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Sommaire

Liste des auteurs ........................................................................................... ..... III


Abréviations ................................................................................................. VII
Préface du Dr Hugo Kupferschmidt, M.D. ................................................. XI

Prise en charge initiale, accueil aux urgences


Marc Weber, Carole Paquier ................................................................... 1
Décontamination et épuration digestive, rénale et extrarénale
Vincent Danel, Christine Tournoud ........................................................ 14
Antidotes
Vincent Danel, Christine Tournoud ........................................................ 20
Analyse toxicologique en urgence
Jean-Pierre Goullé, Élodie Saussereau, Christian Lacroix ...................... 32
Aspects médico-légaux
Régis Bédry, Sophie Gromb .................................................................... 38
Benzodiazépines et apparentés
Vincent Danel ........................................................................................... 44
Carbamates (méprobamate)
Vincent Danel ........................................................................................... 49
Lithium
Vincent Danel ........................................................................................... 51
Antidépresseurs
Bruno Mégarbane .................................................................................... 55
Antipsychotiques
Philippe Hantson ...................................................................................... 76
Antiépi leptiques
Philippe Hantson ...................................................................................... 79
Antihistaminiques H1
Philippe Saviuc ........................................................................................ 84
Antalgiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens
Christine Tournoud ................................................................................... 87
Digital igues
Roland Ducluzeau, Aurélia Marfisi-Dubost ............................................ 95
Bêta-bloquants
Bruno Mégarbane, Frédéric Baud ........................................................... 102
Inhibiteurs calciques
Bruno Mégarbane, Frédéric Baud ........................................................... 111
Antiaryth miques
Bruno Mégarbane, Frédéric Baud ........................................................... 119
Urgences toxicologiques de l'adulte

Théophyl line
Bruno Mégarbane, Frédéric Baud ........................................................... 128
Colchicine
Bruno Mégarbane, Frédéric Baud ........................................................... 131
Chloroquine
Bruno Mégarbane, Frédéric Baud ........................................................... 138
Hypoglycémiants
Nathalie Fouilhé Sam-Laï ........................................................................ 144
Drogues et stupéfiants
Patrick Nisse ............................................................................................ 148
Produits corrosifs: brûlures chimiques par ingestion, inhalation, projection
cutanée ou oculaire
Pierre Chanseau, Magali Labadie ............................................................ 161
Monoxyde de carbone
Nathalie Fouilhé Sam-Lai; Philippe Saviuc ............................................. 172
Inhalations toxiques, gaz et vapeurs
Philippe Lheureux, Michel Amull-Itegwa ................................................ 179
Méthémoglobinémies
Vincent Danel ........................................................................................... 198
Métaux
Philippe Hantson ...................................................................................... 203
Produits phytosanitaires
Patrick Harry ............................................................................................ 209
Alcools et glycols
Éric Sardier, Stéphane Bergzoll, Jean-Marc Philippe .............................. 222
Paraquat
Bruno Mégarbane .................................................................................... 233
Solvants et hydrocarbures
Vincent Danel ........................................................................................... 241.
Plantes
Françoise Flesch ...................................................................................... 249
Champignons supérieurs
Philippe Saviuc ........................................................................................ 257
Animaux toxiques
Luc De Haro ............................................................................................ 267
Toxiques chimiques de guerre. Risques accidentels et menace terroriste
Frédéric Dorandeu ................................................................................... 282

Index ............................................................................................................. 295


Table des matières ........................................................................................ 299
Prise En Charge Initiale, Accueil Aux Urgences

Marc Weber

Carole Paquier

Principes de l'examen clinique

Il succède au recueil des données anamnestiques et à l'analyse initiale des


signes fonctionnels du patient, même en cas de somnolence (douleur, dyspnée,
symptômes neurosensoriels, anxiété).

Il est systématique et complet :

• odeur de l'haleine, bruits respiratoires, inspection cutanéomuqueuse et de la


ventilation (thorax, abdomen) ;

• examen par systèmes et appareils, en détaillant celui correspondant au motif


de recours principal ;

- recherche et regroupement de symptômes, en fonction de l'anamnèse et de


la clinique :

 un toxidrome est-il mis en évidence ( Tab. 1 ) ?


 il s'agit d'un ensemble de signes et symptômes orientant vers une classe
particulière de toxiques ; - cette approche est performante sur le plan
étiologique mais elle ne concerne que certains types de toxiques et n'est
pertinente qu'en cas de mono-intoxication ; elle guide le traitement
symptomatique, parfois le traitement antidotique ;

• le tableau clinique est-il concordant avec le(s) toxique(s) suspecté(s) ?

Il recherche une co-pathologie, un diagnostic différentiel, des complications


immédiates.

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Principaux symptômes et signes d'origine toxique

Anxiété, agitation

La première cause d'agitation est l'intoxication éthylique aiguë, notamment en


association à du cannabis et/ou des benzodiazépines et/ou un médicament
anticholinergique comme le trihexyphénidyle par exemple (Artane®).

Anxiété et agitation peuvent être liées à une hypoxie tissulaire (hypoxémie, état
de choc, toxique cellulaire) ou aux propriétés adrénergiques, sérotoninergiques,
anticholinergiques et/ou psychodysleptiques du toxique.

Toxidrome Principaux produits en cause Signes cliniques et


paracliniques

Adrénergique Théophylline, β2-mimétiques, Tremblements, agitation,


éphédrine et mydriase, convulsions,
pseudo-éphédrine, palpitations,
phénylpropanolamine, tachycardie, hypo ou
caféine, amphétamines, hypertension artérielle,
cocaïne, LSD troubles du rythme,
hyperglycémie,
hypokaliémie,
hyperleucocytose

Antabuse Disulfirame, coprin noir Sensation de malaise,


d'encre, céphalosporines, sueurs, céphalées,
griséofulvine, isoniazide, douleurs thoraciques
chlorpropamide, et/ou abdominales, flush
procarbazine, hydrate de du visage, nausées,
chloral, trichloroéthylène, vomissements,
diméthylformamide (solvants), tachycardie, collapsus
dithiocarbamates tensionnel Ont été
(fongicides) décrits : syndromes
coronariens aigus, coma
convulsif, hypoglycémie

Anticholinergiqu Antidépresseurs tri et Confusion,


e tétracycliques, ISRS et IMAO, hallucinations, délire,
phénothiazines, dysarthrie, mydriase,
butyrophénones, tremblements, agitation,
antihistaminiques, coma, convulsions,
antiparkinsoniens, atropine, sécheresse muqueuse,
carbamazépine, végétaux rétention d'urines,
(belladone, datura, certains constipation,
champignons) tachycardie,
hyperthermie

Opioïde Morphiniques naturels et de Myosis, bradypnée,


synthèse, clonidine bradycardie,
hypotension artérielle,
troubles de conscience

Sérotoninergique Survient le plus souvent en cas Agitation, confusion,


(est le plus d'association d'un ISRS avec tremblements, mydriase,
souvent un effet un autre inhibiteur de la myoclonies,
secondaire recapture de la sérotonine ou hallucinations, syndrome
médicamenteux avec une substance pyramidal, coma,
) augmentant le taux de convulsions,
sérotonine au niveau de la tachycardie, hypo ou
fente synaptique : IMAO, hypertension artérielle,
tricyclique, lithium, triptan, tachypnée, arrêt
ecstasy, amphétamine, LSD respiratoire, sueurs,
hyperthermie, diarrhées,
rhabdomyolyse

Stabilisant de Antidépresseurs Hypotension artérielle,


membrane polycycliques, bradycardie, troubles de
phénothiazines, chloroquine, conduction et du rythme
quinidine, bêta-bloquants, ventriculaire, convulsions
antiarythmiques de classe I,
cocaïne,
dextropropoxyphène,
carbamazépine, buflomédil

Troubles neurosensoriels et ébrieux

Ils peuvent être observés dans les intoxications par mono-alcools, glycols,
hydrocarbures, solvants, isoniazide, hydrazine, AINS, digitaliques,
antiarythmiques de classe I et antipaludéens ainsi que dans les situations de
précoma ou d'hypoxie tissulaire.

Hallucinations

Les hallucinogènes sont l'alcool, les substances à effet anticholinergique,


certains champignons, la plupart des « drogues de rue » et, très accessoirement,
le camphre ou certains poissons (saupe en Méditerranée).

Signes associés au coma et aux troubles de la conscience

Le coma toxique est le plus souvent calme, hypotonique, sans signes de


localisation ; c'est le cas avec les benzodiazépines, les barbituriques, le
méprobamate, les phénothiazines aliphatiques et pipéridinées, le méthanol et
l'éthylène glycol.

On peut observer d'autres signes associés au coma :

- agitation : alcools, adrénergiques, antidépresseurs tricycliques,


anticholinergiques, antihistaminiques, monoxyde de carbone, hypoglycémie ;

- syndrome pyramidal : antidépresseurs, monoxyde de carbone, méprobamate


parfois, syndrome narcotinien (psilocybes), hypoglycémiants, AVC d'origine
toxique (amphétaminiques, cocaïne) ;

- syndrome extrapyramidal : phénothiazines pipérazinées, butyrophénones,


disulfiram et, pour mémoire, l'intoxication manganique chronique ;

- signes de focalisation : méthanol, hypoglycémiants (un examen


tomodensitométrique cérébral ou une IRM sont indispensables) ;

- convulsions et myoclonies : chloralose, crimidine, pyréthrinoïdes, lithium,


antidépresseurs, théophylline.

Atteintes du système nerveux autonome

Un myosis s'observe avec les opiacés, les anticholinestérasiques, la plupart des


phénothiazines et les substances cholinergiques (clitocybes).
Une mydriase s'observe avec les substances adrénergiques et/ou
anticholinergiques, le méthanol, certains champignons (amanite tue-mouche,
amanite panthère).

Le diamètre pupillaire est variable dans l'intoxication éthylique aiguë.

Céphalées

Évoquer le monoxyde de carbone, les cyanures, une substance volatile


(solvant, méthémoglobinisant), un syndrome gyromitrien, un effet antabuse, une
fièvre des fondeurs.

Douleur thoracique

Outre l'ingestion d'un produit corrosif, évoquer une prise de cocaïne,


d'amphétamines, de triptan, un syndrome antabuse, une fièvre des fondeurs,
l'inhalation de substances volatiles.

Douleur abdominale

Elle est constante lors de l'ingestion de produits corrosifs.

Elle se rencontre également lors de l'ingestion de corrosifs moins puissants, de


fer, de plomb et d'arsenic, de la plupart des végétaux non comestibles, dans la
fièvre des fondeurs, lors de l'inhalation de substances volatiles, lors de l'ingestion
de la plupart des insecticides et rodenticides et dans le syndrome antabuse
(associée à des céphalées et/ou à une douleur thoracique).

Parmi les médicaments, évoquer l'aspirine, les corticoïdes, les AINS, la colchicine
(lésions gastriques), les digitaliques (ischémie mésentérique).

Vomissements

Ils sont fréquents et souvent bénins (effet mécanique des médicaments en


grande quantité).

Ils sont parfois liés à une gastrotoxicité (aspirine, AINS, colchicine, digitaliques,
champignons et végétaux en général, venins de vipère, métaux et métalloïdes,
produits irritants), à une hépatite toxique, à une anoxie (monoxyde de carbone,
cyanure) ou à un effet émétisant central (morphiniques, codéine).

Ils peuvent être hémorragiques par ulcération ou abrasions muqueuses diffuses


(caustiques, aspirine, AINS, corticoïdes, colchicine) ou par hypocoagulabilité
(insuffisance hépatique, AVK, envenimations) ou thrombopénie (colchicine).

Pour le paraquat, effet corrosif et présence d'un additif émétisant.

Diarrhées

Elles sont assez rarement d'origine toxique (champignons, végétaux, colchicine,


solvants, métaux, arsenic, phosphore, produits osmotiques, paraquat, hormones
thyroïdiennes, venins de vipère).

Elles peuvent être érosives (trichloréthylène) ou hémorragiques (colchicine, fer,


phosphore blanc, certains champignons tel Chlorophyllum molybdites).

Hyperthermie et hypothermie

L'hyperthermie est le plus souvent d'origine infectieuse secondaire


(pneumopathie).

Une hyperthermie franche peut évoquer une intoxication par aspirine, cocaïne,
amphétamines.

La fièvre des fondeurs (ou des métaux, des soudeurs) est traitée dans le chapitre
« Produits corrosifs : inhalations ».

De façon anecdotique, les gyromitres, certains venins de vipères et certaines


toxines pyrogènes transmises par la morsure d'araignée (mygale) peuvent
donner une hyperthermie.

L'hypothermie est un signe de découverte tardive d'une intoxication par alcool


éthylique ou psychotropes ; elle est habituellement associée à un état de
coma.

Dyspnée

En dehors de complications (pneumopathie d'inhalation, embolie pulmonaire),


elle peut être secondaire à :

- une insuffisance circulatoire ;

- une hypoxémie d'origine périphérique, le patient étant « indifférent » à son


hypoxémie en cas d'origine centrale ;

- une anoxie tissulaire par blocage de la respiration cellulaire ;

- une fièvre ou une hyperthermie ;

- une acidose.

Odeur de l'haleine

Elle est typique mais parfois absente ou trompeuse dans l'intoxication éthylique
aiguë.

Elle est également caractéristique pour les autres alcools, les glycols, les
cyanures (amande amère), les solvants et l'acétone, certains
organophosphorés.

Atteintes cutanéomuqueuses

Les plus classiques sont les lésions par compression prolongée lors d'un coma
(érythème, phlyctènes) ; les brûlures par produits corrosifs sont rares.

On recherche une pâleur, une cyanose, un ictère, des marbrures, un purpura,


une cyanose gris-ardoisée (méthémoglobinémies).

Coloration des urines et du sang


Une teinte brun-noir des urines se voit en présence d'hémoglobine (hémolyse
intravasculaire) ou de myoglobine (rhabdomyolyse). Certains produits
chimiques ou médicamenteux peuvent entraîner une coloration des urines mais
ce signe est trop peu spécifique pour être réellement utile. La coloration
brunchocolat du sang est évocatrice de méthémoglobinémie. Le bleu de
méthylène utilisé pour le traitement colore les urines en bleu.

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Examens paracliniques

Biologie

Les examens biologiques de routine peuvent mettre en évidence une urgence


vitale (insuffisance rénale aiguë, acidose métabolique, hyper ou hypokaliémie),
permettre d'évoquer un diagnostic toxicologique (toxidrome), aider à
l'évaluation du pronostic d'une intoxication.

Ionogramme et gaz du sang

- L'acidose métabolique à trou anionique élevé et lactates normaux fait


évoquer une intoxication par alcools (méthanol) ou glycols (éthylène-glycol),
plus rarement par salicylés.

- La mesure de l'osmolarité permet le calcul du trou osmolaire ; celui-ci fait


évoquer la présence d'une substance étrangère osmotiquement active :
méthanol, éthylène glycol, éthanol.

- Hyperkaliémie : digitaliques.

- Hypokaliémie : théophylline, chloroquine, amphétamines,


sympathomimétiques, insuline, sulfamides hypoglycémiants.

- Hypoglycémie : insuline, sulfamides hypoglycémiants.

- Hypocalcémie : éthylène-glycol, oxalates, fluorures, acide fluorhydrique.

- Hyperchlorémie : la très évocatrice pseudo-hyperchlorémie de l'intoxication


par les bromures (Calcibronat®), avec baisse du trou anionique, est un artifice
de la technique de mesure de la chlorémie : un contact téléphonique avec le
laboratoire est indispensable.

- Les dysnatrémies sont le reflet de l'état d'hydratation de l'organisme :

 une hyponatrémie peut être le reflet d'apports hydriques excessifs


observés dans les intoxications par ecstasy, amphétamines,
carbamazépine, chlorpropamide et anti-inflammatoires non stéroïdiens,
ainsi que chez le buveur de bière ; un SIADH iatrogène doit être évoqué;
 une hypernatrémie peut être la conséquence d'un diabète insipide
observé avec le lithium, la phénytoïne et l'alcool éthylique ; elle est
exceptionnellement la conséquence de l'ingestion de quantités massives
de sel.

Spectre de l'hémoglobine
La mesure du taux de carboxyhémoglobine (HbCO) est quasi systématique sur
les automates de gaz de sang utilisés actuellement ; il faut penser à regarder !

La mesure du taux de méthémoglobine (MetHb) doit être demandée devant


une cyanose généralisée gris-ardoise sans cause cardio-pulmonaire.

Attention à la lecture des oxymètres de pouls conventionnels : ils ne donnent


pas une mesure exacte de la SpO2 en présence d'une hémoglobine anormale
(HbCO, MetHb) et ne donnent aucune indication sur l'importance de
l'hypoventilation alvéolaire (PaCO2) en cas d'overdose par opiacés par
exemple. Des dispositifs plus récents permettent une mesure percutanée de
l'HbCO et de la MetHb.

Activité enzymatique

L'élévation des créatine-kinases confirme le plus souvent une rhabdomyolyse


évoquée cliniquement (coma toxique avec compression musculaire
prolongée).

L'élévation des ASAT et ALAT confirme habituellement une cytolyse hépatique


(phase tardive d'une intoxication par paracétamol habituellement).

La diminution de l'activité des cholinestérases plasmatiques et/ou globulaires


confirme une intoxication aiguë par insecticides organophosphorés ou
carbamates.

Hémostase

La mesure du TP-INR est indispensable en cas de suspicion d'intoxication par


AVK (médicament ou raticide, perturbations tardives et prolongées, à
comparer au taux thérapeutique recherché chez le patient traité) ou en cas
d'hépatite sévère.

Les recherches d'une thrombopénie, d'une CIVD et/ou d'une défibrination


passent par les tests usuels (numération plaquettaire, TP, TCA, fibrinogène,
Ddimères).

Analyse toxicologique

Elle est traitée dans le chapitre « Analyse toxicologique en urgence ».

Radiographies

Thoracique

Il n'existe pas d'anomalie spécifique d'une intoxication.

- Recherche d'une pneumopathie d'inhalation, d'un œdème aigu du poumon,


d'un SDRA.

- Vérification de la bonne position de la sonde d'intubation.

- Élimination de signes d'emphysème, de bulles intra-pulmonaires avant une


séance d'oxygénothérapie hyperbare (risque de barotraumatisme et de
pneumothorax).

- Visualisation d'un objet bloqué dans l'œsophage (pile-bouton chez l'enfant).

Abdominale

Elle peut permettre de visualiser des toxiques ou des emballages radioopaques :


emballage de stupéfiants (cocaïne, héroïne), hydrocarbures halogénés
(tétrachlorure de carbone, chloroforme, trichloréthylène), métaux lourds et
éléments (fer, plomb, arsenic, mercure, zinc, lithium), potassium, carbonate de
calcium, hydrate de chloral.

Électrocardiogramme (ECG)

En dehors de signes électriques de gravité immédiate (TV, FV, BAV, torsade de


pointes), la recherche d'un allongement de l'intervalle QT et du complexe QRS
doit être systématique ; ceci est d'autant plus important qu'une intoxication
potentiellement grave par cardiotoxiques peut se présenter précocement sans
signe clinique.

L'allongement du complexe QRS doit faire évoquer une intoxication par produit
à effet stabilisant de membrane.

La liste des produits allongeant l'intervalle QT est longue ; il faut se souvenir de la


survenue possible de torsades de pointes.

Électroencéphalogramme (EEG)

Aucune anomalie n'est vraiment spécifique de tel ou tel toxique.

Il est hautement souhaitable en cas de convulsions et d'état de mal convulsif


afin de confirmer l'arrêt de toute activité électrique paroxystique.

Un état de mort apparente avec EEG nul (plat) doit faire évoquer ou éliminer
une intoxication par alcool éthylique, barbituriques, méprobamate, chloralose.

Endoscopie

Œso-gastro-duodénale

Elle doit être systématique en cas d'ingestion d'une base forte, d'un acide fort
ou d'un produit oxydant concentré; inutile en cas d'absorption d'une faible
quantité d'eau de Javel diluée (< 100 ml) ; elle permet de faire le diagnostic des
lésions et de fixer la conduite thérapeutique.

Elle est utile pour l'ablation d'objets bloqués dans l'œsophage, piles-boutons par
exemple.

Trachéo-bronchique

Elle a peu d'indications en pratique toxicologique : inhalation de suies en cas


d'exposition à des fumées d'incendie (présence de suies sur le visage et dans la
bouche, signes respiratoires) : formation de bouchons endobronchiques.

Elle devrait être systématique en cas d'ingestion massive de produits corrosifs


afin de vérifier l'intégrité de la filière laryngo-trachéo-bronchique.

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Évaluation pronostique

Généralités

Cette évaluation est primordiale au terme de l'approche initiale du patient et


du recueil des éléments anamnestiques, cliniques et paracliniques. En effet,
c'est elle qui guidera les choix thérapeutiques, allant de l'abstention
thérapeutique aux techniques d'épuration, et donc l'orientation hospitalière du
patient. Par ailleurs, elle permettra une information claire de ce dernier et de
son entourage, parfois déjà un accompagnement psychologique.

Si cette évaluation est aisée et rapide dans les situations les plus courantes telles
les intoxications par alcool ou benzodiazépines, qui ont un excellent pronostic,
elle repose dans d'autres cas sur des facteurs pronostiques de gravité validés.
Tel est le cas de la chloroquine, des digitaliques et du paracétamol en
particulier, pour lesquels des recommandations existent en termes de prise en
charge. Des facteurs pronostiques ont également été rapportés pour les
intoxications par antidépresseurs tricycliques, colchicine ou paraquat (Voir
chapitres correspondants).

Enfin et surtout, le terrain et les comorbidités influent sur le pronostic de ces


intoxications, qu'il s'agisse d'un éthylisme ou d'une dénutrition, dans le cas du
paracétamol, ou d'antécédents cardio-vasculaires, dans le cas des
cardiotropes par exemple.

Concernant les toxiques fonctionnels

Le tableau clinique est le plus souvent déjà ≪ maximal ≫ lors de l'arrivée du


patient au service des urgences ; le pronostic est alors essentiellement lié aux
détresses vitales patentes. Cependant, certaines situations sont particulières.

Médicaments à forme retard

Il s'agit notamment du lithium, du propranolol, de la théophylline, de la


venlafaxine, des inhibiteurs calciques et des anticonvulsivants : le tableau
clinique pouvant être encore incomplet lors de l'arrivée du patient, la dose
ingérée suspectée est alors le meilleur critère d'évaluation de la gravité.

Théophylline

L'existence d'une tachycardie ventriculaire soutenue, d'une hypotension


artérielle (PAS < 60 mmHg) réfractaire au traitement, de crises convulsives ainsi
que le caractère aigu de l'intoxication sont des signes prédictifs d'évolution
potentiellement mortelle ; une kaliémie basse à l'admission est également un
signe de gravité (Voir chapitre Théophylline).

Digitaliques, antidépresseurs, chloroquine et monoxyde de carbone

Ils sont traités dans des chapitres spécifiques de cet ouvrage.


Concernant les toxiques lésionnels ou mixtes

Le patient est asymptomatique au cours des premières heures et, donc, lors de
sa prise en charge initiale le plus souvent. La connaissance de facteurs de
mauvais pronostic fonctionnel ou vital peut permettre l'instauration d'un
traitement qui modifiera l'histoire naturelle de l'intoxication.

Intoxication aiguë par produits corrosifs (Voir chapitre Produits corrosifs).

Les facteurs de mauvais pronostic sont : l'ingestion de plus de 50 ml d'un acide


ou d'une base forte, l'existence de troubles psychiques, d'un état de choc,
d'une insuffisance respiratoire aiguë, d'une acidose métabolique, de signes
cliniques de perforation digestive, d'une leucocytose > 15 G/l, d'une hémolyse,
d'une CIVD.

Paracétamol, paraquat et colchicine

Ils sont traités dans des chapitres spécifiques de cet ouvrage.

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Orientation du patient

Choix d'un plateau technique spécialisé dès la phase préhospitalière

- Oxygénothérapie hyperbare dans l'intoxication au monoxyde de carbone


(Voir chapitre Monoxyde de carbone), en particulier dans le cas d'un état de
coma et chez la femme enceinte.

- Assistance circulatoire sous circulation extracorporelle : intoxication grave par


cardiotrope avec état de choc réfractaire (Voir chapitres correspondants,
Inhibiteurs calciques et Bêta-bloquants en particulier).

Hospitalisation en secteur de réanimation

Nécessité d'une technicité particulière et/ou d'une surveillance médico-


infirmière rapprochée

Si la durée prévisible d'hospitalisation est supérieure à 36 heures, ce qui est le


cas de presque tous les patients concernés par ce niveau de surveillance :

• ventilation assistée ;

• évaluation hémodynamique par cathétérisme cardiaque et/ou échographie ;

• administration de doses répétées de charbon activé : si la technique est


simple, son utilité n'est admise que chez le patient grave dont le séjour en
réanimation est justifié à ce titre ;

• nécessité d'une exsanguino-transfusion : hémolyse, méthémoglobinémie


massive ;

• nécessité d'une épuration extra-rénale par hémodialyse, pour des raisons


métaboliques ou toxicologiques :
- insuffisance rénale aiguë anurique ;

- indication ≪ toxicologique ≫ : alcools et glycols, lithium, salicylés ;

- indication métabolique :

 acidose métabolique (intoxication par biguanides, salicylés, alcools et


glycols) ;
 trou osmotique élevé (discuter un traitement antidotique alternatif) ;
 hyperkaliémie, surcharge hydrosodée (souvent en cas d'insuffisance
rénale).

En dehors de ces indications

L'orientation en réanimation peut être guidée par l'existence de facteurs de


mauvais pronostic, notamment pour la colchicine, les digitaliques, les
antidépresseurs tricycliques.

Hospitalisation en UHCD

Dans la grande majorité des intoxications volontaires, si la durée d'hospitalisation


prévisible est courte, avant un retour à domicile, une mutation en médecine ou
en milieu psychiatrique.

Hospitalisation en secteur de médecine

- Suivi de l'évolution, en l'absence de risque suicidaire avéré lors d'une


intoxication volontaire.

- Pas de nécessité d'une surveillance clinico-biologique rapprochée.

- Nécessité d'administration d'un antidote non urgent : vitamine K, chélateur de


métaux.

- Exceptionnellement, patient sans solution thérapeutique : intoxication mortelle


par colchicine ou paraquat notamment, pour lesquelles l'admission en
réanimation peut poser un problème éthique.

Hospitalisation en secteur psychiatrique

- Intoxication banale sur le plan somatique : toxique fonctionnel, examen


clinique normal et délai supérieur à 6 heures (hors toxiques à expression clinique
retardée).

- Éventuellement, possibilité de traitement par vitamine K avec contrôle de l'INR,


en liaison avec un centre antipoison.

- Sur le plan psychiatrique, utilité ou nécessité d'une hospitalisation spécialisée


(mode libre ou HDT, notamment dans le cadre d'un refus de soins).

Retour à domicile

- Intoxication manifestement banale sur le plan somatique : toxique fonctionnel,


examen clinique normal et délai supérieur à 6 heures (hors toxiques à expression
clinique retardée) ; sur le plan psychiatrique, suivi ambulatoire préalable,
accompagnement par l'entourage jusqu'à la prochaine consultation
ambulatoire, et accord du médecin psychiatre.

- Intoxication accidentelle ou infligée sans gravité clinique.

Cas des patients dont l'orientation est discutable

Patients concernés

- Durée d'évolution ou complications non prévisibles (coma de profondeur


intermédiaire, risque d'insuffisance rénale ou inhalation bronchique par
exemple).

- Niveau de surveillance initialement non prévisible (évolution sous antidote).

- Intoxication par toxique dialysable mais sans insuffisance rénale ni indication


métabolique d'hémodialyse : acide borique, isopropanol, bromures, glycols,
glyphosate, hydrate de chloral, lithium, méthanol.

Que proposer ?

Une unité de soins continus est la solution la plus intéressante.

À défaut, les médecins de l'UHCD et de réanimation doivent s'entendre pour


une prise en charge partagée, avec orientation initiale en UHCD par exemple
et admission en réanimation sur un critère clinique ou biologique préétabli.
Figure 1 - Intoxication aiguë: prise en charge en urgence.

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Décontamination et épuration Digestive, Rénale et Extrarénale

Vincent Danel

Christine Tournoud

La décontamination digestive a pour objectif de limiter la résorption digestive


des toxiques et donc leur pénétration dans l'organisme.

L'épuration digestive, rénale et extrarénale des toxiques a pour objectif


d'augmenter leur élimination alors qu'ils sont déjà présents dans l'organisme.

Décontamination digestive

La Conférence de consensus de la Société de Réanimation de Langue


Française (SRLF 1992) ainsi que les prises de position communes de l'American
Academy of Clinical Toxicology (AACT) et de la European Association of Poison
Centres and Clinical Toxicologists (EAPCCT) publiées et actualisées depuis 1997
permettent de mieux préciser la place respective des différentes méthodes de
décontamination et d'épuration digestive.

Vomissements provoqués par le sirop d'ipéca

Le sirop d'ipéca, extrait de la racine d'une plante, Cephalis ipecacuanha,


contient deux alcaloïdes émétisants. Cependant, aucune donnée scientifique
ne permet de le recommander et son usage doit être définitivement
abandonné.

Lavage gastrique

Il ne doit pas être systématique, ses indications étant maintenant rares. Il n'est
recommandé que si le patient a ingéré une quantité de toxique non
carboadsorbable pouvant compromettre le pronostic vital (fer, lithium, par
exemple) et s'il peut être mis en œuvre dans l'heure suivant l'ingestion. Chaque
indication doit être posée au cas par cas en prenant en compte les risques
potentiels et le bénéfice escompté.

Les contre-indications sont liées au produit et/ou au patient. Le lavage gastrique


ne doit pas être réalisé chez un patient présentant des troubles de la
conscience, si les voies aériennes ne sont pas protégées, s'il s'agit d'une
substance caustique ou d'un solvant, si le patient a un risque d'hémorragie
digestive ou de perforation gastro-intestinale ou un antécédent récent de
chirurgie digestive ou, encore, si le toxique ingéré possède un fort potentiel
convulsivant. Les complications possibles sont une pneumopathie d'inhalation,
un laryngospasme, une hypoxie ou une hypercapnie, un traumatisme du
pharynx, de l'œsophage ou de l'estomac, des troubles hydro-électrolytiques et,
plus rarement, la survenue d'un pneumothorax.

Dose unique de charbon activé

Le charbon activé (CA) adsorbe les toxiques dans le tube digestif et diminue
ainsi leur résorption digestive. Certaines substances ne sont pas carbo-
adsorbables : lithium, métaux (fer, arsenic…), cyanures, alcools et glycols.
L'administration d'une dose unique de CA est indiquée si le patient a ingéré une
quantité potentiellement toxique d'une substance carbo-adsorbable il y a
moins de 1 heure. Au-delà de 1 heure, aucune donnée scientifique ne permet
de valider ou non l'intérêt du CA.

Un cas particulier est celui du paraquat : l'administration d'un adsorbant (CA ou


terre à Foulon) est préconisée, même s'il n'existe pas de preuve clinique de son
efficacité.

La dose recommandée est d'environ 1 g/kg chez l'enfant et de 25 à 100 g chez


l'adulte.

Son administration est contre-indiquée lorsqu'il existe des troubles de


conscience, des antécédents digestifs ou quand il peut aggraver le risque de
survenue d'une pneumopathie d'inhalation.

Les complications pouvant survenir après administration de CA sont les


vomissements (fréquents), la pneumopathie d'inhalation (pouvant être
redoutable), de rares cas d'abrasion cornéenne.

Laxatifs

Les connaissances actuelles ne montrent pas de bénéfice particulier à


l'utilisation des laxatifs saccharidiques (sorbitol) ou salins (citrate de magnésium,
sulfate de magnésium, sulfate de sodium) dans les intoxications.

Irrigation intestinale

Cette technique consiste en l'administration entérale, par sonde nasogastrique,


de grandes quantités d'une solution de polyéthylène glycol équilibrée en
électrolytes (PEG 4000, macrogol) qui permet de réduire l'adsorption du toxique
en expulsant le contenu intraluminal intestinal. L'administration doit être
poursuivie jusqu'à ce que l'effluent rectal soit clair (après 4 à 8 heures en
général) ou si d'autres éléments (radiographies, dosages de toxiques)
permettent de penser qu'il existe toujours des toxines dans le tube digestif
(parfois difficile à évaluer).

Il n'y a pas d'indications établies mais l'irrigation intestinale peut être intéressante
lors d'ingestions de toxiques à libération prolongée ou de formes
gastrorésistantes, précocement dans l'intoxication au paraquat ou en cas
d'ingestion de grandes quantités de fer en raison d'une morbidité et d'une
mortalité importantes et du peu d'efficacité des autres techniques de
décontamination digestive. L'ingestion de sachets de drogues ainsi que
l'ingestion de grandes quantités de toxiques non adsorbés par le CA sont des
indications théoriques. Cette méthode a été utilisée avec succès lors d'ingestion
massive de paradichlorobenzè ne, d'arsenic ou de plomb.

La dose exacte à administrer n'est pas déterminée. La dose recommandée est


de 1 500 à 2 000 ml/h chez l'adulte.

Les contre-indications sont la perforation ou l'obstruction intestinale,


l'hémorragie gastro-intestinale, des voies aériennes non protégées en cas de
troubles de conscience, une instabilité hémodynamique, des vomissements
incoercibles.

Les complications les plus fréquentes sont les troubles digestifs (nausées,
vomissements, douleurs abdominales) et la pneumopathie d'inhalation.

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Épuration digestive, rénale et extra-rénale

Doses répétées de charbon activé

L'administration répétée de charbon activé par voie orale a pour but


d'augmenter l'élimination de toxiques carbo-adsorbables déjà présents dans
l'organisme à des concentrations toxiques. Elle est particulièrement
recommandée en cas d'ingestion de médicaments ayant une demi-vie longue
et un petit volume de distribution ou ayant un cycle entéro-hépatique ou
entéro-entérique.

L'administration de doses répétées de CA est recommandée si le patient a


ingéré une dose potentiellement létale de carbamazépine, de phénobarbital,
de dapsone, de quinine ou de théophylline pouvant faire envisager le recours à
des techniques invasives d'épuration extra-rénale.

La dose optimale n'est pas déterminée mais on recommande une dose initiale
de 50 à 100 g de CA suivie par environ 12,5 g/h (ou 50 g/4 h) chez l'adulte.

Les contre-indications absolues sont les voies aériennes non protégées et les
troubles de conscience, une occlusion intestinale, la non-inté grité du tube
digestif. Une diminution du péristaltisme (d'origine médicamenteuse ou non) est
une contre-indication relative.

Les complications décrites sont : constipation provisoire, occlusion intestinale,


vomissements, pneumopathie d'inhalation. La co-administration de laxatifs n'est
pas recommandée.

Épuration rénale

Le but de l'épuration rénale est d'augmenter l'élimination d'un toxique en


diminuant sa concentration dans le liquide tubulaire rénal et, par conséquent,
son gradient de réabsorption. Seule la diurèse alcaline peut être
recommandée. Elle permet d'augmenter l'élimination des acides faibles et de
diminuer l'acidose induite par certains toxiques. Elle consiste en l'administration
de 4 à 5 litres/24 h de solutés isotoniques dont un tiers de soluté bicarbonaté à
1,4 %, ce qui permet d'élever le pH urinaire à 7,5 ou 8. Elle nécessite une
surveillance clinique et biologique stricte pour éviter certaines complications
comme une insuffisance cardiaque ou un œdème cérébral.

Les indications actuelles sont l'intoxication par certains herbicides (dérivés


chlorophénoxy), le méthotrexate, et les intoxications graves aux salicylés ne
justifiant pas une hémodialyse.

Épuration extra-rénale (EER)


L'efficacité d'une technique d'EER dépend des caractères physicochimiques du
toxique (petit poids moléculaire), de la cinétique de celui-ci (faible volume de
distribution inférieur à 1 l/kg, liaison faible aux protéines plasmatiques), de la
technique elle-même (type de membrane utilisé, clairance obtenue par la
technique au moins égale ou supérieure à la clairance corporelle spontanée).

De nombreuses techniques ont été utilisées : hémodialyse, hémoperfusion,


exsanguino-transfusion, plasmaphérèse, hémofiltration ou hémodiafiltration
continue… En réalité, peu d'intoxications nécessitent le recours à ces
techniques lourdes et complexes.

Hémodialyse

Cette technique repose sur la diffusion à travers une membrane semi-


perméable de substances à faible poids moléculaire (PM), hydrosolubles,
faiblement liées aux protéines.

L'hémodialyse (HD) est efficace dans les intoxications par :

- les alcools comme le méthanol en particulier, en association au traitement


antidotique par fomépizole ;

- l'éthylène glycol, en association au traitement antidotique par fomépizole ;

- le lithium, en particulier dans l'intoxication aiguë chez un patient traité (aiguë


sur chronique) et dans le surdosage chronique, en présence de signes
neurologiques et cardiaques de gravité.

D'autres indications peuvent être discutées au cas par cas :

- l'acide acétylsalicylique, surtout dans les cas d'acidose métabolique non


corrigée par la perfusion de bicarbonate de sodium ;

- les acides chlorophénoxy, mais l'alcalinisation urinaire paraît tout aussi efficace
;

- l'acide borique et les borates : l'hémodialyse augmente l'élimination de ces


deux toxiques mais ces intoxications sont rares ;

- les bromures pour lesquels l'efficacité de l'hémodialyse a été démontrée.

En dehors des indications toxicologiques, l'HD a un intérêt dans le traitement de


certaines complications des intoxications (insuffisance rénale, acidose
métabolique, hyperkaliémie…) mais elle peut être mal tolérée si
l'hémodynamique du patient est précaire.

Hémoperfusion

Cette technique consiste à faire passer le sang sur une colonne adsorbante
constituée de résines pour les substances liposolubles ou de CA pour les
substances hydrosolubles.

Actuellement, les indications sont très discutées et limitées à de rares cas


d'intoxications graves par théophylline ou carbamazépine quand
l'administration de CA à doses répétées est contre-indiquée ou impossible. Son
réel intérêt n'a jamais été démontré.

Hémofiltration ou hémodiafiltration

Elle est fondée sur le principe de la filtration par un gradient de pression, à


travers une membrane semi-perméable, d'≪ eau plasmatique ≫ et de
molécules de poids moléculaire inférieur à 40 000 Da, l'hémodiafiltration
associant les deux techniques. Elles permettent l'épuration de substances de PM
élevé et sont mieux tolérées car elles entraînent moins de problèmes
hémodynamiques. Malgré de nombreux essais, ces deux techniques n'ont pas
fait la preuve de leur efficacité cinétique ou dynamique et n'ont pas
d'indications prouvées en toxicologie.

Exsanguino-transfusion, plasmaphérèse

L'exsanguino-transfusion n'est indiquée que dans les méthémoglobinémies


sévères et les hémolyses toxiques (chlorate de sodium et de potassium, dérivés
de l'aniline).

La plasmaphérèse n'a aucune indication pour éliminer des toxiques.

MARSTM (Molecular Adsorbent Recirculating System)

Il n'a aucune indication dans l'épuration des toxiques.

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Principales références
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Centres and Clinical Toxicologists. Position statement : ipecac syrup. J Toxicol
Clin Toxicol 1997 ; 35 : 699-709.
American Academy of Clinical Toxicology, European Association of Poison
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American Academy of Clinical Toxicology, European Association of Poisons
Centres and Clinical Toxicologists. Position statement : single dose activated
charcoal. J Toxicol Clin Toxicol 1997 ; 35 : 721-741.
American Academy of Clinical Toxicology, European Association of Poisons
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American Academy of Clinical Toxicology, European Association of Poison
Centres and Clinical Toxicologists. Position paper : ipecac syrup. J Toxicol Clin
Toxicol 2004 ; 42 : 133-143.
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Centres and Clinical Toxicologists. Position paper : cathartics. J Toxicol Clin
Toxicol 2004 ; 42 : 243-253.
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American Academy of Clinical Toxicology, European Association of Poisons
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Toxicol 2004 ; 42 : 933-943.
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Centres and Clinical Toxicologists. Proudfoot AT, Krenzelok EP, Vale JA. Position
paper on urine alkalinisation. Clin Toxicol 2004 ; 42 : 1-26.
Hantson P, Jaeger A. Décontamination et élimination des toxiques
médicamenteux. Réanimation 2006 ; 15 : 374-382.
Mégarbane B, Donetti L, Blanc T, Chéron G, Jacobs F. Groupe d'experts de la
SRLF. Intoxications graves par médicaments et substances illicites en
réanimation. Réanimation 2006 ; 15 : 332-322.
Antidotes

Vincent Danel

Christine Tournoud

Définition

Un antidote est un médicament dont l'action spécifique est capable soit de


modifier la cinétique du toxique, soit d'en diminuer les effets au niveau des
récepteurs ou des cibles spécifiques, et dont l'utilisation améliore le pronostic
vital ou fonctionnel de l'intoxication ou en facilite la prise en charge.

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Antidotes indispensables aux Urgences

Parfois utiles dès la phase préhospitalière, ils sont souvent utilisés en service
d'urgence et nécessitent une bonne connaissance de leurs indications et de
leurs limites.

Atropine sulfate (Atropine®)

- Mode d'action : antispasmodique anticholinergique.

- Indications : intoxications par insecticides organophosphorés ou carbamates


anticholinestérasiques, neurotoxiques organophosphorés (sarin, soman, tabun),
médicaments parasympathomimétiques, digitaliques (bradycardie sinusale),
intoxications aux champignons (syndrome muscarinique).

- Effets secondaires : sécheresse buccale, tachycardie, troubles de


l'accommodation, rétention urinaire, agitation, syndrome confusionnel (qui peut
être sévère en particulier chez la personne âgée).

- Posologie : 1 ampoule = 1 mg. Variable selon le toxique et la gravité de


l'intoxication, de 1-2 à 5 mg IV (0,05 mg/kg chez l'enfant), pouvant aller jusqu'à
20 à 30 mg en quelques heures, notamment dans l'intoxication aux insecticides
ou aux neurotoxiques organophosphorés (titration en fonction de l'effet sur la
bradycardie et l'hypersécrétion trachéo-bronchique) (Voir chapitres Produits
phytosanitaires et Toxiques chimiques de guerre).

Diazépam (Valium®)

De nombreux toxiques peuvent être convulsivants : l'isoniazide (un traitement


par pyridoxine est recommandé dès que possible, cf. infra), les antidépresseurs
tricycliques et les inhibiteurs de recapture de la sérotonine, les phénothiazines,
les psychostimulants (amphétamines, cocaïne, ecstasy, théophylline, caféine,
éphédrine…), les rodenticides (strychnine, chloralose, crimidine…), les
anesthésiques locaux, les chélateurs (déféroxamine, D-pénicillamine…).

Le diazépam est l'antiépileptique de première intention dans les convulsions


d'origine toxique.

Le diazépam est utilisé dans le traitement de l'intoxication sévère à la


chloroquine (Voir chapitre Chloroquine), en association à l'adrénaline, avec
assistance respiratoire après intubation en séquence rapide, en présence de
facteurs de risque : dose supposée ingérée supérieure à 4 grammes, QRS
supérieur à 0,10 secondes, PAS inférieure à 100 mmHg. Le diazépam est alors
utilisé à doses importantes : 1 à 2 mg/kg en dose de charge puis 2 à 4 mg/kg/j.
Utilisé seul, le diazépam n'a aucun intérêt dans cette indication.

Flumazénil (Anexate®)

- Mode d'action : antagoniste compétitif spécifique des récepteurs aux


benzodiazépines.

- Indications : intoxication isolée aux benzodiazépines ou aux imidazopyridines


(zolpidem, zopiclone) avec coma nécessitant une assistance respiratoire (Voir
chapitre Benzodiazépines et apparentés).

- Contre-indications et précautions : intoxication associée à d'autres


médicaments abaissant le seuil épileptogène (risque de convulsions),
antidépresseurs tricycliques par exemple, et antécédents épileptiques. Sa
courte durée d'action expose, en cas d'administration unique, à une nouvelle
aggravation des troubles de conscience et de la dépression respiratoire.
L'utilisation chez un intoxiqué dépendant expose au risque de syndrome de
sevrage (convulsions) et nécessite une titration.

- Posologie : ampoules de 0,5 mg/5 ml ou 1 mg/10 ml. Dose initiale de 0,3 mg en


IV en 1 minute, puis 0,1 mg minute après minute jusqu'à une dose cumulative de
1 à 2 mg (0,01 mg/kg chez l'enfant) pour atteindre l'objectif thérapeutique :
obtention de signes de réveil franc et levée de la dépression respiratoire. Il peut
être utilisé en injections intraveineuses discontinues après l'obtention de signes
de réveil. En l'absence d'effet après l'administration de 2 mg, le diagnostic
d'intoxication isolée doit être remis en cause.

Hydroxocobalamine (Cyanokit®)

- Mode d'action : complexation des ions cyanures sous forme de


cyanocobalamine atoxique. L'hydroxocobalamine restaure l'activité des
enzymes de la chaîne respiratoire mitochondriale.

- Indications : intoxication aux cyanures et aux fumées d'incendie, parallèlement


à l'administration d'oxygène, devant tout signe même mineur d'hypoxie
cérébrale et en cas de collapsus cardio-vasculaire (voir chapitre Inhalations
toxiques, gaz et vapeurs).

- Effets secondaires : risque allergique (rare dans cette indication), coloration


rouge des téguments et des urines. La tolérance générale est excellente.

- Posologie : flacon de 2,5 g. Le kit contient 2 flacons de 2,5 g


d'hydroxocobalamine à diluer. Dose initiale de 5 grammes (70 mg/kg chez
l'adulte et l'enfant) en IV sur 30 minutes, à répéter 1 à 2 fois en fonction de l'état
clinique.

Insuline-glucose (hyperinsulinémie euglycé mique)


- Mode d'action : plus qu'un effet sur les canaux calciques, l'effet bénéfique de
l'insuline semble surtout lié à l'amélioration du métabolisme des hydrates de
carbone, du lactate et des acides gras libres par les cardiomyocytes. Une
amélioration de la pression artérielle est généralement observée avec un délai
de 30 à 90 minutes. En revanche, il y a peu d'effets sur la bradycardie et les
troubles de conduction. Des échecs ont été rapportés, surtout en cas
d'instauration tardive du traitement.

- Indications : l'hyperinsulinémie euglycémique consiste en l'administration


d'insuline, tout en maintenant la glycémie dans les limites de la normale, dans
l'intoxication par inhibiteurs calciques (Voir chapitre correspondant).

- Effets secondaires : les deux effets indé sirables principaux sont l'hypoglycémie
et l'hypokaliémie. Même si certains patients ne nécessitent pas de suppléments
de glucose compte tenu de l'effet diabétogène des anticalciques, la glycémie
doit être étroitement surveillée. L'hypokaliémie de transfert ne doit pas être
traitée si elle est asymptomatique et modérée. Elle pourrait même avoir un effet
bénéfique sur la réactivation des canaux calciques.

- Posologie : dose initiale de 1 UI/kg suivie d'une perfusion continue de 0,5 UI/kg
par heure. La durée de la perfusion d'insuline est très variable, dépassant parfois
2 jours.

N-acétylcystéine (NAC) (Fluimucil®)

- Mode d'action : la NAC apporte dans le plasma de la cystéine, précurseur du


glutathion intracellulaire (Voir chapitre Antalgiques et anti-inflammatoires non
stéroïdiens - Paracétamol).

- Indications : administration la plus précoce possible après ingestion d'une dose


hépatotoxique de paracétamol (≥ à 150 mg/kg chez l'adulte, ≥ 200 mg/kg chez
l'enfant), à discuter (avis spécialisé toxicologique) en cas d'intoxication par
d'autres hépatotoxiques (chloroforme, tétrachlorure de carbone, syndrome
phalloïdien…). L'indication d'administration de la NAC doit être posée en
fonction de la paracétamolémie, effectuée en urgence, et reportée sur le
nomogramme prédictif de Prescott (Voir chapitre Antalgiques et
antiinflammatoires non stéroïdiens - Paracétamol). En cas de prise en charge
tardive (> 10 heures après ingestion d'une dose toxique), la NAC devra être
administrée sans attendre les résultats de la paracétamolémie.

- Effets secondaires : rash cutané, bronchospasme, choc anaphylactoïde (rare).


Ces manifestations sont plus fréquentes en cas de perfusion rapide de la dose
de charge et/ou si l'indication n'est pas justifiée.

- Posologie : flacon de 5 g/25 ml, en perfusion intraveineuse : 150 mg/kg en 60


minutes, puis 50 mg/kg sur les 4 heures suivantes et, enfin, 100 mg/kg sur les 20
heures suivantes. En cas d'administration par voie orale, la dose initiale est de
140 mg/kg en solution diluée puis 70 mg/kg/4 h (17 fois). Le traitement per os
est aussi efficace que la voie intraveineuse mais il présente comme
inconvénients une administration difficile en cas de vomissements et une durée
plus longue du traitement (72 h). En cas d'admission tardive et/ou si des signes
d'hépatite cytolytique sont présents, la NAC sera administrée selon le protocole
ci-dessus puis une perfusion continue de 300 mg/kg par jour sera ensuite
poursuivie jusqu'à la guérison.

Naloxone

- Mode d'action : antagoniste compétitif spécifique des récepteurs aux


opiacés.

- Indications : diagnostic et traitement de l'intoxication aux opiacés (héroïne,


morphine et dérivés), peu ou non efficace sur la buprénorphine ou sur les effets
cardiotoxiques du dextropropoxyphène, traitement de la dépression respiratoire
due aux opiacés.

- Effets secondaires : en raison de sa courte durée d'action, risque de nouvelle


dépression respiratoire (remorphinisation) ; risque également de syndrome de
sevrage d'apparition brutale lors de l'administration initiale, ce qui justifie aussi
une titration de la dose.

- Posologie : 1 ampoule = 1 ml = 0,4 mg. 1 ampoule à diluer dans 10 ml de sérum


physiologique, à administrer à doses progressives de 0,1 mg toutes les 2-3
minutes (0,01 à 0,03 mg/kg chez l'enfant) jusqu'à 2 mg, voire au maximum 10
mg, en fonction de l'effet sur la fréquence respiratoire ; au-delà, la dépression
respiratoire n'est probablement pas due aux seuls opiacés. L'objectif est de
prévenir ou traiter la dépression respiratoire ; l'obtention ou le maintien d'une
fréquence respiratoire supérieure à 12 c/min est habituellement recommandé.
Une perfusion intraveineuse continue peut être mise en place à la suite de
l'injection initiale s'il existe un risque important de remorphinisation secondaire
(intoxication par morphinique d'action prolongée comme la méthadone ou
d'héroïne à doses massives en cas de rupture de sachets dans le tube digestif).
Une posologie horaire correspondant aux 2/3 de la dose efficace initiale est
habituellement suffisante.

Pralidoxime (Contrathion®)

- Mode d'action : réactive les cholinestérases en se fixant sur le groupement


alkylphosphate du complexe organophosphoré-cholinestérase.

- Indications : à utiliser en association avec l'atropine dans les intoxications aux


insecticides organophosphorés anticholinesté rasiques et aux neurotoxiques
organophosphorés (sarin, tabun, soman) (Voir chapitres Produits phytosanitaires
et Toxiques chimiques de guerre). La pralidoxime n'est pas utile avec les
carbamates insecticides car la liaison avec l'acétylcholinestérase est
rapidement et spontanément réversible.

- Effets secondaires : tachycardie, laryngospasme, vertiges, vision floue,


augmentation de la pression artérielle, diplopie, élévation transitoire des
enzymes hépatiques.

- Posologie : 1 flacon = 200 mg de pralidoxime : voie IV préférentielle,


éventuellement SC ou IM. Posologie conventionnelle : dose de charge 400 mg
à 2 g en perfusion intraveineuse de 30 minutes (enfant : 20 à 40 mg/kg) puis
dose d'entretien de 8 à 10 mg/kg/h. Durée du traitement : 4 à 6 jours et jusqu'à 3
semaines dans certains cas. Schéma à fortes doses récemment démontré
comme plus efficace : 2 grammes en dose de charge, puis 1 g/h pendant 48 h
puis 1 g/4 h jusqu'au sevrage de la ventilation mécanique.

Sels de sodium hypertonique

- Mode d'action : les sels de sodium hypertoniques (bicarbonate de sodium


molaire à 8,4% ou lactate de sodium molaire à 11,2 %) ont une action directe
sur le courant sodique, à la phase initiale du potentiel d'action des cellules
myocardiques.

- Indications : troubles de conduction intra-ventriculaire en cas d'intoxication


aux antiarythmiques de classe I, aux antidépresseurs tricycliques, à la
chloroquine, au dextropropoxyphène (effet stabilisant de membrane avec
élargissement du complexe QRS).

- Effets secondaires : hypokaliémie, alcalose métabolique, surcharge sodée.

- Posologie : 100 à 250 ml en perfusion intraveineuse lente sur une bonne voie
veineuse (soluté hypertonique) (avec apport de KCl : 2 g/250 ml) sans dépasser
750 ml, en se fondant sur l'affinement du complexe QRS et la correction de
l'hypotension.

