.
proche (microscopie à effet tunnel, microscopie à force ato-
mique…). D’une manière générale, la présentation des techniques Excepté dans le cas de la répulsion à courte distance, qui empê-
et des méthodes de préparation des surfaces sortent du cadre de che les molécules de s’interpénétrer, les interactions latérales sont
cet article. On pourra les étudier dans des ouvrages géné- généralement faibles comparées aux interactions adsorbat-substrat
raux [3], [4], [5], [7] ou plus spécifiques [9] à [14]. dans le cas de la chimisorption (liaison covalente ou ionique), mais
Nota : le lecteur pourra également se reporter aux articles des Techniques de l’Ingé- peuvent être du même ordre de grandeur dans le cas de la physi-
nieur suivants : [29], [30], [31] et [32]. sorption (liaison de type Van der Waals).

2.1 Cristallographie 2D Ainsi, lorsque les interactions adsorbat-substrat sont domi-


nantes, on aura une adsorption en sites, il s’agit alors d’une
La cristallographie 2D se déduit directement de la cristallogra- adsorption commensurable et la géométrie de la couche adsor-
phie 3D en considérant que la longueur de l’un des axes est nulle. bée est directement liée à la géométrie du substrat.
On peut en mentionner ici les caractéristiques essentielles : Mais, dans certains cas, quand ce sont les interactions adsor-
– le premier plan cristallin en surface d’un matériau fait partie, en bat-adsorbat qui dominent, l’adsorbat peut choisir son propre
l’absence de reconstruction de surface, d’une famille de plans réti- réseau indépendamment du substrat (adsorption incommensu-
culaires du cristal et l’on utilisera les indices de Miller pour leur rable). Dans ces conditions, la couche aura alors une structure
notation ; compacte souvent hexagonale.
– du fait de la réduction du nombre d’éléments de symétrie, les
14 modes de réseau de Bravais sont réduits à 5 dans l’espace 2D.
2.2.2 Notations utilisées
Ce sont les réseaux carré, rectangle primitif, rectangle centré, hexa-
gonal et oblique ; La notation de Wood et la notation matricielle sont utilisées pour
– la résolution des équations de Laue pour la diffraction conduit à rendre compte de la structure des couches adsorbées. Soit a1 et a2
l’introduction d’un réseau réciproque 2D qui peut être défini de la (a1 < a2) les vecteurs de la maille élémentaire du substrat. Si les
manière suivante [9] : vecteurs de la maille de l’adsorbat b1 et b2 sont des multiples des
vecteurs du substrat et que leurs directions sont désorientées du
a 1 a 1 = a 2 a 2 = 1
même angle a par rapport aux vecteurs a1 et a2, les surstructures
seront notées en notation de Wood de la manière suivante, R sym-
a 2 a 1 = a 2 a 1 = 0 bolisant la rotation :
où a1, a2 et, a1*, a2* sont les vecteurs permettant de décrire les 
b1 b2
 
b1 b2

mailles élémentaires respectivement du réseau direct et du réseau Ra ou a
a1 a2 a1 a2
réciproque.

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92
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AF3680

–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– SURFACE DES SOLIDES

ou encore, si a = 0, c’est-à-dire si a1//b1 et a2//b2 : D’après les définitions du réseau réciproque, on relie a1 et a2 à
  a1* et a2* et on a les conditions suivantes :
b1 b2
p si la maille est primitive 1
a1 a2 a 1 est perpendiculaire à a 2 et ja 1 j =
ja 1 j
 
b1 b2
c s¢il s¢agit d¢ une maille centrée pffiffiffi
a1 a2 2
a 2 est perpendiculaire à a 1 et ja 2 j =
On trouvera sur la figure 2 quelques exemples fréquemment ja 1 j
rencontrés.
Puis, on détermine b1 et b2 en calculant les coefficients de la
L’avantage de la notation de Wood est sa simplicité. Malheureu-
matrice transposée inverse de M* :
sement, cette notation ne permet pas de représenter toutes les
surstructures, en particulier si l’angle entre a1 et a2 n’est pas b 1 = m11 a 1 + m12 a 2
conservé entre b1 et b2, ou si la structure du substrat n’a pas de
périodicité commune avec l’adsorbat. C’est la raison pour laquelle, b 2 = m21 a 1 + m22 a 2
dans les cas complexes, la notation matricielle a été introduite :
avec :
      
b1 a 11 a 12 a1 a1
= =A
b2 a 21 a 22 a2 a2 m22
m11 = =2
On notera la surstructure par la matrice A et l’on trouvera pour det M 
les exemples de la figure 2 la double notation.
m21
m12 = - = -1
2.2.3 Analyse d’un diagramme DEL simple det M 
Du point de vue de l’expérimentateur, la détermination de la
structure des phases adsorbées se fait encore souvent par DEL en m12
m21 = - =2
comparant le diagramme de diffraction obtenu quand une couche a det M 
été adsorbée sur la surface à celui de la surface nue. On se propose
de traiter ici l’exemple d’une surstructure sur la face (110) d’un cris- m11
tal c.f.c. (cubique faces centrées). Les diagrammes DEL observés m22 = =1
det M 
sont schématisés sur la figure 3a. Les vecteurs de base associés
au réseau réciproque de la surstructure b1* et b2* peuvent être Soit, dans l’exemple de la figure 3 :
liés aux vecteurs de la maille du réseau réciproque du substrat a1*
et a2* : b 1 = 2a 1 - a 2 et b 2 = 2a 1 + a 2

b 1 = 1 a 1 - 1 a 2 >
9
   On en déduit alors la surstructure de la couche adsorbée dans le
1=4 - 1=2 a 1
   
b1  a1
=
4 2 d0 où réseau direct (figure 3b), qui peut être notée :
 =  = M
1 1 b2 1=4 + 1=2 a 2 a 2
b 2 = a 1 + a 2 > ;
– soit c (4 ¥ 2) dans la notation de Wood ;
4 2  
2 1
– soit dans la notation matricielle.
2 1

Il faut souligner que, sur la figure 3b, l’origine du réseau de


l’adsorbat a été choisie arbitrairement en position de col. En
réalité, seule une analyse de l’intensité des taches en fonction
de la longueur d’onde du rayonnement incident permettrait de
préciser la nature du site d’adsorption.

2 0 1 1 a2
a p (2 x 2) = b c (2 x 2) =
0 2 1 1 b2
b2

a1
b1 b1

a a2

1 1 a1
c (√3 x √3) R 30° = substrat
1 2 b
adsorbat

Figure 2 – Exemples de structures superficielles fréquemment Figure 3 – Exemple de détermination d’une structure superficielle (b)
rencontrées (d’après [9]) à partir d’un diagramme de diffraction (a) (d’après [9])

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A245P1

Surface des solides


Couches minces. Croissance cristalline
par Boyan MUTAFTSCHIEV
Directeur de Recherche au CNRS, Laboratoire Maurice Letort, Villers-lès-Nancy

1. Équilibre des phases ............................................................................... A 245p1 - 2


1.1 Rappels de thermodynamique, phénoménologique et statistique ......... — 2
1.1.1 Généralités .......................................................................................... — 2
1.1.2 Fonction de partition d’un gaz parfait ............................................... — 3
1.1.3 Fonction de partition d’un cristal monoatomique ........................... — 3
1.2 Équilibres entre les phases infinies............................................................ — 4
1.2.1 Tension de vapeur d’un cristal monoatomique. Sursaturation ...... — 4
1.2.2 Équilibre cristal - bain fondu. Surfusion ........................................... — 4
1.2.3 Comportement des différentes faces d’un cristal à l’équilibre ....... — 4
1.3 Équilibre des phases bidimensionnelles (2D) ........................................... — 6
1.3.1 Isothermes d’adsorption .................................................................... — 6
1.3.2 Adsorption en multicouches.............................................................. — 7
2. Formes d’équilibre des cristaux........................................................... — 9
2.1 Énergie libre de surface d’un solide........................................................... — 9
2.2 Forme d’équilibre ........................................................................................ — 10
2.2.1 Théorème de Wulff ............................................................................. — 10
2.2.2 Forme d’équilibre et les différents types de faces. Facettage ......... — 10
2.3 Influence de l’entropie sur l’énergie libre de surface et sur la forme
d’équilibre .................................................................................................... — 10
2.3.1 Cas des faces K (ou S) ........................................................................ — 10
2.3.2 Cas des faces F.................................................................................... — 11
2.4 Mouillage et forme d’équilibre sur support étranger ............................... — 11
2.4.1 Tension d’interface. Énergie d’adhésion........................................... — 11
2.4.2 Forme d’équilibre sur support étranger............................................ — 11
3. Couches minces. Nucléation ................................................................ — 12
3.1 Nucléation tridimensionnelle ..................................................................... — 12
3.1.1 Nucléation homogène........................................................................ — 12
3.1.2 Nucléation classique sur support étranger....................................... — 13
3.1.3 Épitaxie par nucléation tridimensionnelle........................................ — 13
3.2 Nucléation bidimensionnelle...................................................................... — 13
3.2.1 Généralités .......................................................................................... — 13
3.2.2 Épitaxie par nucléation bidimensionnelle ........................................ — 13
3.3 Mécanisme de Stranski-Krastanov............................................................. — 14
3.4 Nucléation non classique............................................................................ — 14
3.4.1 Cinétique ............................................................................................. — 14
3.4.2 Épitaxie par mouvement des germes sur le support....................... — 14
3.5 Cinétique de la nucléation .......................................................................... — 15
4. Croissance des cristaux ......................................................................... — 15
4.1 Croissance des faces K................................................................................ — 15
4.1.1 Croissance limitée par la probabilité d’attachement de molécules — 15
4.1.2 Croissance limitée par la diffusion dans le volume ......................... — 16
4.2 Croissance des faces F ................................................................................ — 17
4.2.1 Avancement d’un gradin sur la surface d’une face F ...................... — 17
4.2.2 Croissance par germination bidimensionnelle ................................ — 18
4.2.3 Croissance d’une face F d’un cristal imparfait. Morphologie ......... — 18
Parution : février 1990

4.2.4 Croissance d’une face F d’un cristal imparfait. Cinétique ............... — 19


4.2.5 Récapitulation ..................................................................................... — 20
Références bibliographiques ......................................................................... — 20

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A245P1

SURFACE DES SOLIDES __________________________________________________________________________________________________________________

et article traite les phénomènes ayant lieu à l’interface entre un solide et


C son milieu, à l’équilibre et en cas de croissance du solide. Le trait commun
est la rencontre, à l’interface, de deux flux de matière de sens opposés : l’un,
constitué de molécules qui s’y déposent avant d’être incorporées dans le réseau
cristallin, l’autre, de molécules qui quittent l’interface en direction du milieu. À
l’équilibre, l’intensité des deux flux est égale et dépend de la cinétique interfaciale,
elle-même régie par les propriétés des phases au voisinage immédiat de l’inter-
face. À la sursaturation, représentée par la différence des potentiels chimiques
dans les deux phases, le flux de croissance est prédominant, sans qu’il existe
cependant une dépendance linéaire entre le flux net et la sursaturation, comme
l’on aurait pu s’y attendre par analogie avec l’électrodynamique en assimilant
l’interface à une résistance passive.
La voie que nous nous proposons de suivre passe donc par la considération
des équilibres à l’interface entre un cristal et son milieu, qui nous révèlent les
mécanismes microscopiques à la saturation, avant d’aborder la cinétique inter-
faciale de croissance, dont la dépendance avec la sursaturation peut être assez
complexe. Deux remarques découlent de cette procédure.
— L’approche utilisée est exclusivement moléculaire-statistique. Par rapport
à l’approche basée sur la thermodynamique classique et sur la mécanique des
milieux continus [1], la méthode choisie a l’avantage de mieux visualiser les
phénomènes physiques, au prix de quelques concessions à la rigueur mathé-
matique. En outre, elle s’avère mieux adaptée au traitement des systèmes à
énergie de surface élevée et fortement anisotrope, tel un cristal qui croît à partir
de sa vapeur.
— Il faut souligner que la cinétique globale de croissance dépend autant de
la cinétique interfaciale que de la cinétique du transport de matière du milieu
vers l’interface. Cependant, les mécanismes du transport dans le volume sont
communs à d’autres procédés (génie chimique, combustion, etc.) et sont traités
en détail par la mécanique des fluides, d’où notre choix de ne pas dépasser
dans cet article le cadre des phénomènes interfaciaux.

