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Publié le 05/12/2022

Les marchés financiers peuvent-ils


permettre de prévenir
un conflit armé ?
Guillaume HUMMEL
Table des matières
Introduction...................................................................................................................................................................... 2
A. Revue de littérature...................................................................................................................................... 3
A.1. La prédiction des guerres par les marchés financiers ................................................................................. 3
A.1.1. Définition des termes clés .................................................................................................................. 3
A.1.2. Enjeux majeurs du sujet ..................................................................................................................... 6
A.2. Revue de la guerre sur les marchés de l’or et du pétrole ............................................................................... 8
A.2.1. Les effets de la guerre sur le marché du pétrole ................................................................................. 8
A.2.2. Les effets de la guerre sur le marché de l’or ....................................................................................... 9
A.3. Revue de la guerre sur le marché des obligations......................................................................................... 11
A.3.1. Les effets de la guerre sur le marché des obligations ....................................................................... 11
B. Etude empirique .......................................................................................................................................... 13
C. Conclusion et perspectives .................................................................................................................... 16
D. Bibliographie et webographie ............................................................................................................. 17

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Introduction

L’étude de conflits sous le prisme de la finance, notamment sous la vision d’investisseurs,


peut laisser penser qu’une certaine immoralité s’installe. Or, nous ne ferons ici qu’une étude
de faits financiers, d’analyse de données, afin de répondre à une question. Cette étude ne
s’installe pas dans un objectif de conseils financiers en temps de guerre ; mais il s’agit là
uniquement d’ouvrir le questionnement financier ramené au sujet de la guerre. Nous prendrons
bien la voie d’une analyse objective pour tenter de répondre à cette question, et le propos ne
sera absolument pas ici de faire la promotion de quelconque entreprise conflictuelle qui soit.

Le rapport entre marchés financiers et guerres s’établit majoritairement a posteriori. De


nombreux travaux scientifiques font état de l’impact des guerres sur les marchés financiers,
mais peu d'études portent sur l’analyse des marchés financiers pour déceler de potentielles
futures guerres. En d’autres termes, les indicateurs des marchés financiers peuvent-ils nous
renseigner sur les guerres à venir ?

En effet, si nous nous mettons dans l’esprit d’un investisseur, le but est de créer du profit à
partir d’investissements ciblés. Ainsi, en se plaçant avant un évènement capable de bousculer
le marché, il sera plus apte à créer ce profit, et à limiter ses pertes. Cela s’initie uniquement si
un nombre suffisant de capitaux sont introduits ou redirigés dans les marchés en suivant une
potentielle stratégie et attente de la suite financière que prendront les nombreux actifs visés.

En suivant ce raisonnement, nous partons du postulat que les marchés financiers aideraient
à prédire les guerres, dans le cas où les acteurs de ce marché arrivent à, si ce n’est prévoir, se
méfier du moins d’un risque futur de conflit armé. Ainsi, l’investisseur pourrait prendre
plusieurs positions ; dans cette étude nous nous concentrerons sur l’action qu’il pourra mener
sur les obligations, sur l’or et sur le pétrole. Cependant, de nombreux éléments sont à prendre
en compte concernant le sujet de la prédiction, qu’elle concerne des évènements ou un cours
financier. Ces derniers seront revus dans une première partie où nous exposerons les différentes
limites qui sont notées aujourd’hui dans la littérature, éléments pouvant bloquer l’investisseur
à une bonne prédiction.

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Ainsi, nous pouvons nous demander si les marchés financiers peuvent permettre de prévenir
un conflit armé ?

Pour répondre à cette problématique, nous allons tout d’abord nous pencher sur les
termes du sujet, sur les travaux déjà effectués notamment sur les actifs que nous avons décidé
d’étudier. Enfin, nous ferons nos tests sur la guerre du Golfe, puis nous analyserons nos
résultats afin de valider ou non notre question initiale.

