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COURS D’HISTOIRE DE LA PENSEE ECONOMIQUE

Semestre 5
Parcours « Economie et Gestion »
2019-2020

INTRODUCTION GENERALE

D'où viennent les théories économiques ? Qui les a édifiées, pour quelles raisons et dans quel
contexte ? Adam Smith et son fameux concept de "main invisible" est souvent décrit comme
"le père du capitalisme libéral", mais une relecture de l'auteur amène de nouvelles
interprétations susceptibles de produire de nouveaux apports scientifiques. À quelles révisions
de notre réflexion peuvent alors nous conduire les relectures des grands auteurs comme Ricardo,
Say, Walras, Marx, Schumpeter, Polanyi, Keynes, Friedman, Hayek et tant d'autres ? Comment
ont-ils influencé les économistes contemporains ?

Au début de son Histoire de l'analyse économique, Joseph A. Schumpeter s'interroge sur les
raisons d'étudier l'histoire de la pensée économique. A l'encontre de ceux qui ne voient aucun
intérêt dans l'étude des auteurs anciens et des idées économiques périmées, il fait valoir en
premier lieu trois arguments (trad. fr., Gallimard, 1983, tome 1, pp. 27-28) :

- Les «avantages pédagogiques» dans les études d'économie. En effet, les manuels les plus
récents ne permettent pas de saisir l'importance des problèmes et la validité des méthodes
utilisées par les économistes.

- L'étude de l'histoire de la pensée économique permet de faire surgir des idées nouvelles et il
est toujours possible de glaner des «leçons utiles» pour le présent à partir des différentes
explorations tentées par les auteurs du passé : «Nous nous instruisons à la fois de la futilité et
de la fécondité des controverses ; des déviations, des efforts gaspillés, des impasses ; des
intervalles où le progrès s'interrompt, de notre soumission au hasard, des procédés à éviter, des
retards à rattraper. Nous apprenons à comprendre pourquoi nous sommes aussi avancés que
nous le sommes, et aussi pourquoi nous n'avons pas progressé au-delà. Et nous apprenons ce
qui arrive, comment et pourquoi».

- Enfin, l'histoire de toute science «nous dévoile les démarches de l'esprit humain» ; elle nous
offre le spectacle de «la logique incarnée dans le concret, de la logique liée à la vision et au
projet».

Quel point de départ pour l'histoire de la pensée économique ?

Au sens strict, une histoire de la théorie économique (ou de la science économique) qui entend
privilégier l'élaboration des concepts, des instruments d'analyse (le circuit économique, par
exemple) débute par des auteurs du début du XVIIIe siècle, souvent qualifiés de «pré-
1
classiques», tels que Boisguilbert ou Cantillon, ou bien avec des auteurs de la seconde moitié
du XVIIIe siècle, tels que François Quesnay ou Adam Smith.

Mais une approche plus globale de l'histoire de la pensée économique doit aussi prendre en
compte les premières réflexions sur la vie économique développées de l'Antiquité jusqu'à la
scolastique médiévale, avant d'aborder la naissance de l'économie politique dans la période dite
«mercantiliste».

Quelles méthodes utiliser en histoire de la pensée économique ?

Nous distinguerons schématiquement trois approches :

- L'approche « continuiste »

Cette première approche, représentée par exemple par Georges J. Stigler et Mark Blaug,
consiste à mettre en évidence une continuité, une succession de progrès analytiques au cours du
temps. Cette approche «continuiste» offre une interprétation cumulative de la science
économique, qui présuppose une séparation entre le travail analytique et les jugements de
valeur, les «visions» (pré-analytiques) des auteurs. Le discours économique est déconnecté de
l'évolution globale des sociétés. La progression de la science peut être envisagée de manière
plus ou moins régulière selon les historiens, admettant en général la possibilité de «retards» et
d'incidents de parcours. Elle aboutit à la théorie économique moderne, qui constitue une sorte
de «terre promise». Cette démarche était déjà revendiquée par l'économiste classique Jean-
Baptiste Say. Celui-ci explique en effet que l'histoire d'une science «ne peut être que l'exposé
des tentatives, plus ou moins heureuses [...] pour recueillir et solidement établir les vérités dont
elle se compose. Que pourrions-nous gagner à recueillir des opinions absurdes, des doctrines
décriées et qui méritent de l'être ? Il serait à la fois inutile et fastidieux de les exhumer. Aussi
l'histoire d'une science devient-elle de plus en plus courte à mesure que la science se
perfectionne» (Cours complet d'Economie Politique Pratique, 1ère édition, 1828-29). Ce point
de vue jette un doute sur l'utilité de l'histoire de la pensée économique, ou du moins celle qui
remonte avant Adam Smith. On qualifie aujourd'hui cette démarche de rétrospective (Mark
Blaug, Economic Theory in Retrospect, 1ère édition 1968).

- Une deuxième approche peut être qualifiée de « discontinuiste »

Elle refuse d'envisager un progrès cumulatif du savoir économique. On cherche plutôt à


identifier les moments de rupture dans l'histoire des idées économiques, la pluralité des voies
explorées et les bifurcations possibles. Des théories détrônées survivent et réapparaissent.
Plusieurs démarches sont possibles dans cette perspective.

Une première manière de travailler consiste à se servir du concept de paradigme, à la suite de


Thomas Kuhn (La structure des révolutions scientifiques, 1962). Kuhn explique que l'activité
multiforme des chercheurs à une époque déterminée aboutit à la constitution d'un «paradigme»,
qui va recevoir l'adhésion de la communauté scientifique. Celui-ci est formé d'hypothèses
théoriques, de lois et techniques qui sont adoptées par une communauté scientifique pendant un

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laps de temps plus ou moins long (par exemple, le paradigme d'Aristote, le paradigme de
Newton). Dans un état de «science normale», les chercheurs développent le paradigme. Mais
devant les difficultés qui surgissent, un état de crise va peu à peu s'installer. Les chercheurs
s'accrochent alors à leurs théories en dépit des difficultés rencontrées. La crise du paradigme se
résoudra par l'émergence d'un nouveau paradigme qui va gagner l'adhésion progressive de la
communauté. On a là le moment de la «révolution scientifique».

On a tenté d'appliquer la théorie des paradigmes à l'histoire de la pensée économique. On


distingue, par exemple, le paradigme classique, le paradigme néo-classique, le paradigme
keynésien. Ce type de démarche pose cependant quelques problèmes pour la période de trois
siècles qui précède l'arrivée des Physiocrates et des classiques. Ainsi, un paradigme
«mercantiliste» est-il identifiable, compte tenu de l'absence d'une communauté homogène de
chercheurs ? En outre, en économie, la domination d'un paradigme n'a pas un caractère aussi
net que dans les sciences de la nature et l'on remarque une coexistence durable de plusieurs
paradigmes qui s'affrontent.

Première partie: L’ère préindustrielle


Cette ère s’intéresse aux idées économiques développées en Europe occidentale sur la période
historique qui s'étend du XVIe au milieu du XVIIIe siècle environ (à la veille de la
Physiocratie). Trois catégories de faits marquent cette période.

Tout d'abord, nous assistons à la décomposition de l'ordre féodal et à la naissance du capitalisme


sous la forme commerciale. L'activité économique en général, l'enrichissement des marchands
acquièrent une légitimité et s'émancipent des considérations éthiques et religieuses.

Ensuite, à partir du XVIe siècle, se constituent les grands Etats modernes, centralisés, qui
aspirent à l'indépendance économique et on prend conscience des intérêts économiques
nationaux.

Enfin, la découverte de l'Amérique en 1492 conduit à un afflux sans précédent de métal précieux
à Cadix et à Séville, tout d'abord l'or à partir du début du XVIe siècle, puis l'argent à partir du
milieu du XVIe siècle, qui vont se répandre dans toute l'Europe.

En outre, il faut mentionner au plan intellectuel le mouvement d'émancipation qui se produit


par rapport à l'Eglise et aux conceptions médiévales, la rupture avec la pensée aristotélicienne
et scolastique. Avec la Renaissance, on va redécouvrir la nature et la vie. On assiste à un
processus de laïcisation des activités de l'esprit, et en même temps, à un net développement
scientifique et technique. L'invention de l'imprimerie favorise la diffusion des connaissances et
l'Eglise perd le monopole de transmission du savoir.

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Max Weber a insisté sur l'importance de la Réforme, en particulier le courant calviniste, pour
comprendre la genèse du capitalisme, la formation de l' « esprit capitaliste », le succès dans les
affaires étant un signe de l'élection divine.

Les auteurs français

• Jean Bodin (1530-1596), auteur d'une Réponse aux Paradoxes de Mr de Malestroit


(1568) et des Six livres de la République (1576).
• Antoine de Montchrestien (1576-1621), auteur du Traicté de l'oeconomie politique
(1615), destiné à Marie de Médicis et au jeune Roi Louis XIII, afin de les éclairer sur la
politique économique à suivre.

L'économie politique selon Montchrestien

« [_] qu'en l'Estat aussi bien qu'en la famille c'est un heur meslé de grandissime profit de
mesnager bien les hommes selon leur particulière et propre inclination. Et sur la considération
de ce rapport qu'ils ont ensemble, en ce qui concerne le poinct de l'utilité, joint avec plusieurs
autres raisons qui seroient longues à deduire, on peut fort à propos maintenir, contre l'opinion
d'Aristote et de Xenophon, que l'on ne sçauroit diviser l'oeconomie de la police sans demembrer
la partie principale de son Tout, et que la science d'acquerir des biens, qu'ils nomment ainsi,
est commune aux républiques aussi bien qu'aux familles. De ma part, je ne puis que je ne
m'estonne comme en leurs traitez politiques, d'ailleurs si diligemment escrits, ils ont oublié
cette mesnagerie publique, à quoy les necessités et charges de l'Estat obligent d'avoir
principalement égard. » (Traicté de l'oeconomie politique, édité par T. Funck-Brentano, Paris
: Plon, 1889, pp. 31-32).

La formule de Montchrestien n'a pas eu de succès en France, si bien que l'on a pu parler de «
naufrage de l'expression "économie politique" de 1615 jusqu'en 1755-1758 » (J.-C. Perrot, Une
histoire intellectuelle de l'économie politique (XVIIe-XVIIIe siècle), Paris : Ed. de l'EHESS,
1992, pp. 66-67). En effet, Jean-Jacques Rousseau fera renaître le vocable en 1755 dans l'article
"Economie politique" de l'Encyclopédie, mais avec un contenu différent, désignant la "théorie
de l'administration ou du gouvernement". Notons cependant qu'en Angleterre, William Petty
dans The Political Anatomy of Ireland (1691) utilise l'expression de "Political Oeconomics".

Commerce "du dedans" et commerce "du dehors", selon Montchrestien

Extraits du Traité de l'économie politique

Parmi les administrateurs et les praticiens "industrialistes", on peut mentionner Barthélémy de


Laffémas (1545-1611), contrôleur général du commerce (1602-10) d'Henri IV et surtout Jean-
Baptiste Colbert (1619-1683), contrôleur général des finances (1661-83) de Louis XIV.

Deux auteurs critiquent la politique économique de Colbert : Vauban et Boisguilbert

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Sébastien Le Prestre, Marquis de Vauban (1633-1707), Maréchal de France, célèbre pour ses
fortifications et ses travaux statistiques est l'auteur du Projet de dixme royale (1707), dans
lequel il propose la création d'un impôt unique sur les différents revenus dont le taux le plus
élevé serait de 10 %.

Pierre Le Pesant de Boisguilbert ou Boisguillebert (1646-1714), lieutenant général civil et


lieutenant de police à Rouen, auteur de quatre ouvrages : Le détail de la France, rédigé en 1693
et publié en 1695, le Traité de la nature, culture, commerce et intérêt des grains, rédigé en
1704, la Dissertation sur la nature des richesses, de l'argent et des tributs, également écrite en
1704 ; le Factum de la France, préparé entre 1703 et 1705, sera interdit par le Roi. L’œuvre de
Boisguilbert constitue l'un des premiers systèmes d'économie politique en France.

Les auteurs anglais

En 1581, sous les initiales « W. S. » (William Smythe), est publié A compendious or briefe
examination of certayne ordinary complaints, of divers of our country men in these our days,.
Une version antérieure (1549) sera publiée en 1893 et attribuée à John Hales, sous le titre A
Discourse of the Common Weal of this Realm of England. Ce texte discute de l'impact de
l'arrivée des métaux précieux d'Amérique sur la hausse des prix.

Les principaux écrivains anglais dits "mercantilistes" au XVIIe siècle sont qualifiés de
"commercialistes", car ils mettent l'accent sur le rôle du commerce dans l'enrichissement de la
nation :

• Gerard de Malyne (1586-1641), auteur de A Treatise of the Canker of England's


Commonwealth (1601), The Maintenance of Free Trade (1622) et Lex Mercatoria
(1622).
• Edward Misselden (1608-1654), employé de la compagnie des "Merchant Adventurers"
et aussi de l'"East India Company", auteur du pamphet The Circle of Commerce or The
Ballance of Trade, in defense of free trade (1623).
• Thomas Mun (1571-1641), dirigeant de l'"East India Company", auteur de A Discourse
of Trade from England unto the East-Indies (1621) et England's Treasure by Forraign
Trade, or The Ballance of our Forraign Trade is the Rule of our Treasure (rédigé durant
les années 1620, mais publié par son fils, John Mun en 1664).
• Josiah Child (1630-1699), lui aussi membre de la direction de l'"East India Company",
auteur de Brief Observations concerning Trade and Interest of Money (1668), A
Discourse about Trade (1690) et A New Discourse about Trade (1694).

Deux auteurs apparaissent davantage comme de véritables théoriciens :

• William Petty (1623-1687), auteur de A Treatise of Taxes and Contributions (1662),


Verbum Sapienti (1664, publié en 1690), The Political Arithmetick (1676, publié en
1690), The Political Anatomy of Ireland (publié en 1691).
• John Locke (1632-1704), auteur de Two Treatises of Government (1690), de Some
Considerations on the Consequences of the Lowering of Interest and Raising the Value
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of Money (1691), de Further Considerations Concerning Raising the Value of Money
(1695).

L'un des fondateurs d'un système d'économie politique occupe une place particulière dans la
mesure où il s'agit d'un banquier irlandais, émigré à Paris, à Amsterdam, puis à Londres :
Richard Cantillon (1680-1734), qui rédige en français, sans doute entre 1728 et 1734, un Essai
sur la nature du commerce en général, publié seulement en 1755.

Introduction

Entre le XVIe et le milieu du XVIIIe siècle, les idées économiques se transforment avec des
colorations nationales très marquées. Il n'existe donc pas de véritable "école mercantiliste", ou
de "système économique mercantiliste". Il est toutefois possible de dégager un fond commun
d'idées, un certain nombre de grands thèmes "mercantilistes", qui reviennent de façon plus ou
moins récurrente chez la plupart des auteurs, du XVIe au milieu du XVIIe siècle. En revanche,
du milieu du XVIIe jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, les contributions de William Petty, de
Boisguilbert et de Richard Cantillon, s'accordent mal avec la notion de "mercantilisme", tant du
point de leurs apports analytiques que du point de vue de leurs propositions de politique
économique.

Chapitre 1 Le concept controversé de "Mercantilisme"

F. Quesnay dans l'article (non publié) « Hommes » (1757) de l'Encyclopédie évoque le "système
des commerçants". Dans La Philosophie rurale ou Economie générale et politique de
l'agriculture (1763), Mirabeau critique l'« inconséquence absurde du système mercantile ».
Enfin, dans la Richesse des nations, Adam Smith se livre à une critique détaillée du "mercantile
system" ou du "commercial system". Le vocable de "Merkantilismus" est plus tardif, car il naît
en Allemagne dans la seconde moitié du XIXe siècle chez les auteurs qui tentent de le justifier
historiquement.

Schématiquement, on peut dire que chez les historiens de la pensée économique il existe deux
grandes approches dans la considération du "mercantilisme".

La première approche découvre dans le "mercantilisme" un système cohérent de théorie et de


politique économique. Eli F. Heckscher (Mercantilism, trad. anglaise 1935, vol. I, p. 19) voit
ainsi à la fois un système de pouvoir politique, un système de réglementation de l'activité
économique, un système protectionniste et aussi un système monétaire avec la théorie de la
balance du commerce.