1. Équilibre des phases avec b ≠ a et B ≠ A,


T température thermodynamique,
V volume,
1.1 Rappels de thermodynamique, Ak aire de la k ième interface.
phénoménologique et statistique La tension de surface γ k de la k ième interface est définie comme
le travail fait sur le système quand l’aire de l’interface augmente de
dAk , tout autre paramètre d’état étant constant :
1.1.1 Généralités

∂A 冣
冢 -----------
∂F
Un système hétérogène est composé de phases séparées par γk = - ( A) (2)
T , V , N a , Aᐉ
k
des interfaces. À l’équilibre et en absence d’une force extérieure, la
valeur de toute grandeur thermodynamique est constante dans avec ᐉ ≠ k .
n’importe quel point d’une phase. Aux interfaces, un bon nombre
de propriétés peuvent changer d’une façon plus ou moins abrupte, La fonction de partition q d’une molécule monoatomique est :
telles la densité de matière, l’énergie d’interaction entre molécules,
l’entropie, etc., alors que d’autres, tels le potentiel chimique ou la +∞
température, ne varient pas. 1
q = -------
h3
- 冕冕冕冕冕冕 冢 ε

exp – ------------ d x 1 d x 2 d x 3 dp 1 dp 2 dp 3
k BT
(3)
(A)
Le potentiel chimique µa d’un composé a dans une phase A v –∞
est défini comme le travail qu’il faut faire sur le système pour que
(A)
avec kB constante de Boltzmann,
le nombre de molécules dans cette phase augmente de dN a ,
h constante de Planck,
tout autre paramètre d’état étant constant. Si l’énergie libre du
système est F, il vient : ε énergie totale (cinétique plus potentielle) de la
molécule,

冢 冣
(A) ∂F x i et pi respectivement coordonnées conjuguées de position
µa = -------------------
(A)
(1) et d’impulsion qui caractérisent ses trois degrés de
( A) (B)
∂N a T , V , N b , N a , Ak
liberté.

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A245P1

_________________________________________________________________________________________________________________ SURFACE DES SOLIDES

Nota : comme, lors des variations d’états de la matière considérées dans cet article, les L’énergie libre des N (g) molécules est liée à leur fonction de par-
états électroniques de la molécule demeurent, en première approximation, inchangés,
nous nous affranchissons du calcul de la fonction de partition électronique. Par ailleurs,
tition par la relation bien connue :
dans un but de simplicité, nous nous limitons à la considération de corps monoatomiques.
Il est clair que la considération de molécules polyatomiques introduit dans l’équation (3) de F ( g ) = – k BT ln Q N ( g )
nouveaux couples (xi , pi ), un pour chaque degré de liberté.

L’intégration en (3) se fait sur le volume V accessible à la molécule, L’énergie libre par molécule du gaz (fg = F (g)/N (g)) est donc :
en ce qui concerne les coordonnées xi , et de – ∞ à + ∞, en ce qui fg = ε p,g – k BT lnvg – k BT + µ0 (8)
concerne les impulsions pi .
et, d’après (1), le potentiel chimique s’écrit :
La fonction de partition de N molécules monoatomiques d’une
même espèce s’écrit : qg
- = ε p,g – k BT ln v g + µ 0
µ ( g ) = – k BT ln ------------- (9)
+∞ N (g)
QN
1
= -------------------
h3N N !
- 冕v冕冕 冕 冢
....
–∞ k BT
E

.... exp – ------------ d x 1 … d x 3 N dp 1 … dp 3 N (4) où vg = V /N (g)
et µ0 = k BT ln Λ3
Ici E est l’énergie totale et le terme 1/N ! tient compte de l’indis-
cernabilité des molécules. Si la force d’interaction entre les
molécules du système ne dépend pas de leur énergie cinétique, on 1.1.3 Fonction de partition
peut intégrer séparément les intégrales multiples des équations (3) d’un cristal monoatomique
et (4) suivant les coordonnées de position x i et d’impulsion pi .
L’énergie cinétique par degré de liberté de la i -ième molécule
pouvant s’écrire : Le volume accessible à une molécule, qui vibre autour d’un
nœud du réseau d’un cristal monoatomique, est calculé souvent à
pi l’aide de l’approximation d’oscillateurs harmoniques, en supposant
ε k , i = ----------
-
2m une seule fréquence de vibration ν0 (modèle d’Einstein). Pour des
températures suffisamment élevées (k BT Ⰷ h ν0 ), on obtient pour
où m est la masse moléculaire, l’intégration de (4) suivant les 3N la fonction de partition d’une molécule (monoatomique) vibrant
coordonnées d’impulsions pi aboutit au facteur : autour d’un nœud du réseau :

( 2π mk B T ) 3 N /2 ~ – ε p,c
------------------------------------------- = Λ– 3N q c = Λ –3 v 0 exp ----------------- (10)
h3N k BT

où Λ = h /(2 π mk BT )1/2, appelé longueur d’onde thermique de avec εp,c énergie potentielle de la molécule au repos,
De Broglie, ne dépend, pour une espèce donnée, que de la tempé- ~ 3
rature. L’intégrale d’ordre 3N qui reste après cette opération sur v0 = ( k B T /2π m ) 3/ 2/ ν 0 volume moyen de vibration de la
l’équation (4) : molécule.
Comme le cristal représente un état localisé, la fonction de
ZN
1
= ---------
N!
冕 冕 冢 冣
v
– Ep
.... exp ------------
k BT
d x 1 … dx 3 N (5)
partition des N (c) molécules est simplement :
(c )
(c ) ~ N (c ) – Ep N (c)
Q N (c ) = Λ – 3 N v 0 exp ------------------ = q c
appelée intégrale de configuration, rend compte de la répartition de k BT
l’énergie potentielle E p du système dans tous les états accessibles
(c)
à ses molécules. Son calcul est en même temps le but principal et avec Ep = N ( c ) ε p,c
la difficulté majeure que rencontre la thermodynamique statistique,
comme on le verra à partir des exemples suivants. et l’énergie libre par molécule, égale au potentiel chimique :
~
f c = µ ( c) = ε p,c – k BT ln v 0 + µ 0 (11)
1.1.2 Fonction de partition d’un gaz parfait
La comparaison de (8) et (11) montre que, en plus de la différence
Cette phase est caractérisée par l’accessibilité du volume entier V dans les énergies potentielles et dans les volumes moyens attribués
à toutes les N (g) molécules (considérées comme des points maté- à une molécule du gaz ou du cristal, une molécule dans le gaz est
riels) et par l’absence d’interaction entre elles, d’où l’indépendance plus riche en entropie puisqu’elle est libre d’occuper n’importe quel
(g)
point du volume total en même temps que toute autre molécule.
de l’énergie potentielle E p des coordonnées de position x i . On a Cette entropie commune a la valeur maximale de k B par molécule
pour la fonction de partition : pour le gaz parfait.
Les deux exemples considérés montrent que le calcul de l’intégrale
(g)
–Ep de configuration (et des fonctions thermodynamiques qui en décou-
Λ – 3 N (g) V N (g)
QN (g) = ------------------------------------- exp ------------------- (6) lent) est aisé dans deux cas extrêmes, celui du gaz parfait, dont les
N ! ( g ) k BT
molécules sont totalement délocalisées à la suite de l’absence de
toute interaction, et celui d’un cristal, dont les molécules sont
Si l’on compare ce résultat à la fonction de partition qg d’une parfaitement localisées par la forte interaction entre elles. Dans les
seule molécule évoluant dans le même volume V, obtenue par deux cas, le traitement est facilité par la supposition que les
intégration de (3), on constate que : molécules sont des points matériels.
N (g) N (g) Quand les molécules de la phase considérée interagissent modéré-
1 – ε p,g qg ment et que, en plus, leur volume est comparable au volume libre,
Q N ( g ) = ----------------- Λ – 3 V exp ----------------- = ----------------- (7) le calcul de l’intégrale de configuration de cet état dense mais désor-
N (g) ! k BT N (g) !
donné (gaz réel, liquide) n’est possible qu’au prix d’approximations
importantes ou par des méthodes numériques. Cependant, on peut
(g)
avec ε p,g = E p / N ( g ) = Cte énergie potentielle de la molécule. dire d’une façon qualitative que l’énergie libre par molécule dans

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A245P1

SURFACE DES SOLIDES __________________________________________________________________________________________________________________

ces cas est toujours donnée par une expression semblable à (8) et 1.2.2 Équilibre cristal - bain fondu. Surfusion
que l’entropie commune est inférieure à k B .
Il n’existe pas d’expression simple, analogue à l’équation (12),
qui relie la pression et la température auxquelles un cristal est en
équilibre avec son propre bain fondu, étant donné l’impossibilité
1.2 Équilibres entre les phases infinies déjà évoquée de calcul analytique de la fonction de partition d’un
liquide. Des théories modernes plus ou moins exactes [3] arrivent
1.2.1 Tension de vapeur d’un cristal monoatomique. cependant à calculer, avec une bonne précision, la température de
Sursaturation fusion Tf définie d’habitude à la pression atmosphérique.
La différence des potentiels chimiques des deux phases hors
À l’équilibre, les potentiels chimiques d’un composé dans toutes équilibre, toujours égale au travail de transfert d’une molécule, est
les phases doivent être égaux. Pour un cristal monoatomique dont mesurée dans ce cas, à pression constante, par l’écart entre la
la vapeur est un gaz parfait, l’égalité des équations (8) et (11) conduit température Tf du point de fusion et la température T, ∆T = Tf – T,
à l’expression de la pression de vapeur saturante [2] : comme suit :


T
∆T
( 2π m ) 3/2 3 – φ0 ∆µ = ( s ᐉ – s c ) dT ≈ ∆ h f --------
- (16)
- ν 0 exp ------------
p 0 = -------------------------- - (12) Tf Tf
( k BT ) 1/2 k BT
avec s ᐉ et s c respectivement entropies par molécule du bain et
où on a posé p 0 = k BT /vg et on a désigné par φ 0 la différence des du cristal,
énergies potentielles d’une molécule dans le gaz et dans un nœud ∆h f enthalpie de fusion par molécule.
du réseau. φ 0 représente le travail nécessaire pour extraire une
molécule d’un nœud et l’envoyer dans la vapeur et de ce fait est
approximativement égal à l’enthalpie de sublimation ∆h s par 1.2.3 Comportement des différentes faces
molécule à la température du zéro absolu. Comme, par ailleurs, on d’un cristal à l’équilibre
pose souvent l’énergie potentielle dans le gaz égale à zéro, la
relation entre ces grandeurs est : L’égalité des potentiels chimiques de la vapeur et du cristal qui
conduit à l’équation (12) suppose que la position de la molécule au
φ 0 = ∆hs = ε p,g – ε p,c = – ε p,c sein du réseau, pour laquelle le potentiel chimique du cristal a été
calculé, est représentative du réseau tout entier, de façon que :
L’expression (12) peut être obtenue d’une façon simple si on
postule, à l’équilibre, l’égalité entre la fréquence d’évaporation : (c)
Ep = N ( c ) ε p,c
● – φ0 Par ailleurs, le fait que le même résultat soit obtenu en posant
n0 = ν 0 exp -------------

(13)
kBT égales les fréquences d’évaporation et de condensation d’une
molécule à la surface du cristal suggère que ladite position est un
à partir d’un site de surface, et la fréquence de condensation d’une site de surface. La position qui remplit les deux conditions est
molécule : montrée schématiquement sur la figure 1 (site C ) pour un cristal de
réseau cubique simple. Une molécule dans cette position a une
● p0 k BT 1 énergie potentielle ε p,c égale à la moitié de l’énergie potentielle d’une
n0 (14)