A. Revue de littérature
A.1. La prédiction de guerres par les marchés financiers

A.1.1. Définitions des termes clés

« Les guerres dues à l'information privée devraient être imprévues. » (Gartzke, 1999)

Il s’agit ici du point d’entrée en la matière, autrement dit, comment prévoir


l’imprévisible via les marchés financiers. Le dictionnaire pratique du droit humanitaire de
Médecins sans frontières définit la guerre comme « un phénomène de violence collective
organisée qui affecte les relations de pouvoir à l’intérieur des sociétés ». Elle peut opposer deux
ou plusieurs Etats, régions, communautés, … Ce dernier élément est également souligné par
von Clausewitz et al. (2022) dans l’ouvrage De la guerre. La notion d’information privée,
présente dans la citation d’introduction, sera examinée par la suite dans cette revue de
littérature, car elle constitue un enjeu majeur de notre réflexion. Elle signifie que l’information
n’est acquise que par une partie de la population, non représentative d’un ensemble de cette
dernière. Elle concerne les parties prenantes telles que les chefs d’État, les dirigeants de
factions, pour ne citer que ces exemples. Appliquée à cette étude, nous ne nous tournerons
uniquement vers les guerres impliquant deux États, ainsi que les alliés de ces derniers. De plus,
nous ne nous attarderons pas sur des situations propres à un seul pays, où des factions, remettant
le pouvoir en question, se lancent dans une guerre contre ce dernier, car l’impact financier ne
sera propre qu’à cet État. Ce que nous cherchons à étudier ici, ce sont comment les marchés

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financiers (mondialisés) peuvent-ils aider à prédire des guerres ? Cela induit donc qu’il faille
un minimum de deux États pour que cela ait un réel impact sur ces derniers.

Les marchés financiers quant à eux, représentent les actions et obligations des
entreprises, les obligations étatiques, les produits dérivés ; en somme, tout produit financier
pouvant être échangé sur les places de marchés mondiaux. Il est caractérisé comme « marché
sur lequel s’effectuent les négociations de valeurs à revenu fixe et variable, les émissions de
titres et, d’une manière générale, les opérations sur capitaux à long terme ». Aussi, l’Autorité
des Marchés Financiers rappelle qu’il s’agit d’un « lieu », plus virtuel aujourd’hui que
physique, où des vendeurs cèdent leurs actifs, et où des acheteurs se manifestent afin d’acquérir
ces titres, dans le but de générer un bénéfice dans le futur ou encore, d’acquérir une entreprise
cotée. Spitz (2010), dans son ouvrage La réparation des préjudices boursiers, nous éclaire sur
cette théorie : « Les marchés boursiers peuvent être considérés comme efficients dès lors que
les cours de Bourse reflètent, instantanément, toute l’information disponible ». Cette théorie
énonce également qu’un marché est efficient seulement si les conditions suivantes sont
admises : la rationalité de l’investisseur, qui se traduit par la volonté d’acheter lorsque les
informations sont bonnes, et de vendre lorsqu’elles sont mauvaises ; la libre circulation de
l’information ; la gratuité de l’information ; l’absence de coûts de transaction et d’impôt ; et
enfin l’atomicité des investisseurs, voulant qu’un investisseur ne mettrait pas en vente ses
positions si elles pouvaient faire chuter le cours de l’action visée. Il existe trois niveaux
d’efficience :
● La forme faible, déclarant que le prix actuel tient compte seulement de l’information
passée, et donc qu’aucune prévision ne peut être faite.
● La forme semi-forte, déclarant que les informations d’une entreprise sont publiques
(compte de résultat, bilan, …) et gratuites.
● La forme forte, déclarant que toutes les informations sont intégrées dans le prix, y
compris les informations privées.

Guyvarc’h, et al. (2019) en se penchant sur cette théorie, ont admis que dans leurs
résultats d’expériences théoriques, la forme forte était quasi-systématiquement remise en
cause, et qu’aux vues des anomalies de marché qui existent, les formes faibles et semi-fortes

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sont les plus admises dans la théorie financière classique. Ainsi, nous constatons que le lien
entre information et marché financier est plus que joint. Ce sont des éléments que nous voyons
régulièrement. Par exemple : lorsqu’une entreprise publie de bons résultats, son cours
augmente car, les investisseurs souhaitent acquérir une part de cette entreprise ; à l’inverse,
lorsqu’une situation présente est complexe pour une entreprise, son cours baisse
continuellement (comme pour Air France lorsque le premier confinement était mis en place et
que son cours a chuté de 50% en deux mois). L’information est ainsi extrêmement importante
pour les marchés financiers.