Vitamine K (phytoménadione)

- Mode d'action : facteur indispensable à la synthèse hépatique de plusieurs


protéines de la coagulation.

- Indications : hémorragie (sauf gingivorragie ou épistaxis modérées) avec INR >


5 dans les cas de surdosage en anti-vitamine K médicamenteux, intoxications
par raticides anticoagulants ou plantes contenant des dérivés coumariniques
(grande férule).

- Effets secondaires : réaction d'hypersensibilité.

- Posologie : 1 ampoule = 10 mg, soluté buvable et injectable. Elle est le plus


souvent de 10 à 20 mg IV/24 h (en association avec des facteurs de
coagulation injectables), de 100 mg/j per os en cas d'intoxication aux raticides
anticoagulants. Les doses ultérieures sont à ajuster selon la valeur de l'INR. Dans
le cas d'ingestion de raticide fortement concentré en solution huileuse,
l'administration de vitamine K peut être nécessaire pendant plusieurs semaines.

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Antidotes utiles aux Urgences

Certains antidotes, en raison de leur coût notamment ou de leur très faible


fréquence d'utilisation, ne sont pas disponibles dans tous les services des
urgences : ils doivent cependant être obtenus si nécessaire dans un délai bref,
en moins de 2 heures pour certains, auprès des centres anti-poison ou des
pharmacies des hôpitaux.

Anticorps antidigoxine (Digibind®)


- Mode d'action : fragments Fab purifiés résultant de l'immunisation de moutons
contre un complexe digoxine/albumine.

- Indications : intoxication aiguë par digoxine, surdosage digitalique avec signes


de gravité, intoxications par plantes contenant des glycosides cardiotoniques
(digitale, laurier rose…), intoxication par préparations à base de crapauds du
genre Bufo.

- Effets secondaires : rares réactions d'hypersensibilité en raison de l'origine


ovine, aggravation d'une décompensation cardiaque chez les patients traités
habituellement par digitaliques.

- Posologie : 38 mg d'anticorps neutralisent 0,5 mg de digoxine (Voir chapitre


Digitaliques).

Une neutralisation équimolaire est recommandée si un seul des facteurs suivants


est présent : tachycardie ou fibrillation ventriculaire, bradycardie sévère (< 40
c/min, atropine inefficace), kaliémie supérieure à 5,5 mmol/l, choc
cardiogénique, infarctus mésentérique.

Une neutralisation semi-molaire est recommandée si trois des facteurs suivants


sont présents : sexe masculin, cardiopathie préexistante, âge supérieur à 55 ans,
BAV de tout degré, bradycardie inférieure à 50 c/min résistante à l'atropine,
kaliémie supérieure à 4,5 mmol/l.

Bleu de méthylène (chlorure de méthylthioninium)

- Mode d'action : agit comme cofacteur dans la réduction intra-érythrocytaire


de la méthémoglobine, en présence de NADPH, chez les sujets non déficients
en G6PD.

- Indications : méthémoglobinémie lors d'une intoxication aux nitrates, nitrites,


aniline, etc. L'administration concomitante d'oxygène permet d'augmenter la
quantité d'O2 dissous. Elle est peu efficace en cas de sulfhémoglobinémie ou
de méthémoglobinémie due à l'ingestion de chlorates de sodium ou de
potassium en raison d'altérations membranaires érythrocytaires et de
l'inactivation de la G6PD. Dans ce cas, l'exsanguino-transfusion peut être
nécessaire pour corriger l'hémolyse et la méthémoglobinémie. Le bleu de
méthylène est indiqué en présence de symptômes d'hypoxie et/ou d'une
méthémoglobinémie supérieure à 20 %.

- Effets secondaires : nausées, vomissements, douleurs abdominales, céphalées,


vertiges, dyspnée, anémie hémolytique. Le bleu de méthylène est lui-même un
agent oxydant donc méthémoglobinisant à fortes doses.

- Posologie : ampoule de 1 ml de solution à 1%, soit 10 mg/ampoule. 1 à 2


mg/kg, soit, chez l'adulte, 5 à 10 ampoules diluées dans du glucosé 5% ou du
sérum physiologique à administrer en 10 à 15 minutes par voie IV. On peut
répéter cette dose 1 heure après à la même posologie (sans dépasser 7
mg/kg). Le critère d'arrêt ou de poursuite du traitement est le pourcentage de
méthémoglobinémie (la coloration des téguments n'est pas un bon indicateur).
Fomépizole (Fomépizole®)

- Mode d'action : dérivé pyrazolé qui agit par inhibition de l'alcool


déshydrogénase, bloquant la production de métabolites toxiques.

- Indications : intoxication à l'éthylène glycol et au méthanol, et éventuellement


aux autres alcools toxiques (hors AMM). Le fomépizole peut être indiqué pour
traiter l'effet antabuse survenant lors de l'ingestion de coprins et d'alcool, mais il
n'existe pas actuellement de données cliniques validées.

- Effets secondaires : troubles digestifs, prurit, urticaire, augmentation transitoire


des transaminases et des créatine-kinases. Globalement, les effets secondaires
sont rares.

- Posologie : flacon de 20 ml = 100 mg. Dose initiale de 15 mg/kg, suivie de 10


mg/kg/12 h, en perfusion intraveineuse. Ce produit est dialysable, nécessitant
une adaptation thérapeutique pendant la séance d'hémodialyse.

Glucagon (Glucagen®)

- Mode d'action : hormone hyperglycémiante qui stimule la synthèse des


catécholamines, avec des effets inotrope et chronotrope positif par activation
d'une adénylate cyclase différente de celle couplée au récepteur bêta.

- Indications : intoxication aux bêtabloquants et aux inhibiteurs calciques. Son


efficacité réelle est discutée. Il ne peut représenter le seul traitement des
troubles hémodynamiques.

- Effets secondaires : réactions allergiques, troubles digestifs, tachycardie,


hypoglycémie.

- Posologie : ampoule de 1 mg/ml. 5 à 10 mg en 1 minute par voie IV, puis relais


par perfusion intraveineuse (1 à 5 mg/h) si la dose de charge a été efficace.

Octréotide (Sandostatine®)

- Mode d'action : l'octréotide est un analogue synthétique de la somatostatine.


Ses effets pharmacologiques sont similaires, mais plus puissants et plus prolongés.
En particulier, l'octréotide est un puissant inhibiteur de la libération d'insuline par
les cellules bêta des îlots pancréatiques.

- Indications : l'octréotide est recommandé dans l'intoxication par sulfamides


hypoglycémiants résistante au resucrage (Voir chapitre Hypoglycémiants).

- Effets secondaires : douleurs au site d'injection et troubles digestifs bénins.

- Posologie : 50 à 100 μg toutes les 8 à 12 heures en injection sous-cutanée. La


durée du traitement dépend de différents facteurs (dose ingérée, durée
d'action, fonction rénale) mais est souvent de 48 à 72 heures. L'administration
d'octréotide ne permet pas de raccourcir la durée de surveillance qui doit être
de 12 à 24 heures après la dernière dose. En pédiatrie, l'administration IV
continue (30 ng/kg/min) après une dose de charge IV de 1,25 μg/kg a été
utilisée.
Pyridoxine (Vitamine B6®)

- Mode d'action : la pyridoxine est un cofacteur intervenant dans de


nombreuses réactions enzymatiques du métabolisme des acides aminés. Sa
forme active est le phosphate de pyridoxal (P5P). Par exemple, dans
l'intoxication à l'isoniazide (INH), on note une déplétion en pyridoxine (par
combinaison du P5P avec l'INH augmentant l'excrétion urinaire) et une
diminution de l'activation de la pyridoxine en P5P (par inhibition de la pyridoxal
phosphokinase) ; la déplétion en P5P entraîne une diminution de la production
du GABA à partir de l'acide glutamique, responsable de l'hyperexcitabilité du
système nerveux central.

- Indications : intoxication par isoniazide, par gyromitre (champignon), par


hydrazine.

- Effets secondaires : tachypnée, neuropathie périphérique, convulsions (à fortes


doses).

- Posologie : ampoule de 250 mg/5 ml : la dose usuelle est de 1 g/1 g de INH


ingéré ou de 5 g (70 mg/kg chez l'enfant) dans 50 à 100 ml en perfusion
intraveineuse sur 30 minutes, à répéter en cas de coma ou convulsions jusqu'à
cessation des convulsions (action synergique avec le diazépam). Des doses
moindres ont été utilisées dans les autres intoxications (25 mg/kg).

Viperfav®

- Mode d'action : fragments F(ab′)2 d'immunoglobulines équines antivenimeuses


de vipères européennes.

- Indications : envenimations par vipères européennes (grade 2 ou 3) (Voir


chapitre Animaux toxiques).

- Effets secondaires rares : réaction allergique immédiate (dyspnée, urticaire,


choc anaphylactique rare) ou retardée (maladie sérique).

- Posologie : 1 flacon de 4 ml à administrer par voie intraveineuse après dilution


dans 100 ml de soluté isotonique, à perfuser en 1 heure (chez l'adulte et l'enfant,
quels que soient l'âge et le poids). Les données cliniques actuelles et la demi-vie
d'élimination du venin (8 h) permettent de penser qu'une seule dose de 4 ml
suffit dans la quasi-totalité des cas.

En ce qui concerne les serpents venimeux exotiques, l'obtention d'un sérum


antivenimeux est toujours un problème complexe, d'autant plus que ces sérums
n'ont souvent pas d'AMM en France.

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Antidotes d'indication exceptionnelle

D'autres antidotes sont plus rarement utilisés, tels les chélateurs des métaux. Ils
ne devraient être utilisés qu'après avoir obtenu un avis spécialisé.

Acide dimercaptosuccinique ou succimer (Succicaptal®)


- Mode d'action : formation avec les métaux de complexes stables
hydrosolubles, éliminés dans les urines.

- Indications : intoxication par le plomb (surtout chez l'enfant en raison de la voie


d'administration orale), le mercure, l'arsenic.

- Effets secondaires : troubles digestifs, urticaire, éosinophilie, augmentation des


transaminases, vertiges, céphalées, paresthésies.

Posologie : gélule de 200 mg. 10 mg/kg/8 h pendant 5 jours puis 10 mg/kg/12 h


pendant 2 semaines chez l'adulte (et chez l'enfant). La dose maximale
journalière est de 1,8 g.

Acide édétique sel dicobaltique (Kélocyanor®)

 Mode d'action : forme avec les ions cyanures des complexes stables
éliminés dans les urines.
 Indications : intoxication cyanhydrique confirmée (non complexé au
cyanure, le cobalt est responsable de nombreux effets secondaires). Son
utilisation avait été abandonnée en France dans l'intoxication
cyanhydrique au profit de l'hydroxocobalamine. Il connaît actuellement
un regain d'intérêt dans le cadre du terrorisme chimique en raison de sa
disponibilité, de son faible coût et de sa facilité de stockage.
 Effets secondaires : troubles digestifs, sudation, hypotension, hypertension,
troubles du rythme cardiaque, œdème de la face, réactions allergiques.
Les effets secondaires sont d'autant plus importants que l'intoxication est
modérée ou inexistante (effets cardiovasculaires du cobalt en particulier).
 Posologie : solution à 1,5%, ampoule de 20 ml = 300 mg : injection de 2
ampoules par voie intraveineuse suivie de l'administration de glucose ;
une troisième ampoule peut être administrée 5 minutes après en fonction
de la clinique (dose non établie chez l'enfant).

Calcium édétate de sodium ou EDTA calcique (Calcium édétate de sodium


Serb®)

 Mode d'action : formation avec les métaux de complexes stables


hydrosolubles, éliminés dans les urines.
 Indications : intoxication par le plomb. Utilisation pour le test de plomburie
provoquée (permet d'indiquer, avec la plombémie, le traitement
chélateur chez l'adulte) et pour le traitement chélateur chez l'adulte et
l'enfant.
 Effets indésirables : si perfusion trop rapide, céphalées, vomissements,
fièvre, congestion nasale, malaise général, hypotension artérielle. Risques
allergiques et de survenue de nécrose tubulaire rénale.

Déféroxamine (Desféral®)

 Mode d'action : agent chélateur des cations trivalents. La déféroxamine


est capable de fixer le fer libre du plasma ou des cellules pour former le
complexe ferroxamine, éliminé dans les urines qu'il colore en rouge-
orangé.
 Indications : intoxication au fer (et à l'aluminium).
 Effets secondaires : flush, urticaire, tachycardie, hypotension, choc,
céphalées, nausées, altération de la vision et de l'audition, augmentation
de la sensibilité aux infections, détresse respiratoire lors de perfusions
prolongées à fortes doses, insuffisance rénale.
 Posologie : flacon de 500 mg/5 ml ou 2 g/20 ml par voie IM ou IV lente.
Dose initiale de 1 g (sans dépasser 15 mg/kg/h en cas de choc) suivie par
500 mg/4 à 12 heures sans dépasser 6 g/j (chez l'enfant, 50 mg/kg/dose à
renouveler/6 h en cas d'intoxication aiguë).

Dimercaprol (BAL® ou british antilewisite)

 Mode d'action : le dimercaprol a une plus grande affinité que les


protéines pour l'arsenic, le mercure ou l'or, et forme avec ces derniers des
composés stables excrétés dans les urines.
 Indications : intoxications aiguës à l'arsenic, le mercure, l'or, le zinc, le
cuivre, l'antimoine. Il fait partie des stocks d'antidotes constitués dans le
cadre du terrorisme chimique : il peut se lier à l'atome d'arsenic présent
dans la molécule de lewisite et déplacer cette molécule de son
récepteur. Il peut ainsi prévenir ou limiter les manifestations systémiques
de ce gaz vésicant.
 Effets secondaires : HTA, tachycardie, céphalées, nausées, douleur au
point d'injection (car solution huileuse contenant cependant de la
butacaïne). Contre-indication relative en cas d'allergie à la cacahuète.
 Posologie : ampoule de 200 mg. Injection IM de 3 à 5 mg/kg 6 fois par jour
pendant 2 jours, puis 4 fois par jour à J3, puis 2 fois par jour jusqu'à J10. En
pédiatrie, 50 à 75 mg/m2 en IM toutes les 4 heures sans dépasser 450 mg/j
pendant 5 jours.

D-Pénicillamine (Trolovol®)

 Mode d'action : chélate le cuivre sérique.


 Indications : intoxication au cuivre, mais aussi au mercure, au cadmium.
 Effets secondaires : troubles digestifs, éruption cutanée, prurit, protéinurie,
insuffisance rénale, thrombopénie, pneumopathie interstitielle, atteintes
autoimmunes (myasthénie, lupus induit…).
 Posologie : comprimé de 300 mg. 1 200 à 1 800 mg/j en plusieurs prises (20
mg/kg/j chez l'enfant).

Silibinine (Légalon Sil®)

 Mode d'action : la silibinine est le principal composé de la silymarine


extraite du chardon Marie ; elle limiterait le transport intra-hépatocytaire
des amatoxines et aurait une action bénéfique sur l'ARN polymérase.
 Indications : syndrome phalloïdien (Voir chapitre Champignons
supérieurs).
 Posologie : distribuée par le laboratoire allemand Madaus, la posologie
est de 4 ampoules de 350 mg par jour chez l'adulte (20 mg/kg/j en 4
perfusions intraveineuses de 2 heures). La pénicilline G à fortes doses n'est
plus recommandée.

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Conclusion

Les traitements antidotiques ont connu un regain d'intérêt ces dernières années.
Grâce à ces traitements spécifiques, certaines intoxications ont vu leur pronostic
transformé et d'autres leur prise en charge facilitée. Il faut néanmoins insister sur
l'importance fondamentale d'un traitement symptomatique bien conduit qui
précède et accompagne les autres phases (si elles sont justifiées) du traitement
en toxicologie : épuration du toxique et traitement antidotique.

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Principales références
Danel V, Tournoud C, Lheureux P, Saviuc P, Hantson P, Baert A, Nisse P. Les
antidotes. EMC, Elsevier Masson SAS, Paris, Médecine d'Urgence, 25-030-A-30,
2007.
Hantson P, Bédry R. Les antidotes. Réanimation 2006 ; 15 : 383-389.
Mégarbane B, Donetti L, Blanc T, Chéron G, Jacobs F. Groupe d'experts de la
SRLF. Intoxications graves par médicaments et substances illicites en
réanimation. Réanimation 2006 ; 15 : 322-332.
Analyse Toxicologique En Urgence

Jean-Pierre Goullé

Élodie Saussereau

Christian Lacroix

L'analyse toxicologique en urgence doit répondre à une préoccupation


première : la prise en charge optimale du malade. Pour des raisons évidentes et
bien admises aujourd'hui, le bilan biologique de routine réalisé à l'entrée du
patient prime toujours sur l'analyse toxicologique. Ainsi, dans une intoxication
par anticoagulant, la recherche et le dosage de l'anticoagulant ne sont pas
nécessaires à la prise en charge du malade et à la mise en œuvre d'un
traitement, alors que le taux de prothrombine (TP) et le rapport normalisé
international (INR) sont des marqueurs biologiques indispensables. En cas
d'intoxication par cyanures (incendie, ingestion de cyanure), les lactates et les
gaz du sang sont deux examens biologiques essentiels. La lactatémie supérieure
à 10 mmol/l constitue un signe de gravité alors que le dosage des cyanures,
même s'il est utile, n'est pas nécessaire à la prise en charge du patient, ni à
l'instauration d'un traitement précoce par un antidote. Dans une hypoglycémie
secondaire à une ingestion de médicament hypoglycémiant, si l'identification
de l'agent causal est indispensable pour le diagnostic, pH, lactates, glycémie et
« trou anionique » doivent être réalisés en première intention. Ces éléments sont
suffisants pour perfuser le malade sans délai. De plus, la recherche systématique
de tous les xénobiotiques susceptibles d'être à l'origine d'une intoxication n'est
pas réaliste. La démarche doit donc être progressive. Elle associe
obligatoirement le clinicien et le biologiste, dans un dialogue permettant
d'orienter les examens toxicologiques en fonction de l'anamnèse, de la
symptomatologie clinique présentée par le malade et des possibilités
analytiques du laboratoire. Ceci montre bien l'importance et l'intérêt mais aussi
les limites de l'analyse toxicologique en urgence. Les causes d'intoxications se
sont diversifiées mais les médicaments occupent aujourd'hui la première place.
Quant à l'évolution des ordonnances médicales, on note que les
benzodiazépines et dérivés apparentés ont remplacé les barbituriques et que le
paracétamol est maintenant beaucoup plus prescrit que l'aspirine. On assiste
également à une nette progression de l'utilisation des drogues, du cannabis en
particulier, chez les adolescents.

En ce qui concerne l'analyse toxicologique, au cours des quinze dernières


années, les progrès analytiques ont été considérables. À l'heure actuelle,
pratiquement tous les toxiques peuvent être identifiés et quantifiés dans les
milieux biologiques. Les détecteurs de masse simples (SM) ou multi-étages
(SM/SM), c'est-à-dire avec plusieurs spectromètres de masse en série pour
améliorer leurs performances, s'imposent en tant que détecteurs universels, qu'ils
soient couplés à un chromatographe en phase gazeuse (CG-SM et CG-SM/SM),
en phase liquide (CL-SM et CL-SM/SM) ou associés à un plasma à couplage
inductif (PCI-SM). Cependant, un nombre limité de molécules sont accessibles
dans un délai compatible avec une décision thérapeutique. Dans ces cas, le
dosage sanguin permet de confirmer l'intoxication et de valider le recours à un
traitement par antidote lorsque celui-ci existe : N-acétylcystéine dans
l'intoxication au paracétamol, fomépizole dans l'intoxication par l'éthylène
glycol ou le méthanol, Fab antidigoxine dans l'intoxication à la digoxine, par
exemple. Dans d'autres cas, le temps de réponse pour l'analyse du toxique est
incompatible avec la nécessité d'un traitement médical par un antidote,
comme l'hydroxocobalamine dans l'intoxication cyanhydrique. Dans ces
situations, divers marqueurs biologiques rapidement disponibles sont
extrêmement précieux et permettent une prise en charge médicale optimale
de l'intoxiqué : pH et lactates dans l'intoxication par cyanures ; numération, taux
de prothrombine et complexes solubles dans l'intoxication par la colchicine par
exemple. Enfin, dans certaines intoxications, les marqueurs biologiques
n'éclairent pas le clinicien sur l'origine de l'intoxication, même s'ils sont utiles dans
le traitement symptomatique ; seule l'analyse toxicologique permettra de
préciser la nature de l'agent causal. Ceci montre bien la nécessité de procéder,
dans un tel contexte, à des prélèvements conservatoires dès la prise en charge
du malade.

Prélèvements

Il s'agit d'un point extrêmement important. En effet, la qualité de la réponse


analytique est étroitement liée à la qualité des prélèvements. Il faut toujours
disposer du bon prélèvement au bon moment. Ainsi, l'analyse d'un prélèvement
sanguin tardif dans une intoxication au méthanol ou à l'éthylène glycol pourra
s'avérer négative, mais il faudra penser à rechercher les métabolites
correspondants : l'acide formique et l'acide glycolique. De plus, certains
toxiques ont une demi-vie très brève dans le sang : 20 minutes pour la colchicine
par exemple. Pour ces raisons, nous recommandons dans toute suspicion
d'intoxication, quel que soit le contexte (tentative de suicide, soumission
chimique, empoisonnement), la réalisation de prélèvements à visée
conservatoire ( Tab. 1 ). Ces prélèvements doivent comporter au minimum du
sang et des urines. Ils seront éventuellement analysés en fonction du contexte et
de l'évolution de l'intoxication. Ceci devrait être non plus une recommandation
mais une obligation dans les hôpitaux où les laboratoires ne conservent pas les
échantillons une semaine à 4 °C. Le délai de transmission des prélèvements vers
la structure de biologie doit également être aussi bref que possible. À cette fin,
l'usage d'un circuit pneumatique pour acheminer les prélèvements le plus
rapidement possible s'avère pertinent et semble se généraliser dans les
établissements où cela est possible.

Le prélèvement conservatoire : quand ?

Le résultat est utile pour le diagnostic de certitude de l'intoxication

Le trouble ou l'altération de l'état général peuvent avoir une origine toxique

Le dosage présente un intérêt au niveau de la prise en charge


thérapeutique (antidotes…) et de la toxicocinétique

Le suivi de l'évolution de l'intoxication et l'efficacité du traitement correcteur


sont nécessaires (toxiques cardiotropes, toxiques dialysables…)
Le caractère particulier de l'intoxication revêt une importance
épidémiologique

L'observation est susceptible d'avoir une incidence médico-légale

Il existe une pathologie récidivante inexpliquée

Le prélèvement conservatoire : quels échantillons ?

Sang : 2 × 5 ml (pour analyse sur sang total et plasma) sur héparinate de


lithium (sauf en cas de suspicion ou d'intoxication avec un sel de lithium)
sans gel séparateur1

Urines : 20 à 30 ml sur un flacon neutre sans additif ni conservateur, en


notant la diurèse des 24 heures

Cheveux : plus tardivement et en fonction du contexte


1. Le prélèvement peut être conservé à + 4 °C si l'analyse est réalisée dans
les 5 jours.

Sang

Ce milieu présente une importance capitale dans le cadre de l'analyse


toxicologique en urgence car il existe le plus souvent un lien étroit entre la
concentration d'un xénobiotique dans le sang et sa teneur dans les cellules et,
par voie de conséquence, entre sa concentration sanguine et ses effets
cliniques. Il est facile à recueillir. Par ailleurs, l'interprétation des résultats obtenus
permet d'apprécier, dans la majorité des cas, la gravité de l'intoxication. En
effet, les concentrations thérapeutiques ou pouvant avoir une conséquence
toxique sont connues pour les médicaments, mais également pour un grand
nombre d'autres xénobiotiques. Bien entendu, l'interpré tation finale des résultats
doit tenir compte du niveau d'usage des médicaments, en particulier s'il s'agit
d'un sujet traité ou d'un sujet naïf, mais également de la présence de plusieurs
substances, médicamenteuses ou non, du terrain et de l'existence éventuelle
de tares associées.

Urines

Par ordre d'importance, il s'agit du second milieu à prendre en considération en


toxicologie. Son analyse peut intervenir en complément des investigations
réalisées dans le sang, en particulier lorsque ces dernières sont négatives ou
qu'elles ne permettent pas d'expliquer la symptomatologie clinique présentée
par le malade. Dans un certain nombre de cas, tant l'analyse toxicologique de
première intention par immuno-analyse que la mise en œuvre de techniques
chromatographiques séparatives utilisées dans un contexte de dépistage ont
une sensibilité insuffisante lorsqu'elles sont appliquées au sang. L'analyse urinaire
peut alors s'avérer déterminante car elle va permettre facilement d'identifier le
ou les toxiques en cause. Il s'agit de toutes les intoxications où les principes actifs
et/ou métabolites sont présents dans le sang à de faibles concentrations. Dans
ces situations, l'analyse du premier recueil urinaire par les techniques
chromatographiques séparatives permet d'identifier plus facilement le ou les
toxiques en cause. En effet, les urines, voie majeure d'élimination de
nombreuses substances, présentent la particularité de concentrer un grand
nombre de xénobiotiques ainsi que leurs métabolites. Par ailleurs, composées à
99% d'eau, elles ne contiennent ni éléments figurés, ni protéines, ni lipides,
autant de substances gênantes pour le toxicologue, et constituent de ce fait le
milieu d'analyse idéal. De plus, elles sont disponibles en grande quantité et les
recherches peuvent être réalisées sur des volumes importants.

Il est enfin un domaine particulier où l'analyse urinaire est non seulement


prioritaire, mais également indispensable, il s'agit de la soumission chimique.

Autres milieux biologiques, phanères

L'examen du contenu gastrique, sauf cas particulier, n'a plus sa place dans la
recherche d'une intoxication. L'analyse des cheveux, en revanche, est
indispensable dans un certain nombre de circonstances, mais celle-ci peut être
réalisée de manière différée. Les cheveux poussent en moyenne de 1 cm par
mois, chaque centimètre étant le reflet de l'exposition aux xénobiotiques qui
sont incorporés dans la matrice protéique du cheveu via le torrent circulatoire.

Analyse de l'air expiré : cas de l'éthanol

Dans un service d'urgence, l'analyse de l'air expiré à l'aide d'un éthylotest


électronique peut s'avérer utile pour confirmer ou infirmer rapidement une
intoxication alcoolique.

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Techniques analytiques

Si l'équipement analytique et les paramètres mesurés à la disposition du


toxicologue n'ont pas beaucoup évolué en ce qui concerne l'immuno-analyse
au cours des 15 dernières années ( Tab. 2 ), en revanche des progrès très
importants ont été réalisés grâce aux méthodes chromatographiques dans le
domaine du dosage des xénobiotiques ( Tab. 3 ). Avec la CL-SM/SM et la CG-
SM/SM, nous disposons désormais de techniques dont la sensibilité extrême
permet de quantifier la plupart des substances à l'origine d'une intoxication
avec une grande fiabilité et à des niveaux de concentration particulièrement
faibles, qu'il s'agisse de médicaments, de drogues, voire de pesticides. En ce qui
concerne les poisons minéraux, métaux, métaux lourds, métalloïdes,
lanthanides, uranides, la PCI-SM constitue la technique de choix. Avec la
généralisation de ce type d'équipements dans un nombre croissant de
laboratoires, peu de toxiques échappent désormais à l'analyse.

Sérum, plasma

Acide valproïque (IA) Lithium (ES)


Antidépresseurs tricycliques (IA) Méprobamate (CPG)

Benzodiazépines (IA) Méthanol (CPG, E)

Carbamazépine (IA) Méthémoglobine (GDS)

Carboxyhémoglobine (GDS) Méthotrexate (IA)

Cholinestérases (E) Paracétamol (IA)

Digoxine (IA) Phénobarbital (IA)

Digitoxine (IA) Phénytoïne (IA)

Éthanol (E) Propoxyphène (IA)

Éthylène glycol (E) Salicylés (IA)

Fer (C) Théophylline (IA)

Isopropanol (CPG)

Urines

Amphétamine et dérivés (IA) EDDP (méthadone métabolite)


(IA)
Buprénorphine (IA)
Méthadone (IA)
Cannabis métabolite (IA)
Opiacés1 (IA)
Cocaïne métabolite (IA)
6-MAM (héroïne métabolite) (IA)
1.La buprénorphine et la méthadone ne sont pas détectées avec les
opiacées. C : colorimétrie ; CPG : chromatographie en phase gazeuse ; E :
enzymologie ; ES : électrode sélective ; GDS : gaz du sang ; IA : immuno-
analyse.

CG-DIF Alcools, méprobamate

(GC-FID)

CG-ET-DIF Alcools, solvants, substances volatiles (acétone…)

(GC-HS-FID)

CG-ET-SM

(GC-HS-MS)

CG-SM Dépistage urinaire : médicaments et métabolites


ainsi que de nombreux xénobiotiques
(GC-MS) (bibliothèques jusqu'à 120 000 substances)

Dépistage plasmatique ou sanguin : médicaments


et xénobiotiques Dosage des 4 principales familles
de drogues

CG-SM/SM Dosage des cannabinoïdes. Technique adaptée


aux faibles concentrations (sang, cheveux)
(GC-MS/MS)

CL-BD Dépistage plasmatique ou sanguin : médicaments


et divers xénobiotiques (bibliothèques jusqu'à 1 000
(LC-DAD) substances) Dosage plasmatique ou sanguin :
médicaments

CL-SM Dosage plasmatique ou sanguin : médicaments


(méprobamate compris) et métabolites, pesticides
(LC-MS)

CL-SM/SM Dosage plasmatique ou sanguin : médicaments


(méprobamate compris) et métabolites, pesticides,
(LC-MS/MS) toxiques végétaux. Technique adaptée aux faibles
concentrations

Dosage des drogues (amphétamines, cocaïniques,


opiacés)

Dosage des stupéfiants de prescription

Recherche de soumission chimique

PCI-SM Dosage mono ou multi-élémentaire (plasma, sang,


urines) Al, Sb, Ag, As, Ba, Be, Bi, B, Cd, Cr, Co, Cu,
(ICP-MS) Sn, Ga, Gd, Ge, La, Li, Mn, Hg, Mo, Ni, Pb, Pt, Pb, Rb,
Se, Sr, Te, Ti, W, U, V, Zn

CG-DIF : chromatographie gazeuse couplée à un détecteur à ionisation de


flamme.

CG-ET-DIF et CG-ET-SM : chromatographie gazeuse selon la technique


d'espace de tête couplée à un détecteur à ionisation de flamme ou à un
détecteur de masse.

CG-SM: chromatographie gazeuse couplée à un détecteur de masse.

CG-SM/SM : chromatographie gazeuse couplée à une détection de masse


multi-étages.

CL-BD : chromatographie liquide couplée à une barrette de diodes.

CL-SM et CL-SM/SM: chromatographie liquide couplée à un détecteur de


masse ou à une détection de masse multi-étages.

PCI-SM: plasma à couplage inductif couplé à un spectromètre de masse.


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Principales références
Capolaghi B, Moulsma M, Houdret N, Baud FJ. Stratégies analytiques en
toxicologie d'urgence. Ann Toxicol Anal 2000 ; 12 : 274-281.
Goullé JP, Lacroix C. L'analyse toxicologique à l'aube du 3e millénaire. Ann Biol
Clin 2001 ; 59 : 605-612.
Goullé JP, Lhermitte M, Bartoli M, et al. Biomarqueurs de toxicité et anomalies
métaboliques dans les principales intoxications graves. Symptomatologie
clinique et toxique. Le prélèvement conservatoire. Ann Biol Clin 2003 ; 61 : 421-
433 et Ann Toxicol Anal 2003 ; 15 : 208-220.
Malandain H, Cano Y. Rôle du laboratoire dans les intoxications aiguës par un
alcool ou un glycol. Toxicorama 1999 ; 11 : 13-26.
Mégarbane B, Baud F. Intoxications aiguës médicamenteuses. EMC Toxicologie
Pathologies Professionnelles 2002, 16-001-G-10, 31 p.
Aspects Médico-Légaux

Régis Bédry

Sophie Gromb

Problèmes médico-légaux de la prise en charge des suicidants : où est la limite


?

Le code civil précise : « Le consentement de l'intéressé doit être recueilli


préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention
thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir » (article 16-3 du
Code civil, modifié par la loi no 2004-800 du 6 août 2004, article 9). La nécessité
d'intervention médicale thérapeutique, son consentement par le patient et le
devoir d'information loyale, claire et appropriée sont indispensables (articles 35,
36 et 42) : « lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les
investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus
après avoir informé le malade de ses conséquences » (article 36 et dans la
Charte du patient hospitalisé).

Il en découle que :

 si le patient ne peut exprimer clairement sa volonté, du fait d'une


imprégnation toxique à la suite d'une tentative de suicide, une prise en
charge thérapeutique peut lui être imposée, à condition que la personne
de confiance, un membre de sa famille, le tuteur légal ou un proche ait
été informé des soins nécessaires ;
 si le patient a récupéré des conséquences somatiques de sa prise de
toxique, il est alors pleinement conscient et a le droit de refuser toute prise
en charge somatique, psychiatrique ou sociale.

En cas de problème médico-légal, la base du raisonnement des magistrats est


le respect de la raison proportionnée : la réponse médicale est-elle nécessaire
et proportionnée à la pathologie présentée ?

Ici l'information donnée par le praticien a donc une importance capitale, car il
a l'obligation de tout mettre en œuvre pour convaincre le patient d'accepter
les soins.

Ces explications doivent concerner la nature des soins proposés et les


conséquences en cas de non-réalisation de ces soins. Elles doivent être
répétées et consignées dans le dossier médical : c'est au médecin ou à
l'établissement de santé de prouver que l'information a été donnée. Un
document de décharge ne constitue pas une exemption de responsabilité mais
reste un élément supplémentaire montrant qu'une information a réellement été
donnée.

Si l'information est correctement donnée et si le médecin respecte la décision


de son patient, il n'encourra pas de poursuites pour non-assistance à personne
en danger (Cassation Criminelle 3 janvier 1973, Bull. Crim. no 2).

Il n'y a donc pas de réponse toute prête : c'est une responsabilité éthique. En
cas de refus de soins, certains médecins laissent partir le patient avec un
proche, avec des recommandations de consultation psychiatrique et un appel
au médecin traitant l'avertissant d'un éventuel risque de récidive ; d'autres
utilisent une manière plus coercitive avec une contention chimique suivie d'un
transfert en service de psychiatrie.

Dans ce dernier cas, une hospitalisation sous la contrainte est nécessaire. Il s'agit
de l'hospitalisation à la demande d'un tiers (HDT) ou de l'hospitalisation d'office
(HO), déterminées par la loi du 27 juin 1990 (JO du 30/06/1990 et Code de santé
publique - CSP - : articles L.3211 à L.3214) et leurs circulaires d'application des 5
septembre 1990 et 13 mai 1991 :

 HDT: le tiers peut être un proche, une personne agissant dans l'intérêt du
patient (sauf le personnel soignant en charge du patient) ou une
assistante sociale. Si le tiers ne sait pas écrire, la demande est reçue par le
directeur de l'établissement. En cas de patient mineur, cette procédure
n'a pas de support légal et le responsable légal doit prendre la
responsabilité de l'hospitalisation. Si le tiers est tuteur ou curateur, il doit
fournir un extrait du jugement de mise sous tutelle ou sous curatelle. La
demande d'HDT est valable 15 jours et doit être accompagnée de deux
certificats médicaux (l'un d'un médecin extérieur à l'établissement
hospitalier et l'autre pouvant émaner d'un praticien de l'établissement),
sauf en cas de péril imminent (article L.3213-3 du CSP) : un seul certificat
médical est alors possible à condition qu'il mentionne et justifie ce péril.
Les médecins réalisant ces certificats doivent être inscrits au Conseil de
l'Ordre mais ne peuvent établir ces documents s'ils exercent dans
l'établissement d'accueil (pour le premier certificat), s'ils sont parents ou
alliés au quatrième degré inclusivement, ni entre eux, ni des directeurs des
établissements, ni de la personne ayant demandé l'hospitalisation ou de
la personne hospitalisée (article L.3212-1) ;
 HO: réalisée lorsque les patients compromettent l'ordre public et la
sécurité des personnes. Il s'agit alors d'une procédure administrative prise
par le préfet du département. Il prononce l'HO au vu d'un certificat
médical n'émanant pas d'un psychiatre exerçant dans l'établissement
accueillant le malade. En cas d'urgence, mentionnée sur le certificat, le
maire peut prendre un arrêté provisoire. Le préfet devra alors statuer sur
cet arrêté dans les 24 heures, faute de quoi il devient caduc au bout de
48 heures. Le même type de certificat « immédiat » que précédemment
est établi par le psychiatre.

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Mort toxique et certificat de décès

Le suicide fait partie des morts violentes et doit systématiquement amener à


cocher la case « obstacle médico-légal » sur le certificat de décès, même si le
caractère suicidaire est évident : le médecin n'a pas à statuer sur la cause
suicidaire de la mort qui ne peut être confirmée que par une enquête de police
et certaines investigations médico-légales, dont l'autopsie. La réalisation d'un
certificat attestant que la mort est d'origine naturelle, dans le cas d'un suicide,
peut entraîner des sanctions disciplinaires et/ou judiciaires.
Enfin, il est possible de réaliser des prélèvements d'organe, à visée
thérapeutique, chez les patients décédés de mort toxique, même en cas de
problème médico-légal. Ils ne sont réalisés qu'après l'accord du procureur de la
République ou du juge d'instruction, et sous certaines conditions (arrêté du 27
février 1998 publié au JO du 27 mars 1998).

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Réquisition d'un médecin (examen médical, prise de sang)

La réquisition est une injonction faite par les autorités policières ou judiciaires
d'avoir à exécuter une mission d'ordre médico-légal, prévue par les articles 60 et
77-1 du Code de procédure pénale. Les médecins sont obligés d'obéir aux
réquisitions de l'autorité publique (article L.4163-7, alinéa 2 du CSP).

Il peut s'agir d'examens médicaux, de prises de sang ou d'analyses. Les policiers


n'assistent pas aux examens médicaux mais sont présents lors des prélèvements
biologiques dans les limites de la décence.

Le médecin ne peut refuser de répondre à une réquisition que dans certains


cas, qu'il devra justifier auprès des autorités :

 il a lui-même déjà donné des soins à la personne qu'il doit examiner. Il doit
s'agir alors d'un examen médical car il ne peut pas refuser d'effectuer un
acte technique comme une prise de sang. Il ne peut pas refuser
également s'il est le médecin local et que lui seul est disponible ;
 il estime que la personne concernée n'est pas en état de subir l'examen
ou le prélèvement demandé ;
 il ne s'estime pas en état d'effectuer la mission (inaptitude physique
justifiée et constatée) ;
 il n'a pas les compétences requises pour effectuer la mission qui lui a été
confiée (article R.4127-106 du CSP) ;
 la mission met en jeu ses propres intérêts ou ceux de ses proches ou amis
ou ceux d'un groupement qui fait habituellement appel à ses services.

Une fois requis, le médecin doit :

 remplir personnellement la mission (pas de délégation) ;


 respecter la confidentialité de l'examen ;
 informer la personne qu'il doit examiner de sa mission ;
 donner un compte rendu exact de ses observations à l'autorité
requérante dans la limite des questions posées.

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Découverte de stupéfiant à l'hôpital

La détention de stupéfiants est un délit (article 222-37 du Code pénal).

La direction de l'hôpital doit confisquer la drogue, la mettre dans un coffre et


avertir le procureur de la République du délit mais ne peut révéler l'identité du
patient (article 40 du Code de procédure pénale). La procédure est identique
en cas de découverte d'une arme.

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Soumission chimique

Il s'agit d'un acte qui consiste à rendre une personne vulnérable, en lui donnant
à son insu un produit actif dans le but de lui infliger un préjudice autre que la
mort par empoisonnement.

Il est très difficile de prouver la soumission chimique car il faudrait pouvoir


distinguer par des analyses pharmacologiques ou toxicologiques si la substance
retrouvée :

 a été ingérée volontairement ;


 faisait partie du traitement habituel de la victime ;
 a été ingérée après l'acte délictuel.

Les caractéristiques de cette substance sont d'être inodore, incolore, sans


saveur, d'effet rapide avec un effet amnésiant, indétectable (ou du moins
difficilement) et d'élimination rapide. Il est donc indispensable que des
prélèvements soient réalisés très rapidement après l'intoxication. La demande
doit être motivée car l'analyste peut « rater » l'analyse s'il n'est pas au courant
de la possibilité d'une soumission chimique (le screening « classique » peut être
négatif).

La victime ne veut pas forcément porter plainte. Les prélèvements sont alors
utilisés dans le cadre des soins et de l'aide à la victime (pour lui prouver qu'il n'y
a pas de doute sur l'origine des troubles présentés).

Bien qu'aucun symptôme ne soit spécifique, certains éléments permettent


d'évoquer une soumission chimique :

 une amnésie, typiquement antérograde et lacunaire (à partir d'un


moment précis, durant quelques heures et s'arrêtant à un autre moment
également précis), qu'il faut analyser (confusion mentale ? absence de
caractère rétrograde ? un test de MMS - Mini Mental Score - peut être
utile ici). Il est important de préciser si la consultation est réalisée pendant
cette période d'amnésie ou après que le sujet a recouvré ses esprits ;
 une somnolence qui se manifeste dès que l'attention, stimulée par le
médecin, n'est plus soutenue ;
 ces éléments sont quelquefois associés à des vertiges, un étourdissement,
une difficulté à se concentrer, une hypotonie avec abolition des réflexes
ostéotendineux (évocateurs de la présence de benzodiazépines)… ;
 d'autres éléments : les circonstances (ambiance festive…), le souvenir
d'avoir bu, mangé ou fumé avant l'épisode d'amnésie, l'existence d'un
préjudice physique ou matériel…

L'élément essentiel de la confirmation est le résultat des prélèvements. Ils


doivent être réalisés le plus rapidement possible après l'agression, selon le
protocole recommandé par la conférence de consensus de la Société
Française de Toxicologie Analytique en 2003 :
 immédiatement :
 sang : 15 ml (1 flacon alcoolémie, avec conservateur EDTA, et 3
tubes de 5 ml sur anticoagulant) ;
 urines : 30 ml (1 flacon type ECBU, à l'abri de la lumière) ;
 échantillon susceptible d'avoir contenu le produit psychoactif
(boisson, récipient, nourriture, comprimés, poudre…);
 3 à 5 semaines après les faits : cheveux (2 ou 3 mèches de 100 cheveux,
liées et orientées par un fil à la racine, coupées au ras du cuir chevelu).

Les prélèvements doivent être analysés le plus vite possibles ou conservés (sang
et urines à −20 °C, cheveux au sec à température ambiante).

Ils doivent systématiquement être accompagnés d'une fiche de liaison entre le


clinicien et le toxicologue (et si possible un contact téléphonique entre les deux)
sur laquelle sont précisés :

 l'anamnèse des faits (ou les circonstances qui ont fait émettre l'hypothèse
de soumission chimique) ;
 la date et l'heure supposée des faits et des prélèvements ;
 le(s) traitement(s) habituel(s) de la victime ;
 la consommation éventuelle de produits stupéfiants ;
 la notion d'un éventuel traitement (sédatif, anxiolytique…) depuis les faits.

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Principales références
Bédry R, Gromb S, Ramonatxo T, Hantson P, Goyon P. Problèmes médico-légaux
des intoxications de l'adulte. Réanimation 2005 ; 14 : 727-735.
Hantson P, de Tourtchaninoff M, Mahieu P, Guérit JM. Prélèvements d'organes
consécutifs aux décès par intoxication : expérience et problèmes
diagnostiques. Réanim Urg 2000 ; 9 : 197-209.
Kintz P. Soumission chimique : prise en charge toxicologique. Consensus de la
Société Française de Toxicologie Analytique (SFTA). J Med Leg Droit Med 2003 ;
46 : 505-509.
Oliveira A, Dumestre V, Auriacombe S, et al. Drogué à son insu : aspects
cliniques et toxicologiques de la soumission chimique. J Med Leg Droit Med 2003
; 46 : 23-30.
Benzodiazépines et ApparentéS

Vincent Danel

Les benzodiazépines ont des propriétés anxiolytiques, hypnotiques, sédatives,


myorelaxantes et anticonvulsivantes. Ces propriétés sont communes à toutes les
benzodiazépines, mais à des degrés divers selon la molécule, ce qui détermine
leur utilisation spécifique. Les benzodiazépines sont également amnésiantes, ce
d'autant plus que la dose est importante et le traitement prolongé.

Les benzodiazépines sont prescrites essentiellement pour leur activité


hypnotique ou anxiolytique ( Tab. 1 ). Responsables de l'apparition d'une
dépendance physique et psychique, leur durée de prescription doit être
strictement limitée. L'activité myorelaxante n'apparaît qu'à fortes doses, sauf
pour le tétrazépam (Myolastan®).

L'activité anticonvulsivante n'existe que pour le diazépam, le clonazépam et le


clobazam. Seuls le diazépam et le clonazépam sont utilisés dans cette
indication. Les molécules apparentées comme le zolpidem et la zopiclone sont
à rapprocher des benzodiazépines sur le plan toxicologique.

Pharmacologie

La résorption digestive est rapide et presque complète. Le pic plasmatique est


normalement atteint en 0,5 à 3 heures à doses thérapeutiques ; il peut être
retardé après ingestion d'une dose massive. La fixation protéique est importante
(85-99 %). La liposolubilité importante des benzodiazépines explique leur grande
diffusion tissulaire et des volumes de distribution élevés. Le métabolisme est
exclusivement hépatique (déméthylation et conjugaison) avec, pour certaines
molécules, formation de métabolites actifs (desméthyldiazépam, oxazépam…)
éliminés sous forme conjuguée inactive dans les urines. Les demi-vies des
benzodiazépines (métabolites actifs compris) sont très variables d'une molécule
à l'autre, de 3 à 70 heures, et ne rendent qu'imparfaitement compte de la
durée d'action de la molécule et de ses métabolites. L'élimination rénale ne
concerne que des métabolites inactifs. Il faut insister sur l'élimination parfois très
prolongée des benzodiazépines chez le sujet âgé, ce qui explique l'évolution
parfois très lente des symptômes, sur plusieurs jours, après un surdosage
thérapeutique ou accidentel ou après une intoxication. L'épuration rénale ou
extrarénale des benzodiazépines ne présente aucun intérêt.

Benzodiazépines hypnotiques

Demi-vie de 5 à 10 heures

Loprazolam Havlane®

Lométazépam Noctamide®

Témazépam Normison®

Demi-vie de 15 à 30 heures
Estazolam Nuctalon®

Flunitrazépam Rohypnol®

Nitrazépam Mogadon®

Benzodiazépines anxiolytiques

Demi-vie de 5 à 24 heures

Alprazolam Xanax®

Bromazépam Lexomil®, Anxyrex®, Quiétiline®

Clotiazépam Vératran®

Lorazépam Temesta®

Oxazépam Seresta®

Tofisopam Sériel®

Demi-vie supérieure à 24 heures

Clobazam Urbanyl®

Clorazépate Tranxène®

Diazépam Valium®

Loflazépate d'éthyle Victan®

Nordazépam Nordaz®

Prazépam Lysanxia®

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Intoxication aiguë

Symptomatologie

En l'absence d'association à d'autres toxiques, on peut observer, à la phase


initiale, des troubles du comportement avec agitation, désinhibition, agressivité,
ébriété. L'apparition de ces troubles est d'autant plus précoce que la molécule
est plus sédative.

On constate plus fréquemment dans les heures qui suivent l'intoxication :

 une dépression du système nerveux central, avec obnubilation, hypotonie


musculaire, somnolence jusqu'à un état de coma rarement profond. Un
coma profond doit faire rechercher une association à d'autres
psychotropes ou à de l'alcool ;
 une dépression respiratoire le plus souvent modérée. L'inhalation
bronchique est peu fréquente dans l'intoxication par benzodiazépines
seules ;
 de discrètes perturbations hémodynamiques : tachycardie, hypotension
artérielle modérée. Une bradycardie peut être constatée avec le
flunitrazépam.

Le pronostic est le plus souvent favorable et les décès sont exceptionnels.


Cependant, la symptomatologie peut être beaucoup plus marquée :

 lorsque la dose ingérée est importante, très supérieure à la dose toxique


théorique ;
 lorsque la molécule est très sédative, flunitrazépam en particulier ;
 en cas d'antécédents médicaux : insuffisance rénale chronique,
insuffisance hépatique et, surtout, insuffisance respiratoire (quelques
comprimés sont suffisants pour décompenser une insuffisance respiratoire
chronique) ;
 lors d'une association avec d'autres médicaments dépresseurs du système
nerveux central ou avec de l'alcool, qui potentialisent les effets des
benzodiazépines.

Les doses toxiques théoriques sont différentes d'une molécule à l'autre et


peuvent varier pour une même molécule en fonction de l'âge, des antécédents
et de la tolérance du sujet ; on peut citer par exemple chez l'adulte :

 bromazépam : 180 mg ;
 clorazépate : 500 mg;
 diazépam : 500 mg ;
 flunitrazépam : 10 mg ;
 loprazolam : 10 mg ;
 lorazépam : 100 mg;
 nitrazépam : 100 mg ;
 oxazépam : 500 mg.

Analyse toxicologique

Elle n'a aucune incidence sur la prise en charge et se limite en routine à une
simple recherche qualitative (méthode immunochimique) dans le sang et les
urines ; son réel intérêt est très discutable. Il n'existe pas de corrélation entre les
concentrations sanguines et la clinique : la demande de dosage n'a donc que
peu d'intérêt, en dehors d'une étude cinétique, et n'a aucune incidence sur le
traitement.

Traitement

À dose toxique ou en présence de signes de gravité, l'hospitalisation s'impose


par des moyens appropriés, médicalisés ou non, en fonction de la dose, de
l'état clinique, du délai entre la prise du toxique et la découverte du patient.

Traitement symptomatique

Le traitement symptomatique est suffisant dans la majorité des cas. Le lavage


gastrique n'est pas indiqué. Dans les intoxications vues précocement, une dose
unique de 50 g de charbon activé peut être administrée ; toutefois, son
efficacité n'a pas été démontrée en clinique humaine. Un état de coma
impose bien sûr une intubation trachéale et une ventilation assistée. L'épuration
rénale ou extrarénale n'a aucun intérêt.

L'évolution d'une intoxication non compliquée par benzodiazépines seules chez


l'adulte jeune est favorable en moins de 48 heures. Elle peut être prolongée
après ingestion d'une dose massive d'une benzodiazépine à longue demi-vie
d'élimination et/ou chez le sujet âgé, en particulier du fait de l'effet myorelaxant
prolongé des benzodiazépines à fortes doses. Un syndrome de sevrage peut
apparaître au décours de l'intoxication chez un patient traité depuis plusieurs
semaines par benzodiazépines.

Traitement spécifique

Depuis 1987 est commercialisé le flumazénil (Anexate®), sous forme injectable


(ampoules de 5 ml = 0,5 mg et de 10 ml = 1 mg). C'est un antagoniste pur et
spécifique des benzodiazépines au niveau de leurs récepteurs cérébraux, sans
effet pharmacologique propre. Il est également efficace sur la zopiclone
(Imovane®) et le zolpidem (Stilnox®). L'effet clinique est rapide et spectaculaire,
de 30 secondes à 3 minutes.

Le flumazénil est indiqué dans les intoxications isolées aux benzodiazépines et


molécules apparentées (zolpidem, zopiclone) avec présence d'un coma
nécessitant une assistance ventilatoire. Le flumazénil ne doit pas être administré
en routine chez les patients en coma d'étiologie indéterminée (coma non
toxique ou toxique non connu) ou chez les patients pour lesquels une
intoxication par plusieurs substances ne peut être exclue.

Le flumazénil est contre-indiqué chez les patients présentant des antécédents


épileptiques ou qui ont ingéré des agents pro-convulsivants (antidépresseurs par
exemple).

L'administration de flumazénil doit être titrée et effectuée sous surveillance


clinique. Le schéma recommandé est l'administration d'une dose initiale de 0,3
mg en 1 minute, suivie de doses additionnelles de 0,1 mg par minute jusqu'à une
dose cumulative de 1-2 mg. L'absence de réponse clinique audelà de 2 mg
remet en cause le diagnostic d'intoxication pure aux benzodiazépines.

Il n'existe aucune étude validant l'administration de flumazénil en perfusion


continue. Cette pratique impose une surveillance prolongée dans une unité de
surveillance continue.

