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CHAPITRE I

LA NATURE DU DROIT INTERNATIONAL

A. — Les notions fondamentales du droit

LA NORME

E qu'on appelle le droit international est-il un droit au

C sens spécifique du mot? La réponse à cette question


dépend de la définition que l'on donne de la notion de
droit. Pour établir une telle définition il faut d'abord choisir le
concept de base auquel on croit pouvoir rattacher les phéno-
mènes désignés sous le nom de droit. A cet égard nous sommes
en présence de deux thèses opposées. Pour l'une le droit a un
caractère normatif. Il est un ensemble de normes réglant par
des prescriptions ou des permissions la conduite des hommes ou
les relations des hommes entre eux. Le droit serait donc un
ordre normatif au même titre que la morale. Pour l'autre thèse
le droit est un mode particulier de la conduite des hommes ou
des relations des hommes entre eux. Tandis que l'école sociolo-
gique et notamment la théorie marxiste du droit défendent cette
thèse, la théorie pure du droit adopte la première. Elle considère
le droit comme un ordre normatif et elle se refuse à le définir
comme un comportement des hommes ou comme une relation
sociale. Ceux qui essaient de le définir de cette manière doivent,
pour distinguer le droit des autres comportements humains ou
des autres relations sociales, se référer aux normes qui règlent
ces comportements ou ces relations. Pour que ces comporte-
ments ou ces relations aient un caractère juridique, il faut qu'ils
soient réglés par des normes juridiques. Ils sont ainsi l'objet
d'une réglementation juridique, tandis que le droit est cette
réglementation elle-même.
Pour comprendre le sens spécifique du droit tel qu'il s'adresse
aux hommes dont il règle la conduite réciproque, pour définir la
10 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBUC (10)
signification des divers phénomènes juridiques (autorisation,
obligation, responsabilité, organe, compétence, etc.), pour pou-
voir dire d'un comportement humain qu'il est conforme ou
contraire au droit, il faut considérer que le droit prescrit,
interdit ou permet aux hommes de se conduire d'une manière
déterminée, qu'il les autorise à exécuter certains actes ayant le
caractère de conséquences juridiques spécifiques. Or prescrire,
interdire, permettre ou autoriser sont des fonctions normatives
que seules des normes peuvent remplir. On ne peut donc
comprendre le sens spécifique du droit que si on le considère
comme un ensemble de normes.

LE DROIT ET L'ETAT

La conduite des hommes et leurs relations réciproques sont


aussi réglées par d'autres normes que les normes juridiques,
notamment par les normes morales. Il s'agit donc, si l'on veut
définir la notion de droit, d'établir en quoi les normes juridiques
se distinguent des normes d'une autre nature. A cet égard aussi
les opinions divergent. Pour les uns les normes juridiques se
distinguent des autres normes par l'autorité dont elles émanent.
Pour les autres elles s'en distinguent par leur contenu spécifique,
ou ce qui revient au même, par la technique spécifique qui est
utilisée dans un ordre juridique. Dans la première conception
on entend par autorité juridique un groupe d'individus, indépen-
dants à l'égard de l'extérieur, qui, dans le cadre d'un ordre
social créé par eux ou hérité de leurs prédécesseurs, ont le pouvoir
de contraindre les individus, dont la conduite est réglée par cet
ordre, à se conformer aux normes en question. Quand la commu-
nauté ainsi constituée est établie sur un territoire délimité de
façon plus ou moins précise, on croit y voir tous les éléments
essentiels d'un Etat, et si l'on identifie avec l'Etat le groupe qui
exerce le pouvoir, c'est-à-dire le gouvernement de la commu-
nauté, on croit pouvoir distinguer les normes juridiques des
autres normes sociales en disant qu'elles émanent de l'Etat,
qu'elles sont établies par lui ou que leur validité en dépend.
Cette conception très répandue soulève de sérieuses objections.
(11) LE DROIT ET L'ETAT 11

Tout d'abord un gouvernement n'est pas l'Etat. Il est seulement


l'un de ses nombreux organes, et dans un Etat moderne plusieurs
organes sont indépendants du gouvernement. En outre un
groupe d'individus, si puissant soit-il, ne peut être tenu pour une
autorité, pour un organe dont les ordres sont des normes obliga-
toires, qu'à la condition d'être habilité à donner de tels ordres,
c'est-à-dire à créer des normes. Ayant supposé que le groupe
exerçant le pouvoir est indépendant à l'égard de l'extérieur, nous
en déduisons qu'il n'y a pas au-dessus de lui d'ordre juridique
en mesure de l'habiliter à créer des normes et que cette habili-
tation peut seulement émaner de l'ordre juridique qu'il á lui-
même établi ou qu'il est appelé à maintenir. Un groupe d'indivi-
dus ne peut être considéré comme le gouvernement d'un Etat
que s'il exerce son pouvoir conformément aux normes de l'ordre
juridique qui constitue la communauté étatique, c'est-à-dire
s'il agit en qualité d'organe de cette communauté. De même
dans le cas d'un Etat nouvellement créé, le groupe qui assume
pour la première fois le pouvoir ne devient un gouvernement
étatique que par l'effet d'une habilitation rétroactive émanant
de l'ordre juridique qu'il a lui-même créé. C'est de cet ordre
qu'il tient l'autorisation d'exercer le pouvoir, et c'est cette
autorisation qui fait de lui un gouvernement « légitime ».
Nous devons donc supposer la validité du droit quand nous
disons d'un gouvernement qu'il est une autorité légitime. C'est
un ordre juridique valable qui fait d'un usurpateur un gouverne-
ment légitime, ce n'est pas l'usurpateur qui fait le droit. Certaines
normes juridiques n'émanent d'ailleurs en aucune manière du
gouvernement considéré comme un organe juridique. Elles
forment ce qu'on appelle le droit coutumier, car elles sont
créées par les comportements habituels des hommes vivant en
communauté. Un tel droit coutumier peut constituer une com-
munauté qui ne dépend d'aucun gouvernement et n'est, par
conséquent, pas un Etat. Tel est le cas dans les communautés
juridiques primitives, ainsi que dans la communauté constituée
actuellement par le droit international.
Le droit en tant qu'ordre juridique ne saurait donc émaner de
l'Etat, car l'Etat est une communauté constituée par un tel
12 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (12)

ordre, ou plus exactement : un ordre juridique constituant une


communauté juridique. Dire du droit qu'il émane de l'Etat
revient à dire que le droit émane du droit, car l'Etat en
tant que communauté est identique à l'ordre juridique qui
constitue cette communauté. Mais qu'est-ce qu'une « commu-
nauté»? Ce qui est commun aux hommes appartenant à une
communauté, c'est précisément d'être soumis à un seul et même
ordre réglant leur conduite réciproque. Quand on parle du
droit de l'Etat, on emploie une tautologie pour désigner l'Etat
en tant qu'ordre social. Cela n'a apparemment aucun sens
d'affirmer que le droit émane du droit ou que le droit crée le
droit, mais ce que l'on veut dire, c'est que le droit règle sa
propre création, et nous avons là une particularité des ordres
sociaux que nous désignons sous le nom de droit.

LA CONTRAINTE

La distinction que nous venons de faire entre le droit et les


autres normes réglant la vie sociale des hommes n'est pas encore
suffisante. Le critère du droit est un fait d'une importance
fondamentale pour les rapports réciproques des hommes, car
il pose le problème de la liberté et de la contrainte. Tout ordre
social — et le droit est un ordre social — a pour fonction d'ame-
ner les hommes à se conduire d'une manière déterminée, c'est-à-
dire à s'abstenir de certains actes que l'on juge pour une raison
ou pour une autre nuisibles à la société, et à en accomplir
d'autres jugés utiles. Ce but peut être atteint par deux voies
fondamentalement différentes. Dans l'une on menace de faire
usage de la force et on l'emploie effectivement. Dans l'autre on
s'abstient aussi bien de la menace que de l'usage de la force.
Celui qui désire amener autrui à se conduire d'une manière
déterminée peut lui en adresser la requête dans l'espoir qu'il
voudra bien y donner suite par respect ou par amour du requé-
rant. Il peut aussi lui expliquer en quoi la conduite demandée
est appropriée, dans l'idée que les indications ainsi fournies
l'engageront à se conduire de cette façon. Il peut enfin poser sa
propre conduite en exemple ou promettre une récompense pour
(13) LA SANCTION 13
le cas où son désir serait exaucé. Dans toutes ces hypothèses nous
avons une acceptation volontaire de la conduite désirée.
Mais il y a une autre méthode, entièrement différente, d'ame-
ner les hommes à se conduire d'une manière déterminée. Une
autorité peut formuler la menace de leur infliger un mal s'ils
adoptent une conduite contraire. Le mal dont ils sont alors
menacés peut consister dans la perte de la vie, de la liberté,
d'un bien ou de quelque autre valeur. Ce faisant l'autorité admet
que les hommes dont elle veut régler la conduite tiendront à
éviter le mal dont ils sont menacés en adoptant la conduite
désirée et en s'abstenant de la conduite contraire.

LA SANCTION

Nous appelons sanction le mal dont une autorité peut nous


menacer. Si dans la croyance des hommes la sanction émane
d'une autorité surhumaine, elle a un caractère transcendant et
l'ordre social qui la prévoit est un ordre religieux, un système
de normes religieuses. Les ordres sociaux qui se sont formés dans
les sociétés primitives des premiers temps étaient de ce type.
Les hommes se conduisaient de la manière prescrite par les
normes d'un tel ordre, car ils croyaient à l'existence de puis-
sances surhumaines qui en cas de désobéissance les puniraient
en leur infligeant des malheurs de nature diverse, tels qu'une
mauvaise récolte, la maladie ou la mort.
De ces sanctions transcendantes il faut distinguer les sanc-
tions socialement organisées qui sont infligées par des hommes
conformément à un ordre social établi lui aussi par des hommes.
Les sanctions socialement organisées ont le caractère d'actes de
coercition, car elles sont appliquées contre leur volonté aux
sujets soumis à l'ordre social et elles peuvent comporter l'emploi
de la force physique. Tel est le cas lorsque l'application de la
sanction se heurte à une résistance. Quand l'autorité appliquant
la sanction dispose d'une puissance suffisante, le recours à la
force est exceptionnel, mais la possibilité d'y recourir est un fait
essentiel, car s'il n'existait pas, nous ne pourrions pas dire de
la sanction qu'elle est un acte de coercition ou de contrainte.
14 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (14)
Quand un ordre social cherche à amener les hommes à se
conduire d'une manière déterminée en les menaçant de sanctions
en cas de conduite contraire, nous le définissons comme un
ordre de contrainte, car les sanctions qu'il prévoit sont des
actes de contrainte. Il y a un contraste très net entre un tel ordre
de contrainte et tous les autres ordres sociaux fondés sur le
principe de l'obéissance volontaire. Parmi eux nous avons les
divers systèmes de morale, dans la mesure où ils ne prévoient ni
sanctions transcendantes, ni sanctions socialement organisées.
Cette opposition fondamentale dans la vie sociale entre la
liberté et la contrainte nous fournit le critère décisif pour distin-
guer le droit des autres ordres sociaux, car le droit est un ordçe
de contrainte prévoyant des sanctions socialement organisées et
par là il se distingue aussi bien des systèmes dé normes reli-
gieuses que des systèmes de normes purement morales. Le droit
recourt à la technique sociale spécifique qui consiste à essayer
d'amener les hommes à se conduire d'une manière déterminée
en les menaçant de mesures de coercition en cas de conduite
contraire. Cette conduite contraire est la condition spécifique
de la sanction. On la désigne sous des noms divers: crime, délit,
contravention, acte illicite. Nous pouvons d'une manière géné-
rale l'appeler un fait illicite.
Dans le droit national moderne il y a deux espèces de sanc-
tions, la peine et l'exécution forcée. La peine consiste dans
l'enlèvement par la force de la vie, de la liberté ou d'un bien.
Suivant les cas nous l'appelons peine capitale, emprisonnement
ou amende, mais il s'agit toujours de sanctions relevant du
droit pénal. L'exécution forcée est au contraire une sanction du
droit civil. Elle consiste aussi dans l'enlèvement d'un bien par
la force. Si quelqu'un ne paie pas sa dette ou ne répare pas le
dommage qu'il a causé à autrui et si une action est intentée
contre lui devant un tribunal civil par le créancier ou par la
victime du dommage, le tribunal ordonnera une exécution forcée
contre les biens du défendeur. Cette sanction se distingue de
l'amende infligée par un tribunal pénal en ceci que les biens
enlevés en application du code pénal sont attribués à la commu-
nauté juridique, tandis que les biens enlevés en application du
(15) LA SANCTION 15
code civil sont attribués au créancier ou à la victime du dom-
mage. Ainsi la différence entre le droit pénal et le droit civil,
entre l'acte illicite du droit pénal (crime, délit ou contraven-
tion) et l'acte illicite du droit privé repose sur le fait qu'il y a
deux sortes différentes de sanctions. Acte illicite et sanction sont
les deux données fondamentales du droit. Celui-ci est un
ensemble de normes qui rattachent une sanction sous la forme
d'un acte de contrainte à un fait illicite qui en est la condition.
Une norme prescrit ou permet un comportement humain
déterminé. Un ensemble de normes qui pour une raison ou une
autre forment une unité constitue ce que nous appelons un
ordre normatif. Le droit est donc un ordre normatif. Il est de
plus un ordre coercitif, car les sanctions prévues par les normes
juridiques sont des actes de contrainte.