Concernant la prédiction d’évènements, il convient aussi d’admettre que c’est un enjeu


important de notre étude. Clauset (2018), dans son étude Trends and fluctuations in the severity
of interstate wars, part du postulat que plus de 70 ans nous séparent de la dernière guerre
mondiale. Il y’a eu certes, de nombreuses guerres inter-états entre temps, mais aucune n’a eu
le qualificatif de « mondiale ». En allant dans le même sens que ce que nous avons lu sur la
prédiction financière, il approuve que « l’identification des tendances de guerre soit
intrinsèquement statistique ». Ainsi, au même titre que la prédiction financière est basée sur
l’étude statistique, la prédiction des guerres l’est aussi. Dans le cadre de ses travaux
académiques, il sélectionne comme éléments le nombre de morts (qui définit le niveau
d’importance de la guerre), et les délais entre les débuts des guerres interétatiques, pour
dessiner une « normalité » statistique des guerres. Pour ainsi dire, il a normalisé le travail
mathématique, statistique, de recherche sur la durée des guerres, et son importance. Bien
évidemment, ses résultats restent théoriques, mais fondent un aspect important du sujet, à
savoir qu’au même titre que la prédiction purement boursière, la prédiction d’évènements
pourrait également se quantifier sous le prisme des mathématiques.

A.1.2. Enjeux majeurs du sujet

La majorité des auteurs sur les conflits se tourne sur une explication de ces derniers,
plutôt que sur leur prédiction. Chadefaux (2017), dans son étude Conflict forecasting and its
limits, se pose alors la question de savoir si nous pouvons, avec les données que nous avons,
prévoir les conflits armés. Il s’intéresse dès lors aux recherches menées par ses collègues, et
conclut que « Les chercheurs commencent par une théorie sur la relation entre deux variables

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telles que les dépenses militaires, la structure des échanges commerciaux ou les alliances, puis
recherchent des associations empiriques entre elles comme preuve d’un mécanisme de
causalité. ». Ces travaux de recherches, bien que présentant des modèles statistiques avec un
fort pouvoir explicatif, sont dépourvus de pouvoir prédictif. Toute la complexité de la
prédiction d’évènements conflictuels entre les États repose sur une difficulté de taille : la
prédiction politique est considérée par de nombreux auteurs comme impossible à réaliser. Nous
faisons donc face à des outils, ne concernant que la prédiction de guerre, qui sont explicatifs,
ou statistiques, mais sans forcément de lien de causalité, car les situations sont relativement
différentes, dues à la nature même de la politique. « Une autre raison pour laquelle les théories
peuvent expliquer sans prédire est l'idiosyncrasie ». En effet, l’idiosyncrasie est le fait, pour
une personne, de ressentir différemment les choses des autres personnes ; c’est ce qui définit
médicalement la singularité des humains. Et cela constitue un autre aspect à prendre en compte
en plus quand nous parlons de prédiction de guerres.

Selon Fearon (1992), nous pouvons expliquer, si nous nous référons aux théories
rationalistes de la guerre, ce qui pousse les parties à entrer en guerre plutôt que de parvenir à
un accord. Ce choix est dû à « l’information privée et les problèmes d’engagement ». Ceci
s’ajoute au problème soulevé par Chadefaux (2017) qui argue l’impossibilité de prévoir une
guerre, car l’information privée est, comme son nom l’indique, privée entre les parties. Ce qui
nous posera un défi dans cette étude, est que, selon la théorie de l’efficience des marchés
financiers, l’information dispose d’un rôle fondamental dans l’élaboration des prix sur un
marché financier comme vu précédemment dans la phase de définition.

Nous verrons par la suite l’impact que peut avoir la guerre sur les entreprises, mais en
prenant en compte ces éléments, nous pouvons dès lors nous demander comment est-ce qu’une
information privée, à l’origine d’une guerre, pourrait-se retrouver visible sur les marchés
financiers ex-ante à cet évènement ?

Arnold (2015) expose d’autres éléments dont les marchés financiers qui permettent,
par le rôle et l’implication de ce secteur dans notre société, d’être utilisés comme une mesure
probabiliste ex ante d’une guerre. Les investisseurs permettraient en fait de signaler le coût

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d’une guerre via ces marchés, du moins dans ce qui est appelé par l’auteur « la théorie de la
paix capitaliste ». Cette dernière nous explique que dans un marché global, et donc ouvert à
tous, les économies développées ne devraient pas faire la guerre car elles commercent entre
elles. Cette définition se rapproche énormément de la théorie du Doux Commerce, impliquant
qu’une relation commerciale entre les pays induit une bonne entente politique entre ces
derniers, et qu’ils auraient intérêt à garder cette bonne entente, car une entrée en guerre
détruirait les richesses accumulées des deux États.