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Principales références
Bouvard E, Damelincourt S, Cocheton JJ, Meyniel D. Intoxication
médicamenteuse volontaire par les benzodiazépines chez les personnes âgées.
Réanimation, soins intensifs, médecine d'urgence 1997 ; 13 : 87-89.
Gaudreault P, Guay J, Thivierge RL, Verdy I. Benzodiazepine poisoning. Clinical
and pharmacological considerations and treatment. Drug Saf 1991 ; 6 : 247-265.
Hanna J, Hardy G, Danel V. Flumazénil. Médecine Thérapeutique 2000 ; 6 : 150-
154.
Seger DL. Flumazenil, treatment or toxin. J Toxicol Clin Toxicol 2004 ; 42 : 209-216.
Carbamates (Méprobamate)

Vincent Danel

Les carbamates médicamenteux, dont le seul représentant actuel est le


méprobamate (Équanil® Mépronizine®), ont des effets sédatifs, anxiolytiques,
myorelaxants et hypnotiques (à fortes doses). Le méprobamate est un inducteur
enzymatique puissant (interactions médicamenteuses). Il peut entraîner une
dépendance physique et psychique lors de traitements prolongés.

Pharmacologie

L'absorption digestive du méprobamate est variable ; de plus, la formation de


conglomérats intragastriques a souvent été rapportée, expliquant des
évolutions prolongées ou triphasiques : la reprise de l'absorption intestinale au
moment de la reprise du transit entraîne la réapparition de la symptomatologie
après une phase de réveil. La demi-vie du méprobamate peut être prolongée,
de 6 à 16 heures en cas d'ingestion massive. La fixation protéique est de 20%; le
méprobamate se fixe de façon importante aux hématies. Le volume apparent
de distribution est de 0,75 l/kg. Le méprobamate est métabolisé à 90% par le
foie pour donner des dérivés hydroxylés et glucuroconjugués inactifs éliminés
par les urines. Même après l'ingestion d'une dose massive, le méprobamate est
totalement éliminé de l'organisme en 48 à 72 heures.

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Intoxication aiguë

En pratique, on est en présence d'un coma calme, de longue durée (24 à 72


heures), hypnotique, hyporéflexique, parfois hypothermique, avec mydriase
réactive ; des convulsions peuvent toutefois être observées. L'état de coma est
précédé d'une somnolence avec ébriété.

La survenue possible de troubles hémodynamiques et, parfois, d'un véritable


état de choc d'origine vasoplégique ou cardiogénique fait toute la gravité de
l'intoxication. Un œdème aigu du poumon peut s'observer en cas de
cardiopathie préexistante ou de remplissage excessif ou trop rapide.

La dose toxique théorique est d'environ 4 g. L'analyse toxicologique de routine


se limite à une recherche qualitative (colorimétrie), parfois difficile, dans le sang,
les urines et le liquide gastrique. Le dosage sanguin est réservé à certains
laboratoires ; des concentrations supérieures à 200 mg/l sont habituellement
corrélées à une intoxication grave.

L'électroencéphalogramme peut présenter des épisodes de silence électrique,


sans signification pronostique en l'absence d'un épisode hypoxique sévère
préalable. Le diagnostic d'état de mort cérébrale ne doit jamais être posé tant
que des carbamates sont présents dans le sang.

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Traitement
Le traitement est symptomatique dans la majorité des cas. Les indications
d'intubation et de ventilation artificielle sont larges afin d'éviter toute hypoxé
mie qui pourrait majorer les troubles hémodynamiques ou les convulsions.

Le charbon activé adsorbe bien les carbamates ; toutefois, son intérêt en


clinique humaine n'a pas été démontré. Les convulsions sont traitées de façon
conventionnelle (diazépam, clonazépam), après correction préalable d'une
éventuelle hypoxémie.

Le traitement d'un état de choc fait appel au remplissage de première


intention, sans dépasser 500 à 1 000 ml de solutés. L'absence d'effet bénéfique
doit conduire à l'administration d'amines sympathomimétiques.

Dans les cas difficiles, la mise en place d'une sonde de Swan-Ganz ou la


pratique d'une échocardiographie cardiaque peut permettre de préciser le
mécanisme du choc. L'épuration extrarénale par hémodialyse ou surtout
hémoperfusion a longtemps été recommandée dans les formes graves : état
clinique gravissime, ingestion d'une dose massive (> 30-40 g), concentrations
sanguines supérieures à 200 mg/l. Cependant, la quantité épurée restant dans
le meilleur des cas modeste, cette recommandation est rarement justifiée
actuellement.

Un syndrome de sevrage peut apparaître au décours de l'intoxication.

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Principales références
Bismuth C, Baud FJ, Galliot M, Du Fretay XH, De Kerviller E. Le métabolisme
hépatique du méprobamate : son estimation clinique dans l'intoxication aiguë.
J Toxicol Clin Exp 1985 ; 5 : 321-328.
Bismuth C, Pontal P. Part respective du lavage gastrique, de l'hémodialyse, de
l'hémoperfusion, de la diurèse et du métabolisme hépatique dans l'épuration du
méprobamate. Nouv Presse Méd 1982 ; 11 : 1557-1558.
Blanc I, Tichadou L, Bourdon JH, De Haro L, Hayek M, Arditti J. Intoxications
volontaires par le méprobamate. Suivi clinique et analytique des observations
colligées au centre antipoison de Marseille au cours du 1er semestre 2006. Ann
Toxicol Anal 2007 ; 19 : 151-152.
Brinquin L, Monsegu J, Carras P, Diraison Y, Bonsignour JP. Intoxication massive
par le méprobamate. JEUR 1991 ; 4 : 109-111.
Landier C, Lanotte R, Legras A, Dequin PF, Perrotin D. État de choc lors de
l'intoxication aiguë par le méprobamate. Six observations. Ann Fr Anesth Reanim
1994 ; 13 : 407-411.
Tirot P, Harry P, Bouachour G, et al. Silence électroencéphalographique au
cours d'une intoxication par carbamate tranquillisant. J Toxicol Clin Exp 1991 ; 11
: 417-420.
Lithium

Vincent Danel

Pharmacologie

Le lithium, essentiellement prescrit dans la psychose maniaco-dépressive sous


forme de carbonate de lithium (Téralithe®) ou de gluconate de lithium
(Neurolithium®), est un métal alcalin de faible poids moléculaire. À doses
thérapeutiques, le pic plasmatique est atteint entre la 2e et la 4e heure et la
concentration à l'équilibre en 5 à 6 jours. La liaison protéique est faible, voire
nulle. La diffusion tissulaire est très lente, le volume de distribution est de 0,9 à 1,2
l/kg, la demi-vie plasmatique est de 8 à 20 heures. L'élimination est rénale à 95%
sans métabolisme et il existe une compétition avec le sodium lors de la
réabsorption tubulaire : la déplétion sodée et les salidiurétiques aggravent la
toxicité du lithium. Un à deux tiers de la dose absorbée est éliminé dans les
urines en 6 à 12 heures, le reste étant excrété en 10 à 14 jours. Cette excrétion
prolongée est sans doute liée au stockage tissulaire, osseux en particulier. Ainsi,
le dosage plasmatique ne reflète pas l'importance du stockage dans
l'organisme.

La concentration plasmatique thérapeutique est de 0,8 à 1,2 mmol/l.

Le faible poids moléculaire, l'absence de liaison aux protéines plasmatiques, le


volume de distribution de l'ordre de 1 l/kg font du lithium un bon et rare exemple
de toxique épurable par hémodialyse.

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Intoxication

On peut distinguer trois circonstances d'intoxication :

- le surdosage thérapeutique : sans doute le plus grave, favorisé par les


antiinflammatoires non stéroïdiens, les diurétiques, la déshydratation et la
déplétion sodée ;

- l'intoxication volontaire aiguë du sujet traité, qui pose les mêmes problèmes
que le surdosage, avec toutefois une majoration souvent retardée des
symptômes initiaux ;

- l'intoxication volontaire aiguë en l'absence de traitement antérieur, avec


apparition retardée des symptômes.

En cas de surdosage, il faut connaître l'importance des petits signes qui sont en
fait la majoration des effets secondaires :

- anorexie, nausées, diarrhées, vomissements ;

- ralentissement psychomoteur, tremblement fin des extrémités, dysarthrie,


myoclonies, atteinte oculomotrice qui imposent une lithiémie en urgence.

Dans tous les cas, apparition plus ou moins retardée d'une symptomatologie
neurologique :
- obnubilation à coma, peu profond, agité, réalisant plus un tableau d'encé
phalopathie ;

- hyperexcitabilité, tremblement, myoclonies, fasciculations, mâchonnement,


convulsions ;

- hypertonie extrapyramidale, hyper réflexie ostéotendineuse.

La symptomatologie neurologique, assez typique lors d'une intoxication


monomédicamenteuse, peut être considérablement modifiée ou masquée par
une association avec d'autres psychotropes ou de l'alcool.

Les manifestations cardiaques sont peu fréquentes. Les plus communes,


observées également à doses thérapeutiques, sont des troubles de
repolarisation portant sur l'onde T. Exceptionnellement peuvent être observés
des troubles du rythme et de la conduction, un collapsus cardiovasculaire, une
bradycardie sinusale.

Les troubles hydro-électrolytiques peuvent comporter une déshydratation avec


insuffisance rénale d'abord fonctionnelle puis organique, une acidose
métabolique, une hypernatrémie qui doit faire suspecter un diabète insipide.

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Lithiémie

Du fait de la grande lenteur du passage transmembranaire, il existe peu de


corrélation entre la clinique et la lithiémie.

En conséquence :

- lors d'une intoxication aiguë sans traitement antérieur, la lithiémie initiale peut
être élevée en l'absence de signes cliniques. La symptomatologie peut
apparaître avec retard alors que la lithiémie baisse ;

- lors d'un surdosage ou d'une intoxication aiguë sur un traitement au long cours,
la symptomatologie peut être marquée alors que la lithiémie initiale est peu
élevée.

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Traitement

Le traitement est symptomatique et épurateur. Le charbon activé n'adsorbe


pas le lithium dans la lumière digestive ; son administration est inutile dans
l'intoxication par lithium seul. Les patients porteurs d'une pathologie cardiaque
doivent être placés sous monitorage continu de l'électrocardiogramme.

L'élimination du lithium peut être accélérée par hémodialyse, dont l'indication


repose sur :

- les circonstances de l'intoxication (gravité accrue par un traitement antérieur) ;

- la présence de symptômes graves, neurologiques en particulier ;


- la lithiémie plasmatique ;

- la fonction rénale.

En sachant que :

- le surdosage thérapeutique, ou l'intoxication aiguë chez un sujet traité, avec


une symptomatologie neurologique grave et une lithiémie supérieure à 4
mmol/l constituent une bonne indication d'hémodialyse ;

- une lithiémie élevée en l'absence de signes cliniques importants ne justifie pas


une hémodialyse ;

- compte tenu de la lenteur de la diffusion tissulaire, les séances d'hémodialyse


doivent être répétées pour éviter une remontée des concentrations
plasmatiques et la réapparition des symptômes.

En l'absence d'hémodialyse, il faut corriger la déshydratation souvent présente


et maintenir la diurèse afin de faciliter l'élimination rénale du lithium :

- par du sérum glucosé isotonique 5% en cas de diabète insipide


(hypernatrémie, soif, polyurie), jusqu'à normalisation de la natrémie et de
l'osmolarité;

- par du sérum salé isotonique, 1 500 à 2 000 ml/24 h chez le sujet à cœur sain,
afin de limiter la réabsorption tubulaire du lithium, si la natrémie est normale ou
basse.

Les convulsions éventuelles sont traitées par du diazépam.

L'évolution neurologique d'un surdosage ou d'une intoxication aiguë chez un


malade déjà traité peut être très lente, sur plusieurs jours et même parfois sur
plusieurs semaines, alors même que les concentrations de lithium sont faibles ou
même nulles. Des séquelles sont possibles : syndrome cérébelleux, troubles de la
mémoire récente.

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Principales références
Danel V, Rhodes AS, Saviuc P, Hanna J. Intoxication grave par le lithium : à
propos de deux cas. JEUR 2001 ; 14 : 134-136.
De Haro L, Roelandt J, Pommier P, Prost N, Arditti J, Hayek-Lanthois M, Valli M.
Circonstances d'intoxication par sels de lithium : expérience du centre
antipoison de Marseille sur 10 ans. Ann Fr Anesth Reanim 2003 ; 22 : 514-519.
Hanna J. Baudrant M, Saviuc P, Fouilhé-Sam Laï N, Danel V. Intoxication au
lithium. JEUR 2002 ; 15 : 147-153.
Jaeger A, Sauder P, Kopferschmitt J, Tritsch L, Flesch F. When should dialysis be
performed in lithium poisoning ? A kinetic study of 14 cases of lithium poisoning.
J Toxicol Clin Toxicol 1993 ; 31 : 429-427.
Waring WS. Management of lithium toxicity. Toxicol Rev 2006 ; 25 : 221-230.
Antidépresseurs

Bruno Mégarbane

Les antidépresseurs sont responsables d'intoxications sévères potentiellement


létales (environ 5% des morts toxiques) et dont l'incidence ne diminue pas. Ainsi,
dans la liste des 100 médicaments les plus souvent à l'origine de déclarations au
centre antipoison de Paris, figurent 9 antidépresseurs : la paroxétine (7e), le
citalopram (13e), la fluoxétine (15e), la sertraline (17e), la venlafaxine (18e), la
clomipramine (35e), la tianeptine (48e), la dosulépine (61e) et la miansérine (65e).
L'intoxication aux antidépresseurs peut être responsable de troubles
neurologiques mais également cardiovasculaires. Le mécanisme de toxicité est
lié à l'inhibition de la recapture de certains neurotransmetteurs centraux et à
l'effet stabilisant de membrane. Le traitement spécifique des anomalies de
conduction intraventriculaire induites par les antidépresseurs est la perfusion de
sels molaires de sodium et de catécholamines. En cas de choc cardiogénique
réfractaire au traitement médical conventionnel, il faut discuter le recours à une
thérapeutique d'exception, comme l'assistance circulatoire.

Intoxication par les antidépresseurs tricycliques

Les antidépresseurs tricycliques (ADT) sont encore prescrits au cours des


dépressions graves et, en particulier, des mélancolies. Ils représentent jusqu'à
20% des intoxications médicamenteuses admises en réanimation. Les ADT
étaient responsables jusqu'en 1993 de la première cause de mort toxique aux
États-Unis. La mortalité des patients hospitalisés est voisine de 2%. Les décès
précoces sont en relation avec des troubles cardiaques souvent prévisibles à
partir de l'ECG. Les décès tardifs sont rattachés à une pneumonie d'inhalation,
une embolie pulmonaire, voire une arythmie ou des convulsions retardées dues
à une réabsorption digestive secondaire. Les progrès faits ces dernières années
dans la compréhension de cette intoxication devraient permettre de réduire sa
morbi-mortalité.

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Pharmacologie

Les antidépresseurs polycycliques possèdent une structure tricyclique (dérivés


imipraminiques), tétracyclique (amoxapine, maprotiline et mirtazapine) ou
bicyclique (miansérine) ( Tab. 1) . Le mécanisme d'action de ces
antidépresseurs est largement centré sur l'impact synaptique, notamment sur les
systèmes monoaminergiques. D'autres systèmes de neurotransmission
(cholinergique, GABA-ergique, dopaminergique et récepteurs N-méthyl-D-
aspartate) sont également impliqués. On distingue ainsi, pour les ADT, les
molécules à action noradrénergique spécifique (métapramine), dominante
(désipramine) ou sérotoninergique dominante (clomipramine).

Biodisp Vol Clair Liai De Mét Métabolites É Fourc


onibilité um ance son mi- abo actifs li hette
(%) e plas pro vie lism mination
théra
de mati téi plas e peutiq
distr que qu mati hép ue
ibut (ml/ e que atiq (ng/m
ion min) (%) (h)1 ue l)
(l/k (CY
g) P)

Amitripty 25-50 7-22 75 90 9-25 1A2 Nortriptyline 8 125-


line (93) , 10- 0 250
2C1 hydroxyamitr %
9, iptyline, 10-
2A4 hydroxtnortri
, ptyline
2D6
urines

2
0
%
f
èces

Amoxap - - - - 8 2C9 7- 7 160-


ine (30) , hydroxyamo 0 800
2D6 xapine %

8-
hydroxyamo
xapine
urines

Clomipr 35-65 12 73 98 21 1A2 Desméthylcl 2 40-80


amine (36) , omipramine /
2C1 3
9, urines
3A4
, 1
2D6 /
3
f
èces

Désipra 25-50 22 60- 83 13- 2D6 2- urines


50-300
mine 180 23 hydroxydési
pramine

Dosulépi 30 10 - 80- 14- 2D6 Desméthyld urines


50-150
ne 90 30 othiépine
(23- Dothiépine-
46) S-oxyde

Doxépin 13-45 9-33 - - 8-24 2D6 Desméthyld 2 75-200


e oxépine /
3
urines

1
/
3
f
èces

Imiprami 25-50 13 50- 85 18- 1A2 Désipramine 8 150-


ne 100 34 , 0 300
(12- 2C1 2- %
30) 9, hydroxyimipr
3A4 amine
, 2-
2D6 hydroxydési
pramine
urines

2
0
%
f
èces

Maprotili 45-95 25 110 90 43 2D6 Desméthylm 2 50-400


ne (60- , aprotiline /
90) 1A2 3
urines

1
/
3
f
èces

Mianséri 30 - - 90 15- Desméthylmi 7 15-90


ne 30 ansérine 0
%
urines

3
0
%
f
èces

Mirtazap 50 - - 85 20- 2D6 Desméthylmi urines


20-100
ine 40 , rtazipine
1A2
,
3A4
et
f
èces

Trimipra 18-63 31 - 95 23 2D6 Desméthyltri urines


50-150
mine mipramine

CYP : cytochrome P450.


1 Entre parenthèses figure la demi-vie des métabolites.

Les ADT sont rapidement absorbés mais le ralentissement du transit digestif dû à


l'effet anti-cholinergique est à l'origine d'un allongement de leur temps
d'absorption ( Tab. 1 ). Leur volume de distribution est important. Ils sont
fortement liés aux protéines plasmatiques, avec un taux de fixation qui diminue
en acidose. Les ADT subissent un métabolisme hépatique (déméthylation et
hydroxylation), aboutissant souvent à des dérivés actifs (amitriptyline en
nortriptyline ; imipramine en désipramine…). Les principales enzymes qui
interviennent sont les cytochromes P450 (CYP), 2D6 et 2C19. L'é limination est
urinaire, sous forme inchangée ou de métabolites. Elle est accrue par
l'acidification des urines. Leur demi-vie d'élimination est allongée en cas
d'ingestion massive (8-45 h). Certains métabolites actifs comme la nortriptyline
ont des demi-vies encore plus longues (93 h). Les ADT subissent un cycle
entérohépatique et, malgré une élimination digestive de 30 %, peu de
métabolites sont retrouvés dans les selles.

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Mécanismes de toxicité

La toxicité des ADT est liée à l'inhibition de recapture de neurotransmetteurs


centraux, à leur effet stabilisant des canaux sodiques et calciques, à leurs effets
anticholinergiques et antihistaminiques, au blocage alpha-adrénergique et à
l'inhibition centrale des réflexes sympathiques. L'intoxication se traduit par des
troubles neurologiques et cardiovasculaires. Les signes cardiovasculaires
résultent d'une action double, directe et indirecte. L'action indirecte des ADT se
fait via le système nerveux autonome. Elle se traduit par un blocage de la
recapture des catécholamines et une activité anticholinergique, responsables
d'une accélération des pacemakers sinusal et jonctionnel. L'action directe des
ADT à doses toxiques sur le myocarde est un effet stabilisant de membrane,
quinidine-like, caractérisé par une altération du potentiel d'action. La phase
zéro du potentiel d'action est ralentie, ce qui freine l'automatisme sinusal
(bradycardie) et la conduction intraventriculaire (QRS élargis) ; la phase 2 est
déprimée, ce qui réduit l'entrée du calcium (baisse de l'inotropisme). Les ADT
pourraient également réduire le couplage actine/myosine calcium-dépendant
nécessaire à la contraction musculaire. L'expression ECG de l'effet stabilisant de
membrane donne, par ordre d'apparition, un aplatissement diffus des ondes T,
un allongement du QT, un élargissement des QRS, voire un allongement de
l'espace PR et un élargissement des ondes P.

Les effets cardiotoxiques directs des antidépresseurs sont un effet chronotrope,


inotrope et dromotrope négatif à tous les étages ainsi qu'un effet pro-
arythmogè ne. S'y ajoute une vasodilatation par inhibition de la contractilité des
cellules musculaires lisses vasculaires. L'hypoxémie, l'acidose, l'hypovolémie,
l'hyperthermie ou les crises convulsives stimulent l'effet stabilisant de membrane
des ADT et exposent au collapsus avec élargissement des QRS. Si ce collapsus
n'est pas corrigé rapidement, le débit cardiaque et la pression artérielle
s'effondrent, ce qui est à l'origine d'une bradycardie à complexes très larges, de
troubles de l'excitabilité ventriculaire (fibrillation ventriculaire) ou d'un arrêt
cardiaque par asystole.

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Tableau clinique

Les troubles neurologiques ou cardiovasculaires apparaissent dans les 4 à 6


heures suivant l'ingestion. Au-delà des 6 premières heures, l'incidence des
complications sévères devient plus faible. Des aggravations insidieuses ont été
rapportées jusqu'à la 72e heure. La normalité d'un examen clinique précoce ne
permet donc pas de préjuger de l'évolution. La dose ingérée est peu prédictive
de l'évolution clinique finale en raison d'une forte variabilité interindividuelle. Les
doses ingérées sont toxiques quand elles sont supérieures à 500 mg et sévères
lorsqu'elles dépassent 1 g, mais les intoxications qui menacent réellement le
pronostic vital se rencontrent au-delà de 3 g. Néanmoins, des ingestions de
l'ordre de 20 mg/kg se sont avérées fatales ou à l'origine de complications
sévères. Une concentration plasmatique supérieure à 1 000 ng/ml d'ADT et de
métabolites actifs est associée à une majoration des complications (21 % de
convulsions, 5% de troubles du rythme ventriculaire, 38% d'hypotension).
Cependant, ce parallélisme n'est pas si strict puisque des complications
rythmiques menaçantes peuvent apparaître pour de plus faibles
concentrations.

Encéphalopathie anticholinergique

Les intoxications par ADT réalisent un tableau d'encéphalopathie


anticholinergique qui associe ( Tab. 2 ) :

- un syndrome confusionnel, un délire souvent interprétatif (hallucinations), une


parole bredouillante (dysarthrie), un tremblement des extrémités accru par les
efforts et une agitation. Dans les formes sévères, des myoclonies, voire des
mouvements tonicocloniques s'ajoutent à l'hypertonie, souvent favorisés par des
stimulations nociceptives ;

Tableau 2 - Encéphalopathie anticholinergique

Signes centraux Signes périphériques

Détresse respiratoire Hypotension

Agitation Tachycardie, rarement bloc auriculo-


Somnolence ventriculaire

Hallucinations, ophtalmoplégie Mydriase bilatérale et vision floue

Hyperthermie Sécheresse buccale

Ataxie, incoordination motrice, Flush cutané, visage vultueux


trémulations
Rétention aiguë d'urine
Crises convulsives
Ralentissement du transit
Coma

- un syndrome pyramidal franc avec hyper-réflexie et hypertonie parfois


accompagnées d'un signe bilatéral de Babinski ;

- un syndrome atropinique : la bouche est sèche et les pupilles en mydriase


bilatérale symétrique peu réactives. Une déshydratation est possible en cas de
syndrome anticholinergique prolongé. On note également une absence de
péristaltisme intestinal, une rétention d'urine et, surtout, une tachycardie. La
rétention d'urine est une cause fréquente d'agitation.

Coma

Il est habituellement peu profond, sans signes de localisation, et s'associe à des


signes pyramidaux et une agitation. Un coma profond d'installation rapide (en
moins de 6 h) est de mauvais pronostic en cas d'intoxication aux seuls ADT. Le
coma est en général résolutif en quelques heures, sa prolongation au-delà de
48 heures doit faire rechercher une complication (coma anoxique) ou une co-
ingestion d'autres psychotropes. Il peut être absent, remplacé par une encé
phalopathie anticholinergique. L'absence de coma n'exclut cependant pas
l'existence de QRS larges et la survenue de convulsions. Devant un coma
hypertonique avec des signes pyramidaux et des convulsions, il faut savoir
évoquer d'autres étiologies que l'intoxication aux ADT ( Tab. 3 ).

Tableau 3 - Étiologies à évoquer devant un coma hypertonique avec signes


pyramidaux et convulsions

1. Coma non toxique

Hémorragie méningée

Méningite, encéphalite

Comas métaboliques (hypoglycémiques)

2. Toxiques fréquents

Antidépresseurs polycycliques

Phénothiazines, thioridazine
Cocaïne, amphétamines

Lithium

Monoxyde de carbone

Théophylline

Convulsions

Elles sont engendrées par les tricycliques et représentent la première étiologie


de convulsion toxique. Leur fréquence au cours des intoxications est estimée à
6-11 %. Certains antidépresseurs (dosulépine, amoxapine et maprotiline) sont
particulièrement convulsivants. Les convulsions sont habituellement précoces,
généralisées et exceptionnelles après les premières 24 heures d'hospitalisation.
Elles sont multiples dans 50% des cas et parfois brèves (30-60 s). Une
incoordination motrice peut également exister avec des myoclonies aux
moindres stimulations. Leur survenue est corrélée à l'élargissement des QRS. Elles
peuvent conduire à une détérioration de l'état hémodynamique en majorant
l'hypoxie, l'acidose métabolique, l'hyperthermie et la tachycardie.

Signes cardiovasculaires

Les troubles cardiovasculaires expliquent la gravité potentielle de l'intoxication


aux ADT. La maprotiline ou la miansérine sont tout aussi cardiotoxiques que les
ADT. L'ECG est rarement normal à la phase aiguë. Dans les formes mineures,
l'effet anticholinergique est à l'origine d'une tachycardie sinusale ou
supraventriculaire. Les signes se limitent généralement à une accélération de la
fréquence cardiaque et à des troubles de la repolarisation : les ondes T
s'aplatissent, le QT corrigé s'allonge et une onde U est possible ( Fig. 1A ). Un
rythme jonctionnel accéléré est également possible et sans gravité par lui-
même. L'espace PR n'est pas modifié et les QRS restent fins (< 100 ms). Au cours
des formes majeures, il existe un élargissement des QRS, à rechercher dans les
dérivations frontales (au mieux en DII) ( Fig. 1B ). L'axe de QRS est dévié à
droite, l'intervalle QT corrigé est supérieur à 20% du QT théorique, une onde
terminale R (égale à 3 mm) en dérivation VR peut apparaître. Ce blocage de
conduction affecte également les fibres auriculaires ; l'onde P s'allonge et un
bloc auriculo-ventriculaire du premier degré peut apparaître. Les extrasystoles
ventriculaires et supra-ventriculaires sont rares et bénignes. Les troubles du
rythme ventriculaire (torsade de pointes ou tachycardie ventriculaire) sont
beaucoup plus rares que les accès de tachycardie supra-ventriculaire à
complexes larges de diagnostic difficile lorsque les ondes P sont masquées par
les QRS. Un état de choc peut compliquer le trouble conductif intraventriculaire.
Il est en général mixte, lié à une défaillance cardiaque et à une vasoplégie
dont les parts respectives sont à déterminer par une exploration
hémodynamique (échocardiographie ou cathétérisme droit) ( Fig. 2 ).
Figure 1 - Aspects ECG d'une intoxication par antidépresseur tricyclique.

Le trouble initial est une tachycardie sinusale liée à l'effet anticholinergique (A).
L'effet stabilisant de membrane se traduit par l'aplatissement des ondes T (A),
l'allongement du segment QT et l'élargissement des complexes QRS (B). Un
aspect de ≪ syndrome de Brugada ≫ est possible, avec une élévation du point
J et un segment ST descendant ou concave vers le haut en hamac (C). Les
troubles sont régressifs suite à la baisse de la concentration plasmatique du
toxique et parfois sous perfusion de bicarbonates de sodium molaire. Le bloc de
conduction intra-ventriculaire (largeur des QRS > 120 msec) expose au risque
d'arythmie ventriculaire.

L'élargissement des QRS est prédictif de la survenue de crises convulsives et/ou


d'arythmies ventriculaires. Pour des QRS inférieurs à 100 ms, le risque de
complications est faible. Pour des QRS entre 100 et 160 ms, le risque de
convulsions est significatif (environ 30 % des cas) alors que celui de trouble du
rythme ventriculaire est faible (10 %). Par contre, pour des QRS supérieurs à 160
ms, les troubles du rythme ventriculaire sont fréquents (50% des cas). Certains
auteurs ont proposé d'autres indices ECG pour prédire les risques évolutifs : la
déviation axiale droite des 40 dernières millisecondes (T40-ms) du QRS
supérieure à 120° ou l'amplitude de l'onde R (≥ 3 mm) en aVR et le rapport R/S
en aVR. Des aspects ECG de syndrome de Brugada ont été observés au cours
des intoxications par ADT, avec une incidence de l'ordre de 15% en
réanimation, sans être pour autant associés à une gravité accrue ( Fig. 1C ).
Ces aspects sont régressifs après réduction de la concentration plasmatique
d'ADT.

Signes respiratoires

Les complications respiratoires peuvent survenir jusque dans 30% des


intoxications. Le coma et l'hypertonie favorisent la réduction d'amplitude
thoracique et l'hypoventilation alvéolaire. L'encombrement bronchique,
l'inhalation, les atélectasies ou un œdème pulmonaire lésionnel peuvent
s'associer à l'hypoventilation alvéolaire pour aggraver l'hypoxémie. Hypoxémie
et acidose respiratoire concourent à la toxicité cardiaque des ADT. La
pneumonie de déglutition est suspectée devant l'apparition d'un syndrome
infectieux associé à une image parenchymateuse radiologique. L'œdème
pulmonaire lésionnel est plus tardif. Des troubles métaboliques peuvent
s'associer au tableau clinique : acidose respiratoire et/ou métabolique
(hyperlactatémie), rhabdomyolyse et hypokaliémie de transfert secondaire à
l'effet stabilisant de membrane.

Décès

Le décès fait suite en général à une défaillance hémodynamique ou à un arrêt


cardiaque, dans les 24 premières heures. Le nombre plus élevé de décès
rapportés à l'amitriptyline et à la dothiépine est dû à leur plus large prescription.

Figure 2 - Algorithme pour les indications de l'assistance circulatoire au cours


des intoxications par antidépresseurs avec effet stabilisant de membrane (PAS :
pression artérielle systolique).

Plusieurs éléments semblent prédictifs de surmortalité par intoxication aux ADT :

- l'ingestion d'ADT de première génération ;

- la précocité d'apparition des troubles ;

- l'installation d'un coma et de crises convulsives ;

- les perturbations ECG (largeur des QRS) ;

- un état de choc réfractaire aux thérapeutiques.

Des cas de mort subite tardive, dont le mécanisme est mal élucidé, ont été
rapportés. L'embolie pulmonaire pourrait jouer un rôle dans la survenue de ces
accidents.

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Signes biologiques

L'hypokaliémie est fréquemment associée aux intoxications graves par toxiques


stabilisants de membrane. Son retentissement électrophysiologique est mal
connu dans ces circonstances. L'hypoxémie ne constitue pas un signe
spécifique mais accompagne volontiers tout coma. L'acidose est fréquente,
surtout chez les patients en ventilation spontanée. Elle résulte de l'atteinte
respiratoire ou d'une production d'acide lactique lors de l'hypoxémie, des accès
hypertoniques, des convulsions ou de l'insuffisance circulatoire.

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Analyse toxicologique

La méthode de détection semi-quantitative des antidépresseurs pratiquée en


urgence n'est pas très spécifique : il existe des réactions croisées avec les
substances à structure tricyclique (phénothiazines, carbamazépine, quétiapine).
De plus, la sensibilité de cette détection peut être gênante car cette méthode
détecte la présence de tricycliques chez les personnes traitées mais non
intoxiquées. Les antidépresseurs non tricycliques ou tétracycliques (maprotiline)
ne sont pratiquement pas détectés par ces réactifs (faux négatifs). En cas de
doute diagnostique, seul un dosage quantitatif de l'ADT incriminé est contributif
(seuil toxique de 1 μmol/l) mais les résultats ne sont habituellement pas rendus
en urgence. L'interprétation du résultat doit toujours tenir compte des
métabolites actifs. Une concentration plasmatique d'imipramine ou
d'amitriptyline supérieure à 3,5 μmol/l est habituellement observée au cours des
intoxications graves. Un dosage pondéral n'est pas nécessaire pour guider la
stratégie thérapeutique mais, en cas d'intoxication sévère, il peut être utile de
surveiller la décroissance des concentrations plasmatiques les jours suivants. En
effet, des décès tardifs ont été rapportés liés à des réabsorptions prolongées.

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Formes cliniques

Intoxication mixte par ADT et autres psychotropes

En cas de poly-intoxication avec des sédatifs (notamment benzodiazépines), le


coma est hypotonique souvent profond, la dépression respiratoire plus franche,
le syndrome pyramidal atténué et le syndrome atropinique retardé. La mydriase
peut être remplacée par un myosis. L'intoxication concomitante par
benzodiazépines a probablement un effet protecteur vis-à-vis des convulsions
liées aux ADT. Cette protection n'est cependant pas complète. L'administration
de flumazénil, antagoniste des benzodiazépines, peut favoriser la survenue de
convulsions, aussi son emploi est-il contre-indiqué si on suspecte une ingestion
d'antidépresseurs : présence d'emballages vides, hypertonie, mydriase ou
tachycardie avec QRS larges à l'ECG. Les inhibiteurs de la monoamine oxydase
(IMAO) associés aux ADT peuvent induire une fièvre, des myoclonies, des
convulsions, une hypotension, voire une hypertension paroxystique, une acidose
métabolique, un état de choc et un décès.

Formes électrocardiographiques

La survenue d'un bloc de branche ou d'une bradycardie paradoxale est


possible mais inhabituelle. Devant un élargissement des QRS, il est possible de
confondre un bloc de branche préexistant avec un bloc intraventriculaire.
L'existence d'anomalies portant sur la repolarisation, l'onde P et/ou la
conduction auriculo-ventriculaire ainsi que, parfois, l'affinement des QRS après
administration de bicarbonates molaires de sodium permettent d'identifier un
effet stabilisant de membrane.

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Prise en charge

Les intoxications les plus sévères se recrutent surtout à partir d'une dose
supposée ingérée de plus de 3 grammes. Néanmoins, en raison d'une faible
corré lation entre la dose supposée ingérée et l'évolution, il est prudent
d'admettre en réanimation tout patient qui présente à l'admission ou au cours
des 6 heures qui suivent l'ingestion, quelle que soit la dose, l'un des signes
suivants : des troubles de vigilance, un QRS supérieur à 100 ms (non expliqué par
un bloc de branche préexistant), une arythmie, des convulsions, une dépression
respiratoire ou une hypotension. Dans les formes graves, la période réellement
menaçante de convulsion ou d'arythmie se limite aux premières 24 heures. Le
temps habituel de l'affinement des QRS est inférieur à 1 jour mais des signes ECG
d'imprégnation (tachycardie et allongement du QT) peuvent persister plusieurs
jours. Au décours d'un coma, une confusion, voire un délire atropinique
prennent volontiers le relais, justifiant une sédation par benzodiazépine.
L'hypotension orthostatique peut être responsable, en fin d'intoxication, de
malaises lors des changements de position. La sortie de l'hô pital ne sera
envisagée avec le psychiatre qu'en présence d'un état de conscience normal,
d'une absence de syndrome atropinique et d'un ECG sans signe
d'imprégnation. Les dosages pondéraux en ADT aident également à prendre
cette décision car des absorptions prolongées sont décrites.
Traitement symptomatique

Une hydratation par voie veineuse doit être assurée tant que dure
l'encéphalopathie anticholinergique. Le sondage vésical est souvent nécessaire
et prolongé en cas de globe. La physostigmine, inhibiteur réversible de
l'acétylcholinestérase, est capable de s'opposer aux effets centraux des ADT
(myoclonies et convulsions). Elle possède un effet stimulant respiratoire mais sa
demi-vie courte (30-45 s) et les risques inhérents au surdosage
(encéphalopathie, convulsions et asystole) en ont fait abandonner l'usage en
routine. L'intubation peut être proposée en cas de :

- perte du contact verbal due à l'encéphalopathie ou, a fortiori, au coma ;


convulsions ;

- QRS élargis (≥ 120 ms) par effet stabilisant de membrane ;

- complication respiratoire.

Les convulsions sont habituellement brèves et répondent aux benzodiazépines


(diazépam, lorazépam). L'intubation est recommandée car les crises sont
multiples dans plus de 50% des cas et peuvent se transformer en état de mal ou
se compliquer de troubles du rythme. Lors d'un état de mal épileptique, le phé
nobarbital (15-20 mg/kg) est utile. L'emploi du thiopental doit être prudent car il
expose au risque de chute tensionnelle et d'élargissement du QRS. De même,
l'emploi de phénytoïne expose au risque d'effets cardiopresseurs. Une
alcalinisation peut être indispensable, guidée par l'ECG.

Traitement évacuateur et/ou épurateur

La décontamination digestive n'est indiquée que dans l'heure suivant l'ingestion


d'une dose toxique d'ADT, en l'absence de contre-indications, à savoir chez un
sujet conscient et sans détresse ni convulsion récente ni QRS élargis. Chez le
patient intubé, une décontamination peut être proposée, même longtemps
après l'ingestion d'une dose massive, en raison de l'effet anticholinergique
propre aux ADT. Le moyen à utiliser est l'administration de charbon activé (50 g).
Il n'est pas prouvé que des doses répétées sont plus efficaces qu'une dose
unique. Le lavage gastrique est inutile. Le métabolisme hépatique inactivateur
prépondérant des ADT, les larges volumes de distribution et la forte liaison
protéique expliquent l'absence d'intérêt des diurèses forcées ou des épurations
extra-rénales (hémodialyse et hémoperfusion).

Traitement des troubles cardiovasculaires

Le traitement du bloc intraventriculaire doit débuter lorsque le QRS mesuré en


dérivations frontales dépasse 120 ms. Le traitement repose sur la ventilation
assistée et les sels de sodium alcalins et hypertoniques, dont l'intérêt n'est
néanmoins démontré de façon randomisée que dans des modèles
expérimentaux. L'objectif des sels de sodium alcalins et hypertoniques est triple :

- l'élévation conjointe du pH et du gradient ionique transmembranaire en


sodium contrebalance en partie les effets du blocage du canal sodique rapide
qu'induisent les produits stabilisants de membrane ;
- l'alcalinisation agit de façon synergique aux sels de sodium, en corrigeant
l'acidose métabolique de choc et en amé liorant la réponse aux
catécholamines ;

- elle augmente par ailleurs la fraction liée d'ADT aux protéines plasmatiques et
réduit celle liée aux myocytes.

Il faut administrer en 30 minutes 250 ml de bicarbonate de sodium molaire 8,4 %


ou du lactate de sodium molaire (ce dernier est rapidement métabolisé en
bicarbonate). Si les QRS restent larges (≥ 120 ms), une administration
équivalente est à nouveau possible, après avoir vérifié l'absence de bloc de
branche préexistant. Il faut amener le pH artériel le plus près de 7,60, ce
d'autant que les QRS restent larges. Des administrations itératives de
bicarbonates sont parfois nécessaires. En raison de l'effet hypokaliémiant, un
supplément en potassium de 2 g de KCl doit être apporté pour chaque flacon
de 250 mEq de bicarbonates. Les objectifs de la ventilation assistée sont la
correction d'une hypoxémie et l'obtention d'une hypocapnie modérée
(alcalose respiratoire). La normocapnie ou l'alcalose respiratoire peut suffire à
diminuer la largeur des QRS. Néanmoins, en cas d'œdème pulmonaire ou
cérébral ou d'insuffisance cardiaque congestive, la perfusion de sels molaires
de sodium est moins aisée. Le contrôle de l'hypotension, de l'hypoxie et de
l'acidose doit pouvoir éviter les drogues anti-arythmiques.

L'apparition d'une tachycardie à complexes larges pose des problèmes


d'interprétation. En l'absence d'enregistrement œsophagien, on peut confondre
une tachycardie supraventriculaire à complexes larges avec une tachycardie
ventriculaire. Une perfusion rapide de bicarbonates molaires, lorsqu'elle affine
les complexes, constitue un moyen diagnostique et thérapeutique du bloc
intraventriculaire toxique. Les anti-arythmiques de classe Ia (quinidine,
disopyramide) et Ic (flécaïnide, cibenzoline, propafénone) sont contre-indiqués
pour ne pas majorer la cardiotoxicité des ADT. L'amiodarone (classe III) majore
les troubles du rythme. Les bêtabloquants (classe II) et le vérapamil (classe IV)
ne sont pas recommandés car ils ralentissent la conduction intracardiaque et
réduisent la pression artérielle. La phénytoïne risque de favoriser une fibrillation
ventriculaire et une dépression de la conduction ventriculaire ou auriculaire. Le
choc électrique doit être employé si la tachycardie à complexes larges et le
collapsus résistent à une alcalinisation rapide. Une hypokaliémie sévère doit
également être corrigée. Le sulfate de magnésium est efficace pour prévenir les
fibrillations ventriculaires ou les torsades de pointes.

Le collapsus s'associe à un élargissement des QRS qui en signe l'étiologie. Si les


QRS sont fins, il faut rechercher une autre étiologie au collapsus (comme un
autre toxique cardiotrope, un sepsis pulmonaire précoce ou une cardiopathie
décompensée). La restauration de pressions de perfusion systémique et, surtout,
coronaire satisfaisantes est en général obtenue par l'alcalinisation qui corrige en
parallèle la pression artérielle et l'élargissement des QRS. Si, malgré
l'alcalinisation et la ventilation mécanique, les QRS restent larges et la pression
artérielle basse, il faut recourir aux catécholamines car le collapsus ajoute à la
cardiotoxicité des ADT les effets d'une ischémie myocardique fonctionnelle. La
réalisation d'une étude hémodynamique par cathétérisme droit ou
échocardiographie-Doppler permet de mieux faire la part entre la défaillance
cardiaque, l'hypovolémie et la vasodilatation artérielle ( Fig. 2 ). La défaillance
cardiaque aiguë est un événement beaucoup plus rare que la vasoplégie. Les
catécholamines à effet alpha luttent efficacement contre la vasodilatation
artérielle. La dobutamine peut être utilisée mais reste potentiellement
arythmogène et peut majorer l'hypotension. L'isoprénaline est efficace sur la
bradycardie, l'élargissement du QRS et l'effet inotrope négatif induits par les
ADT. Mais elle a une action limitée du fait de ses actions délétères,
vasodilatatrice et tachycardisante. L'utilisation du glucagon est anecdotique.

L'arrêt cardio-circulatoire par intoxication aux ADT peut nécessiter une


réanimation prolongée. Qu'il soit secondaire à une asystole ou à une fibrillation
ventriculaire, sa prise en charge n'est pas spécifique. L'entraînement
électrosystolique s'avère peu efficace sur les bradycardies extrêmes
menaçantes mais peut être utile en cas de bloc auriculo-ventriculaire de haut
degré, sans trouble majeur de l'inotropisme. L'assistance périphérique par
pompe centrifuge à débit continu avec canulation chirurgicale fémorale est la
solution à discuter en cas d'arrêt cardiaque ou de choc cardiogénique
réfractaire. Des études expérimentales et plusieurs cas cliniques publiés en
suggèrent l'intérêt, même si celui-ci n'est pas établi sur une large série
d'intoxications aux ADT. Au cours des intoxications avec effet stabilisant de
membrane, nous avons montré que le choc cardiogénique réfractaire aux thé
rapeutiques médicales est défini par une PAS inférieure à 90 mmHg, malgré un
remplissage adéquat par cristalloïdes ou colloïdes associé à la perfusion de 350
ml de bicarbonates 84% et une perfusion d'adrénaline supérieure à 3 mg/h,
alors qu'il existe une défaillance respiratoire (rapport PaO2/FiO2 < 150 mmHg) ou
rénale (oligurie ou créatinine > 90 μmol/l) ( Fig. 2 ). Ces critères sont prédictifs
dans notre expérience, en l'absence d'assistance circulatoire, d'une mortalité
de plus de 90 %.

Surveillance

Une intoxication asymptomatique datant de plus de 6 heures ne nécessite pas


d'admission en réanimation mais il faut s'assurer de la normalité de l'ECG à 12 et
24 heures de l'ingestion. Les patients symptomatiques sont surveillés sous
monitorage cardiaque. Dans 80% des cas, le maximum des signes ECG est
observé à l'admission des patients. Un patient présentant une intoxication aux
ADT datant de plus de 6 heures, asymptomatique, sans anomalies à l'ECG et s'il
n'a pas bénéficié de décontamination digestive ou de sels molaires de sodium,
est très peu susceptible de présenter des modifications tardives de son ECG. Les
concentrations plasmatiques d'ADT sont des marqueurs de surveillance peu
sensibles. Seule la persistance de QRS inférieurs à 100 ms est un bon indicateur
d'arrêt de la surveillance : celui-ci se normalise en moyenne en 20 heures mais
peut rester anormal jusqu'à 72 heures. Un guide de recommandations pour les
conditions de prise en charge ambulatoire des patients ayant ingéré des ADT
est désormais disponible.

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Intoxication par les antidépresseurs non tricycliques


Les antidépresseurs non tricycliques regroupent plusieurs classes
d'antidépresseurs dont les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine
(ISRS). Ils occupent désormais le premier rang des prescriptions
d'antidépresseurs, dépassant largement les ADT. Les ISRS sont associés à une
mortalité plus faible, 10 fois moins importante que pour les ADT ou les inhibiteurs
de la monoamine oxydase (IMAO). De même, les intoxications par ISRS
semblent associées à une morbidité moins élevée que les ADT, en termes de
cardiotoxicité, de recours à la ventilation mécanique et de durée
d'hospitalisation en réanimation.

Pharmacologie

Les ISRS commercialisés à ce jour en France sont au nombre de sept ( Tab. 4 ).


Leur prescription est très large. Ce sont des inhibiteurs sélectifs présynaptiques
de la recapture de la sérotonine, sans effet sur la recapture de la noradrénaline
et de la dopamine. Leur absorption digestive est lente (4-8 h) et ralentie par
l'alimentation pour la fluoxétine et la sertraline. Le pic plasmatique est atteint en
2-10 heures. Les demi-vies sont variables (10-46 h) et nettement augmentées en
cas d'insuffisance hépato-cellulaire ou de défaillance cardiaque. Les
métabolites sont plutôt inactifs, sauf pour la fluoxétine dont le métabolite
principal est la norfluoxétine. De nombreuses interactions pharmacocinétiques
ont été décrites pour les ISRS avec des implications toxicologiques importantes.

La venlafaxine et le milnacipran sont des inhibiteurs non sélectifs de la recapture


de la sérotonine et de la noradrénaline ( Tab. 6 ). Après un premier passage
hépatique, la venlafaxine donne un métabolite actif, la O-
desméthylvenlafaxine. La toxicité cardiovasculaire du métabolite serait plus
faible que celle de la molécule mère. La miansérine est un dérivé polycyclique
non imipraminique avec une activité anti-sérotoninergique par blocage des
récepteurs 5-HT2.

Les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) sont des thymérétiques,


psychostimulants, euphorisants et donc toxicomanogènes. Leur inhibition a pour
effet d'élever les concentrations cérébrales de catécholamines. On distingue
deux types d'enzymes : le type A, qui a pour substrat les neuroamines, les
catécholamines et la sérotonine, et le type B, dont les substrats sont les
phénéthylamines, la tryptamine, la tyramine et la dopamine. Les effets adverses
et les contre-indications des IMAO non s électifs ont conduit à préférer les IMAO
sélectifs (toloxatone, moclobémide) de type A, réversibles en 24 heures.

Biodisponi Liais Volu De Métab Clairan Exc Métabol


bilité (%) on me mi- olisme ce réti ites
proté de vie hépati plasma on
ique distrib (h)1 que tique (%)
(%) ution CYP (l/h/kg
(l/kg) ) I

Paroxéti 50 95 17 10- 2D6 0,5-1 < Nombre


ne 24 ux (NA)
2

Citalopr 80-100 80 14-16 33 2C19, 0,4 12Desmét


am 3A4, hyl- (A)
2D6 Didesm
éthyl-
(A)

Escitalo 80-100 80 12-26 30 2C19, 0,6 12Desmét


pram 3A4, hyl- (A)
2D6 Didesm
éthyl-
(A)

Fluvoxa 50-60 80 25 15- 2D6 0,6-1 < Nombre


mine 22 ux (NA)
5

Fluoxéti 70-85 95 20-40 96- 2D6 0,2-0,5 11Nor- (A)


ne 144
(96-
384)

Sertralin 30-40 98 > 20 25 3A4 1,4 < Desmét


e hyl-(A)
0,2

Venlafa 40-45 27 6-7 4-5 2D6 1,4-1,7 - O-


xine (11) déméth
yl- (A)

A : métabolites actifs ; NA : métabolites non actifs ; U: urinaire ; S : selles ; I :


forme inchangée ; CYP : cytochrome P450.
1 Entre parenthèses figure la demi-vie des métabolites.

Tableau clinique

Inhibiteurs sélectifs et non sélectifs de la recapture de la sérotonine

Des effets secondaires apparaissent chez 5 à 30% des patients traités par ces
antidépresseurs : nausées, vomissement, céphalées, asthénie, anxiété, perte de
poids, SIADH… Ils disparaissent en général en quelques jours. En général, les
intoxications aiguës, même pour des doses supposées ingérées importantes,
sont peu symptomatiques. Ainsi peuvent apparaître des troubles digestifs, une
somnolence, des céphalées, une tachycardie sinusale et/ou une hypertension
artérielle diastolique. Toutes ces manifestations sont d'évolution favorable en 24
heures. La complication la plus redoutée est la survenue d'un syndrome
sérotoninergique ( Tab. 5 ). Son mécanisme est lié à une hyperstimulation des
récepteurs 5-HT1A. Les signes ne sont pas spécifiques et exigent un diagnostic
différentiel d'une autre étiologie infectieuse, métabolique ou toxique (toxidrome
anticholinergique, adrénergique ou syndrome malin des neuroleptiques).
L'élément le plus constant du syndrome sérotoninergique est la présence de
myoclonies. Le syndrome sérotoninergique peut apparaître dans les jours qui
suivent l'introduction du traitement ou lors de surdosages, notamment en
association à d'autres médicaments sérotoninergiques ( Tab. 6 ).
Habituellement de forme mineure, il peut menacer le pronostic vital avec
l'apparition d'une hyperthermie (> 40 °C), d'une agitation, d'une rigidité
musculaire avec hyper-réflexie, de manifestations dysautonomiques, d'un état
de choc à résistances vasculaires basses, d'un état de mal épileptique, d'un
coma, d'une rhabdomyolyse et/ou d'une CIVD. Les intoxications par la
venlafaxine sont associées avec une incidence élevée de convulsions et de
rhabdomyolyse secondaire ou non aux crises convulsives.

Anamnèse

L'apparition du syndrome coïncide avec l'introduction ou l'augmentation


des doses d'un agent ≪ pro-sérotoninergique ≫ et d'au moins trois des signes
cliniques qui suivent.

Signes cliniques1

Présence d'au moins 3 des signes suivants : - fonctions supérieures : confusion


(50 %) ; agitation (35 %) ; coma (30 %) ; anxiété (15 %) ; hypomanie (15 %) ;
convulsions (12 %) ; céphalées ; insomnie ; hallucinations ; vertiges. - système
autonome : fièvre (45 %) ; sueurs abondantes (45 %) ; tachycardie sinusale
(35 %) ; hypertension (35 %) ; mydriase (25 %) ; polypnée (20 %) ; hypotension
(15 %) ; frissons ; nausées ; flush ; diarrhée ; hypersalivation. - système neuro-
musculaire : myoclonies (60 %) ; hyper-réflexie (50 %) ; rigidité musculaire
(50%) ; hyperactivité (50 %) ; tremblements (45%) ; incoordination motrice
(40%) ; clonus (20%) ; signe de Babinski bilatéral (15 %) ; nystagmus ; trismus ;
claquement de dents ; opisthotonos ; paresthésies.

Diagnostic différentiel

Le syndrome survient sans introduction ni modification récente de la


posologie d'un neuroleptique. Le diagnostic différentiel doit écarter une
infection, un trouble métabolique, une pathologie neurologique ou un autre
syndrome toxique.
1 Incidence attendue des principaux signes cliniques.