- ---------------
= ------------------------------------- - ---------
( 2π mk BT ) 1/2 2 π m ν 20 molécule au centre du cristal, d’où son nom « position de
demi-cristal » [4]. En outre, cette même position est un pas
répétable [5] pour la construction du cristal tout entier (en négligeant
sur ce même site, dont l’aire est supposée être l’aire moyenne de les effets des bords), car si l’on enlève ou si l’on y ajoute une
vibration : (c)
molécule, la même position en résulte. La condition : E p = N (c ) ε p,c
~ = k BT 1
a se trouve donc vérifiée. La position de pas répétable est donc le site
--------------- -------2-
2π m ν de surface du cristal dans lequel, à l’équilibre, les fréquences de
0
condensation et d’évaporation sont égales. Comme, par ailleurs, le
Cette approche cinétique de l’équilibre pose cependant, comme potentiel chimique d’une molécule dans cette même position est lié
on le verra au paragraphe 1.2.3, le problème de la non-équivalence aux propriétés volumiques du cristal (tension de vapeur, point de
des différents sites sur la surface, due à l’anisotropie du cristal. fusion, etc.), il est clair qu’elle doit être retrouvée sur n’importe quelle
face cristallographique.
Quand les potentiels chimiques du cristal µ (c) et de la phase
ambiante µ (p) ne sont pas égaux, on dit que cette dernière est sur-
saturée ( µ (p) > µ (c) ) ou sous-saturée ( µ (p) < µ (c)). Si la phase
ambiante est un gaz parfait et si l’écart de l’équilibre se fait par
variation de sa pression à température constante, la sursaturation
ou la sous-saturation est définie comme étant égale à :

(g) p
∆ µ = µ (g) – µ 0 = k BT ln --------
p0

(g)
où µ0 est le potentiel chimique du gaz à la pression de
saturation p0 .
Comme pour des faibles variations de la pression, le potentiel
chimique du cristal ne varie pas, on peut écrire pour le travail
gagné lors du transfert d’une molécule du gaz vers le cristal :

w = µ (c) – µ (g) ≈ µ (0g ) – µ ( g ) = – ∆µ (15) Figure 1 – Surface de la face (100) d’un cristal cubique simple

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A245P1

_________________________________________________________________________________________________________________ SURFACE DES SOLIDES

Les autres sites de surface montrés sur la figure 1 ne sont, — conserve son profil, car, pour créer la moindre protubérance,
évidemment, pas identiques, par leur environnement, à celui de on est amené à déposer des molécules dans des sites ad pour les
demi-cristal. La différence entre eux est manifeste si l’on considère voir aussitôt disparaître. Par contre, le creusement d’une cavité a
leurs degrés d’occupation par des molécules adsorbées [6]. comme effet l’augmentation du nombre des sites in qui sont très
Nota : dans ce qui suit, nous allons utiliser la notion de molécule adsorbée sans rapidement comblés.
distinction de la nature du support. Quand le support est de la même espèce que la
molécule, il est évident qu’il s’agit de phénomènes de croissance ; quand il est d’une nature On peut se rendre compte facilement que l’environnement
différente, nous avons affaire à une adsorption étrangère ou à la formation de couches (exprimé en nombre de voisins) d’une molécule en position ad est
minces sur support. exactement complémentaire à celui d’une molécule en position
+
Le temps moyen d’occupation τ i d’un site i est égal à la valeur symétrique in (par exemple A et E ou B et D ). En effet, l’addition

des deux aboutit à l’environnement d’un site dans le volume pour
réciproque de la fréquence d’évaporation n i d’une molécule de → lequel le travail, 2φ 0 , d’extraction d’une molécule est le double du
ce site, elle-même donnée par une expression analogue à (13) travail de séparation de la même molécule d’une position de
contenant le travail φi de séparation de la molécule de ses voisins. 0 0
demi-cristal. Si l’on désigne par φ ad et φ in les travaux de séparation
Le temps moyen de non-occupation τ – d’un site est égal à la valeur d’une molécule à partir des sites symétriques A et E, il résulte :

réciproque de la fréquence de condensation n donnée par


0 0
l’équation (14). Elle est, bien sûr, indépendante du type du site. Le φ in – φ 0 = φ 0 – φ ad = Cte > 0 (19)
degré d’occupation (recouvrement) d’un site est par définition :
+
La face (100) du cristal de Kossel que l’on vient de décrire reste
τi donc plane et lisse à l’équilibre avec la phase vapeur. Ce sont les
θ i = ---------------------
+
(17) faces de ce genre, appelées faces F (flat ) [7] qui sont responsables
τi +τ– de la forme polyédrique de nombreux cristaux naturels ou synthé-
tiques. D’autres types de faces d’une même espèce cristalline, telle
et la fréquence d’échange de molécules avec la phase vapeur est, la face (111) du cristal de Kossel montrée en figure 2, ne possèdent
pour le même site, égale à : pas les mêmes propriétés. Sur la figure sont représentés et désignés
par les mêmes lettres les sites de surface correspondant à ceux de
● 1 la figure 1. On s’aperçoit que si la position de pas répétable C offre
ni

= ---------------------
+
τi +τ– à la molécule qui viendra se déposer le même environnement (trois
(18) premiers voisins) que celui de la face (100), les quatre autres sites
(A, B, D, E ) ont eux aussi cet environnement et sont donc identiques
Le tableau 1 montre, dans le cas du modèle de cristal cubique
à C. Tout site de surface de la face (111) a alors un degré d’occupation
simple, en supposant que les forces intermoléculaires soient limitées
d’un demi, et la distinction entre molécules adsorbées sur la surface
aux premiers voisins (cristal de Kossel) et pour une valeur raison-
et molécules incorporées dans la surface n’existe pas. Ces faces,
nable de l’énergie ψ d’une liaison entre ces derniers, les taux de
appelées faces K (kinked ), répondent par conséquent à la condition :
recouvrement et les fréquences d’échange de molécules dans les
sites représentés sur la figure 1. On constate d’abord que le degré 0 0
de recouvrement du site de pas répétable est d’un demi, résultat φ in – φ 0 = φ 0 – φ ad = 0 (20)
découlant du fait que les molécules dans cette position sont en
équilibre avec la vapeur saturée. Les molécules qui occuperaient les tout comme les faces F remplissaient la condition (19).
sites A et B auraient un degré de recouvrement nettement inférieur
à un demi et ne pourraient pas être considérées comme appartenant La comparaison de (19) et (20) révèle un aspect qualitatif
au cristal. On appellera ces deux types de sites : sites d’adsorption important de la différence fondamentale entre faces F et K. Comme
ou sites ad. Les sites D et E sont, par contre, occupés à un degré on peut le constater sur la figure 1, la distinction entre les sites ad,
avoisinant un. Les molécules qui s’y trouvent sont donc incorporées demi-cristal, et in (A, C, E ) est que :
dans le cristal, d’où la dénomination sites in. (0) — dans le premier site, une molécule adsorbée ne possède pas
de voisins dans le plan de la surface ;
— dans le deuxième site, elle possède la moitié du nombre
Tableau 1 – Énergie de désorption réduite ␾ i / k B T , maximal de tels voisins ;
degré de recouvrement ␪ i et fréquence d’échange fi — dans le troisième site, elle possède tous ces voisins.
avec la vapeur d’une molécule adsorbée
dans les différents sites de surface de la figure 1
␾i fi
Type de site ------------
- ␪i
kB T (s–1)

A (ad ) 4 0,000 34 6,142 × 107


B (ad ) 8 0,017 99 6,034 × 107
C (demi-cristal) 12 0,500 00 3,072 × 107
D (in ) 16 0,982 01 1,105 × 106
E (in ) 20 0,999 66 2,061 × 104
Modèle à premiers voisins : ψ /k BT = 4, ν 0 = 1013 s–1.

Il ressort que, malgré la différence de liaison des molécules dans


les différents sites à la surface d’un cristal anisotrope qui est à
l’origine des différentes fréquences d’échanges avec la vapeur Figure 2 – Surface de la face (111) d’un cristal cubique simple
(tableau 1), la face montrée en figure 1 : (les différents sites d’adsorption, de demi-cristal ou d’incorporation, sont désignés
— n’avance ni ne recule en aucun point de la surface ; par les mêmes lettres que sur la figure 1)

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100
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A1195

La matière molle

par Jean-Marc di MEGLIO


Docteur ès Sciences
Ingénieur de l’École Supérieure de Physique et de Chimie Industrielles de la ville de Paris
(ESPCI)
Chargé de Recherche au Centre National de la Recherche Scientifique
(Laboratoire de Physique de la Matière Condensée au Collège de France)

1. Concepts et principes............................................................................. A 1 195 - 2


1.1 Définition ...................................................................................................... — 2
1.2 Interactions................................................................................................... — 2
1.2.1 Interactions de Van der Waals ........................................................... — 2
1.2.2 Interactions électrostatiques.............................................................. — 2
1.3 Échelle de taille et limite colloïdale............................................................ — 3
2. Objets .......................................................................................................... — 3
2.1 Polymères..................................................................................................... — 3
2.1.1 Conformation et taille caractéristique............................................... — 3
2.1.2 Propriétés dynamiques ...................................................................... — 4
2.2 Cristaux liquides .......................................................................................... — 5
2.3 Systèmes auto-assemblants....................................................................... — 5
2.4 Systèmes colloïdaux ................................................................................... — 7
3. Conclusion ................................................................................................. — 8
Références bibliographiques ......................................................................... — 9

O n distingue habituellement trois états de la matière :


— l’état gazeux, de faible densité, où les atomes (ou molécules) sont presque
indépendants les uns des autres ;
— l’état liquide où les atomes (ou molécules) sont condensés mais où il n’existe
pas d’ordre à longue distance ;
— l’état solide où les atomes (ou molécules) s’ordonnent en réseaux cristallins.
Cette classification ne suffit pas à étiqueter tous les objets qui nous entourent.
En particulier, certains matériaux solides ne présentent pas d’ordre cristallin mais
sont amorphes (un exemple célèbre est le verre) ; on peut aussi se rendre compte
que des systèmes de la vie de tous les jours, tels que la mayonnaise, la crème
à raser, la gélatine, le caoutchouc, échappent aux trois catégories ci-dessus. On
a récemment inventé le terme matière molle pour définir de tels systèmes.
Parution : août 1994

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A1195

LA MATIÈRE MOLLE ____________________________________________________________________________________________________________________