Cependant, Arnold (2015) insiste sur le fait que de nombreuses recherches démontrent
que les guerres sont, le plus souvent, des évènements non-prévus ou du moins sous-estimés par
les marchés financiers, ce qui amène à des réactions plus fortes que dans la moyenne des cas.
Il en déduit donc deux interprétations qu’il qualifie d’exagérées qui sont :
● En admettant l’efficience pure et parfaite des marchés financiers, cela signifierait qu’il
n’existe pas d’information privée lors du début de la guerre, car chacun est surpris par
cette nouvelle, et les valeurs boursières n’ont pas admis cette information.
● Ou alors, que les marchés font un mauvais travail de prévision et d’évaluation des
risques de conflit entre les États.

En l’état des choses, après ce développement sur les enjeux majeurs de l’étude, nous
pouvons donc retenir que la prévision de la guerre par les marchés financiers est plus théorique,
que réaliste. Bien que plusieurs personnes se tournent vers une analyse dite technique (l’étude
des graphiques financiers), il ne s’agit pas là d’un sujet ayant un rapport clair et direct avec
cette étude. Nous allons désormais sortir du giron global de nos enjeux pour nous orienter vers
les éléments plus proches des hypothèses, afin de voir si, oui ou non, d’une manière plus
sectorielle, des classes déterminées d’actifs obtiennent des résultats plus probants.

A.2. Revue de la guerre sur les marchés du pétrole et de l’or


A.2.1. Les effets de la guerre sur le marché du pétrole

Étant une ressource stratégique dans des enjeux de conflit, la guerre provoque
irrémédiablement des perturbations sur ces cours. Dans leur étude, Monge et al. (2017),
rappellent tout d’abord que le cours du pétrole, comme tout actif financier, suit une logique

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d’offre et de demande. Les grands chocs financiers touchant au pétrole sont principalement dus
aux évènements géopolitiques de ces dernières années, mais souvent localisés à des endroits
précis. Peu de chocs pétroliers sont dus à des évènements politiques mondiaux. C’est ce que
rappelle Hamilton (2003) en soutenant que les plus grands chocs pétroliers sont issus
d’évènements politiques au Moyen-Orient. Mais cela s’ajoute également, comme le rappellent
Monge et al. (2017) à une demande qui ne cesse d’augmenter. Car, lorsque le choc de 1973-
1974 est apparu, l’offre s’est réadaptée à un marché qui avait grandi. Donc, plus l’économie
mondiale croit, plus le prix du pétrole augmente. Mais cette théorie concerne uniquement les
temps de paix.

L’IER (Institute for Energy Research) explique ce qu’il se passe à propos du pétrole
durant les périodes de guerre dans un document datant de 2022. Le cas étudié par l’organisme
est celui de la guerre en Ukraine. Lors de l’invasion du 4 Février 2022, de l’Ukraine par la
Russie, les cours pétroliers ont progressé rapidement. Le cas présent est délicat car, la Russie
est également un producteur important de pétrole, comme le rappelait déjà l’IEA (International
Energy Agency) en 2021 dans son rapport Key World Energy Statistics, qui démontre que la
Russie est le deuxième producteur de pétrole brut dans le monde, avec 12,4% de l’utilisation
mondiale, et qui était le premier pays fournisseur d’hydrocarbure à l’Union Européenne. Ainsi,
un choc s’est créé entre la demande d’un côté, qui n’évolue pas ; et de l’autre, une offre qui
s’est amenuie, du fait de nombreux éléments non financiers, notamment les législations misent
en place pour limiter l’importation de pétrole dans les pays européens (régulation de l’UE No
833/2014 sur les mesures restrictives envers la Russie, 25 février 2022). Ici, ce qui est en jeu
est donc d’une part, les besoins de pétrole pour la guerre, mais également les sanctions
économiques mises en place, raréfiant la matière première, et donc, remontant le prix de cette
dernière sur les marchés.

En accompagnant ce qui a été vu précédemment, les travaux de Kollias et al. (2011)


admettent un impact fort des guerres sur les marchés pétroliers : « De tels évènements
prédisposent les investisseurs et les agents du marché à des effets plus profonds et durables
[…]. Le type d’incident affecte profondément la corrélation entre les rendements pétroliers et
boursiers par le biais de relation entre la demande et la consommation. ». Ainsi, ces chercheurs
insistent sur l’importance du rapport entre la demande et la consommation de pétrole dans les

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périodes de guerre. En admettant ainsi la relation entre les évènements de guerre et le marché
du pétrole, nous pouvons donc prendre ce fait pour la suite de notre étude, et nos recherches à
ce sujet.