LA NORME JURIDIQUE ET LA RÈGLE DE DROIT

Pour décrire son obj'et la science du droit formule des juge-


ments affirmant que dans certaines conditions, parmi lesquelles
l'acte illicite joue un rôle essentiel, une conséquence déterminée
appelée sanction doit intervenir. Ces jugements hypothétiques
sont appelés des règles de droit. Leur fonction est de décrire les
normes juridiques établies par les autorités juridiques, ainsi que
les relations humaines constituées par ces normes juridiques. Les
règles de droit sont donc formulées par la science du droit.
Celle-ci n'est pas une autorité juridique et n'a, par conséquent,
pas la compétence de créer des normes juridiques prescrivant
ou permettant une conduite déterminée, d'où la distinction très
importante à faire entre la règle de droit, formulée par la science
du droit, et la norme juridique, créée par l'autorité juridique.
La relation établie par une norme juridique entre un acte
illicite et une sanction qui en est la conséquence n'est pas une
relation de cause à effet, comme celle qui apparaît dans les
lois naturelles, par exemple dans la loi selon laquelle un métal
se dilate quand il est chauffé. Les sciences de la nature décrivent
leur objet en formulant des lois naturelles, de la même manière
que la science du droit décrit le sien en formulant des règles de
16 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (16)

droit; mais dans une règle de droit la relation entre la condition


et la conséquence est exprimée par le mot « doit » pour bien
marquer qu'une règle de droit n'a pas la même signification
qu'une loi naturelle. Dans la loi naturelle il y a une relation
nécessaire ou probable entre deux faits, tandis que dans la
règle de droit la relation établie entre l'acte illicite et la sanction
ne signifie pas que si un acte illicite est commis une sanction
sera nécessairement ou probablement appliquée. Elle signifie
qu'en pareil cas une sanction doit être appliquée, même si en
fait elle ne l'est pas. En disant de la sanction qu'elle doit être
appliquée on exprime uniquement l'idée que si un acte illicite
est commis, l'application de la sanction est conforme au droit.
Cela ne signifie pas nécessairement qu'un individu déterminé
soit juridiquement obligé d'appliquer la sanction, car il peut
être seulement autorisé à le faire. La question de savoir si
l'application de la sanction forme ou non le contenu d'une
obligation juridique doit donc être distinguée de celle de savoir
quelle est la signification de la relation établie dans une règle
de droit entre un acte illicite et la sanction qui en est la consé-
quence. Le mot « doit » (en allemand « soll ») n'est donc pas
employé par la théorie pure du droit dans son sens usuel; il
n'exprime pas l'idée d'une obligation juridique ou morale; il
n'exprime que le sens spécifique de la relation entre la condi-
tion (l'acte illicite) et la conséquence (la sanction), cette rela-
tion étant établie par une norme juridique, qui émane d'une
autorité juridique et qui est décrite dans une règle de droit
formulée par la science du droit.

L'ACTE ILLICITE

L'acte illicite est habituellement défini comme une « viola-


tion » du droit. Dans son sens littéral une violation est un acte de
violence, un emploi de la force physique contre un corps phy-
sique dont l'existence physique se trouve ainsi affectée. En ce sens
il n'est pas possible de « violer » une norme juridique statuant
que quelque chose doit être fait, car l'existence spécifique d'une
norme réside dans sa validité, et la validité d'une norme prescri-
vant une conduite déterminée n'est pas affectée par la conduite
(17) L'ACTE ILLICITE 17
contraire. Quand une conduite déterminée est prescrite ou
permise, la possibilité d'une conduite contraire est naturelle-
ment présupposée. Si le vol était impossible, la norme « tu ne
dois pas voler » n'aurait aucun sens.
On dit aussi de l'acte illicite qu'il est contraire au droit ou
illégal. Il serait en quelque sorte une négation du droit. En fait
il n'est ni une violation, ni une négation du droit. Il est un
comportement humain défini par le droit comme la condition
d'une sanction, elle-même déterminée par le droit. Un tel
comportement n'est un acte illicite que parce que le droit en
fait la condition d'une sanction, et c'est en ce sens seulement
qu'on peut dire de lui qu'il est prohibé par le droit.

L'OBLIGATION

Quand un comportement est la condition spécifique d'une


sanction, le comportement contraire est le contenu d'une obli-
gation juridique. Un homme est juridiquement obligé de se
conduire d'une manière déterminée quand une sanction est
prévue pour la conduite contraire. L'affirmation que je suis
juridiquement obligé de ne pas commettre de vols signifie que
si je commets un vol, je dois être puni. De même l'affirmation
que je suis juridiquement obligé de payer ma dette signifie que
si je ne la paie pas, une exécution forcée devra être dirigée
contre mes biens. Le sujet d'une obligation juridique est ainsi
l'auteur possible d'un acte illicite.

LE DROIT SUBJECTIF

Le concept d'obligation est habituellement opposé à celui de


droit subjectif. Le terme de droit subjectif a plusieurs significa-
tions. Celui qui a le droit d'agir d'une manière déterminée peut
être considéré comme libre d'agir de cette manière ou comme
n'étant pas juridiquement obligé de se conduire d'une autre
manière. Mais le terme de droit subjectif ne s'emploie pas seule-
ment dans un sens purement négatif. Il peut avoir une significa-
tion positive. L'affirmation que j'ai le droit de me conduire d'une
18 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC ( 18)
manière déterminée peut avoir le sens que les autres hommes
ont l'obligation de ne pas m'empêcher de me conduire de cette
manière. De même l'affirmation que j'ai le droit d'exiger de
quelqu'un qu'il se conduise d'une manière déterminée signifie
qu'il est obligé de se conduire de cette manière. En ce sens le
droit d'un individu n'est que la contrepartie de l'obligation
d'un ou plusieurs autres individus. Enfin le terme de droit
subjectif peut désigner le pouvoir conféré par le droit objectif
à un individu de produire un effet juridique déterminé, notam-
ment le pouvoir d'appliquer une sanction ou celui d'accomplir
un acte déterminé conduisant directement ou indirectement à
l'application d'une sanction prévue par le droit pour le cas où
un autre individu n'exécuterait pas son obligation.

CENTRALISATION ET DÉCENTRALISATION

Dans les droits primitifs l'exécution de la sanction est décentra-


lisée, c'est-à-dire laissée à celui dont les intérêts sont lésés par
l'acte illicite d'un autre individu. Cette technique juridique est
celle de la justice privée. En cas de meurtre les parents de la
victime ont le droit de tuer le meurtrier ou des membres de sa
famille. Cette sanction des droits primitifs s'appelle la vendetta.
De même quand un individu ne paie pas sa dette ou ne répare
pas le dommage qu'il a causé, le créancier ou la victime du
dommage sont autorisés à lui enlever un bien, au besoin par la
force. Telle est la sanction des droits primitifs en cas de violation
de l'obligation de payer sa dette ou de réparer un dommage.
Avoir un droit a ainsi la signification spécifique d'être autorisé
par l'ordre juridique à exécuter une sanction.
Les ordres juridiques dont la technique est plus développée
présentent cette caractéristique que l'exécution de la sanction y
est centralisée. Il y a en effet un organe spécial, un tribunal, qui
a la compétence d'établir, en suivant une procédure déterminée,
si un acte illicite a été commis et dans l'affirmative d'ordonner
la sanction prévue par le droit. Un autre organe spécial est en
outre chargé d'exécuter la sanction ordonnée par le tribunal.
Dans un ordre juridique centralisé, avoir un droit signifie avoir
(19) LA RESPONSABILITÉ 19

la possibilité juridique d'intenter une action devant le tribunal


compétent, c'est-à-dire de mettre en mouvement la procédure
qui conduira à l'application de la sanction. En ce sens le créan-
cier a le droit de demander que le débiteur paie sa dette et le
propriétaire d'une chose que les autres individus s'abstiennent
de tout acte ayant pour effet de l'empêcher d'en disposer.

LA RESPONSABILITÉ

Un autre concept juridique est celui de responsabilité. La


responsabilité doit être distinguée de l'obligation et plus spéciale-
ment de l'obligation de réparer un dommage. Un individu est
responsable d'un acte illicite quand la sanction est dirigée
contre lui. Ainsi celui qui a commis un crime en est responsable
parce que et dans la mesure où le droit prévoit qu'il doit être
puni. Celui qui omet de réparer le dommage qu'il a causé est
responsable de cette omission parce que et dans la mesure où
le droit prévoit qu'une exécution forcée doit être dirigée contre
ses biens. Dans ces deux cas l'auteur de l'acte illicite en est
responsable. Il y a ainsi identité entre le sujet de l'obligation
et le sujet de la responsabilité. En revanche il se peut qu'un
individu soit responsable d'un acte illicite qu'il n'a pas commis.
Tel est le cas quand le droit prévoit que la sanction doit être
dirigée non pas contre l'auteur de l'acte illicite, mais contre un
autre individu. Quand la sanction est dirigée contre l'auteur
de l'acte illicite, celui-ci est responsable de sa propre conduite
et nous avons ce qu'on appelle une responsabilité individuelle.
Mais quand la sanction n'est pas dirigée contre l'auteur de
l'acte illicite, mais contre un ou plusieurs autres individus,
ceux-ci sont responsables d'un acte illicite qu'ils n'ont pas
commis. Il y a alors responsabilité pour un acte illicite commis
par autrui.
La différence entre l'obligation et la responsabilité apparaît
dans le fait qu'un individu peut seulement être obligé de se
conduire lui-même d'une manière déterminée. Il ne peut pas
être soumis à l'obligation qu'un autre individu se conduise de
telle ou telle manière. En revanche chacun peut être responsable
aussi bien de sa propre conduite que de celle dfautrui.
20 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (20)
L'individu responsable d'un acte illicite commis par autrui
se trouve généralement dans une situation juridique déterminée
à l'égard de l'auteur de l'acte. Le droit peut par exemple
prévoir que le père ou le mari doit être puni pour un crime
commis par son enfant ou sa femme. Le commandant d'une
armée occupant en temps de guerre une ville située en territoire
ennemi peut décider que le maire de la ville sera exécuté si des
actes interdits par le droit de la guerre sont commis par n'im-
porte quel autre individu contre l'armée d'occupation. Tous les
membres d'une famille sont responsables d'un acte illicite
commis par l'un d'eux, si la sanction prévue par le droit peut
être dirigée contre chacun d'eux. Quand des individus sont
responsables d'un acte illicite non parce qu'ils l'ont commis,
mais parce qu'ils appartiennent au même groupe social (famille,
tribu ou Etat) que l'auteur de l'acte, nous parlons de responsa-
bilité collective. C'est donc un cas particulier de la responsa-
bilité pour fait d'autrui. Il y a responsabilité collective dans le
cas de la vendetta, car la sanction n'est pas dirigée seulement
contre le meurtrier, mais aussi contre les membres de sa famille.
Il y a aussi responsabilité collective quand Jahvé dans les dix
commandements menace de punir les enfants et les enfants de
ces enfants pour les péchés commis par leur père.
Il est possible d'identifier ainsi l'auteur de l'acte avec d'autres
individus, quand il y a entre eux une relation déterminée, sur
laquelle se fonde la responsabilité collective. Celle-ci prévaut
dans les droits primitifs. L'homme primitif pense et sent de
façon collectiviste. Il ne se considère pas comme un individu
essentiellement différent et indépendant des autres membres du
groupe, mais comme un élément intrinsèque de ce groupe.
Dans le droit national moderne au contraire la responsabilité
individuelle prévaut d'une manière générale. La responsabilité
collective y a un caractère exceptionnel. On la rencontre par
exemple dans le droit des sociétés.
Etre responsable d'un acte illicite et avoir l'obligation de
réparer le dommage matériel ou moral causé par cet acte sont
deux choses différentes. Normalement l'auteur de l'acte illicite
est obligé de réparer le dommage qu'il a causé, mais le droit
(21) LA RESPONSABILITE 21

peut aussi imposer cette obligation à quelqu'un d'autre. Ainsi


l'employeur peut être tenu de réparer le dommage que son
employé a causé par négligence. On dit alors que l'employeur
est « responsable » du dommage causé par son employé. Cette
expression n'est pas correcte, car elle évoque l'idée que l'employ-
eur est responsable d'un acte illicite commis par autrui. En
réalité l'employeur n'est pas responsable du dommage. Il a
seulement l'obligation de le réparer. Sa responsabilité n'est
engagée que s'il n'exécute pas son obligation de réparer le
dommage et il est alors responsable de son propre acte illicite et
non d'un acte illicite commis par autrui; car s'il ne répare pas
le dommage, une sanction doit être dirigée contre lui en sa
qualité d'auteur de l'acte illicite qui consiste dans le fait de
n'avoir pas exécuté son obligation de réparer le dommage. La
responsabilité juridique doit donc être distinguée de l'obligation
juridique.
Le droit étant un ordre social réglant la conduite réciproque
des hommes, une sanction est rattachée à la conduite d'un
individu en raison des effets nuisibles que cette conduite a ou
peut avoir pour d'autres individus. Ces effets nuisibles peuvent
être produits par l'auteur de l'acte illicite de façon intentionnelle
ou par négligence. Ils peuvent l'être aussi par pur accident,
sans aucune intention ou négligence. Quand une sanction n'est
rattachée à une conduite déterminée que si l'effet nuisible de
cette conduite a été produit intentionnellement ou par négligence,
nous parlons d'une responsabilité fondée sur la faute. Mais
quand la sanction est prévue aussi dans l'hypothèse où l'effet
nuisible a été produit sans intention ni négligence de la part de
l'auteur de l'acte illicite, nous parlons d'une responsabilité
absolue, car l'auteur de l'acte illicite ne peut pas échapper à la
sanction en faisant valoir que l'effet nuisible de sa conduite a
été produit sans intention ni négligence de sa part et qu'il a par
conséquent pris toutes les précautions normalement requises
pour l'éviter.
La distinction entre la responsabilité fondée sur la faute et
la responsabilité absolue caractérise les ordres juridiques relative-
ment évolués. Elle est inconnue dans les droits primitifs, où
22 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (22)
prévalent la responsabilité collective et la responsabilité absolue.
La responsabilité collective est d'ailleurs essentiellement une
responsabilité absolue, car la sanction est alors dirigée contre
des individus qui ne sont pas les auteurs de l'acte illicite. Comme
ils ne l'ont pas commis, on ne saurait retenir ni leur intention,
ni leur négligence. La sanction est dirigée contre eux malgré
l'absence de toute intention ou négligence de leur part. Leur
responsabilité est donc absolue et la responsabilité collective a
toujours ce caractère à l'égard des individus responsables. Il se
peut qu'un ordre juridique ne rende un ou plusieurs individus
responsables d'un acte illicite commis par autrui que dans les
cas où cet acte illicite a été commis intentionnellement ou par
négligence. Nous avons alors une responsabilité absolue à
l'égard du ou des individus que le droit déclare responsables,
mais leur responsabilité est fondée sur la faute de l'auteur de
l'acte illicite. Tel est le cas par exemple quand une norme
juridique prescrit de diriger une exécution forcée contre les
biens d'une société (c'est-à-dire contre la propriété collective de
ses membres), si un dommage, causé intentionnellement ou par
négligence par un organe de la société, n'a pas été réparé. Aucune
exécution forcée n'est alors prescrite si l'individu qui a agi en
qualité d'organe de la société a causé le dommage sans qu'il y
ait eu intention ou négligence de sa part. En pareil cas la respon-
sabilité de la société est la responsabilité collective de ses
membres, mais elle est fondée sur la faute de l'auteur de l'acte
illicite et non sur celle du ou des individus responsables.