En dehors de la tachycardie sinusale, des anomalies ECG significatives peuvent


être rencontrées, notamment au cours des intoxications massives par le
citalopram et la venlafaxine, à l'inverse des autres ISRS qui semblent moins
cardiotoxiques. Dans un tiers des ingestions de plus de 600 mg de citalopram, il
a été noté un élargissement des QRS. Les effets cardiovasculaires surviennent
géné ralement pour une dose ingérée de plus de 1 900 mg de citalopram. Un
allongement modéré des QRS et du QT a été noté pour les intoxications
massives à la fluoxétine. Des cas de bradycardie sinusale ont été décrits à la
suite d'intoxications par la fluvoxamine. Des épisodes de torsades de pointes
avec allongement du QT ont été rapportés au cours d'une intoxication par
fluoxétine (840 mg). Des cas de défaillance cardiogénique en rapport avec un
effet stabilisant de membrane ont été rapportés lors d'intoxications à la
venlafaxine et au citalopram chez des patients à cœur antérieurement sain. Il
existe une corrélation entre l'allongement du QTc et la dose supposée ingérée
de venlafaxine ou de citalopram. Généralement, les décès surviennent pour
des concentrations au-delà de 20 à 25 fois la zone thérapeutique.
Indépendamment de la dose ingérée, la gravité des intoxications par inhibiteurs
sélectifs ou non sélectifs de recapture de la sérotonine semble surtout fonction
des interactions médicamenteuses avec les toxiques co-ingérés ( Tab. 6 ).

Médicaments et drogues responsables d'un syndrome sérotoninergique

ISRS : sertraline, fluoxétine, fluvoxamine, paroxétine, citalopram,


escitalopram

Autres antidépresseurs : trazodone, nefazodone, buspirone, clomipramine,


venlafaxine, duloxétine

IMAO : phénelzine, moclobémide, clorgiline, isocarboxazide

Anticonvulsivants : acide valproïque

Analgésiques : mépéridine, fentanyl, tramadol, pentazocine, méthadone

Agents anti-émétiques : ondansétron, granisétron, métoclopramide

Antimigraineux : sumatriptan

Antibiotiques et antiviraux : linézolide, ritonavir

Autres : dextrométhorphan, lithium, chlorphéniramine

Produits stupéfiants : MDMA (méthylène dioxyméthamphétamine ou


ecstasy), LSD (diéthylamide de l'acide lysergique), 5-
méthoxydiisopropyltryptamine (≪ foxy methoxy ≫)

Suppléments diététiques : tryptophane, Hypericum perforatum (Millepertuis


ou ≪St. John's wort ≫), Panax ginseng

Associations plus particulièrement décrites à l'origine d'un syndrome


sérotoninergique

Phénelzine et mépéridine

Tranylcypromine et imipramine

Phénelzine et ISRS
Paroxétine et buspirone

Linézolide et citalopram

Linozélide et fluoxétine

Mépéridine et citalopram

Mirtazipine et citalopram

Fentanyl et citalopram

Tramadol et paroxétine

Sumatriptan et paroxétine

Clarythromycine et paroxétine

Moclobémide et ISRS

Lithium et venlafaxine

Quétiapine et citalopram

Fluvoxamine et oxycodone

Tramadol, venlafaxine et mirtazapine

Inhibiteurs de la monoamine oxydase

Pour l'iproniazide, les symptômes apparaissent dans les 6 à 12 heures suivant


l'ingestion. Une intoxication à des doses supérieures à 1,5 g peut engager le
pronostic vital avec une mortalité estimée à 30 %. Les intoxications bénignes
s'accompagnent de céphalées, d'agitation, d'hallucinations, de mydriase, de
sueurs, de tachycardie, d'hypertonie avec syndrome pyramidal, de trismus,
d'hypotension orthostatique ou d'hypertension. Les formes graves
s'accompagnent d'un coma profond hypo ou hypertonique souvent prolongé,
de convulsions, d'une hyperthermie, d'une tachypnée, d'une hypo ou
hypertension artérielle et de troubles de repolarisation à l'ECG. Le tableau
clinique est habituellement plus sévère lors d'associations médicamenteuses :

- antidépresseurs tricycliques et/ou carbamazépine : risque d'hyper ou


d'hypotension, d'agitation et d'hyperthermie ;

- ISRS : syndrome sérotoninergique ;

- neuroleptiques : majoration du syndrome anticholinergique et extrapyramidal ;

- sympathomimétiques α et β : hypertension sévère se compliquant d'œdème


cérébral et pulmonaire et d'hémorragies méningées ;

- hypotenseurs (antihypertenseurs centraux, hydralazines, diurétiques, alpha-1-


bloquants, bêta-bloqueurs) : risque de collapsus réfractaire ;

- alcool, autres psychotropes et stupéfiants : majoration des convulsions, de


l'hyperthermie et de la dépression respiratoire ;

- aliments contenant de la tyramine (bananes, fromages fermentés, choux,


pomme de terre, harengs, charcuteries, vins…) : potentialisation des effets
hypertensifs des IMAO.

L'intoxication à la toloxatone est habituellement bénigne et asymptomatique,


même à forte dose (jusqu'à 6 g) et surtout en l'absence de médicament
associé. On retrouve une somnolence dans 30% des cas, un tableau
d'hyperadrénergisme, une hypersalivation, un trismus, une hyperthermie et, plus
rarement, une bradycardie sinusale. L'évolution est favorable en moins de 24
heures. Les troubles neurologiques sévères et la dépression respiratoire
apparaissent pour des intoxications massives.

La toxicité du moclobémide ingéré seul est limitée : nausées, somnolence,


hypo-réfléxie ostéotendineuse, désorientation, agitation, mydriase, amnésie,
fièvre, hypo ou hypertension modérée. Néanmoins, au cours d'intoxications
massives (≥ 6 g) ont été décrites des convulsions et une rigidité musculaire
superposable au syndrome malin des neuroleptiques. La symptomatologie est
corrélée à la dose ingérée. Les intoxications graves sont surtout dues aux
associations médicamenteuses prosérotoninergiques synergiques.

Examens complémentaires

Le diagnostic du syndrome sérotoninergique est clinique devant une anamnèse


compatible. Néanmoins, les manifestations ne sont pas spécifiques et doivent
faire éliminer un problème infectieux, métabolique ou neurologique d'autre
cause. Les examens complémentaires occupent donc une place très
importante. L'ECG doit être réalisé le plus précocement possible. Les bilans
biologiques usuels dépistent non seulement les complications métaboliques de
l'intoxication mais aussi celles liées au coma, à la détresse respiratoire et/ou à
l'état de choc. Une hyponatrémie profonde est possible après intoxication
aigué par la paroxétine. L'intoxication à l'iproniazide peut se compliquer de
troubles de l'hémostase, d'hyperkaliémie ou d'hypoglycémie. Des hépatites plus
ou moins sévères ont été décrites de même que des ictères cutanéomuqueux.
De même, lors d'intoxications au moclobémide, une hyperleucocytose, une
thrombopé nie, une élévation des transaminases, une acidose métabolique et
une myoglobinurie ont été retrouvées, surtout en cas de syndrome
sérotoninergique.

Le dosage des antidépresseurs non tricycliques n'est pas encore réalisé en


routine. Un prélèvement sanguin initial sur tube hépariné peut donc être
conservé pour réaliser un dosage a posteriori, afin de confirmer une intoxication
aigué ou de documenter une intoxication particulièrement sévère.

Prise en charge

Le traitement est symptomatique afin de corriger les effets périphériques du


toxique, par des mesures non spécifiques de réanimation. L'agitation nécessite
une sédation par benzodiazépine. L'intubation et la ventilation assistée sont
nécessaires devant un coma ou un collapsus. Les convulsions et la rigidité
musculaire sont habituellement contrôlées par les benzodiazépines. L'apparition
d'un syndrome sérotoninergique nécessite la correction de la déshydratation et
une sédation par benzodiazépines. L'hyperthermie maligne peut nécessiter, en
plus du refroidissement externe et des antipyrétiques, la prescription de
cyproheptadine (Périactine®) par sonde gastrique. Le dantrolène n'est pas
efficace. Si une curarisation est nécessaire, pour mieux adapter la ventilation ou
lutter contre la rigidité musculaire, il faut éviter les agents dépolarisants (chlorure
de suxaméthonium : Célocurine®).

Par analogie aux intoxications par ADT, les troubles ECG secondaires à
l'ingestion d'ISRS pourraient être traités avec succès par la perfusion de
bicarbonates de sodium molaire. Les bêta-bloqueurs (propranolol) sont des
inhibiteurs des récepteurs 5-HT1A et peuvent donc être utilisés en seconde
intention. L'intoxication par iproniazide doit rendre prudente l'utilisation de
drogues adrénergiques en raison d'un risque de poussée hypertensive. Il est
préférable de contrôler l'hypertension avec retentissement viscéral par
nitroprussiate de sodium, la place des bêta-bloqueurs restant aléatoire. Si un
coma est concomitant à la poussée hypertensive, une TDM cérébrale doit être
réalisée à la recherche de complications hémorragiques.

La décontamination digestive par le charbon activé est indiquée pour les


intoxications vues dans l'heure qui suit l'ingestion, en dehors de toute contre-
indication. Pour tous ces antidépresseurs, il n'existe pas d'antidote spécifique et
les larges volumes de distribution ainsi que la forte liaison aux protéines
plasmatiques du toxique limitent l'intérêt de l'épuration extrarénale.

Un guide des conditions de suivi ambulatoire des intoxications par ISRS a été
récemment publié. Un monitorage d'au moins 13 heures en l'absence de
modification du QTc est nécessaire pour les ingestions de plus de 1 000 mg de
citalopram. Les sujets intoxiqués par la venlafaxine requièrent une surveillance
prolongée d'au moins 48 heures, en raison de l'allongement de la demi-vie
d'élimination du toxique et de ses métabolites. Pour le milnacipran, l'absence de
toxicité sévère connue à l'heure actuelle justifie une surveillance d'au moins 24
heures. Pour les autres antidépresseurs, l'évolution est habituellement favorable
en 24 heures. Une intoxication à l'iproniazide nécessite d'éviter toute prescription
médicamenteuse en raison des risques d'interaction, et ce pendant une durée
de 4 semaines.

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Principales références
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Antipsychotiques

Philippe Hantson

Antipsychotiques classiques

Les antipsychotiques classiques sont représentés par 3 grandes classes


pharmacologiques : les butyrophénones, les phénothiazines et les
thioxanthènes.

Les butyrophénones ont comme chef de file l'halopéridol. Les phénothiazines


sont encore représentées par plusieurs molécules : acépromazine,
chlorpromazine, perphénazine, prométhazine. Parmi les thioxanthènes, on ne
trouve plus actuellement que le zuclopenthixol.

Symptomatologie

Le tableau clinique de l'intoxication aigué par butyrophénones est dominé par


les complications neurologiques, respiratoires et cardiovasculaires.

Les troubles neurologiques et respiratoires sont en rapport avec une dépression


du système nerveux central allant jusqu'au coma. Les manifestations cliniques
extra-pyramidales sont particulièrement fréquentes. Par contre, les crises
convulsives sont relativement rares.

Des complications cardiaques sont possibles sous forme d'arythmies malignes


ventriculaires, y compris les torsades de pointes. La survenue d'arythmies peut
être précipitée par d'autres facteurs (troubles ioniques, co-médications).
L'incidence de l'allongement de l'intervalle QT reste relativement faible avec
l'halopéridol et semble favorisée par les administrations intraveineuses ou
lorsque les doses journalières dépassent 50 mg.

Par rapport aux butyrophénones, le tableau clinique réalisé par l'intoxication


aigué par les phénothiazines se caractérise également par des troubles de la
régulation thermique (hypothermie, mais aussi hyperthermie en rapport avec les
effets anticholinergiques centraux). La mydriase est le reflet également d'une
action anticholinergique centrale. Les troubles de la conscience sont fréquents,
allant jusqu'au coma. La dépression respiratoire est proportionnelle à la
profondeur de l'atteinte neurologique. Les manifestations extra-pyramidales sont
habituelles. Les crises convulsives sont plus fréquentes qu'avec les butyrophé
nones.

Les complications cardiaques sont encore plus marquées qu'avec les


butyrophénones, avec la possibilité de morts subites, d'arythmies ventriculaires
malignes incluant les torsades de pointes, un élargissement du complexe QRS et
un allongement de l'intervalle QT. Les modifications électrocardiographiques
peuvent être proportionnelles à la dose. Les arythmies peuvent survenir après un
délai de plus de 6 heures et être soutenues, dans les formes galéniques à
résorption prolongée mais également pour les formulations habituelles.

En ce qui concerne les thioxanthènes, les effets toxiques principaux sont


également une altération de la conscience, des signes extra-pyramidaux et des
dyskinésies tardives.
Dosages toxicologiques

Les dosages toxicologiques n'apportent aucune information utile pour la


surveillance ou le traitement du patient.

Traitement

L'administration de charbon activé peut être proposée, idéalement dans l'heure


suivant l'ingestion, chez le patient stabilisé. Il n'y a pas d'indication d'épuration
extra-rénale.

Les complications neurologiques, respiratoires ou cardiovasculaires seront


traitées de manière non spécifique. Les anomalies du complexe QRS
(élargissement) sont justifiables de l'administration intraveineuse de sels de
bicarbonate molaire.

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Antipsychotiques atypiques

Les substances en cause sont essentiellement l'aripiprazole, la clozapine,


l'olanzapine, la quétiapine, la rispéridone et la ziprasidone. Les antipsychotiques
atypiques font partie de la classe des dibenzothiazépines et des
dibenzoxazépines, entraînant moins d'effets extra-pyramidaux et de dyskinésie
tardive que les neuroleptiques classiques. La loxapine possède des similarités
structurelles et fonctionnelles avec la clozapine.

Symptomatologie

Les effets toxiques d'un surdosage aigu en antipsychotiques atypiques sont


principalement marqués par une exagération de leurs effets
pharmacologiques. Il existe quelques particularités selon les médicaments
considérés.

Dans la sphère neurologique, on retrouve principalement une léthargie, des


troubles de la conscience allant jusqu'au coma, mais plus rarement une
dépression respiratoire. Les crises convulsives sont rares et elles semblent, du
moins pour la clozapine, dose-dépendantes. Les crises épileptiques sont
fréquentes avec l'amoxapine et la loxapine ; elles peuvent être prolongées et
mener à des tableaux plus complexes (hyperthermie, rhabdomyolyse). Le
surdosage en olanzapine donne volontiers des périodes de léthargie profonde
entrecoupées de périodes d'agitation intense. La clozapine et l'olanzapine
possèdent des effets anticholinergiques centraux pouvant expliquer les troubles
comportementaux. Curieusement, le myosis est un signe fréquent dans
l'intoxication par olanzapine. Les manifestations extra-pyramidales sont
fréquentes chez l'enfant et plus rares chez l'adulte.

Parmi les manifestations cardiovasculaires, la tachycardie sinusale est le signe le


plus fréquent. Il peut y avoir une hypotension orthostatique, rarement
menaçante. Par contre, une hypertension relative est plus fréquente avec la
rispéridone. Les modifications électrocardiographiques sont habituellement
modérées (anomalies aspécifiques du segment ST ou de l'onde T). Rarement, on
constate des modifications du QRS et du QT (probablement liées à la dose). Il
n'y pas de description de torsades de pointes ni de complications rythmiques
majeures. Les anomalies cardiaques font souvent suite aux anomalies
neurologiques.

Dosages toxicologiques

Les dosages toxicologiques n'apportent aucune information utile pour la


surveillance ou le traitement du patient.

Traitement

Le traitement est essentiellement symptomatique, avec les indications


habituelles de décontamination gastro-intestinale. Il n'y a pas d'indication
d'épuration extra-rénale.

Les complications neurologiques, respiratoires ou cardiovasculaires seront


traitées de manière non spécifique. Les anomalies du complexe QRS
(élargissement) sont justifiables de l'administration de sels de bicarbonate
molaire.

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Principales références
Blaye IL, Donatini B, Hall M. Acute overdosage with thioridazine : a review of the
available clinical exposure. Vet Hum Toxicol 1993 ; 35 : 147-150.
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Toxicol Clin Toxicol 2001 ; 39 : 1-14.
Cobaugh DJ, Erdman AR, Booze LL, et al. Atypical antipsychotic medication
poisoning : an evidence-based consensus guideline for out-of-hospital
management. Clin Toxicol 2007 ; 45 : 918-942.
Haller E, Binder RL. Clozapine and seizures. Am J Psychiatry 1990 ; 147: 1069-1071.
Mazzola CD, Miron S, Jenkins AJ. Loxapine intoxication : case report and
literature review. J Anal Toxicol 2000 ; 24 : 638-641.
Palenzona S, Meier PJ, Kupferschmidt H, Rauber-Luethy C. The clinical picture of
olanzapine poisoning with special reference to fluctuating mental status. J
Toxicol Clin Toxicol 2004 ; 42 : 27-32.
Antiépileptiques

Philippe Hantson

Les médicaments antiépileptiques sont des substances qui demeurent encore


fréquemment utilisées lors des tentatives de suicide médicamenteuses. De
façon schématique, il est possible de classer ces substances en 2 groupes : les
anciennes générations représentées par le phénobarbital, la phénytoïne,
l'acide valproïque et la carbamazépine ; les nouvelles générations représentées
essentiellement par le topiramate, le vigabatrine, la tiagabine, la gabapentine,
le lévétiracétam, le felbamate, la lamotrigine et l'oxcarbazépine. Il découle des
observations isolées ou des rares séries publiées que les intoxications aiguës par
les antiépileptiques de nouvelles générations s'accompagnent d'une mortalité
et d'une morbidité extrêmement basses. Par contre, la mortalité et la morbidité
demeurent élevées avec les molécules antiépileptiques de la génération anté
rieure, en particulier avec l'acide valproïque.

Le traitement des intoxications par médicaments antiépileptiques est avant tout


symptomatique.

Anciennes générations

Phénobarbital

Symptomatologie

La caractéristique principale de l'intoxication aigué par le phénobarbital est


celle d'une dépression nerveuse centrale et respiratoire de durée prolongée
(habituellement de 48 à 72 h) en raison de la longue demi-vie du phénobarbital
(120 h). La symptomatologie s'installe en quelques heures. Il s'agit classiquement
d'un coma calme, hypotonique, hyporéflexique, sans signes de latéralisation.
Dans les formes extrêmes, l'état clinique peut donner le change pour un état de
mort encéphalique, avec un tracé électroencéphalographique montrant des
périodes prolongées de silence électrique, sans valeur pronostique en l'absence
d'un épisode hypoxique préalable.

Les complications principales sont :

- hypothermie ;

- rhabdomyolyse ;

- surinfection pulmonaire ;

- hypotension artérielle sur vasoplégie.

Dosages toxicologiques

Il existe pour le phénobarbital une certaine corrélation (surtout chez les patients
habituellement non traités par la molécule) entre les concentrations sanguines
et la symptomatologie clinique. Les formes graves avec coma profond,
hypothermie et hypotension s'accompagnent pratiquement toujours de
concentrations supérieures à 150 mg/l.
Traitement

Le traitement est symptomatique, avec les recommandations habituelles de


décontamination gastro-intestinale :

- administration répétée de charbon activé (25 g toutes les 4 à 6 h) : efficace et


recommandée d'un point de vue cinétique, efficacité clinique plus difficilement
démontrable ;

- diurèse osmotique alcaline : intérêt toxicocinétique mais efficacité clinique


non démontrée ;

- hémodialyse : pratiquement abandonnée dans cette indication en raison du


faible bénéfice clinique. À discuter en cas d'insuffisance rénale organique ou
d'insuffisance hépatique.

Phénytoïne

Symptomatologie

Les décès sont extrêmement rares après une intoxication aigué par la
phénytoïne prise isolément.

Le tableau neurologique comporte des signes modérés (confusion), avec pré


dominance de signes cérébelleux (nystagmus, ataxie), ou une altération plus
marquée de l'état de conscience et de la respiration en cas d'ingestion
massive. Des manifestations convulsives sont possibles.

Il n'existe habituellement pas de complications cardiovasculaires significatives


(arythmies ou hypotension) lors de l'ingestion de doses même importantes.

Dosages toxicologiques

Il existe habituellement une bonne corrélation entre les concentrations


plasmatiques et la symptomatologie. Dans les intoxications majeures, la
concentration sanguine est supérieure à 40 µg/ml.

Traitement

Le traitement est symptomatique. Les indications habituelles d'épuration


digestive peuvent être proposées. Il n'y a pas d'indication d'hémodialyse. Les
benzodiazépines sont utilisées en cas de convulsions.

Acide valproïque

Symptomatologie

La symptomatologie de l'intoxication aigué par l'acide valproïque peut être


extrêmement inquiétante en cas d'ingestion massive et le décès est possible.
Dans ces formes sévères, le tableau clinique est dominé par un coma avec
œdème cérébral, une hyperammoniémie, une acidose métabolique, une
hyperlactatémie, un collapsus, une insuffisance rénale aigué. Les formes
mineures sont caractérisées par une altération de l'état de conscience, avec
hyperammoniémie fréquente, en l'absence de toute insuffisance hépato-
cellulaire.

Dosages toxicologiques

Il n'existe pas de bonne corrélation entre les concentrations sanguines d'acide


valproïque et la symptomatologie. Cependant des concentrations sanguines
supérieures à 850 µg/ml signent toujours des intoxications graves.

Traitement

Le traitement est symptomatique, avec les recommandations habituelles de


décontamination gastro-intestinale. Il n'y a pas d'indication reconnue
d'hémodialyse, utilisée dans certaines formes sévères compliquées d'acidose
métabolique et d'insuffisance rénale aigué.

L'administration thérapeutique de L-carnitine peut être discutée dans les formes


comateuses avec hyperammoniémie, en raison de l'interférence possible de
l'acide valproïque avec la carnitine dans les processus de β-oxydation.

La posologie de L-carnitine est habituellement de 100 mg/kg/j pendant 3 jours.


Ce traitement n'a cependant pas été validé par des études cliniques.

Carbamazépine

Symptomatologie

L'intoxication aigué peut être à l'origine d'un coma prolongé. On peut retrouver
fréquemment un nystagmus, des signes pyramidaux et anticholinergiques. La
dépression respiratoire et les convulsions sont également fréquentes.

Il existe également des complications cardiovasculaires significatives :


hypotension, tachy ou bradycardie sinusale, troubles de la conduction
auriculoventriculaire ou intraventriculaire.

Dans l'analyse biologique, on peut retrouver une hyponatrémie par sécrétion


inappropriée de l'hormone antidiurétique.

Dosages toxicologiques

Il n'y a pas de bonne corrélation entre les concentrations sanguines et la


symptomatologie.

Traitement

Le traitement est symptomatique. L'administration de doses répétées de


charbon activé est recommandée, même si le bénéfice clinique n'est pas
démontré. Le traitement des troubles du rythme cardiaque est symptomatique.
Les sels de sodium alcalins sont indiqués en cas de troubles de la conduction
intraventriculaire.

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Nouvelles générations

En comparaison avec les molécules de générations antérieures, les intoxications


aiguës par les molécules plus récemment apparues semblent s'accompagner
d'une mortalité et d'une morbidité nettement moindres. Parmi les avantages
attachés à certaines de ces molécules, il faut citer une absence de
métabolisation hépatique significative (et donc une faible incidence
d'interférences métaboliques) et une faible liaison aux protéines plasmatiques.
Ces propriétés ne s'étendent pas toutefois à toutes les molécules récemment
développées. L'élimination rénale est prédominante, ce qui impose une
réduction de la dose d'entretien pour les substances concernées. Les
surdosages dans un contexte d'insuffisance rénale sont peu documentés
actuellement, faute d'un recul suffisant.

Plutôt que de décrire les manifestations individuelles de chaque molécule, il


paraît plus utile de présenter la symptomatologie commune aux différentes
substances, tout en insistant sur certaines particularités.

Symptomatologie

Manifestations neurologiques

Les principales manifestations sont une altération habituellement modérée de


l'état de conscience (somnolence). Des troubles comportementaux et des
épisodes d'agitation, de confusion, de désorientation sont possibles.

Rarement, la survenue d'un état de mal épileptique a été décrite, notamment


après l'ingestion de doses importantes de tiagabine ou de lamotrigine.

À noter que le topiramate semble accroître l'incidence de l'hyperammoniémie


lorsque cette molécule est associée à l'acide valproïque, y compris à des doses
thérapeutiques.

Manifestations cardiovasculaires

La lamotrigine agit par inhibition des canaux sodiques voltage-dépendants de


la membrane neuronale présynaptique. L'ingestion de doses majeures de
lamotrigine pourrait s'accompagner d'un élargissement modéré (< 120 msec)
du complexe QRS.

Troubles métaboliques

Une acidose métabolique à trou anionique non augmenté peut être observée
lors de l'intoxication aigué par le topiramate, en raison de l'inhibition de
l'anhydrase carbonique rénale. Elle ne se résout parfois qu'après plusieurs jours.

Troubles urinaires

Une cristallurie avec hématurie et éventuellement insuffisance rénale aigué a


été rapportée avec le felbamate.

Dosages toxicologiques

La plupart des nouveaux antiépileptiques ne font pas l'objet d'une surveillance


des concentrations sériques. Cette détermination n'a aucune conséquence sur
l'estimation de la sévérité ni sur la prise en charge des intoxications.
Traitement

Le traitement des intoxications aiguës par antiépileptiques récents est purement


symptomatique. Il est essentiellement conditionné par la prise en charge
correcte (intubation, ventilation assistée) des altérations de l'état de
conscience. L'apparition de manifestations épileptiques causées soit par le
surdosage médicamenteux, soit par un sevrage relatif en phase tardive de
l'intoxication sera traitée classiquement : benzodiazépines injectables en
première intention et reprise d'un traitement antiépileptique par une molécule
classique (phénytoïne, acide valproïque) ou par le schéma habituellement
utilisé par le patient en traitement chronique. Exceptionnellement, en cas de
modification de l'espace QRS, le traitement spécifique par le bicarbonate de
sodium molaire sera appliqué.

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Principales références
Craig S. Phenythoin poisoning. Neuro Crit Care 2005 ; 3 : 161-170.
Hantson P. Nouveaux anti-épileptiques : quelle toxicité en cas d'intoxication
aigué? JEUR 2005 ; 18 : 221-226.
Lheureux PE, Penazola A, Zahir S, Gris M. Science review : carnitine in the
treatment of valproic acid-induced toxicity. What is the evidence ? Crit Care
Med 2005 ; 9 : 431-440.
Rengstorff DS, Milstone AP, Seger DL. Felbamate overdose complicated by
massive crystalluria and acute renal failure. Clin Toxicol 2000 ; 38 : 667-669.
Sztajnkrycer MD. Valproate toxicity : overview and management. J Toxicol Clin
Toxicol 2002 ; 40 : 789-801.
Wilner A, Raymond K, Pollard R. Topiramate and metabolic acidosis. Epilepsia
1999 ; 40 : 792-795.
Antihistaminiques H1

Philippe Saviuc

Les antihistaminiques H1 (anti-H1) sont impliqués dans environ 5% des


intoxications médicamenteuses volontaires.

Pharmacologie

Les anti-H1 réduisent la contraction du muscle lisse (diminution des


vomissements, de la bronchoconstriction) et la vasodilatation (diminution de la
perméabilité capillaire) induites par la présence d'histamine. Au niveau du SNC,
ils agissent sur les récepteurs H1 (induction d'une sédation) et ont un effet
antimuscarinique (induction d'effets anticholinergiques). Ils sont utilisés comme
antiallergiques, sédatifs, contre le vertige et le mal des transports.

On sépare les anti-H1 de 1re génération de ceux de 2e génération.

Les anti-H1 de 1re génération franchissent aisément la barrière hémato-encé


phalique, rendant possibles la dépression du SNC et l'apparition d'effets
anticholinergiques.

Les anti-H1 de 2e génération (dérivés de la pipérazine et de la pipéridine)


franchissent difficilement la barrière hémato-encéphalique et ont une
spécificité renforcée vis-à-vis du récepteur H1 : les effets dépresseurs du SNC et
anticholinergiques sont absents ou très réduits ( Tab. 1 ). Parmi ces derniers,
l'astémizole et la terfénadine, responsables de torsades de pointes, ont été
retirés du marché.

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Clinique

Les intoxications par les anti-H1 de 1re génération associent des effets
neurologiques (dépression du SNC, convulsions) et des effets anticholinergiques.
Le risque est dominé par la répétition des convulsions et l'apparition de troubles
du rythme cardiaque, particulièrement en présence de dérivés de
l'éthanolamine (diphénhydramine) :

- le patient est somnolent et agité et peut présenter une désorientation, une


confusion, des hallucinations, un délire. Le coma profond est peu fréquent. Les
convulsions, liées à l'effet anticholinergique, sont plus fréquentes chez l'enfant et
avec les dérivés de l'éthanolamine. Elles peuvent être précédées par des signes
d'excitation du SNC (réflexes ostéotendineux vifs, myoclonies, secousses
musculaires) et être prolongées. Des signes extrapyramidaux sont possibles avec
la diphénhydramine (dystonies, dyskinésies, incoordination motrice) ;

Classes Antihistaminiques H1 de 1re Antihistaminiques H1 de


génération 2e génération

Sédatif : ++ à +++ Sédatif : ±


Anticholinergique : ++ à +++ Anticholinergique : ±

Éthanolamines1 carboxinamine (Allergafond®) -


dimenhydrinate (Dramanine®,
Nausicalm®, Mercalm®)5
diphenhydramine
(Nautamine®, Actifed jour et
nuit®)3 doxylamine
(Donormyl®)

Alkylamines chlorphéniramine -
(Polaramine®)

Phénothiazines2,3, alimémazine (Théralène®) -


4
oxomémazine (Toplexil®)
prométhazine (Phénergan®)
méquitazine (Primalan®)6

Pipérazinés hydroxyzine (Atarax®) cétirizine (Virlix®, Zyrtec®)


niaprazine (Nopron®) lévocétirizine (Xyzall®)

Pipéridinés cyproheptadine (Périactine®) fexofénadine (Telfast®)


loratadine (Clarytine®)
desloratadine (Aerius®)
élastine (Kestin®)
mizolastine (Mizollen®)
kétotifène (Zaditen®)
1 Anticholinergique ++++, effet stabilisant de membrane (convulsions,
troubles cardiaques).

2 Possible effet alpha-lytique.

3 Signes extrapyramidaux (dystonie, dyskinésie, mouvements anormaux).

4 Myosis possible.

5 Libère diphenhydramine + théophylline (Voir chapitre Théophylline).

6 Sédatif +.

- d'autres signes anticholinergiques sont présents : nausées, vomissements,


sécheresse de la bouche, ralentissement du transit (abolition des bruits
intestinaux), rétention urinaire, mydriase et tachycardie sinusale. La peau
apparaît sèche, chaude ; l'hyperthermie est reliée à l'agitation, dans ce
contexte d'absence de sudation ;

- une hypotension artérielle peut être majorée par un effet propre alphalytique.
Les troubles cardiaques (surtout avec la diphénhydramine) sont proches de
ceux observés avec les antidépresseurs tricycliques : bloc auriculo-ventriculaire,
troubles de conduction intraventriculaire (allongement du QT, élargissement du
QRS, torsades de pointes) et troubles du rythme (bigéminisme, tachycardie
ventriculaire). Ils peuvent être annoncés par la présence de convulsions ;

- une rhabdomyolyse est à rechercher, plus fréquente lors des intoxications par
doxolamine et diphénhydramine.

L'intoxication par les anti-H1 de 2e génération se traduit par l'apparition d'une


somnolence modérée, parfois accompagnée de quelques signes
anticholinergiques mineurs (sécheresse de la bouche, tachycardie sinusale).

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Analyse toxicologique

Le dosage des anti-H1 n'est pas disponible en urgence ; la connaissance de leur


résultat ne modifie en aucune manière le traitement ni la surveillance de
l'intoxiqué.

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Traitement

L'administration de charbon activé peut être proposée dans l'heure qui suit
l'ingestion.

La prise en charge est commune à celle des intoxiqués par psychotropes.

L'agitation est traitée par benzodiazépines, l'hyperthermie par refroidissement


externe, les convulsions par benzodiazépines (diazépam, lorazépam).

La surveillance d'un éventuel allongement de l'intervalle QT est réalisée de


principe, notamment en présence d'un dérivé de l'éthanolamine.

Le traitement des troubles de la conduction (administration intraveineuse de sels


molaires de sodium) et celui des troubles du rythme cardiaque se calquent sur
ceux induits par les antidépresseurs tricycliques (Voir chapitre Antidépresseurs) ;
une torsade de pointes est traitée par isoprénaline, sels de magnésium, voire
entraînement électrosystolique.

Les techniques d'épuration extra-rénale sont sans intérêt.

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Principales références
Kuchar DL, Walker BD, Thorburn CW. Ventricular tachycardia following ingestion
of a commonly used antihistamine. Med J Aust 2002 ; 176 : 429-430.
Sharma AN, Hexdall AH, Chang EK, Nelson LS, Hoffman RS. Diphenhydramine-
induced wide complex dysrhythmia responds to treatment with sodium
bicarbonate. Am J Emerg Med 2003 ; 21 : 212-215.
Thomas SHL. Antihistamine poisoning. Medicine 2007 ; 35 : 592-593.
Antalgiques et Anti-Inflammatoires Non Stéroïdiens

Christine Tournoud

Antalgiques

De nombreuses spécialités existent sur le marché contenant un ou plusieurs


principes actifs. Il ne faut pas oublier de considérer la toxicité des différentes
molécules en cas d'intoxication.

Intoxication au paracétamol

Le paracétamol est antalgique et antipyrétique : c'est un toxique lésionnel


pouvant entraîner une cytolyse hépatique.

Toxicocinétique

Son absorption digestive est rapide au niveau de l'intestin grêle : à dose


thérapeutique, le pic sérique est atteint en moins de 1 heure, plus retardé en
cas de surdosage mais inférieur à 4 heures.

La métabolisation est essentiellement hépatique, à 90% en dérivés inactifs par


glycurono et sulfoconjugaison. 10% sont métabolisés par l'intermédiaire du
cytochrome P450 en NAPBQI (N-acétyl-P-benzoquinone-imine), métabolite
cytotoxique secondairement conjugué au glutathion en un métabolite inactif
éliminé dans les urines. En cas de surdosage, le glutathion est consommé,
entraînant l'accumulation du métabolite cytotoxique. La N-acétylcystéine
(NAC) permet de reconstituer le stock de glutathion.

Dose toxique

- Chez l'adulte : ≥ 150 mg/kg.

- Chez l'enfant : ≥ 200 mg/kg.

- Toxicité moindre chez le nourrisson et l'adolescent.

Diagnostic

- Signes cliniques : nausées, vomissements, pas toujours présents.

- Signes biologiques : l'élévation des transaminases intervient à partir de la 12e


heure de même que l'altération de l'hémostase. Ces anomalies sont maximales
entre le 2e et le 4e jour après l'ingestion. L'évolution se fait le plus souvent vers la
régression progressive des anomalies hépatiques et de l'hémostase. Dans les cas
les plus sévères, l'insuffisance hépatocellulaire se majore avec ictère,
encéphalopathie hépatique, hypoglycémie, insuffisance rénale : le pronostic
vital est engagé en l'absence de transplantation hépatique.

Le dosage plasmatique du paracétamol est un indicateur de gravité et va


guider la prise en charge thérapeutique s'il est réalisé entre la 4e et la 16e heure
après l'ingestion. Son interprétation est plus délicate si l'heure de l'ingestion est
imprécise, en cas de prise étagée, de terrain particulier (éthylisme chronique,
dénutrition, prise concomitante d'inducteurs enzymatiques ou de médicaments
ralentissant la vidange gastrique).

Traitement

- Épurateur : le lavage gastrique n'a pas d'intérêt. Le charbon activé ne peut


être recommandé que dans l'heure qui suit l'ingestion.

- Antidotique : il repose sur l'administration précoce (idéalement avant la 10e


heure après l'ingestion) de NAC (Fluimucil®) qui apporte dans le plasma de la
cystéine, précurseur du glutathion intracellulaire. L'indication d'administration de
la NAC doit être posée en fonction de la paracétamolémie effectuée en
urgence et reportée sur le diagramme de Rumack et Matthew ( Fig. 1 ;
courbe A ou C selon l'absence ou la présence de facteurs de risque). Si l'heure
de l'ingestion est imprécise, il faut re-contrôler la paracétamolémie 4 heures
après pour évaluer la demi-vie d'élimination (risque d'hépatite si demi-vie > 4
heures). L'efficacité par voie orale ou intraveineuse est identique :

- voie orale : dose de charge 140 mg/kg en solution diluée puis 70 mg/kg/4 h
pendant 72 heures ;

- voie IV : dose de charge 150 mg/kg sur 60 minutes, puis 50 mg/kg sur les 4
heures suivantes et 100 mg/kg sur les 20 heures suivantes.

Les effets secondaires sont : rash cutané, bronchospasme, rare choc


anaphylactoïde (effets indésirables plus fréquents en cas de perfusion rapide de
la dose de charge ou si l'indication n'est pas justifiée). En cas d'atteinte
hépatique, le traitement par NAC doit être prolongé plusieurs jours jusqu'à la
diminution des enzymes hépatiques et la correction des facteurs de
coagulation (dose recommandée de 300 mg/kg/j).

Intoxication aux opiacés

La morphine est un alcaloïde extrait de l'opium. C'est l'analgésique de réfé


rence. Elle a une action agoniste sur les récepteurs morphiniques µ. Selon leur
action sur ces récepteurs, on classe les opiacés en:

- agonistes faibles (codéine, pholcodine, dextropropoxyphène, tramadol…) et


agonistes forts (morphine, péthidine, fentanyl, méthadone…) ;

- agonistes partiels/agonistes antagonistes : buprénorphine, nalbuphine… ;

- antagonistes : naloxone, naltrexone.


Figure 1 - Nomogramme de Rumack et Matthew, adapté (échelle semi-
logarithmique).

La ligne A passant par 200 mg/l à H4 correspond à la ligne de traitement d'un


patient ne présentant pas de facteur de risque (hépatotoxicité probable :
risque de 60% en l'absence de NAC).

La ligne B passant par 150 mg/l à H4 (réduction de 25% de la concentration à


H4) a été imposée par la FDA (Food and Drug Administration) pour prendre en
compte d'éventuelles incertitudes (heure d'ingestion… ; hépatotoxicité possible)
; elle est peu utilisée en France.

La ligne C passant par 100 mg/l à H4 correspond à la ligne de traitement d'un


patient présentant un ou plusieurs facteurs de risque.

NB: 100 mg/l = 0,66 mmol/l ; 0,1 mmol/l = 15,15 mg/l.

Ces différentes molécules, en fonction de leur mécanisme d'action, entrent


dans la composition d'antalgiques, d'antitussifs, d'antidiarrhéiques, d'antidotes.

Toxicocinétique

Il est impossible de de'tailler ici la cinétique de toutes ces molécules. Il faut


cependant insister sur la demi-vie d'élimination prolongée de certains opiacés
(12 h pour la buprénorphine, jusqúà 36 h pour la méthadone). De plus, certaines
préparations commerciales sont des formes retard majorant le risque.

Diagnostic

Les signes cliniques évocateurs sont :

 diminution de la douleur si elle existait, euphorie ;


 troubles de la conscience : somnolence, coma aréactif ;
 dépression des centres respiratoires pouvant conduire à l'apnée et à
l'arrêt cardiaque hypoxique, inhibition du réflexe de toux ;
 myosis : punctiforme (agonistes), inconstant pour les
agonistes/antagonistes ;
 autres effets : nausées, vomissements (codéine), convulsions, choc
cardiogénique ou troubles de conduction.

Les dosages toxicologiques : les opiacés sont retrouvés préférentiellement dans


les urines (codéine, morphine…). Il faut parfois demander un dosage spécifique
d'autres molécules (par exemple, buprénorphine).

Traitement

 Symptomatique : ventilation au masque, intubation…


 Antidotique : il repose sur l'administration d'un antagoniste pur tel que la
naloxone (Narcan®). Il permet de traiter les troubles de conscience mais
surtout la dépression respiratoire, l'objectif étant l'obtention d'une
fréquence respiratoire supérieure à 12 cycles/min. Il est utile en cas
d'intoxication par les morphiniques agonistes mais peu efficace en cas
d'intoxication à la buprénorphine, la méthadone, le dextropropoxyphène,
le tramadol. En raison de sa courte durée d'action (très inférieure à celle
des opiacés), il expose à une nouvelle dépression respiratoire ; il peut
également entraîner un syndrome de sevrage. Il se présente sous forme
d'ampoule de 1 ml/0,4 mg à diluer dans 10 ml : la dose préconisée est de
0,1 mg toutes les 2 à 3 minutes (0,01 à 0,03 mg/kg chez l'enfant) jusqu'à 2
mg, voire 10 mg au maximum.

Quelques points particuliers

 Le dextropropoxyphène : en cas d'intoxication, on peut observer des


convulsions, une toxicité cardiaque (troubles du rythme et de conduction,
choc cardiogénique), un œdème aigu du poumon, une hypothermie. La
naloxone est inefficace sur les troubles circulatoires.
 La méthadone : utilisée dans les traitements de substitution, sa
caractéristique principale est d'avoir une demi-vie d'élimination très
longue nécessitant une surveillance médicale prolongée (environ 48
heures) en raison des risques de dépression respiratoire tardive et
prolongée.
 La buprénorphine : utilisée également comme traitement de substitution
par voie sublinguale, elle est souvent injectée en IV par les toxicomanes
entraînant, surtout en cas d'association avec d'autres médicaments
(benzodiazépines), des risques accrus de dépression respiratoire. Les
autres effets signalés sont : agitation, tachycardie, hallucinations,
hypotension. La naloxone est inefficace dans l'intoxication par
buprénorphine.
 Le tramadol : antalgique de plus en plus largement diffusé, seul ou en
association, il a la particularité d'avoir un double mécanisme d'action : sur
les récepteurs morphiniques µ et par inhibition de la recapture de la
sérotonine et de la noradrénaline. Les signes cliniques décrits sont :
convulsions, collapsus cardiovasculaire, syndrome sérotoninergique rare.

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Anti-inflammatoires non sté roïdiens (AINS)

Cette classe thérapeutique inclut de nombreuses molécules qui ont des


propriétés anti-inflammatoires, antalgiques, antipyrétiques.

Intoxication à l'aspirine

Devenue rare, cette intoxication peut être grave dans certaines circonstances :
dose importante, retard de prise en charge, jeune enfant, femme enceinte,
pathologie rénale ou hépatique préexistante.

Toxicocinétique

 Absorption : acide faible rapidement hydrolysé dans le tube digestif en 30


minutes à dose thé rapeutique. L'absorption est ralentie par la présence
d'aliments, d'adsorbants ou dans les formes retard : il peut se former des
conglomérats dans l'estomac. L'absorption est possible par voie cutanée
ou rectale. Le pic plasmatique intervient entre la 2e et la 4e heure, voire
plus tard en cas de formes gastro-résistantes (ou de conglomérats). La
liaison protéique est de l'ordre de 80 à 90 %.
 Élimination : 95% de la quantité ingérée est conjuguée au niveau
hépatique à la glycine et à l'acide glucuronique avec formation de
composés inactifs, éliminés par voie rénale. Lors d'un surdosage, les
systèmes de conjugaison sont saturés. L'élimination rénale de l'acide
salicylique devient prépondérante avec filtration glomérulaire,
réabsorption tubulaire puis sécrétion tubulaire active. La demi-vie
d'élimination est de 2 à 4 heures à dose thérapeutique et peut aller
jusqu'à 40 heures en cas de surdosage. L'alcalinisation urinaire,
augmentant la fraction ionisée, diminue la réabsorption et favorise ainsi
l'élimination.

Dose toxique

 Chez l'adulte : 10 g en prise unique.


 Chez l'enfant : 100 mg/kg en prise unique.

L'aspirine exerce sa toxicité par deux mécanismes : inhibition de la synthèse des


prostaglandines et effet toxique cellulaire direct.

La gravité de l'intoxication n'est pas strictement corrélée à la salicylémie. Elle


sera jugée sur les signes cliniques, les troubles acido-basiques et la salicylémie.

Les premiers symptômes apparaissent pour des salicylémies de l'ordre de 250


mg/l : l'intoxication est grave autour de 500 mg/l et une épuration extrarénale
est envisagée au-delà de 900 mg/l.

Diagnostic

 Troubles neurosensoriels : céphalées, bourdonnements d'oreille, vertiges,


somnolence, agitation, hallucinations, coma, convulsions.
 Troubles digestifs : épigastralgies, nausées, vomissements, rarement
hémorragies et perforations digestives.
 Troubles respiratoires : hyperpnée par stimulation des centres bulbaires
entraînant une alcalose respiratoire et, dans les cas graves, dépression
respiratoire par épuisement.
 Troubles rénaux : insuffisance rénale aiguë fonctionnelle.
 Troubles cardiovasculaires : tachycardie et, en cas de prise importante,
choc vasoplégique d'origine centrale.
 Hyperthermie, due au découplage de la phosphorylation oxydative,
accompagnée d'hypersudation, de vasodilatation et de déshydratation.
 Signes biologiques :

 troubles acido-basiques : alcalose respiratoire initiale compensée


par une perte de bicarbonates urinaires, puis acidose métabolique
avec hyperlactatémie, cétonurie… ;
 hypokaliémie : favorisée par l'alcalose ;
 anomalies de l'hémostase : hypoprothrombinémie,
hypofibrinémie…

Traitement

 Symptomatique : il est essentiel, comportant une réhydratation, l'apport


éventuel de glucose ou de bicarbonates, de vitamine K.
 Évacuateur par lavage gastrique ou charbon activé : il n'a pas d'intérêt
démontré.
 Épurateur :

 la diurèse alcaline augmente l'élimination rénale des salicylés ; il


faut obtenir un pH urinaire supérieur à 7,5 ;
 l'épuration extra-rénale (hémodialyse) est indiquée en cas
d'intoxication grave avec salicylémie supérieure à 900 mg/l, en cas
d'acidose sévère ou dans les formes compliquées (insuffisance
rénale, œdème aigu du poumon).

Intoxication par les autres AINS

Les intoxications, volontaires ou accidentelles, par les AINS sont en général


bénignes. Les AINS constituent une classe thérapeutique comportant plusieurs
familles. Ils dérivent soit de l'acide carboxylique (acides fénamique,
propionique, acétique et salicylique), soit de l'acide énolique (pyrazolés,
oxicams).

Toxicocinétique

L'absorption digestive des AINS est rapide (1 à 4 h). La fixation protéique est
importante. Ils subissent une métabolisation hépatique aboutissant à des dérivés
inactifs. L'élimination est urinaire sous forme active ou métabolisée. La demi-vie
d'élimination est variable : 1 à 3 heures pour le kétoprofène, jusqu'à 60 heures
environ pour les oxicams.

Dose toxique

On considère que la dose toxique théorique est égale à 10 fois la dose


thérapeutique chez l'adulte et 5 fois la dose de l'adulte rapportée au poids chez
l'enfant.
Ibuprofène chez l'enfant : généralement asymptomatique si la dose est
inférieure à 100 mg/kg ; réaction modérée jusqu'à 400 mg/kg.

Diagnostic

 Troubles digestifs : douleurs abdominales, nausées, vomissements…


 Troubles neurosensoriels : céphalées, vision floue, acouphènes, vertiges,
somnolence…
 Insuffisance rénale aiguë.
 Troubles neurologiques : coma, convulsions…
 Autres : troubles de l'hémostase, hémorragies digestives, hypotension
artérielle, insuffisance hépatique… selon la molécule et les doses
ingérées.

Traitement

 Évacuateur : réservé aux formes graves et vues précocement.


 Symptomatique : pansement gastrique, hydratation.

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Antispasmodiques

Les intoxications par antispasmodiques anticholinergiques (atropine, tiémonium)


peuvent être graves avec délire, tachycardie, HTA, mydriase, coma,
convulsions… Celles par les non-anticholinergiques comme le phloroglucinol
sont généralement bénignes.

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Principales références
De Decker K, Cordonnier J, Jacobs W, et al. Fatal intoxication due to tramadol
alone : case report and review of the literature. Forensic Sci Int 2008 ; 175 : 79-82.
Grenier-Vanheste S, Maurel-Polbos A. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens
(AINS). In : Les intoxication aiguës en réanimation. Paris : Arnette, 1999 : 373-378.
Maurel-Polbos A, Grenier-Vanheste S. Les salicylés. In : Les intoxications aiguës
en réanimation. Paris : Arnette, 1999 : 365-372.
Proudfoot AT, Krenzelok EP, Vale JA. Position paper on urine alkalinization. J
Toxicol Clin Toxicol 2004 ; 42 : 1-26.
Saviuc P, Danel V. Intoxication aiguë par le paracétamol. Rev Prat 2008 ; 58 :
861-871.
Saviuc P. N-acétylcystéine. In : Baud F, Barriot P, Riou B, eds. Les antidotes. Paris :
Masson, 1992 : 149-168.
Testud F, Descotes J. Pour un usage rationnel de la N-acétylcystéine dans les
intoxications au paracétamol. JEUR 2003 ; 16 : 74-79.
Digitaliques Roland Ducluzeau, Aurélia Marfisi-Dubost

NA

Les intoxications digitaliques aiguës, généralement volontaires, sont rares mais


graves. Les intoxications subaiguës ou chroniques, par surdosage
thérapeutique, sont plus fréquentes, de diagnostic plus difficile, notamment
chez les sujets âgés. Les démarches diagnostiques et thérapeutiques sont
communes.

La mortalité était très importante, de l'ordre de 20%, avant l'utilisation de


l'immunothérapie. Celle-ci a permis une amélioration du pronostic, mais de
façon encore insuffisante, car l'utilisation pourrait en être optimisée, notamment
lors des intoxications subaiguës et chroniques.

Médicaments

Les spécialités disponibles actuellement en France sont la Digoxine® et


l'Hémigoxine®.

Bien que la digitoxine ait été retirée du marché en France en 2003, le choix est
fait de continuer d'y faire référence.

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Données pharmacologiques

Caractéristiques pharmacocinétiques

Elles sont résumées dans le tableau 1 pour la digoxine et la digitoxine. La


digoxine a une moins bonne biodisponibilité que la digitoxine. L'élimination de la
digoxine est rénale alors que la digitoxine est surtout métabolisée au niveau
hépatique.

Digoxine Digitoxine

Biodisponibilité 60% 100%

Volume de distribution 5,6 l/kg 0,56 l/kg

Liaison protéines 25% 95%

Demi-vie 1,6 j 6j

Cycle entéro-hépatique 7% 26%

Élimination Rénale Hépatique

Le risque de toxicité de la digoxine est donc accru par l'insuffisance rénale et


par divers autres facteurs : hypothyroïdie, hypokaliémie, hypomagnésémie,
hypercalcémie, cœur pulmonaire chronique. Parmi les médicaments qui
augmentent la concentration sanguine de digoxine, les plus fréquemment
prescrits sont : quinidine, amiodarone, vérapamil, spironolactone, anti-
inflammatoires, antihypertenseurs.

Rappel pharmacologique

Les digitaliques inhibent la Na+/K+-ATPase membranaire, au niveau du


myocarde, mais aussi des fibres musculaires lisses. L'effet est l'augmentation de
la concentration intracellulaire de sodium, entraînant l'augmentation du
calcium intracellulaire, ce qui va permettre une contractilité accrue. À doses
toxiques, l'automaticité, l'excitabilité et le potentiel de repos sont augmentés et
des postpotentiels oscillants provoquent des dépolarisations prématurées. Le
potassium extracellulaire est augmenté.

Les digitaliques ont aussi un effet sur le système nerveux autonome : le tonus
vagal est augmenté, contribuant à la conduction diminuée du nœud sinusal et
du nœud atrio-ventriculaire. Le tonus sympathique est diminué à doses
thérapeutiques et accru à doses toxiques, ce qui peut participer à une
vasoconstriction mésentérique.

Ainsi, à fortes doses, ces effets induisent l'association de dysrythmies


ventriculaires et de troubles de conduction.

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Signes cliniques

Signes non cardiaques

Lors des intoxications aiguës, les troubles digestifs sont précoces et fréquents :
nausées, vomissements, parfois douleurs abdominales et diarrhées. Somnolence
ou confusion sont plus rares.

Lors des intoxications subaiguës ou chroniques, les signes sont très variés :
troubles digestifs (anorexie, nausées), céphalées, algies faciales, somnolence,
délire, confusion, asthénie, malaise, convulsions, troubles de la vision des
couleurs avec halos jaunes ou verts, photophobie, baisse de l'acuité visuelle et,
plus rarement, ischémie mésentérique. Les troubles digestifs et les troubles de la
vision constituent de bons signes d'alerte.

Troubles cardiaques

Lors d'une intoxication aiguë , les troubles du rythme et de la conduction


peuvent survenir jusqu'à 6 heures après l'ingestion. Tous les troubles sont possibles
: bradycardie, troubles de conduction (bloc auriculo-ventriculaires de tout
degré), extrasystoles ventriculaires, extrasystoles ventriculaires polymorphes,
tachycardie ventriculaire, fibrillation ventriculaire, asystole.

Ces troubles peuvent s'associer ou se succéder à intervalles brefs ( Tab. 2 ).