A.2.2. Les effets de la guerre sur le marché de l’or

L’or est dit noble et incorruptible et a servi par le passé de monnaie, aux civilisations
pour montrer leur richesse, et a été, jusqu’à la fin des accords de Bretton Woods, ce sur quoi
reposait le dollar. Il s’agit également d’un actif dit « sécuritaire » que de nombreuses personnes
utilisent pour se prémunir des risques socio-politiques, comme le rappelle Baldridge (2021)
qui le définit « de valeur refuge ». De nombreuses formes sont utilisées pour investir dans cette
valeur, tel que l’achat d’or brut (comme l’achat de lingots d’or, de pièces d’or, dans des bijoux,
…), mais il existe également des sociétés minières d’or, ou encore des produits plus complexes
comme des ETF (Exchange Trading Fund) basés sur la valeur de l’or, ou encore sur les marchés
futures via des contrats à terme (achat aujourd’hui en vue d’une livraison future).

Cependant, quel est l’impact des guerres sur le marché de l’or ? Comme vu plus haut,
la guerre créée une situation d’incertitude sur les marchés. Gilroy (2015) appuie sur l’aspect
valeur de refuge que l’or joue sur les marchés : « Non seulement le prix des autres actifs sont
immédiatement affectés en cas de guerre ou même de menace de guerre, mais les guerres
signifient également une impression excessive de monnaie et une accélération des dépenses
publiques ». En soulignant l’importance des finances publiques, l’auteur rappelle que si la
monnaie perd de la valeur, l’or qui est une ressource « non-infinie » gagne de la valeur en
réponse. Ces dires sont basés notamment sur la réponse du marché de l’or par rapport à la
Première guerre du Golfe : « Les prix avaient alors grimpé en flèche ». En somme, l’auteur
retient que l’or est une valeur qui réagit à chaque évènement géopolitique à la hausse : plus
l’incertitude d’une guerre ou d’un conflit survient, plus le cours augmente. Sieron (2022) fait
le même constat. Son travail porte sur le marché de l’or au début de l’invasion de l’Ukraine par
la Russie. Il en conclut : « Le conflit militaire a été généralement positif pour le métal jaune
[…] avec une hausse d’environ 4,4% ». Également dans les raisons évoquées pour expliquer

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cette hausse, il y’a la présence de risques économiques à plus ou moins long terme, comme
pour l’inflation.

De plus, Radomski (2022) revient sur le marché des valeurs refuges en règle générale. Les
valeurs refuges prises incluent l’or, la valeur du franc suisse, du yen, et les obligations étatiques
américaines à dix et trente ans. Ce que nous remarquons est assez limpide : lorsqu’un risque
survient, la réponse est quasi-immédiate sur les marchés qui prennent position sur ces valeurs
refuges pour se prémunir du risque futur. Or, l’auteur nous explique un autre aspect : « Le sur
positionnement dans les actifs refuges conduit presque toujours à de fortes inversions une fois
que le sentiment change ». Cela signifie que nous avons déjà sûrement vécu un pic de peur, qui
fait qu’aujourd’hui, le recours aux valeurs refuges n’est plus automatique, car les capitaux
introduits dans ce marché sont encore présents depuis ce dernier pic, qui est récent, car il
explique par la suite : « Les investisseurs utilisent les valeurs refuges comme une cachette à
court terme ». Lorsque le marché investit massivement dans les valeurs refuges pour se
prémunir du risque, ils le quittent aussitôt que ce risque disparaît, c’est-à-dire un ou deux ans
après l’évènement. Dans le même sens, Triki et ben Maatoug (2021) ont étudié le rapport
entre les indices boursiers et l’or, dans les moments de turbulence géopolitique : « Les résultats
empiriques montrent une corrélation variant dans le temps entre le marché de l’or et des actions
pendant les périodes de turbulences […] nous trouvons un débordement négatif et significatif
du S&P 500 vers l’or, ce qui met en évidence l’influence importante que le marché boursier
exerce sur le marché de l’or. ». En d’autres termes, dans les situations géopolitiques
conflictuelles, lorsque les indices mondiaux baissent (ici le S&P 500), les capitaux se
retrouvent massivement sur le marché de l’or pour premièrement ne pas subir la chute de
l’indice boursier ; profiter du flux de capitaux entrants sur le marché de l’or ; et enfin, dans la
logique d’un investisseur, créer du profit avec cette situation.

Ainsi, le marché de l’or est, comme nous l’avons vu, sensible aux évènements
extérieurs, car c’est un actif qualifié de « valeur refuge » qui attirent la confiance des
investisseurs lors des périodes de conflit.