1. Concepts et principes 1.2.1 Interactions de Van der Waals

Les interactions de Van der Waals sont dues aux interactions attrac-
1.1 Définition tives entre dipôles. Ces dipôles peuvent être soit permanents, soit
induits. Par exemple, une molécule d’eau possède un moment dipo-
La dénomination matière molle peut sembler quelque peu étrange laire permanent de par son anisotropie de forme. Mais même un
et n’a en fait vraiment fait son apparition qu’au début des années atome (ou une molécule) totalement isotrope possède un moment
1990 pour décrire l’activité du physico-chimiste étudiant la matière dipolaire à chaque instant à cause des fluctuations du nuage élec-
dans l’état condensé (c’est-à-dire n’étudiant ni les gaz ni les plasmas) tronique autour du noyau atomique ; ce dipôle instantané donne lieu
sans pour autant étudier les solides ou les liquides. Le succès de à un champ électrique qui pourra donc déformer le nuage électro-
cette dénomination est certainement lié au couronnement par le Prix nique d’un atome voisin et induire ainsi un dipôle (ce type d’inter-
Nobel de Physique en 1991 de Pierre-Gilles de Gennes, qui est le action dipôle-dipôle est appelé interaction de dispersion ou de
promoteur de la discipline depuis trois décennies [1]. London). Il est ici hors de notre propos de développer la théorie des
Mais pourquoi utiliser le terme de matière molle ? Le sens premier interactions de Van der Waals, et il suffira de retenir que ces inter-
de mou est « qui cède facilement à la pression », « facile à modeler » actions sont proportionnelles à la polarisabilité des atomes ou molé-
et c’est bien de cela dont il s’agit. Nous définissons la matière molle cules, toujours attractives, et proportionnelles à 1/r 6 où r est la
comme de la matière qui, soumise à de faibles perturbations ou à distance entre les deux atomes, le coefficient de proportionnalité
cause d’infimes modifications de structure, change complètement étant de l’ordre de 10 –77 J · m6. La polarisabilité décrit la facilité avec
de propriétés. Citons deux exemples : laquelle un atome ou une molécule acquiert un moment dipolaire
— la vulcanisation du caoutchouc : quelques ponts chimiques quand il est soumis à un champ électrique. Remarquons que le critère
entre chaînes de polymères suffisent pour passer d’un liquide vis- de mollesse défini paragraphe 1.1 (interaction de l’ordre de l’énergie
queux à un solide élastique (figure 1) ; thermique) conduit à définir une taille caractéristique des matériaux
— les dispositifs d’affichage à cristaux liquides : une faible de la matière molle de l’ordre du nanomètre. Quand on considère
tension électrique (de l’ordre de 1 volt) suffit à faire basculer l’orien- non plus deux atomes ou deux molécules mais deux objets en inter-
tation d’une assemblée de molécules anisotropes confinées entre action (par exemple deux billes de silice), on a besoin d’intégrer
deux plaques et en modifie ainsi les propriétés optiques. toutes les interactions élémentaires sur le volume des deux objets ;
cela a conduit à l’introduction d’une constante dite constante de
La définition précédente peut sembler encore vague. Nous défi- Hamaker (souvent notée A ) qui tient compte de la nature du couple
nissons plus rigoureusement les systèmes de la matière molle des objets interagissant et du milieu qui les sépare. Par exemple,
comme des systèmes dont l’énergie caractéristique de cohésion, l’interaction par unité de surface entre deux demi-espaces infinis
c’est-à-dire l’énergie d’interaction de ses composants élémentaires, (infinis voulant bien sûr dire plus grands que la portée des forces
est plus petite ou comparable à l’énergie thermique kT (avec k la de Van der Waals, environ 100 nanomètres) séparés d’une distance
constante de Boltzmann et T la température) : on conçoit alors d est donnée par :
aisément que cette limite peut définir un critère de mollesse d’un
matériau. Notons que la matière molle est habituellement désignée A
– -----------------------
2
-
par le terme complex fluids outre-Atlantique. 12 π d
La constante de Hamaker A est positive pour deux matériaux iden-
tiques quel que soit le milieu les séparant mais peut être éventuel-
1.2 Interactions lement négative (et donc donnant lieu à des interactions répulsives)
pour deux matériaux différents séparés par un troisième matériau.
Les interactions donnant lieu à l’établissement de liaisons cova- L’ordre de grandeur d’une constante de Hamaker est de 10 –20 J ; par
lentes ne forment évidemment pas des matériaux mous, car leur exemple, la constante de Hamaker pour deux milieux en polystyrène
énergie est de l’ordre d’un électronvolt, soit quelques dizaines de séparés par du vide est 6,5 × 10 –20 J et de 1,4 × 10 –20 J quand ils
fois l’énergie thermique kT [rappelons que kT = 4 × 10 –21 joule (ou sont séparés par de l’eau.
1/40 électronvolt) à la température ambiante]. Les interactions qui
nous intéressent ici seront essentiellement les interactions de Van
der Waals qui existent pour tous les matériaux et les interactions 1.2.2 Interactions électrostatiques
électrostatiques coulombiennes [2].
Les objets de la matière molle sont souvent chargés et donc
interagissent électriquement. Considérons deux molécules portant
chacune une charge élémentaire ± e, où e est la charge élémentaire
de l’électron, le critère de mollesse définit une taille caractéristique
donnée par :
2
e
ᐉ B = ---------------------------
4 π ε kT
où ε est la permittivité. Si le milieu est de l’eau, cette longueur,
appelée alors longueur de Bjerrum, est de l’ordre d’un nanomètre
(0,7 nm).
Quand nous considérons des objets chargés dans de l’eau (qui
est le solvant le plus courant), nous devons tenir compte du
phénomène d’écrantage des charges. Cela est très simple : les ions
présents dans l’eau sont évidemment sensibles aux charges des
objets. Supposons que ces derniers soient chargés positivement,
Figure 1 – Vulcanisation du caoutchouc : quelques ponts chimiques les ions négatifs (anions) de la solution vont alors être attirés par
(usuellement fournis par des atomes de soufre) suffisent ces objets et les décorer d’une couronne négative et, par
à transformer un liquide polymère visqueux (a ) en un solide élastique conséquent, les objets apparaîtront moins chargés. Les répulsions
(b ) aux applications nombreuses électrostatiques entre objets seront donc moins importantes. Ce
phénomène d’écrantage est décrit par la longueur de Debye qui

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AF3682

Combustion et explosion
de prémélanges gazeux et sûreté
des installations

par Etienne STUDER


Ingénieur de recherche
Laboratoire d’applications en thermohydraulique et mécanique des fluides
CEA Saclay, Gif-sur-Yvette, France
Sergey KUDRIAKOV
Ingénieur de recherche
Laboratoire d’applications en thermohydraulique et mécanique des fluides
CEA Saclay, Gif-sur-Yvette, France
et Alberto BECCANTINI
Ingénieur de recherche
Laboratoire d’applications en thermohydraulique et mécanique des fluides
CEA Saclay, Gif-sur-Yvette, France

1. Contexte de la physique de la combustion des prémélanges AF 3 682 - 3


gazeux ......................................................................................................
1.1 Contexte .................................................................................................... — 3
1.2 Équations de conservation pour un système réactif gazeux
multiconstituants...................................................................................... — 4
1.3 Thermodynamique de la combustion des prémélanges ...................... — 5
1.4 Cinétique chimique appliquée à la combustion des prémélanges ...... — 7
2. Propagation subsonique de la combustion : les déflagrations
laminaires et turbulentes ................................................................... — 9
2.1 Déflagration laminaire ............................................................................. — 9
2.2 Instabilités des flammes de prémélange................................................ — 11
2.3 Combustion turbulente ............................................................................ — 15
3. Détonation et transition déflagration-détonation....................... — 20
3.1 Propagation supersonique de la combustion : la détonation............... — 20
3.2 Transition déflagration-détonation (TDD) .............................................. — 23
4. Perspectives sur la combustion des prémélanges gazeux ...... — 29
Pour en savoir plus ........................................................................................ Doc. AF 3 682

n 1979, l’accident de Three Mile Island démontrait qu’une explosion massive


E d’hydrogène pouvait se produire dans l’enceinte de confinement d’un
réacteur nucléaire en situation d’accident grave. Plus récemment, la catastrophe
de Fukushima a rappelé les effets destructeurs de ces explosions d’hydrogène.
Comprendre comment une simple étincelle peut engendrer un phénomène
aux effets si dévastateurs constitue notre objectif. Schématiquement, la compré-
hension de ces phénomènes passe par la capacité de prédire l’existence et la
vitesse de l’onde de réaction à tout moment au cours de sa propagation. Pour
atteindre cet objectif, il a fallu tout d’abord faire émerger des ordres de grandeur
et des règles en déterminant les grandeurs fondamentales, et ensuite
Parution : janvier 2016

comprendre les couplages entre la zone de réaction et l’écoulement compressible


qu’elle engendre au cours de sa propagation.

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103
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AF3682

COMBUSTION ET EXPLOSION DE PRÉMÉLANGES GAZEUX ET SÛRETÉ DES INSTALLATIONS _______________________________________________________

Notations et symboles Notations et symboles (suite)


Symbole Unité Signification Symbole Unité Signification
a, b Coefficients stœchiométriques q Chaleur de réaction normalisée
3
A m /mol/s Facteur pré-exponentiel R J/mol/K Constante des gaz parfaits
B m Amplitude Re Nombre de Reynolds
BR Taux de blocage r J/kg/K R/M
C J/m3/K Capacité calorifique volumique S m/s Vitesse fondamentale
c Variable de progrès s m Diamètre interne des obstacles
annulaires
Cp J/kg/K Capacité calorifique à pression cons-
tante T K Température
cs m/s Vitesse du son kg/m/s2 Tenseur des contraintes
~
D m/s Vitesse de l’onde monodimensionnelle
t s Temps
_ m2/s Coefficient de diffusion
U, V m/s Vitesse
d m Diamètre
X Fraction molaire
Da Nombre de Damkölher
x m Dimension de l’espace
E J Énergie d’initiation d’une détonation
Y Fraction massique
Ea J/mol Énergie d’activation
z Avancement de la réaction chimique
e J/kg Énergie interne spécifique
α m2/s Diffusivité thermique
F kg/m2/s2 Force extérieure
β Nombre de Zeldovich
f, F J/kg ou J Énergie libre spécifique ou énergie libre
∆ m Dimension
g, G J/kg ou J Enthalpie libre spécifique ou enthalpie
libre δ m Épaisseur
h J/kg Enthalpie spécifique δαβ Indice de Kronecker
I Facteur de plissement Φ Richesse

TAF Indice d’accélération de flamme Γ Fonction mathématique Gamma


ji kg/m2/s Flux diffusif de masse de l’espèce i γ Coefficient isentropique
2
jq W/m /K Flux diffusif de chaleur κ W/m/K Conductivité thermique
K rad/m Nombre d’onde Λ m Longueur d’onde
Ka Nombre de Karlovitz λ m Taille de cellule de détonation
Kp Constante d’équilibre µ kg/m/s Viscosité
k m3/mol/s Constante de vitesse Ω mol/kg/s Vitesse d’avancement de la réaction
L m Longueur ω /s Taux de croissance temporel des
Le Nombre de Lewis instabilités

M kg/mol Masse molaire ω: /s Taux de réaction chimique

7 Nom de la molécule ρ kg/m3 Masse volumique

Ma Nombre de Markstein σ Rapport d’expansion


2
N Nombre d’espèces chimiques Σ m Surface de flamme

5 mol Nombre de moles σi Coefficient de thermicité de l’espèce i

P bar Pression τ s Délai

p m Pas des obstacles Θ Énergie d’activation adimensionnelle

Q J/kg Chaleur de réaction ξ Exposant de T dans la loi de vitesse

AF 3 682 – 2 Copyright © –Techniques de l’Ingénieur –Tous droits réservés

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_______________________________________________________ COMBUSTION ET EXPLOSION DE PRÉMÉLANGES GAZEUX ET SÛRETÉ DES INSTALLATIONS

Liste des indices Cette équation traduit la conservation de la masse à l’issue du


processus de combustion lorsque les réactifs sont initialement pré-
1 État initial avant combustion sents en proportion idéale ou stœchiométrique. Elle sert principa-
lement de référence car les réactifs peuvent être présents dans une
α, β, γ Direction de l’espace
autre proportion et les produits (dioxyde de carbone et vapeur
b État final après combustion d’eau) peuvent ne pas atteindre leur degré d’oxydation maximal.
Dans les flammes de prémélange, la composition des réactifs est,
ch Chimique par convention, caractérisée par la notion de richesse, c’est-à-dire
CJ Chapman-Jouguet le rapport des masses en combustible et en comburant dans le
mélange donné par rapport à celui du mélange stœchiométrique.
et Étouffement Ce dernier a donc, par définition, une richesse de 1. Un mélange
F Pour la vitesse de flamme apparente de richesse supérieure à 1 sera dit « riche » et « pauvre » dans le
cas contraire.
fl Relatif à la flamme
Ensuite, pour illustrer notre propos, nous avons emprunté
i Espèce chimique l’exemple simple, décrit dans [20], pour lequel un prémélange
hydrocarbure/air est réalisé dans une bouteille en verre, pleine
Ind Induction
d’air, en apportant par le goulot, pendant quelques secondes, du
Infl Relatif à l’inflammation gaz contenu dans un briquet. Le mélange est brassé avec une tige
adéquate et la flamme du briquet est ensuite approchée du goulot
K Kolmogorov pour initier la propagation de la réaction à l’intérieur de la bouteille
L Laminaire (figure 1).
m Markstein On retrouve l’aspect chimique par la fine zone bleutée représen-
tant la flamme qui se propage. En ce lieu, la réaction entre l’hydro-
os Onde spontanée carbure et l’oxygène de l’air se produit et la teinte bleutée est due
p Produits au radical CH, intermédiaire réactionnel comme nous le verrons
par la suite. La flamme est ensuite accompagnée de suies rayon-
r Réactifs nant une lumière de couleur jaune.
s État après passage d’un choc L’aspect transfert thermique intervient pour échauffer le
mélange gazeux initial et déclencher la réaction chimique. Sans la
TDD Relatif à la transition déflagration-détonation
flamme du briquet, aucune réaction chimique n’apparaît spontané-
th Thermique ment dans la bouteille. Par contre, dès que la flamme du briquet
est approchée du goulot, le transfert de chaleur échauffe les cou-
tot Totale ches de gaz avoisinantes et déclenche ainsi la réaction chimique.
ZND Zeldovich, Von Neuman et Döring La flamme peut alors se propager de proche en proche par ce
mécanisme. Au passage, notons que cette flamme de prémélange
0 État de référence a une vitesse propre de propagation et, dès qu’elle est initiée, il est
′ Fluctuation turbulente presque impossible de l’arrêter. On différencie ainsi les flammes
de prémélange des flammes de diffusion, où les réactifs ne sont
– Moyenne de Reynolds pas mélangés initialement, comme dans le cas de la bougie, par
~ Moyenne de Favre exemple. Ces dernières constituent tout un domaine de la
combustion qui ne sera pas détaillé dans cet article. Le lecteur est
renvoyé aux ouvrages [20] [80] [95] pour plus d’informations.