La seconde approche refuse de concevoir le "mercantilisme" comme un système cohérent de


pensée dans cet ensemble d'idées variées, de croyances, de préceptes de politique économique
et de pratiques, système que l'on pourrait opposer au "libéralisme". Mark Blaug note ainsi que
« le mercantilisme, en tant qu'étiquette pour une phase de l'histoire de la politique économique,
a été qualifié de "valise encombrante", de "diversion d'historiographie", et de "baudruche
théorique géante" » (4e édition, p. 11).
6
²Dans les manuels d'histoire de la pensée économique, le mot "mercantilisme" sert à désigner à
la fois des pratiques économiques dans tel ou tel pays, à telle ou telle époque, des règles de
politique économique destinées à servir aux hommes d'Etat et enfin quelques ébauches de
réflexions théoriques, très disséminées, des analyses partielles et parfois contradictoires. Les
écrits dits "mercantilistes" se présentent sous la forme de pamphlets, de mémoires, de traités,
rédigés par des conseillers du Prince (Montchrestien), des dirigeants de grandes compagnies de
commerce (Mun, Child), des financiers (Law).

Les vocables de "système mercantile" et de "mercantilisme" donnent l'impression que ces idées
seraient dominées par une vision à proprement parler économique. Or, si les idées économiques
de la période sont sans doute autonomes vis-à-vis de la morale et de la religion, elles ne le sont
pas vis-à-vis de la politique et du social. L'économie vise au renforcement au pouvoir de l'Etat.
Adam Smith notait dans la Richesse des nations qu'il s'agissait d'une « économie au service du
Prince ».

Section1 : Monnaie et richesse

Les Physiocrates, puis les économistes classiques accuseront les auteurs de la période
"mercantiliste" d'avoir identifié purement et simplement dans leurs écrits la richesse avec le
métal précieux.

A- Le point de vue d'Adam Smith

Que faut-il penser de ces accusations smithiennes ?

Dans sa critique du "système mercantile", Adam Smith associe l'"idée populaire" qui confond
la richesse avec le métal précieux aux pratiques bullionnistes de certains Etats. Le
"bullionnisme" (de "bullion", lingot) correspond avant tout à des pratiques économiques, qui
en réalité, existaient déjà dans les cités du Moyen Age, donc bien avant la période dite
"mercantiliste" et se sont prolongées ensuite. Parmi ces pratiques, on peut mentionner, par
exemple :

1 - L'interdiction d'exporter les lingots d'or et d'argent.

2 - L'interdiction d'exporter la monnaie nationale.

3 - Un système, qui a été désigné au XIXe siècle comme celui du "Balance of bargains System",
la balance des contrats. Ce système consiste dans une politique de surveillance des contrats
entre les commerçants nationaux et les commerçants étrangers de façon à favoriser l'entrée de
monnaie dans le pays. Il s'agit là encore d'une pratique qui existait déjà dans les cités du Moyen
Age. Le système de la balance des contrats a fonctionné en Angleterre et en Espagne, mais non
en France.

En réalité, dans les différents pays, aucun écrivain de premier plan ne prend la défense des
pratiques bullionnistes. Les principaux auteurs dits "mercantilistes" souhaitent développer la

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production industrielle nationale. Ils rejettent donc le "bullionnisme", car il faut se résoudre à
accepter une sortie minimale de métal précieux afin de se procurer les matières premières
indispensables à la production.

Certes, les auteurs des XVIe et XVIIe siècles accordent une prééminence à la richesse monétaire
et ils insistent généralement sur les avantages de la possession du métal précieux monétisé
comme moyen de conserver la richesse (pouvoir d'achat). Certains ont pu promouvoir la
formation ou l'accroissement du trésor de guerre du Prince ou de l'Etat. Mais, pour la plupart
d'entre eux, la monnaie permet avant tout la production et la circulation de la richesse. On
rencontre souvent l'analogie entre la circulation de la monnaie celle du sang dans le corps
humain. On tient Bernardo Davanzati (Lezione delle monete,1588) comme l'un des premiers
auteurs à utiliser cette analogie. Après la découverte de la circulation du sang par William
Harvey, en 1628, on la retrouve par exemple chez Thomas Hobbes dans le Leviathan (1651).
La monnaie est aussi assimilée au capital, en particulier au capital circulant, à la disposition des
marchands et des industriels.

Le banquier écossais John Law (1671-1730) apportera un éclairage particulier avec ses
Considérations sur le numéraire et le commerce (1705) puisqu'il propose de substituer la
monnaie de papier émise par les banques aux espèces afin d'adapter la quantité de monnaie aux
besoins de la production et de la circulation. La France sera un terrain d'expérience de son
"système" de 1716 à 1720. John Law sera gratifié du qualificatif de "mercantiliste fiduciaire".

B- Mais les auteurs du XVIIe siècle s'interrogent aussi sur la nature de la


véritable richesse

Selon Montchrestien, la richesse ne réside pas dans l'abondance de l'or ou de l'argent, mais dans
"l'accomodement des choses nécessaires à la vie et propres au vêtement" (p. 241). En pratiquant
toutes sortes d'industries, on peut attirer l'or et l'argent dans le pays. Mais la richesse la plus
grande de la France est sans conteste "l'inespuisable abondance de ses hommes" (p. 24), le
travail humain. L'homme est une richesse à condition qu'on l'éduque, qu'on le forme aux "arts".

Thomas Mun dans England's Treasure by Forraign Trade (1664, p. 9) distingue deux types de
richesses : la richesse naturelle, composée de biens de subsistance et la richesse artificielle qui
consiste dans les biens manufacturés et les biens ré-exportables par le commerce extérieur.

Plus tard, Vauban (Projet d'une dixme royale, 1707) déclare : "[_] ce n'est pas la grande quantité
d'or et d'argent qui font les grandes et véritables richesses d'un Etat, puisqu'il y a de très grands
Païs dans le monde qui abondent en or et en argent, et qui n'en sont pas plus à leur aise, ni plus
heureux [_]. La vraye richesse d'un Royaume consiste dans l'abondance des Denrées, dont
l'usage est si nécessaire au soûtien de la vie des hommes, qu'ils ne sçauroient s'en passer" (pp.
77-78).

Les auteurs du XVIIIe siècle franchiront un pas supplémentaire. Inspiré par W. Petty, Cantillon
affirme dans l'Essai sur la nature du commerce en général (1755) : « La terre est la source ou
la matière d'où l'on tire la richesse ; le travail de l'homme est la forme qui la produit : et la
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richesse en elle-même, n'est autre chose que la nourriture, les commodités et les agréments de
la vie » (p. 1).

C- La question du quantitativisme monétaire

Ce que l'on nommera la "Révolution des prix" dans l'Europe du XVIe siècle a donné lieu à une
immense littérature et à de vives controverses sur les arrivées de métal précieux en provenance
du Nouveau Monde, la hausse des prix en Europe et leur corrélation.

Dans la littérature du XVIe siècle, on trouve beaucoup d'écrits qui rapprochent le phénomène
de l'entrée de métal précieux dans un pays et celui de la hausse des prix intérieurs, sans toutefois
établir clairement un lien causal.

On a souvent cherché à faire de Jean Bodin (1530-1596) le "fondateur", ou seulement l'initiateur


de la théorie quantitative de la monnaie, du "théorème quantitatif" (expression de Schumpeter),
en s'appuyant sur la Réponse aux Paradoxes de Mr de Malestroit (1e édition, 1568). En 1566,
Malestroit avait affirmé dans ses Paradoxes sur le fait des monnaies que l'inflation en France
provenait des mutations monétaires. Les rois procèdent à des "surhaussements" (hausse de la
valeur de la monnaie en circulation en monnaie de compte), qui correspond, en fait, à une
dévaluation. De plus, ils réduisent le titre ou le poids des monnaies en circulation.

Pour Bodin, l'afflux d'or et d'argent d'Amérique du Sud en Espagne contribue à faire croître les
prix espagnols et génère un flux d'importations et donc le déficit commercial. Il en résulte la
diffusion du métal précieux en Europe et des hausses différenciées de prix : « Voilà, Monsieur,
les moyens qui nous ont aporté l'or et l'argent en abondance depuis deux cens ans. Il y en a
beaucoup plus en Espagne et en Italie qu'en France, parce que la noblesse mesmes en Italie
trafique, et le peuple d'Espagne n'a autre occupation. Aussi tout est plus cher en Espagne et en
Italie qu'en France, et plus en Espagne qu'en Italie [_] » (La Response de Jean Bodin à M. de
Malestroit- 1568, édit. H. Hauser, A. Colin, 1932, p. 15).

Notons que Bodin ne souhaite pas l'arrêt de ces arrivées de métal. Selon lui, "l'abondance d'or
et d'argent, qui est la richesse d'un pays, doit en partie excuser la cherté" (p. 32) ; en effet, la
hausse des prix n'est qu'un moindre mal par rapport au bienfait pour les affaires généré par
l'abondance de métal.

Pour savoir si le nom de Bodin peut être associé directement à la naissance de la théorie
quantitative de la monnaie, il convient d'en rappeler les deux critères principaux.

Le premier critère : l'existence d'un lien causal entre la monnaie et les prix, sachant que la
théorie quantitative peut s'appliquer aussi au cas de la monnaie de papier. On envisage ici la
monnaie métallique (pièces d'or et d'argent) et non le métal précieux en général, car celui-ci a
deux destinations principales : marchandise, usages industriels d'une part, et monnayage d'autre
part.

Le deuxième critère : la proportionnalité entre la hausse de la monnaie et la hausse des prix.

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Compte tenu de ces deux critères, comment situer Jean Bodin ?

1 - Dans ses écrits, Bodin n'exprime pas un lien de causalité de la monnaie vers les prix dans
les différents pays, car il ne distingue pas clairement le métal précieux et la monnaie métallique.

2 - Il ne pose pas la relation de proportionnalité.

3 - Si pour Bodin, la cause principale ("et presque seule") de la hausse des prix réside dans
l'afflux de l'or et de l'argent espagnol, il ne s'agit pas pour lui du facteur explicatif unique de
l'inflation. En effet, il avance d'autres causes :

• l'existence de "monopoles" des marchands, des artisans : dans les confréries de métiers
on organise des ententes pour fixer des prix plus élevés ;
• la "disette" : l'exportation du royaume de France de biens tels que le blé ou le vin, et les
entraves à l'importation de certains produits nécessaires.
• le gaspillage des rois et des grands princes, qui fait augmenter les prix des biens de luxe
(exemple : la soie).

Pour Bodin, il est possible de combattre les monopoles en faisant exécuter les ordonnances
royales et de freiner les exportations de certains produits comme le blé, sans toutefois fermer
les frontières. Le commerce extérieur est indispensable (certaines importations sont
nécessaires) et constitue un moyen d'entretenir "une bonne amitié" avec nos voisins.
Notons que dans la 2e édition (1578) de sa Réponse, Bodin intègrera l'explication de Malestroit
comme une autre cause de l'inflation : les mutations monétaires.

Les fondateurs de la théorie quantitative de la monnaie vont apparaître avec John Locke, puis
David Hume et par ailleurs, sous une forme assouplie, avec Richard Cantillon.

Section2 : La théorie de la "balance du commerce"

Comment atteindre l'objectif d'une "balance du commerce" favorable ?

Les auteurs anglais en général s'inspirent des pratiques hollandaises. Ils mettent l'accent sur le
négoce, sur l'achat pour la revente avec profit. Il proposent même de créer une véritable
industrie de réexportation (J. Child). L'exportation d'argent par la Compagnie des Indes
Orientales ne conduit pas à un appauvrissement du pays. Bien au contraire. Thomas Mun
explique : « Et pour rendre la chose encore plus claire, quand nous disons [_] que 100 000 livres
exportées en espèces peuvent faire importer l'équivalent d'environ 500 000 livres sterling en
marchandises des Indes Orientales, il faut comprendre que la partie de cette somme qui peut
proprement s'appeler notre importation, étant consommée dans le royaume, est d'une valeur
d'environ 120 000 livres sterling par an. De sorte que le reste, soit 380 000 livres, est matière
exportée à l'étranger sous la forme de nos draps, de notre plomb, de notre étain, ou de tout autre
produit de notre pays, au grand accroissement du patrimoine du royaume et ce en trésor, si bien
qu'on est en droit de conclure que le commerce des Indes Orientales pourvoit à cette fin » (A
Discourse of Trade from England unto the East-Indies, 1621). Donc, selon Mun, 100 000 livres

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d'espèces exportées annuellement produisent 500 000 livres d'importations brutes. A partir de
là, l'Angleterre consomme 120 000 livres et réexporte pour 380 000 livres, ce qui représente
trois fois et demi le montant de l'argent exporté initialement.

Pour les auteurs anglais, il n'est pas nécessaire de réglementer l'industrie comme en France sous
Colbert. L'industrie nationale n'est qu'un moyen parmi d'autres pour fournir des produits à
l'exportation.

Les théoriciens anglais étudient la balance commerciale de leur pays à l'aide de calculs assez
précis. Selon T. Mun, le prix des exportations correspond au "first cost" (coût de production)
auquel on ajoute 25 % pour couvrir le fret, l'assurance et le profit des marchands. Les
importations doivent être évaluées à un niveau inférieur de 25 % par rapport aux livres des
Douanes. Mais les auteurs ne se limitent pas en général dans leurs travaux à la stricte balance
commerciale. Ils s'intéressent aussi aux services et transferts unilatéraux, pour former une
"balance des comptes". En revanche, les mouvements de capitaux ne sont pas retracés. Plus
tard, au XVIIIe siècle, James Steuart (1712-1780), dans An Inquiry into the Principles of
Political Economy (1767) va distinguer "balance of trade" (au sens strict) et "balance of
payments".

L'obtention d'une "balance du commerce" favorable va se traduire par une entrée nette de métal
précieux dans le pays. Il en résultera des effets positifs sur la production, le commerce et
l'emploi. A contrario, une balance du commerce défavorable a des effets négatifs dans le pays
sur la production, le commerce et l'emploi.

John Maynard Keynes, au chap. 23 de la General Theory, va s'employer à réhabiliter les auteurs
"mercantilistes" dans leur recherche d'une balance favorable, mais pas trop excédentaire : « En
un temps où elles [les autorités] ne pouvaient agir directement sur le taux de l'intérêt intérieur
ou sur les autres motifs qui incitent à l'investissement domestique, les mesures propres à
améliorer la balance commerciale étaient leurs seuls moyens directs d'augmenter
l'investissement extérieur ; et l'effet d'une balance commerciale favorable sur les entrées de
métaux précieux était en même temps leur seul moyen indirect de réduire le taux de l'intérêt
intérieur, c'est-à-dire d'accroître l'incitation à l'investissement domestique » (Trad. fr. P. B.
Payot, p. 332).

Edward Misselden et surtout Thomas Mun ne se contentent pas de suivre le mot d'ordre des
compagnies de commerce ("acheter à bon marché et vendre cher"). Ils se rendent compte qu'il
peut être plus avantageux de disposer de faibles coûts de production et de ne pas vendre trop
cher les marchandises anglaises sur les marchés étrangers, car elles s'y vendent mal (Mun, 1664,
p. 24). Des prix trop élevés conduisent donc à une balance du commerce déficitaire.

Au XVIIIe siècle, Richard Cantillon reprendra cette idée dans son Essai sur la nature du
commerce en général. Pour lui, la hausse différenciée des prix dans le pays conduit à des
importations de produits moins chers (donc à des sorties d'or et d'argent) et à une baisse de la
production nationale. Ce processus conduit à terme à la balance du commerce défavorable et à

11
la baisse des prix nationaux. Cependant, des mécanismes vont se mettre en marche et assurer
un retour à une balance du commerce favorable, par un mouvement de bascule.

Dès 1752 ("Of the balance of trade"), David Hume, défendra ce type d'approche, connue sous
le nom de mécanisme d'ajustement par les prix et les flux d'espèces ("price specie flow
mechanism").