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A.3. Revue de la guerre sur le marché des obligations étatiques

A.3.1. Les effets de la guerre sur le marché des obligations étatiques

« Le prix d’une obligation est la valeur actualisée des flux de trésorerie futurs. »
(Arnold, 2015)

Un aspect des plus important et direct avec les guerres interétatiques, est bien la relation
entre les obligations de ces mêmes États, et leur implication dans les guerres. Une obligation
étatique représente une obligation classique, soit un endettement d’un acteur, qui peut être une
entreprise ou un État, qui en échange de financement, promet de rembourser la valeur totale,
ainsi que des intérêts. Keynes, économiste britannique, disait à ce propos : « Le taux d’intérêt
est la récompense pour la renonciation à la liquidité pendant une période déterminée ». Pichet
(2007) définit une obligation par les termes suivants : « Titre représentatif d’un emprunt
contracté par une personne morale pour un montant et une durée déterminée auprès d’une
personne qui l’a souscrit ». Comme les autres actifs des marchés financiers, les obligations sont
soumises à des « lois » notamment celle de l’offre et de la demande. En effet, une obligation
s’achète pour recevoir une rente, mais se revend également. Ainsi, nous voyons la création
d’un marché obligataire fonctionnant comme un marché action, ou un nombre d’agents
cherchent les opportunités, et la spéculation. Comme il est admis sur le marché des actions, le
marché des obligations est également perturbable par les évènements extérieurs : lorsqu’un État
entre en guerre, la valeur de ses obligations à deux, trois ou cinq ans baisse inéluctablement,
car le risque que le créancier fasse défaut grandit lui aussi.

En observant cela, nous pouvons alors nous demander comment réagit le marché des
obligations lors de l’annonce de début des guerres. Frey et Kucher (2001) ont rédigé un travail
visant à étudier des obligations Allemandes et Autrichiennes durant la Seconde Guerre
Mondiale. Ce qui en ressort est, notamment sur le plan de l’Allemagne, la chose suivante : au
fil des évènements qui précédaient la Seconde Guerre Mondiale, une tension était présente sur
les marchés. Dans une première partie, en 1936, lors des jeux olympiques de Berlin, les
investisseurs étaient convaincus que l’Allemagne était solvable, et que c’était un pays où il
fallait investir. Mais les cartes ont été complètement rebattues lorsque l’Allemagne, en mars

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1938, a envahi une partie du territoire de la République de Tchécoslovaquie. Cet évènement
est, selon de nombreux historiens, l’évènement marquant le début de la Seconde Guerre
Mondiale. Ce fait notoire s’est ressenti également sur les marchés. Ils ont été suffisamment
surpris pour faire baisser de -17% la valeur des bons allemands le jour de l’invasion, tout en
perdant espoir que « Le gouvernement allemand ait la capacité de payer les intérêts de ses
obligations ». À ce moment, deux modes de pensées se sont croisés sur les marchés obligataires
au sujet de l’Allemagne : une partie des agents pensait que le pays s’arrêterait là, auquel cas ils
pouvaient réinvestir dans les obligations ; et une autre partie n’imaginait pas possible que le
gouvernement d’Allemagne s’arrête là, et donc ont cessé totalement leurs investissements dans
les bons allemands. Finalement, le marché n’avait définitivement pas prévu la guerre, car le 1er
septembre 1939, jour du début de la guerre, la valeur des obligations perdait -39% en une
journée. Au fil de cette guerre, cette valeur continua sa descente, jusqu’à la fin, où en février
1945, le prix moyen des bons allemands chuta de -34%.

Le cas qui est développé au sujet de l’Autriche est similaire, avec néanmoins une chute
plus flagrante au tout début. Le 13 mars 1938, Hitler déclara l’Anschluss, c’est-à-dire le
raccordement de l’Autriche à l’Allemagne nazie. Cette décision ne fut pas soutenue par le
marché, qui fit baisser le prix des obligations autrichiennes de plus de 46% pendant le mois de
mars. En septembre 1939, la baisse fut de 46% en un mois seulement. Les bons autrichiens ne
remonteront qu’à partir de la conférence de Potsdam, qui scella le sort des pays vaincus à la fin
de la Seconde Guerre Mondiale. Ce que concluent Frey et Kucher (2001) est que la force des
milliers d’agents présents sur le marché à cette époque-là ont pu, non pas prédire le début de la
guerre, mais bien définir un possible issu aux évènements se présentant à eux, qui s’est avérée
être juste.