LE MONOPOLE DE LA FORCE

L'acte de contrainte prescrit ou permis par le droit à titre de


sanction est un acte comportant l'emploi de la force par un
individu contre un autre. Dans un droit national l'emploi de la
force est un acte illicite s'il n'a pas été prescrit ou permis par
l'ordre juridique et en règle générale il n'est prescrit ou permis
qu'à titre de sanction. Le terme d'acte illicite que nous employons
pour désigner la conduite constituant la condition de la
sanction n'a aucune signification morale. Il indique seulement
la conduite contre laquelle une sanction est prévue par le droit.
(23) LE MONOPOLE DE LA FORCE 23

L'une des caractéristiques du droit national est précisément


qu'il détermine les conditions auxquelles la force peut être
légitimement employée. Un recours à la force dans de telles
conditions est conforme au droit et il a dans la règle le caractère
d'une sanction. Si la force est employée dans d'autres conditions,
nous avons un acte illicite. Ainsi dans le droit national l'emploi
de la force est d'une manière générale soit une sanction, soit un
acte illicite. A titre d'exception citons l'autorisation de recourir
à la force quand il s'agit d'interner un aliéné dans un asile ou
d'isoler des individus atteints d'une maladie contagieuse. Quant
à l'internement en temps de guerre de ressortissants d'un Etat
ennemi, il a pour but de les empêcher de commettre des actes
illicites contre l'Etat où ils résident et à ce titre il peut être
interprété comme une sanction. Ceci vaut aussi pour l'interne-
ment dans un camp de concentration auquel peuvent être
soumis en temps de paix des individus suspects au point de vue
politique.
Quand un ordre juridique prévoit une sanction, il autorise
un individu déterminé à exécuter l'acte de contrainte que cette
sanction comporte. L'individu en question peut être considéré
comme un organe de la communauté constituée par l'ordre
juridique. La sanction apparaît alors comme un acte de la
communauté, en ce sens qu'elle est imputée à la communauté.
Or si un ordre social statue que des actes de contrainte ne
peuvent être exécutés que dans des conditions déterminées et
par des individus déterminés, et si nous considérons ces individus
comme des organes de la communauté constituée par l'ordre
social, nous pouvons dire que cet ordre social réserve l'emploi
de la force à la communauté, qu'il établit un monopole de la
force au profit de la communauté.
Ce monopole peut être centralisé ou décentralisé. Il est cen-
tralisé quand l'ordre social institue, selon le principe de la
division du travail, des organes spéciaux chargés d'appliquer les
sanctions. Tel est le cas, quand un ordre juridique institue d'une
part des tribunaux ayant la compétence d'établir selon une
procédure déterminée si un acte illicite a été commis et qui en
est responsable, et d'autre part des organes chargés d'exécuter
24 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (24)
les sanctions ordonnées par les tribunaux. En revanche le mono-
pole de la force est décentralisé quand le principe de la justice
privée prévaut, c'est-à-dire quand les deux fonctions que nous
venons de mentionner sont confiées par l'ordre juridique aux
individus lésés par un acte illicite, comme c'est le cas dans la
vendetta. Bien que les individus lésés aient alors, pour ainsi dire,
le droit à leur disposition, bien qu'ils exercent le principe de la
justice privée, ils peuvent néanmoins être considérés comme
agissant en qualité d'organes de la communauté.
Même quand le principe de la justice privée prévaut, il y a
lieu de distinguer entre un emploi licite et un emploi illicite de
la force. Le parent d'un individu assassiné n'est pas lui-même
un assassin s'il se venge en tuant l'assassin ou l'un de ses parents.
Il ne viole pas le droit, mais il l'applique et il peut par consé-
quent être considéré comme un organe de la communauté
constituée par le droit. En revanche il n'est pas un organe
spécialisé, institué selon le principe de la division du travail, tel
qu'un tribunal ou un gendarme. Dans le cadre de la justice
privée le droit autorise l'individu lésé par un acte illicite à
appliquer la sanction. La fonction de cet individu est ainsi
déterminée par l'ordre juridique. S'il fait usage de la force,
il applique le droit. Nous pouvons donc ici aussi parler d'un
monopole de la force au profit de la communauté, car l'ordre
juridique constituant la communauté détermine à la fois les
conditions dans lesquelles la force peut être employée et les
individus autorisés à l'employer. La caractéristique du droit est
donc bien l'institution d'un monopole de la force au profit de
la communauté juridique.

L A SÉCURITÉ COLLECTIVE

Quand le principe de la justice privée prévaut, l'ordre juri-


dique peut autoriser ou même obliger les individus qui ne sont
pas directement lésés par un acte illicite à assister la victime dans
sa réaction légitime contre l'acte illicite, c'est-à-dire dans l'appli-
cation de la sanction. En revanche le principe de la justice
privée est écarté quand l'ordre juridique réserve l'application
(25) LA SÉCURITÉ COLLECTIVE 25

de la sanction à un organe spécial, c'est-à-dire quand le mono-


pole de la force est centralisé. Si les membres de la communauté
juridique sont obligés et non seulement autorisés à assister la
victime d'un acte illicite dans l'application de la sanction, ou si
l'application de la sanction est réservée à un organe spécial de
la communauté, nous pouvons parler de sécurité collective.
Nous avons ainsi deux étapes dans le développement de la
sécurité collective. Dans la première le principe de la justice
privée continue à prévaloir, mais les membres de la commu-
nauté sont juridiquement obligés d'assister la victime d'un acte
illicite et plus spécialement la victime d'un recours illicite à la
force. Dans la seconde étape le monopole de la force est centra-
lisé, puisque l'application de la sanction est réservée à un organe
central de la communauté. Il est clair que la sécurité collective
est plus effective quand le monopole de la force est centralisé.
Le défaut évident d'une décentralisation réside dans le fait
qu'il n'y a pas d'autorité distincte et indépendante des parties
pour déterminer si dans un cas concret un acte illicite a été
commis. Quand les parties ne sont pas d'accord sur ce point,
on peut se demander si l'acte de contrainte dirigé par la préten-
due victime contre l'auteur d'un acte prétendu illicite doit être
considéré comme une sanction ou comme un acte illicite. S'il
n'y a pas d'autorité centrale compétente pour résoudre cette
question d'une manière objective, la réponse est toujours dou-
teuse. Un autre défaut tout aussi grave d'une décentralisation
du monopole de la force apparaît quand le ou les individus
autorisés par le droit à appliquer la sanction sont moins puis-
sants que l'auteur de l'acte illicite et son groupe. En pareil cas
la sanction ne peut pas être appliquée avec succès.
Eu égard à ces circonstances on a parfois voulu réserver le
terme de droit aux ordres de contrainte qui établissent un
minimum de centralisation en instituant des tribunaux et des
organes d'exécution. Selon cette conception il n'existerait pas
de véritable droit aussi longtemps que prévaut le principe de la
justice privée. L'établissement d'un système relativement centra-
lisé de sécurité collective serait alors une condition essentielle
pour que l'on puisse parler de droit.
26 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (26)

Pour notre part nous n'acceptons pas cette restriction du


domaine du droit. Nous considérons qu'un ordre social est un
ordre juridique même si le monopole de la force y est seulement
décentralisé selon le principe de la justice privée. La centralisa-
tion du monopole de la force est en effet le résultat d'une évolu-
tion lente et graduelle. Le passage de la décentralisation à la
centralisation, si important soit-il, est moins décisif que le pas-
sage d'un état de complète anarchie à un ordre social déter-
minant les conditions dans lesquelles la force peut être employée
et désignant les individus autorisés à l'employer. Dans un tel
ordre social le monopole de la force est seulement décentralisé
et le principe de la justice privée prévaut, de telle sorte qu'une
distinction doit être faite entre un emploi licite et un emploi
illicite de la force. Il y a donc des raisons suffisantes pour consi-
dérer qu'un tel oçdre de contrainte fondé sur le principe de la
justice privée est déjà un ordre juridique, mais un ordre juridique
primitif.

L A LÉGITIME DÉFENSE

Quoi qu'il en soit, même dans le droit étatique, qui est


l'ordre juridique le plus centralisé, le principe de la justice privée
n'est pas complètement éliminé. Il se maintient dans l'institution
généralement acceptée de la légitime défense, qui est une sorte
de justice privée. Elle consiste dans l'autorisation donnée à un
individu d'employer la force contre un autre individu faisant
un usage illicite de la force. Dans un ordre juridique primitif
où l'emploi de la force n'est pas centralisé, le droit de légitime
défense est compris dans le principe de la justice privée, tandis
que dans un ordre juridique où le monopole de la force est
centralisé la légitime défense est un minimum de justice privée
dont même un tel ordre juridique ne peut pas se passer.

L E DROIT ET LA PAIX

Une communauté ne peut se maintenir que si chacun de ses


membres respecte certains intérêts des autres membres, tels que
la vie, la liberté, la propriété ou d'autres valeurs. Il faut donc
que chacun s'abstienne d'intervenir dans cette sphère d'intérêts
(27) L'EMPLOI DE LA FORCE 27
d'autrui. La technique sociale que nous appelons le droit
consiste précisément à amener les hommes à respecter cette
sphère d'intérêts. A cet effet il recourt à certains moyens spéci-
fiques, comportant une intervention dans la sphère d'intérêts de
celui qui n'a pas respecté celle d'autrui. Œil pour œil, dent
pour dent, telle est l'idée de rétribution qui se trouve à la base
de cette technique sociale. A un stade ultérieur de l'évolution
le but de la sanction paraît avoir un caractère plus préventif que
rétributif, mais c'est là seulement un changement dans la justi-
fication idéologique de la technique du droit et non dans la
technique elle-même.
Le droit réserve ainsi l'emploi de la force à la communauté en
déterminant les conditions dans lesquelles certains individus et
eux seuls sont autorisés, en qualité d'organes de la commu-
nauté, à intervenir par la force dans la sphère d'intérêts des
hommes soumis à un ordre juridique. Ce faisant le droit garantit
la paix. Si par paix on entend le fait de ne pas recourir à la
force, le droit n'assure pas une paix absolue, car il ne garantit
pas l'absence de tout recours à la force. Il établit au contraire
un monopole de la force au profit de la communauté juridique.
Pour protéger la sphère d'intérêts d'un individu, il faut déter-
miner les conditions dans lesquelles il est permis d'intervenir
par la force dans cette sphère, de telle sorte que toute autre
intervention soit interdite. Il faut donc que l'emploi de la force
pour intervenir dans la sphère d'intérêts d'un individu devienne
un monopole de la communauté. Tant que l'ordre social n'éta-
blit pas un tel monopole, il ne saurait protéger la sphère d'inté-
rêts de chacun de ses membres. En d'autres termes un tel ordre
ne peut pas être considéré comme un ordre juridique et il
n'institue pas un état de paix au sens où nous l'entendons ici.
Telle est la relation qui existe entre le droit et la paix. Son
importance est essentielle pour l'interprétation du droit inter-
national.
28 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (28)

B. — Le droit international

L A QUESTION DÉCISIVE

Si l'analyse que nous venons de faire est correcte, il est


possible de décrire le droit d'une communauté, l'ordre juridique
qu'il constitue, en formulant une série de propositions établis-
sant que si telles conditions sont remplies, tel acte de contrainte
doit être exécuté. Nous avons là le schéma des propositions
hypothétiques que nous appelons des règles de droit, le mot
règle étant entendu non dans un sens normatif, mais dans u n
sens descriptif.
La question de savoir si le droit international est un droit au
sens que nous venons d'indiquer revient à celle de savoir si les
phénomènes auxquels on donne communément le nom de droit
international peuvent être décrits par des règles de droit sem-
blables à celles qui servent à décrire un droit national.
Le droit international est un véritable droit si les actes d e
contrainte des Etats, leurs interventions par la force dans la
sphère d'intérêts d'un autre Etat, ne sont permis en principe
qu'à titre de réaction contre un acte illicite, avec cette consé-
quence que l'emploi de la force à toute autre fin est interdit.
En d'autres termes il faut que les actes de contrainte accomplis à
titre de réaction contre un acte illicite puissent être interprétés
comme une réaction de la communauté juridique internationale.
Le droit international est un droit à l'instar du droit national
s'il est possible, en principe, d'interpréter le recours à la force par
un Etat contre un autre soit comme une sanction, soit comme
un acte illicite.
Par droit international nous entendons seulement le droit
international général et non le droit international particulier.
Le droit international général est un droit coutumier, créé par
le comportement habituel des Etats, et il vaut pour tous les
Etats appartenant à la communauté internationale. En revanche
le droit international particulier ne vaut que pour certains
Etats et il comprend notamment les normes créées par des
traités valables seulement pour les Etats contractants.
(29) L'ACTE ILLICITE 29
Notre problème doit dès lors être formulé comme suit : Trouve-
t-on dans le droit international général quelque chose ressem-
blant à une sanction, c'est-à-dire un acte de contrainte prévu
comme la conséquence d'une conduite déterminée d'un Etat et
consistant dans une intervention par la force dans la sphère
d'intérêts, normalement protégée, de cet Etat ? Cette question
couvre celle de savoir s'il y a en droit international général
quelque chose ressemblant à un acte illicite, car il résulte de
notre exposé antérieur que juridiquement la conduite d'un Etat
ne peut être considérée comme un acte illicite que si le droit
international rattache à cette conduite une sanction dirigée
contre l'Etat qui en est responsable.