A- La réglementation du commerce extérieur

Si les auteurs dits "mercantilistes" souhaitent généralement un "commerce libre" à l'intérieur


(souvent synonyme de défense de privilèges) il n'en est pas de même pour le commerce
extérieur. En effet, ils préconisent des mesures pour entraver les importations de produits
manufacturés étrangers et stimuler les exportations de produits manufacturés nationaux. Mais
les recommandations en Angleterre et en France ne sont pas identiques.

Quelle est la position des auteurs anglais sur le commerce extérieur ?

• Les importations. Pour les produits manufacturés, il faut importer le strict minimum
nécessaire à la consommation nationale en recourant, soit à de faibles droits de douane,
soit en taxant la consommation de produits étrangers. En principe, on ne préconise pas
de prohibitions. Pour les matières premières et les produits semi-finis, nécessaires à
l'industrie de réexportation, on n'impose pas de droits.
• Les exportations. Pour les produits manufacturés, il faut exporter le plus possible On
peut même encourager ce mouvement par des primes. Pour les matières premières, il ne
faut exporter que l'excédent par rapport à la consommation nationale.
• Au total, les auteurs plaident en faveur d'un faible protectionnisme.

Quelle est la position des auteurs français sur le commerce extérieur ?

Selon eux, il faut viser à l'autosuffisance du pays. Par exemple, la politique économique de
Colbert vise à réduire les barrières intérieures entre les provinces, mais à ériger des barrières
contre la concurrence étrangère :

• pour les importations : ne pas taxer les matières premières étrangères, car elles servent
aux manufactures et taxer (ou prohiber) les produits manufacturés étrangers (biens de
luxe, en particulier);
• pour les exportations : verser des primes pour les produits manufacturés français (luxe)
et empêcher les exportations de matières premières.

Mais le protectionnisme de Colbert se veut temporaire, car il vise à développer et renforcer les
manufactures nationales.

En outre, les auteurs sont favorables au développement des compagnies de commerce, plus ou
moins contrôlées par l'Etat. A partir du XVIIe siècle, le "commerce triangulaire" prend son

12
essor à partir des principales puissances européennes. Le commerce colonial est sévèrement
gardé, chaque pays se réservant le monopole de commerce avec ses propres colonies.

Dans l'optique des auteurs des XVIe et XVIIe siècles, le commerce extérieur est un "jeu à
somme nulle". On ne s'enrichit pas mutuellement par le commerce extérieur, compte tenu de
l'opposition des intérêts nationaux entre eux. On peut rappeler ici la maxime de Jean Bodin (Les
Six livres de la République) : "il n'y a personne qui gagne qu'un autre n'y perde". Le nationalisme
économique débouche au XVIIe siècle sur plusieurs conflits armés (Pays-Bas-Angleterre ;
France-Angleterre).

En revanche, les auteurs du XVIIIe siècle vont développer des positions qui iront dans le sens
du libre-échange.

B- Industrialisme et populationnisme

Les auteurs de la période dite "mercantiliste" dans les différents pays (y compris ceux de langue
allemande) sont en général favorable à la croissance de la population, tout d'abord parce que
cela permet de disposer d'une main d'œuvre abondante pour l'industrie nationale et ensuite parce
que cela renforce le potentiel militaire du pays. Une population nombreuse ne suffit pas. Il faut
en effet qu'elle soit industrieuse, judicieusement employée dans l'industrie. Les auteurs français
à la suite de Montchrestien plaident tout particulièrement pour une politique industrielle. Sous
le ministère de Colbert, on établira des règlements d'industrie qui codifient et normalisent la
production. On mettra en place des manufactures d'Etat. Colbert fera même travailler les enfants
de six ans dans les manufactures. De plus, il convient de maintenir les salaires à un niveau bas
pour inciter à travailler et l'abondance de la main d'?uvre est un moyen pour atteindre cet
objectif. On cherche à obtenir de hauts niveaux d'emploi en pourchassant les vagabonds, qui
seront placés dans des maisons de travail (cf lois sur les pauvres en Angleterre). L'activité
agricole est quelque peu négligée chez les mercantilistes, ce qui leur vaudra des reproches de
la part des économistes du XVIIIe siècle. Pour eux, l'industrie et le commerce sont des activités
beaucoup plus profitables que l'agriculture et susceptibles de connaître des innovations
techniques.

Pour Jean Bodin, la vraie richesse est la population ("il n'y a de richesse ni force que
d'hommes"). Pour Antoine de Montchrestien, la vraie richesse consiste dans les "choses
nécessaires à la vie et propres au vêtement", mais réside surtout dans le travail des hommes.

Section3 : Vers la formation des premiers systèmes d'économie politique

A- William Petty et l'Arithmétique politique

Influencé par Bacon et par les sciences expérimentales, William Petty (1623-1687) fonde en
Angleterre le courant de l'"Arithmétique politique". Il rédige, entre 1671 et 1676, Political
Arithmetick, publié après sa mort, en 1690. Selon lui, « Dans l'arithmétique politique, les
questions de gouvernement sont, suivant les règles ordinaires de l'arithmétique, ramenées à des
sortes de démonstrations ». L'"arithmétique politique" n'est pas seulement la statistique, la

13
comptabilité nationale ou la démographie ; elle est aussi une méthode qui consiste à construire
la théorie sur des données mesurables.

Parmi les disciples de W. Petty en "Arithmétique politique", on peut citer John Graunt (1620-
1674), Gregory King (1648-1712) et Charles Davenant (1656-1714).

William Petty affirme au sujet de la richesse : "Labour is the father and active principle of
wealth, as lands are the mother" [Le travail est le père et le principe actif de la richesse, et la
terre en est la mère] (1662, p. 68), le capital étant le fruit de l'accumulation du travail. Il tentera
d'établir un rapport d'équivalence entre la terre et le travail par la quantité de nourriture
quotidienne d'un homme adulte, en moyenne (son salaire de subsistance).

B- Pierre de Boisguilbert et la naissance du circuit économique

Pierre Le Pesant de Boisguilbert (1646-1714), ouvertement anti-mercantiliste, analyse le


contenu de la richesse en refusant de la lier à la monnaie. Pour lui, la richesse est une
"jouissance", correspondant à la fois aux "besoins de la vie" et à "tout le superflu". Du point de
vue de leur destination, il distingue clairement trois sortes de richesses : "nécessaires"
(nourriture), "commodes" (vêtement....), et "superflues" (agrément de la vie) (Factum de la
France, p. 895 ; Dissertation, p. 985). Du point de vue de leur origine, il distingue les "fruits
de la terre" (produits agricoles) et les "biens d'industrie" (produits manufacturiers et les
services).Une grande importance est donnée aux "fruits de la terre", mais non exclusive, à la
différence de Cantillon et des Physiocrates.

Boisguilbert esquisse un circuit monétaire annuel des revenus entre trois groupes sociaux, le
"Beau Monde" (propriétaires fonciers), les "laboureurs" et les "marchands". Le "Beau Monde"
reçoit les "revenus des fonds" (rente foncière) et ses dépenses vont former des "revenus
d'industrie", à la fois pour les "laboureurs" et pour les "marchands". Et à nouveau vont se former
les "revenus des fonds". Les "laboureurs" versent des "revenus d'industrie" aux "marchands"
(achat de biens et services en ville) et les "marchands" versent des "revenus d'industrie" aux
"laboureurs" (achats de matières premières, de produits agricoles). Boisguilbert affirme que le
"laboureur" "donne le premier mouvement à tout" (Factum de la France) : il est donc le vrai
initiateur du circuit.

Karl Marx considère William Petty comme le fondateur de l'"économie politique classique" en
Angleterre et Pierre de Boisguilbert jouerait le même rôle en France.

C- Richard Cantillon et le circuit économique

Dans son Essai sur la nature du commerce en général, (1755) Richard Cantillon (1680-1734)
part des sources de la richesse chez W. Petty pour développer une théorie de la valeur-terre et
articuler "valeur intrinsèque" et "prix de marché". Il expose ensuite un circuit économique. Dans
ce circuit (sans représentation graphique), l'agriculture occupe une place centrale, car elle
fournit un surplus et l'ensemble de la société s'organise autour d'elle :

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« Il n'y a que le Prince et les propriétaires des terres, qui vivent dans l'indépendance ; tous les
autres ordres et tous les habitants sont à gages ou sont entrepreneurs [_]. Les fermiers ont
ordinairement les deux tiers du produit de la terre, l'un pour les frais et le maintien de leurs
assistants, l'autre pour le profit de leur entreprise : de ces deux tiers le fermier fait subsister
généralement tous ceux qui vivent à la campagne directement ou indirectement, et même
plusieurs artisans ou entrepreneurs dans la ville, à cause des marchandises de la ville qui sont
consommées à la campagne. Le propriétaire a ordinairement le tiers du produit de sa terre, et
de ce tiers, il fait non seulement subsister tous les artisans et autres qu'il emploie dans la ville,
mais bien souvent aussi les voituriers qui apportent les denrées de la campagne à la ville. On
suppose généralement que la moitié des habitants d'un Etat subsiste et fait sa demeure dans les
villes, et l'autre moitié à la campagne : cela étant, le fermier qui a les deux tiers ou quatre
sixièmes du produit de la terre, en donne directement ou indirectement un sixième aux habitants
de la ville en échange des marchandises qu'il en tire ; ce qui avec le tiers ou deux sixièmes que
le propriétaire dépense dans la ville, fait trois sixièmes ou une moitié du produit de la terre. Ce
calcul n'est que pour donner une idée générale de la proportion ; car au fond, si la moitié des
habitants demeure dans la ville, elle dépense plus que la moitié du produit de la terre, attendu
que ceux de la ville vivent mieux que ceux de la campagne, et dépensent plus de produit de
terre, étant tous artisans ou dépendants des propriétaires, et par conséquent, mieux entretenus
que les assistants et dépendants des fermiers » (Essai sur la nature du commerce en général,
Paris : I.N.E.D., 1952, 1e partie, chap. XII, pp. 25-27).

Dans la suite du livre, Cantillon apporte les précisions suivantes : « C'est une idée commune en
Angleterre qu'un fermier doit faire trois rentes : 1° la rente principale et véritable qu'il paie au
propriétaire, et qu'on suppose égale en valeur au produit du tiers de sa ferme ; une seconde rente
pour son entretien et celui des hommes et des chevaux dont il se sert pour cultiver sa ferme, et
enfin une troisième rente qui doit lui demeurer, pour faire profiter son entreprise [_]. Lorsque
j'ai dit qu'il faut nécessairement pour la circulation de la campagne, une quantité d'argent,
souvent égale en valeur à la moitié du produit des terres, c'est la moindre quantité ; et pour que
la circulation de la campagne se fasse avec facilité, je supposerai que l'argent comptant qui doit
conduire la circulation des trois rentes, est égal en valeur à deux de ces rentes, ou égal au produit
des deux tiers de la terre » (Essai sur la nature du commerce en général, Paris : I.N.E.D., 2e
partie, chap. III, pp. 68-71).

Le circuit envisagé jusqu'ici implique des paiements annuels. Or, Cantillon introduit ensuite
dans son analyse des paiements plus rapprochés. Il propose un circuit avec des paiements
semestriels, puis trimestriels. Il en résulte que l'on aura besoin de moins de monnaie dans
l'économie pour réaliser la circulation. Cantillon observe aussi que "l'argent comptant,
nécessaire pour conduire la circulation et le troc dans un état, est à peu près égal en valeur au
tiers des rentes annuelles des propriétaires de terres" (p. 73). La monnaie nécessaire à la
circulation représente un tiers de la rente véritable, soit l'équivalent de 1/9 du produit annuel de
la terre.

15
Chapitre 2 La physiocratie et le circuit économique

Le deuxième chapitre de cette partie est consacré aux idées développées par l'école
physiocratique en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il s'agit de la première «
école » de pensée systématique en économie. Très marquée par le contexte économique et
politique français, elle tente de proposer un « modèle » cohérent dans le but de fournir des
solutions aux problèmes économiques. Cependant, la période active de la Physiocratie et de son
influence intellectuelle en France est assez courte puisqu'elle s'achève à la mort de François
Quesnay ; en revanche, l'influence au plan international se poursuit jusqu'au début du XIXe
siècle.

Au milieu du XVIIIe siècle, la France se trouve affaiblie par des conflits extérieurs ; elle est
vaincue par l'Autriche (Traité d'Aix-la-Chapelle, 1748) et elle cède des colonies à l'Angleterre
(Traité de Paris, 1763). L'excès de centralisme et la très forte réglementation des activités
entravent toutes les activités économiques. Le système fiscal pèse très lourdement sur la
population agricole. Bien que l'agriculture occupe une place prédominante dans le produit
global, les méthodes de culture restent traditionnelles et font encore une large part à la jachère.
La grande propriété foncière reste limitée, pour l'essentiel, au Bassin parisien, tandis que la
petite propriété domine sur le reste du territoire.

Sur le plan des idées, la période est marquée par les « Lumières », par l'influence des «
Encyclopédistes ».

Les « philosophes économistes », réunis autour de François Quesnay, souhaitent faire jouer à
l'agriculture un rôle fondamental dans leur projet de redressement de l'économie française et de
sauvegarde de la monarchie.

Section1 : François Quesnay, le fondateur

François Quesnay (1694-1774) est le fondateur de l'école des "Physiocrates". Chirurgien, puis
médecin réputé, il est le protégé de Mme de Pompadour et de Louis XV à la cour de Versailles.

François Quesnay rédige ses premiers articles économiques pour l'Encyclopédie de D'Alembert
et Diderot : « Evidence », « Fermiers » (1756), « Grains », « Impôts », « Hommes » (1757).

En décembre 1758, il met au point le "Tableau Economique". Cette version ainsi que les
suivantes sont connues sous le nom de "zigzag". Quesnay publie dans le Journal de
l'agriculture, du commerce et des finances les "Observations sur le droit naturel des hommes
réunis en société" (1765) et l'"Analyse de la formule arithmétique du Tableau économique"
(1766), En 1767, paraissent les "Maximes générales du gouvernement économique d'un
royaume agricole" dans le recueil préparé par Dupont de Nemours, Physiocratie.

A partir de 1767, les écrits des Physiocrates, en particulier le « Tableau » et les « Maximes »
ont un écho très important en Europe et plusieurs membres de l'école deviennent des conseillers
de princes ou monarques. Le Mercier de la Rivière est invité en Russie par l'impératrice

16
Catherine II. Mirabeau est en contact ave le futur roi de Suède, Gustave III, avec le Grand-duc
Léopold de Toscane et avec le margrave de Bade qui l'invite à expérimenter l'impôt unique sur
les terres dans certains villages de son duché.

Nicolas Baudeau affirme dans les Ephémérides du citoyen, en avril 1767 : « Les vrais
économistes sont faciles à caractériser [_]. Ils reconnaissant un maître, le Dr Quesnay ; une
doctrine, celle de la Philosophie rurale et de l'Analyse économique ; des livres classiques, en
premier La Physiocratie ; une formule, le Tableau Economique ; des termes techniques,
précisément comme les anciens lettrés de la Chine ».

L'école tend à former une orthodoxie, d'où le jugement des détracteurs qui parlent de la « secte
des Economistes ».

A- Les principaux disciples

Victor de Riqueti, marquis de Mirabeau (1715-1789). Auteur de L'Ami des hommes, ou Traité
de la population (1756-1758), il devient dès 1757 le premier disciple de Quesnay. Avec l'aide
de ce dernier, il entreprend un Traité de la Monarchie (1757-59), puis rédige la Théorie de
l'impôt (1760) et la Philosophie rurale ou Economie générale et politique de l'agriculture
(1763).

Pierre-Paul Le Mercier de la Rivière (1719-1801), juriste, va exposer les principes politiques


de la Physiocratie (le « despotisme légal »). Auteur de L'Ordre naturel et essentiel des sociétés
politiques (1767).

Guillaume-François Le Trosne (1728-1789), avocat, auteur de De l'intérêt social par rapport à


la valeur, la circulation, l'industrie, le commerce intérieur et extérieur (1777).

Nicolas Baudeau (1730-1792), auteur des Principes de la science morale et politique sur le luxe
et les lois somptuaires (1767) et d'une Première introduction à la philosophie économique des
Etats policés (1771).