B. Etude empirique

Pour vérifier notre hypothèse initiale, nous allons nous pencher sur la guerre du Golfe. S’il
s’agit d’un conflit entre un pays, l’Irak, et une coalition ; il est cependant soutenu que les États-
Unis ont dirigé cette coalition, comme Helfont (2021) le soutient : « la guerre du Golfe a été
« l’une des campagnes les plus réussies de l’histoire militaire américaine ». Elle s’étend sur la

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période du 2 août 1990 au 28 février 1991. Prendre ce conflit permettra également de voir les
effets de la guerre sur les marchés américains.

Nous diviserons la temporalité en 3 périodes distinctes, à savoir :

- Une période de pré-guerre : qui prend acte 4 ans avant le début du conflit, et s’arrête au
moment du début de notre période test, à savoir 1 an avant le début du conflit. Elle nous
servira de période « neutre ».
- Une période test : qui s’étale sur une année précédant le début du conflit armé, et servira
de test pour admettre si oui ou non un changement significatif s’effectue en amont ou
si aucun changement ne s’effectue.
- Le jour J : où nous regarderons les évolutions journalières pour déceler si un
changement est significatif ou non, et si une prévision avait été faite par les investisseurs
ou s’ils ont été surpris.

L’étude de la temporalité de guerre, ainsi que la suite n’est pas forcément intéressante dans
notre cas où nous nous concentrons au maximum sur la période d’avant début du conflit armé,
à mettre en contraste avec le jour J du début de la guerre et à ses évolutions.

Pour les données chiffrées, nous prendrons :


- Les obligations étatiques 2 ans des USA pour lesquelles nous supposerons la chose
suivante :
o Durant la période de pré-guerre, le cours en tendance devra baisser plus
rapidement qu’en période dite neutre démontrant une préparation à une baisse
soudaine
- Le cours du pétrole brut pour lequel nous supposerons l’hypothèse suivante :
o Le cours en tendance doit être en légère augmentation par rapport à la période
dite neutre comme une préparation des capitaux à l’achat pour préparer la
hausse des coûts
- Le cours du futur sur l’or pour lequel nous supposerons l’hypothèse suivante :
o Le cours en tendance doit être en légère augmentation par rapport à la période
dite neutre comme une préparation des capitaux à l’achat pour préparer la
hausse des coûts

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De ces données, nous ferons deux calculs pour définir d’une part une droite de
« tendance », et l’espérance du cours pendant la période (qui n’est autre que la moyenne des
variations journalières). Pour la tendance, nous calculerons la pente de la droite de régression
linéaire. Enfin, l’espérance sera utile afin de déterminer la tendance de volatilité sur la période.

Voici ce que nous obtenons :

Période neutre Période de pré-guerre Jour du début du


conflit
Pente droite de Espérance Pente droite de Espérance Variation journalière
régression régression
linéaire linéaire
Obligations +3,80% -0,0129% +7,22% -0,0059% -0,66%
étatiques
Américaines
Pétrole Brut +4,76% +0,0022% -9,46% +0,09% + 9,82%
Or +4,29% +0,0194% -1,35% -0,006% + 2,16%

Analyse des résultats :

Les résultats ne sont pas concluants. Si nous les reprenons hypothèse par hypothèse,
nous obtenons les analyses suivantes.

Concernant les obligations étatiques, leurs valeurs en temps « neutre » est globalement
haussier et suit une augmentation de 3,80% par an, avec néanmoins une espérance négative,
signifiant qu’en moyenne les baisses du cours ont été plus forte durant les 3 années précédant
la période de pré-guerre. Or, durant cette dernière, les résultats sont assez différents de ceux
espérés : nous nous attendions à un début de baisse de la valeur des obligations étatiques dans
l’optique d’une préparation à une chute le jour du début du conflit. L’inverse se produira
pendant une année entière : notre pente de régression linéaire double à la hausse par rapport à

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notre période test, et l’espérance, bien que négative, est réduite de moitié par rapport à la
période neutre.

Concernant le pétrole brut, nous nous attendions à ce que le cours soit en hausse, donc
que la demande augmente en période de pré-guerre. Nous remarquons que le cours, pour notre
période neutre, est en légère hausse en tendance +4,76%, et a une espérance de +0,0022%. Or,
pendant notre période de pré-guerre, le cours de la tendance se met à chuter complètement de
-9,46%, contre pourtant une espérance qui augmente fortement +0,09%. Ainsi, bien loin de ce
que nous pouvions imaginer, le cours s’aligne dans une tendance contraire à ce que nous
utilisions comme hypothèse. La variation du jour du début du conflit confirme alors que le
marché a été surpris, et n’avait donc pas réellement prévu le conflit en amont.