L'ACTE ILLICITE EN DROIT INTERNATIONAL

On admet généralement qu'il y a en droit international


quelque chose ressemblant à un acte illicite, à savoir des com-
portements de l'Etat qui sont jugés contraires au droit inter-
national, qui violent ce droit. Cela découle du fait que le droit
international est considéré comme un système de normes pres-
crivant ou permettant aux Etats de se conduire d'une manière
déterminée. Si par exemple un Etat envahit le territoire d'un
autre Etat sans pouvoir invoquer une raison spécifique, recon-
nue par le droit international, ou s'il néglige de se conformer à
un traité conclu avec un autre Etat, sa conduite est jugée
contraire à l'ordre juridique international dans le même sens
que la conduite d'un menteur est jugée contraire à l'ordre moral.
Dans ce sens général il y a sans aucun doute des actes illicites au
regard du droit international. Mais peut-on parler ici d'actes
illicites dans un sens spécifiquement juridique? En d'autres
termes le droit international prévoit-il l'application de sanctions,
d'actes de contrainte, contre les Etats responsables d'un acte
illicite, c'est-à-dire contre les Etats responsables d'une conduite
déterminée dont le droit international fait la condition d'une
sanction ?
30 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT IJfTERN. PUBLIC (30)

L'OBLIGATION INTERNATIONALE DE RÉPARER LE DOMMAGE

Par sanction en droit international bien des auteurs entendent


l'obligation de réparer les dommages moraux ou matériels
causés par un acte illicite. La réparation d'un dommage moral
consiste dans des excuses formelles présentées par l'Etat respon-
sable de l'acte illicite. Ces excuses peuvent prendre la forme de
cérémonies telles que les honneurs rendus au pavillon de l'Etat
lésé. La réparation d'un dommage matériel consiste dans le
rétablissement de la situation qui existait avant l'acte illicite,
ou, si cela n'est pas possible, dans le paiement d'une indemnité
adéquate. Cette obligation de réparer un dommage peut être
appelée une obligation secondaire, car elle ne se forme que si
l'Etat a négligé d'exécuter son obligation principale ou primaire.
L'obligation de réparer est ainsi substituée à une autre obliga-
tion qui n'a pas été exécutée.
Il se peut cependant que dans un cas concret l'obligation de
réparer prévue in abstracto par le droit international général ne se
forme pas in concreto. L'obligation de réparer n'existe que si un
acte illicite a été commis et il n'y a en droit international général
aucune autorité objective, aucun tribunal ayant la compétence
d'établir l'existence d'un acte illicite. Cette fonction est laissée
par le droit international général aux Etats en cause. Par consé-
quent un Etat ne peut se tenir pour obligé de réparer un dom-
mage que s'il reconnaît avoir commis un acte illicite. En d'autres
termes les Etats en cause doivent se mettre d'accord sur ce point.
Il se peut qu'ils n'y parviennent pas et même s'ils y parviennent,
cela ne suffit pas à établir une obligation concrète de réparer le
dommage, car l'Etat responsable d'un acte illicite n'est pas
obligé d'accepter n'importe quelle demande unilatérale de
réparation formulée par l'Etat lésé. Les deux Etats doivent donc
s'entendre sur la nature de la réparation. Aussi longtemps qu'il
y a désaccord sur l'existence d'un acte illicite ou sur la nature
de la réparation, il n'est guère possible d'admettre l'existence
d'une obligation concrète de réparer. Dans un droit national la
situation est tout à fait différente. Un accord entre l'auteur de
l'acte illicite et la victime n'est pas nécessaire, car il y a des
(31) L'ACTE ILLICITE 31

tribunaux pour établir l'existence de l'acte illicite et pour


déterminer la nature de la réparation, si les parties en cause
n'ont pas pu s'entendre à ce sujet.
En opposition à la théorie traditionnelle il est ainsi permis
d'admettre que le droit international général n'impose pas à
un Etat l'obligation de réparer le dommage qu'il a causé et
qu'il n'impose pas non plus à l'Etat lésé l'obligation de chercher
à obtenir réparation avant de recourir à des représailles ou à la
guerre contre l'Etat responsable de l'acte illicite. Le droit
international général prévoit seulement que l'Etat responsable
de l'acte illicite peut éviter les représailles ou la guerre de la
part de l'Etat lésé, c'est-à-dire, comme nous le verrons, des
actions qui sont les sanctions du droit international, s'il s'entend
avec l'Etat lésé sur la réparation des dommages moraux et
matériels causés par l'acte illicite et s'il exécute l'obligation
résultant de cette entente.
Même si l'on admettait qu'en droit international général la
violation d'une obligation donne immédiatement naissance à
l'obligation secondaire de réparer le dommage, on ne peut pas
considérer que cette obligation secondaire ait le caractère d'une
sanction, car une sanction est un acte de contrainte. Elle ne
peut pas être une obligation et c'est la violation de l'obligation
qui est la condition d'une sanction.

LES SANCTIONS DU DROIT INTERNATIONAL

En statuant une sanction comme conséquence d'une conduite


déterminée, le droit fait de cette conduite un acte illicite et il
établit l'obligation d'observer la conduite contraire. Comme
nous l'avons déjà constaté, la sanction et l'obligation sont deux
concepts différents. Si la sanction prévue comme conséquence
d'une conduite déterminée peut être évitée en réparant le
dommage causé par cette conduite, nous pouvons décrire cette
situation juridique en disant: Si quelqu'un se conduit d'une
manière déterminée et s'il ne répare pas le dommage résultant
de cette conduite, un acte de contrainte doit être exécuté à titre
de sanction. La sanction est alors conditionnée par un acte
32 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (32)

illicite comprenant deux éléments distincts, d'une part l'acte


qui a causé le dommage et d'autre part la non réparation du
dommage. L'existence d'une telle sanction constitue une obli-
gation primaire de s'abstenir de la conduite qui a causé le
dommage et une obligation secondaire de réparer le dommage
résultant de l'inexécution de l'obligation primaire. Mais ni l'une,
ni l'autre obligation n'est une sanction.
Dès lors la question décisive quant à la nature du droit inter-
national peut être formulée ainsi : Le droit international prévoit-
il des actes de contrainte comme conséquence de certains com-
portements des Etats, définis par le droit international, ou en
d'autres termes le droit international définit-il certains comporte-
ments des Etats comme conditions d'actes de contrainte, faisant
ainsi de tels comportements des actes illicites, et de tels actes de
contrainte des sanctions? Le droit international prévoit-il une
intervention par la force dans la sphère d'intérêts, normalement
protégée, de l'Etat responsable d'un acte illicite? Si de tels actes
de contrainte sont prévus par le droit international, ils ne peu-
vent être exécutés que par un Etat agissant individuellement en
qualité de sujet du droit international, car la communauté
juridique constituée par le droit international général est com-
plètement décentralisée. Elle ne possède aucun organe spécial
pour la création et l'application du droit. Cette décentralisation
donne au droit international général le caractère d'un droit
primitif. Comme il est dépourvu d'organes spéciaux pour remplir
les fonctions législatives, judiciaires et administratives, ces fonc-
tions sont remplies par les membres eux-mêmes de la commu-
nauté juridique. Quand le droit international général prévoit
des actes de contrainte à titre de sanction, il autorise les Etats
intéressés à exécuter ces actes selon le principe de la justice
privée.

LES REPRÉSAILLES

Nous avons formulé la question décisive quant à la nature du


droit international de la manière suivante : le droit international
prévoit-il des sanctions, c'est-à-dire des actes de contrainte,
comme conséquence de certains comportements des Etats,
(33) LES REPRÉSAILLES 33

définis par le droit international, faisant ainsi de ces comporte-


ments des actes illicites? Une analyse des relations internationales
montre qu'il y a deux sortes de tels actes de contrainte ou d'inter-
ventions par la force dans la sphère d'intérêts d'un Etat qui est
normalement protégée par le droit international. La différence
réside dans le degré de l'intervention, qui peut être limitée ou
illimitée, suivant qu'elle affecte certains intérêts seulement de
l'Etat contre lequel elle est dirigée, ou au contraire l'ensemble de
ses intérêts. L'opinion prévaut généralement qu'une intervention
limitée dans la sphère d'intérêts d'un Etat est un acte illicite au
sens du droit international, à moins qu'elle n'ait le caractère de
représailles. Elle est permise à titre de représailles et elle n'est
pas un acte illicite quand elle est une réaction contre un acte
illicite. On définit habituellement les représailles en disant
qu'elles sont des actes normalement illicites, mais exceptionnelle-
ment permis s'ils sont la réaction d'un Etat contre la violation
d'un de ses droits par un autre Etat. Voici quelques exemples
typiques de représailles exercées contre un Etat responsable d'un
acte illicite: l'Etat lésé peut confisquer des biens appartenant à
l'Etat responsable ou à l'un de ses ressortissants, il peut négliger
d'exécuter l'une ou l'autre de ses obligations conventionnelles à
l'égard de cet Etat, et en temps de guerre il peut ne pas tenir
compte des normes sur la conduite de la guerre si l'autre Etat
ne les a pas respectées en employant par exemple des gaz
toxiques.
Dans l'exercice des représailles l'usage de la force armée n'est
pas exclu, mais si un acte de contrainte comporte l'usage de la
force armée, il est difficile de discerner dans un cas concret s'il
s'agit de représailles — intervention limitée dans la sphère
d'intérêts d'un Etat — ou de l'intervention illimitée connue sous
le nom de guerre.
C'est un principe généralement reconnu que les représailles
doivent être proportionnées à l'acte illicite contre lequel elles
sont dirigées. Rien ne nous empêche donc de considérer que les
représailles sont des sanctions du droit international, puisqu'elles
sont des réactions contre des violations de ce droit, contre des
actes illicites au sens de ce droit. Le droit international général
34 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (34)
confère à chaque Etat le droit d'exécuter certains actes de
contrainte ayant le caractère de représailles, c'est-à-dire inter-
venant d'une manière limitée dans la sphère d'intérêts d'un
Etat, si celui-ci a porté atteinte à certains intérêts de l'Etat
intervenant.

LES RÉTORSIONS

Le droit international général ne protège pas de cette manière


tous les intérêts d'un Etat, car un Etat peut porter atteinte aux
intérêts d'un autre Etat sans pour autant commettre un acte
illicite. En pareil cas l'Etat lésé n'est pas autorisé à exécuter une
sanction en recourant à des représailles contre l'Etat qui a
porté atteinte à ses intérêts. L'Etat lésé peut en revanche porter
une atteinte semblable aux intérêts de l'autre Etat. Sa réaction
est alors définie comme une rétorsion. Elle n'est pas une sanction,
car e l i c n e comporte pas d'actes de contrainte, du fait que le
recours à la force physique n'est pas permis en cas de résistance.
Au contraire les représailles sont des actes de contrainte dans
la mesure où l'emploi de la force physique est permis en cas
de résistance. Ainsi un Etat ne commet pas un acte illicite au
sens du droit international s'il porte atteinte à des intérêts d'un
autre Etat sans que celui-ci soit autorisé à recourir à des repré-
sailles comportant en dernière analyse le recours à la force
physique.
Quand un Etat est autorisé par le droit international à
recourir dans certaines conditions à des représailles, il peut être
considéré comme agissant en qualité d'organe de la communauté
constituée par le droit international. Ses actes de contrainte
peuvent être interprétés comme émanant de la communauté
elle-même, comme étant sa réaction contre une violation du
droit international. La communauté internationale agit au
moyen de l'Etat qui — conformément au droit international —
recourt aux représailles contre l'Etat violateur du droit.
En revanche quand un Etat accomplit les mêmes actes dans
des conditions différentes de celles qui sont déterminées par le
droit international, il commet un acte illicite, car son action
n'est pas autorisée par ce droit.
(35) LA GUERRE 35

L A GUERRE

Peut-on interpréter la guerre de la même manière en la consi-


dérant soit comme une sanction, soit comme un acte illicite,
c'est-à-dire comme la condition d'une sanction? La guerre est
un acte de contrainte comportant l'emploi de la force armée et
une intervention illimitée dans la sphère d'intérêts d'un autre
Etat. Est-il possible de dire qu'en droit international la guerre
n'est permise qu'à titre de sanction et que toute guerre n'ayant
pas le caractère d'une sanction est interdite par le droit inter-
national et constitue de ce fait un acte illicite?