Pierre-Samuel Dupont de Nemours (1739-1817), publiciste, auteur de De l'exportation et de


l'importation des grains (1764) et De l'origine et des progrès d'une science nouvelle (1768). Il
réunit les textes de Quesnay dans le recueil Physiocratie, ou Constitution naturelle du
gouvernement le plus avantageux au genre humain en 1767-68. En 1815, il émigrera aux Etats-
Unis.

Parmi les disciples étrangers, on mentionnera le Margrave de Bade, Carl Friedrich von Baden-
Durlach (1728-1811), auteur d'un Abrégé des principes de l'économie politique (1772).

Ajoutons que les Physiocrates disposent de journaux pour diffuser leurs idées : les Ephémérides
du citoyen (1765-1772) et le Journal de l'agriculture, du commerce et des finances (1765-
1783).

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B- Le « cas » Turgot

Anne-Robert-Jacques Turgot (1727-1781), intendant général de Limoges, et plus tard


contrôleur général des Finances, est l'auteur des Réflexions sur la formation et la distribution
des richesses (1766). Turgot accepte les thèses principales de l'école physiocratique, mais il va
marquer son originalité, si bien qu'il est considéré, tantôt comme un « sympathisant », tantôt
comme un « dissident », tantôt comme un auteur « classique » avant la lettre. En particulier, il
va apporter un éclairage nouveau sur trois questions :

- Turgot affirme que « c'est par le travail que la terre produit » et que le produit agricole est
limité par les rendements décroissants ;

- Dans « Valeurs et monnaies » (1769), Turgot distingue deux notions de valeur des
marchandises : « valeur estimative » et « valeur appréciative ». La « valeur estimative »
concerne l'individu isolé et comprend trois aspects (besoin, excellence de la chose, et rareté).
La « valeur appréciative » met en jeu deux individus dans une relation d'échange ; les
échangistes attribuent une valeur estimative plus grande au bien reçu par rapport au bien cédé
et la « valeur appréciative » qui va déterminer le prix se situerait à la moitié de la différence
entre les deux valeurs estimatives.

- Selon Turgot, le capital est le résultat de l'accumulation d'épargnes dans tous les secteurs
d'activité. Selon lui, le rendement du capital le plus bas se fait par l'achat d'une terre affermée,
car il est le moins risqué. Ensuite, viennent les prêts à intérêt qui rapportent davantage. Enfin
viennent les investissements dans les activités agricoles, industrielles et commerciales qui sont
les plus profitables.

Section2 : La pensée des Physiocrates : Les grands thèmes


Dans les écrits de François Quesnay et des Physiocrates, un certain nombre de thèmes-clés
reviennent constamment. Tout d'abord, il faut mentionner la notion d'"Ordre naturel" qui sous-
tend le système de pensée, puis la représentation du "Tableau Economique". Parmi les
propositions de politique économique, on trouve un plaidoyer général en faveur de la liberté du
commerce et en particulier pour celui du blé, l'objectif recherché étant le "bon prix" et
l'organisation de l'agriculture sous la forme de grandes exploitations affermées. Enfin, la
réforme de la fiscalité est tout aussi urgente, afin de sauvegarder la monarchie.

Sommaire

• La notion d'"ordre naturel"


• Le "Tableau économique"
• Pour la liberté du commerce et le "bon prix" du blé
• La question fiscale

Introduction

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Dans les écrits de François Quesnay et des Physiocrates, un certain nombre de thèmes-clés
reviennent constamment. Tout d'abord, il faut mentionner la notion d'"Ordre naturel" qui sous-
tend le système de pensée, puis la représentation du "Tableau Economique". Parmi les
propositions de politique économique, on trouve un plaidoyer général en faveur de la liberté du
commerce et en particulier pour celui du blé, l'objectif recherché étant le "bon prix" et
l'organisation de l'agriculture sous la forme de grandes exploitations affermées. Enfin, la
réforme de la fiscalité est tout aussi urgente, afin de sauvegarder la monarchie.

A- La notion d'"ordre naturel"

Le néologisme "Physiocratie" est mentionné pour la première fois par l'abbé Nicolas Baudeau,
dans les Ephémérides du citoyen en avril 1767 ; il apparaît ensuite en novembre de la même
année comme titre du recueil d'écrits de Quesnay publié par Dupont de Nemours. "Physiocratie"
signifie littéralement "gouvernement de la nature" (de physis, nature et Kratein, gouverner).

Les Physiocrates énoncent que la société est régie par un ordre providentiel et essentiel, voulu
par Dieu pour le bonheur des hommes, un ordre qui doit s'imposer à la sagesse des
gouvernements. Cet « ordre naturel », connu des hommes par l'"évidence", contient les lois
fondamentales et immuables de toute société. Ces lois, qui doivent être enseignées aux hommes,
légitiment tout d'abord la propriété privée, en particulier celle de la terre. La liberté du
commerce et de l'industrie est nécessaire et comme l'indique Mirabeau, « l'intérêt particulier est
le premier bien de la société ; d'où il suit que la société est d'autant plus assurée que l'intérêt
particulier est le plus à l'abri ». De plus, l'autorité incarnée par le monarque de droit divin doit
être respectée, mais il s'agit d'un « despote éclairé » par la connaissance de l' « ordre naturel ».
Le « despotisme légal » éloigne donc les Physiocrates des conceptions politiques de
Montesquieu et de Jean-Jacques Rousseau.

Dans De l'origine et des progrès d'une science nouvelle (1768), Dupont de Nemours affirme :
« La science économique n'étant autre chose que l'application de l'ordre naturel au
gouvernement des sociétés, est aussi constante dans ses principes et aussi susceptible de
démonstration que les sciences physiques les plus certaines ».

Le « Tableau économique » va permettre de révéler le fonctionnement d'une économie qui


respecte l'ordre naturel.

B- Le "Tableau économique"

Nous avons vu dans le thème précédent que les premières contributions à la question du circuit
économique venaient de Pierre de Boisguilbert, puis de Richard Cantillon. Elles vont trouver
des prolongements avec le « Tableau économique » des Physiocrates. Le « Tableau » n'est pas
un essai d' « arithmétique politique » mais constitue un premier « modèle » macroéconomique
simplifié, abstrait, de production et de circulation de la richesse. La richesse chez les
Physiocrates est constituée par les biens matériels qui sont échangeables (ils ont une « valeur
vénale »). Le « Tableau » va permettre de tester différentes mesures de politique économique.

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1- Les versions du "zigzag"

En décembre 1758, François Quesnay met au point la première version du "Tableau


Economique". Cette présentation et les suivantes sont connues sous le nom de « zigzag ». En
voici un exemple. Il s'agit de la version présentée au chapitre VII de la Philosophie rurale ou
économie générale et politique de l'agriculture (1763) de Mirabeau, auquel Quesnay a
collaboré.

Les lignes en diagonales représentent les achats et la monnaie qui s'écoule dans le sens de la
pente des lignes. Dans cette version du "Tableau Economique", la classe productive (dont la
reproduction totale est de 4000) dépense 2000 (en millions de livres) en avances annuelles et
verse un revenu de 2000 aux propriétaires. Cette classe dépense en achetant 1000 de produits
agricoles à la classe productive et 1000 de produits manufacturés à la classe stérile. Cette
dernière va acheter 500 de matières premières et/ou de nourriture à la classe productive. Celle-
ci dépense 500 en achats à la classe stérile. La moitié des sommes reçues par les deux classes
est renvoyée à l'autre et le processus va continuer jusqu'à la limite d'une progression
géométrique. Le « zigzag » met en évidence un multiplicateur de dépense (ici égal à 2). La
classe stérile dispose de 2000. Or, elle n'a dépensé que 1000 en achats à la classe productive et
ses avances annuelles n'ont pas été entamées, si bien qu'elle dispose de 1000 en trop ! La version
du Tableau qui paraît en 1766-67 va clarifier le problème de la reconstitution des avances
annuelles de la classe stérile en distinguant les achats de matières premières (grâce aux avances
annuelles) et les achats de nourriture (grâce aux ventes d'ouvrages).

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2- Le "Tableau économique" proprement dit

L'"Analyse de la formule arithmétique du Tableau économique de la distribution des dépenses


annuelles d'une nation agricole" (Journal de l'agriculture, du commerce et des finances, juin
1766) constitue la version la plus célèbre du "Tableau", dont la représentation graphique (la «
Formule ») ne figure effectivement que dans la 2e édition, dans le recueil Physiocratie (1767),
publié par Dupont de Nemours.

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3- François Quesnay présente ainsi le Tableau économique d'un royaume agricole

« La nation est réduite à trois classes de citoyens : la classe productive, la classe des
propriétaires et la classe stérile.

La classe productive est celle qui fait renaître par la culture du territoire les richesses annuelles
de la nation, qui fait les avances des dépenses des travaux de l'agriculture, et qui paye
annuellement les revenus des propriétaires des terres. On renferme dans la dépendance de cette
classe tous les travaux et toutes les dépenses qui s'y font jusqu'à la vente des productions à la
première main, c'est par cette vente qu'on connaît la valeur de la reproduction annuelle des
richesses de la nation.

La classe des propriétaires comprend le souverain, les possesseurs des terres et les décimateurs.
Cette classe subsiste par le revenu ou produit net de la culture, qui lui est payé annuellement
par la classe productive, après que celle-ci a prélevé, sur la reproduction qu'elle fait renaître
annuellement, les richesses nécessaires pour se rembourser de ses avances annuelles et pour
entretenir ses richesses d'exploitation.

La classe stérile est formée de tous les citoyens occupés à d'autres services et à d'autres travaux
que ceux de l'agriculture, et dont les dépenses sont payées par la classe productive et par la
classe des propriétaires, qui eux-mêmes tirent leurs revenus de la classe productive [_].
Supposons donc un grand royaume dont le territoire porté à son plus haut degré d'agriculture,
rapporterait tous les ans une reproduction de la valeur de cinq milliards, et où l'état permanent
de cette valeur serait établi sur les prix constants qui ont cours entre les nations commerçantes,
dans le cas où il y a constamment une libre concurrence de commerce, et une entière sûreté de
la propriété des richesses d'exploitation de l'agriculture.

Le Tableau économique renferme les trois classes et leurs richesses annuelles, et décrit leur
commerce dans la forme qui suit :

Ainsi la classe productive vend pour un milliard de productions aux propriétaires du revenu ,
et pour un milliard à la classe stérile qui y achète les matières premières de ses ouvrages, 2
milliards.

22
Le milliard que les propriétaires du revenu ont dépensé en achats à la classe stérile, est employé
par cette classe pour la subsistance des agents dont elle est composée, en achats de productions
prises à la classe productive, 1 milliard.

Total des achats faits par les propriétaires du revenu et par la classe stérile à la classe
productive, 3 milliards.

De ces trois milliards reçus par la classe productive pour trois milliards de productions qu'elle
a vendues, elle en doit deux milliards aux propriétaires pour l'année courante du revenu, et elle
en dépense un milliard en achats d'ouvrages pris à la classe stérile. Cette dernière classe retient
cette somme pour le remplacement de ses avances, qui ont été dépensées d'abord à la classe
productive en achats de matières premières qu'elle a employées dans ses ouvrages. Ainsi ses
avances ne produisent rien; elle les dépense, elles lui sont rendues, et restent toujours en réserve
d'année en année.

Les matières premières et le travail pour les ouvrages montent les ventes de la classe stérile à
deux milliards, donc un milliard est dépensé pour la subsistance des agents qui composent cette
classe; et l'on voit qu'il n'y a là que consommation ou anéantissement de productions et point
de reproduction; car cette classe ne subsiste que du payement successif de la rétribution due à
son travail, qui est inséparable d'une dépense employée en subsistances, c'est-à-dire, en
dépenses de pure consommation, sans régénération de ce qui s'anéantit par cette dépense stérile,
qui est prise en entier sur la reproduction annuelle du territoire. L'autre milliard est réservé pour
le remplacement de ses avances, qui, l'année suivante seront employées de nouveau à la classe
productive en achats de matières premières pour les ouvrages que la classe stérile fabrique.

Ainsi les trois milliards que la classe productive a reçu(s) pour les ventes qu'elle a faites aux
propriétaires du revenu et à la classe stérile, sont employés par la classe productive au payement
du revenu de l'année courante de deux milliards et en achats d'un milliard d'ouvrages qu'elle
paye à la classe stérile ».

4- Reproduction du Tableau (1767)

23
Il est possible de reconstituer les différents flux monétaires du « Tableau ». Au départ, la
situation est la suivante :

• La classe productive (animée par les fermiers) met en vente 3 milliards de produits
agricoles. Elle dispose de capital, c'est-à-dire d'"avances" (exclues de la circulation
monétaire) : les "avances annuelles" de 2 milliards, ou capital circulant (produits
agricoles utilisés comme subsistances et semences) indispensable pour produire durant
un an, et les "avances primitives" de 10 milliards (bâtiments, outils, bétail), ou capital
fixe, sujet à un dépérissement (10 % par an). A ce propos, Quesnay parle des « intérêts
des avances primitives » dont la justification est la suivante : « 1° Le fonds des richesses
d'exploitation qui constitue les avances primitives est sujet à un dépérissement journalier
qui exige des réparations continuelles, indispensablement nécessaires pour que ce fonds
important reste dans le même état [_] 2° La culture est inséparable de plusieurs grands
accidents qui détruisent quelquefois presqu'entièrement la récolte; telles sont la gelée,
la grêle, la nielle, les inondations, la mortalité des bestiaux, etc., etc. ».
• La classe de propriétaires (souverain, propriétaires fonciers et « décimateurs ») reçoit
l'intégralité du « produit net » de 2 milliards.
• La classe stérile comprend tous les citoyens occupés à des activités autres que
l'agriculture : (artisans, manufacturiers, commerçants, professions libérales,

24
fonctionnaires). Elle dispose d'"avances" annuelles, mais sous une forme monétaire,
pour un montant de 1 milliard.

F. Quesnay fait l'hypothèse selon laquelle la classe des propriétaires dépense son revenu, versé
à la période précédente par la classe productive, de la manière suivante : 50 % en achats de
produits agricoles et 50 % en achats d'"ouvrages", de produits manufacturés.

La classe stérile d'une part, utilise 1 milliard d'avances annuelles pour acheter à la classe
productive les matières premières nécessaires à sa production. Elle utilise le milliard qu'elle
vient de recevoir des propriétaires pour acheter à la classe productive des biens de subsistances
qui seront consommés dans la période.

La classe productive consacre le milliard reçu des propriétaires (pour la vente de produits
agricoles) à l'achat d'"ouvrages d'industrie" (outils).

A la fin de la circulation monétaire, la classe stérile a reconstitué ses avances grâce à la vente
d'ouvrages à la classe productive et la classe productive, grâce à la vente de matières premières
et de biens de subsistances à la classe stérile, est en mesure de verser le "revenu" aux
propriétaires.

Cependant, la représentation du « Tableau » n'est pas parfaitement cohérente avec le


commentaire, car elle comporte une ligne diagonale qui joint les 2 milliards avances annuelles
de la classe productive à 1 milliards de produits de la classe stérile. Cette erreur peut être
facilement corrigée, par exemple en faisant glisser cette diagonale sur le milliard de produits de
la classe productive achetés par la classe propriétaire.

Quesnay nous avertit : "que le souverain et la nation ne perdent jamais de vue que la terre est
l'unique source des richesses, et que c'est l'agriculture qui les multiplie" ("Maximes générales
du gouvernement économique d'un royaume agricole", maxime III). Pourquoi l'agriculture
serait-elle l'unique activité "productive" ? Les Physiocrates font valoir que l'agriculture est la
seule activité à fournir un surplus physique, un produit net. Pour les disciples de Quesnay, il
s'agirait en réalité d'un « don gratuit de la Nature ».

La qualification de la "stérile" attachée à l'industrie et au commerce prête à des confusions,


comme l'avait vu Turgot, qui préfère parler de « classe stipendiée » plutôt que de "classe stérile".
En effet, stérile ne signifie pas inutile ou nuisible, mais non productif, non fécond. La
production d'"ouvrages" correspond à une dépense, sans aucun ajout. Selon Quesnay, "ses
avances ne produisent rien". Cette "production" est, en réalité, une "consommation", une
"addition" de richesses.