Imprégnation digitalique :

- onde T aplatie ou négative

- segment ST sous-décalé

- cupule

- espace QT raccourci

Troubles de l'excitabilité :

- extrasystoles auriculaires (atriales)

- tachycardie atriale

- flutter atrial

- fibrillation atriale (FA)

- rythme jonctionnel accéléré

- extrasystoles ventriculaires

- tachycardie ventriculaire, tachycardie bidirectionnelle

- fibrillation ventriculaire

Troubles de conduction :

- bradycardie sinusale

- bloc sino-atrial

- bloc auriculo-ventriculaire de tous degrés

- bloc de branche

- tachycardie atriale avec bloc AV (= tachysystolie auriculaire)

- FA et rythme ventriculaire régulier

La toxicité chronique ou subaiguë produit les mêmes aspects ; la tachycardie


atriale non paroxystique (tachysystolie auriculaire), la fibrillation atriale avec
cadence ventriculaire régulière, la tachycardie bidirectionnelle sont assez
évocatrices.

L'évolution vers le choc cardiogénique est possible.

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Signes biologiques

Hyperkaliémie
Conséquence de l'inhibition de la Na-K-ATPase, l'hyperkaliémie correspond à
une intoxication aiguë sévère et a une valeur pronostique de gravité.

Lors d'une intoxication chronique il faut tenir compte de traitements


hyperkaliémiants parfois associés et interpréter la kaliémie en conséquence.

Dosages de digitaliques

Le dosage de digoxine, interprété dans le contexte du patient, affirme le


diagnostic :

 concentrations thérapeutiques : 0,8 à 2 ng/ml ;


 concentrations toxiques : > 2 ng/ml.

Lors d'une intoxication aiguë, la concentration n'est interprétable qu'à partir de


la 4e heure.

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Traitement

Décontamination digestive

Le charbon activé en dose unique peut être administré dans l'heure suivant
l'ingestion aiguë. L'administration de charbon activé à doses répétées a pu être
recommandée compte tenu de l'existence d'un cycle entéro-hépatique des
digitaliques ; cette pratique n'a jamais été validée formellement.

Lors des surdosages subaigus ou chroniques : arrêt du traitement digitalique,


arrêt des médicaments hyperkaliémiants.

Traitement de l'hyperkaliémie

Elle signe une intoxication grave : elle répond peu au traitement traditionnel
(bicarbonate de sodium, glucose insuline et Kayexalate®). Le calcium IV est
proscrit (risque de décès). Par contre, les fragments Fab sont remarquablement
efficaces.

L'hypokaliémie peut accentuer la toxicité des digitaliques dans les situations


chroniques et subaiguës ; il convient de la corriger si nécessaire.

Traitement de la bradycardie

L'atropine IV, de 0,5 à 1 mg, agit sur la composante vagale ; elle peut être
renouvelée. L'objectif est une fréquence cardiaque à 60 c/min. La bradycardie
peut être mal supportée chez le sujet âgé. L'inefficacité de l'atropine représente
un critère de gravité potentielle : risque d'asystole ou de fibrillation ventriculaire.

Les catécholamines sont proscrites.

Traitement des arythmies ventriculaires

Les extrasystoles ventriculaires (ESV) polymorphes, bigéminées, en salve, sont


annonciatrices de troubles plus graves.
Les antiarythmiques de classe I sont contre-indiqués.

Le meilleur anti-arythmique est l'anticorps antidigitalique.

Le sulfate de magnésium IV est également efficace dans les arythmies


ventriculaires : de 1,5 g à 3 grammes en perfusion de 10 à 20 minutes (maximum
de 150 mg par minute). Une dose d'entretien de 1 g/h est possible sous
surveillance de la concentration de magnésium sanguin. Il est contre-indiqué en
cas de troubles de conduction. Il doit être considéré comme un traitement
temporaire à défaut de disponibilité rapide des anticorps.

Entraînement électrosystolique

En cas de bloc de haut degré, de bradycardie extrême, l'indication d'un


entraînement électrosystolique n'est considérée actuellement qu'à défaut de
disponibilité rapide des anticorps.

Cardioversion et défibrillation

Le choc électrique (à faible énergie) est indiqué en cas d'arythmies


ventriculaires menaçant la vie. Il peut être toutefois inefficace (stone heart).

Immunothérapie

L'efficacité des fragments Fab antidigoxine est rapide, avec une réversibilité
souvent spectaculaire des troubles du rythme et de l'hyperkaliémie. Ils agissent
sur la digoxine (ou digitoxine) circulante et fixée aux récepteurs membranaires,
permettant ainsi la réactivation rapide de la Na-K-ATPAse membranaire.

La demi-vie du complexe Fab digitalique est de 10 à 20 heures, plus courte que


la demi-vie de la digoxine (39 h) et de la digitoxine (160 heures).

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Modalités de l'immunothérapie

Produit commercialisé

Le Digidot® en flacon de 80 mg, neutralisant 1 mg de digoxine ou de digitoxine


présent dans l'organisme, n'est plus commercialisé à ce jour en France. Il a
d'abord été remplacé par son équivalent Digitalis Antidot® 80 mg puis
actuellement par le Digibind® en flacon de 38 mg neutralisant 0,5 mg de
digoxine ou de digitoxine.

Il convient donc d'être très attentif dans le calcul du nombre de flacons en


fonction du produit commercialisé, et de bien vérifier les formules utilisées. Dans
tous les cas, 80 mg d'anticorps neutralisent 1 mg de digitaliques dans
l'organisme.

Indications

Elles ont été précisées avec la notion de neutralisation curative, équimolaire, sur
des critères de gravité mettant en jeu le pronostic vital ( Tab. 3 ) et la notion de
neutralisation prophylactique, semi-molaire, sur des facteurs de mauvais
pronostic ( Tab. 4 ), avant que ne surviennent des troubles plus graves.

Un seul des facteurs péjoratifs suivant est suffisant :

- arythmie ventriculaire (fibrillation ou tachycardie ventriculaire)

- bradycardie sévère 4 40 c/min résistante à l'injection intraveineuse de 1 mg


d'atropine

- kaliémie 4 5,5 mmol/l

- choc cardiogénique ou infarctus mésentérique

Au moins 3 des facteurs suivants doivent être présents :

- sexe masculin

- cardiopathie préexistante

- âge ≥ 55 ans

- bloc auriculo-ventriculaire quel que soit le degré

- bradycardie < 50 c/min résistante à l'injection intraveineuse de 1 mg


d'atropine

- kaliémie ≥ 4,5 mmol/l

Cette recommandation de traitement prophylactique permet de prescrire les


anticorps plus précocement. En cas d'efficacité insuffisante, une deuxième
demi-dose est administrée.

La concentration de digoxine n'intervient pas dans la décision de traitement


mais elle confirme le diagnostic et permet le calcul de la dose d'anticorps à
administrer, en particulier dans l'intoxication chronique et le surdosage. On peut
être amené à s'en passer car, en préhospitalier par exemple, le diagnostic
d'intoxication digitalique a probablement déjà été établi sur des données
anamnestiques et cliniques.

Calcul de la dose d'anticorps (pour une neutralisation é quimolaire)

 80 mg d'anticorps neutralisent 1 mg de digitaliques dans l'organisme.


 38 mg d'anticorps (un flacon de Digibind®) lient donc environ 0,5 mg de
digoxine.
La charge corporelle en digitalique (en mg) est :

 pour une intoxication par ingestion massive : quantité supposée ingérée


(en mg) × biodisponibilité du digitalique, avec une biodisponibilité de 60%
pour la digoxine et de 100% pour la digitoxine ;
 pour un surdosage : [concentration sérique du digitalique (ng/ml) ×
volume de distribution × poids (kg)]/1 000, avec un volume de distribution
de 5,6 l/kg pour la digoxine et de 0,56 l/kg pour la digitoxine.

En cas de risque vital immédiat, 20 flacons de Digibind® peuvent être


administrés immédiatement. Une alternative peut être l'administration de 10
flacons initialement, avec répétition de cette même dose en cas d'inefficacité
de la dose initiale.

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Cas particuliers

Les rares intoxications par les plantes contenant des hétérosides cardiotoniques
(digitale pourpre, laurier rose), et les exceptionnelles intoxications par ingestion
de préparations à base de crapauds du genre Bufo relèvent de la même prise
en charge et d'un traitement par anticorps en cas de risque vital.

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Principales références
Howland MA. Digoxin-specific antibody Fragments (Fab). In : Flomenbaum NE,
Goldfrank LR, Hoffman RS, Howland MA, Lewin NA, Nelson LS, eds. Goldfrank's
toxicologic emergencies, 8th ed. New York : McGraw-Hill C, 2006 : 983-988.
Lapostolle F, Baud FJ, Adnet F. L'accès de tous aux anticorps antidigitaliques : un
défi pour la médecine d'urgence ! In : Ducassé JL, éd. Urgences 2005. Paris :
Editions scientifiques L&C, 2005 : 83-92.
Lapostolle F, Borron SW, Verdier C, et al. Assessment of digoxin antibody use in
patients with elevated serum digoxin following chronic or acute exposure. Intens
Care Med 2008 ; 34 : 1448-1543.
Taboulet P, Bismuth C. Intoxications par les digitaliques. In : Jaeger A, Vale JA,
eds. Intoxications aiguës. Paris : Elsevier, 1999 : 223-231.
Bê Ta-Bloquants Bruno Mégarbane, Frédéric Baud

NA

Les intoxications par bêta-bloquants sont relativement fréquentes, même si elles


ne représentent qu'environ 1 à 3% des intoxications en réanimation. Au cours
des dernières années, l'incidence aurait tendance à augmenter, en raison de
l'élargissement des indications de prescription. La mortalité hospitaliè re reste
cependant réduite en comparaison aux autres cardiotropes, en raison
notamment de l'efficacité de l'arsenal thérapeutique à disposition. Néanmoins,
le risque d'intoxication sévère justifie de bien connaître le tableau clinique, les
facteurs pronostiques et les thérapeutiques symptomatiques et spécifiques.

Propriétés toxicologiques des bê ta-bloquants

Les bêta-bloquants sont des antagonistes compétitifs des catécholamines au


niveau des récepteurs bêta-adrénergiques. Ils sont classés en fonction de leur
cardio-sélectivité, de leur activité sympathomimétique intrinsèque et de leur
propriété alpha-bloquante ( Tab. 1 ). Ils appartiennent à la classe II des
antiarythmiques de Vaughan-Williams et exercent sur le myocarde une action
chronotrope, inotrope, dromotrope et bathmotrope négative. Ils inhibent
l'entrée du Na+ et du Ca2+ à la phase 0 de la dépolarisation myocardique en
réduisant la quantité d'AMPc intracellulaire. Leur action sur la contractilité est
secondaire à l'inhibition de la libération du Ca2+ à partir du réticulum
sarcoplasmique. Seul le sotalol possède des propriétés de la classe III des anti-
arythmiques, avec augmentation de la durée du potentiel d'action et de la
période réfractaire, responsable d'un allongement de l'espace QT sur l'ECG.
Certains bêta-bloquants sont à l'origine d'un effet stabilisant de membrane,
avec un blocage des canaux sodiques de phase 0 du potentiel d'action. Il s'agit
du propranolol, de l'acébutolol, du nadolol, du pindolol, du penbutolol, du
labétalol, du métoprolol et de l'oxprénolol. Toutes ces molécules peuvent
induire des manifestations cardiaques graves, en raison du blocage de la
conduction et de l'inhibition de l'inotropisme cardiaque.

Bêta-bloquants

Non sélectifs Cardio-sélectifs Avec activité


alpha-bloquante

Avec ASI1 Sans ASI Sans ASI Avec ASI


pindolol2 nadolol2 aténolol acébutolol2
alprénolol propranolol esmolol bucindolol
oxprénolol2 2 timolol céliprolol xamotérol
penbutolol sotalol métoprolol bisoprolol
2 2

1 Activité sympathique intrinsèque.

2 Effet stabilisant de membrane.


À la suite de l'ingestion de doses élevées, des manifestations extra-cardiaques
peuvent apparaître, liées à la perte de sélectivité cardiaque et à l'effet
stabilisant de membrane. Les bêta-bloquants peuvent ainsi provoquer un
bronchospasme en levant le tonus bronchodilatateur, notamment chez un sujet
prédisposé (asthme). Ils peuvent également interagir avec le système rénine-
angiotensine ainsi qu'avec les métabolismes lipidique et glucidique.

Les propriétés pharmacocinétiques des bêta-bloquants sont hétérogènes. La


résorption digestive est excellente. Les molécules liposolubles (propranolol,
alprénolol et bisoprolol) traversent le mieux la barrière hémato-encéphalique,
favorisant l'apparition d'effets neurologiques centraux. Le métabolisme dépend
de l'effet de premier passage hépatique avec une grande variabilité
interindividuelle. Pour les molécules hydrosolubles (nadolol, cé liprolol, aténolol
et sotalol), un plus faible effet de premier passage hépatique est compensé par
une absorption intestinale plus réduite, donnant une biodisponibilité similaire à
celle des molécules liposolubles. Le métabolisme hépatique de certains
bêtabloquants (acébutolol ou propranolol) donne naissance à des métabolites
actifs. L'élimination est préférentiellement biliaire, pour les molécules liposolubles,
et rénale, pour les molécules hydrophiles.

La durée des manifestations cliniques est fonction de la demi-vie d'élimination,


le plus souvent inférieure à 72 heures. Elle peut être prolongée en cas de
comprimés à libération prolongée, d'altération des fonctions d'élimination
hépatique ou rénale. Il est intéressant de savoir que, en l'absence de survenue
d'un événement cardiovasculaire significatif dans les 6 heures après l'ingestion
d'un bêta-bloquant à libération immédiate, l'intoxication est le plus
probablement bénigne.

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Facteurs pronostiques

Les bêta-bloquants les plus souvent incriminés sont le propranolol, l'aténolol, le


métoprolol, le nadolol et le lébtolol. La gravité des intoxications est directement
corrélée à la nature et à la dose. Les antécédents cardiovasculaires
(hypertension artérielle, cardiopathie ischémique ou valvulaire) peuvent
compliquer l'évolution. Dans environ 20% des cas, l'intoxication est mono-
médicamenteuse. Dans les autres cas, les toxiques associés sont des
psychotropes, dont il faut tenir compte dans l'évaluation de l'état de
conscience, ou d'autres cardiotropes, entraînant alors une aggravation du
pronostic. Une étude prospective américaine de 280 cas d'exposition aux bêta-
bloquants retrouvait en analyse multivariée que les 2 seuls facteurs prédictifs de
morbidité cardiovasculaire étaient la co-ingestion de cardiotropes et l'effet
stabilisant de membrane du bêta-bloquant ingéré. L'intérêt du dosage sanguin
des bêta-bloquants, désormais disponible en urgence par des méthodes
d'HPLC, reste encore discuté.

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Manifestations cliniques

Les manifestations cardiovasculaires dominent le tableau, par leur fréquence et


leur gravité. Les intoxications asymptomatiques représentent 30-40% des
intoxications, notamment chez le sujet sain, avec des molécules possédant un
effet agoniste partiel. Les manifestations les plus fréquentes (50% des cas) sont
l'hypotension, la bradycardie et le bloc de conduction auriculo-ventriculaire. La
clinique peut se résumer parfois à une bradycardie isolée ( Fig. 1 ) ou à une
chute modérée de la pression artérielle, sans aucune manifestation d'hypo-
perfusion tissulaire. Les formes sévères (20% des cas) se rencontrent surtout avec
le propranolol. Le tableau peut comporter un collapsus et des anomalies à
l'ECG, des trois étages de naissance et de conduction de la dépolarisation
cardiaque. L'effet stabilisant de membrane, que possèdent le propranolol ou
l'acébutolol à fortes doses, se traduit par un élargissement des complexes QRS
et un trouble de la repolarisation ventriculaire (aplatissement des ondes T et
allongement de l'espace QT corrigé en fonction de la fréquence) ( Fig. 1 ). Cet
effet est largement corrélé à la létalité de cette intoxication. Par contre, le
risque d'œdème pulmonaire cardiogénique est minime en l'absence d'arrêt
circulatoire. Les manifestations neurologiques (coma, convulsions), rapportées
surtout au propranolol, sont attribuables à la liposolubilité et à l'effet stabilisant
de membrane de cette molécule. La dépression respiratoire peut évoluer vers
l'apnée mortelle, même en l'absence de trouble de conscience. Par contre, la
survenue d'un bronchospasme est rare et réservée aux sujets prédisposés.
L'hyperkaliémie est également rare (< 1%) alors qu'une hypokaliémie,
secondaire au transfert intracellulaire de potassium, apparaît en cas d'effet
stabilisant de membrane. Un risque d'hypoglycémie a surtout été souligné chez
le nourrisson lors d'intoxications accidentelles.
Figure 1 - Aspects ECG des intoxications par bêta-bloquants : bradycardie
sinusale (A), bloc auriculo-ventriculaire (B), effet stabilisant de membrane avec
bloc de conduction intra-ventriculaire (C) et torsade de pointes (D).

L'intoxication au sotalol est plus rare mais peut provoquer, en raison de ses
propriétés pharmacologiques spécifiques, une bradycardie à complexes QRS
fins mais à intervalles QT allongés, exposant au risque de torsades de pointes et
de tachycardie ventriculaire soutenue. Au cours de ces intoxications, la
bradycardie n'est donc pas un signe de bénignité puisqu'elle expose au risque
de troubles du rythme mettant en jeu le pronostic vital.

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Prise en charge

La décontamination digestive ne doit être faite que dans les 2 heures suivant
l'ingestion, et en l'absence de contre-indications. Elle ne doit jamais faire
retarder les mesures symptomatiques ou antidotiques, seules capables
d'améliorer le pronostic ( Tab. 2 ). Le charbon activé est préféré au lavage
gastrique, les bêta-bloquants étant bien adsorbés par le charbon. Néanmoins,
aucune étude n'a démontré un bénéfice clinique à la décontamination
digestive, l'intérêt en cas d'ingestion de comprimés à libération prolongée
restant aussi à évaluer. Les méthodes d'épuration extra-rénale sont peu utiles,
en raison du large volume de distribution des bêta-bloquants et de leur liaison
élevée aux protéines plasmatiques.

Au cours des intoxications sévères caractérisées par un collapsus, par des QRS
élargis, voire par une dépression respiratoire, la ventilation mécanique doit être
discutée rapidement, en parallèle au traitement pharmacologique.
L'hypoxémie et l'acidose respiratoire potentialisent la toxicité des bêta-
bloquants et réduisent l'efficacité des catécholamines. Les autres indications de
la ventilation sont le coma, les convulsions ou le bronchospasme sévère. Les
troubles de vigilance traduisent en général une baisse de la perfusion cérébrale,
synonyme d'état de choc. La perfusion de bicarbonate molaire de sodium (250
ml, à répéter si besoin, en fonction de l'affinement des QRS et à associer à 2 g
de KCl) est recommandée en cas d'effet stabilisant de membrane.

Traitement immédiat :

- monitorage cardiovasculaire

- oxygène, voire intubation, ventilation mécanique (selon sévérité du


collapsus)

- remplissage prudent (maximum: 1000 ml de NaCl 0,9 %)

- atropine : 0,5-1 mg IV bolus

- dobutamine : doses croissantes jusqu'a 25 mg/kg/min

- glucagon : 5-10 mg IV bolus

- choc grave ou ACR : adrénaline

- charbon activé dans les 2 heures suivant l'ingestion, en l'absence de


contre-indications

Traitement à poursuivre en réanimation :

- poursuite des catécholamines (adrénaline, dobutamine), adaptée au


profil hémodynamique

- glucagon : 2-5 mg/h intraveineux (si efficace)

- isoprénaline : 1-5 mg/h, adaptée à la fréquence cardiaque pour toute


bradycardie au sotalol à cause du risque important de torsade de pointes

- choc ou ACR réfractaire : discuter l'assistance circulatoire


Le traitement des troubles cardiovasculaires cherche à rétablir une fréquence
cardiaque stable supérieure à 60 c/min et une pression artérielle systolique
supérieure à 100 mmHg. Un âge avancé, une cardiopathie préexistante, en
particulier hypertensive ou valvulaire aortique, incitent à une réévaluation à la
hausse de ces paramètres. Devant une bradycardie, on commence par
administrer 0,5 mg d'atropine en IV bolus. En cas de blocage adrénergique
complet, l'atropine est incapable de provoquer l'accélération du cœur. La
correction d'une bradycardie par une dose unique d'atropine rend le
diagnostic d'intoxication grave par bêta-bloquants improbable (test
diagnostique). L'isoprénaline est utilisée en première intention en cas
d'intoxication au sotalol, même en présence d'une bradycardie isolée sans
hypotension, en raison du risque de torsade de pointes. Dans ces circonstances,
la posologie nécessaire est habituellement comprise entre 1 et 5 mg/h. Des
doses plus importantes de l'ordre de 5 à 20 mg/h ont été nécessaires dans les
premières heures de traitement, notamment chez les sujets âgés souffrant de
cardiopathie. Néanmoins, l'effet vasodilatateur puissant de l'isoprénaline peut
en limiter l'efficacité et rendre nécessaire l'adjonction d'un agent
vasoconstricteur. L'entraînement électrosystolique peut être proposé pour les
blocs auriculo-ventriculaires de haut degré. Son efficacité est cependant
modeste et les risques de complications mécaniques ou infectieuses en limitent
les indications.

Le traitement de l'hypotension artérielle débute par un remplissage vasculaire


de 500 ml de macromolécules ou de sérum salé isotonique. L'échec d'un
traitement symptomatique justifie le recours aux antidotes : les plus
constamment efficaces sont la dobutamine, le glucagon, l'adrénaline et
l'isoprénaline ( Fig. 2 ).

Le glucagon est un antidote des intoxications par bê ta-bloquants même si, à


ce jour, aucune étude clinique randomisée n'a établi son intérêt. Il est utilisé en
cas d'hypotension, à la posologie initiale de 5-10 mg (0,15 mg/kg) en bolus IV
suivie, en cas d'efficacité, par une perfusion continue à la dose de 1-5 mg/h
(0,05-0,10 mg/kg/h) en raison de sa demi-vie courte de 20 minutes. Il agit en
court-circuitant la liaison du bêta-bloquant à son récepteur ( Fig. 3 ). Il permet
d'obtenir une amélioration au moins partielle de la pression artérielle, grâce à
son activité inotrope positive, alors que son action chronotrope est plus
modeste. En dehors de nausées ou vomissements transitoires et d'une
hyperglyceémie modérée, le glucagon est bien toléré. La dilution des
ampoules, dont la conservation se fait à 4 °C, se fait depuis 1998 dans un
solvant fourni par le distributeur sans phénol, permettant d'éviter le risque
théorique d'intoxication au phénol jadis rapportée à l'origine d'arythmies et
d'hypotension. Les limitations sont un coût élevé (environ 100 euros pour une
perfusion de 5 mg/h pendant 24 heures) et un risque d'épuisement rapide du
stock hospitalier, lors d'utilisation de fortes doses.
Figure 2 - Algorithme pour le traitement des intoxications par bêta-bloquants.
(FC : fréquence cardiaque, PAS : pression artérielle systolique).
Figure 3 - Mécanisme d'action du glucagon au cours des intoxications par bêta-
bloquants.

L'adrénaline est la catécholamine de choix en cas de collapsus persistant ou


d'inefficacité de la dobutamine et du glucagon. Elle est préférée pour les
intoxications par les alpha-bêta-bloquants, tel le labétalol. Utilisée en excès, elle
peut exposer au risque d'élévation rapide des résistances systémiques,
entraînant une baisse du débit cardiaque et un œdème pulmonaire
cardiogénique justifiant, à ce stade, la nécessité d'une investigation
hémodynamique par échocardiographie ou cathétérisme cardiaque droit.

La place de l'insuline euglycémique (insuline à fortes doses : 1 UI/kg bolus puis


0,5 UI/kg/h avec perfusion de glucose hypertonique), proposée au cours des
intoxications graves par inhibiteurs calciques, n'est pas définie pour les
intoxications par bêta-bloqueurs. Une étude expérimentale dans un modèle de
chien intoxiqué par le propranolol a néanmoins suggéré la supériorité d'un tel
protocole par rapport au glucagon ou à l'adrénaline.

Les inhibiteurs des phosphodiestérases (énoximone, amrinone) présentent des


propriétés inotropes et vasodilatatrices intéressantes en cas d'insuffisance
cardiaque à pression artérielle conservée. Ces molécules agissent en prévenant
la dégradation de l'AMPc intra-cytoplasmique en 5'AMP. Leur utilisation n'est
cependant pas de routine et n'est conseillée qu'en association au traitement
conventionnel après appréciation du statut hémodynamique.

Une dizaine de cas d'intoxications graves par bêta-bloquants traitées par


assistance circulatoire ont été rapportés dans la littérature. Les modalités et
indications de l'assistance circulatoire doivent encore être précisées (niveau de
preuve C). L'assistance périphérique par pompe centrifuge à débit continu par
canulation chirurgicale fémorale est la meilleure solution, à condition d'être
conduite par des équipes médico-chirurgicales entraînées. Elle doit être
proposée chez tout patient intoxiqué et présentant :

- un arrêt cardiaque persistant survenu devant témoin et réanimé sans retard;

- un choc cardiogénique ou une arythmie ventriculaire sévère réfractaire aux


traitements pharmacologiques.

La présence, pour un bêta-bloquant avec effet stabilisant de membrane, d'un


choc cardiogénique réfractaire (malgré une perfusion de catécholamines de
plus de 3 mg/h) et d'une insuffisance rénale ou d'une hypoxémie majeure
pourrait être prédictive du décès, en l'absence d'assistance mécanique du
cœur.

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Conclusion

Le tableau clinique d'une intoxication par bêta-bloquants est dominé par les
manifestations cardiovasculaires. Le pronostic est en général favorable, sauf en
présence d'un toxique avec effet stabilisant de membrane ou de co-ingestion
d'un autre cardiotrope, dont les inhibiteurs calciques. La faible mortalité
hospitalière témoigne de la puissance de l'arsenal thérapeutique et de la
possibilité de réversibilité des perturbations induites. La meilleure connaissance
des facteurs pronostiques pourrait permettre de recourir précocement, dans les
cas les plus sévères, aux techniques d'assistance circulatoire périphérique.

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Principales références
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Wax PM, Erdman AR, Chyka PA, et al. Beta-blocker ingestion : an evidence-
based consensus guideline for out-of-hospital management. Clin Toxicol 2005;
43 : 131-146.
Inhibiteurs Calciques

Bruno Mégarbane

Frédéric Baud

Les intoxications par inhibiteurs calciques représentent la première cause de


mort par cardiotoxiques aux États-Unis. Malgré les progrès de la réanimation,
cette intoxication est encore associée à un pronostic sévère.

Pharmacologie

Les inhibiteurs calciques sont des anti-arythmiques de classe 4 de Vaughan-


Williams, avec des propriétés anti-angineuses, anti-hypertensives et inotropes
négatives. Il existe 5 classes d'inhibiteurs calciques : les dérivés phénylalkylamine
(vérapamil), les dihydropyridines (nifédipine et amlodipine), les
benzothiazépines (diltiazem), les diphénylpipérazines (mibéfradil) et les
diarylaminopropylamine (bépridil). Toutes ces molécules bloquent les canaux
calciques lents L-voltage dépendants indispensables à la genèse et à la
conduction du potentiel d'action dans le tissu contractile cardiaque et les
cellules musculaires lisses vasculaires. Le calcium intracellulaire est utilisé pour
former des ponts entre l'actine et la myosine et permettre le couplage de la
contraction musculaire à l'excitation cellulaire.

Certains inhibiteurs calciques ont un tropisme vasculaire prédominant


(nifédipine ou nicardipine) et d'autres un tropisme cardiaque (diltiazem ou
vérapamil). Les dihydropyridines augmentent la fréquence cardiaque alors que
le vérapamil et le diltiazem la diminuent ( Tab. 1 ). L'atteinte des structures de
conduction du cœur explique la bradycardie et l'apparition de blocs de
conduction sino-auriculaire, intraventriculaire et surtout auriculo-ventriculaire.
Cependant, aux doses toxiques, la différence de sélectivité tissulaire s'atténue.
Tous les inhibiteurs calciques peuvent entraîner une vasodilatation périphérique
et un effet inotrope négatif responsable d'un choc cardiogénique.

Les caractéristiques pharmacocinétiques des inhibiteurs calciques sont


importantes à considérer pour optimiser le traitement ( Tab. 2 ). L'effet de
premier passage hépatique est important mais variable. Les volumes de
distribution sont élevés (> 2 l/kg), sauf pour la nicardipine (0,6 à 1,4 l/kg). Les
demi-vies s'allongent en cas de surdosage, après saturation du métabolisme
par les cytochromes P450. Le vérapamil et le diltiazem ont des métabolites
actifs, respectivement le norvérapamil et le diacétyl-diltiazem. Les dosages
sanguins ne sont pas de routine mais peuvent s'avérer intéressants. Il faut tenir
compte des concentrations des métabolites actifs pour corréler les
concentrations aux effets cliniques.

Effets Vérapamil Diltiazem Nifédipine

Vasodilatation périphérique ↑ ↑ ↑↑

Vasodilatation coronaire ↑↑ ↑↑↑ ↑↑↑


Précharge 0 0 0

Postcharge ↓↓ ↓↓ ↓↓↓

Contractilité ↓↓ 0/↓ ↑/↓

Fréquence cardiaque 0/↓ ↓ ↑/0

Conduction auriculo-ventriculaire ↓↓ ↓ 0

Agents Absorption Biodisponibilité Liaison aux Demi-vie


digestive (%)* protéines d'élimination
(%) plasmatiques (h)
(%)

Vérapamil > 90 10-35 83-92 2,8-6,3

Diltiazem > 90 41-67 77-80 3,5-7

Nifédipine > 90 45-86 92-98 1,9-5,8

Nicardipine 100 35 > 95 2-4

Isradipine > 90 > 90 97 9

Félodipine 100 20 > 99 11-16

Amlodipine > 90 64-90 97-99 30-50


* Tenant compte de l'effet du premier passage hépatique

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Tableau clinique

Les symptômes cliniques apparaissent rapidement après l'ingestion. La


manifestation principale est l'hypotension qui résulte d'une baisse de la
contractilité myocardique ou d'une vasodilatation artérielle. La bradycardie et
les troubles de la conduction sont variables. Ils sont fréquents à tous les étages (
Fig. 1 ). L'étude hémodynamique est utile à la compréhension du mécanisme
du collapsus et à l'adaptation du traitement. Le tableau évolue vers un état de
choc, avec apparition de manifestations extra-cardiaques traduisant
l'hypoperfusion tissulaire : troubles de conscience, convulsions, détresse
respiratoire, acidose métabolique lactique, insuffisance rénale aiguë oligurique,
ischémie mésentérique et coagulation intravasculaire disséminée. Des cas
d'œdème non cardiogénique ont été décrits avec le vérapamil et l'amlodipine,
à distance (48-72 h) de la phase hémodynamique initiale. Un arrêt cardiaque
peut survenir. L'hyperglycémie observée est une conséquence de la diminution
de la sécrétion pancréatique et d'une résistance périphérique à l'insuline. Il en
résulte un certain degré d'acidocétose qui se surajoute à l'hyperlactatémie
pour aggraver l'acidose. Ces anomalies contribuent à accroître la toxicité
cardiaque des inhibiteurs calciques.

Figure 1 - Intoxication grave par le vérapamil, responsable d'une bradycardie


majeure par bloc auriculo-ventriculaire de haut degré.

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Facteurs pronostiques

De nombreux facteurs sont capables de modifier la symptomatologie, comme


l'existence d'une cardiopathie sous-jacente ou la co-ingestion d'un autre
cardiotrope. Les facteurs à rechercher pour apprécier le pronostic sont la dose
supposée ingérée, la nature de l'inhibiteur calcique (sévérité plus marquée pour
le vérapamil, puis pour le diltiazem puis pour la nifédipine), les anomalies de
conduction à l'ECG, l'importance de la dysfonction ventriculaire gauche
(sévérité plus marquée en cas de choc cardiogénique par rapport au choc
vasoplégique), la nécessité de recourir rapidement aux catécholamines (surtout
à l'adrénaline) ainsi que l'apparition de signes d'hypoperfusion hépatique ou
rénale qui compromettent le métabolisme et l'élimination du toxique. En raison
d'une morbi-mortalité élevée, l'admission pour surveillance en réanimation doit
être large, notamment si la dose ingérée est élevée ou en présence d'une
hypotension, d'une bradycardie significative ou d'anomalies à l'ECG.

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Traitement

La décontamination digestive n'a d'intérêt que pour les patients vus dans les 2
heures après ingestion, en l'absence de contre-indications. L'administration de
charbon activé à doses répétées (50 g à l'admission puis 25 g/8 h) est utile en
cas d'ingestion d'un nombre élevé de comprimés à libération prolongée.
L'épuration extra-rénale est inutile, en raison du volume de distribution important
de ces toxiques et de leur forte fixation aux protéines plasmatiques.

Les traitements symptomatiques sont essentiels pour permettre la survie du


patient intoxiqué ( Tab. 3 ). L'intubation trachéale doit être précoce en cas de
choc, de coma ou de convulsions. En l'absence de co-ingestion de
psychotropes, la présence d'un trouble de vigilance est synonyme de bas débit
cérébral. La décision d'intubation repose donc sur les critères de gravité du
collapsus et non sur le seul score de Glasgow. Le remplissage vasculaire par
cristalloïdes ou colloïdes est le traitement initial de l'hypotension. Le choix des
catécholamines est guidé par le profil hémodynamique du choc (adrénaline ou
dobutamine en cas de choc cardiogénique et noradrénaline, voire dopamine
pour un choc vasoplégique). L'entraînement électrosystolique n'a d'intérêt que
pour traiter un bloc de conduction auriculo-ventriculaire de haut degré, en
l'absence de troubles sévères de la contractilité. En cas de troubles du rythme
ventriculaire, les anti-arythmiques sont à proscrire car ils majorent les signes
d'intoxication. La mauvaise tolérance hémodynamique d'un trouble du rythme
ventriculaire doit conduire à des chocs électriques externes. Dans notre
expérience, le sulfate de magnésium peut être utile pour prévenir les récidives.

Des thérapeutiques spécifiques font actuellement l'objet d'évaluation ( Fig. 2 ).

Traitement immédiat

- hospitalisation en réanimation

- monitorage cardiaque

- oxygénothérapie ou ventilation mécanique (selon sévérité du collapsus)

- atropine 0,5-1 mg IV si bradycardie sinusale ou bloc auriculo-ventriculaire

- remplissage prudent (maximum: 1 000 ml de NaCl 0,9 %)

- chlorure de calcium: 1 g IV bolus/15-20 min pour un total de 4 doses

- catécholamines (adrénaline, noradrénaline, dobutamine) si échec du


remplissage

- charbon activé dans les 2 heures suivant l'ingestion, en l'absence de


contre-indications

Traitement à poursuivre en réanimation

- poursuite des catécholamines (adrénaline, dobutamine) adaptées au


profil hémodynamique

- chlorure de calcium: 20-50 mg/kg/h (si initialement efficace)

- insuline 1 UI/kg IV bolus puis 0,5 UI/kg/h IVSE + glucose hypertonique


(adapté aux glycémies)
+ potassium (avec monitorage de la kaliémie)

- glucagon 5-10 mg IV bolus puis 2-5 mg/h IVSE (si efficace)

- isoprénaline et/ou entraînement électrosystolique si bloc auriculo-


ventriculaire de haut degré

- choc ou arrêt cardiaque réfractaire : discuter l'assistance circulatoire

Figure 2 - Mécanisme d'action des antidotes proposés pour le traitement des


intoxications par inhibiteurs calciques.

(AC : adénylate cyclase; PDE : phosphodiestérase; cAMP : adénosine


monophosphate cyclique; PKA : phosphokinase A; β1 : récepteur bêta1-
adrénergique; Adré : adrénaline) (adapté de Salhanick SD et al.).

Les sels de calcium (gluconate et chlorure) intraveineux ont été proposés,


notamment en cas de collapsus réfractaire aux catécholamines, mais leur
efficacité clinique reste inconstante malgré l'élévation de la calcémie. La
posologie recommandée est l'injection de 1 g en IV lente/15-20 minutes pour un
maximum de 4 bolus, suivie par une perfusion continue IV de 20-25 mg/kg/h en
cas d'efficacité. Le glucagon (dose de charge de 5 à 10 mg en IV directe en 1
à 2 minutes, suivie d'une perfusion continue à la seringue électrique de 1 à 5
mg/h) a été proposé comme traitement d'appoint, sans que son efficacité ait
été réellement prouvée. Il agit en stimulant l'adénylate cyclase par son propre
récepteur, en complément de l'action des catécholamines par l'intermédiaire
des récepteurs bêta-adrénergiques. Ses effets sur la pression artérielle
apparaissent avec un délai de 1 à 5 minutes, sont maximum pendant 5 à 15
minutes et durent de 20 à 30 minutes après une dose unique. Il s'agit cependant
d'un traitement coûteux et les quantités requises peuvent limiter son utilisation
du fait de stocks hospitaliers limités.

L'insuline euglycémique associe de fortes doses d'insuline (dose de charge IV de


1 UI/kg, suivie de 0,5 UI/kg/h en perfusion IV continue) et du glucosé
hypertonique adapté à la surveillance rapprochée de la glycémie. Dans
plusieurs cas cliniques publiés d'intoxications graves et réfractaires, ce
traitement s'est révélé efficace pour réduire les catécholamines, voire en
permettre l'arrêt.

La perfusion d'insuline permet de compenser le déficit de sécrétion


pancréatique d'insuline endogène, bloquée par les inhibiteurs calciques, et
d'améliorer les propriétés contractiles des cellules myocardiques et des cellules
musculaires lisses vasculaires. Elle augmente aussi l'oxydation des lactates et
réduit la production d'acides gras utilisés comme carburant cellulaire au cours
du choc, optimisant ainsi le profil métabolique du myocarde face au stress.
Néanmoins, aucune étude prospective randomisée n'a réellement évalué son
efficacité. Ainsi, ce traitement n'est pas constamment actif, même si sa
tolérance semble bonne, sous réserve d'un monitorage rapproché de la
glycémie et de la kaliémie.

Les inhibiteurs des phosphodiestérases (amrinone, énoximone ou milrinone)


peuvent être utilisés mais leur efficacité, liée à l'augmentation de l'AMP cyclique
intracellulaire, n'a pas été définitivement démontrée. Leur utilisation doit être
néanmoins prudente en raison de la vasoplégie qu'ils peuvent entraîner. La
vasopressine et la terlipressine ont été proposées dans des cas de vasoplégie
réfractaire à la noradrénaline; il faut néanmoins être prudent chez des sujets
polyvasculaires en raison du risque d'ischémie mésentérique ou d'ischémie des
membres inférieurs. La 3,4-diaminopyridine et la 4-aminopyridine augmentent le
flux de calcium intracellulaire mais pourraient être responsable de convulsions à
fortes doses. Leurs effets bénéfiques ont été décrits dans des modèles
expérimentaux mais leur utilisation clinique reste encore limitée. C'est
également le cas des émulsions lipidiques proposées pour le traitement des
accidents cardiovasculaires liés à l'injection intraveineuse de produits
anesthésiques avec effet stabilisant de membrane au bloc opératoire. Aucune
évaluation clinique humaine de leur intérêt suggéré dans des modèles
expérimentaux d'intoxication par inhibiteur calcique n'a été faite. C'est
pourquoi, en l'absence de traitement pharmacologique d'efficacité certaine,
l'assistance circulatoire doit être proposée en cas de choc réfractaire au
traitement médical.

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Assistance circulatoire
Les modalités et indications de l'assistance circulatoire doivent encore être
précisées au cours des intoxications par inhibiteurs calciques. Plusieurs
observations ont été publiées mais l'intérêt définitif de cette thérapeutique
d'exception reste à démontrer (niveau de preuve C). L'assistance périphérique
par pompe centrifuge à débit continu par canulation chirurgicale fémorale est
la meilleure solution. Elle doit être proposée chez tout patient intoxiqué et
présentant un arrêt cardiaque persistant, à condition que cet arrêt soit survenu
devant témoin et réanimé sans retard. Au cours des intoxications par inhibiteurs
calciques répondant mal aux catécholamines, à l'insuline euglycémique et aux
autres antidotes, il paraît légitime de discuter l'assistance circulatoire
périphérique, en présence d'un choc cardiogénique ou d'une arythmie
ventriculaire sévère ( Fig. 3 ). Il n'existe pas de seuil établi pour définir un choc
réfractaire aux catécholamines. Nous avons suggéré que la présence d'une
hypotension artérielle malgré une perfusion de catécholamines (adrénaline +
noradrénaline) supérieure à 8 mg/h en présence d'une insuffisance rénale,
d'une hypoxémie majeure et d'un élargissement même modéré des QRS à
l'ECG est prédictive du décès. Enfin, il faut considérer l'intérêt d'une assistance
respiratoire concomitante (ECMO), dans l'éventualité d'un syndrome de
détresse respiratoire sévère lié à l'œdème lésionnel caractéristique des
intoxications sévères par inhibiteurs calciques dont le vérapamil.

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Conclusion

Les intoxications par inhibiteurs calciques sont toujours aussi graves et


préoccupantes. Bien que les mécanismes de toxicité soient mieux connus, la
prise en charge est difficile dans les cas sévères et nécessite une admission en
milieu spécialisé. Elle fait appel à des thérapeutiques pharmacologiques
spécifiques ou à des traitements d'exception comme l'assistance circulatoire
dont les indications, les modalités de réalisation et le bénéfice final sont en cours
d'investigation.
Figure 3 - Algorithme pour le traitement des intoxications par inhibiteurs
calciques.

(FC : fréquence cardiaque, PAS : pression artérielle systolique, BAV : bloc


auriculoventriculaire).

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Principales références
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Antiarythmiques

Bruno Mégarbane

Frédéric Baud

Les antiarythmiques (AA) sont répartis selon leurs propriétés


électrophysiologiques en 4 classes de Vaughan-Williams ( Tab. 1 ). Les
molécules de la classe I, prescrites dans le traitement des arythmies
ventriculaires ou supra-ventriculaires, sont des inhibiteurs du canal sodique avec
effet stabilisant de membrane. L'intoxication par ces AA est peu fréquente
(environ 0,1% des intoxications et 3% des intoxications par cardiotropes) mais
associée à une mortalité élevée (10-15 %). Toute intoxication impose donc une
admission en urgence en réanimation médicale pour monitorage
cardiovasculaire rapproché et prise en charge adaptée.

Classe I : Bloqueurs des canaux sodiques

- classe Ia (cinétique intermédiaire + dépression du courant potassique) :


ajmaline, disopyramide, hydroxyquinidine, procaïnamide, quinidine

- classe Ib (cinétique rapide) : diphénylhydantoïne, lidocaïne, méxilétine,


tocaïnide

- classe Ic (cinétique lente) : cibenzoline, encaïnide, flécaïnide, lorcaïnide,


propafénone

Classe II : Bêta-bloquants

- avec effet stabilisant de membrane : acébutolol, labétalol, métoprolol,


nadolol, oxprénolol, penbutolol, pindolol, propranolol

- sans effet stabilisant de membrane : aténolol, alprénolol, bisoprolol,


bucindolol, timolol, xamotérol

Classe III : Bloqueurs des canaux potassiques

Brétylium, cordarone, sotalol

Classe IV : Inhibiteurs calciques

Dérivés phénylalkylamine (vérapamil), dihydropyridines (nifédipine et


amlodipine), benzothiazépines (diltiazem), diphénylpipérazines (mibéfradil),
diarylaminopropylamine (bépridil)

Propriétés toxicologiques

Les AA de classe I inhibent le courant sodique entrant au cours de la phase 0 du


potentiel d'action (PA). En pratique, leur action sur la durée du PA et sur la
période réfractaire effective (PRE) permet de distinguer 3 sous-classes ( Fig. 1 ):

- AA de classe IA ou quinidine-like, responsable d'un allongement de la durée


du PA, du PRE et du rapport PRE/PA;

- AA de classe IB ou lidocaïne-like, responsable d'un raccourcissement du PA et


de PRE;

Figure 1 - Site d'action des antiarythmiques de classe 1 sur le potentiel d'action


d'une cellule contractile cardiaque.

- AA de classe IC, avec peu d'effets sur la durée du PA et légère augmentation


du rapport PRE/PA.

Ces molécules exercent généralement à doses toxiques des effets chronotrope,


inotrope et dromotrope négatifs. Ils sont pro-arythmogènes, favorisant la
survenue de troubles du rythme ventriculaires par des mécanismes de ré-entrée.
S'ajoutent à ces propriétés communes des effets anticholinergiques pour la
quinidine et le disopyramide (présence d'une tachycardie sinusale), un effet
bêta-bloqueur pour la propafénone et un effet alpha-lytique avec
vasodilatation pour la quinidine, le procaïnamide et la mexilétine. L'index
thérapeutique des AA de classe I est étroit avec des complications
cardiovasculaires dose-dépendantes. Les propriétés pharmacocinétiques sont
variables d'une molécule à l'autre ( Tab. 2 ). L'absorption est généralement
rapide (1-3 h) et importante (biodisponibilité de 70-100%). La liaison aux
protéines plasmatiques est forte et le volume de distribution important (> 1 l/kg).
Le métabolisme est hépatique, aboutissant à la production de métabolites
actifs et donc cardiotoxiques. L'élimination est rénale avec des demi-vies
inférieures à 10 heures. Il existe une variabilité interindividuelle liée au terrain
sous-jacent (cardiopathie), au polymorphisme génétique des enzymes du
métabolisme (métaboliseur rapide versus lent) ainsi qu'aux formes galéniques
(libération prolongée).

Dose
Biodisp Volu Liaiso De Métabolites Élimi Conce
onibilité me n aux mi- actifs nati ntratio
(%) distri protéi vie on n
buti nes (h) réna thérap
on plasm le eutiqu
(l/kg atique (% e
) s (%) fract (mg/l)
ion
inch
ang
ée)
t
oxique
(
mg)

Quinidin 2 70-80 3 70-90 6-8 Hydroxyquinidin 20 3-6


e 5 e
0
0

Disopyr 1 85-90 0,8- 50 6-7 - 50- 2-4


amide 5 1,2 60
0
0

Cibenzo 2 90-98 5 60 5- - 60 0,3-0,7


line 0 10
0
0

Lidocaï 5 30 (per 1,1 40-80 1-2 Monoéthylglyci < 10 2-4


ne 0 os) nexylide
0
(
I
V)

Propafé 2 15-50 2-3 75-95 5- 5- 1 0,5-2


-none 7 10 hydroxypropafé
0 -none
0

Flécaïn 1 90-95 8-9 50 15- Méta-O- 30- 0,2-1


e 5 20 désalkylé 40
0
0

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Tableau clinique

La toxicité est d'expression rapide, 30-120 minutes après l'ingestion, et ne débute


qu'exceptionnellement au-delà des 6 heures. Les signes cardiovas-culaires sont
au premier plan : bradycardie, hypotension, choc, arrêt cardiaque. L'état de
choc est généralement cardiogénique, associé aux troubles conductifs
intraventriculaires. Il peut cependant comporter une part vasoplégique.
L'exploration hémodynamique en réanimation avec mesure du débit cardiaque
(échocardiographie, cathétérisme cardiaque droit…) est donc essentielle.
Différents aspects ECG peuvent être observés ( Fig. 2 ): effet stabilisant de
membrane (onde P aplatie, voire absente, QT allongé, QRS élargi > 0,12 s),
bradycardie sinusale ou à complexes élargis, bloc de branche droit, arythmies
ventriculaires (extrasystoles ventriculaires, tachycardie ventriculaire, torsade de
pointes, fibrillation ventriculaire), tachycardie supraventriculaire et bloc auriculo-
ventriculaire (plus rare). Les symptômes neurologiques (confusion, agitation,
tremblements, convulsion, syndrome pyramidal, coma) traduisent
généralement le bas débit cérébral. Des troubles neurosensoriels sont plus
fréquents avec la quinidine et la lidocaïne à type d'amaurose, de vision floue,
d'hallucinations, de vertiges et d'hypoacousie. Les autres symptômes (oligurie,
asthénie extrême, troubles digestifs, dyspnée) sont la conséquence du choc et
doivent faire rechercher une défaillance multiviscérale. Les signes biologiques
d'hypoperfusion tissulaire (acidose métabolique avec élévation des lactates,
insuffisance rénale, baisse du rapport PaO2/FiO2, troubles de la coagulation)
sont d'une extrême gravité. Une hypoglycémie a été parfois rapportée lors des
intoxications par le disopyramide.
Figure 2 - ECG typiques d'une intoxication par flécaïne, à l'admission en
réanimation (A) puis après administration de bicarbonates molaires de sodium
(B) permettant l'affinement des complexes QRS.
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Facteurs pronostiques

La mortalité par intoxication aux AA de classe I est élevée. Les facteurs habituels
de mauvais pronostic favorisant la défaillance cardiaque sont à rechercher dès
l'admission du patient : dose ingérée élevée, co-ingestion de plusieurs
cardiotropes, cardiopathie sous-jacente, insuffisance rénale, hypoxémie,
acidose, anomalies ioniques sous-jacentes et, surtout, dyskaliémie.
L'hypokaliémie favorise les torsades de pointes alors même qu'elle pourrait
protéger des effets délétères sur la conduction et la contractilité.
L'hyperkaliémie a un effet néfaste synergique sur les troubles de contractilité
myocardique.

La mesure de la concentration plasmatique est utile même si elle n'est pas


toujours corrélée à la sévérité. Elle ne doit à aucun moment retarder la mise en
place des traitements symptomatiques utiles au patient. Pour la quinidine,
l'allongement du QT apparaît pour des concentrations supérieures à 2 mg/l et la
cardiotoxicité pour des concentrations supérieures à 8 mg/l. Pour les
intoxications par le disopyramide, les signes de toxicité apparaissent à partir de
9 mg/l. Pour la flécaïne, nous avons observé qu'une concentration supérieure à
3 mg/l est prédictive du décès, en l'absence d'assistance circulatoire.

Les causes de décès de ces intoxications sont bien individualisées, résultant :

- soit de complications précoces, d'origine cardiovasculaire, survenant dans les


24 premières heures :

 asystole réfractaire, éventuellement précédée d'épisodes de troubles du


rythme ventriculaire devenant de moins en moins sensibles au traitement;
 troubles du rythme ventriculaire malins à type de tachycardie ou
fibrillation ventriculaire réfractaire;
 état de choc réfractaire principalement cardiogénique mais toujours
avec une composante vasoplégique. L'état de choc précède le plus
souvent ou est contemporain des troubles du rythme et de la conduction.
Un petit nombre de patients évoluent vers un état de mort cérébrale. Ces
patients ont fait un arrêt cardiaque et, bien souvent, ils sont découverts
en arrêt cardiaque par les premiers secours;
 soit de complications tardives, survenant au-delà des 48 premières heures
et en rapport avec une réanimation prolongée : encéphalopathie post-
anoxique évoluant vers un état végétatif, infections nosocomiales,
embolie pulmonaire…

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Traitements des intoxications avec effet stabilisant de membrane

Le traitement des intoxications graves fait appel aux mesures symptomatiques,


spécifiques, et à la décontamination gastro-intestinale ( Tab. 3 , Fig. 3 ). Cette
combinaison thérapeutique est efficace dans la majorité des intoxications par
effet stabilisant de membrane. Cependant, pour quelques intoxications
particulièrement sévères, il est insuffisant, aboutissant au décès du patient.

Dans l'immédiat

- décontamination digestive, en l'absence de contre-indications

- remplissage prudent (maximum: 1 000 ml de NaCl 0,9 %)

- atropine 0,5-1 mg IV si bradycardie sinusale ou bloc auriculo-ventriculaire


du 1er degré

- bicarbonates de sodium molaires 84‰ avec KCl 2 g/250 ml, sans dépasser
750 ml, si hypotension + QRS élargis > 0,12 s

- adrénaline en cas d'arrêt cardiaque ou de choc

- magnésium si torsade de pointes (2 g en IV lente à renouveler) ou


extrasystoles ventriculaires répétés

- charbon activé dans les 2 heures suivant l'ingestion, en l'absence de


contre-indications

À poursuivre

- catécholamines (adrénaline, dobutamine) adaptées au profil


hémodynamique

- isoprénaline et/ou entraînement électrosystolique si bloc auriculo-


ventriculaire de haut degré

- charbon activé à doses répétées si intoxication par quinidine

- en cas de choc ou d'ACR réfractaire: discuter l'assistance circulatoire

La recommandation est de réaliser une décontamination gastro-intestinale par


du charbon activé dans les 2 heures qui suivent l'ingestion d'une dose
potentiellement toxique, en respectant ses contre-indications. Le lavage
gastrique n'est plus recommandé. Il n'est pas démontré que l'épuration extra-
rénale présente une quelconque efficacité clinique dans ces intoxications
(volume de distribution et liaison aux protéines plasmatiques élevés). Elle pourra
cependant être envisagée en cas d'intoxication sévère par un médicament ou
par son métabolite actif éliminés par voie rénale lorsque co-existe une
insuffisance rénale sévère.
Figure 3 - Intoxication par les antiarythmiques avec effet stabilisant de
membrane.