ACTES DE GUERRE ET ÉTAT DE GUERRE

Avant de répondre à cette question il est nécessaire de définir


la notion de la guerre. A cet égard les auteurs ne sont pas
unanimes. Les uns sont de l'avis de Grotius qui voit dans la
guerre un statut spécifique, tandis que d'autres la définissent
comme une action spécifique. Le statut spécifique que les premiers
ont en vue est ce que nous appelons l'état de guerre. L'état de
guerre entre deux Etats signifie qu'il y a lieu d'appliquer les
normes du droit international concernant la guerre, à savoir
celles qui déterminent les droits et obligations des belligérants
et des neutres. U n tel état de guerre est le résultat d'un acte de
guerre, c'est-à-dire d'une action de contrainte comportant l'usage
de la force armée. Mais des auteurs affirment qu'un état de
guerre peut aussi être le résultat d'une simple déclaration de
guerre annonçant formellement l'intention de recourir à la
guerre en employant la force armée, même si cette intention ne
s'est pas encore réalisée. Ces auteurs se réfèrent au fait que pen-
dant la première guerre mondiale des Etats de l'Amérique latine
ont déclaré la guerre à l'Allemagne et qu'on a admis l'existence
entre ces Etats et l'Allemagne d'un état de guerre auquel les
traités de paix ont mis fin, quand bien même aucun usage de la
force armée n'ait eu lieu dans leurs relations mutuelles.
Il se peut qu'en droit international général une déclaration
de guerre ait pour effet de rendre applicables certaines normes
36 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (36)

de droit international concernant les droits et obligations des


belligérants, par exemple les normes sur le traitement des res-
sortissants d'une des parties résidant sur le territoire de l'autre,
ou les normes sur l'effet de la guerre sur les traités. Mais la plu-
part des normes concernant la guerre ne peuvent s'appliquer
que s'il est fait usage de la force armée. Si une partie seulement
des normes concernant la guerre s'appliquent, il n'y a pas état
de guerre au plein sens du mot, mais seulement un statut ana-
logue ou semblable à l'état de guerre, et si ce statut prend fin
par un traité, celui-ci n'est pas un traité de paix au véritable
sens du mot.
L'état de guerre au vrai sens du mot ne peut être que le résul-
tat d'actes de guerre, c'est-à-dire d'un emploi de la force armée.
Lui seul peut prendre fin par un traité de paix, encore qu'il
puisse aussi prendre fin d'une autre manière. Ainsi la guerre n'est
pas un statut spécifique. Elle est une action spécifique. Au point
de vue du droit international le fait le plus important est le
recours à la guerre, à savoir le recours à une action et non à
u n statut. Des auteurs voient un élément essentiel dans l'inten-
tion de faire la guerre, dans Y animus belligerendi d'un ou plusieurs
Etats. Mais cet animus belligerendi ne peut être que l'intention
d'accomplir des actes de guerre, d'employer la force armée,
avec toutes les conséquences que le droit international attache à
u n tel emploi.

L A GUERRE EST-ELLE UNE ACTION BILATÉRALE OU UNILATÉRALE?

La plupart des auteurs définissent la guerre comme un conflit


entre deux ou plusieurs Etats comportant l'intervention de leurs
forces armées. Si l'on accepte cette définition, une action unila-
térale de contrainte comportant l'emploi de la force armée par
un Etat contre un autre Etat qui ne réagit pas par une action
semblable ne peut pas être considérée comme une guerre et les
normes du droit international concernant la guerre ne s'appli-
queraient pas à une telle action unilatérale. Il est toutefois
douteux qu'une telle définition de la guerre puisse être main-
tenue. On admet généralement qu'une action unilatérale de
(37) LA GUERRE 37

contrainte comportant l'emploi de la forcé armée est une guerre


si elle est précédée d'une déclaration de guerre ou suivie d'une
déclaration de l'Etat attaqué disant qu'il tient l'action de l'Etat
agresseur pour un acte de guerre, et, par conséquent, qu'il se
considère en état de guerre vis-à-vis de l'autre Etat. La ques-
tion de savoir si la guerre est essentiellement une action bilatérale
ne doit pas être confondue avec celle de savoir s'il est nécessaire
de constater l'existence d'une guerre dans un cas concret et qui
a la compétence de le faire. Comme tout autre fait auquel le
droit international attache certaines conséquences, l'existence
d'une guerre doit être constatée par les autorités compétentes.
Aussi longtemps qu'il n'y a pas d'organe spécial pour le faire, il
appartient aux Etats intéressés de déterminer s'ils sont en pré-
sence d'une guerre au sens du droit international. Ils doivent
décider s'il y a ou s'il n'y a pas de guerre dans leurs relations
mutuelles. Mais l'Etat attaqué peut déclarer qu'il est en guerre
avec l'Etat agresseur sans pour autant riposter lui-même par
une contre-guerre et sans que l'agresseur lui ait formellement
déclaré la guerre. Ainsi l'existence d'une guerre de la part de
l'Etat agresseur ne dépend pas de l'existence d'une contre-
guerre de la part de l'Etat attaqué.

GUERRE ET CONTRE-GUERRE

Il est indispensable de faire une distinction entre la guerre


et la contre-guerre si l'on veut pouvoir qualifier la guerre de
licite ou d'illicite, de sanction ou d'acte illicite. La guerre faite
par un Etat à un autre peut être illicite, tandis que la guerre par
laquelle le second Etat réagit contre le premier peut être licite,
ou vice-versa. S'il y a des normes de droit international inter-
disant la guerre, c'est-à-dire imposant aux Etats l'obligation
juridique de ne pas y recourir, il doit y avoir une sanction prévue
pour le cas où un Etat recourrait à la guerre en violation de cette
obligation. Si l'on n'a pas instauré de sanction collective pou-
vant être appliquée par une organisation internationale, la
seule sanction effective est la guerre, à savoir une contre-guerre
entreprise à titre de réaction contre une guerre illicite. Peuvent
38 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (38)
recourir à une telle contre-guerre aussi bien l'Etat contre lequel
une guerre illicite est dirigée que des Etats tiers désireux d'as-
sister la victime immédiate dans sa réaction contre une guerre
illicite. Si l'on ne fait pas une distinction entre la guerre et la
contre-guerre, on se trouve dans la situation de devoir affirmer
que la guerre est à la fois licite et illicite, qu'elle est à la fois une
sanction et un acte illicite, donc deux choses contradictoires.
En réalité il y a entre la guerre et la contre-guerre la même
relation qu'entre le crime et la peine. Personne ne prétend
qu'un crime existe seulement si la peine a été effectivement
exécutée. L'existence d'un crime ne dépend pas de l'exécution
effective de la peine, mais du fait qu'une peine est prévue par le
droit, que quelqu'un est autorisé ou obligé de punir le criminel.
Sa conduite est un crime même si la peine prévue par le droit
n'est pas exécutée pour une raison ou une autre. Les normes
de droit international qui interdisent la guerre et en font un
acte illicite, interdisent seulement l'action d'un Etat et non la
réaction de l'autre. On dit habituellement que seule la guerre
d'agression est interdite, à savoir celle qui est menée par l'Etat
qui le premier a fait usage de la force pour commettre des actes
d'hostilité, tandis que la guerre menée par l'Etat qui se défend
contre l'agresseur n'est pas interdite. Cette formule n'est pas
correcte.

GUERRE D'AGRESSION ET GUERRE DE DÉFENSE

Si une guerre a le caractère juridique d'une sanction, la


question se pose de savoir si la contre-guerre est licite. En droit
national il est interdit de résister contre un usage de la force
ayant le caractère d'une sanction. Une telle résistance est un
acte illicite auquel une sanction additionnelle est attachée. En
droit international général la résistance par la force contre des
représailles licites est un acte illicite auquel on peut répondre
par des représailles additionnelles ou par la guerre. Quand un
Etat recourt à la guerre à titre de sanction contre une violation
du droit international et quand cette violation n'a pas pris la
forme d'une guerre contre l'Etat exécutant la sanction, cette
(39) LA GUERRE 39

sanction a le caractère d'une guerre d'agression au sens que


nous lui avons donné précédemment, car l'Etat exécutant la
sanction est le premier qui fait usage de la force armée. Par
conséquent la contre-guerre qui est une guerre illicite a le
caractère d'une guerre de défense. Considérée comme l'exercice
du droit de légitime défense, cette contre-guerre semble être
licite. Elle ne serait ni une sanction, ni un acte illicite. Nous
devons toutefois admettre que le droit de légitime défense est
limité à la défense contre une agression illicite. Il n'y a pas de
légitime défense contre une sanction.
Par conséquent toute guerre d'agression n'est pas illicite et
toute guerre de défense n'est pas licite. On ne saurait identifier,
comme on le fait souvent, la guerre d'agression et la guerre
illicite. Selon le pacte Briand-Kellogg chacun des Etats contrac-
tants peut recourir à la guerre contre un autre Etat contractant
qui aurait violé le pacte en faisant la guerre à un Etat contrac-
tant. Ainsi dans le cadre du pacte un Etat peut recourir à la
guerre contre un autre Etat même s'il n'a pas été attaqué par
lui. Par exemple la France et la Grande-Bretagne déclarèrent
en 1939 la guerre à l'Allemagne, sans que celle-ci les eût atta-
quées, mais en recourant à la guerre contre la Pologne elle avait
violé le pacte Briand-Kellogg.
En pareil cas une guerre d'agression est licite et une guerre
de défense illicite, puisque le droit de légitime défense doit être
interprété en ce sens qu'il est limité à la défense contre une
agression illicite. Une contre-guerre est toujours un acte illicite
si elle est une réaction contre une guerre ayant le caractère d'une
sanction. Il est pratiquement impossible de prévoir une sanction
additionnelle contre un tel acte illicite. Cela n'est cependant pas
nécessaire pour faire de la contre-guerre un acte illicite, car une
sanction est déjà en cours. Quand le Conseil de Sécurité décide
conformément à la Charte des Nations Unies de procéder.à une
action coercitive comportant l'emploi de la force armée, une
contre-guerre est certainement un emploi illicite de la force au
sens de l'article 2, alinéa 4 de la Charte. Quand les Nations
Unies procèdent à une action coercitive comportant l'usage de
la force armée, il n'y a pas là une « agression armée » au sens de
40 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (40)

l'article 51 de la Charte, même si l'action des Nations Unies est


dirigée contre un Etat ayant violé une autre obligation que
celle de ne pas recourir à la guerre. Le droit de légitime défense
prévu à l'article 51 ne comprend pas celui de faire une contre-
guerre contre une guerre licite entreprise par les Nations Unies
à titre d'action coercitive.

DÉFINITION DE LA GUERRE

Si la guerre doit être considérée soit comme une sanction,


soit comme un acte illicite, elle ne peut pas être définie comme
une action bilatérale, mais comme une action coercitive compor-
tant l'emploi de la force armée. Si tout emploi de la force dans
les relations entre Etats est interdit, la question de savoir si dans
un cas concret l'emploi de la force a le caractère d'une guerre
n'a qu'une importance secondaire. Mais la science juridique ne
peut pas renoncer à la notion de la guerre aussi longtemps que
d'importantes normes du droit international se rapportent à la
guerre, en réglant par exemple la manière de la faire. Comme
toute action de contrainte comportant l'emploi de la force
armée n'est pas une guerre au sens spécifique qui est donné
à ce mot en droit international, il convient d'examiner dans
quelles conditions une telle action de contrainte est une guerre.
On répond habituellement à cette question en introduisant
dans la définition de la guerre une référence à son but, qui est de
vaincre l'ennemi et de lui imposer les conditions de la paix.
Ce but devrait être celui des deux parties, mais on ne saurait
nier que l'Etat attaqué peut avoir seulement l'intention de se
défendre lui-même, sans chercher à vaincre son adversaire, de
telle sorte que la guerre pourrait se terminer sans qu'il y ait
victoire d'un des belligérants sur l'autre. Même les auteurs qui
caractérisent la guerre par son but, à savoir la victoire d'un des
belligérants sur l'autre, ne nient pas et ne peuvent pas nier que
dans une guerre maritime un belligérant peut se borner à
défendre ses côtes et qu'une vraie guerre au sens du droit inter-
national peut être menée dans l'intention d'épuiser l'ennemi
sans chercher à le vaincre. Ils ne peuvent pas contester non plus
que bien des guerres se sont terminées sans vainqueur ni vaincu.
(41) LA GUERRE 41

La définition que nous avons citée est aussi problématique


du fait qu'une guerre peut prendre fin sans qu'un traité de paix
ne soit conclu. Dans la mesure où un traité de paix ne se borne
pas à mettre fin à l'état de guerre, sa conclusion n'est plus un
acte de guerre. Aussi l'intention d'imposer des conditions de
paix à l'adversaire ne saurait-elle être mentionnée dans la défini-
tion de la guerre. La seule différence entre une action de con-
trainte comportant l'emploi de la force armée et ayant le
caractère d'une guerre et les autres actions de contrainte réside
dans le degré de l'intervention par la force dans la sphère
d'intérêts d'un Etat. La guerre est en principe une action de
contrainte comportant l'emploi de la force armée et une inter-
vention illimitée dans la sphère d'intérêts de l'Etat contre lequel
elle est dirigée.
Il est admis que l'une des caractéristiques essentielles de la
guerre est d'être une action dirigée par un Etat ou un groupe
d'Etats contre un autre Etat ou un autre groupe d'Etats. Si
l'une des deux parties n'est pas un Etat au sens du droit inter-
national, ni une communauté d'Etats telle que les Nations
Unies, l'action de contrainte n'est ni d'un côté ni de l'autre une
guerre au sens du droit international, même si elle comporte
l'emploi de la force armée. Une guerre civile, c'est-à-dire la
lutte d'un parti révolutionnaire contre le gouvernement légitime,
n'est pas une guerre internationale ; mais il y a une exception à
cette règle dans le cas où les insurgés sont reconnus comme une
puissance belligérante.

L A NATURE JURIDIQUE DE LA GUERRE

Quant à la nature juridique de la guerre, on rencontre deux


thèses diamétralement opposées. Selon la première la guerre n'est
en droit international général ni une sanction, ni un acte illicite.
Tout Etat qui n'est pas expressément obligé par un traité de
s'abstenir de faire la guerre à un autre Etat ou de ne la faire
que dans certaines conditions déterminées, peut recourir à la
guerre contre tout autre Etat, pour n'importe quelles raisons,
sans violer le droit international. Selon cette thèse la guerre ne
42 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (42)
constituerait pas un acte illicite. Elle serait permise dans la
mesure où elle n'est pas interdite par le droit international
particulier.
Une certaine restriction semble être établie par la norme
admise par beaucoup d'auteurs que les Etats sont tenus de ne
pas recourir à la guerre s'il n'y a pas eu auparavant un différend
et un essai de le résoudre par la voie de négociations. Cette
norme étant muette sur l'ampleur des négociations, la restriction
qu'elle prévoit n'a guère d'importance. Quand on recourt à la
guerre après des négociations de n'importe quelle nature et sans
se préoccuper de savoir si elle est ou non une réaction contre un
dommage subi, une telle guerre n'est pas, selon cette thèse, un
acte illicite. Elle ne constitue pas non plus une sanction, car le
droit international général [interprété de cette manière ne
connaît pas de normes spéciales autorisant un Etat à recourir à
la guerre. En droit international général la guerre ne serait donc
pas une réaction spécifique contre un Etat responsable d'un acte
illicite.
L'opinion contraire considère que la guerre est en principe
interdite par le droit international général. Elle n'est permise
qu'à titre de réaction contre un acte illicite, à savoir contre un
comportement défini comme tel par le droit international. Il
faut alors qu'elle soit dirigée contre un Etat responsable d'un
tel comportement, mais elle peut être entreprise aussi bien par
l'Etat victime immédiate de l'acte illicite que par les Etats qui
lui prêtent assistance. A l'instar des représailles la guerre doit
être une sanction si elle n'a pas le caractère d'un acte illicite.
Telle est la théorie de la guerre juste, du bellum justum.