En fait, le bouclage du circuit à l'identique est assuré grâce aux propriétaires qui répartissent
leurs dépenses à parts égales vers les deux autres classes. Si cette proportion est modifiée,
l'économie peut connaître, soit une croissance, soit un déclin. Par exemple, si les propriétaires
décident de dépenser moins en produits agricoles et plus en biens de luxe, il va en résulter un

25
déclin général de l'économie, car les dépenses ne sont pas substituables. Les Physiocrates
recommandent en effet le "faste de subsistance" et déconseillent le "luxe de décoration".

L'un des apports de Quesnay est le concept de capital, à la fois sous la forme monétaire (avances
de la classe stérile et reconstitution des avances primitives) et sous la forme physique (avances
annuelles de la classe productive). En revanche, le concept de profit ne peut apparaître. Au sein
de la classe productive, les fermiers disposent d'une rémunération pour leur travail et le produit
net est versé intégralement à la classe propriétaire. Turgot, quant à lui, tentera d'intercaler entre
les avances annuelles et le produit net une marge de profit normal pour le fermier.

Le modèle abstrait du « Tableau » tombera largement dans l'oubli au cours du XIXe siècle et
Karl Marx sera l'un des seuls à s'y intéresser et à s'en inspirer. Ultérieurement, il fera l'objet
d'une présentation sous la forme d'une matrice input-output de type Léontief fermé (c'est-à-dire
sans demande finale) par Almarin Phillips dans un célèbre article (« The Tableau économique
as a simple Leontief model », Quarterly Journal of Economics, vol. 69, n° 1, février 1955).
Outre le traitement des avances annuelles des agriculteurs comme intra-consommation, cet
article envisage la classe des propriétaires, non plus comme des consommateurs finaux, mais
comme des « producteurs de services fonciers » vendus à la classe productive pour un montant
égal au produit net (ce qui augmente la production totale de 2 milliards). Ainsi, le surplus ne
peut plus apparaître en tant que tel et le « Tableau » perd sa dimension séquentielle.

C- Pour la liberté du commerce et le "bon prix" du blé

Quesnay et les Physiocrates critiquent fortement la politique économique française, inspirée par
le « système mercantile »; ils accusent le "colbertisme" de négliger l'agriculture au profit de
l'industrie et du commerce. Ils reprennent à leur compte la maxime de "laissez-faire, laissez-
passer" attribuée à Vincent de Gournay et ils entendent promouvoir l'activité agricole.

Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, la France remet en cause la "police des grains" et
tente avec les édits de 1763 et de 1764 de libéraliser le commerce intérieur et extérieur des blés.
Le blé doit devenir un objet de commerce ordinaire. Les physiocrates soutiennent cette politique
économique. Mais cette tentative de libéralisation du commerce du blé est remise en cause en
1770 par le contrôleur général des Finances J.-M. Terray. Sous Louis XVI, Turgot, devenu
contrôleur général des Finances en 1774, tente une deuxième expérience de réformes
économiques, mais qui échoue rapidement.

Les Physiocrates défendent la théorie du "bon prix ". Selon Quesnay, « abondance et non-valeur
n'est pas richesse. Disette et cherté est misère. Abondance et cherté est opulence » (Maxime
n°XVIII). Le "bon prix" doit procurer un "gain suffisant" au-delà du coût de production du
producteur et il doit être relativement stable au cours du temps. La liberté d'exporter les surplus
agricoles permet d'atteindre le "bon prix ". Le prix sur le marché international, en situation de
libre concurrence, est stable et se situe à un niveau plus élevé que celui des prix français. Grâce
à la liberté de commerce, l'augmentation de la production agricole et des avances des fermiers
va être encouragée et conduira à la hausse du produit net. En s'inspirant de l'expérience anglaise,

26
Quesnay et les Physiocrates plaident en faveur du développement de la grande culture
(fermage), au détriment de la petite culture (métayage).

D- La question fiscale

Les Physiocrates souhaitent un allègement général de l'imposition en France et une profonde


réforme du système. En particulier, ils déplorent l'excès d'imposition de la classe productive.
Ils ne souhaitent pas imposer davantage la classe stérile, car il en résulterait une hausse du prix
de ses produits, ce qui nuirait à la reproduction annuelle de la nation. Ils souhaitent une
imposition directe du revenu de la classe des propriétaires, une mesure conforme à l'ordre
naturel, mais qui ne peut être envisagée qu'à long terme. L'"Analyse de la formule arithmétique
du Tableau économique de la distribution des dépenses annuelles d'une nation agricole" (1766-
67) envisage la répartition du revenu de la classe des propriétaires de la manière suivante : 1/7
pour les "décimateurs", 4/7 pour les propriétaires fonciers et 2/7 pour le souverain. François
Quesnay justifie l'établissement d'un impôt territorial unique équivalent à 2/7 du produit net
dans le « Second problème économique » (1767) : « [_] ce grand revenu direct, qui suffirait
seul pour soutenir au plus haut degré la splendeur de la puissance de l'autorité souveraine et les
dépenses nécessaires pour la sûreté et la prospérité de la nation, ne causerait aucun
dépérissement dans la reproduction annuelle [_] », bien qu'il puisse paraître excessif aux
propriétaires fonciers.

Conclusion

L'objectif ultime des Physiocrates est de sauver l'ancien régime, sous la forme d'un « despotisme
légal ». Quesnay s'exprime clairement à ce sujet : « Le système des contre forces dans un
gouvernement est une opinion funeste, qui ne laisse apercevoir que la discorde entre les grands
et l'accablement des petits. La division des sociétés en différents ordres de citoyens dont les uns
exercent l'autorité souveraine sur les autres détruit l'intérêt général de la nation, et introduit la
dissension des intérêts particuliers entre les différentes classes de citoyens ; cette division
intervertirait l'ordre du gouvernement d'un royaume agricole qui doit réunir tous les intérêts à
un objet capital, à la prospérité de l'agriculture, qui est la source de toutes les richesses de l'Etat
et de celles de tous les citoyens » ("Maximes générales du gouvernement économique d'un
royaume agricole", maxime I).

Cependant, cette conception d'un circuit dynamique au service d'un « royaume agricole »
représente une sorte d'utopie dans la mesure où le « retour à la terre » ne garantit pas le
développement du capitalisme.

27
Deuxième partie: De la révolution industrielle à nos jours

L’histoire de la pensée économique permet de mettre en évidence trois principaux courants : le


courant libéral, le courant marxiste et le courant keynésien. Autour de ces trois courants,
gravitent plusieurs théories économiques et écoles de pensée fournissant des explications
alternatives aux problèmes économiques contemporains.

Chapitre 1 LE COURANT LIBERAL

Le courant libéral se compose de deux branches, l’une classique qui apparaît à la fin du 18 ème
siècle, l’autre néoclassique à la fin du 19ème siècle. L’économie politique classique est née
avec la société industrielle. La publication en 1776, par Adam Smith, des Recherches sur la
nature et les causes de la richesse des nations, est contemporaine des différents
perfectionnements de la machine à vapeur de Watt, symbolisant le point de départ de la
première révolution industrielle. Cette œuvre est aussi l’aboutissement d’un long mouvement
d’idées au XVIII siècle (siècle des lumières), connu sous le nom de philosophie de l’ordre
naturel, et à la base de l’idéologie du libéralisme économique.

Si 1776 est une date importante pour la science économique moderne, les années 1870-1874 ne
le sont pas moins, car le classicisme légué par Adam Smith évolue grâce à la technique du calcul
à la marge et la théorie de l’utilité. Le terme néoclassique, parmi lesquels on trouve Carl Menger
(Ecole de Vienne), Léon Walras (Lausanne) et Stanley Jevons (Cambridge), désigne des
économistes qui travaillent dans le champ économique de l’équilibre général indépendamment
de leur idéologie respective (Walras se disait socialiste).

Section1 : Le courant classique


Le courant classique du 18ème siècle, est caractérisé par une évolution radicale des mentalités,
des valeurs, des techniques et des processus économiques. Il s’agit de ce que l’on appelle la
première révolution industrielle. La puissance économique réside davantage dans la détention
de biens de production que dans la sphère des échanges. C’est en Angleterre, première grande
puissance à l’époque, avec Adam Smith (1723-1790), Thomas Malthus (1766 - 1834), David
Ricardo (1772 -1823) ; puis en France avec Jean Baptiste Say (1767 - 1832) que naît la pensée
libérale classique. Malgré la pluralité de leurs travaux1, les auteurs classiques parviennent à
forger une analyse qui repose sur quelques grands principes.

Principales œuvres : Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations d’Adam
Smith (1776),), Traité d’Economie Politique de Jean-Baptiste Say (1803), Principes de
l’Economie Politique et de l’Impôt de David Ricardo (1817), Principes d’économie politique
de Thomas Malthus (1820).

A- Le modèle de l’Homo oeconomicus


Plusieurs postulats sont évoqués par le courant classique :

28
- L’individualisme des agents économiques
L’individu est un être rationnel, il est le seul capable de juger et de décider ce qui est bon pour
lui. L’interventionnisme de l’Etat, même à but louable, est donc pervers dans ses conséquences.
Chaque individu poursuit son intérêt particulier (utilitarisme) par la maximisation des
satisfactions et la minimisation de l’effort (hédonisme). Ce postulat « smithien » a été précisé
par Jeremy Bentham avec la plus grande netteté.
- L’affirmation de la liberté économique
Dérivé de l’ordre naturel, le modèle de l’homo oeconomicus justifie en retour le libéralisme
économique. La propriété privée des moyens de production est une garantie de la liberté. Le
marché constitue le régulateur le plus efficace de l’activité économique (on parle également de
socialisation par le marché). La recherche de l’intérêt individuel permet de réaliser l’intérêt
général car il existe une main invisible (le marché) qui guide les passions individuelles vers le
bien de tous : « N Ce n’est pas le bienveillance du boucher, du marchand de bière et du
boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts.
Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos
besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage » (Smith, 1776, [1991, p. 82]).
L’harmonisation des intérêts étant naturelle, il n’y a dès lors plus aucune raison pour qu’un
pouvoir politique -l’Etat - fasse passer l’intérêt général au dessus de la somme des intérêts
privés.
Le rôle de l’Etat selon Von Mises (1983, p 39), est de « garantir le fonctionnement sans heurts
de l’économie de marché contre la fraude et la violence, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du
pays ».
L’Etat doit donc se garder d’intervenir au delà de son domaine naturel (Etat gendarme),
d’autant plus qu’en portant atteinte aux libertés économiques, il engage les hommes sur la
route de la servitude. Les libertés économiques sont le « rempart des autres libertés », déclare
Hayek (1947), et la meilleure garantie des libertés est la propriété privée des moyens de
production : « Notre génération a oublié que la meilleure garantie de la liberté est la propriété
privée non seulement pour ceux qui la possèdent, mais presque autant pour ceux qui n’en ont
pas. C’est parce que la propriété des moyens de production est répartie entre un grand nombre
d’hommes agissant séparément, que personne n’a un pouvoir complet sur nous et que les
individus peuvent agir à leur guise » (Hayek, 1947, p 77-79).

- La permanence de l’équilibre économique


Un système économique conduit par le principe de la liberté économique tend naturellement
vers l’équilibre. Lorsque celui-ci n’est pas réalisé, les prix s’ajustent à la hausse ou à la baisse.
La Loi des débouchés de Jean-Baptiste Say stipule que « toute offre crée ses débouchés », c’est-
à-dire que l’offre crée une demande équivalente.

B- L’analyse de la production
L’analyse de la production chez les classiques repose essentiellement sur les 4 piliers suivants
: la division du travail ; la théorie de la valeur ; la loi des débouchés de J-B Say ; la théorie
quantitative de la monnaie.
1 La division du travail : chez les classiques, le processus de production est la combinaison
de facteurs de production (terre, travail, capital). Plus la spécialisation des tâches, ou encore la

29
division du travail est poussée, plus le produit obtenu (la combinaison des facteurs de
production) sera élevé (efficace). Dans son ouvrage, « Recherches sur la nature et les causes
de la richesse des nations », Adam Smith introduira la division du travail en s’appuyant sur le
célèbre exemple de la manufacture d’épingles : « Un ouvrier tire le fil à la bobine, un autre le
dresse, un troisième coupe la dressée, un quatrième empointe, un cinquième est employé à
émoudre le bout qui doit recevoir la tête. Cette tête est elle-même l’objet de deux ou trois
opérations séparées : la frapper est une besogne particulière ; blanchir les épingles en est une
autre ; c’est même un métier distinct et séparé que de piquer les papiers et d’y bouter les
épingles ; enfin, l’important travail de faire une épingle est divisé en dix huit opérations
distinctes ou environ, lesquelles, dans certaines fabriques, sont remplies par autant de mains
différentes, quoique dans d’autres le même ouvrier en remplisse deux ou trois » (1776, [1991,
p. 72]). La division du travail aurait trois avantages. Premièrement, l’accroissement de
l’habileté de l’ouvrier augmente la quantité de produits qu’il peut réaliser.
Deuxièmement, le gain de temps qui se perd en passant d’un ouvrage à l’autre peut être réutilisé
dans une autre activité. Troisièmement, la division du travail serait à l’origine de l’invention de
toutes les machines propres à abréger et à faciliter le travail.
Par la suite, la division du travail sera à la base de la doctrine du Libre-échange prôné par les
classiques. En effet, Adam Smith souligne, dans le chapitre II des « Recherches sur la nature
et les causes de la richesse des nations », que c’est « la certitude de pouvoir troquer tout le
produit de son travail qui excède sa propre consommation, contre un pareil surplus du produit
du travail des autres qui peut lui être nécessaire, [qui] encourage chaque homme à s’adonner
à une occupation particulière, et à cultiver et perfectionner tout ce qu’il peut avoir de talent et
d’intelligence pour cette espèce de travail » (1776, [1991, p. 83]). Ainsi, puisque c’est la faculté
d’échanger qui donne lieu à la division du travail, l’accroissement de cette dernière sera limité
par l’étendue de la faculté d’échanger, ou, en d’autres termes, par l’étendue du marché.
2 La théorie de la valeur s’interroge sur la richesse qu’il faut produit. C’est également l’une
des questions les plus controversées du 19 ème siècle. On distingue généralement deux écoles,
l’école anglaise basée sur la valeur d’échange, et l’école française basée sur la valeur utilité.
Adam Smith et David Ricardo se sont engagés sur la voie d’une théorie objective de la valeur,
recherchant au delà de la valeur d’usage des biens (subjective et variable d’une situation à une
autre), les fondements d’une valeur d’échange acceptable par tous. Selon Adam Smith, « il
s’agit d’examiner quelles sont les règles que les hommes observent naturellement, en
échangeant les marchandises l’une contre l’autre, ou contre de l’argent. Ces règles déterminent
ce qu’on peut appeler la Valeur relative ou échangeable des marchandises » (1776, [1991, p.
96]). Cette approche ne concerne que les biens reproductibles. Pour Smith, à l’état primitif, il
n’existe qu’un seul facteur de production, le travail. Le rapport de valeur de deux biens sera
alors directement en proportion de la quantité de travail nécessaire pour les obtenir : « la valeur
d’une denrée quelconque pour celui qui la possède et qui n’entend pas en user ou la consommer
lui-même, mais qui a intention de l’échanger pour autre chose, est égale à la quantité de travail
que cette denrée le met en état d’acheter ou de commander. Le travail est donc la mesure réelle
de la valeur échangeable de toute marchandise » (1776, [1991, p. 99]) Dans un état plus avancé,
il faut tenir compte du profit du capital et de la rente foncière incorporés dans chaque produit.
Ce n’est plus une théorie de la valeur travail, mais une expression du coût de production. Smith