Le traitement symptomatique repose sur :

- la ventilation assistée en cas de coma, de convulsions et surtout de


défaillance hémodynamique sévère, même du sujet conscient;
- un remplissage vasculaire par cristalloïdes ou colloïdes en cas d'hypotension
ou comme traitement initial d'un état de choc;

- l'administration de bicarbonate ou de lactate de sodium molaire en cas de


complexes QRS larges (> 0,12 s) et de collapsus. La dose est de 250 ml de
bicarbonate molaire avec 2 grammes de KCl perfusés en 30 minutes et
éventuellement renouvelée. La quantité totale de bicarbonate molaire ne peut
cependant dépasser 1 l/24 h en raison de la forte surcharge hydrosodée qu'elle
induit;

- les catécholamines en cas de collapsus persistant malgré le bicarbonate


molaire ou bien en présence d'un collapsus sans élargissement des complexes
QRS supérieur ou égal à 0,12 seconde. La catécholamine de référence est
l'adrénaline, éventuellement associée à la noradrénaline lorsqu'une étude
hémodynamique révèle une composante de vasoplégie artérielle
insuffisamment corrigée par l'adrénaline;

- un apport hydro-électrolytique adapté à l'état pulmonaire. L'hypokaliémie


résultant d'un transfert ne nécessite pas de correction;

- en cas de troubles de conduction de haut degré, il faut discuter l'intérêt d'un


entraînement électrosystolique, en l'absence d'atteinte sévère de l'inotropisme;

- en cas de troubles du rythme ventriculaire, les AA à effet stabilisant de


membrane sont à proscrire car ils majorent les signes d'intoxication. La mauvaise
tolérance hémodynamique d'un trouble du rythme ventriculaire doit conduire à
des chocs électriques externes. Dans notre expérience, le sulfate de magnésium
est efficace pour prévenir les récidives.

Les modalités et indications de l'assistance circulatoire doivent encore être


précisées pour les intoxications par les AA (niveau de preuve C). L'assistance
périphérique par pompe centrifuge à débit continu avec canulation
chirurgicale fémorale est la meilleure solution. Elle doit être proposée chez tout
patient intoxiqué et présentant un arrêt ou une défaillance cardiaque
réfractaire aux thérapeutiques pharmacologiques. Il n'existe pas de seuil établi
pour définir un choc réfractaire aux catécholamines. Nous avons suggéré, au
cours des intoxications avec effet stabilisant de membrane, que la présence
d'une hypotension artérielle, malgré une perfusion d'adrénaline supérieure à 3
mg/h en présence d'une insuffisance rénale ou d'une hypoxémie majeure,
serait prédictive du décès sans traitement d'exception.

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Conclusion

Les intoxications par AA de classe I sont graves. Seule une prise en charge
précoce dans un milieu de réanimation spécialisée pourrait permettre d'en
améliorer le pronostic. Le traitement repose sur les bicarbonates molaires de
sodium en cas de troubles de conduction intraventriculaires, le monitorage
hémodynamique et les catécholamines en cas de choc. La place précise de
l'assistance circulatoire n'est pas définie. Elle pourrait représenter le seul et ultime
espoir thérapeutique en cas de choc réfractaire aux traitements
pharmacologiques.

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Principales références
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Théophylline

Bruno Mégarbane

Frédéric Baud

L'intoxication par la théophylline est désormais rare mais reste grave par
l'intensité des symptômes et par leur durée (formes à libération prolongée). Elle
résulte soit d'une ingestion à but suicidaire, soit d'un surdosage chez un patient
asthmatique ou insuffisant respiratoire chronique, en raison de son faible index
thérapeutique. Le tableau clinique de l'intoxication aiguë associe des
manifestations neurologiques, cardiovasculaires et métaboliques liées au
syndrome adrénergique. Le risque vital est engagé en raison du risque de
convulsions souvent répétées et de manifestations cardiovasculaires graves.

Rappels utiles de pharmacologie

L'absorption digestive est rapide mais une ingestion massive peut réaliser des
conglomérats digestifs à l'origine d'une absorption retardée et d'un pic décalé
de concentration sanguine. Le volume de distribution est faible (0,3-0,7 l/kg), le
métabolisme est hépatique par le cytochrome P450 1A2 et l'élimination est
urinaire. Les concentrations thérapeutiques de théophylline sont comprises entre
10 et 20 mg/l.

La théophylline inhibe les phosphodiestérases, entraînant une accumulation


d'AMP cyclique dans les cellules. Les effets pharmacodynamiques recherchés
au cours d'un traitement par théophylline sont une bronchodilatation, une
augmentation de la clairance muco-ciliaire, voire une augmentation de la
contractilité cardiaque et diaphragmatique. À concentrations toxiques (> 20
mg/l), la théophylline stimule les récepteurs bêta-1 et bêta-2 adrénergiques.

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Tableau toxique

Les manifestations toxiques et leur sévérité varient selon le type d'intoxication


(sujet non traité ayant ingéré une dose > 10 mg/kg versus sujet traité au long
cours), de l'âge et des co-morbidités (antécédents d'épilepsie, de
bronchopneumopathie obstructive chronique ou insuffisance cardiaque
congestive). Les troubles digestifs (nausées, vomissements parfois incoercibles,
douleurs abdominales et plus rarement hématémèse) sont constants. Ils sont
plus fréquents en cas d'intoxication aiguë. Les troubles neurologiques associent
des céphalées, une agitation et surtout des convulsions. Celles-ci sont souvent
généralisées et précédées d'une phase d'agitation, de tremblements et
d'angoisse. La tachycardie sinusale est quasi constante mais le risque vital
résulte de troubles malins du rythme ventriculaire. Un collapsus cardiovasculaire
peut s'expliquer par trois mécanismes qui peuvent s'ajouter : hypovolémie
méconnue (hémorragie digestive), trouble du rythme et vasoplégie artérielle.
Les troubles métaboliques sont constants, reflétant la stimulation adrénergique
cellulaire. Ils peuvent associer une hyperglycémie, une acidose métabolique de
type lactique, une hypokaliémie de transfert et une hypophosphorémie.
L'hypokaliémie est souvent majorée par les pertes digestives (vomissements) ou
rénales (effet diurétique des xanthines). Par ailleurs, une rhabdomyolyse
associée ou non aux convulsions peut entraîner une insuffisance rénale aiguë.

Lors d'une intoxication aiguë du sujet non traité, il existe un parallélisme entre la
gravité de l'intoxication et la concentration plasmatique de théophylline. Une
intoxication mineure s'accompagne de concentrations de l'ordre de 20 à 40
mg/l, une intoxication de gravité moyenne de concentrations de 40 à 100 mg/l
et une intoxication grave de concentrations supérieures à 100 mg/l. La
cinétique particulière des formes retard explique la nécessité de surveiller de
façon répétée les concentrations de théophylline. Le surdosage se distingue par
l'apparition plus précoce et plus fréquente de convulsions et de troubles du
rythme, mais avec un risque plus important de vomissements et de
tremblements. Il n'y a pas de corrélation entre la gravité des manifestations
toxiques et les concentrations sanguines de théophylline. L'intoxication aiguë du
sujet traité se caractérise par l'apparition de symptômes pour des
concentrations plus basses de théophylline.

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Traitement de l'intoxication aiguë

Le traitement est d'abord symptomatique : apport hydro-électrolytique par voie


veineuse, ventilation mécanique si insuffisance respiratoire aiguë ou convulsions
répétées. Les convulsions sont habituellement contrôlées par les
benzodiazépines (diazépam). L'hypokaliémie résulte principalement d'un
transfert intracellulaire, la part de déplétion par fuite urinaire restant modérée.
Sa correction doit donc être partielle et prudente pour éviter toute
hyperkaliémie secondaire. Les troubles métaboliques ainsi que l'hyperexcitabilité
ventriculaires sont améliorés de façon spectaculaire par les β-bloquants tels que
le propranolol (Avlocardyl®) - 1-3 mg en intraveineux lent puis 10 mg/24 h en
perfusion continue - ou l'esmolol (Brévibloc®) - 500 μg/kg puis 50 μg/kg/min en
perfusion. Le débit de perfusion doit être ajusté à la fréquence cardiaque et aux
concentrations de théophylline. Les bêtabloquants doivent cependant être
utilisés avec prudence chez les patients asthmatiques. D'autres traitements
peuvent alors être testés, comme le vérapamil (Isoptine®) ou l'adénosine
(Stryadine®).

Une administration répétée de charbon activé, en respectant ses contre-


indications (troubles de conscience), est recommandée selon le schéma
suivant : 50 grammes initialement puis 25 g/h, en raison d'un cycle entéro-
hépatique. Ce traitement peut être néanmoins difficile à réaliser en raison des
vomissements induits. L'épuration extracorporelle peut être discutée en cas
d'intoxication gravissime avec atteintes cardiaque et neurologique ré fractaires.
La technique de référence est l'hémoperfusion sur colonne de charbon. La
clairance de la théophylline est de 40-65 ml/min spontanément, 90-140 ml/min
avec le charbon activé à doses répétées, 110-140 ml/min avec l'hémodialyse
conventionnelle et 150-225 ml/min avec l'hémoperfusion sur charbon.

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Conclusion
Même devenue rare en raison de la réduction des prescriptions, l'intoxication
par la théophylline peut menacer le pronostic vital. Une admission en
réanimation est donc recommandée pour une dose ingérée élevée ou en cas
de signes cardiovasculaires ou neurologiques. Le traitement est symptomatique.
Une perfusion intraveineuse de bêtabloquant doit être guidée par la fréquence
cardiaque et les concentrations plasmatiques de théophylline. Le charbon à
dose répétée est indiqué pour réduire la demi-vie d'élimination en raison d'un
cycle entéro-hépatique.

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Principales références
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Colchicine

Bruno Mégarbane

Frédéric Baud

L'intoxication aiguë par la colchicine est rare mais potentiellement grave.


Fréquente dans les années 60-70, son incidence est heureusement en recul en
raison d'indications désormais restreintes. Ainsi un registre européen a retrouvé,
de 1999 à 2003, 355 cas d'exposition dans 33 pays avec un taux de létalité de
l'ordre de 4%. En raison de l'incidence plus importante de la maladie périodique
dans les pays du bassin méditerranéen, la fréquence des intoxications par la
colchicine serait plus élevée dans ces pays. Elle est responsable d'une atteinte
multiviscérale, avec défaillances cardiaque, respiratoire, hépatique,
neurologique et hématologique. Les facteurs pronostiques usuels sont la dose
supposée ingérée, l'élévation des leucocytes et la baisse du taux de
prothrombine à la 48e heure ainsi que l'apparition d'un choc cardiogénique ou
d'un syndrome de défaillance respiratoire aiguë. Le traitement est
symptomatique. Le développement clinique de l'immunothérapie par les
fragments Fab spécifiques anti-colchicine pourrait améliorer le pronostic des
formes graves, constamment mortelles à ce jour.

Physiopathologie

La colchicine est un alcaloïde, extrait du colchique, et appartient à la famille


des poisons du fuseau. Son effet antimitotique est en rapport avec sa liaison à la
tubuline, formée d'un hétérodimère α et β et qui constitue la sous-unité
élémentaire des microtubules. Cette liaison empêche la polymérisation des
microtubules et bloque les cellules en métaphase.

La colchicine est utilisée en thérapeutique pour son action anti-inflammatoire


dans la crise de goutte, la chondrocalcinose articulaire et la prévention de
certaines pathologies inflammatoires dont la physiopathologie n'est pas encore
clairement identifiée : la maladie périodique, la maladie de Behçet, la
sclérodermie, ou certaines formes cliniques de sarcoïdose et de maladie
sérique. Deux spécialités disponibles contiennent de la colchicine : la Colchicine
Houdé® et le Colchimax®. Ce dernier renferme également du tiémonium (50
mg par comprimé), du phénobarbital (15 mg par comprimé) et de l'opium (12,5
mg par comprimé). La posologie quotidienne préconisée est de l'ordre de 1
mg/jour.

Il convient de distinguer deux formes d'intoxication par la colchicine : le


surdosage, qui résulte de la prescription d'une trop forte dose chez un patient
insuffisant rénal, et l'intoxication aiguë par la prise massive d'une dose unique de
colchicine. Des cas d'intoxications par le végétal produisant la colchicine ont
été décrits. Le colchique, ou safran des près, contient du colchicoside, de
l'alpha-déméthyl-3-colchicine et surtout de la colchicine. On retrouve ces
composés dans toute la plante mais surtout dans les graines et le bulbe.
L'ingestion ou la succion d'une plante n'engendre pas de signes cliniques
graves. Par contre, l'ingestion de 1 à 2 grammes de graines peut être mortelle.
Le tableau clinique s'apparente à celui de l'intoxication médicamenteuse aiguë
par la colchicine.

La cardiotoxicité de la colchicine a largement été démontrée in vitro ainsi


qu'au cours d'intoxications aiguës chez l'homme. Elle participe largement à
l'évolution défavorable du patient intoxiqué. Ainsi, dans une étude
expérimentale sur le muscle papillaire ventriculaire gauche de rats intoxiqués
(par 2 ou 4 mg/kg de colchicine versus contrôle), il a été montré une toxicité
fonctionnelle dosedépendante du myocarde, comprenant :

- une dépression de la contractilité myocardique, avec une réduction de la


vitesse maximale de raccourcissement des fibres (32 et 61% respectivement),
une baisse de leur force de contraction isométrique (47 et 65%) et une baisse de
leur capacité d'éjection maximale (57 et 69%);

- une atteinte de la contraction isotonique et de la relaxation charge-


dépendante, suggérant une altération de la fonction du réticulum
sarcoplasmique;

- une accélération de la relaxation isométrique, démontrant une baisse de


sensibilité des myofilaments au calcium.

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Description clinique

La toxicité aiguë de la colchicine est multiviscérale, provoquant successivement


au cours du temps, après un intervalle libre de 6 à 12 heures, l'apparition de
troubles digestif, hépatique, cardiovasculaire, hématologique et neurologique (
Tab. 1 ). Les facteurs pronostiques de cette intoxication sont ( Tab. 2 ): la dose
supposée ingérée, une hyperleucocytose ≥ 18 000/mm3, un taux de
prothrombine ≤ 20% ainsi que l'apparition d'un état de choc cardiogénique ou
d'un SDRA.

En effet, la sévérité ainsi que le taux de mortalité sont directement liés à la dose
ingérée, bien que des cas mortels aient été rapportés pour des doses faibles (5
à 10 mg), ingérées ou injectées en intraveineux.

Une étude rétrospective française, portant sur 84 cas d'intoxications de 1967 à


1976, a permis d'identifier 3 niveaux de toxicité selon la dose supposée ingérée
(DSI) :

- DSI < 0,5 mg/kg : le tableau clinique est dominé par les troubles digestifs
(diarrhées, vomissements et douleurs abdominales) et la déshydratation
extracellulaire. L'évolution est favorable en 4 à 5 jours;

Avant la 24e heure

- douleurs abdominales, nausées, vomissements, diarrhée

- hyperleucocytose

- hypovolémie, anomalies électrolytiques


- fibrinolyse, coagulation intravasculaire disséminée

- cytolyse hépatique

Du 2e au 7e jour

- hypoplasie médullaire, leucopénie, thrombopénie

- syndrome hémorragique, infections

- troubles du rythme, défaillance cardiaque aiguë

- insuffisance hépatique

- syndrome confusionnel, délire, convulsions, coma

- défaillance multiviscérale

- syndrome de détresse respiratoire aiguë

À partir du 7e jour

- alopécie

- sortie d'aplasie

Dose supposée ingérée Mortalité

< 0,5 mg/kg 5%

0,5-0,8 mg/kg 10%

> 0,8 mg/kg 80-100% en 72 h

Présence d'une hyperleucocytose ≥ 18 000/mm3 dans les 48 premières


heures

Chute du TP en dessous de 20% dans les 48 premières heures

Apparition d'un SDRA ou d'une défaillance cardiaque dans les 72 premières


heures

- DSI de 0,5 à 0,8 mg/kg : une pancytopénie apparaît aux environs du 4e jour,
en plus des signes précédents. Elle traduit la toxicité de la colchicine sur les
cellules souches hématopoïétiques. Elle s'accompagne du risque de survenue
d'un épisode infectieux et/ou hémorragique et d'un taux de mortalité de l'ordre
de 10%;
- DSI > 0,8 mg/kg : le risque de décès est majeur, de l'ordre de 80% par
défaillance cardio-circulatoire, choc hypovolémique, hémorragique ou
septique ou syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA).

Le collapsus hémodynamique survenant précocement ne relève pas d'un


mécanisme univoque : le choc peut être hypovolémique, à la suite d'une
hémorragie ou de pertes liquidiennes digestives abondantes, vasoplégique
d'origine septique ou le plus souvent cardiogénique par réduction de la
contractilité des cellules myocardiques. L'exploration hémodynamique par
cathétérisme droit, échocardiographie transthoracique ou transœsophagienne
peut se révéler utile pour guider la thérapeutique. Ainsi, une étude systématique
par cathétérisme cardiaque droit, réalisée chez 12 patients dans les 6 heures
suivant leur admission pour intoxication aiguë par la colchicine (DSI entre 0,7 et
2,6 mg/kg), a retrouvé une différence significative entre les groupes de patients
survivants et décédés : une pression pulmonaire d'occlusion (PAPO) plus basse
(5,6 versus 9,8 mmHg), un index cardiaque plus élevé (4,23 versus 2,36
l/min/m2) et une meilleure tolérance au remplissage vasculaire avec meilleure
amélioration de l'index et moindre élévation de la PAPO (8,3 versus 20 mmHg)
témoignent d'un moindre dysfonctionnement cardiaque et donc d'un meilleur
pronostic.

De multiples anomalies ECG ont été décrites au cours des intoxications par la
colchicine : tachycardie ou bradycardie sinusale, courant de lésion
sousépicardique étendue, fibrillation ventriculaire, dysfonction sinusale, blocs
auriculo-ventriculaires complets…. La colchicine pourrait inhiber la génération
de l'influx électrique cardiaque et entraîner des troubles conductifs sévères.

À ce jour, aucune étude n'a clairement démontré d'atteinte lésionnelle


myocardique directe de la colchicine. Néanmoins, quelques auteurs ont
rapporté une élévation des enzymes cardiaques (troponine Ic et CPK-MB), voire
la survenue d'une nécrose myocardique. De plus, une étude autopsique
portant sur 12 patients décédés d'intoxication à la colchicine a retrouvé un
œdème interstitiel constant du myocarde sans nécrose cellulaire. Dans cette
étude, un aspect de myocardite interstitielle avec infiltrat à polynucléaires
neutrophiles n'était observé que dans 2 cas.

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Méthodes de diagnostic

Le diagnostic positif est essentiellement clinique, fondé sur l'anamnèse et


l'observation de la symptomatologie clinique. Parfois, celui-ci est plus difficile, si
le patient est vu tardivement (neutropénie fébrile ou alopécie) et que l'anamnè
se est peu claire. La surveillance rapprochée des paramètres biologiques
(créatininémie, numération sanguine, taux de prothrombine, facteur V de la
coagulation, transaminases) est essentielle pour estimer le pronostic. En cas de
défaillance circulatoire, il est indispensable d'en caractériser le profil
hémodynamique par cathétérisme droit ou échographie cardiaque. Le dosage
plasmatique et urinaire de la colchicine par méthode radio-immunologique
ainsi que par toute autre technique (dont la chromatographie liquide-
spectrométrie de masse) est possible et confirme le diagnostic.
Peu de données existent sur le comportement cinétique de la colchicine en
situation toxique et nombre de considérations se déduisent des études
pharmacologiques. Le volume de distribution de la colchicine est important. Il
n'existe pas de corrélation entre la concentration plasmatique de la colchicine
à l'admission et le pronostic final. Par contre, le profil de la cinétique
d'élimination de la colchicine du plasma considéré à partir de la date
d'ingestion serait lié à l'évolution clinique. Une quantité importante du toxique
s'élimine par les urines, surtout pendant les premiers jours. Les selles diarrhéiques
contiennent des quantités non négligeables de toxiques. Il est donc important
de maintenir une bonne diurèse et de respecter le transit. Par contre,
l'hémodialyse a peu d'intérêt en raison des faibles quantités de colchicine
circulantes et d'une clairance rénale en général conservée. L'ingestion
simultanée d'autres médicaments pourrait modifier les paramètres cinétiques de
la colchicine et expliquer la majoration ou la prolongation de ses effets toxiques.

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Prise en charge

La décontamination digestive, surtout utile dans les premières heures, repose sur
l'administration de charbon activé en l'absence de contre-indications. Celle-ci
peut être plus large que les 2 heures habituelles en raison du pronostic vital
corrélé à la quantité absorbée de toxique. La prise en charge est
essentiellement symptomatique, en réanimation médicale : maintien de
l'équilibre hydro-électrolytique, correction du choc (remplissage par
macromolécules ou recours aux drogues inotropes), correction des troubles
hématologiques et de coagulation, prévention du sepsis en cas de neutropénie
( Tab. 3 ). L'antibiothérapie probabiliste en cas de fièvre doit être active sur les
germes de l'oropharynx (streptocoques) et du tube digestif (bacille à Gram
négatif), en raison du risque de survenue de translocation bactérienne lors des
phases d'instabilité hémodynamique. Elle doit tenir compte d'une éventuelle
colonisation par des germes nosocomiaux. Par exemple, l'association d'une β-
lactamine à large spectre de type ticarcilline ou pipéracilline ± tazobactam et
d'un aminoside satisfait à ces conditions. Le GCS-F (Granulocyte Colony
Stimulating Factor) (filgrastim) pourrait posséder un intérêt pour réduire la durée
et l'importance de la pancytopénie, mais celle-ci est habituellement inférieure à
3 jours.

Traitement initial

- décontamination digestive (même retardée) par charbon activé;


respecter la diarrhée

- remplissage vasculaire (massif), compensation des pertes hydro-


électrolytiques

Traitement à poursuivre

- monitorage hémodynamique et traitement du choc (catécholamines)


- antibiothérapie à large spectre si fièvre (car aplasie)

- discuter intérêt des facteurs de croissance (GCS-F)

- fragment Fab anti-colchicine (1 cas rapporté) non disponible à ce jour

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Place de l'immunotoxicothérapie

De l'absence d'une thérapeutique spécifique réellement efficace est née l'idée


de développer une immunothérapie dans les situations de surdosage grave (>
0,8 mg/kg). Le principe d'un tel traitement est l'extraction, la séquestration et
l'élimination du toxique de ses organes cibles, par l'administration intravasculaire
de fragments Fab d'anticorps spécifiques. Des anticorps IgG spécifiques anti-
colchicine ont pu être obtenus, après immunisation chez la chèvre. Le
mécanisme d'extraction tissulaire repose sur le principe de la loi d'action de
masse. Le succès est fondé sur la réversibilité de l'interaction toxique/récepteur,
pour la colchicine et ses récepteurs intracellulaires. La séquestration du toxique
dépend de la spécificité et de l'affinité de l'anticorps. La constante d'affinité
intrinsèque moyenne des anticorps obtenus (1,5 à 8 × 109 M-1) est supérieure à
celle de la colchicine pour son récepteur biologique (106 à 107 M-1), soit
environ 1 000 fois plus. La formation de complexes immuns stables dans le sang
circulant permet de masquer les sites moléculaires du toxique et d'empêcher
l'interaction avec son site d'action. L'anticorps piège la colchicine présente
dans le compartiment vasculaire, créant un gradient de concentration des
tissus vers le sang, ce qui favorise le passage du toxique du compartiment
tissulaire vers le compartiment vasculaire, site de distribution des anticorps. Les
anticorps peuvent ainsi réduire la redistribution de molécules liées aux tissus et
empêcher leur effet toxique. L'é limination du toxique se fait alors rapidement
sous forme complexée dans les urines.

Les facteurs limitant l'utilisation des anticorps en clinique sont la disponibilité des
anticorps et le délai écoulé depuis l'ingestion lors de l'admission du patient à
l'hôpital. Le problème de la dose de Fab à injecter par rapport à la DSI n'est pas
non plus tranché. Il a été démontré que des doses non stœchiométriques
inframolaires de fragments Fab suffisaient pour traiter et neutraliser une
intoxication expérimentale potentiellement létale.

Une seule patiente, âgée de 25 ans, a été traitée jusqu'à présent, avec succès,
grâce à ces anticorps spécifiques, à la suite de l'ingestion d'une dose mortelle
de 1 mg/kg. Le tableau clinique était marqué par l'apparition de troubles
digestifs, d'hypotension artérielle, de CIVD, d'oligurie, de SDRA et d'un choc
cardiogénique réfractaire à la dobutamine. La concentration plasmatique de
colchicine était à 24 ng/ml. Elle a été traitée par les Fab spécifiques administrés
en perfusion intraveineuse, à la dose de 480 mg (dose non stœchiométrique). Il
s'en est suivi une ascension de 6 fois de la concentration de colchicine dans le
sang, 10 minutes après l'administration des anticorps. La colchicine libre est
devenue indétectable, jusqu'à 7 heures après la perfusion, et la concentration
urinaire a été multipliée par 6. Le choc cardiogénique a rapidement régressé et
la patiente a survécu mais l'immunothérapie n'a pas pu empêcher la survenue
d'une neutropénie profonde, d'une bactériémie, d'une polynévrite transitoire et
d'une alopécie.

Les anticorps anti-colchicine sont actuellement au stade du développement


clinique (mise en place prochaine d'un essai européen multicentrique). Le
développement chez l'homme avait été bloqué en raison des coûts élevés de
telles études cliniques et du faible nombre de patients potentiellement
susceptibles de bénéficier d'une telle thérapie. Aucune entreprise
pharmaceutique n'avait accepté à ce jour de développer cette thérapie, la
reléguant dans la catégorie des médicaments orphelins.

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Conclusion

Les intoxications par colchicine sont potentiellement sévères. Les effets


cardiovasculaires toxiques contribuent de façon importante à l'évolution
défavorable des patients les plus gravement intoxiqués. L'atteinte cardiaque fait
partie d'une atteinte multiviscérale toxique globale. Le traitement est avant tout
symptomatique. Aucun traitement spécifique n'existe à ce jour.

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Principales références
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colchicine overdose with colchicine-specific Fab fragments. N Engl J Med 1995;
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Chloroquine

Bruno Mégarbane

Frédéric Baud

L'intoxication par la chloroquine est rare mais potentiellement grave.


L'hydroxychloroquine, 2 à 3 fois moins cardiotoxique, est responsable
d'intoxications encore plus rares. La sévérité de ces intoxications est liée à l'effet
stabilisant de membrane qui résulte du blocage des canaux sodiques des
cellules contractiles et de conduction cardiaque. En France, la publication dans
les années 80 du livre Suicide mode d'emploi avait popularisé l'intoxication à la
chloroquine. Depuis cette date, les facteurs pronostiques ont été identifiés et la
stratégie thérapeutique optimisée, fondée sur l'intubation et la mise sous
adrénaline préventivement dès l'identification d'une forme sévère avant la
survenue de complications cardiaques.

Propriétés toxicologiques

La chloroquine (Nivaquine®, Savarine®) est un antipaludéen de synthèse. Après


ingestion, l'absorption digestive est rapide (1-2 h) et complète (biodisponibilité
d'environ 90%). Son métabolisme est hépatique et son élimination rénale, 70%
sous forme de chloroquine et 30% sous forme de deséthylchloroquinine
également toxique. L'élimination de la chloroquine est lente avec une demi-vie
de l'ordre de 25 heures. Pendant cette phase, la persistance d'une
concentration élevée de chloroquine contraste alors avec la résolution
progressive des manifestations cliniques. Si les dosages sont poursuivis, il est
possible de mesurer une demi-vie terminale prolongée de l'ordre de 60 jours.

Le support de l'effet stabilisant de membrane est un blocage des canaux


sodiques et potassiques entraînant une diminution du flux sodique entrant
dépolarisant en phase 0 et du flux potassique sortant repolarisant en phase 3.
Ces perturbations sont à l'origine du ralentissement de la vitesse de propagation
de l'influx et de l'allongement de la période réfractaire. En diminuant l'entrée de
calcium voltage-dépendant en phase 2 du potentiel d'action, la chloroquine
provoque un effet inotrope négatif. Le mécanisme est identique au niveau des
cellules musculaires lisses vasculaires, à l'origine d'une vasodilatation.

La chloroquine peut bloquer la fermeture du canal potassique voltage-


dépendant HERG (Human Ether-a-go-go Related Gene) des cardiomyocytes,
provoquant un transfert intracellulaire de potassium. Néanmoins, le rôle délétère
de l'hypokaliémie qui en résulte reste discuté. Elle pourrait aggraver les effets
proarythmogè nes du blocage de la conduction ventriculaire, de
l'augmentation d'automaticité et de l'allongement du QT. À l'inverse, elle
pourrait être protectrice, en induisant une inhibition relative de la pompe Na-K-
ATPase membranaire nécessaire pour restaurer un certain degré d'inotropisme
et d'excitabilité myocardique. C'est pourquoi, en raison d'une pathogénie
incertaine, la correction de l'hypokaliémie même profonde doit être prudente
car elle est difficile et expose au risque d'arythmie ventriculaire lors du transfert
extracellulaire, après élimination du toxique, de l'excès de potassium apporté.

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Tableau clinique

Le tableau initial est souvent faussement rassurant, alors qu'un arrêt cardiaque
inopiné peut survenir de façon précoce. Le délai habituel de l'apparition des
complications est de 30 minutes à 6 heures; une aggravation plus tardive
(jusqu'à 24 h) est possible. Les troubles neurosensoriels (baisse de l'acuité visuelle,
vision floue, acouphènes, vertiges, bourdonnement, hypoacousie) ont une
valeur d'alarme. Les vomissements sont fréquents : précoces, ils peuvent
diminuer la quantité de chloroquine réellement absorbée, alors que, tardifs, ils
exposent au risque d'inhalation. Ils sont probablement d'origine centrale. L'ECG
(meilleure sensibilité en dé rivation frontale D2) montre un aplatissement
précoce des ondes T, un allongement du segment QT et un élargissement de la
durée des complexes QRS ( Fig. 1 ). Les troubles du rythme s'expriment sous
forme de torsade de pointes, d'une tachycardie ventriculaire ou d'une
fibrillation ventriculaire. D'autres anomalies ECG peuvent se rencontrer : aspect
de bloc de branche droit, syndrome de Brugada électrique, tachycardie
supraventriculaire ou bradycardie irrégulière à complexes QRS élargis
précédant souvent l'asystole.

Figure 1 - Effet stabilisant de membrane lié à une intoxication par la chloroquine.

L'hypotension est liée à l'effet inotrope négatif et vasodilatateur artériel de la


chloroquine. Les troubles neurologiques (agitation, anxiété, coma ou
convulsions) sont généralement la conséquence du bas débit cérébral, même
si une toxicité cérébrale directe est possible. Les formes graves s'accompagnent
d'hypoxie secondaire à un œdème pulmonaire lésionnel d'apparition retardée
aboutissant à un syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA) par exsudation
ou hémorragie intra-alvéolaire. L'hypokaliémie, parfois profonde (valeur extrême
rapportée à 0,8 mmol/l associée alors à une tétraparésie), est liée à un
mécanisme de transfert. L'acidose métabolique associée est surtout lactique et
traduit l'hypoperfusion tissulaire.

La concentration de chloroquine mesurée sur sang total (après hémolyse, zone


thérapeutique : 6-10 μmol/l) est mieux corrélée à la gravité cardiovasculaire
que la concentration plasmatique (10 fois moins élevée environ). De plus, ces
deux concentrations peuvent varier de façon dissociée au cours d'une
intoxication, contrairement à la pharmacologie. On peut estimer que 1 gramme
de chloroquine ingérée augmente la concentration sanguine d'environ 5
μmol/l.

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Facteurs pronostiques

Trois paramètres permettent d'évaluer la gravité d'une intoxication à l'admission


: la dose supposée ingérée (≥ 4 g ou < 4 g), la baisse de la pression artérielle
systolique (≤ 100 mmHg ou > 100 mmHg) et l'élargissement des complexes QRS
(≥ 100 ms ou < 100 ms) ( Tab. 1 ). Une dose supérieure à 5 g est constamment
mortelle en l'absence de traitement. Il existe une relation étroite entre la
concentration initiale mesurée sur le sang total et la gravité de l'intoxication. On
peut considérer que les troubles cardiaques graves sont fréquents au-dessus de
12 μmol/l et que, sans traitement, le décès est constant au-dessus de 25 μmol/l.
Avec une prise en charge adaptée en réanimation, la mortalité est nulle pour
une chloroquinémie inférieure à 12 μmol/l, de 2% pour une chloroquinémie
comprise entre 12 et 25 μmol/l, de 21% à partir de 25 μmol/l et de 60% si elle est
supérieure à 50 μmol/l. L'hypokaliémie est également corrélée à la gravité de
l'intoxication. La kaliémie est proportionnelle à la pression artérielle et
inversement proportionnelle à la valeur du QT et à la durée des QRS. Une valeur
inférieure à 3 mmol/l est prédictive d'une surmortalité.

Dose ingérée PA systolique Durée QRS

Grave ≥ 4 g ou < 100 mmHg ou > 0,10 s

Bénigne < 4 g et ≥ 100 mmHg et ≤ 0,10 s

D'autres facteurs sont prédictifs d'une mort différée de plus de 12 heures par
rapport à l'admission. Il s'agit de :

- l'apparition d'une oligurie;


- l'élévation de la créatinémie;

- la persistance ou l'augmentation d'une hyperlactacidémie, en sachant que sa


valeur initiale n'a pas de valeur pronostique;

- une augmentation de la chloroquinémie de plus de 20% dans les 6 heures qui


suivent l'admission.

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Traitement

Le traitement des formes sévères doit débuter en préhospitalier et associe


intubation, ventilation assistée, perfusion IV d'adrénaline à 0,25 μg/kg/min
augmentée par paliers de 0,25 μg/kg/min, et de diazépam à la dose de 2
μg/kg IV en 30 minutes puis de 2 mg/kg en 24 heures ( Tab. 2 ). L'induction de
l'anesthésie générale pour permettre l'intubation est fondée sur les protocoles
habituels de séquence rapide. Le diazépam utilisé seul n'a pas fait la preuve de
son action antidotique dans l'intoxication à la chloroquine : il n'est donc plus
indiqué dans les formes dites jadis «intermédiaires».

Le bicarbonate de sodium molaire à 8,4% peut permettre de réduire un bloc


intraventriculaire, à raison de 100 à 250 ml en 15 à 20 minutes, sans dépasser
une dose maximale de 750 ml, avec une surveillance de la kaliémie. Les critères
d'efficacité sont la correction du QRS et de l'hypotension. La persistance d'un
collapsus sous adrénaline impose de pratiquer une étude hémodynamique, qui
montre le plus souvent une correction insuffisante de la baisse des résistances
systémiques. Le choc électrique externe est recommandé pour les troubles du
rythme ventriculaire graves. En cas de récidive, la plupart des antiarythmiques
sont contre-indiqués. La correction de l'hypokaliémie doit être prudente, avec
environ 80 mEq/24 h et sans jamais dépasser le double même pour une kaliémie
inférieure à 2 mmol/l, pour éviter un risque d'arythmie ventriculaire secondaire à
l'hyperkaliémie au moment de la disparition de l'effet stabilisant de membrane.
En cas d'arrêt cardiaque persistant, de choc cardiogénique documenté ou
d'arythmie ventriculaire réfractaires au traitement médical, l'assistance
circulatoire doit être proposée. L'indication doit être posée avant l'apparition
d'une défaillance multiviscérale.

Immédiat (y compris en préhospitalier)

- remplissage modéré

- intubation et ventilation contrôlée

- adrénaline 0,25 μg/kg/min IV puis adapté pour obtenir une pression


artérielle systolique ≥ 100 mmHg

- diazépam (Valium®) : 2 mg/kg en 30 minutes IV puis 2-4 mg/kg/j

- bicarbonates 8,4% 250 ml débit libre + 2 g de KCl si QRS ≥ 0,12 s +


hypotension
À poursuivre en réanimation

- charbon activé si vu dans les 2 heures, en l'absence de contre-indications

- monitorage hémodynamique

- correction prudente de l'hypokaliémie car pool potassique conservé : 80-


160 mEq/j (4-6 g/j)

- si état de choc ou ACR réfractaire : discuter assistance circulatoire

Par ailleurs, la décontamination digestive n'a d'intérêt que pour les patients vus
dans les 2 heures après ingestion, en l'absence de contre-indications.
L'épuration extra-rénale est inutile, en raison du volume de distribution important
de la chloroquine et de sa forte fixation intra-érythrocytaire et aux protéines
plasmatiques.

Les modalités et indications de l'assistance circulatoire doivent encore être


précisées pour les intoxications par la chloroquine (niveau de preuve C).
L'assistance périphérique par pompe centrifuge à débit continu avec
canulation chirurgicale fémorale est la meilleure solution. Elle doit être proposée
chez tout patient intoxiqué et présentant un arrêt ou une défaillance cardiaque
réfractaire aux thérapeutiques pharmacologiques. Il n'existe pas de seuil établi
pour définir un choc réfractaire aux catécholamines. Nous avons suggéré que
la présence d'une hypotension artérielle, malgré une perfusion d'adrénaline
supérieure à 3 mg/h en présence d'une insuffisance rénale ou d'une hypoxémie
majeure, serait prédictive du décès sans traitement d'exception.

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Conclusion

Les intoxications par chloroquine sont toujours aussi graves et préoccupantes. La


prise en charge de ces patients nécessite une admission en milieu spécialisé.
Elle fait appel à un protocole préventif d'intubation et d'administration
d'adrénaline, à mettre en place dès la phase préhospitalière, seul moyen
efficace pour réduire la mortalité des intoxications sévères. L'assistance
circulatoire semble représenter un espoir thérapeutique certain : son bénéfice
final est encore en cours d'investigation.

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Principales références
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Nathalie Fouilhé Sam-Laï

Insuline

Un surdosage accidentel ou volontaire en insuline est responsable d'une


hypoglycémie grave. Les séquelles cérébrales et les décès résultent d'une
correction trop tardive de l'hypoglycémie.

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Clinique

L'injection d'une forte dose d'insuline entraîne une hypoglycémie se traduisant


par une sensation de faim, des sueurs profuses, une fatigue musculaire, des
troubles neuropsychiques et un coma agité hypertonique avec signes
pyramidaux. La profondeur de l'hypoglycémie n'est pas corrélée à la
concentration plasmatique d'insuline. L'hypoglycémie est souvent sévère et
prolongée. Sa correction tardive entraîne des lésions cérébrales irréversibles. La
consommation d'alcool aggrave le pronostic, l'alcool inhibant la
néoglucogenèse et l'effet hyperglycémiant des autres hormones. Une
hypokaliémie de transfert accompagne l'hypoglycémie au cours des
surdosages en insuline.

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Traitement

Le glucagon est une aide utile mais le traitement des intoxications à l'insuline
repose sur l'administration de glucosé hypertonique (glucose à 30 %, voire 50%)
et nécessite donc la pose d'un abord veineux central. Le rythme de perfusion
est guidé par la surveillance très rapprochée des glycémies au doigt et de la
glycosurie. Pour éviter les hypoglycémies tardives, les perfusions de glucosé
hypertonique doivent être suffisamment prolongées. Du potassium est ajouté
aux perfusions de glucose (2 à 4 g de KCl par litre de glucosé).

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Médicaments antidiabétiques oraux

Il existe plusieurs familles d'antidiabétiques oraux : les biguanides, les sulfamides


hypoglycémiants, les glinides, les thiazolidinediones et les inhibiteurs des
alphaglucosidases. Ils peuvent être administrés seuls ou en association dans une
même spécialité.

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Biguanides

La seule molécule actuellement disponible est la metformine. Elle possède un


effet antihyperglycémiant extra-pancréatique, par augmentation de l'utilisation
périphérique du glucose et réduction de la néoglucogenèse hépatique et de
l'absorption digestive du glucose. Elle est responsable d'acidose lactique;
l'hypoglycémie est rare mais peut être observée en cas de prise concomitante
d'alcool.

La metformine possède un grand volume de distribution et n'est pas


métabolisée. Elle est éliminée par voie rénale sous forme inchangée.

Clinique

Au cours des intoxications ont été rapportées des acidoses lactiques, le plus
souvent dans un contexte d'insuffisance rénale, cardiaque ou hépatique ou
d'intoxication alcoolique associée. Le tableau clinique associe troubles digestifs
(nausées, vomissements, diarrhée, douleur épigastrique), troubles neurologiques
centraux (agitation, confusion, coma, convulsions), troubles respiratoires
(polypnée) et troubles cardiovasculaires (tachycardie, hypotension). L'acidose
lactique associe une acidose métabolique à un trou anionique augmenté avec
hyperlactacidémie. Le dosage de la metformine permet de préciser le
pronostic et les indications thérapeutiques : les hyperlactatémies avec
metforminémie élevée se caractérisent par un meilleur pronostic dû à
l'efficacité du traitement par alcalinisation, épuration rénale ou extrarénale. Les
acidoses lactiques sans élévation de la metforminémie ont un mauvais
pronostic malgré un traitement identique.

Traitement

Le traitement de l'acidose lactique est symptomatique, associé à une


décontamination gastro-intestinale chez des patients vus tôt, en respectant ses
contreindications. La correction de l'acidose fait appel à la perfusion de
bicarbonates, aux catécholamines en cas de collapsus, à la ventilation
artificielle en cas de coma et à l'hémodialyse qui est cependant sans effet sur
l'élimination de la metformine en raison de son grand volume de distribution.

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Sulfamides hypoglycémiants

Ils stimulent la sécrétion insulinique basale du pancréas et entraînent une


potentialisation de l'insuline au niveau du transport, de l'oxydation et du
stockage du glucose.

Leur demi-vie d'élimination fluctue entre 2 heures pour le glipizide (Glibénèse®)


et 45 heures pour le carbutamide (Glucidoral®). Leur métabolisme est
essentiellement hépatique.

Clinique

L'hypoglycémie sévère est le risque majeur des intoxications aux sulfamides


hypoglycémiants. Sa correction tardive ou incomplète peut entraîner le décès
ou la survenue de lésions cérébrales définitives. Elle peut être parfois
d'apparition retardée et de durée prolongée. Le tableau clinique de
l'intoxication aiguë associe troubles neurologiques (coma, confusion, agitation),
troubles respiratoires (dyspnée, apnée, œdème aigu du poumon), troubles
digestifs (nausées, vomissements, anorexie), troubles cardiovasculaires
(hypotension artérielle, tachycardie) et troubles cutanés (peau chaude,
réactions d'hypersensibilité).

Traitement

Les mesures de décontamination digestive sont indiquées dans les intoxications


vues précocement et en l'absence de troubles de conscience. La correction de
l'hypoglycémie, pouvant nécessiter la mise en place d'une voie centrale pour la
perfusion de solutés, est la mesure thérapeutique de base et nécessite une
surveillance régulière de la glycémie.

L'octréotide (Sandostatine®), un analogue synthétique de la somatostatine à


longue durée d'action, peut être prescrit lors des intoxications aux sulfamides
hypoglycémiants réfractaires au resucrage. L'octréotide inhibe la libération
d'insuline par les cellules bêta-pancréatiques, optimisant la charge en sucre. Il
est administré sous forme d'injection sous-cutanée à la dose de 50 à 100 μg
toutes les 8-12 heures dès la constatation d'une hypoglycémie résistante à
l'administration de glucosé hypertonique, avec surveillance des glycémies
jusque 12 heures au moins après la dernière injection.

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Autres antidiabétiques oraux

Glinides (répaglinide)

En cas de surdosage, les effets cliniques sont similaires à ceux provoqués par les
sulfamides hypoglycémiants. Cependant, du fait de la courte durée d'action du
répaglinide, il existe un risque plus faible d'apparition d'hypoglycémie
prolongée.

Thiazolidinediones (rosiglitazone, pioglitazone)

Peu de cas de surdosage ont été rapportés et aucune hypoglycémie n'a été
décrite.

Inhibiteurs des α-glucosidases (acarbose, miglitol)

Ils sont très faiblement résorbés; aucune toxicité systémique n'est attendue en
cas de surdosage.

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Principales références
Bosse GM. Antidiabetics and hypoglycemics. In : Flomenbaum NE, Goldfrank LR,
Hoffman RS, Howland MA, Lewin NA, Nelson LS, eds. Goldfrank's toxicologic
emergencies (8th ed). New-York : Medical Publishing Division, 2006 : 749-763.
Hantson P, Bédry R. Antidotes. Réanimation 2006; 15 : 383-389.
Mégarbane B, Castot A, Baud F. Hypoglycémiants-hyperglycémiants-
normolipémiants-antithyroïdiens. In : Bismuth C, éd. Toxicologie clinique (5e éd).
Paris : Flammarion Médecine-Sciences, 2000 : 300-309.
Mégarbane B, Deye N, Bloch V, et al. Intentional overdose with insulin :
prognostic factors and toxicokinetic/toxicodynamic profiles. Crit Care 2007; 11 :
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Mégarbane B, Donetti L, Blanc T, Chéron G, Jacobs F. Intoxications graves par
médicaments et substances illicites en réanimation. Réanimation 2006; 15 : 332-
342.
Spiller HA, Sawyer TS. Toxicology of oral antidiabetic medications. Am J Health-
Syst Pharm 2006; 63 : 929-938.
Drogues et Stupéfiants

Patrick Nisse

Les drogues et stupéfiants peuvent être classés en:

- dépresseurs : héroïne et autres morphiniques;

- stimulants : amphétamines, cocaïne et crack, ecstasy;

- hallucinogènes : cannabis, kétamine, LSD , PCP .

L'intoxication peut être de diagnostic difficile en raison des poly-toxicomanies,


d'autant plus que de nouvelles substances sont mises sur le marché (de synthè
se : protoxyde d'azote, mCPP, ou naturelles : mescaline, psilocine, sauge
divinatoire, datura, ibogaïne) et que les drogues sont «coupées» avec des
substances qui ont leur propre toxicité (phénacétine, strychnine, atropine,
caféine).

Dépresseurs

Héroïne

Synonymes : brown sugar, H.

Le principe actif, diacétylmorphine, est préparé à partir de la morphine.

Modes d'utilisation

Injection intraveineuse (fix ou shoot), mais aussi fumée ou prisée.

Symptomatologie

- Effets recherchés : flash brutal, sensation de bonheur physique, psychique et


sexuel.

- Effets toxiques : myosis punctiforme, bradypnée à arrêt respiratoire,


hypotension artérielle, OAP, bradycardie, convulsions, coma aréflexique,
hypothermie.

- Classique overdose : triade troubles de conscience, myosis serré, dépression


respiratoire.

- Sevrage : vomissements, diarrhée, agitation, insomnie, hypersudation, frissons,


bâillements, pilo-érection, myalgie, larmoiements, rhinorrhée.

Traitement

- Antidote : naloxone (0,4 ou 0,8 mg dilué dans 10 ml pour permettre une


titration, injection IV de 0,2 mg répétée toutes les 3 minutes jusqu'à obtention
d'une fréquence ventilatoire supérieure à 12 c/min puis perfusion au débit
horaire égale aux 2/3 de la dose de charge cumulée).

- Symptomatique : intubation, ventilation si besoin.

- Agitation importante: diazépam 0,1 à 0,15 mg/kg (adulte 10 mg).


- Hypotension: remplissage, dopamine si besoin (5-20 µg/kg/min IV).

Surveillance

- Au moins 24 heures pour les enfants; 6 heures chez un adulte asymptomatique.

- Thérapeutiques non recommandées: lavage gastrique, hémodialyse,


hémoperfusion.

Buprénorphine

Agoniste-antagoniste morphinique utilisé par voie sublinguale dans le traitement


substitutif pour le sevrage à l'héroïne, la buprénorphine haut dosage (BHD)
devient une drogue de substitution lors de son utilisation détournée par voie
intraveineuse (effet «flash» comparable à celui de l'héroïne qui s'explique par la
pharmacocinétique de la BHD en IV : pour une même dose, la Tmax est 20 fois
plus rapide et la Cmax 10 fois plus élevée en IV qu'en sublingual).

Le tableau clinique est celui des opiacés lors de l'utilisation détournée IV; des
complications systémiques et des candidoses systémiques (oculaires) sont
rapportées.

La prise simultanée de benzodiazépines et de BHD en IV peut être fatale.

Le traitement est le même que pour l'overdose à l'héroïne tout en sachant que
des doses très élevées de naloxone sont parfois nécessaires pour s'opposer aux
effets toxiques de la BHD.

Méthadone

Dérivé opiacé normalement utilisé dans le traitement substitutif pour le sevrage


à l'héroïne.

Le tableau clinique est celui des intoxications par les opiacés. La surveillance
doit être prolongée (48 h) du fait d'une longue demi-vie d'élimination.

Dextropropoxyphène

Dérivé opiacé antalgique dont le tableau clinique est proche de celui des
intoxications par les opiacés avec quelques particularités:

- coma convulsif;

- atteinte cardiaque: choc cardiogénique, troubles de l'excitabilité (FV) et de la


conduction (BB, BAV), allongement du QT et du QRS (effet stabilisant de
membrane);

- hypoglycémie;

- inefficacité de la naloxone sur les troubles cardiaques.

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Stimulants
Amphétamine

Synonymes : speed, ice, crystal.

Le principe actif, métamphétamine, est une drogue de synthèse


psychostimulante.

Il est consommé sous différentes présentations: comprimé, poudre.

Modes d'utilisation

- Prisée, fumée ou injectée, les effets débutent dans la minute.

- Ingérée, les effets apparaissent 30 à 60 minutes plus tard.

Persistance des effets: 3 à 6 heures (prisée, ingérée), 8 à 24 heures (fumée).

Symptomatologie

- Effets recherchés: flash suivi d'un état d'euphorie (augmentation de la


vigilance, diminution de la fatigue, sensation de bien-être).

- Effets toxiques: hypertension artérielle, tachycardie, tachypnée, hyperthermie,


sueurs, mydriase, céphalées, hypertonie, nausées, vomissements, hyperactivité
désordonnée avec état confusionnel, crise d'angoisse, hallucinations,
agressivité, paranoïa.

- Intoxication aiguë lors d'une administration IV: agitation, anxiété,


hallucinations, délire, convulsions, coma, hyperthermie maligne, arythmies
auriculaire et ventriculaire, infarctus, collapsus circulatoire.

Traitement

- Décontamination: charbon activé en cas d'ingestion récente de quantités


importantes, généralement chez l'enfant.

- Symptomatique : rassurer.

- Agitation importante: diazépam 0,1 à 0,15 mg/kg (adulte 10 mg); éviter les
neuroleptiques qui abaissent le seuil épileptogène et majorent l'hyperthermie.

- Convulsions: clonazépam (1 mg IVD), midazolam.

- Trouble du rythme ventriculaire: lidocaïne (1 mg/kg IV) à utiliser avec


prudence.

- Élargissement du QRS: bicarbonate molaire (250 ml) avec supplémentation


potassique.

- Hypertension: nicardipine (2 à 5 mg IVD puis perfusion continue de 1 à 5 mg/h


en entretien).

Surveillance

- Au moins 24 heures pour les enfants; au moins 6 heures chez l'adulte


asymptomatique.
- Thérapeutiques non recommandées: lavage gastrique, hémodialyse,
acidification des urines, hémoperfusion.

Cocaïne, Crack

Synonyme: coke.

Le principe actif de la cocaïne est tiré des feuilles du cocaïer.

La cocaïne (sous forme de chlorhydrate) est en concentration généralement


faible: 3 à 35%.

Coupage par des anesthésiques locaux (lidocaïne, procaïne), caféine, vitamine


C, amidon, talc, strychnine et, plus récemment, phénacétine, atropine...

Association : avec des amphétamines, de l'héroïne (speed ball).

Le crack est un mélange de cocaïne base, de bicarbonate de soude et


d'ammoniaque et se présente sous forme d'un caillou.

Modes d'utilisation

Cocaïne :

- sniffée (ligne ou rail: 20-30 mg) : les effets débutent en 2 à 3 minutes et peuvent
se prolonger durant 3 heures.

- injection intraveineuse: les effets débutent dans la minute et se prolongent 1 à


2 heures.

Crack fumé: les effets surviennent en moins de 10 secondes et durent de 30


minutes à 1 heure.

Symptomatologie

- Effets recherchés: sensation fulgurante, euphorie, excitation, sentiment de


toute puissance, disparition de la fatigue.

- Effets toxiques :

- phase de stimulation adrénergique: vasoconstriction intense induisant poussée


hypertensive, accident vasculaire cérébral (infarctus, hémorragie), infarctus du
myocarde, rhabdomyolyse, tachycardie et troubles du rythme (TV, FV, torsade
de pointes), céphalées, convulsions, mydriase, agitation, hyperthermie, délire
paranoïaque, tachypnée, bronchospasme;

- phase de défaillance organique: OAP, collapsus, coma avec réflexes vifs,


CIVD.

- Dose toxique: > 200 mg.

- Sevrage: anxiété, irritabilité, somnolence.

Traitement

- Décontamination: charbon activé en cas d'ingestion récente de quantités


importantes.