LA GUERRE JUSTE

L'idée que la guerre est un acte illicite quand elle n'est pas
une sanction, c'est-à-dire une réaction contre un acte illicite,
n'est nullement une conquête de la civilisation moderne. On la
rencontre dans les conditions les plus primitives. Elle apparaît
sans équivoque dans les sociétés primitives, où la guerre a
normalement le caractère d'un acte de vengeance dirigé par
(43) LA GUERRE 43

un groupe contre un autre tenu pour responsable d'un dommage


subi. Telle est d'une manière générale la conception de la guerre
chez les peuples primitifs. Le droit international étant un droit
primitif, il est tout à fait naturel qu'il ait conservé le principe de
la guerre juste.
Il n'est pas étonnant non plus que l'on rencontre l'idée de la
guerre juste dans le droit inter-étatique des anciens Grecs,
qui croyaient ou prétendaient croire qu'aucune guerre ne
devrait être entreprise sans une cause déterminée, considérée
par le belligérant comme une justification valable et suffi-
sante. Chez les Romains, Cicerón exprime l'opinion générale-
ment admise quand il déclare que seules les guerres entreprises
pour se défendre ou pour se venger peuvent être tenues pour des
actions licites.
Saint-Augustin (354-430) et Isidore de Seville (env. 570-636)
sont influencés par Cicerón dans leurs théories de la guerre juste,
qui a été reprise par Saint-Thomas d'Aquin (1224-1274) et qui
est devenue la doctrine dominante du Moyen-âge, pour être
finalement absorbée par les théories de droit naturel des sei-
zième, dix-septième et dix-huitième siècles. Grotius (1583-1645)
en particulier déclare que seul un dommage subi peut être une
juste cause pour 'entreprendre une guerre. De même Vattel,
l'un des auteurs les plus représentatifs du dix-huitième siècle
dans le domaine du droit international, définit le droit de faire
la guerre en disant qu'il est le droit de faire usage de la
force et il affirme qu'en droit international, c'est-à-dire dans
le droit naturel applicable aux Etats, le droit de faire usage
de la force n'existe que dans la mesure nécessaire à la
défense ou à la conservation d'un, droit. Pour lui « la guerre est
cet état dans lequel on poursuit son droit par la force ». L'idée
que toute guerre doit avoir une juste cause et qu'en dernière
analyse cette juste cause ne peut être qu'un dommage subi, a
prévalu jusqu'à la fin du dix-huitième siècle. Elle est en revanche
presque complètement absente des théories du dix-neuvième
siècle sur le droit international positif, bien qu'elle ait gardé
quelque influence sur l'opinion publique et sur la phraséologie
diplomatique des gouvernements. C'est seulement après la fin
44 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (44)

de la première guerre mondiale que la doctrine de la guerre


juste a été reprise par quelques auteurs.
On ne saurait sous-estimer les objections formulées contre la
thèse que le principe de la guerre juste fait partie du droit
international général. En effet aussi longtemps qu'on n'a pas
établi d'autorité objective ayant la compétence de décider si
une guerre est licite ou illicite, l'application du principe reste
très problématique. Plus grave encore est l'objection que la
guerre ne peut être entreprise avec succès à titre de sanction que
si elle est menée par un Etat plus puissant que son adversaire.
En revanche on ne saurait négliger le fait que ces deux objections
valent aussi pour les représailles, que l'opinion générale tient
néanmoins pour des actions de contrainte permises par le droit
international général à titre seulement de sanction, c'est-à-dire de
réaction contre un acte illicite. Il serait plus que paradoxal
d'admettre que le droit international interdit une intervention
limitée dans la sphère d'intérêts d'un Etat et ne la permet qu'à
titre de réaction contre un acte illicite, tandis qu'il n'interdirait
pas une intervention illimitée dans cette sphère d'intérêts, de
telle sorte que la guerre ne serait pour lui ni un acte illicite, ni
une sanction.
L'insuffisance manifeste des représailles et de la guerre en
tant que sanctions du droit international est la conséquence de
la complète décentralisation de la communauté constituée par
ce droit. C'est précisément l'absence de centralisation et plus
spécialement l'absence d'un pouvoir exécutif centralisé qui
donne au droit international son caractère de droit primitif.
Si les représailles et la guerre, qui sont des mesures typiques de
justice privée, ne sont pas tenues pour des sanctions juridiques,
parce qu'un minimum de centralisation serait un élément
essentiel du droit, l'ordre social que nous appelons le droit
international général ne pourrait pas être considéré comme un
droit au vrai sens du terme.

L A GUERRE COMME CHANGEMENT RÉVOLUTIONNAIRE D U DROIT

Quoi qu'il en soit, il convient d'écarter résolument l'une des


objections formulées contre la doctrine de la guerre juste, à
(45) LA GUERRE 45

savoir l'idée que la fonction de la guerre n'est pas seulement de


faire respecter le droit existant, mais aussi de le modifier, en
l'adaptant aux changements de circonstances. Selon cette thèse
l'absence de pouvoir législatif à même de remplir cette fonction
à l'égard d'un Etat récalcitrant a pour effet de maintenir le
statu quo, même s'il n'est pas du tout satisfaisant. La guerre
serait ainsi la force dynamique capable de produire les résultats
que nous attendons en vain des changements pacifiques réalisés
d'un commun accord. Elle jouerait dans le domaine du droit
international le même rôle que la révolution dans le domaine
du droit^ national. Cette comparaison est toutefois complète-
ment erronée. La révolution est un conflit entre les sujets d'une
communauté nationale et leur gouvernement. La guerre est un
conflit entre deux ou plusieurs sujets de la communauté interna-
tionale. Les guerres ne sont pas faites comme les révolutions
dans l'intention de changer le droit objectif, à savoir les normes
générales de l'ordre juridique, mais dans l'intention d'obtenir
certains avantages subjectifs en maintenant, détruisant ou acqué-
rant des droits dans le cadre des normes générales du droit
objectif qui restent inchangées. Les normes réglant la conduite
de la guerre peuvent sans doute être modifiées de façon non
intentionnelle quand le comportement habituel des belligérants
amène la formation de nouvelles normes coutumières. Mais les
changements qui ont pu éventuellement se produire à cet égard
au cours des dernières guerres dans les règles sur la conduite
de la guerre ne sont guère de nature à faire apparaître la guerre
comme un facteur de création du droit. Or si l'on fait abstrac-
tion du droit de la guerre, la guerre elle-même ne peut modifier
et elle n'a jamais modifié le droit international général, qui est
un ensemble de normes objectives réglant les relations pacifiques
des Etats. Seuls les traités de paix pourraient avoir un tel effet.
Envisageons d'abord les traités de paix entre deux belligé-
rants. Le droit objectif ne pourrait être modifié que par une
série de tels traités établissant un nouveau principe général, qui
deviendrait ainsi une norme coutumière du droit international.
Mais en fait il est très rare que des traités de paix aient eu un
tel effet. Quant aux traités de paix multilatéraux, notamment
46 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (46)

ceux qui ont mis fin à la première et à la seconde guerre mondiale,


on ne saurait guère affirmer qu'ils ont modifié le droit interna-
tional général, en tout cas pas dans un sens progressiste. De son
côté la Charte des Nations Unies prétend être du droit interna-
tional général et à ce titre elle comporte une modification de ce
droit, mais elle n'est pas un traité de paix. De plus le fait qu'elle
a été conclue au cours d'une guerre par des belligérants unis
seulement contre des ennemis communs s'est révélé si fatal à
son efficacité que tous les changements envisagés sont devenus
illusoires.
Il est exact d'autre part que la guerre et notamment le traité
de paix qui la termine peut changer les relations j'uridiques entre
les belligérants en modifiant leurs droits et obligations récipro-
ques, mais un tel changement se produit sur la base des normes
préexistantes du droit international général. Quoi qu'il en soit,
l'absence d'un organe législatif international ne signifie pas que
les relations mutuelles des Etats ne peuvent pas être modifiées.
Il se peut aussi qu'un changement apporté par un traité de paix
n'ait qu'une valeur très problématique. En effet les traités de
paix sont normalement imposés par le vainqueur au vaincu et
les changements qu'ils effectuent correspondent au rapport des
forces existant à ce moment-là. O r un tel rapport peut avoir un
caractère transitoire. En tout cas les changements effectués ne
sauraient guère correspondre à un idéal de justice, même si par
justice on entend seulement un ordre garantissant une paix
durable. Enfin même s'il était vrai que la guerre ait pour fonc-
tion de changer le droit objectif des nations et pas seulement les
droits et obligations des belligérants, il faudrait encore se
demander si les sacrifices imposés par une procédure aussi bar-
bare sont dans un rapport raisonnable avec les résultats obtenus.

L'EMPLOI DE LA FORCE D'APRÈS LA CHARTE DES NATIONS UNIES

La question de savoir si le principe de la guerre juste fait


partie du droit international général a perdu beaucoup de son
importance depuis qu'à la suite des deux guerres mondiales
l'emploi de la force armée dans les relations internationales a
(47) L'EMPLOI DE LA FORCE 47
été interdit par trois traités auxquels presque tous les Etats du
monde ont adhéré, à savoir le Pacte de la Société des Nations,
inséré en 1919 au début des traités de paix avec l'Allemagne,
l'Autriche, la Hongrie et la Bulgarie, le traité de renonciation à
la guerre de 1928, appelé aussi Pacte Briand-Kellogg ou Pacte
de Paris, et enfin la Charte des Nations Unies de 1945. Le but
de ces trois traités est d'assurer la paix internationale. A cet
égard la Charte des Nations Unies va plus loin que les deux
autres, bien qu'elle ne contienne aucune interdiction expresse
de recourir à la guerre. On n'y trouve même le mot « guerre »
que dans les dispositions se référant aux deux guerres mondiales
(préambule, articles 53, alinéa 2, 77, alinéa 1 et 107). Mais si
la guerre n'est pas expressément mentionnée, elle est visée par
certaines formules générales désignant des actions déterminées
des Etats membres ou de l'Organisation elle-même. L'article 2,
alinéa 4 parle de l'emploi de la force par les Etats membres et
parmi les actions de l'Organisation l'article 1, alinéa 1 mentionne
les mesures collectives, l'article 42 les opérations exécutées par
des forces aériennes, navales ou terrestres, l'article 44 le recours
à la force, l'article 45 les mesures d'ordre militaire, l'article 46
l'emploi de la force armée, tandis que les mesures coercitives
sont mentionnées à l'article 2, alinéas 5 et 7 et aux articles 50 et
53, alinéa 1.
Aux termes de l'article 2, alinéa 4 les Etats membres sont
tenus de s'abstenir « dans leurs relations internationales de
recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'inté-
grité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit
de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations
Unies ». Cette disposition équivaut à interdire tout emploi de la
force dans les relations entre les Etats membres, ainsi que dans
les relations entre ceux-ci et des Etats tiers. L'objet de cette
interdiction est une action unilatérale entreprise par un Etat
contre un autre, sans qu'il y ait lieu de faire une distinction
suivant l'attitude de l'Etat contre lequel elle est dirigée, c'est-
à-dire suivant que cet Etat a ou n'a pas recouru à des mesures
de force. L'Etat qui réagit par la force contre de telles mesures
viole lui aussi l'article 2, alinéa 4, à moins qu'il n'exerce le droit
48 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (48)
de légitime défense individuelle ou collective mentionné à
l'article 51. Mais un droit de légitime défense n'est admis que
s'il s'agit d'employer la force pour réagir contre une agression
armée et aussi longtemps que le Conseil de Sécurité n'a pas pris
les mesures nécessaires pour maintenir la paix mondiale. Il faut
que ces conditions soient remplies pour que le principe de la
légitime défense ne soit pas exclu par la Charte au profit du
principe de la sécurité collective. Aucune- violation du droit
international, lorsqu'elle n'a pas le caractère d'une agression
armée, n'autorise l'Etat qui en est victime à recourir à la force,
quelle que soit l'importance du dommage subi par lui. On
trouve dans les dispositions transitoires de l'article 107 une
seconde exception à l'interdiction générale de recourir à la
force. Elle vise les actions entreprises contre un ancien Etat
ennemi, mais nous pouvons en faire abstraction ici.
Si l'interdiction d'employer la force formulée à l'article 2,
alinéa 4 est interprétée en ce sens qu'elle vise aussi et même en
premier lieu le recours à la guerre, il apparaît immédiatement
que la guerre n'est pas entendue ici dans son sens habituel
d'emploi réciproque de la force armée entre deux Etats désireux
chacun de vaincre son adversaire et de lui imposer les conditions
de la paix. La guerre visée par l'article 2, alinéa 4 est l'emploi
de la force armée par un Etat contre un autre, donc une action
unilatérale, qui ne devient pas nécessairement bilatérale. Cette
disposition interdit la guerre sans qu'il y ait lieu de se demander
si l'emploi de la force armée par un Etat répond à une action
semblable de l'autre Etat, en d'autres termes, si à la guerre de
l'un répond la contre-guerre de l'autre.
En tant qu'action unilatérale, la guerre était déjà interdite
par l'article 16 du Pacte de la Société des Nations, qui prévoyait
des sanctions contre un Etat membre si, en violation de ses
obligations, il recourait à la guerre contre un autre Etat
membre. Un tel Etat commettait un acte illicite donnant lieu à
des sanctions, même si l'Etat attaqué ne ripostait pas par une
contre-guerre, car ce dernier avait la faculté de s'en abstenir en
comptant sur l'action des autres Etats membres tenus par le
Pacte d'appliquer des sanctions contre l'Etat agresseur. Tel est
(49) L'EMPLOI DE LA FORCE 49