1. Contexte de la physique
de la combustion des
prémélanges gazeux
Prémélange butane/air
1.1 Contexte
Dans les applications industrielles, la combustion relève généra-
lement de plusieurs disciplines scientifiques : la chimie, la thermo-
dynamique et la mécanique des fluides. Elle se situe donc au
carrefour de ces connaissances et le Pr. Von Karman [7] [20] lui
donne même le nom évocateur d’aérothermochimie.

Traitons tout d’abord l’aspect chimique. Généralement, la


combustion est une réaction d’oxydation d’un premier réactif,
appelé combustible, avec un second réactif, appelé comburant, qui
va être lui réduit. Ce dernier sera, dans la suite, l’oxygène de l’air
bien que d’autres composés puissent jouer ce rôle. Écrivons, par
exemple, la réaction de bilan stœchiométrique de la combustion
du méthane avec l’oxygène :

CH4 + 2O2 → CO2 + 2H2O (1) Figure 1 – Exemple de flamme de prémélange butane/air

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AF3682

COMBUSTION ET EXPLOSION DE PRÉMÉLANGES GAZEUX ET SÛRETÉ DES INSTALLATIONS _______________________________________________________

Enfin, le transfert de masse est principalement illustré par thermodynamiques qui sont la pression P, la température T et la
l’expansion des produits ou gaz brûlés composés de dioxyde de masse volumique ρ, N – 1 masses volumiques partielles ρi et trois
carbone et de vapeur d’eau qui sortent à l’extrémité de la bouteille. variables cinématiques constituées des trois composantes de la
Il nous reste à expliquer un point important : est-ce que les phéno- vitesse Uα . Le même nombre d’équations (N + 5) est nécessaire
mènes observés dans l’expérience précédente dépendent de la pour fermer le système.
quantité de gaz introduite par le briquet ? Généralement, la propa-
gation autonome de la flamme n’a lieu que dans un domaine de La première exprime que, dans tout écoulement, la masse se
composition bien défini, appelé domaine d’inflammabilité. Il est conserve, soit :
limité pour les mélanges pauvres (respectivement riches) par la 3
limite inférieure (respectivement supérieure) d’inflammabilité, cor- ∂ρ ∂
∂t α∑
+ [ρ Uα ] = 0 (2)
respondant à la quantité minimale (respectivement maximale) de ∂x
=1 α
combustible dans l’oxydant permettant la propagation d’une
flamme autonome. Pour l’hydrogène dans l’air et dans les Le fluide étant formé de N espèces chimiques différentes, la diffu-
conditions ambiantes de température et de pression, ces limites sion et les réactions chimiques vont faire varier les concentrations
sont voisines de 4 et de 75 vol %. Elles traduisent la compétition de chaque espèce au sein du mélange gazeux. Pour chacune des
entre l’apport de chaleur par la réaction chimique et les pertes de espèces i, on peut écrire l’équation de conservation de la masse
chaleur par conduction, les recombinaisons radicalaires pouvant partielle ρi :
aussi intervenir sur le phénomène d’inflammation. Les limites
dépendent de la nature des constituants, de la présence d’éven-
tuels diluants (azote, vapeur d’eau...) et des conditions de pression 3 3
∂ρi ∂ ∂
∂t α∑
et de température. Nous n’étudierons pas ici le processus d’inflam- + [ρi Uα ] = ∑ [− ji ,α ] + ρω:i (3)
∂x
=1 α
∂x
α =1 α
mation et le lecteur est à nouveau renvoyé aux ouvrages [20] [80]
[95] pour plus d’informations sur ce sujet.
Le terme ω:i représente l’action des réactions chimiques sur
Au-delà de l’exemple précédent, la combustion des prémélanges l’espèce i. Le flux diffusif ji,α de l’espèce i dans le mélange
gazeux se retrouve dans beaucoup de situations que les auteurs s’exprime généralement suivant la loi de Fick :
de [46] ont qualifiées d’intentionnelles ou d’accidentelles suivant le
contrôle effectif de la réaction chimique. Les auteurs du présent
article s’intéressent principalement aux applications accidentelles : ∂Yi
ji ,α = − ρ _i ,m (4)
explosions [11] [16] [25] [78] [79] [147], feux torche [131] [148] et ∂xα
incendies [86]. Le Commissariat à l’énergie atomique et aux éner-
gies alternatives s’est intéressé aux explosions accidentelles Cette expression simple suppose que la seule force motrice de la
d’hydrogène suite à l’accident du réacteur 2 de la centrale de diffusion est le gradient de la fraction massique de l’espèce
Three Mile Island en 1979. Lors de cet accident grave, de l’hydro- i (Yi = ρi /ρ ). On néglige donc l’effet des autres espèces gazeuses et
gène produit par oxydation des gaines du combustible nucléaire a des gradients de température et de pression. Des hypothèses
été relâché dans l’enceinte de confinement. Il s’est donc mélangé à moins restrictives ont été prises dans les travaux de Ern et
l’air et à la vapeur d’eau présente. Ensuite, une étincelle ou un Giovangigli [56]. En sommant ces N équations de transport,
point chaud a initié la réaction de combustion. L’explosion générée l’équation de conservation de la masse doit être retrouvée, ce qui
n’a pas endommagé l’enceinte de confinement. Plus récemment, implique :
lors des accidents de la centrale de Fukushima, de l’hydrogène
provenant du même phénomène a été dispersé dans le bâtiment N
réacteur suite à la décompression de l’enceinte de confinement. ∑ω:i = 0 (5)
Dans ce cas, les explosions ont partiellement détruit ce bâtiment et i =1
ont fortement compliqué la gestion de l’accident.
et
La plupart des combustions accidentelles commencent donc par
la mise en présence d’un combustible et d’un oxydant de façon N
incontrôlée au sein du dispositif industriel. Ensuite, une source ∑ ji ,α =0 (6)
d’inflammation, généralement de faible énergie, initie la réaction i =1
chimique qui se propage tout d’abord sous la forme d’une défla-
gration, par transport de masse et de chaleur (moléculaire ou tur- Dans l’approximation de la loi de Fick, cette dernière contrainte
bulent) des produits vers les réactifs. Dans certaines conditions de n’est vérifiée que si tous les coefficients de diffusion _i ,m sont
mélange et de géométrie, la flamme peut s’accélérer et la déflagra- égaux. Dans le cas contraire, la modélisation [124] [130] propose
tion transite alors vers la détonation. L’onde de choc créée par deux solutions : soit de ne transporter que N – 1 espèces et d’accu-
l’explosion interne entraîne une propagation supersonique par la muler les erreurs sur la dernière espèce majoritaire, soit d’ajouter
compression adiabatique suivie de l’auto-inflammation des réac- une vitesse de correction garantissant la contrainte. Enfin, le coef-
tifs. Les vitesses de propagation et les surpressions engendrées ficient de diffusion _i ,m peut s’exprimer en fonction des coeffi-
sont alors beaucoup plus importantes et habituellement plus des- cients de diffusion binaires _i , j par la loi de Blanc, par exemple :
tructives. Avec ce scénario catastrophe, on cerne mieux la néces-
sité d’étudier, d’analyser et de comprendre chacune des étapes,
afin de mettre en place des moyens de prévention. Mais, avant de 1− X i
_i ,m = (7)
détailler chacune de ces étapes, il est important de rappeler les Xj

N
équations régissant le système physico-chimique. j =1, j ≠1 _i , j

La conservation de la quantité de mouvement s’obtient en appli-


1.2 Équations de conservation quant la loi fondamentale de la dynamique. Pour un fluide newto-
pour un système réactif gazeux nien, elle s’écrit :
multiconstituants
∂ρ U β 3 3
∂ ∂P ∂
Un fluide, composé de N espèces chimiques différentes en mou- +∑ [ρ Uα U β ] = − +∑ [~αβ ] + F β (8)
∂t ∂x
α =1 α
∂x β ∂x
α =1 α
vement, est caractérisé par N + 5 variables [130] : trois variables

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Le tenseur des contraintes ~αβ s’exprime par : ou d’une équation de transport de la température :

3 N 3
∂T ∂T ∂
 ∂U ∂U β  2  3 ∂Uγ  ρC p + ∑ ρUα =− ∑ ω: i hi + ∑ ∂x [− jq ,α ]
~αβ = µ  α +
∂xα  3 γ∑
− µ   δ αβ (9) ∂t α =1 ∂xα i =1 α =1 α
 ∂x β =1
∂xγ  (17)
3 N 3 3
∂T ∂Uα
− ρ ∑ ∑C p ,i ji ,α + ∑ ∑ ~αβ
∂xα α =1β =1 ∂xβ
et Fβ représente les forces de volume, supposées agir sur toutes α =1i =1
les espèces chimiques de la même manière.
Enfin, les trois variables thermodynamiques ne sont pas indépen-
La dernière équation de conservation exprime le premier prin- dantes les unes des autres et elles sont liées par une relation qui
cipe de la thermodynamique qui dit que la variation de l’énergie exprime l’état du fluide. Avec l’hypothèse du gaz parfait, on a :
totale – somme de l’énergie cinétique et de l’énergie interne – est
égale à la puissance des forces extérieures, augmentée de la puis- P = ρ rT (18)
sance calorifique reçue. Soit, dans notre formalisme :
avec r = R/M, où R est la constante des gaz et M la masse molaire
du fluide.
3
∂ρe tot ∂ Finalement, le système à résoudre en l’absence de force de
+∑ [ρUα h tot]
∂t ∂x
α =1 α
volume s’écrit :
(10)
3
∂  N 3  3
= ∑ ∂x  − jq ,α − ∑ hi ji ,α + ∑ Uβ ~αβ  + ∑ Uβ F β 

∂ρ 3 ∂
+∑ [ρUα ] = 0
α =1 α  i =1 β =1  β =1 ∂t α =1 ∂x α

 3 3
 ∂ρYi + ∂ ∂  ∂Y 
Pour un gaz parfait, l’énergie totale etot s’écrit :
 ∂t ∑ ∂x [ρYi Uα ] = ∑ ∂x  ρ_i ,m ∂x i  + ρω: i
α =1 α α =1 α  α 

 ∂ρU β 3 3
P ∂ ∂P ∂
e tot = h tot − (11)  +∑ [ρUα U β ] = − +∑ [~ α ,β ]
ρ  ∂t α =1 ∂x α ∂x β α =1 ∂x α
 3
 ∂ρht ∂
Pour chaque espèce gazeuse, avec l’hypothèse du gaz parfait,  +∑ [ρUα htot ] =
 ∂t α =1 ∂x α
(19)
l’enthalpie hi est définie par : 
 3 ∂  ∂T N
∂Yi 3  ∂P
∑ κ − ∑ hi ρ _ i ,m + ∑ U β ~ α ,β  +
T ∂ x
α =1 α  ∂x ∂ x  ∂t
hi = hi0 + ∫
α i =1 α β =1
C p ,i (T ′) dT ′ (12)
T0  N
 P = ρ ∑Yi ri T

Les enthalpies de formation de chaque espèce hi0 sont données  i =1
dans des tables comme Janaf [33], par exemple pour l’état standard  T
i + ∫T C p ,i (T ′)) dT ′
h = h 0
choisi à T0 = 298 K. L’enthalpie de mélange h est ensuite définie  i
0
par : 

 ω: i = X (Y j , T ...)
N
h = ∑Yi hi (13) Les équations étant posées, nous allons maintenant pouvoir
i =1
nous intéresser à la transformation des gaz frais en gaz brûlés.