30
propose cependant de ne pas abandonner le travail et d’estimer la valeur des biens en termes de
travail commandé ou équivalent salarié.
Ricardo rappelle que les quantités proportionnelles de travail nécessaire pour obtenir chaque
objet paraissent être la seule règle d’échange possible. La valeur d’échange se ramène à une
quantité de travail incorporé (travail consacré aux outils et aux machines).
De son côté, J-B Say, suivant une tradition déjà bien établie en France par Turgot (1769) et
Condillac (1776), revient sur la théorie subjective de la valeur, l’utilité. Dans son Traité
d’économie politique, Jean-Baptiste Say précise que « si les hommes attachent de la valeur à
une chose, c’est en raison de ses usages : ce qui est bon à rien, ils n’y mettent aucun prix. Cette
faculté qu’ont certaines choses de pouvoir satisfaire aux divers besoins des hommes, qu’on me
permette de la nommer utilité… La production n’est point création de matière, mais une
création d’utilité. Elle ne se mesure point suivant la longueur, le volume ou le poids du produit,
mais suivant l’utilité qu’on lui a donnée » (1803, [1972, p. 50-51]). Une formulation rigoureuse
de l’utilité ne sera donnée qu’à la fin du 19 ème siècle avec l’introduction concomitante de la
rareté. La théorie de la valeur serait alors liée à l’utilité et la rareté d’un bien.
3 La loi des débouchés de J-B Say souligne que « c’est la production qui ouvre des débouchés
aux produits » (1803, [1972, p. 138]). Par la suite, cette loi a donné lieu à quelques polémiques.
Certains l’ont assimilé au précepte « toute offre crée sa demande » et reproché à l’approche
classique son incapacité à saisir la portée de la demande. Or, Jean-Baptiste Say était tout à fait
conscient de l’importance de la demande. En insistant sur les débouchés, il souhaitait
simplement rappeler que les produits s’échangeaient contre d’autres produits et que la monnaie
ne remplissait « qu’un office passager dans ce double échange » (1803, [1972, p. 140]). Dès
lors, l’achat d’un produit ne pouvait être fait qu’avec la valeur d’un autre produit. Dans ces
conditions, « plus les producteurs sont nombreux et les productions variées, et plus les
débouchés sont faciles, variés et vastes » (ibid).
4 La théorie quantitative de la monnaie (TQM) rappelle que la monnaie est un voile, elle
sert uniquement à faciliter les transactions économiques. La monnaie est une marchandise
comme une autre, sa seule fonction est de servir d’intermédiaire des échanges. Dans son Traité
d’économie politique, J-B Say note que « la marchandise intermédiaire, qui facilite tous les
échanges (la monnaie), se remplace aisément dans ce cas-là par d’autres moyens connus des
négociants, et bientôt la monnaie afflue, par la raison que la monnaie est une marchandise, et
que toute espèce e marchandise se rend aux lieux où l’on en a besoin » (1803, [1972, p. 139]).
L’équation de la TQM illustre ce phénomène. Elle se présente de la manière suivante : M .v =
p.Y M désigne la masse monétaire ; v, la vitesse de circulation de la monnaie ; p, le niveau
général des prix et Y, les transactions économiques. Considérer que la monnaie est un voile,
revient à accepter le raisonnement suivant : toute hausse de M doit correspondre à une hausse
de Y (c’est parce que les transactions économiques augmentent, que l’on a besoin de plus de
monnaie). Si M augmente indépendamment de Y, alors c’est p qui augmentera (une
augmentation de monnaie qui ne correspond pas à une augmentation des transactions
économiques, génère une hausse des prix, c’est à dire dans le langage courant, de l’inflation).

C- La répartition
La question de la répartition du produit concerne les classes, au nombre de trois : les
propriétaires terriens, les capitalistes, les travailleurs. Chaque classe offre une contribution

31
particulière au produit, un facteur de production propre : la terre, le capital, le travail. Chaque
facteur reçoit un revenu qui lui est propre (et dont la détermination est spécifique) : la rente, le
profit, le salaire.
1- La théorie de la rente est associée à deux apports. Malthus et Smith considèrent que la
rente foncière est considérée comme un don gratuit de la nature récupérée par les
propriétaires fonciers en vertu de leur pouvoir monopole de détention de la terre. De leur
côté, Ricardo et Mill introduisent le principe de la rente différentielle. Comme la terre est
limitée, les rendements sont décroissants. On admet ainsi que les nouvelles terres qui seront
mises en chantier, seront de moins en moins fertiles.
2- La théorie de l’intérêt : les classiques considèrent que le profit et l’intérêt sont
assimilables.
Smith avance que le profit est la part de la richesse produite qui revient aux capitalistes. Pour
Ricardo, il s’agit de faire une soustraction entre la valeur créée et la part allant aux salariés pour
assurer leur entretien, la part aux propriétaires fonciers en vertu de la rente différentielle. En
fait, dans l’approche libérale, le profit rémunère le risque de l’entrepreneur et des apporteurs de
capitaux.
Le profit d’aujourd’hui est la condition des investissements de demain.
PROFIT (t) → INVESTISSEMENTS (t+1) → PRODUCTION (t+1) → EMPLOI (t+1) →
SALAIRES (t+1)
3- La théorie du salaire présente deux versions complémentaires. La première de court terme
s’appuie sur la théorie du fonds des salaires (A. Smith, J-S Mill). La masse salariale (salaire
multiplié par le nombre de travailleurs) est considérée comme prédéterminée par le montant
des capitaux accumulés (épargne) par les capitalistes pour engager le processus de
production. Ainsi w N = S (où w désigne le salaire ; N, le travail et S, l’épargne). La seconde,
de long terme, introduit le salaire naturel (Malthus, Ricardo). Le travail est une
marchandise, qui a un coût de production correspondant au minimum nécessaire à
l’entretien de l’ouvrier et de sa famille.

Section2 : L’Ecole néoclassique

L’Ecole néoclassique, née dans les années 1870, regroupe des économistes rattachés au courant
marginaliste. Ses théories sont en grande partie encore dominantes aujourd’hui et elles se basent
sur les notions d’utilité marginale et d’équilibre du marché et sur une conception de l’individu
en tant qu’Homo œconomicus.

L’Ecole néoclassique emploie une base microéconomique fondée sur l’individualisme


méthodologique : elle analyse les comportements des individus et en déduit des phénomènes
collectifs, notamment l’offre, la demande et l’équilibre sur le marché. Libéraux, les économistes
néoclassiques s’opposent à l’intervention de l’Etat dans l’économie. Ils font confiance au
marché pour allouer efficacement et justement les ressources.

A- Auteurs et écoles

32
Dans les années 1870, trois économistes développent presque simultanément et sans se
concerter le concept d’utilité marginale. Ils sont à la base d’un courant de pensée économique,
le marginalisme, et sont considérés comme les fondateurs de l’Ecole néoclassique.

• L’anglais William Stanley Jevons (1835-1882) publie en 1871 « Théorie de l’économie


politique ». Dans cet ouvrage, Jevons commence par souligner le caractère
mathématique de l’économie: on peut tout quantifier, même le plaisir et l’effort peuvent
être l’objet de calculs mathématiques. Il énonce ensuite une théorie de l’utilité
marginale décroissante, puis la théorie de l’échange selon laquelle les rapports de prix
sont proportionnels aux rapports des utilités marginales. Enfin, il propose de considérer
d’autres facteurs influençant la détermination des prix. Il est à l’origine de la théorie de
l’équilibre partiel. Ses successeurs à l’Ecole de Cambridge sont Alfred Marshall,
Arthur Cecil Pigou et Francis Edgeworth.
• L’autrichien Carl Menger (1840-1921), basé à Vienne, est l’auteur de « Fondements
de l’économie politique » (1871). Menger énonce dans ce livre une théorie subjective
de la valeur et de l’utilité marginale (même s’il n’utilise pas ce terme) qui lui vaut d’être
considéré comme l’un des fondateurs du marginalisme. Selon sa théorie de la valeur,
les individus peuvent hiérarchiser leurs besoins: la valeur d’un bien dépend du besoin
qu’on en a et de sa rareté. L’ouvrage est composé de huit parties: dans les deux
premières il définit ce que sont les biens économiques et leur hiérarchie, puis il énonce
une théorie subjective de la valeur. Il élabore ensuite des analyses de l’échange, de la
formation des prix et de la monnaie. Il est le père de l’Ecole autrichienne, dont les
principaux représentants seront Eugen Von Böhm-Bawerk et Friedrich Von Wieser,
puis Ludwig Von Mises et Friedrich Von Hayek.
• Le français Léon Walras (1834-1919) écrit en 1873 « Éléments d’économie politique
pure ». Paru pour la première fois en 1874, cet ouvrage a été remanié à plusieurs
reprises jusqu’en 1902. Il n’est lu au départ que par des économistes mathématiciens,
mais aura un impact considérable à partir des années 1930. Walras y construit la
théorie de l’équilibre général, en élaborant plusieurs modèles successifs, allant du
simple au compliqué. Il commence par une théorie de l’échange avec deux
marchandises, puis avec plusieurs marchés. Il introduit ensuite dans son modèle les
conditions d’équilibre du producteur ainsi que le capital et la monnaie. Son successeur
à l’Ecole de Lausanne est Vilfredo Pareto. L'optimum de Pareto ou maximum
d'ophélimité: Avant la publication de son ouvrage "Cours d'économie politique" (1896-
97), les économistes ne s'étaient pas interrogés sur la réelle possibilité d'additionner des
utilités individuelles pour obtenir une mesure de la satisfaction collective... Or nous
savons tous que l'on ne peut additionner des carottes et des choux. Additionner des
utilités implique que l'on puisse leur donner une valeur numérique, cardinale or Pareto
considère cela comme irréalisable car chacun est seul juge de sa satisfaction et que cette
dernière dépend de nombreux facteurs (moment, durée...) donc on ne peut procéder à
des comparaisons interpersonnelles (entre des individus différents). C'est une rupture
dans les pratiques des économistes travaillant aussi sur l'utilité puisqu'il effectue une
séparation entre les comparaisons interpersonnelles d'utilité et les comparaisons
interpersonnelles... Malgré la difficulté Pareto va chercher des modes de comparaison

33
pour déterminer l'optimum de satisfaction sans brimer les individus ou faire intervenir
un être suprême (Dieu, Grand Horloger...). Dans son ouvrage "Cours d'Économie
Politique", Pareto nous présente le terme d'ophélimité comme étant plus ou moins
semblable à la valeur d'usage, ou plus exactement comme le "rapport de convenance
entre l'homme et l'objet". On ne peut que réaliser un classement, une échelle de
préférence du meilleur au pire de cette ophélimité. Pareto propose dans son "Manuel
d'Économie Politique" comme Edgeworth de réaliser des "lignes d'indifférence" des
goûts qui seront largement utilisées par la suite et qui permettent de se débarrasser des
difficultés liées à l'utilité cardinale. L'optimum de Pareto est atteint lorsqu'il n'est
pas possible en situation de concurrence d'améliorer la situation d'un individu
(d'un agent) sans diminuer le bien-être d'au moins un autre individu... Tant qu'il
est possible d'accroître par la réallocation des ressources la satisfaction ou ophélimité
de certains sans nuire à d'autres, le critère du maximum d'ophélimité n’est pas atteint. Il
faut toutefois remarquer que ce maximum d'ophélimité n'est pas unique bien au
contraire... sa définition récuse l'existence d'un optimum unique et met à la place un
nombre infini d'optimum qui ne peuvent être comparés. V. Pareto observera dans son
ouvrage "Manuel d'Économie Politique" (ch6.61) qu'en théorie un optimum de Pareto
peut être atteint aussi bien grâce à une planification parfaite que grâce à une concurrence
pure et parfaite.

B- Positionnement dans l’histoire de la pensée économique


Les Néoclassiques sont à la fois en continuité et en rupture avec les auteurs classiques.
Ils ont en commun la croyance dans la supériorité du libéralisme économique: le
marché, soumis à la libre-concurrence (sans intervention de l’Etat), permet une situation
optimale pour tous. En revanche, les Néoclassiques rejettent les théories de la valeur-
travail et de la répartition qui étaient à la base de l’analyse classique (du moins pour
Smith et Ricardo). Le courant néoclassique apparaît au moment de la seconde révolution
industrielle et de l’émergence des mouvements ouvriers. Ceux-ci sont notamment
inspirés par les idées de Marx, qui publie « Le Capital » en 1867. Marx s’appuie sur les
théories classiques de la valeur-travail et de la répartition des revenus pour dénoncer le
capitalisme et l’exploitation des travailleurs. En rejetant Marx et la lutte des classes, les
néoclassiques opèrent également une rupture avec les théories classiques jusque-là
dominantes.

C- Méthode et conceptions de l’économie


Un des objectifs des auteurs néoclassiques est de donner une légitimité à l’économie:
lui donner le statut de science au même titre que la physique ou la chimie. Les
mathématiques apparaissent comme gage de rigueur scientifique, leur utilisation est
donc intensive dans les analyses économiques néoclassiques.
Les Néoclassiques accordent une grande importance aux raisonnements
microéconomiques: toute la théorie repose sur des postulats concernant les
comportements individuels, à partir desquels les phénomènes collectifs sont expliqués.
Ils conçoivent la société comme composée uniquement d’individus, contrairement aux
Classiques qui envisagent des classes ou des groupes sociaux. Le monde tel que conçu

34
par les néoclassiques exclut aussi l’Histoire et les institutions (celles-ci ne servent qu’à
garantir le bon fonctionnement du marché).
Le concept d’Homo œconomicus est à la base de la théorie: il s’agit d’une conception
abstraite de l’être humain, dans laquelle l’individu agit rationnellement, c’est-à-dire en
essayant de maximiser sa satisfaction compte tenu de ses ressources limitées.

D- La révolution marginaliste
- La valeur par l’utilité
La conception objective de la valeur portée par certains auteurs classiques explique que
la valeur d’un bien peut être définie par la quantité de travail nécessaire pour sa
production. Les Néoclassiques rejettent cette idée au profit d’une théorie subjective de
la valeur: la valeur par l’utilité. Carl Menger (cité par Samuelson, 1990, p. 132) affirme
que « l’utilité est la capacité que possède une chose de servir à la satisfaction des
besoins humains » et que « la valeur n’est pas inhérente aux biens, elle n’en est pas une
propriété; elle n’est pas une chose indépendante qui existe en soi. C’est un jugement
que les sujets économiques portent sur l’importance des biens dont ils peuvent disposer
pour maintenir leur vie et leur bien-être ».
Ainsi le prix d’un produit n’est pas déterminé par la production, mais par le marché:
c’est simplement le prix que quelqu’un est disposé à payer pour ce produit. Il s’agit du
prix « d’équilibre » du marché.
- L’utilité marginale
Les auteurs néoclassiques sont aussi appelés « marginalistes », car ils défendent l’idée
que la valeur est proportionnelle à l’utilité marginale. Celle-ci est la satisfaction que
procure la consommation d’une unité de bien supplémentaire. L’utilité marginale est
décroissante: par exemple, si l’on a soif, un verre d’eau procure une grande satisfaction,
un second verre une satisfaction un peu moins grande, etc. L’utilité marginale du verre
d’eau décroît donc avec la quantité consommée.
- Consommation et production et équilibre
A partir de cette théorie de l’utilité et du postulat de rationalité des individus, les
économistes néoclassiques analysent le comportement du consommateur (la demande)
et du producteur (l’offre). Le consommateur est rationnel: il cherche à maximiser sa
satisfaction tout en minimisant ses dépenses. Il doit faire des choix pour répartir son
argent dans les différents produits dont il a besoin. Sa situation optimale (l’équilibre)
est atteinte lorsque les utilités marginales sont égales pour chaque bien, en tenant compte
des prix relatif, c’est-à-dire quand l’achat d’une unité supplémentaire d’un « bien A »
lui apporte la même satisfaction que l’achat d’un « bien B » supplémentaire. Ainsi, on
détermine la demande d’un individu à partir de ses choix rationnels. Pour connaître la
demande globale sur un marché, il suffit d’additionner toutes les demandes
individuelles. La fonction de demande globale est décroissante: plus un bien est cher,
moins il y a de demande.
Le producteur est aussi un agent rationnel, son objectif est de maximiser son profit (ou
minimiser ses coûts). Dans ce but, il produit des biens en combinant différents « facteurs
» (le travail, les machines, la terre). Comme pour le consommateur, le producteur a une
situation d’équilibre: lorsque le coût de production d’une unité supplémentaire de

35
marchandise égale le revenu qu’il en tire. En additionnant les offres de chaque
producteur, on obtient une fonction d’offre globale. Celle-ci est croissante par rapport
aux prix: plus le prix d’un bien est élevé, plus les producteurs voudront augmenter les
quantités produites de ce bien.
En confrontant l’offre et la demande globale pour un produit, on trouve la situation
d’équilibre qui indique le prix auquel s’échange le produit. En raisonnant sur un seul
marché, on fait l’étude d’un équilibre partiel. Mais si l’on considère que les marchés
s’influencent entre eux (on dit qu’ils sont interdépendants), on étudie l’équilibre
général. Un changement d’offre ou de demande sur un marché influence directement
ou indirectement tous les autres marchés. Léon Walras a proposé un modèle d’équilibre
général: il prend en compte l’interdépendance des marchés. Dans cette situation
d’équilibre général, tous les agents sont simultanément dans la meilleure situation
possible compte tenu de leurs ressources.
- Les salaires
Les salaires sont déterminés par la confrontation de l’offre et de la demande de travail:
le travailleur offre son travail en échange d’un salaire. Il compare l’utilité (le gain) tirée
de son travail à sa « désutilité » (la pénibilité, la fatigue) et peut décider de travailler ou
non. La demande de travail vient de l’entrepreneur. Dans cette conception, on ignore les
rapports de forces entre classes sociales, qui sont pourtant importants dans la
détermination des salaires. La vision des individus comme libres de vendre ou non leur
travail est aussi critiquable: c’est oublier l’obligation des individus de travailler pour
vivre.
- Chômage et crises
Les économistes néoclassiques s’intéressent peu aux crises et au chômage. Ils pensent
que si l’Etat n’intervient pas et qu’on laisse libre cours au marché, le chômage ne peut
être que passager et le plein-emploi est assuré. Le chômage ne persiste qu’à cause de
l’intervention de l’Etat et des syndicats qui empêchent de baisser les salaires, nuisant à
la concurrence sur le marché du travail. S’appuyant sur la loi des débouchés de Say, les
Néoclassiques pensent que les crises de surproduction sont impossibles: à une offre
globale correspond forcément une demande globale. Ceci sera remis en question lors de
la grande crise des années 1930.