aussi le cas dans le cadre du Pacte Briand-Kellogg qui interdit la


guerre comme instrument de politique nationale, mais seul le
recours à la force armée de la part de l'Etat qui viole le Pacte
peut être considéré comme un instrument de politique nationale.
Quand l'Etat attaqué réagit, il ne viole pas le Pacte et sa contre-
guerre ne peut pas être tenue pour un instrument de politique
nationale.
L'interdiction faite à un Etat, aux termes de l'article 2, alinéa 4,
d'employer la force armée contre un autre Etat vaut quelle que
soit l'ampleur de cet emploi. Il n'y a donc pas lieu de distinguer
à cet égard entre la guerre et des représailles comportant l'emploi
de la force armée. Contrairement au Pacte de la Société des
Nations et au Pacte Briand-Kellogg, la Charte des Nations
Unies interdit aussi bien de telles représailles que la guerre. Le
texte de l'article 2, alinéa 4 n'exclut même pas une interpréta-
tion selon laquelle les représailles ne comportant pas l'emploi
de la force armée sont elles aussi interdites. La Charte distingue
clairement deux sortes d'emploi de la force: celui de la force
armée et celui de la force non-armée (articles 41 et 42 du
chapitre VII). Dans l'article 2, alinéa 7 ces deux sortes d'emploi
de la force sont comprises dans la formule « mesures de coer-
cition prévues au chapitre VII». L'article 2, alinéa 4, en inter-
disant « l'emploi de la force », n'interdit pas seulement l'em-
ploi de la force armée, mais aussi celui de la force non-armée.
Il interdit toute mesure de coercition; il interdit même la
menace de la force. Mais il faut reconnaître que cette interpréta-
tion, bien qu'elle soit en conformité avec le texte de l'article 2,
alinéa 4, conduit à des résultats peu satisfaisants.
Le recours à" la force est également interdit par l'article 2,
alinéa 4 de la Charte, quelle que soit l'intention de l'Etat qui
l'emploierait. Que cet Etat ait ou n'ait pas l'intention de vaincre
son adversaire ou de lui imposer les conditions de la paix,
l'emploi de la force armée reste illicite. On peut même se deman-
der s'il est compatible avec l'esprit de la Charte d'imposer des
conditions de paix à un Etat vaincu. Dès que la guerre est tenue
pour un acte illicite en droit international, l'idée d'un traité de
paix devient problématique, car la fonction spécifique d'un
50 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (50)

traité de paix est de mettre fin à la guerre. Les belligérants y


prennent l'engagement de s'abstenir de nouvelles opérations de
guerre et le sens même d'un traité est d'imposer des obligations
aux parties contractantes. La pratique de conclure un traité
de paix pour terminer une guerre suppose que la guerre est
une action bilatérale et que chaque Etat a la faculté de faire la
guerre à n'importe quel autre Etat quand les circonstances
lui paraissent propices. En pareil cas le recours à la guerre ne
peut être par lui-même un acte illicite. Mais si la guerre est
interdite, si le droit international général ou particulier impose
à un Etat l'obligation de ne pas recourir à la guerre, un tel
Etat ne peut pas prendre contractuellement l'engagement de ne
pas continuer une guerre, car cet engagement existait déjà
avant qu'il ait recouru à la guerre, à savoir sous la forme d'une
norme du droit international général ou particulier prohibant
la guerre.
La Charte des Nations Unies n'interdisant pas expressément
la guerre, la question ne peut pas se poser de savoir si un Etat
agit de façon conforme ou contraire au droit en recourant à la
guerre contre un autre Etat ou en se trouvant en guerre avec
lui. O n peut seulement se demander si un Etat membre a
employé la force en violation de la Charte. Le Pacte de la
Société des Nations et les traités particuliers qui interdisent la
guerre vont beaucoup moins loin que la Charte des Nations
Unies; aussi leurs obligations sont-elles couvertes par celles de
la Charte dans la mesure où il s'agit d'Etats membres des
Nations Unies. La question de savoir si l'action d'un Etat
membre a le caractère d'une guerre n'a d'importance que dans
la mesure où cette action est soumise aux normes du droit
international général ou particulier concernant la conduite et
les effets de la guerre. Ces normes sont applicables aussi quand
l'emploi de la force armée ayant le caractère d'une guerre est
interdit par la Charte ou quand cet emploi constitue une viola-
tion du Pacte Briand-Kellogg ou d'un traité particulier inter-
disant la guerre.
(51) L'EMPLOI DE LA FORCE 51

L E M O N O P O L E D E L A F O R C E AU P R O F I T D E L ' O R G A N I S A T I O N D E S
NATIONS UNIES

Dans le cadre de la Charte des Nations Unies le recours à la


force, qui est en principe interdit dans les relations entre Etats
pris isolément, est réservé à l'Organisation elle-même. Dans
l'histoire du droit international la Charte est la première conven-
tion tendant à l'universalité qui ait créé un monopole centralisé
de la force au profit de la communauté des Etats. Les actions qui
sont interdites aux Etats membres sont permises au Conseil de
Sécurité. La Charte emploie la même expression, pour désigner
ce qui est permis au Conseil de sécurité et ce qui est interdit aux
Etats membres. A l'article 44 comme à l'article 2, alinéa 4 elle
parle du recours à la force, qui équivaut aux « mesures coerci-
tives» et aux autres formules que nous avons déjà citées. Si l'on
admet que le recours à la force, qui est interdit aux Etats
membres, comprend aussi la guerre, il faut admettre également
que la guerre est comprise dans le recours à la force qui est
permis au Conseil de Sécurité. Si le terme de guerre désigne un
emploi de. la force armée comportant une intervention illimitée
de la part d'un Etat dans la sphère d'intérêts d'un autre Etat, il
n'y a aucune raison de choisir un autre terme pour désigner la
même action quand elle émane du Conseil de Sécurité. O n
appelle parfois cette action une mesure de police, mais cela ne
lui enlève pas son caractère de guerre. D'ailleurs la Charte elle-
même ne parle pas de mesures de police. Les mesures coercitives
que le Conseil de Sécurité est autorisé à prendre dans des circon-
stances tout à fait déterminées ne pourraient être considérées
comme des mesures de police que si dans le système de la Charte
elles avaient le caractère de sanctions. O r cela paraît douteux.

LES SANCTIONS PRÉVUES DANS LA CHARTE DES NATIONS UNIES

Comme nous l'avons relevé, une sanction est un acte de


contrainte qu'un ordre juridique prévoit à titre de prévention ou
de répression à l'égard d'une conduite déterminée, jugée indési-
rable par l'autorité juridique et par conséquent interdite par elle.
Cette attitude de l'autorité peut s'exprimer de deux manières:
52 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (52)
ou bien en rattachant simplement une mesure coercitive à la
conduite en question, ou bien en interdisant expressément cette
conduite et en prévoyant en outre une mesure coercitive pour le
cas où cette interdiction ne serait pas respectée. L'article 2, alinéa 4
de la Charte des Nations Unies interdit expressément aux
Etats membres « de recourir à la menace ou à l'emploi de la
force». En revanche les mesures coercitives que le Conseil de
Sécurité est autorisé à prendre selon les articles 39 et suivants ne
sont pas rattachées à la condition qu'un Etat membre ait
recouru à la menace ou à l'emploi de la force. Il faut qu'on
soit en présence « d'une menace contre la paix, d'une rupture
de la paix ou d'un acte d'agression » de la part d'un Etat quel-
conque ou même de la part d'un groupe d'individus n'ayant
pas le caractère d'un Etat. Les faits qualifiés d'actes illicites par
l'article 2, alinéa 4 ne coïncident donc nullement avec les condi-
tions énumérées à l'article 39 pour les mesures coercitives qui y
sont prévues. Il serait ainsi tout à fait possible que le Conseil de
sécurité voie dans la conduite d'un Etat « une menace contre la
paix», quand bien même cet Etat n'aurait recouru ni à la
menace ni à l'emploi de la force. Si en pareil cas des mesures
coercitives sont décidées par le Conseil de Sécurité, elles ne sont
pas dirigées contre un Etat ayant violé les obligations qui lui
incombent en vertu de l'article 2, alinéa 4. Aussi plusieurs
auteurs croient-ils devoir admettre que les mesures coercitives
prévues à l'article 39 ne sont pas des sanctions, mais des mesures
politiques sans caractère juridique. Une telle opinion n'est
cependant guère soutenable.
Quand la Charte autorise le Conseil de Sécurité à recourir à
des mesures coercitives contre un Etat membre dont la conduite
constitue une menace contre la paix ou une rupture de la paix,
il en résulte que cette conduite est indésirable ; et quand la Charte
fait de cette conduite la condition d'une mesure coercitive, elle
l'interdit, ou ce qui revient au même, elle en fait un acte illicite.
En d'autres termes la Charte n'impose pas seulement aux
Etats membres l'obligation statuée à l'article 2, alinéa 4 de ne
pas recourir à la menace ou à l'emploi de la force, mais encore
l'obligation prévue à l'article 39 de s'abstenir de tout comporte-
(53) L'EMPLOI DE LA FORCE 53

ment dans lequel le Conseil de Sécurité pourrait voir une menace


contre la paix ou une rupture de la paix. Il s'ensuit que les
mesures coercitives prévues à l'article 39 ont le caractère de
sanctions.
Aux termes de l'article 2, alinéa 6 et de l'article 39 de la
Charte le Conseil de Sécurité est autorisé à prendre des mesures
coercitives non seulement contre un Etat membre, mais aussi
contre un Etat non membre qui aurait violé la prescription de
l'article 2, alinéa 4, ou dont la conduite constituerait une
menace contre la paix ou une rupture de la paix au sens de
l'article 39. Nous devons donc considérer que les Etats non
membres sont obligés non seulement de ne pas recourir à la
menace ou à l'emploi de la force, mais encore de s'abstenir de
tout comportement que le Conseil de Sécurité pourrait tenir pour
une menace contre la paix ou une rupture de la paix. Si cette
interprétation est correcte, nous avons dans la Charte l'un des
rares traités conclus à la charge d'Etats tiers. Mais si on écarte
cette interprétation, on ne peut guère considérer que la Charte
soit en accord avec le droit international général. Comment
pourrait-on justifier au regard du droit international général le
fait que le Conseil de Sécurité prenne des mesures coercitives
contre un Etat non membre qui n'aurait en aucune manière
violé ses obligations à l'égard des Etats membres, surtout si ces
mesures coercitives ne sont pas celles de l'article 42, mais celles
de l'article 41, qui n'ont pas le caractère d'une guerre, mais
celui de représailles?
Dans le cas de mesures coercitives ayant le caractère de repré-
sailles un conflit avec le droit international général ne peut pas
être nié, car les représailles ne sont généralement admises qu'à
titre de réaction contre une violation du droit international.
Or un Etat dont le comportement constitue une menace contre
la paix ne viole pas le droit international général et même une
rupture de la paix ne peut pas être tenue pour un acte illicite si
le principe de la guerre juste ne fait pas partie du droit positif.
Quand une action entreprise par les Nations Unies comporte
le recours à la force armée et une intervention illimitée dans la
sphère d'intérêts d'un Etat, elle est une guerre au sens du droit
54 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (54)

international général même si on l'appelle une opération de


police, et les normes du droit international concernant la
conduite de la guerre et ses effets juridiques sont applicables.
Le fait qu'une telle action militaire est décidée et dirigée par
un organe d'une institution internationale ne peut lui enlever
son caractère de guerre, surtout si les normes du droit interna-
tional réglant l'emploi de la force armée sont applicables, à
savoir celles qui règlent la conduite de la guerre et déterminent
ses effets juridiques.
Les mesures coercitives que le Conseil de Sécurité prend sur la
base de l'article 39 doivent toujours être exécutées par des
Etats membres. Ceux-ci sont tenus par l'article 25 « d'appliquer
les décisions du Conseil de sécurité», mais selon l'article 39 le
Conseil de sécurité peut ou bien prendre des décisions obliga-
toires pour les Etats membres, ou leur adresser des recomman-
dations sur les mesures à prendre en vue du maintien de la paix.
Il peut en particulier leur recommander l'emploi de la force
armée, comme il l'a fait au cours du conflit coréen. En pareil
cas les mesures prises par les Etats membres sur la recommanda-
tion du Conseil de Sécurité ont le caractère de sanctions au même
titre que les mesures coercitives imposées aux Etats membres
par le Conseil de Sécurité. Dans les deux cas l'action des Etats
membres peut être considérée comme une action des Nations
Unies elles-mêmes. Si elle comporte l'emploi de la force armée
et une intervention illimitée dans la sphère d'intérêts de l'Etat
contre lequel elle est dirigée, elle a le caractère d'une guerre
faite par l'organisation internationale par l'entremise de ses
membres à titre de réaction contre une violation de la Charte.
On ne peut mettre en doute que toute résistance, et notam-
ment toute résistance par les armes, opposée à une mesure de
contrainte prise par le Conseil de Sécurité sur la base de l'arti-
cle 39 est un acte illicite. Cela résulte de l'article 2, alinéa 5
de la Charte, aux termes duquel « les membres de l'Organisation
donnent à celle-ci pleine assistance dans toute action entreprise
par elle conformément aux dispositions de la présente Charte et
s'abstiennent de prêter assistance à un Etat contre lequel l'Orga-
nisation entreprendra une action préventive ou coercitive». Les
(55) L'EMPLOI DE LA FORCE 55

mêmes obligations sont imposées aux Etats non membres par


l'article 2, alinéa 6. Cela résulte aussi de l'article 51 qui admet
seulement la résistance exercée dans le cadre du droit de légitime
défense individuelle ou collective. Les mesures de contrainte
prises dans l'exercice de ce droit ont aussi le caractère de sanc-
tions, car elles sont une réaction contre une violation du droit.
En revanche il ne saurait y avoir de droit de légitime défense
contre une action autorisée par le droit et notamment contre
une action légitime des Nations Unies, une telle action ne pou-
vant jamais avoir le caractère d'une « agression armée». Dans le
cas d'une guerre entre les Nations Unies et un Etat qui a violé
la Charte, il importe de faire une distinction très nette entre la
guerre menée par les Nations Unies à titre de sanction et la
contre-guerre menée par l'Etat qui a violé la Charte. Cette
contre-guerre doit être tenue pour illicite, car elle viole l'arti-
cle 2, alinéa 5 de la Charte et n'est pas comprise dans l'exercice
du droit de légitime défense.