et l’enthalpie totale htot n’est autre que la somme de l’enthalpie et


de l’énergie cinétique : 1.3 Thermodynamique de la combustion
des prémélanges
3
Uα Uα Tout d’abord, considérons une discontinuité infiniment mince
h tot = h + ∑ (14) (quelques libres parcours moyens) se propageant à la vitesse D
α =1
2
(figure 2) dans un fluide non visqueux. Le système (19) se simplifie
et on obtient :
Le flux thermique jq,α est donné par la loi de Fourier :
 d
 [ρU ] = 0
dx
∂T 
jq ,α = − κ (15)  d
∂xα  [P + ρU 2 ] = 0 (20)
 dx
 d
Toutefois, il peut être plus intéressant d’écrire l’équation de  [ρUhtot ] = 0
 dx
conservation précédente sous la forme d’un bilan d’enthalpie
totale : En intégrant (20) autour de l’interface, on obtient les relations de
saut suivantes :
3
∂ρh tot ∂
+∑ [ρUα h tot]  ρ1U1 = ρs Us
∂t α =1 ∂xα 
(16) P1 + ρ1U12 = Ps + ρs Us2 (21)
3
∂  N 3  3 ∂P 
= ∑ ∂x  − jq ,α − ∑ hi ji ,α + ∑ Uβ ~αβ  + ∑ Uβ F β + ∂t  U12
 h1 + 2 = hs + 2
Us2
α =1 α  i =1 β =1  β =1

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Onde stationnaire
P

U1 ρ1, T1, P1, Us ρs, Ts, Ps

Figure 2 – Modèle 1D d’onde stationnaire A


1

Dans le référentiel de la discontinuité (une onde de choc par


exemple) et en supposant le milieu initial au repos (U1 = 0), les
équations deviennent : 1/ρ

 − ρ1D = ρs (Us − D )

P1 + ρ1D 2 = Ps + ρs (Us − D )2 (22)
 Figure 3 – Courbes d’Hugoniot et de Crussard
 D2 (Us − D )2
 h1 + 2 = hs + 2
elle ne satisfait pas les bilans de masse et de quantité de mouve-
Des deux premières équations, on déduit la relation suivante : ment. Le point A correspond à la transformation adiabatique iso-
bare (AIBC) réalisée à vitesse D nulle. En ce point hb = h1 , ce qui
nous donne :
 1 1
Ps − P1 = − (ρ1D) 2  −  (23)
 ρ s ρ 1 Tb
N N T1
N N
∫T ∑ Yp C p ,p
0
(T ′) dT ′ + ∑ Yp h p0 = ∫T ∑Yr C p ,r (T ′) dT ′ + ∑Yr hr0
0
(26)
p =1 p =1 r =1 r =1
représentant, dans un système de coordonnées (P, 1/ρ ), une droite,
appelée droite de Rayleigh, de pente – (ρ1D )2. En injectant cette
ou, sous une autre forme :
dernière équation dans la conservation de l’énergie, on obtient la
relation suivante dite d’Hugoniot exprimée en énergie ou en
enthalpie : Tb N
∫T ∑ Yp C p ,p
1
(T ′) dT ′
p =1
 1 1 1 š}}}}}}}}}}}™}}}}}}}}}}}n
Chauffage des produits
 e s − e1 = (Ps − P1)  − 
 2 ρ
 1 ρ s  (27)
T1 N T1 N
N N
 (24)
h − h = 1 1 1 = ∫T ∑Yr C p ,r (T ′) dT ′− ∫T ∑ Yp C p ,p (T ′) dT ′+ ∑Yr hr0 − ∑ Yp h p0
 s 1 (Ps − P1)  + 
0
r =1 p =1 0
r =1 =1
š}}}}}}}}}™p}}}}}}}}
}n
 2 ρ
 1 ρ s 

š}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}™}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}}} n
Q Énergie apportée par la réaction à T1
qui détermine tous les états possibles pour le fluide suite au pas-
sage du choc, compte-tenu de l’état initial P1, ρ1 . L’intersection L’énergie apportée par la réaction Q sert à chauffer les produits de
avec la droite de Rayleigh caractérise entièrement l’état du fluide la combustion.
derrière le choc de vitesse D. Si maintenant on s’intéresse à une Si la composition des produits est connue, la température des
onde de combustion, nous devons ajouter à l’équation de gaz brûlés Tb , appelée ici température de flamme, est
conservation de l’énergie, la chaleur libérée par la réaction complètement fixée par la connaissance des capacités calorifiques
chimique Q, appelée chaleur de réaction et définie par (27). à pression constante Cp et des enthalpies de formation h0, soit
L’équation (24) devient : seulement par la thermodynamique. Sur la figure 4, la tempéra-
ture de flamme calculée pour un mélange hydrogène/air initiale-
1 1 1 ment dans les conditions ambiantes de température et de pression
hb − h1 − Q = (P − P1)  +  (25) est présentée. Cette grandeur peut être mesurée par des
2 b  ρ1 ρb  techniques détaillées dans [R 2 752].
Le point B représente une transformation adiabatique isochore
Nous utilisons maintenant l’indice b pour caractériser l’état du
(AICC) se faisant maintenant à vitesse infinie. D’après (24), e1 = eb .
fluide derrière l’onde de combustion. Cette équation définit la
Si l’on suppose encore connue la composition des produits, l’état
courbe de Crussard et l’intersection avec la droite de Rayleigh
des gaz brûlés (Tb , Pb), appelées dans ce cas température et pres-
caractérise encore l’état du fluide derrière l’onde de combustion. À
sion d’explosion, est de nouveau complètement déterminé par la
ce niveau, nous allons seulement nous intéresser aux points A et B
thermodynamique.
de la figure 3 comme états possibles des gaz brûlés. Sur cette
figure, la courbe contenant le point 1, représentatif des gaz frais, Il nous reste à quantifier la composition des produits. Dans
est la courbe d’Hugoniot. Celle passant par A et B est la courbe de l’introduction, nous avons mentionné que les produits peuvent
Crussard. La zone en pointillés séparant A et B est inaccessible car ne pas atteindre leur plus haut degré d’oxydation. Effectivement,

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pour déterminer l’état d’équilibre final de la réaction chimique en


terme de composition, température et pression. Néanmoins, il est
2 400 important de connaître la vitesse à laquelle s’effectue la réaction
chimique, ne serait-ce que pour calculer les taux de réaction mas-
2 200 siques ω: i . Cela est l’objet du paragraphe suivant.
2 000

1 800 1.4 Cinétique chimique appliquée


TAIBC(K)

1 600 à la combustion des prémélanges


1 400
La réaction chimique de combustion (1) représente, de manière
1 200 macroscopique, le passage des réactifs aux produits comme une
réaction de bilan de matière et d’énergie. En réalité, à l’échelle
1 000 microscopique, le processus chimique s’apparente à une réaction
en chaîne constituée d’étapes plus simples appelées réactions élé-
800 mentaires. Ces étapes font intervenir 2 ou 3 réactifs au plus, ces
600 réactifs pouvant être des molécules (H2 , O2 , CH4 , H2O) ou des radi-
0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 4 4,5 5 caux libres (H, OH, CH, HO2, O). L’ensemble de ces étapes forme le
mécanisme réactionnel. Par exemple, pour le système simple
Richesse Φ hydrogène/oxygène, on dénombre généralement 8 espèces chimi-
ques (H2 , O2 , H2O, H, O, OH, HO2 et H2O2) et une vingtaine de réac-
Figure 4 – Température d’une flamme de prémélange hydrogène/air tions élémentaires [18] présentées dans le tableau 1. Dans ce
calculée par le code EQUIL de CHEMKIN mécanisme, la réaction 6b (l’indice f est utilisé pour la réaction dans
le sens direct – forward en anglais – ou de la gauche vers la droite et
l’indice b pour le sens inverse – backward en anglais) est une réac-
la température atteinte par la flamme peut être telle que des molé- tion d’initiation qui produit les premiers radicaux libres. Une autre
cules soient dissociées, comme par exemple la vapeur d’eau qui réaction d’initiation (9b) concerne l’inflammation à haute tempéra-
forme des radicaux libres OH et H. Les produits peuvent aussi être ture présente dans les détonations gazeuses. Les deux premières
partiellement oxydés avec par exemple, la présence conjointe de réactions (1f et 2f) traduisent l’emballement de la réaction chimique,
monoxyde et de dioxyde de carbone. Enfin, la réaction chimique par l’augmentation rapide du nombre de radicaux libres du fait de
peut ne pas être complète. ces réactions de ramification. La réaction 3f est une réaction de pro-
Pour connaître la composition des gaz brûlés derrière la flamme pagation de chaîne qui intervient moins dans l’emballement bien
ou l’explosion, nous allons appliquer le second principe de la ther- qu’elle produise un radical plus réactif. Les réactions de
modynamique et supposer, qu’à la fin de la combustion, un état consommation du radical HO2 (5f, 6f et 7f) sont importantes pour les
d’équilibre est atteint pour les gaz brûlés. Dans ce cas, la transfor- déflagrations des mélanges pauvres [18]. Le rôle de la réaction 4f
mation thermodynamique entre les gaz frais et les gaz brûlés est dépend de la pression : à basse pression, elle est considérée comme
telle que ∆g = 0, pour le cas adiabatique isobare, ou ∆f = 0, pour le une réaction de terminaison, le radical HO2 étant peu réactif, alors,
cas adiabatique isochore. Le symbole ∆g (respectivement ∆f ) qu’à haute pression, ce même radical devient très réactif et il est res-
représente la différence de l’enthalpie libre G (respectivement ponsable d’une forte diminution du temps de réaction. Certains
l’énergie libre F ) entre les produits et les réactifs. Au passage, les niveaux de température nécessitent aussi la prise en compte de la
fonctions G, enthalpie libre ou fonction de Gibbs, et H, énergie chimie de H2O2 (réactions 10, 11 et 12).
libre ou fonction de Helmholtz, sont introduites dans la thermochi-
mie par analogie avec l’énergie potentielle de la mécanique. Dans
une évolution spontanée à pression constante, ∆g est négatif et Tableau 1 – Mécanisme réduit pour le système
l’état final de cette évolution est fourni par l’équilibre, soit ∆g = 0. hydrogène/oxygène (d’après [18])
En exprimant cette condition pour un mélange de gaz parfaits, on
obtient l’équation supplémentaire : Réactions

1 H + O 2 ( OH + O
∆g = 0 = ∆g0 + RTb ln (K p ) (28)
2 H2 + O ( OH + H
avec la constante d’équilibre Kp donnée par la loi d’action de
masse : 3 H2 + OH ( H2O + H
a 4 H + O 2 + M → HO 2 + M

N
p =1
Pp p
Kp = (29) 5 HO 2 + H → 2OH

N ar
r =1
Pr
6 HO 2 + H ( H2 + O 2
les ai représentant les coefficients stœchiométriques. Cette
constante d’équilibre n’est fonction que de la température pour 7 HO 2 + OH → H2O + O 2
des gaz parfaits. Il est maintenant possible de résoudre
8 H + OH + M ( H2O + M
complètement notre problème et d’obtenir la composition des gaz
brûlés, la pression et la température finales. 9 2H + M ( H2 + M
Généralement, un problème de combustion est fait de beaucoup
d’espèces chimiques et l’ingénieur a recours à des programmes 10 2HO 2 → H2O 2 + O 2
informatiques pour calculer l’état d’équilibre. Citons, par exemple,
11 HO 2 + H2 → H2O 2 + H
les logiciels EQUIL de CHEMKIN [71], GASEQ ou COSILAB qui rem-
plissent ces fonctions. 12 H2O 2 + M → 2OH + M
Dans tout ce que l’on vient de voir, la notion de temps n’inter-
vient pas et nous avons simplement utilisé la thermodynamique M molécule jouant le rôle de diluant.

