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Commençons par Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »
disait-il, la science et l’épistémologie sont ainsi indissociables. Il n’est donc pas
possible de pratiquer les sciences sociales sans conscience du contexte historique et
de la prédétermination de ses phénomènes.
D’autres part, des philosophes comme Aristote et Platon, réfléchissant à une société
idéale, concluent que les pratiques économiques doivent se restreindre au strict
minimum car elles créent une mauvaise « chrématistique » (enrichissement) et
cherchent à développer des « pratiques acquisitives » dangereuses pour la Cité.
L’économique devant donc être soumis à la politique qui elle-même est soumise à la
morale, c’est l’architectonique aristotélicienne.
Durant la Renaissance et la période moderne, l’économique se désenclave de
l’emprise de la morale puis de la politique, l’Economie devenant alors une science
profane, science sociale autonome. Elle s’est ainsi construite depuis Petty et
Boisguillbert au XVIIème siècle puis avec les classiques (fin XVIIIème, début
XIXème) jusqu’aux « néo-classiques » sur l’idée d’une existence de loi naturelle,
semblable à la physique (et notamment la mécanique newtonienne). C’est donc en
toute logique que cette orthodoxie fut construite comme une « arithmétique
politique » (Petty), comme une « physique sociale ». Puis avec la tradition française
des « ingénieurs-économistes » initiée par Cournot et Walras comme une
« économie pure » s’extrayant de l’histoire. Ce qui va lui permettre d’être entièrement
formelle. Et ce n’est véritablement qu’au lendemain de la 2nde guerre mondiale,
lorsque le « canon » devient alors celui de cette tradition walrasienne, que la science
économique « tombera dans le trou noir des mathématiques » (expression de
Samuelson).
Après cet aperçu d’une grande rapidité sur la construction de l’économie, il faut nous
interroger dans un second temps sur notre principale question :
Comme le dit Keynes, dans sa théorie générale [2] : « Une beaucoup trop grande
part de travaux récents d’économie mathématique consiste en des élucubrations
aussi imprécises que les hypothèses de base sur lesquelles ces travaux reposent,
qui permettent à l’auteur de perdre de vue les complexités et les interdépendances
du monde réel, en s’enfonçant dans un dédale de symboles prétentieux et inutiles. »
Ainsi, on peut donc croire dans l’historicité des lois économiques et avoir recours aux
mathématiques comme outil de démonstration (approche plutôt hétérodoxe). Ou,
inversement, privilégier l’usage des mathématiques, pour peu que l’on en comprenne
les limites (approche plutôt orthodoxe) et ne pas oublier qu’un économiste
mathématicien doit d’abord être un économiste et que l’économie n’est pas
une simple mathématique appliquée.
Il faut donc voir les mathématiques ici comme outil au débat contradictoire, comme le
revendique Baudelaire - l’homme a le droit de se contredire - il faut donc une
nécessaire contradiction en science sociale « morale », les mathématiques peuvent
en être la clé.
Le débat reste ouvert, mais c’est donc bien ici une ode à
l’interdisciplinarité… « Malheur à moi je suis nuance » disait Nietzche, et pourquoi
pas : Bonheur en la science sociale d’être nuance !
NOTES