U N E ACTION COERCITIVE DES NATIONS UNIES PEUT-ELLE SE


TERMINER PAR UN TRAITÉ DE PAIX ?

La possibilité de mettre fin à cette guerre et à cette contre-


guerre par un traité de paix est encore plus problématique que
celle de mettre fin à la situation dans laquelle la guerre d'un
Etat contre un autre est illicite, tandis que la contre-guerre du
second Etat contre le premier est licite. Ni une sanction, ni une
mesure de police, ni une action ayant un caractère illicite ne
peut raisonnablement être terminée par un traité entre l'autorité
qui applique le droit et l'Etat qui a commis un acte illicite, car
les deux parties ne se trouvent pas dans la même situation juri-
dique, elles ne sont pas des partenaires égaux en droits, autorisés
par l'ordre juridique à régler leurs relations réciproques comme
bon leur semble. La pratique de terminer une guerre par un
traité de paix devient absurde dès que le recours à la force armée
est qualifié d'acte illicite ou de sanction selon qu'il émane d'un
Etat ou de l'organisation internationale, c'est-à-dire dès qu'un
système de sécurité collective est instauré avec un monopole
56 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (56)

centralisé de la force, attribué à une organisation internationale


tendant vers l'universalité. La sanction appliquée par une telle
organisation internationale est normalement terminée quand
elle a atteint son but. Cette circonstance peut être constatée dans
une déclaration unilatérale de l'organisation qui a procédé à
l'exécution du droit, mais il va sans dire qu'une telle déclaration
ne peut normalement être faite avant que la résistance illicite
de l'Etat qui a violé le droit ait effectivement pris fin.
Le droit international général actuellement en vigueur admet
lui aussi qu'une guerre prenne fin sans conclusion d'un traité
de paix. Un tel traité est d'ailleurs impossible quand la guerre a
abouti à l'anéantissement complet d'un des deux belligérants.
Une résolution du Congrès des Etats-Unis, approuvée par le
Président le 2 juillet 1921, déclara que l'état de guerre avait
pris fin entre les Etats-Unis et l'Allemagne. Un traité entre les
deux pays fut signé ultérieurement le 25 août 1921, mais il
n'était pas un traité de paix au sens spécifique du mot, car
son but n'était pas de mettre fin à la guerre, mais de rétablir
les relations amicales qui existaient avant la guerre entre les
deux pays.
Dans une proclamation du 31 décembre 1946 le Président des
Etats-Unis constata que les hostilités de la seconde guerre mon-
diale avaient pris fin, mais il déclara que cette constatation
n'avait pas pour effet de mettre fin à l'état de guerre. C'est
par une résolution du Congrès approuvée par le Président le
19 octobre 1951 que l'état de guerre entre les Etats-Unis et l'Alle-
magne au cours de la seconde guerre mondiale fut déclaré
avoir pris fin. Si d'après le droit international général qui
était déjà en vigueur avant la Charte des Nations Unies, une
guerre pouvait être terminée d'une autre manière que par un
traité de paix, à savoir par une déclaration unilatérale d'un des
belligérants, il n'est pas trop paradoxal d'affirmer qu'une guerre
menée par l'Organisation des Nations Unies à titre de sanction
contre un Etat violateur du droit ne devrait pas être terminée
par un traité de paix, mais par une déclaration unilatérale
de l'Organisation des Nations Unies. Le fait qu'une telle procé-
dure n'est pratiquement pas possible fournit la preuve que le
(57) LA NEUTRALITÉ 57

système de sécurité collective établi par la Charte des Nations


Unies n'est pas encore réalisable.

LA CHARTE DES NATIONS UNIES ET LE DROIT DE LA NEUTRALITÉ

Le droit de la neutralité suppose lui aussi que la guerre, en tant


qu'emploi de la force armée par un Etat contre un autre, n'est
ni un acte illicite, ni une sanction. L'essence du droit de la
neutralité est exprimée dans la norme selon laquelle un Etat
neutre, c'est-à-dire un Etat qui ne participe pas à une guerre
entre d'autres Etats, doit traiter les deux belligérants de façon
égale. C'est le principe de l'impartialité. Mais si une convention
multilatérale impose aux Etats contractants l'obligation de ne
pas recourir à la guerre — sauf s'il s'agit d'une contre-guerre
contre une guerre illicite — et si une guerre éclate néanmoins
entre deux Etats contractants, les autres Etats contractants ne
sauraient être tenus d'adopter une attitude impartiale à l'égard
des deux belligérants. L'Etat qui recourt à la guerre viole ses
obligations conventionnelles à la fois à l'égard de l'Etat auquel
il fait la guerre et à l'égard des autres Etats contractants, car les
obligations qu'il a assumées dans la convention multilatérale
valent à l'égard de tous les Etats contractants et ceux-ci ont le
droit correspondant d'exiger qu'il observe ces obligations. Tous
les Etats contractants sont ainsi autorisés par le droit interna-
tional général à réagir par la guerre ou par des représailles contre
l'Etat qui, en violation de ses obligations conventionnelles, a
recouru à la guerre contre l'un des Etats contractants, leur
réaction étant naturellement dirigée contre l'Etat agresseur et
non contre l'Etat attaqué.
Un Etat neutre, c'est-à-dire un Etat qui ne participe pas à
une guerre entre d'autres Etats, peut recourir à la guerre contre
un de ces Etats sans violer les obligations résultant de sa situa-
tion d'Etat neutre; car en recourant à la guerre il met fin à sa
neutralité. Mais des représailles sont en tout cas incompatibles
avec l'obligation d'impartialité que le droit de la neutralité
impose à l'Etat neutre. Si un Etat est autorisé par le droit
international général à recourir à des représailles contre un
58 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (58)

seulement des deux belligérants, à titre de réaction contre une


violation du droit, il peut aussi assumer, dans un traité, l'obliga-
tion d'y recourir. Il en résulte que dans le cadre d'un ordre
juridique où la guerre peut être seulement un acte illicite ou
une sanction, il n'y a pas de place pour le principe d'impar-
tialité qui est un élément essentiel du droit de la neutralité.
Cette conclusion s'imposait déjà à l'égard du Pacte de la
Société des Nations. L'article 16, alinéa 1, obligeait les Etats
membres à exécuter certaines sanctions économiques ayant le
caractère de représailles, contre celui d'entre eux qui recourrait
à la guerre en violation de ses obligations conventionnelles. Ces
sanctions que les Etats membres étaient obligés d'exécuter,
tandis qu'ils n'avaient pas l'obligation de recourir à des sanc-
tions militaires, c'est-à-dire à la guerre contre l'agresseur,
étaient incompatibles avec l'obligation d'impartialité qu'ils
avaient en leur qualité d'Etats neutres, du fait qu'ils ne partici-
paient pas à la guerre en question. Cela apparaissait notamment
dans l'obligation qu'ils avaient aux termes de l'article 16, ali-
néa 3, de faciliter le passage, à travers leurs territoires, des forces
armées de tout Etat membre en guerre contre l'Etat agresseur.
Sans doute l'article 16, alinéa 1, disposait-il qu'un Etat
membre ayant recouru à la guerre contre un autre Etat membre
en violation de ses obligations, serait « considéré comme ayant
commis un acte de guerre contre tous les autres membres de la
Société». Il fallait donc admettre que tous les Etats membres
seraient considérés comme étant en état de guerre avec l'agres-
seur et qu'ils ne pourraient pas se prévaloir de la qualité d'Etats
neutres. Mais c'était là une fiction, dont le Pacte a probable-
ment fait usage pour éviter l'objection que 'des sanctions éco-
nomiques, c'est-à-dire des mesures coercitives n'ayant pas le
caractère d'une guerre et dirigées contre l'un seulement des
belligérants, seraient incompatibles avec les obligations d'un
Etat neutre. Cette fiction était toutefois superflue, car en recou-
rant à la guerre contre un Etat membre l'agresseur a violé une
obligation qu'il avait non seulement à l'égard de l'Etat attaqué,
mais aussi à l'égard de tous les autres Etats membres. L'agres-
sion contre un Etat membre les atteignait tous dans leurs droits
(59) LA NEUTRALITÉ 59

conventionnels et ils étaient ainsi autorisés par le droit interna-


tional général à recourir contre l'agresseur aux représailles
constituées par les sanctions économiques prévues dans le Pacte.
Dans le cas d'une guerre entre Etats membres des Nations
Unies les autres membres qui ne participent pas à cette guerre
et sont de ce fait neutres, ont selon l'article 51 de la Charte le
droit de prêter assistance à la partie belligérante qui se défend
contre une attaque armée, mais non le droit de prêter assistance
à l'agresseur. C'est ce que l'on entend par l'expression de légi-
time défense collective. On peut l'interpréter en ce sens que les
Etats neutres membres des Nations Unies sont autorisés par la
Charte à recourir à la force armée, ainsi qu'à des mesures de
contrainte n'impliquant pas l'emploi de la force armée, contre
l'Etat responsable d'une agression armée, mais non contre l'Etat
qui se défend contre une telle agression. Si l'on adopte cette
interprétation, le devoir d'impartialité que le droit interna-
tional général impose aux Etats neutres se trouve éliminé dans
les relations entre Etats auxquels la Charte prétend s'appliquer.
Cela vaut aussi pour l'article 2, alinéa 5, de la Charte, quand il
s'applique à une guerre entre deux Etats membres. Aux termes
de cette disposition les autres Etats membres sont tenus de
prêter assistance à l'Organisation dans les actions entreprises
par elle et de s'abstenir de toute aide à l'Etat contre lequel
elle mène une action préventive ou coercitive. Quand les
mesures prises par l'Organisation dans le cadre des articles 39
ou 51 contre un Etat membre impliqué dans une guerre ne
comportent pas l'emploi de la force armée, les Etats neutres qui
sont membres de l'Organisation sont tenus d'adopter à l'égard
des belligérants une attitude incompatible avec le principe
d'impartialité. Selon les articles 39 et 51 de la Charte le Conseil
de Sécurité peut décider des mesures militaires de contrainte
contre un Etat membre responsable d'une menace contre la
paix ou d'une rupture de la paix. Quand l'Etat contre lequel de
telles mesures sont prises oppose une résistance armée, nous
avons une guerre des Nations Unies contre un Etat membre et
une contre-guerre de cet Etat contre les Nations Unies. Seuls
prennent part à la guerre du côté de l'Organisation les Etats qui
60 H. KELSEN — THÉORIE DU DROIT INTERN. PUBLIC (60)

exécutent avec leurs forces armées les décisions du Conseil de


Sécurité conformément à l'article 48 de la Charte. Cet article
prévoit en effet que les mesures nécessaires à l'exécution des
décisions du Conseil de Sécurité sont prises selon l'appréciation
du Conseil par tous les membres des Nations Unies ou par
certains d'entre eux seulement. Il est donc tout à fait possible
que de nombreux Etats membres restent neutres dans une guerre
entre l'Organisation et un Etat membre, à moins que l'on
n'admette en pareil cas l'existence d'un état de guerre entre
l'Etat contre lequel l'Organisation prend des mesures militaires
et tous les autres Etats membres. Nous avons déjà relevé qu'une
telle interprétation repose sur une fiction. A l'inverse du Pacte
de la Société des Nations, la Charte des Nations Unies ne fait
pas usage d'une telle fiction. Elle supprime l'obligation d'impar-
tialité à la charge des Etats neutres aussi dans le cas où
l'article 2, alinéa 5, s'applique à une guerre entre les Nations
Unies et un Etat membre et où les Etats membres non impliqués
dans cette guerre soutiennent l'action des Nations Unies par
des mesures sans caractère militaire.
Dans la mesure où les dispositions des articles 2, alinéa 5,
39 et 51 sont applicables aussi aux Etats non membres, c'est-à-
dire dans la mesure où la Charte a le caractère d'un droit inter-
national général, nous devons considérer qu'elle abroge, en prin-
cipe, l'institution juridique de la neutralité. On ne saurait en
effet maintenir le principe d'une impartialité rigoureuse à
l'égard des belligérants, qui est un des éléments les plus impor-
tants du droit de la neutralité, si la guerre est tenue pour un
acte illicite quand elle n'a pas le caractère d'une sanction, et si
et dans la mesure où le principe de la sécurité collective est
applicable dans le cadre d'une organisation internationale
universelle.
Notre analyse de la Charte des Nations Unies nous conduit
ainsi aux constatations suivantes:
Dans le cadre de la Charte l'emploi de la force, et notamment
l'emploi de la force armée ou la guerre, est suivant les cas un
acte illicite ou une sanction.
La Charte est un ordre normatif établissant un monopole de
(61) LA NEUTRALITÉ 61
la force au profit de la communauté qu'elle constitue. Elle
répond donc à la définition d'un ordre juridique.
Si, eu égard à son article 2, alinéa 6, la Charte doit être
considérée comme obligatoire pour les Etats non membres
aussi bien que pour les Etats membres, elle constitue un nou-
veau droit international général, lequel est sans aucun doute
un droit au sens spécifique du mot.

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