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Fusion thermonucléaire :
fondamentaux, réalisations
et perspectives

par Guy BONNAUD


Professeur INSTN
Expert international CEA
Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives
Institut national des sciences et techniques nucléaires, Centre de Saclay, Gif-sur-Yvette,
France
Jean-Marcel RAX
Professeur à l’École Polytechnique
Professeur à l’Université Paris-Sud
Université Paris-Sud, Orsay, France
École Polytechnique, Palaiseau, France

1. Fusion et combustion thermonucléaires ........................................ AF 3 683 - 2


2. Confinement magnétique .................................................................... — 6
3. Confinement inertiel ............................................................................. — 11
4. Projets, état de l’art .............................................................................. — 17
5. Conclusions ............................................................................................. — 20
6. Glossaire – Définitions ......................................................................... — 21
Pour en savoir plus ........................................................................................ Doc. AF 3 683

ous les scénarios de développements économiques à long terme prédi-


T sent un doublement, au moins, de la consommation énergétique mondiale
vers la fin de ce siècle. La consommation actuelle est de l’ordre de 1020 joules
par an et, compte tenu de l’impact de l’utilisation de combustibles fossiles sur
notre environnement, la fusion thermonucléaire constitue l’unique voie de
développement permettant de faire face à ce doublement de la demande éner-
gétique, tout en offrant une perspective à très long terme (> 103 ans), exempte
des problèmes de prolifération, d’emballement et de déchets à haute activité.
En termes de densité spécifique d’énergie (J/kg) l’énergie thermonucléaire
offre une densité un million de fois plus élevée que l’énergie chimique. Un
système de conversion d’énergie fondé sur la combustion thermonucléaire de
deutérium (D) et tritium (T), les isotopes de l’hydrogène, suivant la réaction
exothermique : D + T → α (alpha) + n (neutron), génère des déchets radioactifs
de faible activité et ne présente aucun risque d’emballement.
Le deutérium se trouve en quantité abondante dans l’eau, dans une propor-
tion de 1/6 700 par rapport à l’hydrogène ; la masse des océans étant de l’ordre
de 1021 kg les réserves énergétiques potentielles de deutérium terrestre sont
donc de l’ordre de 1011 années sur la base de la consommation actuelle
d’énergie.
Cette estimation optimiste doit être révisée car le tritium est instable et sa
demi-vie est de 12,3 années ; il n’existe donc pas à l’état naturel et doit être
produit dans la couverture du réacteur en utilisant le flux neutronique des réac-
Parution : juillet 2015

tions de fusion D + T → α + n. Le lithium (Li) présente deux réactions

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FUSION THERMONUCLÉAIRE : FONDAMENTAUX, RÉALISATIONS ET PERSPECTIVES ______________________________________________________________

neutroniques permettant la régénération du tritium. Avec l’isotope léger 6Li, la


réaction n + 6Li → α + T est exothermique et présente une réactivité importante
avec les neutrons thermiques. Le lithium se trouve en quantité abondante dans
la croûte terrestre ; les abondances naturelles des isotopes léger et lourd sont
respectivement 7,4 % de 6Li pour 92,6 % de 7Li. Des études théoriques de neu-
tronique conduisent à évaluer à 95 % la fraction de l’énergie des neutrons qui
pourra être déposée dans une couverture tritigène d’une épaisseur de l’ordre
du mètre. Pour l’abondance naturelle du lithium, les réserves énergétiques
potentielles se situent entre 104 et 107 ans, l’estimation basse étant restreinte
aux ressources continentales et l’estimation haute prenant en compte l’exploi-
tation des réserves océaniques.
Pour un réacteur électrogène à fusion offrant une puissance de 1 GW élec-
trique, typique des réacteurs à fission actuels, les besoins annuels sont donc :
123 kg de deutérium + 184 kg de tritium qui, en fusionnant donnent 490 kg
d’hélium. Le deutérium peut être extrait de 3,7 t d’eau naturelle. Une masse de
368 kg de 6Li présents dans 5 000 t de minerai de lithium naturel serait
nécessaire.

1. Fusion et combustion réaliser des réactions exoénergétiques par fusion de noyaux légers
ou par fission de noyaux lourds permettant de récupérer une éner-
thermonucléaires gie ∆E par réaction. Cette deuxième possibilité est mise en œuvre,
depuis plus de soixante ans, dans les réacteurs à fission nucléaire ;
quant à la fusion de noyaux légers, sa mise en œuvre et son
Les énergies d’interactions atomiques et nucléaires sont habi- contrôle constituent les objectifs des programmes de recherches
tuellement mesurées en électronvolt (eV) et megaélectronvolt sur le confinement et le chauffage des plasmas thermonucléaires.
(MeV) dont les facteurs de conversions en joules sont : Plus de 80 réactions de fusions de noyaux légers ont été identi-
1 eV = 1,6 × 10–19 J et 1 MeV = 1,6 × 10–13 J. La constante d’entro- fiées et étudiées, mais la faible valeur des réactivités (sections effi-
pie de Boltzmann, kB = 1,380 × 10–23 J/K, qui apparaît dans l’équa- caces) de ces réactions ne permet pas d’envisager une combustion
tion du gaz parfait (pression [Pa] = kB × densité [m–3] × température thermonucléaire contrôlée. Une seule réaction peut être envisagée
[K]), permet de convertir l’électronvolt en une température : à des fins de production d’énergie dans un avenir proche, la réac-
1 eV [K] =1,6 × 10–19/kB = 11 604 K. Suivant l’usage, nous utilise- tion de fusion du deutérium D (Z = 1, N = 1) avec le tritium T
rons donc une échelle en eV pour mesurer les énergies et repérer (Z = 1, N = 2), les deux isotopes de l’hydrogène. Les deux produits
les températures ; ainsi, par exemple, la température typique d’un de cette réaction sont une particule alpha (α) et un neutron (n) :
plasma thermonucléaire, 10 keV, est donc de l’ordre de 108 K.
D + T → α (3, 52 MeV) + n (14, 06 MeV), ∆E = EDT = 17, 58 MeV

1.1 Section efficace, taux de réaction La particule alpha étant chargée, elle peut être confinée,
collisionnellement ou magnétiquement, et déposer son énergie au
Les noyaux sont constitués d’un ensemble de nucléons, protons sein du mélange réactif d’ions deutérium et tritium, entretenant
et neutrons. L’usage est de noter A le nombre de nucléons, Z le ainsi la combustion. Le taux de réactions de fusion au sein d’un
nombre de protons et N le nombre de neutrons, ainsi : A = Z + N. mélange de combustibles est déterminé par la section efficace de
Tout ensemble de A nucléons en interaction nucléaire ne réaction dont nous rappelons ici la définition. Considérons un fais-
constitue pas nécessairement un noyau stable ; 282 noyaux stables ceau de particules D, de densité nD et de vitesse vD , interagissant
ont été recensés à la surface de la terre. Les noyaux légers sont avec une cible T, de densité nT ; le nombre de réactions par unité
stables pour N ~ Z, les noyaux plus lourds pour N ~ 1,5 × Z. Notons de temps et unité de volume, dN /dxdydzdt, est proportionnelle au
M (A, Z ) la masse d’un noyau possédant A nucléons dont Z pro- flux incident nDvD et à la densité de cible nT . Le coefficient ajustant
tons, notons mp la masse du proton et mn celle du neutron. Les le taux de réaction à ces deux facteurs présente la dimension
énergies associées à ces masses sont respectivement Mc2, d’une surface et définit la section efficace σ (vD) de la réaction :
mpc2 = 938,28 MeV et mnc2 = 939,57 MeV, où c est la vitesse de la
lumière. L’expérience révèle que pour l’ensemble des noyaux pré- [Nombre de réactions D + T → α + n] dN
= = (nD v D ) nT σ (v D )
sents dans notre environnement : M (A, Z ) < Zmp + Nmn. Ce défaut [par unité de volume et unité de temps] dx dy dz dt
de masse conduit à interpréter les noyaux comme un état d’éner-
gie Mc2 inférieur à l’énergie de l’ensemble de ses composants La section efficace de la réaction D + T → α + n, représentée sur
Zmpc2 + Nmnc2. L’origine de la stabilité des noyaux étant ainsi la figure 1, présente un maximum au voisinage d’une centaine de
identifiée, définissons l’énergie de liaison d’un noyau B (A, Z ) par kiloélectronvolts et la valeur de la section efficace pour ce maxi-
la relation : B (A, Z) = Zmpc2 + Nmnc2 – Mc2 ; B (A, Z ) mesure mum est beaucoup plus importante que les sections efficaces
l’énergie libérée lors de la formation d’un noyau à partir de A usuelles des réactions nucléaires basse énergie. Au sein d’un
nucléons indépendants ; lorsqu’elle est positive, la configuration mélange combustible d’ions deutérium et tritium, cette réaction de
nucléaire ainsi obtenue est donc plus stable que l’ensemble des A fusion est accompagnée par plusieurs réactions satellites illustrées
nucléons dispersés. La courbe de l’énergie de liaison E = B (A)/A sur la figure 1. Un mélange réactif d’ions deutérium et tritium, de
en fonction de A est représentée sur la figure 1. La croissance, densités nD [m–3] et nT [m–3] et température T, présente néces-
puis la décroissance de la courbe E (A) indiquent la possibilité de sairement une distribution de vitesses relatives entre D et T. La

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______________________________________________________________ FUSION THERMONUCLÉAIRE : FONDAMENTAUX, RÉALISATIONS ET PERSPECTIVES

3
10–27
D+T→α+n
4
Fusion
E = B/A (MeV)

5 Li
10–29

σ (m2)
6
Fission D+D→T+p
7
He 10–31
U
8 C ∆E Os D + D → 3He + n
O Gd
Ne Xe
Si Kr
Fe

8 20 30 60 120 180 A 101 102 103


E (keV)

a énergie de liaison E par nucléons b sections efficaces des réactions de fusion


B (A,Z)/A en fonction de A D-T et D-D en fonction de l’énergie E

Figure 1 – Énergie de liaison E par nucléon B (A, Z )/A en fonction de A et sections efficaces des réactions de fusion D-T et D-D de fonction de
l’énergie E

quantification de sa réactivité conduit à introduire le taux de réac- aux réactions de fusion, EN [J/kg] ≈ 3,3 × 1014. La comparaison de
tions moyen par unité de volume et unité de temps défini par la ces deux contenus énergétiques spécifiques, cinétique et potentiel,
relation : pour une température de l’ordre de 10 keV, permet d’identifier un
facteur de l’ordre de EN /ET ≈ 300 qui constitue le gain idéal d’une
Nombre de réactions D + T → α + n T combustion thermonucléaire, qui peut être vue comme une
nD nT σv = conversion potentielle-cinétique. Ce gain est significatif et augure
[par unité de volume et unité de temps] favorablement de la mise en œuvre de systèmes de production
d’énergie par combustion thermonucléaire d’un mélange DT.
L’indice T indique une moyenne sur les vitesses relatives distri-
buées thermiquement, et ce que l’on nomme communément le Un cinquième de l’énergie EN produite se trouve, après la réac-
sigmavé, σ v est la moyenne de σ (v) × v sur les distributions tion, sous forme cinétique sur les particules α. Ces particules étant
de vitesses relatives v des noyaux D et T thermiques. Dans la chargées, elles présentent la propriété d’être aisément confinable,
gamme des températures thermonucléaires, une approximation soit à travers les collisions au sein d’une cible dense pour la filière
parabolique : inertielle, soit en utilisant un piège magnétique pour la filière
magnétique. Dans les deux cas, c’est cette énergie cinétique des
σ v [m3 ⋅ s−1] = 1,1× 10−24 Ti 2 [keV] particules α qui chauffe le mélange pour le maintenir dans des
conditions de réactivité optimales, à haute température, entrete-
nant ainsi la combustion. Le transfert de cette énergie cinétique
donne la valeur expérimentale à 10 % près. Nous pouvons donc des particules α vers le mélange combustible est de nature
calculer la densité volumique de puissance nD n T σ v E DT [W ⋅ m−3 ] collisionnelle et conduit à un ralentissement en deux temps : entre
résultant de la combustion d’un plasma thermonucléaire de densi- 3,5 MeV et 500 KeV, l’essentielle de l’énergie est transférée aux
tés nD [m–3] et nT [m–3]. La section efficace représentée sur la électrons thermiques, puis, entre 500 et 10 KeV, aux ions
thermiques.
figure 1 indique que cette densité volumique de puissance ne
devient significative que pour des températures de l’ordre d’une Pour un réacteur tokamak, les temps caractéristiques de trans-
centaine de millions de degrés. Pour ces températures, le fert de l’énergie des particules α au plasma thermique dilué sont
combustible est totalement ionisé, donc en phase plasma, le donnés par :
milieu thermonucléairement réactif est donc composé de noyaux
D et T et d’électrons libres en proportions assurant la neutralité
électrique du mélange. α /électrons
 → Alphas suprathermiques
Alphas rapides 
∼ 0,2 s
3,5 MeV ∼ 500 KeV
α /ions
1.2 Gain : chauffage par les particules ∼

0,05 s
→ Alphas thermiques
∼ 10 KeV
alpha
Deux formes d’énergies sont mises en jeu dans un mélange Pour une cible inertielle dense, la densité étant plus élevée de 10
chaud (10 keV ~ 108 K) de deutérium et tritium : l’énergie cinétique à 12 ordres de grandeur, les temps caractéristiques de transfert de
d’agitation thermique ET , associée à la température T, l’énergie des α au plasma thermique dense sont beaucoup plus
ET [J/kg] ≈ 1,8 × 1011 T [keV] et l’énergie potentielle interne, stockée petits, d’un facteur de 10–10 à 10–12, garantissant un chauffage
dans les liaisons nucléaires, de réactivité nucléaire EN , associée thermonucléaire rapide de la cible après allumage.