- Symptomatique :

- agitation importante: diazépam 0,1 à 0,15 mg/kg (adulte 10 mg);

- convulsions: clonazépam (1 mg IVD), midazolam;

- trouble du rythme: lidocaïne (1 mg/kg IV) à utiliser avec prudence;

- hypertension artérielle: nicardipine (2 à 5 mg IVD puis perfusion continue de 1 à


5 mg/h en entretien) ;

- collapsus: remplissage vasculaire (500 à 1 000 ml) puis, si inefficace, perfusion


dopamine, adrénaline...;

- hyperthermie: glace, ventilation de l'air.

Surveillance

- Au moins 24 heures pour les enfants.

- Thérapeutiques non recommandées: lavage gastrique, hémodialyse,


hémoperfusion.

MDMA, Ecstasy

Synonymes: ecsta, XTC, adam, pilule d'amour.

Le principe actif est le méthylène-dioxy-3,4-méthamphétamine.

Coupage avec caféine, strychnine, LSD , kétamine, chloroquine.

Il est consommé sous différentes présentations: comprimé, gélule, liquide.

Modes d'utilisation

- Ingestion : début des effets en 15 à 60 minutes.

- Persistance des effets : de 3 à 8 heures mais parfois jusqu'à 48 heures pour les
fortement dosés.

Symptomatologie

- Effets recherchés: psychostimulation euphorique, levée des inhibitions,


augmentation de la sensualité, diminution de l'anxiété.

- Effets toxiques: hyperthermie, HTA, tachycardie, troubles du rythme,


rhabdomyolyse et insuffisance rénale, anxiété, attaque de panique, agitation,
mydriase, hyperventilation, hypertonie musculaire, convulsions, acidose
métabolique, flash back (ou retour acide).

- Dose létale: MDMA 200 mg.

Traitement

- Décontamination: charbon activé en cas d'ingestion récente de quantités


importantes.

- Symptomatique : rassurer, voie veineuse périphérique.

- Agitation importante : diazépam 0,1 à 0,15 mg/kg (adulte 10 mg), midazolam.

- Convulsions: clonazepam (1 mg IVD), midazolam.

- Arythmie ventriculaire: lidocaïne, à utiliser avec prudence.

- Hypertension: nicardipine (2 à 5 mg IVD puis perfusion continue de 1 à 5 mg/h


en entretien).

Surveillance

- Au moins 24 heures pour les enfants.

- Thérapeutiques non recommandées: lavage gastrique, hémodialyse,


hémoperfusion.

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Hallucinogènes

Cannabis

Synonymes: bhang, hash, kiff, Mary Jane, MJ.

Le principe actif, le delta-9-tétrahydrocannabinol (Δ-9-THC), est extrait de la


plante Cannabis sativa. Il est consommé sous différentes présentations:

- marijuana (feuilles, tiges et fleurs séchées): se fume mélangée à du tabac; la


teneur en THC varie selon les variétés, la provenance et le type de culture (de 1
à 3 % pouvant atteindre 15 %) ;

- haschisch (shit): résine vendue sous forme de barrettes; la teneur en THC varie
de 3 à 10%;

- huile de haschisch : peut contenir jusqu'à 50 % de THC.

Modes d'utilisation

- Inhalation de fumée : début des effets dès 5 à 20 minutes et peut se prolonger


durant 3 heures.

- Ingestion: début des effets de 30 minutes à 2 heures après l'ingestion; les effets
sont prolongés jusqu'à 6 heures mais sont d'intensité moindre par rapport à la
voie inhalée.

Symptomatologie

- Effets recherchés: euphorie, sentiment d'apaisement, exaltation sensorielle et


affective avec hilarité, somnolence.

- Effets toxiques: tachycardie, fibrillation auriculaire, hypotension orthostatique,


hyperhémie conjonctivale, ataxie, bouche sèche, hallucinations, sentiment de
persécution, anxiété, délire, dépersonnalisation.

- Sévérité clinique de l'ingestion chez le jeune enfant (moins de 2 ans): agitation,


dépression respiratoire, hypotonie, hypo-réfléxie, mydriase, coma, convulsions.

Traitement

- Décontamination: charbon activé en cas d'ingestion récente de quantités


importantes généralement chez l'enfant.

- Symptomatique :

- agitation importante: diazépam 0,1 à 0,15 mg/kg (adulte 10 mg);

- tachycardie: généralement bien supportée, ne nécessitant pas de traitement;

- hypotension: position déclive, remplissage éventuel.

Surveillance

- Au moins 24 heures pour les enfants.

- Thérapeutiques non recommandées: lavage gastrique, hémodialyse,


hémoperfusion.

LSD

Synonyme: acide.

Le principe actif, acide lysergique diéthylamide, est synthétisé à partir de l'ergot


de seigle.

Il est consommé sous différentes présentations: comprimé, petit bloc de


gélatine, buvard imprégné, gélule (poudre).

Modes d'utilisation

- Ingestion : début des effets après 30 à 60 minutes. Le LSD est


exceptionnellement sniffé, fumé ou injecté en IV.

- Persistance des effets: 6 à 12 heures.

Symptomatologie

- Effets recherchés: désinhibition, modification de la notion du temps, fusion des


sens notamment sonorités et couleurs.

- Effets délétères: retour acide (bad trip), hallucinations dangereuses (pouvoir


voler), attaque de panique, bouffées délirantes, psychose, mydriase,
hypersudation, sécheresse buccale, nausées, vomissements, tachycardie, HTA,
tremblements, tachypnée. Coma et convulsions possibles.

Traitement

- Décontamination : charbon activé en cas d'ingestion récente.


- Symptomatique :

- rassurer, mettre au calme;

- agitation importante: diazépam 0,1 à 0,15 mg/kg (adulte 10 mg), halopéridol 2


à 5 mg IV;

- hyperthermie: refroidir;

- hypertension: nicardipine (2 à 5 mg IVD puis perfusion continue de 1 à 5 mg/h


en entretien).

Surveillance

- Au moins 24 heures pour les enfants.

- Thérapeutiques non recommandées: lavage gastrique, hémodialyse,


hémoperfusion.

Phencyclidine: PCP

Synonyme : angel dust

Substance hallucinogène de synthèse consommée par ingestion ou par IV.

Symptomatologie similaire au LSD , dose-dépendante:

- hallucinations (1-6 mg);

- psychose (6-10 mg), paranoïa, agressivité importante (envers soi et autrui) et


décès pour des doses de 150 mg et plus.

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Nouveautés de synthèse et «biologiques»

mCPP (m-chlorophénylpipérazine) : Arlequin ou Ecsta Arlequin

Les effets récréatifs sont pauvres ou absents, les comprimés contenant peu de
MDMA .

Administré par voie orale, les effets délétères sont fréquents: nausées,
vomissements, céphalées, bouffée de chaleur, angoisse et «gueule de bois»
pendant plusieurs jours.

Gamma OH (gamma hydroxybutyrate)

Synonymes: GHB ou GBH, liquid ecstasy, liquidX.

Anesthésique de synthèse qui se présente sous forme de poudre ou de liquide


(incolore, inodore et insipide).

- Début des effets: 5 à 30 minutes après l'ingestion.

- Durée des effets: 1 à 8 heures, parfois jusqu'à 48 heures.


- Effets recherchés: relaxation et sensualité, désinhibition.

- Effets toxiques: confusion, troubles de conscience (de la somnolence au


coma), bradycardie, hypotension, bradypnée, hypothermie, myoclonies,
convulsions.

- Sevrage: insomnie, tremblements, tachycardie, HTA, agitation, hallucinations.

Kétamine

Synonymes : ket, ketty.

C'est un anesthésique dissociatif, consommé sous forme de poudre, de liquide


par voie nasale (prisée), orale, intraveineuse ou respiratoire (fumée).

- Effets recherchés: perte des sensations corporelles, voyage aux portes de la


mort.

- Effets toxiques: trouble de conscience, attaque de panique, délire


hallucinatoire, agressivité, apnée.

Protoxyde d'azote

Synonyme: proto.

C'est un gaz anesthésique, inhalé à partir de ballons.

- Début des effets : très précoce.

- Durée des effets: fugace d'où des prises répétées.

- Effets recherchés: euphorie, distorsions visuelles et auditives.

- Effets toxiques: somnolence, vertiges, angoisse, vomissements, risque


d'asphyxie.

Pour toutes ces drogues de synthèse, la prise en charge consiste à maintenir les
fonctions vitales en fonction de la symptomatologie présentée: environnement
calme, rassurant; administration de benzodiazépines en cas d'agitation ou de
convulsions.

Champignons : psilocybe...

Principes actifs: psilocybine, psilocine.

Les effets apparaissent en 30 minutes et durent 2 heures (parfois prolongés une


dizaine d'heures).

- Effets toxiques: hallucinations visuelles, mydriase, tachycardie, anxiété, nausées


et vomissements, diarrhée. L'asthénie et la somnolence peuvent persister jusqu'à
24 heures.

Cactus : peyotl ou Lophora williamsii

Principe actif: mescaline.


Fumé ou infusé, les effets apparaissent 2 à 4 heures après la prise et durent 1 à
12 heures.

- Effets toxiques: hallucinations visuelle, auditive et tactile, anxiété, nausées et


vomissements, crampes abdominales, bradycardie; en cas d'ingestion de
grande quantité, tendance à l'hypotension et à la dépression respiratoire,
l'hyperthermie.

Sauge divinatoire

Synonyme : Salvia divinorum.

Le principe actif, la salvinorine, est une substance hallucinogène extraite des


feuilles de la plante. Les effets du produit fumé (pipe à eau) surviennent après
20 à 60 secondes et persistent moins de 1 heure. La sauge peut aussi être
mâchée ou infusée.

- Effets recherchés: voyage chamanique.

- Effets toxiques: angoisse, dissociation, perte de son identité.

Belladone, datura, jusquiame noire

Principes actifs: atropine et scopolamine.

Ces solanacées sont consommées telles quelles ou sous forme d'infusion. Les
effets hallucinatoires recherchés apparaissent dans les 30 minutes qui suivent
l'ingestion.

- Effets toxiques: hyperexcitabilité du SNC (agitation, convulsion, confusion


mentale), HTA, tachycardie, hyperthermie, mydriase, coma, arythmie
respiratoire.

Morning glory ou Ipomea violacea

Principe actif: amide de l'acide d-lysergique ou LSA.

Les graines sont consommées telles quelles ou en infusion ou après macération


dans l'alcool.

Les effets recherchés (hallucinations, distorsion spatiale, relaxation) apparaissent


rapidement et durent 1 à 4 heures.

- Effets toxiques: mydriase, vomissements, douleur abdominale, sensation de


froid.

Pour ces drogues «naturelles», le traitement est symptomatique: environnement


calme, benzodiazépines, et dans les cas graves, maintien des fonctions vitales.

Particularités des Body packers et des Body stuffers

Body packers: «mules»

Sujet qui transporte in corpore des petits conditionnements de stupéfiants, soit


après ingestion (jusqu'à 180 unités), soit après introduction intrarectale ou
intravaginale.

Les produits transportés: cocaïne, héroïne, amphétamines, parfois cannabis.

Chaque conditionnement est en soi une dose potentiellement létale.

Body stuffers

Sujet qui ingère des stupéfiants lors d'un contrôle de police; les quantités sont
moins importantes mais les produits ne sont alors pas conditionnés pour être
ingérés et le risque d'intoxication est majeur.

Prise en charge

Essayer de déterminer le stupéfiant transporté.

Body stuffers: administration de charbon activé, surveillance au moins 6 heures


post-ingestion si le patient reste asymptomatique, traitement symptomatique.

Body packers: essayer de déterminer le nombre et le type de conditionnement:


poudre non serrée dans une ou deux couches de latex (gant, préservatif) à
haut risque de rupture ou poudre compactée et enveloppée dans 6 couches
de latex tubulaire à risque de rupture plus faible.

- Radiographie (abdomen sans préparation ou aux hydrosolubles:


gastrograffine) pour visualiser les « paquets » ou échographie chez la femme
enceinte.

- Irrigation intestinale avec du polyéthylène glycol, 2 l/h chez l'adulte.

- L'utilisation d'huile de paraffine n'est pas indiquée car peut faciliter le


déconditionnement des produits ingérés.

- La survenue chez le body packer d'une symptomatologie évocatrice d'une


intoxication par la cocaïne ou d'une occlusion, de douleurs abdominales
intenses, la notion d'ingestion plus de 4 jours avant l'examen, une concentration
urinaire élevée de cocaïne sont des critères pour une laparotomie évacuatrice
en urgence.

Substances Urines

Amphétamines 2à4j

Métamphétamines (MDMA) 2j

Cocaïne 12 h

Benzoylecgonine (métabolite) 2à3j

Cannabis (THC):

- usage unique 3j

- usage répété non quotidien 4j


- usage quotidien 10 j

- usage chronique et ancien 21 à 27 j

Héroïne (morphine) 2à4j

Phencyclidine (PCP) 2à8j

Gamma OH <8h

Signes Cocaïne LS Héroïn MDM GH Cannabi


D e A B s

Cœur HyperTA X X X

HypoTA X X

Bradycardie X X

Tachycardie X X X X

Troubles du rythme X X

Poumons Bradypnée X X

Tachypnée X X X

OAP

Œil Mydriase X X X X

Myosis X

Cerveau Coma X X X

Convulsions X X X

Somnolence X

Psychiatrie Agitation X X X

Hallucination X X

Psychose X X

Anxiété X X

Autres Rhabdomyolyse X X

Hyperthermie X X X

Hypothermie X X
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Principales références
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Lapostolle F, Flesh F. Particularités des nouvelles drogues. Réanimation 2006; 15:
412-417.
Produits Corrosifs: Brûlures Chimiques Par Ingestion, Inhalation, Projection
Cutanée Ou Oculaire

Pierre Chanseau

Magali Labadie

Les produits corrosifs représentent une classe de substances hétérogènes par


leurs compositions chimiques et par leurs mécanismes d'action sur les tissus
biologiques. Leur point commun réside dans la gravité potentielle de
l'intoxication par ingestion, par inhalation et par projection oculaire ou cutanée.
Très répandus dans l'industrie, ils prennent également place dans les placards
de nos maisons, au sein des produits d'entretien ou de bricolage. L'exposition
accidentelle concerne l'enfant en bas âge et l'adulte. Ce dernier a parfois
recours à ces composés à des fins suicidaires. Les sujets vulnérables, atteints de
pathologie psychiatrique, représentent une population cible d'intoxication
grave par les caustiques.

Ces produits dits corrosifs, induisant des lésions tissulaires sévères, confèrent à
toute intoxication une atmosphère de tragédie. Dans ce contexte, le médecin
urgentiste peut se référer à la règle des trois unités:

- unité de temps: une intervention médicale rapide et systématique s'attache à


évaluer les fonctions vitales et à définir la stratégie de prise en charge dès les
premières minutes suivant l'accident;

- unité d'action et unité de ton: les attitudes pouvant aggraver les lésions
doivent être connues et les gestes indispensables à réaliser sans délai doivent
être maîtrisés. Toute intoxication par caustique est considérée comme grave
jusqu'à preuve du contraire;

- unité de lieu : l'évaluation et le traitement des lésions imposent de privilégier le


transfert du patient vers les unités spécialisées adaptées.

Eléments de physiopathologie selon les substances chimiques

Ce sont des substances chimiques responsables de lésions par contact direct


(de la peau ou des muqueuses) aboutissant à une nécrose tissulaire.

L'amélioration de l'étiquetage et la généralisation des bouchons de sécurité ont


favorisé la diminution des accidents domestiques qui restent majoritaires par
rapport aux expositions professionnelles.

Les acides et les bases minérales fortes sont les principaux représentants des
substances caustiques.

Il convient cependant d'y associer:

- l'hypochlorite de sodium (eau de Javel concentrée);

- le formol (solution à 40% de formaldéhyde);

- le peroxyde d'hydrogène ou eau oxygénée (à partir de 30%);


- le phénol et dérivés, certains solvants chlorés, certains ammoniums
quaternaires concentrés, le permanganate de potassium (sous forme de
comprimés), les sels alcalins de sodium...

Les acides et les bases ont une causticité liée au pH (risque maximal pour pH < 1
et pH > 12), variable suivant la concentration qu'il conviendra d'apprécier dans
tous les cas. Le pH n'est pas mesurable pour un acide ou une base anhydre
(non dissocié).

La multiplicité des substances potentiellement caustiques justifie de solliciter


largement l'expertise d'un centre antipoison pour en étudier la composition et le
pouvoir corrosif. Les intoxications sont favorisées par le déconditionnement des
produits, parfois prélevés sur les lieux de travail (solutions concentrées), posant
alors le problème de l'identification de la substance caustique, faute
d'étiquetage précis disponible.

Acides et bases minérales fortes

Les bases (soude, potasse, ammoniaque...) entraînent les complications les plus
graves: ingestion accidentelle chez le jeune enfant et volontaire chez l'adulte
de liquide déboucheur de canalisations.

Elles réalisent une nécrose de liquéfaction avec saponification des lipides


tissulaires et thrombose des vaisseaux sous-séreux déterminant des lésions plus
profondes, d'apparition plus retardée que celles réalisées par les acides, et dont
l'évaluation initiale sous-estime souvent la profondeur et la gravité (réaction
exothermique plutôt lente).

Les acides induisent, par l'action des ions H+, une déshydratation et une
coagulation des protéines. La constitution d'une nécrose de surface, d'emblée
maximale, s'oppose à la pénétration du toxique, limitant l'aggravation
lésionnelle.

Les plus fréquemment en cause sont l'acide chlorhydrique (détartrant WC),


l'acide sulfurique (liquide de batterie), l'acide fluorhydrique (antirouilles à usage
ménager) responsable d'une intoxication générale associée à l'action corrosive.

Solutions d'hypochlorite (de sodium, de potassium ou de calcium)

Elles ont un effet oxydant sur les muqueuses (et donc corrosif) déterminé par leur
degré chlorométrique. Certaines préparations sont additionnées de soude ou
de potasse pour les stabiliser et pour augmenter leur pouvoir décapant (pour
ces solutions, le pH permet une appréciation de la causticité).

L'eau de Javel est disponible sous forme de flacon à 2,6 % de chlore actif (prête
à l'emploi), de dose recharge à 9,6% de chlore actif (concentrée, à diluer), et
de jerricans ou de cubitainers destinés à l'usage professionnel.

Seules les solutions concentrées exposent à un risque de lésion sévère, fonction


de la quantité ingérée, du temps estimé au contact des muqueuses, de la
symptomatologie initiale et des données de l'examen ORL répété à quelques
heures d'intervalle.
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Stratégies de prise en charge: de la régulation médicale à l'unité spécialisée

Régulation d'un appel pour exposition à un caustique et mission de l'équipe


SMUR

Ingestion

Les brûlures chimiques par déglutition provoquent des atteintes pharyngées et


œsophagiennes (les brûlures laryngées sont rares du fait de l'occlusion réflexe
du larynx). Les substances basiques sous forme solide ou de paillettes adhèrent
aux muqueuses et détruisent le carrefour pharyngo-laryngé. Bien que rares (< 1
% des brûlures par ingestion de caustiques), ces lésions entravent la respiration
et la phonation. Elles semblent plus fréquentes chez l'enfant, peutêtre du fait de
vomissements spontanés ou provoqués par l'entourage. Les lésions caustiques
pharyngées et/ou œsophagiennes sont le plus souvent très douloureuses. Une
dyspnée, une toux, une dysphonie ou une douleur intense imposent la
médicalisation préhospitalière avec intubation en cas de signes de détresse
respiratoire. L'abord trachéal est délicat s'il existe un œdème pharyngo-laryngé.

Projection cutanée

La décision de médicalisation avec envoi d'un SMUR se fonde sur des


arguments non spécifiques liés à l'évaluation de la surface cutanée exposée et,
si possible, l'estimation de la profondeur des lésions. Une mention particulière
concerne la toxicité systémique potentielle de l'acide fluorhydrique concentré
(avec risque d'arrêt cardiaque en moins de 30 minutes) qui impose la
médicalisation sans délai.

Inhalation

Le transfert hospitalier, systématique, ne sera médicalisé qu'en cas de


symptomatologie initiale sévère ou en raison des conditions de l'exposition
(concentration élevée du caustique, exposition prolongée en atmosphère
confinée).

Accident collectif

La notion de victimes multiples indique l'envoi d'une équipe SMUR. Le repérage,


en liaison avec le Centre opérationnel départemental d'incendie et de secours
(CODIS), des zones de danger immédiat est le préalable à toute intervention
dans un souci de protection des intervenants.

L'étude des sites à risque est indispensable avec engagement d'une réflexion
anticipatrice afin d'établir des plans d'intervention cohérents.

Prise en charge dans un service d'urgence

Le patient adressé dans un service d'urgence bénéficie d'un bilan lésionnel,


d'un traitement initial et d'une orientation adaptée.

Inhalation
Circonstances et physiopathologie

C'est un mode d'intoxication fréquent en milieu industriel mais qui survient aussi
dans le cadre domestique lors du mélange intempestif d'eau de Javel avec des
produits acides ou ammoniaqués réalisant un dégagement brutal de gaz
caustique (chlore, chloramine): «coup de chlore». Les activités de bricolage, les
séances de travaux pratiques de chimie dans les collèges et les lycées exposent
aux complications de l'inhalation.

Selon la taille des particules, l'atteinte respiratoire prédominera au niveau des


voies respiratoires supérieures ou intéressera les alvéoles pulmonaires. Vapeurs et
aérosols microparticulaires provoquent une broncho-pneumopathie chimique
avec risque d'œdème pulmonaire lésionnel.

Leur toxicité est locorégionale, avec destruction de la barrière muqueuse de


l'arbre respiratoire. Les acides (chlorhydrique, sulfurique, fluorhydrique)
provoquent, du fait de leur caractère hydrosoluble, une atteinte précoce des
voies aériennes supérieures. L'inhalation peut être contemporaine de l'ingestion
et déclencher une détresse respiratoire engageant immédiatement le pronostic
vital.

La concentration atmosphérique du gaz, la durée de l'exposition et les


conditions de ventilation du sujet déterminent la gravité de l'atteinte
respiratoire.

Clinique

Elle associe dans la plupart des cas une toux (quinteuse, douloureuse, parfois
productive), une dyspnée sibilante, une atteinte des muqueuses oculaires,
nasales, laryngées.

Une symptomatologie inaugurale bruyante témoin d'une irritation sévère, d'une


durée supérieure à 1 heure, indique une surveillance hospitalière de 24 heures
du fait d'un risque d'œdème pulmonaire retardé.

Les complications les plus fréquentes sont infectieuses.

Traitement

Il est symptomatique :

- retrait de la victime de l'atmosphère contaminée (en s'assurant de la


protection des sauveteurs);

- mise au repos;

- oxygénothérapie : masque à haute concentration ou intubation trachéale


selon la gravité de l'état respiratoire;

- bronchodilatateurs en cas de bronchospasme;

- corticoïdes: d'indication actuellement non validée (sauf en cas d'œdème


laryngé), de même que les diurétiques;
- nébulisation de bicarbonate de sodium: dans le cas d'une inhalation de chlore
à l'origine d'une production acide au niveau de la muqueuse bronchique.

Projections cutanées

Circonstances et physiopathologie

D'origine domestique ou professionnelle (avec parfois aspersion étendue sous


pression), elles aboutissent à des destructions tissulaires dont la gravité dépend
de la concentration de la solution caustique, du temps de contact et de la
quantité de produit.

Clinique

L'évaluation d'une brûlure chimique est délicate car la profondeur et l'étendue


sont difficiles à apprécier en situation d'urgence et peuvent s'aggraver
tardivement.

Selon la nature du caustique, une coloration des lésions peut être observée:
jaunâtre pour l'acide nitrique, verdâtre à brun-noir pour l'acide sulfurique,
profonde, noire, violette pour la soude.

Traitement

Le pronostic est lié à la précocité du rinçage cutané minutieux. Ce geste


thérapeutique essentiel doit être réalisé sur les lieux de l'accident, après
déshabillage du patient si ses vêtements sont souillés, et obéit à la règle des
10/15 : eau à 1015°C, ruisselant à 10-15 cm des lésions pendant 10-15 minutes.

La neutralisation d'un acide par une base aggrave les lésions chimiques par une
composante thermique. L'utilisation de solutions à propriété amphotère type
Diphotérine® est actuellement insuffisamment validée en termes d'efficacité et
de toxicité éventuelle.

Atteintes de la surface oculaire

Circonstances et physiopathologie

Les brûlures chimiques oculaires sont d'évolution péjorative en l'absence


d'intervention thérapeutique rapide. Aux lésions d'emblée maximales mais
limitées induites par les acides (formation de précipités qui stoppent la
pénétration), on oppose celles des bases qui diffusent en profondeur et
s'aggravent progressivement. La projection oculaire de ciment ajoute à l'action
caustique la présence de corps étrangers qu'il convient d'extraire.

Clinique

La symptomatologie liée aux caustiques est intense: blépharospasme,


photophobie, larmoiement, rougeur et douleur oculaire, baisse de l'acuité
visuelle.

Traitement

Le lavage abondant au sérum salé isotonique est effectué dès l'arrivée du


patient dans le service des urgences (même s'il a été effectué sur le terrain):
après anesthésie de contact, pendant 30 minutes, en éversant les paupières,
sans omettre l'irrigation des culs de sacs conjonctivaux. La mesure du pH à l'aide
d'une bandelette réactive peut indiquer la poursuite du lavage au-delà des 30
minutes si la neutralité n'est pas constatée. Toute tentative de tamponnement
acide-base est proscrite.

La consultation ophtalmologique est demandée sans retard; elle débute par la


poursuite du rinçage (voies lacrymales si besoin); le bilan lésionnel à la lampe à
fente permet une classification des lésions (selon Roper-Hall) établissant un
pronostic dès la phase initiale. Les techniques chirurgicales améliorent le devenir
des brûlures cornéennes sévères en restaurant les cellules souches limbiques
détruites.

Ingestion

Circonstances

L'ingestion de produits caustiques est souvent à l'origine de lésions graves et


exige la rédaction de protocoles précis adaptés à l'organisation de chaque
structure d'urgence. Le contexte de l'intoxication doit être explicité car il
influence la stratégie thérapeutique.

Le risque lésionnel des ingestions liées à des pathologies psychiatriques ou dans


un contexte de démence est à retenir.

Clinique

Elle est évocatrice dans les cas les plus graves: agitation, douleur rétrosternale
et épigastrique, dysphagie, vomissements. Les lésions buccopharyngées sont
fréquentes chez l'enfant et lors d'une ingestion massive chez l'adulte.

Un bilan initial rassurant, notamment l'intégrité de la cavité buccale et de


l'oropharynx, ne préjuge pas de l'absence d'atteinte œso-gastrique caustique.

Le traitement répond à un triple objectif:

- stabiliser les fonctions vitales, poser deux voies veineuses périphériques (pas de
voie sous-clavière ou jugulaire gauche qui pourrait gêner une cervicotomie
d'urgence);

- ne pas aggraver les lésions: pas de neutralisation acide-base source de


réaction exothermique, pas de vomissement provoqué aggravant les lésions
œsophagiennes et oropharyngées et exposant au risque d'inhalation du
toxique, pas de mise en place de sonde nasogastrique entraînant un risque de
perforation de l'œsophage, éviter le décubitus dorsal favorisant les
vomissements et l'inhalation;

- identifier le produit en cause, estimer sa concentration.

En cas d'affirmation d'ingestion d'un produit corrosif avec symptomatologie


clinique concordante, l'orientation vers une unité spécialisée de prise en charge
est privilégiée.
À l'arrivée dans le centre chirurgical spécialisé, l'examen urgent décisif est
l'endoscopie digestive.

Stade 1 : érythème, pétéchies

Stade 2

- 2a: ulcérations linéaires ou rondes

- 2b: ulcérations circulaires ou confluentes

Stade 3

- 3a: nécrose localisée

- 3b : nécrose étendue

Stade 4 : perforation

Un geste chirurgical en urgence est envisagé à partir du stade 3b. Certains


prônent une attitude conservatrice et retiennent les signes de perforation
comme seuil décisionnel. L'intervention est mutilante, associant
œsophagectomie par voie cervicale (stripping), gastrectomie, puis
œsophagostomie cervicale et jéjunostomie d'alimentation.

Pour les stades non chirurgicaux, la surveillance médicochirurgicale est


préconisée, prolongée pour les stades 2b/3a, parfois émaillée de complications:
infection, perforation, hémorragie digestive, sténose séquellaire de l'œsophage
dans les formes moyennes.

Prise en charge des expositions de gravité modérée

La décision de retour à domicile, après une évaluation n'objectivant pas de


signe de gravité, est parfois difficile. Les enfants pour lesquels la quantité ingérée
est imprécise, les absorptions de solutions aux propriétés corrosives à
concentration intermédiaire, les ingestions involontaires un peu abondantes
type eau de Javel concentrée, les contacts cutanés minimes avec l'acide
fluorhydrique, l'inhalation avec symptomatologie initiale modérée...
représentent des situations quotidiennes des services d'urgences, excluant le
risque vital immédiat mais nécessitant un recul de quelques heures pour
l'affirmation d'un pronostic favorable. La mise en observation en unité
d'hospitalisation de courte durée sécurise le mode de surveillance de ces
patients et facilite la réévaluation après quelques heures.

Prises en charge spécifiques

Acides à toxicité systémique

L'acide fluorhydrique, très utilisé dans l'industrie, entre dans la composition des
antirouilles pour linge (bifluorure d'ammonium à 10%), des rénovateurs pour
jantes automobiles et de certains éclaircisseurs pour bois.

Dans l'heure suivant une ingestion ou un contact cutané, le patient est exposé à
un risque d'intoxication systémique mortelle. Cet acide est caustique pour la
peau et les muqueuses par pénétration d'ions F- aboutissant à une nécrose de
liquéfaction. Les fluorures chélatent les ions calcium et magnésium en formant
des sels insolubles. L'hypocalcémie et l'hypomagnésémie qui en résultent se
traduisent classiquement par des troubles du rythme cardiaque à l'étage
ventriculaire (aggravés par l'hyperkaliémie ou par l'injection intraveineuse trop
rapide de sels de calcium).

L'exposition cutanée engendre un érythème puis un blanchissement de la zone


atteinte et des phlyctènes, puis des ulcérations se constituant en 6 à 24 heures.
Pour des solutions concentrées, la douleur est précoce et intense. L'atteinte
systémique est à redouter pour une surface brûlée supérieure à 1 % (une paume
de la main de la victime) en cas de solution concentrée (10% en cas de solution
diluée). L'extrémité des doigts nécessite une attention particulière du fait d'un
risque de nécrose sous-cutanée et d'atteinte tendineuse et osseuse.

La projection oculaire provoque une atteinte non spécifique à type de


kératoconjonctivite nécessitant un bilan ophtalmologique en urgence.

De même, l'ingestion détermine des atteintes non spécifiques de nature


corrosive et l'inhalation expose à la survenue d'un œdème pulmonaire lésionnel
(avec lésions nécrotiques de l'arbre trachéo-bronchique) en cas d'exposition
prolongée ou à des solutions concentrées. Aucune intoxication systémique par
inhalation seule n'a été décrite.

Cette intoxication exige, quelle que soit la nature de l'exposition, une prise en
charge très rigoureuse:

- équipement de protection pour le personnel si risque de contact avec l'acide


fluorhydrique, même en quantité modérée;

- lavage abondant et prolongé à l'eau; les solutions amphotères, type


Hexafluorine® ne semblent pas présenter de supériorité actuellement
démontrée, en termes de décontamination et de capacité à réduire la toxicité
systémique de l'acide fluorhydrique;

- surveillance électrocardioscopique continue et réalisation d'un


électrocardiogramme (recherche de signes d'hypocalcémie ou
d'hypomagnésémie);

- réanimation cardio-pulmonaire et/ou respiratoire si indiquée;

- utilisation de chlorure ou de gluconate de calcium :

 associé au lavage gastrique, si ingestion d'une solution diluée (< 10%),


depuis moins de 4 heures et en l'absence d'hémorragie digestive ou de
signes de perforation (200 ml d'eau tiède avec 4 g/l de NaCl et 10
ampoules de chlorure de calcium en siphonage 5 à 7 fois);
 sous forme de compresses de gluconate de calcium (nettoyage soigneux
des zones péri et sous-unguéales) ou sous forme de gel à 2,5% avec
massage des lésions;
 en administration intraveineuse lente de 50 ml de gluconate de calcium
dans 250 ml de sérum glucosé 5% sur 30 minutes, en cas d'hypocalcémie,
sous contrôle régulier de la calcémie;
 en cas d'exposition digitale à l'acide fluorhydrique, des équipes
spécialisées administrent le gluconate de calcium par voie sous-cutanée
ou intra-artérielle (techniques non dénuées d'effets secondaires et de
complications) ou par voie intraveineuse (technique de type ALRIV);
 en nébulisation (1 ml de gluconate de calcium 10% dans 4 ml de sérum
physiologique) en cas d'inhalation;

- l'intoxication est confirmée par le dosage des fluorures dans le sang veineux :
confirmation si le dosage est supérieur à 1 g/l.

D'autres acides provoquent des brûlures associant un risque de toxicité


systémique:

- l'acide formique, pour lequel un cas d'acidose métabolique sévère avec


détresse respiratoire, hémolyse et cytolyse hépatique a été décrit. L'évolution a
été favorable avec les soins locaux, l'alcalinisation et l'hémodialyse;

- l'acide monochloroacétique dont le mécanisme de l'atteinte systémique est


lié à un métabolite, le chlorocitrate, bloquant le cycle de Krebs.

Piles-boutons

Quelle que soit leur localisation (ORL, œsophagienne, intragastrique), elles


peuvent induire des lésions nécrotiques de contact (à partir de la 3e heure au
niveau œsophagien), voire des perforations (au-delà de la 6e heure), liées:

- à la compression directe des parois;

- au courant circulant entre les deux pôles en milieu humide;

- à la libération du contenu alcalin de la pile, s'il y a rupture.

Les clichés radiologiques standard, réalisés en urgence:

- orientent le diagnostic (aspect typique en marche d'escalier des piles vues de


profil);

- localisent la pile (radio-opaque): l'extraction endoscopique est indiquée en


urgence en cas de localisation œsophagienne. La situation intragastrique de la
pile impose une surveillance clinique de sa migration jusqu'à l'expulsion
(tamisage des selles) survenant au bout de 24 à 48 heures;

- renseignent sur son état (un halo ou des gouttelettes radio-opaques signent un
risque caustique);

- recherchent une complication (pneumopéritoine, pneumo-médiastin).

Absorbeurs d'humidité
À base de chlorure de calcium (CaCl2), ils sont à l'origine de la formation d'une
saumure contenant 200 à 300 g/l de CaCl2 recueillie dans un bac plastique.

En cas d'ingestion, on constate une action corrosive à effet systémique


(hypercalcémie avec risque d'arrêt cardiorespiratoire). Un contact cutané
prolongé peut également s'accompagner d'une hypercalcémie.

Le traitement consiste à effectuer un rinçage cutané précoce et prolongé à


l'eau et une dilution précoce par de l'eau lors de l'ingestion (lésions caustiques
de constitution retardée).

Le dosage de la calcémie est systématique dans tous les cas.

L'ingestion du contenu d'un sachet absorbeur d'humidité (dessiccateur type


Silicagel®) n'expose, quant à elle, à aucune complication locale ou systémique.

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Principales références
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l'acide fluorhydrique. In: SFMU/Samu de France, eds. Urgences 2003. Paris:
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Monoxyde De Carbone

Nathalie Fouilhé Sam-Laï

Philippe Saviuc

L'intoxication par le monoxyde de carbone (oxyde de carbone, CO) reste, en


dépit des efforts de prévention et de réglementation, une intoxication encore
trop fréquemment mortelle: c'est en France l'une des principales causes de mort
toxique. En 2006, l'Institut de veille sanitaire a recensé 1 682 foyers d'intoxication
ayant concerné 4 892 impliqués et 3 811 intoxiqués; 90 intoxiqués étaient
décédés.

L'intoxication est responsable d'une pathologie riche, source d'erreurs


diagnostiques fréquentes. Les indications et les modalités d'administration de
l'oxygénothérapie restent un sujet de controverses.

Formation du CO

Le CO est un gaz incolore, inodore, très diffusible, de densité proche de celle de


l'air.

Il existe une faible production endogène de CO liée au catabolisme de l'hème


(carboxyhémoglobine < 1%). Du CO peut être produit lors du métabolisme du
dichlorométhane (chlorure de méthylène). La principale source de CO pour
l'organisme est exogène et provient de l'inhalation du gaz produit par la
combustion incomplète de composés carbonés (gaz, charbon, bois, fuel…).

- Au domicile, les installations en cause dans le passé, chauffe-eau à gaz non


raccordés et poêles à charbon, tendent à être remplacées par des chaudières
à gaz raccordées et des appareils de chauffage d'appoint. On retrouve plus ou
moins intriqués un mauvais entretien, une mauvaise utilisation des appareils, une
aération/ventilation défectueuse, un défaut d'étanchéité du conduit de fumée
et, parfois, des conditions météorologiques défavorables qui démasquent des
conditions de fonctionnement précaires.

- Les moteurs à explosion utilisés dans des lieux confinés sont une source
régulière d'intoxication, notamment groupe électrogène et motopompe.

- L'intoxication peut être volontaire par inhalation de gaz d'échappement (ils ne


contiennent pas que du CO).

- L'inhalation de fumées d'incendie comporte des risques supplémentaires par la


possibilité de brûlures de l'arbre respiratoire, la présence de suies, de produits de
décomposition très irritants ou à toxicité systémique (acide cyanhydrique…).

- Le tabagisme augmente le taux de carboxyhémoglobine (HbCO) qui peut


atteindre 10-12% chez le gros fumeur. Ce taux dépend de l'importance de la
consommation, mais aussi du temps écoulé depuis la dernière cigarette.

- Le fait de résider en zone urbaine occasionne une augmentation de l'HbCO (1


à 3%).
- Le gaz distribué en France ne contient pas de CO et, en l'absence de
combustion, conduit à une asphyxie par hypoxie de confinement.

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Physiopathologie

Le CO pénètre dans l'organisme par voie respiratoire puis se lie à l'hémoglobine


pour laquelle il a une affinité environ 250 fois supérieure à celle de l'oxygène
(O2), pour former la carboxyhémoglobine. Le CO ampute ainsi la capacité de
l'hémoglobine à transporter et à délivrer l'O2. Une faible fraction de CO reste
dissoute dans le plasma et se fixe sur la myoglobine et sur différents
cytochromes. Tout ceci conduit à une hypoxie tissulaire, aggravée par une
toxicité cellulaire directe (blocage de la chaîne respiratoire). Lors de la
réoxygénation, alors que les cytochromes sont encore bloqués, la formation de
radicaux libres oxygénés délétères pour les neurones est favorisée. L'oxygène
hyperbare augmente la quantité d'oxygène dissous dans le sang, réduit la
durée d'élimination du CO sanguin et réduit l'œdème cérébral; il raccourcirait la
durée du blocage de la chaîne respiratoire.

Les organes gros consommateurs d'oxygène sont particulièrement vulnérables,


tels le système nerveux central, le myocarde et le fœtus.

Le CO est éliminé dans l'air expiré. La demi-vie de l'HbCO est de 240 minutes en
air ambiant, 80 minutes en oxygène pur à 1 atmosphère et 23 minutes en O2
pur à 3 ATA (oxygène hyperbare).

Le CO diffuse passivement à travers le placenta et se fixe sur l'hémoglobine


fœtale. Chez le fœtus, le taux d'HbCO est plus élevé, la délivrance périphérique
de l'O2 est plus réduite et l'élimination du CO du sang fœtal est plus prolongée.

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Clinique

L'intoxication aiguë par le CO est le plus souvent accidentelle, collective et


saisonnière (automne et hiver). Elle est plus rarement volontaire (gaz
d'échappement d'un véhicule). La symptomatologie dépend essentiellement
des circonstances de l'intoxication, du taux de CO dans l'atmosphère et de la
durée d'exposition.

Intoxication subaiguë

Elle est banale, trompeuse, et entraîne de nombreuses erreurs diagnostiques. La


difficulté est d'évoquer le diagnostic devant des symptômes non spécifiques,
peu évocateurs: céphalées, asthénie, angoisse, vertiges, asthénie musculaire,
troubles sensoriels, troubles de mémoire, troubles digestifs, algies diverses,
palpitations. Cette symptomatologie est caractérisée, au début, par l'horaire
des troubles qui sont contemporains de l'exposition et par le lieu dans lequel ils
apparaissent.

Intoxication aiguë
La symptomatologie est très variable, susceptible d'associer:

- une symptomatologie fonctionnelle d'intensité variable comme celle déjà vue;


la trilogie: «céphalées, vertiges, nausées/vomissements» doit être évocatrice ;

- des troubles neurologiques: ataxie, troubles visuels, convulsions, malaise, perte


de connaissance brève, coma agité ou calme; les réflexes sont vifs, une
hypertonie ou un syndrome pyramidal peuvent être présents;

- des troubles neuropsychiques: confusion mentale, désorientation, excitation,


agitation, bouffée délirante avec hallucinations;

- des signes cardiovasculaires, pouvant plus volontiers survenir sur un terrain


prédisposé: douleurs angineuses avec signes d'ischémie à l'ECG, troubles de la
repolarisation fréquents et, plus rarement, troubles du rythme, insuffisance
cardiaque avec œdème aigu du poumon, de mécanisme discuté;

- une rhabdomyolyse, une acidose métabolique.

L'intoxication de la femme enceinte pose un problème particulier. Il n'existe pas


de parallélisme entre l'état clinique de la mère et le retentissement fœtal. Ce
dernier est apprécié par un examen obstétrical et une échographie à réaliser
au plus tôt. L'exposition aiguë de la mère peut conduire à la mort du fœtus, à
une atteinte neurologique (encéphalopathie post-anoxique lors d'une
intoxication en fin de grossesse), à la prématurité.

Complications et séquelles

Les complications immédiates sont la nécrose myocardique, même chez le sujet


non prédisposé, l'arrêt cardio-respiratoire et le coma profond. Le décès survient
le plus fréquemment sur les lieux de l'intoxication (95%).

Les complications post-intervallaires surviennent habituellement dans les formes


initialement sévères, rarement après des intoxications bénignes. L'intervalle libre
est en général compris entre 1 et 4 semaines. Ces complications sont dominées
par des troubles des fonctions supérieures (formes confusionnelles pseudo-
démentielles), des troubles pyramidaux et extrapyramidaux (syndrome
parkinsonien, avec lésions prépondérantes des noyaux gris centraux). Elles
surviennent de façon préférentielle chez la personne âgée, avec une évolution
en général favorable dans 50 à 75% des cas dans les 1 à 2 ans.

Les séquelles peuvent être la conséquence d'une atteinte nerveuse centrale


fixée d'emblée - état végétatif, déficits moteurs centraux de tous types
(hémiplégie, paraplégie ou tétraplégie), atteinte nerveuse périphérique
(compression directe ou secondaire à une rhabdomyolyse) - ou la
conséquence d'un syndrome post-intervallaire.

Des séquelles minimes, mal évaluées, à type de troubles psychiques mesurables


par des tests psychométriques, d'amnésie lacunaire rétrograde (fréquente),
d'altérations sensorielles (hypoacousie, acouphènes, troubles de la vision…), de
troubles du comportement, de céphalées, d'asthénie sont décrites dans 30 à
40% des cas.
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Diagnostic

Le diagnostic est «facile» à partir du moment où l'on a «pensé» au CO. Il passe


par :

- une analyse du contexte. Au domicile, interrogatoire sur les conditions


d'installation, de fonctionnement et d'entretien des appareils de chauffage et
de production d'eau chaude, leur environnement (ventilation), leur mode
d'utilisation… : en général, tous les habitants du foyer sont malades, mais à des
degrés divers. Sur les lieux du travail, pendant les travaux de bricolage ou
d'entretien, recensement des sources potentielles de production de CO, des
conditions d'aération, des moyens de protection collectifs et individuels;

- les dosages dans l'air ambiant en urgence par les pompiers, l'équipe du SMUR
ou les urgentistes équipés d'un détecteur portatif; ils sont d'une grande valeur
diagnostique (et d'alarme quant à la sécurité des intervenants);

- l'oxymétrie de pouls conventionnelle donne une mesure erronée de la SpO2


en présence de CO. Le CO-oxymètre de pouls, nouveau dispositif mesurant le
taux d'HbCO (SpCO) par voie percutanée, permet en préhospitalier et dans les
services d'urgences le dépistage aisé et précoce des intoxications
oxycarbonées ;

- la validité et les limites de la mesure du CO dans l'air expiré restent encore à


établir; l'intérêt de ce procédé exigeant l'implication du patient pourrait
décliner;

- la mesure dans le sang du taux de carboxyhémoglobine par


spectrophotométrie; les résultats sont exprimés en pourcentage d'HbCO par
rapport à l'hémoglobine totale. La prise de sang (5 à 10 ml de sang veineux
prélevé sur tube hépariné, à conserver dans la glace et à traiter dans les 30
minutes) doit être faite au plus tôt, si possible sur place, au moment des troubles
et avant l'oxygénothérapie. La plupart des automates de gazométrie artérielle
donnent le résultat de l'HbCO. Un taux supérieur à 10% chez un fumeur ou
supérieur à 5% chez un non-fumeur permet d'affirmer le diagnostic. Des valeurs
inférieures ne permettent pas d'éliminer le diagnostic si la mesure (prélèvement
sanguin, CO-oxymètre) a été réalisée à distance de l'exposition, d'autant plus si
de l'O2 a été administré.

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Conduite à tenir

Dans un service d'urgences, la suspicion d'une intoxication oxycarbonée devant


des signes peu spécifiques (céphalée, troubles digestifs modérés) doit conduire
à la mesure du CO (CO-oxymètre, prélèvement de sang veineux au moment
des symptômes), de préférence avant la mise sous oxygénothérapie (mais sans
la retarder). Le résultat est à interpréter en fonction du délai écoulé depuis la fin
de l'exposition ; des dosages d'air ambiant réalisés sur les lieux lors de l'enquête
technique pourront rétrospectivement compléter le diagnostic.
Lors de la prise en charge médicalisée sur les lieux, l'attention est attirée par le
déclenchement de l'alarme portative, le caractère collectif de l'intoxication, le
contexte environnemental (milieu de travail, appareil de production de chaleur,
vétusté). Des précautions de sauvegarde sont à prendre (activation de l'alarme
portative, soustraction du risque). L'équipement du patient est conventionnel de
même que la prise en charge d'une éventuelle détresse. Le CO-oxymètre de
pouls est mis en place; un prélèvement sanguin est réalisé. De l'oxygène est
administré au masque à haute concentration ou après intubation.

La présence d'un trouble de conscience (perte de connaissance, coma)


associée à celle de CO dans l'air, d'une HbCO augmentée au CO-oxymètre
peut, selon le contexte, orienter d'emblée vers un centre d'oxygène hyperbare.

À l'admission, le bilan diagnostique et pronostique est réalisé: ECG


(systématique, notamment en cas d'antécédents et/ou de points d'appel
cardiocirculatoire), radiographie pulmonaire, ionogramme sanguin, HbCO,
enzymes musculaires (CPK).

L'oxygénothérapie est le traitement à la fois symptomatique et spécifique de


cette intoxication:

- oxygénothérapie normobare (ONB) : elle est systématique, au masque à


haute concentration (FiO2 la plus proche de 1), pendant 6 à 12 heures selon les
protocoles, et jusqu'à disparition complète des symptômes;

- oxygénothérapie hyperbare (OHB): elle consiste à administrer, au mieux dans


les 6 heures après l'exposition, de l'oxygène à 2-3 ATA durant 1 h 30 à 2 heures
selon les protocoles. Son objectif est de prévenir et limiter les manifestations
neuropsychiques secondaires. L'intérêt de l'OHB n'est pas formellement
démontré: des controverses sur son indication demeurent, alimentées par des
études aux résultats contradictoires; des considérations méthodologiques
peuvent expliquer ces discordances. Deux indications font actuellement l'objet
d'un «consensus» :

 forme initialement comateuse, perte de connaissance, signes


neurologiques objectifs, quel que soit le taux d'HbCO, même si l'évolution
est rapidement favorable ;
 grossesse: malgré l'absence d'études contrôlées, et bien que l'effet de
l'ONB seule ne soit pas connu, il est admis que le risque de malformation
et d'hypotrophie fœtale rejoint, après OHB, celui de la population
générale. Ainsi, quels que soient l'âge de la grossesse et la
symptomatologie présentée, une femme enceinte doit bénéficier de
l'OHB.

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Évolution

L'évolution traitée est favorable (absence de décès et de séquelles graves)


dans les intoxications «bénignes» (définies par l'absence de troubles de
conscience) et «moyennes» (perte de connaissance initiale et isolée). Elle est
moins prévisible dans les intoxications graves (coma) avec 5% de décès et
environ 10% de séquelles graves. Les critères pronostiques sont relatifs à la durée
et à l'intensité de l'exposition, au délai de mise en route du traitement, à
l'existence de troubles de conscience, d'un arrêt cardiorespiratoire initial, d'un
âge supérieur à 60 ans, d'antécédents notamment cardiaques ou d'une
acidose métabolique.

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Prévention

Dans tous les cas d'intoxication accidentelle, une enquête technique et la mise
en conformité des installations (domicile, lieu de travail, établissement recevant
du public) doivent être effectuées afin d'éviter la récidive.

Un système de déclaration des intoxications oxycarbonées a été mis en place


sur tout le territoire Français depuis 2005 par circulaire. Le médecin doit
systématiquement signaler, avec l'accord de l'intoxiqué, le lieu d'une
intoxication domestique au service d'hygiène de la commune de résidence s'il
existe, à la préfecture de Police pour la ville de Paris, sinon à la DDASS.
L'enquête technique a pour but d'identifier l'appareil en cause et/ou les
mécanismes associés.

Les efforts de prévention primaire sont à renouveler régulièrement, notamment


pour sensibiliser le grand public au danger du CO et à la nécessité d'un
entretien régulier des installations de production de chaleur.

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Principales références
Conseil supérieur d'hygiène publique de France. Groupe des experts chargés
d'élaborer les référentiels de la prise en charge des intoxications oxycarbonées.
Repérer et traiter les intoxications oxycarbonées. Paris: Direction générale de la
santé; 2005. http://www.sante.
gouv.fr/htm/dossiers/cshpf/r_mv_180305_intoxications.pdf (consulté le 8 août
2008).
Conso F. Monoxyde de carbone (oxyde de carbone). In : Bismuth C, éd.
Toxicologie clinique (5e éd). Paris: Flammarion Médecine-Sciences, 2000: 728-
735.
Ministère de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Les
intoxications au monoxyde de carbone.
http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/intox_co/sommaire.htm (consulté le 8
août 2008).
Raphaël JC. Intoxication aiguë par le monoxyde de carbone. Rev Prat 2008; 58:
849-854.
Suner S, Partridge R, Sucov A, et al. Non-invasive pulse co-oxymetry screening in
the emergency department identifies occult carbon monoxide toxicity. J Emerg
Med 2008; 34: 441-450.
Inhalations Toxiques, Gaz et Vapeurs

Philippe Lheureux

Michel Amuli-Itegwa

L'exposition aux gaz et vapeurs toxiques est fréquente, surtout en milieu


professionnel (négligence des moyens de protection, rupture de canalisation,
transvasement, manipulation de déchets, accidents de transport…), mais peut
aussi résulter d'accidents domestiques (bricolage, mélange inapproprié de
produits d'entretien) ou de phénomènes environnementaux qui impliquent
souvent de nombreuses victimes (pollution atmosphérique, éruption volcanique,
désastres industriels).

On peut classer les gaz et vapeurs toxiques en 4 catégories ( Tab. 1 ).

En dehors des gaz et des vapeurs irritants, différentes formes d'alvéolites toxiques
ont été rapportées après inhalation de poussières ou de composés chimiques.
Nous les évoquerons succinctement, de même que les pneumopathies induites
par les hydrocarbures. Enfin, l'exposition aux fumées d'incendie représente un
aspect particulier qui sera traité séparément.

Gaz inertes Dioxyde de carbone, hydrogène, azote, alcanes à


chaînes courtes (C1-C4 méthane, éthane, butane,
propane), LPG, gaz rares (argon, néon, hélium…),
acétylène, éthylène, propylène

Gaz à toxicité Monoxyde de carbone, cyanure, agents


systémique méthémoglobinisants, arsine, stibine, méthylhalogènes
(chlorure de méthylène, tétrachlorure de carbone, par
exemple), disulfure de carbone, hydrocarbures > C5

Gaz irritants et Ammoniac, chlore, chloramine, acide chlorhydrique,


caustiques phosgène, oxydes d'azote, ozone, acide sulfurique, acide
phosphorique, acide nitrique, formaldéhyde, acroléine…

Effet irritant Sulfure d'hydrogène


local et toxicité
systémique

Gaz inertes

Parfois qualifiés d'asphyxiants simples, physiques ou passifs, ces gaz remplacent


l'oxygène de l'air et diminuent la FiO2 de l'air inhalé; ils sont inodores, incolores
et ne provoquent pas d'atteinte directe des fonctions physiologiques, ni de
l'intégrité anatomique de l'arbre respiratoire et des poumons.