Enfin, concernant l’or, nous nous attendions également que le cours soit en hausse, en
prévision d’une hausse après le début de la guerre. Le cours va, pendant la période neutre, être
en légère hausse de +4,29% avec une espérance de +0,02% pratiquement. Et, pendant la
période de pré-guerre, moment où le cours est censé alors augmenter, il va au contraire baisser
avec un cours en tendance de -1,35% et une espérance qui baisse également à 0,006%. Au
même titre que pour le pétrole brut, le cours de l’or a été en hausse le jour du début du conflit.

Une explication pour les résultats obtenus provient d’Arnold. Il revient sur l’analyse
des cours des obligations étatiques dans la prévision des conflits, en appuyant notamment le
fait que « Le prix des obligations souveraines peuvent être utilisés pour estimer le
déclenchement ou l’issue de la guerre en fonction des informations publiques disponibles à ce
moment-là ». Nous pouvons cependant prendre cet élément pour l’appliquer à chaque actif visé
ici : le cours de l’actif est difficilement exploitable pour le début du conflit, mais l’est pour
déterminer le début, et le probable issu. Il étaye ses propos en prenant pour exemple la guerre
de Sécession, où, lors de l’attaque de Fort Sumter, les marchés se sont affolés. Cette volatilité
inhabituelle explique là une non-anticipation de la part des investisseurs de cet évènement. Une
raison explique cela : l’information privée qui manquait alors aux investisseurs. Le schéma est
similaire pour la première guerre mondiale, pour la seconde, où les investisseurs se retrouvent
surpris le jour du début de la guerre, notamment sur « les marchés nordiques et suisses qui ont
eu des réactions importantes au début de la Deuxième guerre mondiale ».

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C. Conclusion et perspectives

Ainsi, à la réponse que nous pouvons apporter à la problématique : les marchés financiers
peuvent permettre de prévenir un conflit armé ? Notre réponse est non. Nous avons effectué
une recherche sur la guerre du Golfe, et avec 3 actifs : l’or, le pétrole, et les obligations USA à
2 ans. Or, nos différentes hypothèses se sont avérées ne pas aller dans le bon sens de nos
expectatives. Cela s’explique notamment par le fait que l’information privée n’arrive pas
jusqu’aux agents de marché qui ne peuvent pas finalement prévoir un évènement tel qu’une
guerre. Et cela se remarque notamment le jour du début du conflit où les cours ont une réaction
forte, ce qui démontre bien la surprise des marchés.

Cependant, ce résultat nous ouvre plusieurs autres perspectives. En effet, si nous n’avons
pris ici uniquement le cas de la guerre du Golfe, nous aurions pu en prendre plusieurs autres
afin de déterminer si les résultats sont similaires ou non ; mais nous aurions pu également
prendre d’autres données, nous baser sur d’autres actifs, un secteur particulier, … Un élément
qui n’a pas été pris en compte ici et qui compte cependant énormément, est également ce qui
touche à une partie plus national de l’économie, comme la réserve d’or du pays qui peut
augmenter afin que l’Etat se prépare à un contrecoup économique ; les investissements dans
l’armée ; …

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D. Bibliographie et webographie

- Arnold, J.B. (2015). Did financial markets anticipate the onset of the American civil
war ?
- Clausewitz, C. V., de Vatry, B. M., & Belli, M. C. (2022). De la guerre : Volume 1 -
Edition originale. Éditions de Minuit.
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https://www.amf-france.org/fr/espace-epargnants/comprendre-les-marches-
financiers/quest-ce-quun-marche-financier
- Spitz, N. (2010). La réparation des préjudices boursiers. Éditions Revue Banque.
- Clauset, A. (2018). Trends and fluctuations in the severity of interstate wars. Science
Advances, 4(2). https://doi.org/10.1126/sciadv.aao3580
- Guyvarc’h, A., Thauvron, A., & Burlaud, A. (2019). DSCG 2 – Finance : Manuel et
applications. Éditions Foucher.
- Chadefaux, T. (2017). Conflict Forecasting and Its Limits. SSRN Electronic Journal.
https://doi.org/10.2139/ssrn.2920514
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- Helfont, S. (2021). Comment la guerre du Golfe (1991) a façonné le nouveau monde.
Conflits, revue de géopolitique.

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