Section3 : Les différentes écoles libérales


Depuis les années 70, le courant libéral s’est constitué en plusieurs écoles :

A- L’Ecole de Chicago et le courant monétariste


Avec Franck Knight (1885-1972) est le fondateur de l’école dite de Chicago. Dans son ouvrage
« Risque, Incertitude et Profit » (1921), Knight introduira une distinction entre le risque et
l’incertitude. Le risque correspond à une situation dans laquelle l’avenir peut être appréhendé
par l’intermédiaire de probabilités (on dit que l’avenir est probabilisable). A l’opposé,
l’incertitude désigne une situation dans laquelle il est impossible de faire une quelconque
projection (pas de probabilités possibles). Le profit est ainsi présenté comme la contrepartie du
risque assumé par l’entrepreneur, ou tout du moins l’incertitude dans laquelle il est lorsqu’il

36
prend une décision. Le profit sera donc d’autant plus élevé que l’incertitude de l’avenir est
grande.
Milton Friedman fait partie de l’Ecole de Chicago. Dans son ouvrage « Capitalism and Liberty
» (1962), il explique que dans une économie de marché, la réduction du rôle de l’Etat est la
seule manière d’atteindre la liberté politique et économique. Dans un autre ouvrage, intitulé «
Free to Choose » (1980) co-rédigé avec sa femme, Rose, Milton Friedman défend la thèse de
la supériorité du système libéral sur tous les autres systèmes.
Milton Friedman sera également l’initiateur du courant monétariste et l’un des plus grands
opposants à la théorie keynésienne. Il considère que la monnaie a un rôle déstabilisateur à court
terme sur les prix et sur les changes (une politique monétaire limitant la progression de la masse
monétaire serait donc efficace pour lutter contre l’inflation). La monnaie ne joue cependant
aucun rôle à moyen ou long terme.

B- L’Ecole de l’Economie de l’Offre


L’économie de l’offre s’oppose à l’économie de la demande, popularisée par John Maynard
Keynes dans les années 30. Au lieu de stimuler la croissance économique par la consommation,
l’investissement ou les dépenses publiques, les économistes de l’offre considèrent qu’il
convient d’aider les entreprises à produire des biens et des services (subventions dans certains
secteurs économiques), de les inciter à conquérir de nouveaux marchés et de diminuer
l’imposition qui pèse sur les entreprises (impôt sur les sociétés, taxe professionnelle…) et les
revenus des travailleurs (cotisations sociales…). Ce courant est principalement représenté par
Arthur Laffer (1940), Bruce Bartlett (1951) et George Gilder (1939). On pourrait dire
simplement que la formule de l’école de l’économie de l’offre est « J.B Say, rien que J.B Say !
L’offre crée ses débouchés »5.
Une illustration célèbre des apports de cette école est la célèbre courbe de Laffer, selon laquelle
l’augmentation de la pression fiscale conduit à une diminution des rentrées fiscales, du fait de
la fraude, de l’évasion ou encore de la diminution volontaire d’activité. Ainsi une réduction
massive de la pression fiscale, en encourageant l’effort et l’esprit d’entreprise, deviendrait le
moyen de relancer l’activité économique sans pour autant amener une réduction des dépenses
publiques.

Fig 4 : La courbe de Laffer

Le niveau de recettes fiscales OR peut être obtenu avec un taux de pression fiscale faible (t) ou
un taux de pression fiscale élevé (v). Le point E correspond au niveau maximum de recettes
fiscales.

37
C- L’Ecole de l’Economie Publique
La théorie néoclassique s’intéressait au consommateur et au producteur. L’Etat est ignoré
puisque seul le marché permet une meilleure allocation des ressources. Or l’Etat a un rôle de
plus en plus important. L’Etat est considéré comme le représentant de l’intérêt général. L’Ecole
de l’Economie
Publique est donc apparue pour combler ce vide. On distingue d’une part, ceux qui s’attaquent
principalement au problème délicat posé par la politique sociale, et d’autre part ceux qui
s’intéressent au problème de l’offre et la demande de biens collectifs (Ecole des Choix Publics).
Aujourd’hui les transferts sociaux, et plus généralement la redistribution ont atteint des seuils
importants. Les économistes de cette école ne cherchent pas à supprimer ces transferts, mais
plutôt à établir une méthode de choix qui optimiserait l’efficacité de ces transferts. Gordon
Tullock (Le marché politique, 1978) et James Buchanan (prix Nobel 1985) sont les dignes
représentants de cette école.

D- La Nouvelle Ecole Classique


Les leaders de cette école (R.E Lucas, T.J Sergent, N. Wallace, J. Muth) veulent trouver les
fondements microéconomiques de la macroéconomie. Leurs postulats de base sont d’une part,
la capacité des agents économiques à optimiser et à anticiper rationnellement, d’autre part
l’équilibre des marchés. La nouvelle école classique n’est pas un simple retour au néoclassique.
Il s’agit de construire ici des modèles macroéconomiques d’aide à la décision.

Chapitre 2 Le courant marxiste

Marx (1818 -1883) est né en Prusse, de famille aisée, cultivée et libérale (père avocat), il entre
à l’université de Bohn en Droit-Philosophie. Il fait une thèse sur Epicure. Faisant partie des
hégéliens de Gauche, le gouvernement le refuse en tant que professeur. Il sera successivement
expulsé de la
France (1845), de la Belgique (1848), puis d’Allemagne, il s’installera en Angleterre dans la
misère malgré l’aide de son ami Engels.

Section2 : Les apports de Marx


Le 19ème siècle voit le capitalisme industriel se développait rapidement et dominait peu à peu
toutes les structures économiques et sociales. Toutefois, dans le même temps, la condition
ouvrière se détériore, les salaires sont très bas, les conditions de travail précaires et la
dépendance économique accrue. Les excès de ce capitalisme font naître à la fois un mouvement
de contestation syndical (le socialisme) et une réflexion d’ensemble sur les rouages et l’avenir
du capitalisme (le marxisme). Marx étudie en effet la société capitaliste anglaise, première
nation industrielle afin d’en tirer certaines lois. Il s’agit avant tout d’une étude historique du
développement et de l’essor du capitalisme. Cette critique du capitalisme est contenue dans son
œuvre majeure 6 « Le capital » publié en quatre tomes.

A- La recherche de la plus value

38
Le courant marxiste s’oppose à la théorie libérale en démontrant que l’organisation capitaliste
de la société aboutit à l’exploitation de la plus grande partie de la population par les détenteurs
des moyens de production. La société se divise donc en deux grandes classes qui s’affrontent :
le prolétariat (qui détient la force de travail) et la bourgeoisie (qui détient le capital).
L’affrontement de ces classes s’effectue dans le cadre du processus de production. Marx
distingue deux sphères importantes : celle de l’échange de marchandises et du cycle MAM
(marchandises, argent, marchandises) ; celle de la production et du cycle AMA ‘ (capital
avancé, marchandise, produit obtenu). A = C + V C : utilisation des machines et des matières
premières, ce capital constant ne procure aucun surplus capitaliste ; V : sert à avancer les salaires
de la main d’œuvre, il est la seule source de valeur créée et directement proportionnel au temps
de travail.
Marx part du principe que la Force de travail (seule source de valeur) n'est pas payée par le
capitaliste au prorata de la valeur qu'elle a permis de créer, mais marchandise comme les autres,
à sa valeur d'échange (qui suite à la théorie du minimum vital, correspond au temps de travail
exigé pour produire les biens nécessaires à sa reproduction). Le capitaliste récupère à son profit
la différence qui constitue la plus value (ou encore surtravail). Ce qui donne : A' = C + V + pl
pour que A < A'.

Les principaux travaux de Marx sont : la Lutte des Classes en France (1850) ; Le 18
Brumaire de L.N Bonaparte
(1852) ; La contribution à l’économie politique (1857) ; Salaires, prix et profits (1865) ; Le
capital I (1867) ; La guerre civile en France (1871) ; Critique du programme de Gotha (1875)
; Le Capital II et III (1895) ; Le Capital IV (1905).

B- La crise du capitalisme
Pour Karl Marx, la crise du capitalisme est inéluctable, et ceci pour plusieurs raisons :
- Les décisions des agents économiques ne sont pas coordonnées. D’une part, la production et
la consommation sont des opérations disjointes. Les biens sont produits pour être vendus en
échange
de monnaie, et non pour satisfaire la demande, ce qui entraîne des désajustements entre
production et consommation. D’autre part, l'investissement est réalisé par les entreprises
capitalistes dans les branches susceptibles de procurer des taux de profit élevés sans pour autant
qu'une demande effective soit assurée. Si l’économie est décomposée en deux sections
productives : l'une de biens de production (section I), l'autre de biens de consommation (section
II). L'absence de coordination de l'investissement empêche la réalisation permanente des
conditions d'équilibre d'une telle économie.
- L'économie capitaliste fait apparaître un problème de sous-consommation ouvrière.
L'entrepreneur individuel, en cherchant à maximiser ses profits, va faire pression sur les salaires
qui représentent un coût. Or ces salaires sont un élément de la demande effective (cette situation
devrait s'accentuer avec la croissance du salariat). Ceci caractérise une situation de
surproduction par rapport à la demande effective. Le marché va sanctionner cette surproduction
en entraînant une baisse des prix qui va elle même provoquer une baisse du taux de profit. Cette
baisse du taux de profit va inciter les capitalistes à investir dans d'autres activités. Le taux de

39
profit joue ainsi le rôle de régulateur des désajustements. La chute des prix et du taux de profit
provoque une baisse de la production, de l'emploi, et du pouvoir d'achat. C'est la dépression.
- Enfin, la recherche d’une plus-value toujours plus importante (notamment grâce à des salaires
bas, que Marx appelle, Minimum de Subsistance) et la concurrence entre capitalistes devraient
provoquer une paupérisation des ouvriers et un blocage dans le développement du système
capitaliste. Cette contradiction doit entraîner la destruction du capitalisme et l’avènement du
socialisme (l’un des fondements de l’idéologie socialiste repose sur l’abolition des moyens
privés de production, source d’exploitation du prolétariat, il faut lui substituer des moyens
collectifs de production).

Cette crise du capitalisme est un phénomène structurel. Il existe en effet une cause profonde (à
rechercher dans les contradictions du système capitaliste) et une cause immédiate (concurrence
permanente entre capitalistes, le développement économique, l'accumulation du capital en vient
à créer les conditions d'une surcapacité de production par rapport à la demande effective). Dans
le même temps, elle est cyclique et régulatrice. Marx considère que de la crise va naître la
reprise. La dépression entraîne une dévalorisation de la partie du capital productif qui n'est plus
en mesure de produire suffisamment de profit. Ce processus a trois conséquences : (i) la
concentration industrielle ; (ii) la réduction du taux de salaire permettant la hausse du surplus
pour les entreprises restantes ; (iii) la hausse du taux de profit (qui est le rapport entre la valeur
du surplus [qui augmente] et la valeur du capital engagée [qui diminue].

Section2 : La théorie de la Régulation, un prolongement de la pensée marxiste


La théorie de la régulation trouve son origine dans une critique sévère et radicale du programme
néoclassique qui postule le caractère autorégulateur du marché. Elle entend pour cela bénéficier
des apports de disciplines voisines telle que l’histoire, la sociologie, les sciences politiques et
sociales avec lesquelles elle entretient de multiples relations (emprunt et transformation de
notions, importations d’hypothèses, exploration de quelques questions identiques ou voisines).
Une hypothèse fondatrice de la théorie de la régulation concerne l’historicité fondamentale du
processus de développement des économies capitalistes : dans ce mode de production,
l’innovation organisationnelle, technologique, sociale, devient permanente et met en
mouvement un processus dans lequel les rapports socio-économiques connaissent une
transformation, tantôt lente et maîtrisée, tantôt brutale et échappant au contrôle et à l’analyse.
Le pari de la théorie de la régulation est donc d’historiciser les théories économiques. Enfin la
théorie de la régulation se donne pour ambition d’expliquer avec le même ensemble
d’hypothèses des problèmes tels que le chômage, le progrès technique, la construction
européenne... Ses chefs de file sont R. Boyer, M. Aglietta.....
Dans son ouvrage La théorie de la régulation : une analyse critique, Robert Boyer (1986)
précise que la généralisation de l'échange marchand rend les crises possibles. Il introduit une
notion intermédiaire, celle de régime d'accumulation, suggérant que de telles contradictions
peuvent être surmontées: « On désignera sous ce terme l'ensemble des régularités assurant une
progression générale et relativement cohérente de l'accumulation du capital, c'est à dire
permettant de résorber ou d'étaler dans le temps les distorsions et déséquilibres qui naissent
en permanence du processus lui-même » (1986, p. 46). En ce sens, les crises économiques
majeures sont des crises de mutation entre une régulation ancienne qui ne permet plus la

40
croissance économique et une nouvelle régulation qui permettra de résoudre les causes
profondes de la crise.
L'origine même de ces régularités apparaîtra au travers des formes institutionnelles, définies
comme la codification d'un ou plusieurs rapports sociaux fondamentaux. R. Boyer introduit
cinq formes institutionnelles (la monnaie, le rapport salarial, la concurrence, les modalités
d'adhésion au régime international, l'Etat) intervenant dans la détermination du régime
d'accumulation. Cet ensemble de concepts intermédiaires permet à Boyer de définir la notion
de régulation : « On qualifiera de mode de régulation tout ensemble de procédures et de
comportements, individuels et collectifs, qui a la triple propriété de : reproduire les rapports
sociaux fondamentaux à travers la conjonction de formes institutionnelles historiquement
déterminées, soutenir et piloter le régime d'accumulation en vigueur, assurer la compatibilité
dynamique d'un ensemble de décisions décentralisées » (1986, p. 54). Le mode de régulation
décrit ainsi comment les formes institutionnelles à travers leurs moyens d'actions, conjuguent
et contraignent les comportements individuels tout en déterminant les mécanismes d'ajustement
sur les marchés. Ces moyens d'action au nombre de trois, sont les suivants:

- La loi, la règle ou le règlement, définis au niveau collectif, ont pour vocation d'imposer, par
la coercition, directe ou symbolique et médiatisée, un certain type de comportement
économique aux groupes et individus concernés.
- La recherche d'un compromis, issu de négociations, insistant sur le fait que ce sont les agents
privés ou des groupes qui, partant de leurs intérêts propres, aboutissent à un certain nombre de
conventions régissant leurs engagements mutuels.
- L'existence d'un système de valeurs ou de représentations suffisant " pour que la routine
remplace la spontanéité et la diversité des pulsions et initiatives privés. De tels exemples se
retrouvent dans les croyances religieuses, dans les règles de bonne conduite, dans les vues sur
l'avenir selon Keynes...