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FUSION THERMONUCLÉAIRE : FONDAMENTAUX, RÉALISATIONS ET PERSPECTIVES ______________________________________________________________

En conclusion, pour un mélange stœchiométrique de deutérium Cette identité dépendant seulement de la température T, nous
et tritium occupant un volume V, la puissance Wfus : identifions ainsi une température minimum d’auto-entretien de la
réaction ou température de Post : TPost = 4,3 keV. Il est impossible
d’entretenir une combustion thermonucléaire en dessous de cette
Wfus  W  température . Le modèle conduisant à l’identification de cette tem-
= nD n T σ v E DT
V  m3  pérature ne prend pas en compte les pertes par conduction et
convection, la température de combustion sera donc supérieure à
la température de Post.
dégagée par les réactions de fusion l’est principalement sous
forme d’un flux de neutrons rapides ; seulement un cinquième de
cette puissance Wα = Wfus/5 peut être utilisée pour chauffer le
plasma thermonucléaire, les 4/5 restants étant emportés par les
1.4 Confinement et combustion : critère
neutrons récupérés, ralentis et utilisés dans la couverture tritigène. FCM
Pour construire un modèle de combustion plus réaliste, nous
devons aussi prendre en compte les pertes d’énergie par diffusion
1.3 Pertes : bremstrahlung, cyclotron associées à la conductivité thermique finie du plasma thermonu-
et atomique cléaire. Introduisons Waux [W] la puissance auxiliaire injectée dans
le plasma pour atteindre la température d’allumage et notons
Pour des températures entre 1 et 10 keV (10 et 100 millions de Wdif [W] la puissance perdue par conduction thermique. L’usage
degrés), le rayonnement électronique est important ; aussi, il est est de définir le facteur Q du système de chauffage comme le rap-
nécessaire d’évaluer l’impact des pertes radiatives sur le bilan port de la puissance fusion sur la puissance auxiliaire :
énergétique de la combustion. Nous distinguerons donc, Q = Wfus /Waux = 5 Wα /Waux . Définissons ensuite le temps de
Pb [W/m3] les pertes radiatives dues aux collisions électron-ion confinement de l’énergie τE au sein du plasma thermonucléaire
(bremsstrahlung ) et Pc [W/m3] les pertes radiatives dues au rayon- comme le rapport du contenu énergétique thermique 3 nkBTV sur
nement cyclotron des électrons pour les tokamaks ; on notera que la somme des pertes radiatives PbV et conductives Wdif :
les processus de rayonnement de raies et de recombinaisons ato-
miques participent aussi au bilan radiatif. Pc n’intervient que pour
le confinement magnétique des plasmas thermonucléaires. L’ordre 3nkBTV
τE =
de grandeur de la densité volumique de puissance Pb rayonnée à Wdif + PbV
travers le processus de bremsstrahlung au sein d’un plasma
thermonucléaire, pour une densité ionique ni , une densité électro-
nique ne et une température électronique Te , est donné par : En régime stationnaire, les gains doivent compenser les pertes :
Wdif + PbV = Waux + Wα où seule la puissance portée par les parti-
1
cules α peut être déposée dans le plasma car les neutrons ne sont
Pb [W/m3 ] ≈ 5 × 10−37 Z 2 ni n e [m−6 ] Te2 [keV] pas confinés.
Le temps de confinement de l’énergie que multiplie la densité
L’ordre de grandeur des pertes cyclotroniques Pc , pour une densité du plasma apparaît comme une fonction totalement déterminée de
électronique ne et un champ magnétique B et une température élec- la température. Sous cette forme finale, l’identité entre gains et
tronique Te , est donné par : pertes constitue le critère de Lawson [11] illustré sur la figure 2 :

Pc [W/m3 ] ≈ 6 × 10−17 n e [m−3 ] B 2 [T 2 ] Te [keV]


60 kBT
nτ E (T ) =
Cette formule prédit une densité volumique de pertes radiatives  5
σ v E DT  1+ 
cyclotroniques de l’ordre de quelques mégawatts par mètre cube.  Q
En fait, la réabsorption, qui n’est pas prise en compte dans le
cadre de ce modèle simple, conduit à des pertes inférieures à
Définissons le seuil d’allumage (breakeven ) lorsque la produc-
10–2 MW/m3 ; aussi, dans la suite de l’analyse de l’allumage et de
tion d’énergie du plasma est égale à l’apport des systèmes de
la combustion, les pertes cyclotroniques seront négligées devant
chauffage, c’est-à-dire lorsque Q = 1. Pour une température
les pertes bremsstrahlung Pc 33 Pb .
T = 10 keV et une densité n = 1020 m–3, nous obtenons un temps de
Nous allons voir que ces dernières déterminent la température confinement pour le breakeven de l’ordre de τE ≈ 2s – 3s. La limite
minimum d’allumage d’une combustion thermonucléaire. On Q = ∞ définit le régime de l’ignition car la combustion
notera que la présence d’éléments différents des combustibles s’auto-entretient sans apport extérieur d’énergie. Entre les valeurs
(D, T) et des cendres (α), appelés impuretés, augmente le niveau Q = 1 et Q = ∞ le réacteur fonctionne en amplificateur d’énergie de
des pertes radiatives à travers l’augmentation de Pb résultant de la gain Q. Le critère de Lawson peut être présenté comme une effica-
dépendance en Z, mais aussi à travers le rayonnement de raies cité d’amplification illustrée sur la figure 2. Définissons alors le
Pr < Pb des électrons liés pour les espèces de Z élevés non totale-
ment ionisées conduisant ainsi à un niveau de contamination temps de Lawson τ L (T , n ) = 60 kBT /n σ DTv E DT . Le critère précé-
critique tel que l’allumage devienne impossible. dent peut être formulé comme une relation entre le facteur
d’amplification Q et le rapport du temps de confinement de l’éner-
Considérons un plasma thermonucléaire de densité gie que divise ce temps caractéristique τL :
n = 2 nD = 2nT pour les conditions stœchiométriques, et
Wfus = n 2 σ v V E DT / 4 = 5 Wα . Pour un réacteur idéal de volume V τE
où les pertes sont seulement de nature radiative Pb , la condition Q τ
d’entretien d’une combustion thermonucléaire se résume à l’éga- = L
5 τ
lité des valeurs absolues du gain Wα /V et des pertes Pb : 1− E
τL

Wα n 2 1
= σ v E DT = 5 × 10−37 Z 2 ni n eTe2 = Pb Le domaine où le tokamak ITER opérera est représenté en gris sur
V 20 T =TPost la figure 2.

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nτE (cm3 · s–1) Q

1016
15

1015 Q = 1 000
10

1014 Q=5
ITER 5 ITER

1013
τE
TPost 10 102 T (keV) 0,2 0,4 0,6 0,8 τL

Figure 2 – Critère de Lawson et facteur d’amplification

1.5 Allumage et combustion : critère FCI En prenant comme instant t le temps de confinement du plasma
τc, la fraction maximale de combustible brûlé φc s’écrit :
En FCI (fusion par confinement inertiel), le plasma n’est pas
maintenu dans un état stationnaire. L’énergie extérieure est en n (τ c ) ρDT RDT  g  T [keV]
φc = 1 − = , H   = 2, 56 × 10
−15
effet apportée de manière pulsée ; chauffée, la matière se détend, n0 /2 ρDT RDT + H  cm2  σv
baisse en densité et température, puis se désagrège au bout d’un
certain temps. Pour une sphère de DT de rayon RDT , ce temps de Le gain du DT peut en être déduit comme le rapport de l’énergie
confinement s’écrit τc = RDT/2CS où CS est la vitesse d’expansion de fusion délivrée sous forme des particules (α + n) à l’énergie
du plasma définie par : thermique du plasma :

φ c E DT φc
GDT = = 3 000 ×
m  ZkBTe + 3 kBTi 6kBT T [keV]
CS   = = 4 × 105 T [keV]
s  Amp
où chaque couple D-T fusionnant est supposé donner
EDT = 17,6 MeV pour une énergie thermique (en incluant les élec-
Z désignant le nombre de charge ionique (Z = 1 pour les isotopes trons) 4 × 3 kBT/2. En choisissant kBT = 20 keV qui conduit à
de l’hydrogène), Te,i désignant les températures électronique et H = 14 g/cm2, valeur proche du minimum de la figure 3, et une
ionique et T la température supposée commune. La sphère n’est fraction de combustible brûlé réaliste φc = 0,3, on déduit
pas alimentée continûment en combustible et la densité décroît ρDTRDT = 6 g/cm2 et GDT = 45. Analysons la masse MDT de DT mise
donc au cours du temps par combustion, la loi d’évolution
en jeu ; elle est définie par : MDT = 4 πρDT RDT 3 / 3. L’énergie
des densités de deutérium et tritium au cours du temps, pour
une densité initiale totale n0 , est donnée par : thermique nécessaire pour chauffer ce DT est directement propor-
tionnelle à cette masse. Cette énergie étant délivrée par le laser, on
nD (t ) /n0 = n T (t ) /n0 = 1/ (2 + n0 σ v t / 2) . Ainsi, le temps caractéris- voit qu’il y a intérêt à réduire la masse de DT en jeu, d’une part, et
tique de combustion τB (B pour burn) peut être défini à partir de à comprimer le mélange DT avant de le porter à haute tempéra-
cette loi de décroissance des densités de combustible par la ture, d’autre part. Ainsi, une masse de 10–3 g conduisant à
relation : τ B n0 σ v = 1 . Afin de faciliter la comparaison avec le par- Efus = 1 MJ nécessite ρDT = 324 g/cm3, soit environ 1 500 fois la
cours d’arrêt des particules produites, introduisons la grandeur
densité initiale du DT solide. L’intérêt de comprimer la cible, et pas
ρDTRDT (exprimée en g/cm2) qui, en fonction du produit neτc (expri- seulement de la chauffer, a été publié pour la première fois en
mée en cm–3 · s–1) s’écrit : ρDT RDT = 3, 2 × 10−16 n eτ c Te [keV] . Cela 1972 par le Lawrence Livermore National Lab (LLNL-États-Unis) [5].
conduit au critère du ρDTRDT exprimé en g/cm2 : Estimons le gain complet de la cible pour un mélange DT porté
à 20 keV. Si η = 10 % de l’énergie laser se retrouve sous forme
d’énergie interne dans le DT, le gain de la cible vaut Gci = GDTη = 5.
11 Est-ce suffisant ? Il faut pour cela intégrer cet apport d’énergie
ρDT RDT [g ⋅ cm−2 ] ≈ 3
dans une centrale à fusion, en prenant en compte tous les rende-
T [keV] 2 ments des dispositifs utilisés : électricité → (ηlaser = 0,1-0,3)
laser → (G ) fusion → (ηthermique = 0,33) électrique → (ηr = 0,25)
électrique réinjecté. Un réacteur doit satisfaire au minimum :
équivalents FCI du critère de Lawson FCM. Les particules α créées ηlaser Gciηthermique ηr = 1, ce qui impose GDT = 1 200. Le gain précé-
par réaction de fusion doivent chauffer le DT ; étant des ions, ils demment trouvé GDT = 45 n’est donc pas suffisant. Il existe un
sont fortement ralentis essentiellement sur les électrons libres.
moyen d’augmenter le gain de la cible, en mettant en place un scé-
C’est par collisions électrons-ions que les ions vont ensuite être
nario avec un mélange D-T non uniforme, constitué d’une coquille
chauffés. Pour une température T inférieure à 15 keV, la distance
d’arrêt λα des α reste inférieure à RDT , montrant ainsi la comprimée à basse température (800 g/cm3 à 1 keV) renfermant en
compatibilité avec le critère de TPost < 15 keV. En réalité, le son centre un petit noyau central chaud moins dense et plus chaud
combustible est consommé progressivement et l’on doit prendre (100 g/cm3 à 5-10 keV). Dans ce point chaud, les conditions sont
en compte la dynamique de la combustion décrite par remplies pour déclencher l’allumage thermonucléaire : la fusion
nD (t ) = nT (t ). D-T commence, les particules α créées s’arrêtent dans le fuel

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