Chapitre 3 Le libéralisme de KEYNES à nos jours.

Le krach boursier de 1929 a débouché sur une grande dépression et un chômage massif. Les
économistes de l'époque (dont Alfred Marshall, Irving Fisher ou Arthur Pigou), les
« classiques » tels que les dénomme Keynes, considèrent que le chômage est volontaire. Si les
individus sont sans emploi, c'est parce qu'ils refusent de travailler au niveau de salaire en
vigueur : ils jugent que ce dernier est trop bas. Pour Keynes, il est impossible de continuer à
soutenir une telle thèse avec un chômage massif en Grande-Bretagne et dans la plupart des pays
industrialisés.

41
Section 1 : Le projet de Keynes

Les principaux concepts novateurs introduits par Keynes :

• L’équilibre de sous-emploi (le chômage) pour un niveau donné de la demande ;


L’absence d'ajustement par les prix entre les demandes et les offres d'emploi,
empêchant la résorption du chômage ;
• Une théorie de la monnaie fondée sur la préférence pour la liquidité ;

• La notion d'efficacité marginale du capital comme explication de l'investissement,


faisant de l'investissement la "cause" déterminante de l'épargne ;
• la loi psychologique fondamentale selon laquelle la consommation augmente moins
vite que le revenu

De ces concepts, qui ont engendré la macroéconomie, on peut en déduire la possibilité de


politiques économiques interventionnistes de l'Etat afin d'éviter les récessions et de freiner les
emballements de l'économie. Pour les keynésiens, il existe une tendance permanente au sous-
emploi et seules les interventions de l'Etat permettent, dans certaines circonstances, de lutter
contre le chômage.

A- Prémisses : le rejet de l'analyse dichotomique

Cette ambition apparaît sans ambiguïté dès la publication en 1930 de son premier ouvrage
théorique majeur, le « Traité sur la monnaie ». Son objectif principal est alors de démontrer
que la « théorie quantitative de la monnaie » (TQM) n'est pas une bonne approche de la
détermination du niveau général des prix. Ce dernier est le rapport d'échange entre la quantité
de monnaie en circulation et l'ensemble des biens et services. Il ne doit pas être confondu avec
les prix relatifs, qui sont les rapports d'échange des biens et services entre eux.

La (TQM) affirme que les quantités produites et échangées dépendent uniquement des
techniques de production et des préférences des agents économiques. La monnaie n'a
d'influence que sur le niveau général des prix. La démonstration de ces assertions repose sur
une égalité comptable : dans une économie donnée, au cours d'un intervalle de temps donné, la
valeur des moyens de paiements activés est égale à la valeur des transactions effectuées
(MV = PT). La valeur des moyens de paiements activés est la quantité de monnaie disponible
(M) multipliée par la « vitesse de circulation de la monnaie » (V). Cette dernière correspond au
nombre de paiements que la monnaie disponible permet d'effectuer au cours de la période de
temps considérée. La valeur des transactions est égale au volume des transactions effectuées
(T) multiplié par le niveau général des prix (P). Les partisans de la théorie quantitative
considèrent que la vitesse de circulation de la monnaie est une constante naturelle indépendante
des ajustements économiques. Ils considèrent aussi que la quantité de monnaie est une variable
entièrement exogène. Ils affirment enfin que le volume des transactions est déterminé par la
confrontation de l'offre et de la demande des différents biens et services, en dehors de toute
influence monétaire. Tout cela implique que les variations de la quantité de monnaie ont une

42
influence mécanique sur le niveau général des prix, mais aucune influence sur les prix relatifs
et les quantités produites.

Keynes entame sa critique de cette approche dichotomique en insistant sur plusieurs de ses
faiblesses. Il indique tout d'abord qu'il n'y a aucune raison de considérer la vitesse de circulation
de la monnaie comme une constante indépendante. De fait, les épargnants font circuler leurs
dépôts plus ou moins rapidement en fonction des circonstances économiques, notamment en
fonction des taux d'intérêt et des prix d'actifs. Keynes montre aussi qu'il n'est pas satisfaisant de
considérer la monnaie comme un élément exogène perturbateur alors qu'elle est créée par
l'intermédiaire du crédit bancaire, pour répondre aux besoins de financement de l'économie.
Mais son objectif le plus important est de démontrer que les volumes de la production et de
l'emploi ne sont pas déterminés indépendamment des conditions monétaires. Cette ambition
sera pleinement réalisée dans son œuvre majeure de 1936, la Théorie générale de l'emploi, de
l'intérêt et de la monnaie.

B- Sous-emploi et demande effective

Dès le deuxième chapitre de la Théorie générale, Keynes affirme son refus de ce qu'il appelle
le « second postulat de l'économie classique ». Ce postulat résulte d'une application directe de
la théorie de l'utilité marginale (Stanley Jevons, Carl Menger) au comportement des salariés.
Ces derniers sont censés offrir leur travail jusqu'à ce que la désutilité marginale de celui-ci,
c'est-à-dire le sacrifice de loisir qu'il représente à la marge pour le travailleur, soit égale au
salaire réel. Ils sont donc en mesure, lorsqu'ils se présentent sur le marché du travail, d'exprimer
une offre de travail qui soit fonction croissante du salaire réel. Le salaire réel, qui est égal au
salaire nominal – celui qui est mentionné sur le contrat de travail et le bulletin de salaire – divisé
par le niveau général des prix, mesure le pouvoir d'achat du salaire.

Si l'on admet ce postulat, l'emploi et les salaires réels résultent d'une négociation entre les
entrepreneurs et les salariés, négociation où les deux parties sont sur un pied d'égalité. La
flexibilité du salaire réel permet alors à l'offre et à la demande de travail de s'égaliser, et les
salariés ne travaillant pas sont des chômeurs « volontaires » qui se sont retirés de la négociation
pour cause de salaire réel jugé insuffisant. Keynes affirme, au contraire, que les préférences des
salariés ne sont pas prises en compte : pour lui, le volume de l'emploi est choisi par les
entrepreneurs de manière unilatérale, en fonction de leur objectif de maximisation des profits.
Plus précisément, les entrepreneurs anticipent un certain niveau de recettes, et choisissent
ensuite un niveau d'emploi et de production tel que leurs coûts de production soient exactement
couverts par les recettes attendues. En choisissant le volume de l'emploi, les entrepreneurs
déterminent les revenus distribués et donc finalement les recettes qui leur parviendront grâce à
la consommation des salariés. Ces recettes constituent ce que Keynes appelle la « demande
effective ». Plus les recettes anticipées sont élevées et plus les entrepreneurs sont prêts à
embaucher un volume important de main-d'œuvre.

Au niveau macroéconomique, les ventes des entrepreneurs sont égales à la somme de deux
éléments : la consommation de biens et services et les achats de biens d'équipement nécessaires

43
à la production (investissement). La première dépend du revenu distribué et donc du volume de
l'emploi et des salaires. Les seconds résultent de la comparaison entre le taux d'intérêt, qui est
le coût de financement de l'investissement, et l'« efficacité marginale du capital », qui est son
taux de rendement anticipé. Les entrepreneurs ne décident d'investir que si le taux d'intérêt est
plus faible que l'« efficacité marginale du capital ».

Le principe de la demande effective peut finalement se résumer ainsi : ce sont la


consommation décidée par les salariés et l'investissement décidé par les entrepreneurs qui
déterminent le niveau de l'activité (emploi et production), et cette demande effective n'est
pas nécessairement suffisante pour assurer le plein-emploi des facteurs de production
(main-d'œuvre et capital). La loi de Say (« l'offre crée sa propre demande ») est donc
fausse ; le chômage provient en général d'une insuffisance de la demande.

C- Fondements d'une macroéconomie monétaire

Puisque l'investissement dépend très largement du taux d'intérêt, la sphère monétaire et


financière devient centrale dans l'analyse des déterminants de l'emploi et de la production. C'est
en cela que la Théorie générale fonde une macroéconomie monétaire en totale rupture avec la
dichotomie néo-classique. Alors que, chez les prédécesseurs de Keynes, le marché de la
monnaie ne servait qu'à déterminer le niveau général des prix, il va maintenant déterminer le
taux d'intérêt, donc l'investissement et par voie de conséquence la demande effective, la
production et l'emploi.

En fin de compte, alors que les classiques et les néo-classiques considèrent que le niveau de la
production et de l'emploi sont déterminés par des données techniques ou naturelles (la
démographie, les besoins naturels, les préférences des agents et les techniques de production),
Keynes affirme que l'essentiel se joue dans la sphère des croyances : croyances des
entrepreneurs concernant le niveau des débouchés futurs ; croyances des épargnants concernant
leurs besoins en liquidités.

Si l'offre ne crée pas sa propre demande, l'économie peut être durablement bloquée dans des
régimes de faible croissance ne permettant pas d'employer pleinement les facteurs de
production. Il s'agit donc prioritairement de concevoir des politiques susceptibles d'accroître la
demande globale.

Section 2 : Le keynésianisme de la synthèse

L'école de la synthèse regroupe deux grands courants. D'une part, les recherches qui, à partir de
la publication de l'article de John Hicks intitulé « Mr. Keynes and the Classics » (1937), ont
formalisé la Théorie générale dans des modèles de type IS/LM/DG/OG. D'autre part, les
travaux de « l'école du déséquilibre », encore appelée « théorie des équilibres à prix fixes » ou
« équilibres non walrassiens ».

A- Le modèle IS-LM

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Ce modèle permet de présenter dans un seul diagramme les relations entre le taux d’intérêt et
le niveau de production sous deux formes : une liaison traduisant l’équilibre offre demande de
biens et une relation traduisant l’équilibre offre et demande de monnaie.

1- Les fonctions macroéconomiques du modèle

La consommation est une fonction croissante du revenu : C = C(Y) 1 > dC/dY > 0 avec
Y pour le revenu national ou la production ; la propension marginale à consommer est comprise
entre 0 et 1 parce que plus de revenu permet de consommer davantage. Mais une partie du
revenu supplémentaire est épargnée donc dY > dC. L’investissement est une fonction
décroissante du taux d’intérêt r : I = I(r) dI/dr > 0. Les dépenses publiques G sont exogènes :
les pouvoirs publics décident du montant des dépenses et des recettes budgétaires.

La demande de monnaie est constituée de deux composantes : Une demande de monnaie pour
les transactions et le motif de précaution, LT(Y), fonction croissante du revenu Y ; et une
demande de monnaie de spéculation, LS(r), fonction décroissante du taux d’intérêt r :

L = L (Y,r) on écrit souvent L = LT(Y) + LS(r)

La liaison positive avec le revenu traduit le fait que pour échanger des produits (faire des
transactions) il faut de la monnaie. Quand le revenu augmente il faut plus de monnaie pour
financer les transactions. De la même manière les ménages conservent de la monnaie par
prudence (précaution) et cela d’autant plus qu’ils ont un revenu plus élevé. La liaison négative
avec le taux d’intérêt traduit un motif de spéculation.

On retient ici la présentation keynésienne du taux d’intérêt : il n’a pas pour fonction
l’arbitrage entre consommer et épargner (taux d’intérêt contre préférence pour le
présent) mais entre deux usages de l’épargne : conserver de la monnaie et faire des
placements. Le taux d’intérêt comparé à la préférence pour la liquidité détermine s’il est
plus intéressant de détenir de la monnaie ou des titres (dans l’esprit du modèle, les titres
sont des obligations).

L’offre de monnaie M* est exogène : les autorités monétaires décident de la quantité de


monnaie qui circulera dans l’économie.

- Le marché des biens, la courbe IS

L’équilibre sur le marché des biens est réalisé si la demande est égale à l’offre :

Y=C+I+G Y = C + S avec S = Y - C = I + G

La demande se décompose entre consommation, investissement et dépenses publiques. Y =


C(Y) + I(r) + G (1). Ce qui permet d’écrire une relation entre r et Y.

r = D(Y) + G

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Cette équation définit la courbe IS (pour Investement-Saving), qui est l’ensemble des couples
(Y,r) tel que le marché des biens est en équilibre.

Dans les hypothèses retenues pour les équations de consommation et d’investissement, la


fonction IS est décroissante.

En différenciant l’équation (1) on a : dY = dY.(δC/δY) + dr.(δI/δr). dY.[1-(δC/δY)] =


dr.(δI/δr) soit : dY/dr = (δI/δr) / [1-(δC/δY)] < 0 puisque (δI/δr) <0 et 0 < (δC/δY) < 1

La courbe IS est décroissante ce qui signifie que quand le taux d’intérêt augmente,
l’investissement diminue, réduisant la demande et le revenu (via le mécanisme du
multiplicateur keynésien).

- Le marché de la monnaie, la courbe LM

À l’équilibre du marché de la monnaie, l’offre de monnaie est égale à la demande de monnaie :


L(Y,r) = M* (2)

Cette expression peut être transformée de manière à faire apparaître une liaison entre Y et r :

r = f(Y,M*). Cette équation définit la courbe LM (Liquidity Money), qui est l’ensemble des
couples (Y,r) tels que le marché de la monnaie est en équilibre.

Compte tenu de la forme de L(Y,r) : dr/dY > 0. La courbe LM est croissante.

Le résultat est intuitif puisque lorsque le revenu augmente, à masse monétaire inchangée, la
demande de monnaie pour un motif de transaction augmente. Pour rétablir l’égalité entre offre
et demande, le taux d’intérêt augmente (la monnaie ne peut pas être utilisée à la fois pour les
transactions et pour constituer des liquidités de précaution ou de spéculation. Cette part doit
être réduite ce qui implique une hausse du taux d’intérêt.

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Deux cas particulier sont généralement envisagés :

• Celui où la demande de monnaie pour réaliser les échanges est tellement importante (du
fait de l’importance de Y) qu’elle absorbe toute la masse monétaire. En supposant que
L(Y,r) s’écrit L(Y,r) = LT(Y) + LS(r), ce cas signifie que LT(Y) = M*. Alors, LM est
verticale (augmenter le taux d’intérêt n’a pas d’effet sur la demande de monnaie).
• Celui de la trappe à liquidité. Cas où les anticipations sont telles que la demande de
monnaie est infinie, quel que soit le niveau du taux d’intérêt. Un taux d’intérêt plus bas
n’a pas d’influence sur la demande de monnaie. LM est horizontale.

2- Équilibre IS-LM et politique économique

La confrontation des deux courbes permet de déterminer le couple taux d’intérêt et revenu total
compatible avec les deux équilibres : celui des biens et celui de la monnaie.

On voit immédiatement que la position d’équilibre dépend de celle des courbes IS et LM ce


qui permet de mettre graphiquement en évidence les deux grandes formes de politiques
conjoncturelles : la politique budgétaire se traduisant par un déplacement de IS et la politique
monétaire correspondant à un déplacement de LM.

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En particulier le modèle montre qu’une politique budgétaire augmentant la demande de produits
voit ses effets réduits par l’élévation du taux d’intérêt qu’elle induit pour respecter l’équilibre
entre offre et demande de monnaie. C’est l’effet de retour financier : une demande plus
importante. Plus de produits demandés, c’est une plus grande demande de monnaie de
transaction et si l’offre de monnaie est constante cela implique une hausse du taux d’intérêt.
Cette dernière pénalise l’investissement et affaiblit l’effet multiplicateur : la production
augmente moins fortement qu’elle ne l’aurait fait en l(absence de "retour financier".
On en vient naturellement à l’idée d’une politique mixte, policy-mix, associant une politique
budgétaire et une politique monétaire (destinée à réduire la hausse du taux d’intérêt).

Il est possible de construire un modèle IS-LM en économie ouverte. Ce prolongement date du


début des années 1960 et est rattachée à l’économiste canadien Robert Mundell et à John
Marcus Fleming qui l’ont développé séparément.

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Bibliographie
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