La symptomatologie est fonction de l'importance du déficit en oxygène ( Tab. 2


) et est exacerbée par l'intensité et la durée de l'activité physique. À haute
concentration, certains de ces agents provoquent une narcose.
L'hyperventilation qu'ils génèrent peut majorer l'exposition à d'autres gaz. En
outre, il faut tenir compte de risques associés (explosion et incendie, brûlures ou
gelures liées à la libération de gaz pressurisés).

> 20% Normal

> 16% Généralement pas de symptôme

12-15% Perte de coordination motrice, tachypnée, tachycardie

10-14% Troubles du jugement, fatigue au moindre effort

6-8% Nausées, vomissements, léthargie, collapsus, perte de


connaissance

< 6% Convulsions, apnée, arrêt cardio-respiratoire et décès

Certaines victimes souffrent de l'hypoxie ambiante: insuffisance respiratoire


chronique, insuffisance cardiaque ou coronaire, insuffisance vasculaire
cérébrale, anémie, grossesse, hyperthyroïdie, méthémoglobinémie ou
intoxication oxycarbonée.

Une atmosphère hypoxique ne doit être pénétrée que si l'on est muni d'un
appareil respiratoire autonome. La victime doit être extraite et abondamment
ré-oxygénée aussi vite que possible. Le reste du traitement est symptomatique.

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Gaz et vapeurs irritants

Généralités

Les vapeurs et gaz irritants constituent un groupe hétérogène de produits qui


détruisent l'intégrité de la barrière muqueuse de l'arbre respiratoire et les cellules
endothéliales. Différents mécanismes peuvent être impliqués:

- la formation d'une solution acide ou alcaline caustique par dissolution dans les
sécrétions (par exemple, HCl, NH3);

- l'effet oxydant direct responsable du raccourcissement du cytosquelette


protéique: disjonction des cellules épithéliales (influx de médiateurs et de
cellules inflammatoires) et des cellules endothéliales (fuites de liquide vers
l'interstitium ou les alvéoles);

- la peroxydation des lipides membranaires;

- la production de radicaux libres hautement réactifs (principalement à partir


d'oxygène et d'azote) qui accroissent le stress oxydatif : ils aggravent les lésions
membranaires en favorisant la peroxydation lipidique et inhibent la production
d'énergie par la chaîne de transport d'électrons;

- les débris cellulaires provoquent l'afflux de neutrophiles (effet chémotactique


des leucotriènes et des cytokines pro-inflammatoires libérées par les
macrophages): eux-mêmes produisent des médiateurs cytotoxiques et d'autres
radicaux libres, à l'origine d'un véritable cercle vicieux.

Pour certains agents comme le chlore ou le dioxyde d'azote, plusieurs


mécanismes peuvent être impliqués. Le poumon dispose de systèmes
antioxydants virtuellement capables de détoxiquer l'ensemble des radicaux
libres, qu'il s'agisse de systèmes enzymatiques (superoxyde dismutase, glutathion
peroxydase, catalase) ou non enzymatiques (glutathion, acide ascorbique).
Toutefois, en cas d'inhalation toxique, les capacités de ces systèmes sont
dépassées.

Différents facteurs déterminent la sévérité des lésions et le niveau de l'arbre


respiratoire qui est principalement atteint. Il s'agit des propriétés chimiques du
ou des toxiques auxquels la victime a été exposée (pH, réactivité, pouvoir
oxydant), des propriétés physiques (solubilité, réaction exothermique), de
l'intensité et de la durée de l'exposition (constante de Haber) et des propriétés
«alarmantes» (irritation des voies respiratoires supérieures ou des yeux, odeur,
couleur). La présence de particules (suies, gouttelettes) est un élément
déterminant pour la propagation et le dépôt dans l'arbre respiratoire. D'autres
facteurs doivent également être pris en compte comme la température
ambiante (vapeur d'eau, explosion), même si les voies respiratoires supérieures
ont habituellement un pouvoir refroidissant suffisant pour prévenir les lésions
glottiques ou sous-glottiques. Il faut enfin tenir compte de l'âge, de pathologies
préexistantes (asthme, BPCO), voire du développement d'une certaine
tolérance (ozone).

L'hydrosolubilité ( Tab. 3 ) en particulier joue un rôle clé. Les gaz très


hydrosolubles se dissolvent rapidement dans les larmes et les sécrétions
respiratoires, provoquant l'apparition rapide d'un syndrome irritatif désagréable
qui pousse à la fuite et limite la durée de l'exposition. Les atteintes respiratoires
basses ne surviennent qu'en cas d'exposition massive ou prolongée; il n'y a
guère d'effets systémiques. En revanche, les gaz peu hydrosolubles irritent peu
les voies respiratoires supérieures. L'absence de propriétés alarmantes conduit à
des expositions plus prolongées, à une pénétration plus profonde dans l'arbre
respiratoire et à une atteinte des bronchioles terminales et des alvéoles. Le
tableau clinique peut être celui d'une insuffisance respiratoire subaiguë, parfois
différée de plus de 24 heures, associée à une atteinte parenchymateuse
(pneumonie chimique, acute lung injury ou acute respiratory distress
syndrome). Des effets toxiques systémiques sont possibles. Les gaz de solubilité
intermédiaire peuvent donner des tableaux mixtes.

Hydrosolubilité Ammoniac, dioxyde de soufre, chlorure d'hydrogène,


élevée chloramines, acide nitrique, acide phosphorique,
acide fluorhydrique, formaldéhyde, acétaldéhyde,
acroléine, acide acétique, lacrymogènes

Hydrosolubilité Chlore, brome, iode, fluor, acide sulfurique, sulfure


intermédiaire d'hydrogène, isocyanates

Hydrosolubilité basse Phosgène, ozone, oxydes d'azote, solvants,


anesthésiques volatiles

Qu'elles soient solides (poussières, suies) ou liquides (gouttelettes), les particules


qui restent en suspension dans l'air ont généralement une taille inférieure à 100 µ
et peuvent entrer dans les voies aériennes pour exercer des effets directs ou
servir de véhicule pour des substances qui y sont adsorbées ou dissoutes.
L'endroit où elles se déposeront principalement est déterminé par leur taille:

- entre 5 et 30 µ, elles s'impactent rapidement dans le nasopharynx;

- entre 1 et 5 µ, elles sédimentent dans les voies aériennes de gros calibre;

- inférieures à 0,2 µ, elles atteignent les bronchioles terminales;

- inférieures à 0,1 µ, elles se déposent dans les alvéoles.

Il faut se rappeler toutefois que la taille des particules peut augmenter au cours
de leur migration dans les voies respiratoires humides car elles peuvent se
charger en eau. La forme des particules est un autre facteur qui peut influencer
leurs propriétés aérodynamiques.

En fonction des propriétés du toxique inhalé, différents tableaux cliniques


peuvent dominer la présentation ou se succéder dans le temps ( Tab. 4 ).

Niveau Phase aiguë Séquelles

Voies Signes souvent précoces Douleurs Sinusite ou rhinite


respiratoires oculaires, larmoiement, rhinorrhée, chronique, voire
supérieures éternuement, obstruction nasale, perforation de la cloison
irritation pharyngée et laryngée, nasale Hypersensibilité
salivation, parfois épistaxis Toux, aux agents irritants
raucité, stridor et dyspnée (Reactive Upper airways
inspiratoire (doivent inciter à la Dysfunction
méfiance : risque d'obstruction Syndrome,RUDS),
aiguë des voies aériennes) prédisposition aux
infections sinusales
Érythème, œdème, ulcérations,
zones de nécrose ou formation de Hypersensibilité aux
pseudomembranes stimuli olfactifs (Multiple
Chemical Sensitivity) ou
NB : la stimulation olfactive (nerf I) anosmie
ou l'irritation (nerf V, IX et X) → effet Pharyngite et laryngite
alarmant bénéfique, mais peut être chroniques, dysfonction
la source de réflexes dangereux des cordes vocales,
(laryngospasme, sténoses et fistules en
bronchoconstriction, cas de dommage
hypersécrétion bronchique, tissulaire grave
apnée…)

Voies Irritation trachéo-bronchique: toux Bonne guérison en


respiratoires souvent sèche et douloureuse mais général Séquelles
moyennes parfois productive, dyspnée structurelles rares:
(voies de expiratoire, accompagnée de trachéites et bronchites
conduction) wheezing chroniques, polypes,
sténoses et
Syndrome obstructif : bronchiectasies
bronchoconstriction par stimulation Séquelles fonctionnelles
directe des terminaisons plus fréquentes:
parasympathiques et par libération aggravation d'une
de médiateurs humoraux, hyperréactivité
inflammation locale et œdème des bronchique préalable
muqueuses, accumulation de ou développement d'un
mucus. Peut s'aggraver au cours asthme de novo ou
des premières 24 à 48 heures. syndrome de Brooks
Risque plus important en présence (Reactive Airway
d'une hyper-réactivité bronchique Dysfunction
préalable Syndrome,RADS)

Voies Inflammation souvent très diffuse, Bronchiolite oblitérante:


respiratoires touchant l'épithélium bronchiolaire, se développe en
inférieures la muqueuse sous-épithéliale, les quelques semaines,
et du cellules alvéolaires, l'endothélium l'arbre respiratoire distal
parenchym vasculaire et le tissu de soutien est détruit et fait place
e Altération de la couche de à une cicatrice fibreuse
pulmonaire surfactant et des cellules qui le Syndrome restrictif
produisent (pneumocytes de type
II) Insuffisance respiratoire Bronchiolitis Obliterans
généralement différée de plusieurs Organising Pneumonia
heures, voire de plusieurs jours, (BOOP) : prolifération du
parfois même après un «intervalle tissu de granulation
libre» lié à l'amélioration des jusqu'aux aux alvéoles
manifestations naso-pharyngées ou Fibrose pulmonaire pure
trachéo-bronchiques Dyspnée, possible
toux, hypoxémie et syndrome
inflammatoire systémique Très
sévère (ALI ou ARDS), aspect
focalisé ou plurifocalisé, parfois
autolimitée
Le syndrome de Brooks fait généralement suite à une seule exposition massive,
mais une définition plus large y inclut des troubles respiratoires semblables qui
apparaissent après des expositions répétées à des concentrations plus basses.
L'hyper-réactivité bronchique persiste au moins 3 mois après l'accident. Les 8
critères diagnostiques du RADS sont rappelés dans le tableau 5.

La physiopathologie non immunologique de ce syndrome reste mal connue. Si


50% des RADS évoluent vers la guérison, 25% gardent une hyper-réactivité
modérée et stable et 25% semblent développer une hyper-réactivité
bronchique chronique et évolutive. Le RADS serait à l'origine de 3 à 6% des
asthmes professionnels.

Des séquelles d'ordre neurologique (syndrome organique cérébral, déficit


moteur ou cognitif, maladie de Parkinson…) peuvent être la conséquence de la
neurotoxicité des produits inhalés ou de l'hypoxie cérébrale. Le syndrome
d'intolérance aux odeurs chimiques (chémophobie, Multiple Chemical
Sensitivity ou MCS) est parfois mêlé au stress post-traumatique et accompagné
de troubles peu spécifiques: céphalées, fatigue, anxiété, troubles de l'attention,
de la mémoire, du sommeil, de l'appétit, de l'humeur, diminution de la libido,
dyspnée, hyperventilation…

Absence de manifestations respiratoires préalables

Apparition des symptômes après une seule exposition à l'agent causal

Exposition limitée dans le temps à un gaz, à une vapeur ou à une fumée


doté de propriétés irritantes, et à haute concentration

Apparition des premiers symptômes dans les 24 heures suivant l'exposition,


persistance des

plaintes pendant au moins 3 mois

Symptomatologie asthmatiforme : dyspnée, toux, sibilances

Syndrome respiratoire obstructif aux épreuves fonctionnelles

Hyper-réactivité bronchique objectivée (test à la métacholine)

Absence d'autre pathologie respiratoire concomitante

évaluation

Elle est avant tout clinique et comprend un examen complet, particulièrement


attentif au niveau des yeux, du nez, de la bouche, des voies respiratoires et des
poumons. La situation clinique doit être réévaluée régulièrement, au moins
pendant les 4 à 6 premières heures après exposition à des produits hautement
hydrosolubles et au moins pendant 24 heures après exposition à des toxiques
peu hydrosolubles.

Les examens complémentaires comprennent l'examen hématologique et les


données biochimiques de base, l'analyse des gaz sanguins, éventuellement
associée à une mesure co-oxymétrique de la carboxyhémoglobine et de la
méthémoglobine en fonction du contexte. Le dosage de lactate peut être très
élevé en cas d'exposition à l'acide cyanhydrique ou au sulfure d'hydrogène.

La bronchofibroscopie permet d'évaluer l'étendue des lésions des voies


respiratoires et de réaliser des toilettes bronchiques (mucus, débris tissulaires,
pseudomembranes…).

La radiographie de thorax, le scanner à haute résolution et les épreuves


fonctionnelles respiratoires associées à une mesure de la diffusion du monoxyde
de carbone sont surtout utiles dans la surveillance.

La toxicologie analytique a peu de place dans l'évaluation de ce type


d'exposition. En revanche, des mesures d'ambiance peuvent être utiles
lorsqu'elles sont disponibles. Quand on parle d'exposition massive, le meilleur
indice de référence est l'IDLH (Immediately Dangerous to Life or Health), conçu
à l'origine pour tester des appareils de protection respiratoire et réévalué
périodiquement par le NIOSH (National Institute for Occupational Safety and
Health). Il s'agit de la concentration atmosphérique maximale qui n'a pas d'effet
incapacitant ou de conséquences irréversibles pour la santé si on y reste exposé
au moins 30 minutes.

Traitement

La première mesure est évidemment de sortir la victime de l'atmosphère viciée.


Les secouristes doivent être entraînés et porter une protection respiratoire et
cutanée appropriée. Ensuite, le traitement est avant tout symptomatique,
portant une attention particulière à la perméabilité des voies aériennes, à
l'oxygénation et au remplissage vasculaire:

- intubation et assistance respiratoire précoce en cas d'obstruction des voies


respiratoires hautes et d'insuffisance respiratoire;

- application précoce d'une pression expiratoire positive (PEP) et de modes de


ventilation «protecteurs» (petits volumes courants, hypercapnie permissive,
ventilation percussive à haute fréquence…);

- oxygénothérapie à haute concentration par masque ou après intubation en


première intention, puis adaptée à l'analyse des gaz du sang ou de la
surveillance oxymétrique (maintenir une PaO2 > 60 mmHg ou une SaO2 > 90%
pour une FiO2 < 0,5);

- guider la réanimation, en particulier le remplissage vasculaire et l'usage des


amines vasoactives, sur un monitoring hémodynamique.

La nécessité d'une décontamination (déshabillage, lavage cutanéo-muqueux,


y compris oculaire après anesthésie cornéenne par un collyre) doit être évaluée
pour chaque cas.

Le patient conscient qui respire spontanément doit être gardé au repos en


position (semi-)assise. Même si aucune donnée précise n'étaye cette pratique,
l'humidification au moyen d'un brouillard froid semble avoir un effet sédatif sur
l'irritation trachéo-bronchique.

Le traitement pharmacologique est peu spécifique:

- bronchodilatateurs et antitussifs;

- corticoïdes: aucune étude contrôlée humaine ne valide clairement leur


indication, que ce soit par inhalation ou par voie parentérale. Certains travaux
suggèrent que les corticoïdes systémiques pourraient prévenir l'évolution vers
une bronchiolite oblitérante et que les corticoïdes inhalés pourraient prévenir le
développement d'un RADS;

- aérosols: l'administration d'aérosols de bicarbonate de sodium (2%) est parfois


recommandée pour neutraliser un acide inhalé sous forme de vapeur (HCl par
exemple) ou l'acide formé après l'inhalation d'un gaz (chlore par exemple).
Même si un certain soulagement est souvent mentionné par le patient, aucune
étude systématique ne permet de valider ce traitement. L'inhalation de sels de
calcium est recommandée en cas d'inhalation d'acide fluorhydrique sur des
bases essentiellement empiriques;

- antibiothérapie: il n'y a pas de place pour l'antibiothérapie prophylactique.


Elle doit être guidée par l'examen direct, la culture et l'antibiogramme des
prélèvements bronchiques, et les hémocultures. L'infection est fréquente après
3-5 jours;

- autres: l'utilisation du NO, des modulateurs de l'AMPc, des antileucotriènes


comme le tomelukast, des antioxydants comme la N-acétylcystéine, de la
ventilation liquide au moyen de perfluorocarbones ou de surfactant exogène
reste un sujet de recherche expérimentale.

Le traitement des complications n'est pas différent du traitement proposé


lorsque ces pathologies ont une origine non toxique.

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Gaz à effets toxiques systémiques

Certains gaz et vapeurs produisent des effets toxiques systémiques soit de façon
isolée, soit en association avec un effet irritant respiratoire.

Certains de ces effets toxiques et les mesures thérapeutiques éventuelles qui s'y
rapportent sont rappelés dans le tableau 6. Le cas particulier du monoxyde de
carbone est traité dans un autre chapitre, alors que celui du cyanure est
évoqué dans la section traitant de l'inhalation de fumée d'incendie.

Agent Mécanisme toxique Traitement


Monoxyde de Asphyxiant chimique Oxygène normobare
carbone (Voir (altération du transport en ou hyperbare
chapitre spécifique) oxygène, de la dissociation
de l'oxyhémoglobine,
blocage des cytochromes)

Cyanure d'hydrogène Asphyxiant chimique Oxygène


(blocage des
cytochromes) Antidotes
anticyanures

Hydroxocobalamine

EDTA dicobaltique

Thiosulfate de soude

Agents
méthémoglobinisants

Nitrite d'amyl

Nitrite de soude

DMAP

Gaz Asphyxiants chimiques Oxygène


méthémoglobinisants (altération du transport en
(oxyde nitrique, oxygène) Bleu de méthylène
dioxyde d'azote,
nitrites organiques,
amines aromatiques)
(Voir chapitre
Méthémoglobinémies)

Hydrogène phosphoré Convulsions, céphalées, Symptomatique


(phosphine) vertiges

Œdème pulmonaire,
dyspnée Troubles digestifs

Atteinte myocarde, foie,


reins, pancréas

Arsine, stibine Liaison aux groupes -SH de Exsanguino-transfusion


l'hémoglobine Hémolyse Chélateurs?
aiguë, hyperkaliémie,
insuffisance rénale aiguë,
ictère

Disulfure de carbone Surtout en exposition Symptomatique


chronique:

- troubles mentaux
- neuropathie périphérique
Athérogenèse

Hydrocarbures (Voir Toxicité générale : Symptomatique N-


aussi Solvants et acétylcystéine dans
Hydrocarbures) - dépression du SNC l'intoxication au
- arythmies cardiaques tétrachlorure de
carbone
Effets particuliers:

- benzène : hématotoxicité

- hexane : neurotoxicité
périphérique

- tétrachlorure de carbone
: hépato et néphrotoxicité

- trichloréthylène : effet
antabuse

Chlorure de Dépression du SNC Oxygène normobare


méthylène (Voir Production endogène de ou hyperbare
Monoxyde de monoxyde de carbone par
carbone) métabolisme hépatique

Pesticides Activité Oxygène


organophosphorés, anticholinestérasique
gaz neurotoxique Atropine
Atteinte du SNC
(Voir chapitres Produits Réactivateurs des
phytosanitaires et Syndromes
cholinestérases:
Toxiques chimiques de muscarinique/nicotinique pralidoxime,
guerre) Jonction neuromusculaire
obidoxime

Diazépam

Le cyanure d'hydrogène (HCN) est notamment un produit de combustion et de


pyrolyse de nombreux matériaux naturels ou synthétiques (plastique,
polyuréthane, nitriles, nylon, caoutchouc, papier, laine, soie…). Il est aisément
absorbé par voie respiratoire. Il est probablement impliqué dans le décès
précoce de victimes d'incendies exposées aux fumées (voir plus loin).

Le CN se lie aux cytochromes mitochondriaux (affinité pour Fe+++), générant une


déplétion énergétique tissulaire et favorisant l'anaérobiose. Le cerveau et le
myocarde sont les organes les plus sensibles: l'intoxication grave au HCN se
caractérise par des convulsions et un coma, associés à une insuffisance
circulatoire et une acidose lactique de développement rapide. Comme l'O2
circulant ne peut pas être utilisé par les tissus périphériques, le contenu en
oxygène du sang veineux mêlé (CvO2) est assez proche du contenu en
oxygène du sang artériel (CaO2).

Le mécanisme naturel d'élimination du CN fait appel à une détoxification


hépatique impliquant la rhodanèse (ou sulfure transférase) qui transforme le CN
en thiocyanate en présence de thiosulfate. Le thiocyanate est éliminé dans les
urines. Cette voie de détoxification est insuffisante en cas d'intoxication car
l'activité de la rhodanèse n'augmente que lentement.

Le dosage du CN est rarement pratiqué en urgence. Le diagnostic


d'intoxication à l'HCN est donc fondé sur la présentation clinique, l'acidose
lactique et la CvO2 élevé.

Le traitement de l'intoxication à l'HCN repose avant tout sur des mesures


conservatrices et l'oxygénothérapie à haute concentration. Différents
traitements antidotiques ont été développés:

- induction d'une méthémoglobinémie (MetHb) convertissant le Fe++ de


l'hémoglobine en Fe+++: elle est réalisée par l'inhalation de nitrites d'amyle, puis
par l'injection IV de nitrites de soude ou de 4-diméthylaminophénol (4-DAMP). Le
CN se lie à la MetHb pour former de la cyanoMetHb. L'administration de
thiosulfate permet ensuite de régénérer la MetHb en éliminant le cyanure sous
forme de thiocyanate dans les urines. En cas d'intoxication à l'HCN liée aux
fumées d'incendie, cette approche est très controversée car elle ampute la
capacité de transport en O2 chez des patients qui souffrent souvent aussi d'une
intoxication au CO et d'hypoxémie liée à l'atteinte respiratoire. Seul le thiosulfate
peut raisonnablement être recommandé;

- administration de hautes doses d'hydroxocobalamine, fondée sur la grande


affinité du CN pour le cobalt: c'est une alternative préférable dans ces
circonstances, même si elle est nettement plus onéreuse. En fixant le CN,
l'hydroxocobalamine est transformée simplement en cyanocobalamine, une
autre forme de la vitamine B12;

- EDTA dicobalt, autre antidote proposé, fondé sur l'affinité pour le cobalt.
Néanmoins, en l'absence d'intoxication au cyanure, le cobalt expose le patient
au risque d'arythmies et d'hypertension artérielle.

La formation de méthémoglobine (MetHb) peut résulter de la dénaturation de


l'hémoglobine sous l'effet de la chaleur, de la production d'agents oxydants ou
méthémoglobinisants (Voir chapitre Méthémoglobinémies). Le
développement d'une MetHb significative est toutefois nettement plus rare que
l'intoxication au CO ou à l'HCN.

La présence de MetHb réduit la capacité de transport en O2 du sang et,


comme l'HbCO, déplace la courbe de dissociation de l'oxyhémoglobine vers la
gauche. Le traitement consiste d'abord en ONB à haute concentration.
L'administration de bleu de méthylène qui réduit la MetHb en Hb est rarement
nécessaire. Elle doit être considérée en cas de MetHb de plus de 30%, sauf dans
les situations cumulatives (HbCO + MetHb, insuffisance respiratoire ou
circulatoire préexistante ou secondaire). Les signes cliniques (agitation,
confusion ou altération de conscience, douleurs thoraciques et modifications
de l'ECG, acidose métabolique) sont difficiles à distinguer des autres sources
d'hypoxie tissulaire évoquées plus haut. Seule la cyanose est généralement très
précoce. Heureusement, la MetHb est déterminée par le co-oxymètre en même
temps que l'HbCO. Comme mentionné plus haut, la MetHb a un certain effet
protecteur contre l'intoxication CN. Les risques et bénéfices de l'administration
de bleu de méthylène doivent donc être mis en balance dans les intoxications
associées.

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Gaz irritants et toxiques systémiques

Certains agents combinent des propriétés irritantes pour les voies respiratoires et
une toxicité systémique. Des exemples typiques sont le sulfure d'hydrogène ou le
chlorure de cyanogène. Ils combinent une toxicité systémique analogue à celle
du cyanure, tout en induisant un puissant effet irritant respiratoire.

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Alvéolites toxiques

Elles résultent d'un groupe hétérogène d'inhalations toxiques dont la


présentation clinique est caractérisée par un syndrome pseudo grippal (fièvre,
frissons, myalgies, malaise), accompagné de manifestations respiratoires 4 à 6
heures après l'inhalation de fumées ou de poussières. Elles sont parfois difficiles à
distinguer d'une infection aiguë, d'une exacerbation asthmatique ou d'une
pneumopathie de nature allergique. Les symptômes respiratoires initiaux
consistent en sécheresse de la gorge, toux irritative, sensation d'oppression
thoracique et dyspnée modérée. Une hyperleucocytose peut être observée et
la radiographie pulmonaire peut mettre en évidence des infiltrats fugaces. La
gazométrie reste souvent normale. Le syndrome se résout souvent
spontanément en 12 à 48 heures. Des formes graves peuvent néanmoins être
observées, avec hypoxémie sévère et infiltrats pulmonaires importants évoquant
un ALI (Acute Lung Injury) ou un SDRA. Le pronostic est alors beaucoup plus
réservé.

Le mécanisme, non allergique et non infectieux, implique probablement la


libération de cytokines par les cellules pulmonaires et l'afflux de polynucléaires
neutrophiles dans le parenchyme et les alvéoles.

Quelques entités nosologiques sont assez clairement identifiées ( Tab. 7 ). Le


traitement est généralement symptomatique.

Syndrome Agents impliqués Remarques

Fièvre des Fumées contenant des oxydes Soif et goût


fondeurs (Metal métalliques, en particulier l'oxyde métallique fréquent
Fume Fever) de zinc, mais aussi d'autres métaux Tachyphylaxie :
travail après une
période de repos
(Monday Morning
Fever) ou
bricoleurs
occasionnels

Fièvre des L'inhalation de produits issus de la Mécanisme mixte


polymères pyrolyse de polymère fluoré immunologique et
(Polymer Fume comme le polytétrafluoroéthylène toxique ?
Fever) (PTFE = Téflon)

Alvéolites Poussières de cadmium, de Pneumonie sévère


toxiques graves, mercure, de nickel carbonyle, de ou d'un ARDS, avec
accompagnées chlorure de zinc ou dérivés de la insuffisance
de pyrolyse à haute température de respiratoire parfois
manifestations fluoropolymères (perfluoro- fatale, hémorragies
systémiques isobutylène PFIB, acide pulmonaires...
fluorhydrique, fluorure de Fibrose séquellaire
carbonyle...) possible avec
syndrome restrictif
et trouble de
diffusion peut
persister, mais la
règle est la guérison
en 3 à 4 jours

Syndrome de Exposition à des bioaérosols Formes


poussières contenant des poussières particulières:
organiques organiques (bactéries mycotoxicoses
toxiques thermophiles, spores fungiques) qui pulmonaire, Silo
(Organic Dust contaminent fréquemment certains Unloader's
Toxic Syndrome) matériaux comme des copeaux ou Syndrome, Grain
de la sciure de bois, des fibres Fever, Cotton Mill
textiles brutes (laine, coton) Syndrome
(byssinose)

Divers Fluoropolymères: sprays de


protection pour chaussures Talc
(Baby Powder Pneumonitis)

Diacétyl-2,3-butanedione :
mélanges d'huile de soya, d'agents
édulcorants et de colorants
(Popcorn Worker's Lung, pâtisserie
industrielle...) Polyamide amine
(Acramine FWN Bayer): peinture
pour textile (syndrome d'Ardystil)
Lycoperdonose : spores de
Lycoperdon, champignon
commun («vesses de loup»)
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Pneumopathie aux hydrocarbures

Elle survient après ingestion d'un hydrocarbure avec fausse déglutition ou par
inhalation de vomissements. Elle est plus fréquente chez l'enfant (ingestion de
pétrole pour lampe, de térébenthine ou de white spirit) mais aussi chez l'adulte
(«poumon des cracheurs de feu»). Occasionnellement, elle peut être
provoquée par l'instillation de gouttes nasales huileuses, secondairement
inhalées, ou par la fausse déglutition de laxatifs à base de paraffine,
notamment chez les personnes âgées. Les produits de basse viscosité sont plus
dangereux. Le mécanisme probable est une altération directe du surfactant.

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Exposition aux fumées d'incendie

Généralités

Chez les victimes d'incendie, l'inhalation de fumée est un facteur létal plus
important que l'âge ou la sévérité des brûlures cutanées: ces deux atteintes ont
d'ailleurs un effet synergique sur la mortalité, plutôt que simplement additif. Le
diagnostic d'atteinte respiratoire liée aux fumées n'est pas toujours aisé: les
symptômes et les signes peuvent être différés de plusieurs heures après
l'exposition et il n'y a pas de test diagnostique précoce dont la sensibilité soit
absolue. Les principaux facteurs de risque sont rappelés dans le tableau 8. Il
faut aussi rappeler que de l'air filtré n'ayant plus un aspect enfumé mais
contenant encore des gaz toxiques peut être transporté par un système de
ventilation, par exemple, et atteindre des victimes à distance du sinistre.

La complexité de la pathologie est liée aux multiples mécanismes impliqués,


dans des proportions différentes d'un sinistre à l'autre. Ils peuvent être
schématiquement catégorisés en quatre volets: la température, l'asphyxie,
l'irritation des voies respiratoires par des gaz évoqués plus hauts et des suies, la
réponse inflammatoire systémique secondaire aux lésions pulmonaires et aux
brûlures cutanées.

Victime confinée dans un espace clos lors de l'exposition à des gaz chauds,
de la vapeur

ou des suies, issus de la pyrolyse ou de la combustion

Absence de moyens de protection

Durée d'exposition prolongée

Perte de conscience, même transitoire (trauma, alcool, CO)


Brûlures de la face, suies dans l'oropharynx ou les expectorations

Victimes retrouvées décédées dans le même environnement

Carboxyhémoglobinémie élevée (corrigée en cas d'administration


préalable d'oxygène), acidose lactique ou dosage de cyanure élevé

Enfants, vieillards, personnes à mobilité réduite

Pathologie cardiorespiratoire préalable (asthme, BPCO, insuffisance


cardiaque, coronaropathie

Grossesse

Absence de détecteurs de fumée (ou détecteurs non opérationnels)

Les composantes thermique et asphyxique ont des effets immédiats. En


revanche, les lésions irritatives bronchiques et la réponse inflammatoire
systémique évoluent progressivement: l'insuffisance respiratoire qui en résulte est
souvent différée de plusieurs jours.

Les lésions thermiques dues à la fumée sèche sont généralement limitées à la


face et à l'étage supra-glottique. Mais la capacité de transport de chaleur de
l'air humide est nettement supérieure.

L'hypoxie tissulaire peut être la conséquence de plusieurs mécanismes dont les


effets sont additifs ou synergiques:

- la combustion utilise de l'O2 ambiant et libère différents gaz dont le dioxyde


de carbone: dans un espace clos, elle contribue doublement à la raréfaction
de I'O2 atmosphérique («hypoxémie hypoxique», voir plus haut: Effet des gaz
inertes) ;

- la production de gaz toxiques limite la capacité de transport en O2, entrave la


dissociation périphérique de l'oxyhémoglobine ou empêche l'utilisation de l'O2
par les des enzymes mitochondriales (asphyxiants tissulaires). Les principaux
agents impliqués dans l'un ou plusieurs de ces mécanismes sont le monoxyde
de carbone (CO), le cyanure d'hydrogène (HCN) et les agents
méthémoglobinisants évoqués plus haut.

En dehors des toxiques systémiques cités plus haut, les fumées contiennent de
nombreux irritants issus de processus de combustion ou de pyrolyse. En raison de
leur pH ou de leur pouvoir oxydant, ils sont directement toxiques pour les
muqueuses bronchiques, l'endothélium vasculaire et la membrane alvéolo-
capillaire (voir plus haut).

Les particules (suies, gouttelettes) contenues dans la fumée jouent un rôle


déterminant dans le transport et le dépôt de ces produits dans l'arbre
bronchique. Les particules de moins de 3 à 5 µm de diamètre qui prédominent
dans les fumées d'incendie sont capables d'atteindre les bronchioles distales et
déposent les substances toxiques adsorbées (suies constituées de carbone
élémentaire) ou dissoutes (gouttelettes).

L'irritation bronchique peut rester latente pendant plusieurs heures. En l'absence


d'effet thermique ou asphyxique significatif, le patient peut donc être peu
symptomatique lors de l'évaluation initiale.

Un haut degré de suspicion est nécessaire pour assurer un diagnostic précoce.

La recherche de facteurs de risque par l'anamnèse et l'examen clinique est


indispensable ( Tab. 8 ). Il faut être particulièrement attentif aux signes
alarmants qui annoncent l'obstruction imminente des voies respiratoires
supérieures: stridor, dyspnée, tirage, augmentation des efforts respiratoires... Les
bruits bronchiques provoqués par la présence de sécrétions épaisses et
abondantes sont parfois difficiles à distinguer du stridor laryngé. Aux stades
initiaux, wheezing et râles sibilants sont principalement dus à la
bronchoconstriction induite par les gaz irritants; ensuite, ils résultent surtout de
l'œdème et de l'accumulation de sécrétions.

En l'absence de toute difficulté respiratoire, certains signes doivent néanmoins


attirer l'attention : brûlures faciales, brûlures des vibrisses, odynophagie,
expectorations souillées de suies ou présence de suies dans les fosses nasales ou
le pharynx, hypoxémie, carboxyhémoglobinémie à plus de 10% (corrigée en cas
d'administration d'O2 avant la mesure), acidose lactique.

Toutes les victimes suspectes d'avoir inhalé de la fumée doivent être surveillées
au moins 4 à 6 heures dans une unité d'observation de courte durée. Toutes les
inhalations de fumée avérées doivent être prises en charge aux soins intensifs.
Un transfert vers un centre spécialisé pour grands brûlés ne se justifie que par les
lésions cutanées associées et impose une stabilisation respiratoire et
hémodynamique préalable.

évaluation

Les examens biologiques de base peuvent révéler un trou anionique (acidose


lactique liée à l'hypoxie tissulaire). Une hyperlactatémie en l'absence
d'hypoxémie, d'HbCO ou de MetHb importante suggère une intoxication HCN
significative. La fonction rénale doit être suivie, compte tenu du risque
d'insuffisance rénale aiguë (rhabdomyolyse, choc). Elévation des CK, de la
myoglobine et myoglobinurie peuvent témoigner de la rhabdomyolyse (brûlures
étendues, éboulements). Une souffrance myocardique est également possible.
La co-oxymétrie mesure l'HBCO et la MetHb non détectées par l'oxymètre de
pouls ou la SaO2 calculée généralement fournie avec l'analyse des gaz du
sang. Le rapport PaO2/FiO2 est un indice de gravité de l'atteinte
parenchymateuse (ALI < 300 mmHg ou ARDS < 200 mmHg).

La radiographie précoce sous-estime la sévérité des lésions pulmonaires car


l'atteinte est d'abord bronchique et non parenchymateuse. Ultérieurement, elle
peut montrer l'apparition de pneumonie ou d'atélectasie ou d'un infiltrat
interstitiel diffus témoignant de l'œdème pulmonaire non hémodynamique. La
présence d'infiltrats dès la première évaluation est un signe de gravité. Le
scanner pulmonaire permet de préciser les lésions parenchymateuses ou de
réaliser une «bronchofibroscopie virtuelle» par reconstruction tridimensionnelle. Si
les performances diagnostiques de la technique sont bonnes, elle ne permet ni
toilettes bronchiques, ni analyse cytologique, ni prélèvements bactériologiques.

La bronchofibroscopie est à la fois diagnostique et thérapeutique. L'évaluation


très précoce peut se limiter à une laryngofibroscopie par voie nasale pour
examiner les voies respiratoires supérieures, mais la bronchofibroscopie permet
d'examiner les voies aériennes depuis l'oropharynx jusqu'au bronches lobaires.
Un environnement sécurisé doit être assuré, en particulier pour intuber
rapidement le patient: en cas de doute, il est prudent d'enfiler une sonde
endotrachéale sur l'endoscope pour pouvoir l'insérer rapidement en cas de
nécessité. L'intubation «sur fibroscope» est d'ailleurs une technique élégante et
moins traumatisante dans cette situation. Les observations endoscopiques
(érythème, ulcérations muqueuses, dépôts de suies, œdème...) ont une certaine
valeur pronostique quant à la durée d'évolution, aux séquelles ou à la mortalité.
L'examen cytologique après lavage bronchiolo-alvéolaire pourrait contribuer au
diagnostic et au pronostic.

La scintigraphie pulmonaire au Xe133 permet d'identifier une répartition


inhomogène du gaz inhalé (hypoactivité par défaut de diffusion ou
hyperactivité par rétention), signe d'une obstruction bronchiolaire. Cet examen
est difficile à réaliser en cas d'insuffisance respiratoire et difficile à interpréter
chez les patients présentant une affection pulmonaire préalable. Il serait surtout
utile pour détecter des anomalies chez les sujets peu symptomatiques et ayant
des poumons préalablement normaux. Il pourrait aussi être complémentaire de
la bronchoscopie puisqu'il explore les bronches distales et les bronchioles
terminales, inaccessibles à l'endoscopie, préférentiellement atteintes par les
particules de petites tailles. Des radioaérosols contenant du technétium-99m
hexaméthylpropylène amine oxime (99mTc HMPAO) ou du technétium-99m
acide diéthylène triamine penta-acétique (99mTc-DTPA) ont aussi été utilisés.

Les épreuves fonctionnelles respiratoires (EFR) réalisées précocement sont


généralement normales ou montrent un syndrome obstructif modéré
(diminution du VEMS et du débit expiratoire de pointes). Le développement
d'une atteinte parenchymateuse (pneumopathie, atélectasies, œdème
pulmonaire) est associé à une réduction de la capacité vitale, de la capacité
résiduelle fonctionnelle et de la compliance (syndrome restrictif). L'implication
du résultat des EFR dans la prise en charge clinique n'est pas définie. De plus,
elles sont souvent difficiles à réaliser (toux, douleurs dues aux brûlures ou aux
traumatismes, effets des opiacés ou de l'alcool...) ou à interpréter en cas de
brûlures importantes de la cage thoracique. Les EFR pourraient constituer un
moyen de dépistage dans les situations d'urgence collective, impliquant de
nombreuses victimes potentiellement exposées aux fumées, mais sans atteinte
clinique évidente.

L'électrocardiogramme doit être réalisé de façon systématique. La souffrance


myocardique favorisée par l'hypoxie tissulaire peut en effet passer inaperçue
dans un tableau clinique complexe, dominé par les problèmes respiratoires.

Traitement
En dehors des mesures antidotiques spécifiques évoquées plus haut, le
traitement le l'inhalation de fumée est surtout conservateur et symptomatique.
Seuls les aspects propres à l'atteinte respiratoire seront évoqués ici,
indépendamment des autres soins requis par les brûlés.

- Des liquides doivent être administrés pour maintenir l'euvolémie, assurer la


diurèse et une perfusion tissulaire optimale. Les formules classiques (comme
celle de Parkland) peuvent être utilisées, voire majorées. Une réduction des
volumes administrés ne protège pas les poumons: au contraire, l'hypovolémie
risque de réduire le débit sanguin pulmonaire et d'accroître le stress oxydatif
généré par les neutrophiles. L'accumulation précoce de liquides dans les
poumons par augmentation de la perméabilité capillaire est rare chez les
patients brûlés.

- Le bronchospasme est un signe précoce, en particulier chez les patients


asthmatiques ou souffrant de BPCO. L'administration d'aérosols broncho-
dilatateurs β2-mimétiques ou d'adrénaline peut l'améliorer dans les premières
heures. Après 18 à 24 heures, l'obstruction bronchique est principalement liée au
développement de l'œdème et il est moins probable que les broncho-
dilatateurs apportent encore un bénéfice. L'adrénaline resterait le plus efficace
des β2-mimétiques. L'application d'une pression expiratoire positive (PEP) est
probablement aussi utile dans le contrôle de l'œdème. Le bronchospasme et
l'œdème des muqueuses augmentent le travail respiratoire.

- L'administration d'O2 humidifié à haute concentration est essentielle pour


prévenir l'hypoxémie et favoriser la clairance du CO. À côté de ses indications
dans l'intoxication au CO non discutées ici, des données animales suggèrent
que l'OHB pourrait aussi diminuer l'adhésion des neutrophiles et la perméabilité
capillaire.

- Une PEP doit être appliquée de façon prophylactique le plus précocement


possible, car elle prévient la détérioration de l'oxygénation liée au shunt
pulmonaire. Elle maintient la perméabilité des bronchioles œdématiées,
prévient la formation de moules bronchiques et limite l'exsudation liquidienne.
Une diminution de la mortalité a été observée.

- Près de 50% des patients exposés aux fumées de façon significative


nécessitent une intubation, plus fréquemment en cas de brûlures cutanées
associées. Elle est urgente en cas d'obstruction imminente des voies aériennes
supérieures, et il est préférable de ne pas attendre le développement d'un
stridor qui est un signe trop tardif: dans ces conditions, elle peut s'avérer très
difficile, voire impossible. L'œdème de la face et du cou doit conduire à une
méfiance extrême. Lorsqu'il y a un doute, le choix d'intuber est toujours
préférable. En cas d'échec de la première tentative, la cricothyroïdotomie est la
solution préférée. Dans les autres situations, l'indication doit être précisée sur
base des gaz du sang, d'une fibroscopie et de l'état général du patient
(altération de la conscience, instabilité hémodynamique), en gardant à l'esprit
que l'intubation endotrachéale abolit la toux et prédispose aux infections
respiratoires nosocomiales. Une sonde endotrachéale de gros calibre doit être
préférée (aspirations et fibroscopies itératives). Les petites sondes se bouchent
facilement. Si un mauvais choix a été fait initialement, la ré-intubation peut
s'avérer difficile en raison de l'œdème de la face et des voies respiratoires
supérieures qui ne régresse qu'après 4 à 5 jours. L'humidification doit être
optimale pour fluidifier les sécrétions. L'intubation naso-trachéale est proscrite,
compte tenu du risque important de sinusite. Le gonflement du ballonnet doit
être limité pour éviter de léser la muqueuse trachéale déjà fragilisée. Si
l'assistance respiratoire se prolonge, la réalisation d'une trachéotomie peut être
envisagée après quelques jours, sans alourdir la mortalité. Elle facilite les toilettes
bronchiques répétées. Elle doit être évitée en terrain brûlé, mais la réalisation
d'une trachéotomie 5 à 7 jours après greffe cutanée est possible.

- Comme en cas d'inhalation de gaz irritants, une stratégie ventilatoire


«protectrice» à petits volumes courants est recommandée d'emblée pour éviter
les lésions iatrogènes dans un contexte d'obstruction bronchique et de
poumons peu compliants. La ventilation percussive à haute fréquence (HFPV)
semble assurer un meilleur rapport PaO2/FiO2 que la ventilation classique. Elle
réduirait aussi l'incidence des infections respiratoires, des barotraumatismes, des
atélectasies et la mortalité, en favorisant la mobilisation des débris cellulaires et
des sécrétions, donc la perméabilité bronchiolaire. Chez les patients ayant déjà
développé un œdème pulmonaire lésionnel, elle réduit le shunt pulmonaire et
les pressions respiratoires. Il semble toutefois préférable de ne pas attendre
cette évolution et d'en faire un usage prophylactique, dès que l'assistance
respiratoire s'avère nécessaire. La position du patient et sa mobilisation
(drainage postural) sont d'autres éléments qui peuvent favoriser la clairance de
sécrétions.

- Les brûlures respiratoires et l'inhalation de fumée prédisposent clairement aux


infections: elles apparaissent généralement après 2 à 3 jours. L'antibiothérapie
prophylactique n'est toutefois pas indiquée car elle sélectionne des germes
résistants. L'usage des antibiotiques doit être guidé par des cultures répétées
des sécrétions bronchiques.

- La corticothérapie n'est pas indiquée car elle accroît l'incidence des infections
pulmonaires et la mortalité. Son usage doit être réservé au traitement du
bronchospasme réfractaire.

Certaines données, issues de l'expérimentation animale, suggèrent l'intérêt de


certaines approches thérapeutiques qui réduisent la formation de radicaux
libres ou la production de cytokines. Sans être exhaustif, mentionnons la
pentoxifylline et son précurseur, la lisofylline, la déféroxamine (IV seule,
complexée sur hydroxyéthylamidon, ou en aérosol), les inhibiteurs des
leucotriènes ou de l'adhésion des neutrophiles, le surfactant exogène, le
diméthyl-sulfoxyde, la superoxyde dismutase, l'héparine (IV ou en aérosol) dont
les propriétés anti-inflammatoires améliorent l'oxygénation, réduisent l'incidence
des barotraumas, la formation de moules bronchiques et l'œdème pulmonaire
dans un modèle animal. Une étude pédiatrique, utilisant des contrôles
«historiques», suggère un bénéfice possible chez l'homme, en association avec
la N-acétylcystéine.

D'autres approches expérimentales intéressantes sont la ventilation liquide


partielle et l'inhalation de NO qui améliorent le rapport ventilation/perfusion et
diminue la pression artérielle pulmonaire. Enfin, l'oxygénation et l'élimination du
CO2 extracorporelles ont été occasionnellement utilisées en cas d'insuffisance
respiratoire sévère prolongée. Une évaluation plus complète est nécessaire
préalablement à l'implémentation de ces approches en clinique.

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Principales références
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hydroxocobalamin for acute cyanide poisoning in smoke inhalation. Ann Emerg
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Danel V. Exposition à des vapeurs et gaz irritants.18es Journées de la Société
Francophone de Médecine d'Urgence. Paris: 16-18 avril 2003.
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Lheureux P, Leduc D, Askenasi R. Toxic gases and vapors exposures. JEUR 1993;
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Méthémoglobinémies

Vincent Danel

Une méthémoglobinémie se définit comme une accumulation intra-


érythrocytaire de méthémoglobine (MetHb), dérivé oxydé de l'hémoglobine
impropre au transport de l'oxygène dans le sang. Elle peut être d'origine
constitutionnelle, par anomalie de l'hémoglobine ou des systèmes enzymatiques
réducteurs; elle est le plus souvent acquise, induite par de nombreux agents
toxiques oxydants.

Diagnostic d'une méthémoglobinémie

Le diagnostic de méthémoglobinémie s'appuie sur trois éléments:

- la présentation clinique du patient;

- la mesure du taux de méthémoglobine;

- les circonstances de l'intoxication et les produits en cause.

La présence d'une cyanose dite «centrale», gris ardoisé, intéressant l'ensemble


du revêtement cutanéomuqueux en l'absence de toute cause cardiaque ou
pulmonaire, est évocatrice d'une méthémoglobinémie. Une teinte brun
chocolat du sang constatée lors des premiers prélèvements vient renforcer
cette hypothèse. En dehors d'une pathologie associée, les gaz du sang artériel
montrent une PaO2 normale ou même un peu élevée sous oxygène alors que
la SaO2 mesurée est abaissée (attention, la SaO2 calculée peut être normale).
L'oxymétrie de pouls conventionnelle n'est pas fiable en présence d'une
méthémoglobinémie et ne permet ni d'évoquer le diagnostic ni de surveiller
l'évolution ; de nouveaux oxymètres capables de mesurer la MetHb sont
disponibles depuis peu.

Les symptômes présents traduisent des degrés divers d'hypoxie tissulaire et sont
assez bien corrélés au pourcentage de méthémoglobine ( Tab. 1 ). Une
anémie associée, une pathologie cardio-pulmonaire préexistante peuvent
aggraver le tableau clinique.

Le diagnostic biologique de confirmation repose sur l'analyse


spectrophotométrique; la mesure du taux de MetHb est souvent systématique
lors de la mesure des gaz du sang sur les automates utilisés actuellement.

Le taux de méthémoglobine est exprimé en pourcentage de l'hémoglobine


totale.

L'identification du produit toxique est essentielle et repose principalement sur


l'anamnèse et l'interrogatoire.

Taux de méthémoglobine Symptômes


(en % de l'Hb totale)

0-15 Aucun
15-20 Cyanose clinique Sang «chocolat»

20-45 Dyspnée

Asthénie

Vertiges

Céphalées

Syncopes

45-55 Dépression nerveuse centrale

55-70 Coma

Convulsions Insuffisance circulatoire Troubles


du rythme

> 70 Décès possible

La liste des produits en cause est longue et chacun peut entraîner l'apparition
de symptômes propres qui vont s'ajouter à ceux provoqués par la seule méthé-
moglobinémie ( Tab. 2 ). Le délai d'apparition ainsi que la durée de la
méthémo-globinémie dépendent étroitement du toxique en cause.

Composés non organiques

- chlorates1

- nitrates et sous-nitrates

- nitrites

- oxydes d'azote (NO, NO2)

Composés organiques nitrés et aminés

- aminobenzène (aniline) et dérivés1

- benzocaïne

- bleu de méthylène

- métoclopramide3

- nitrites organiques

- nitrobenzène et dérivés

- nitroglycérine
- nitrotoluène et dérivés1

- phénazopyridine (pyridium)

- phénylacétamide et dérivés (acétanilide, phénacétine)1,2

- primaquine et pentaquine

- sulfamides

- sulfones (dapsone)2

Autres composés organiques

- quinine

- résorcine
1. Également hémolysants;
2. Également sulfhémoglobinémiants;
3. Chez le nouveau-né seulement (surtout prématuré).

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Traitement

Il comporte trois volets: symptomatique, évacuateur et spécifique.

Traitement symptomatique

Il constitue la première phase du traitement:

- traitement des signes cliniques associés: correction d'une hypotension


artérielle, administration d'anticonvulsivants, contrôle des voies aériennes chez
le comateux, etc. ;

- administration d'oxygène par masque à haute concentration ou après


intubation trachéale.

Décontamination et épuration digestive

Cette étape est capitale dans la correction d'une méthémoglobinémie afin


d'éviter des pseudo-échecs du traitement spécifique. L'élimination du toxique
dépend des circonstances de l'intoxication, et de l'agent en cause:

- déshabillage et décontamination cutanée prolongée avec de l'eau et du


savon lors d'une exposition cutanée. Le personnel soignant doit être protégé
par le port de gants;

- administration de doses répétées de charbon activé dans le cas particulier


d'une ingestion de dapsone.
Traitement spécifique : bleu de méthylène

Modalités

Le traitement est réalisé par l'administration de bleu de méthylène en présence


de symptômes d'hypoxie et/ou d'un taux de méthémoglobine supérieur à 20%.
La résorption digestive du bleu de méthylène étant variable, seule la voie
injectable est recommandée en urgence.

On injecte par voie veineuse 1 à 2 mg/kg de poids corporel de la solution à 1 %


(soit 0,1 à 0,2 ml/kg). L'injection doit être strictement intraveineuse, une
extravasation du produit pouvant conduire à des nécroses tissulaires. Le respect
de la posologie ainsi qu'une perfusion suffisamment lente permettent d'éviter,
en pratique, l'apparition d'effets secondaires.

L'effet du bleu de méthylène est rapide et la cyanose doit s'atténuer dans


l'heure qui suit l'injection. À défaut de correction des symptômes 1 heure après
la première injection, la même dose de 1 mg/kg peut être répétée. La dose
totale administrée ne doit pas dépasser 7 mg/kg.

La coloration bleu-vert des urines est due à l'excrétion rénale du bleu de


méthylène sous forme inchangée.

L'efficacité du traitement doit être contrôlée par la répétition de la mesure des


taux de méthémoglobine; la seule coloration des téguments n'est pas un bon
critère de jugement.

Échec du traitement

Il peut être dû à:

- un déficit en G6PD;

- une poursuite de la résorption digestive ou cutanée du toxique, ou une


formation cyclique de méthémoglobine par celui-ci;

- l'existence d'une sulfhémoglobine, soit isolée, soit associée, certains toxiques


provoquant la formation simultanée de méthémoglobine et de
sulfhémoglobine;

- l'existence d'une hémolyse associée.

Contre-indications

Elles sont rares:

- allergie vraie et connue au bleu de méthylène;

- insuffisance rénale sévère: l'excrétion rénale prédominante du bleu de


méthylène doit conduire à une réduction de la posologie et à une surveillance
particulière de la fonction rénale;

- le déficit en G6PD est également une contre-indication classique; le bleu de


méthylène est non seulement inefficace mais peut aussi entraîner l'apparition
d'une anémie hémolytique;

- l'exceptionnel déficit en NADPH-réductase est une contre-indication qui reste


théorique en urgence (à moins qu'il soit connu).

Effets secondaires

Les effets secondaires rapportés du bleu de méthylène sont toujours liés à


l'utilisation de doses excessives et/ou à des injections trop rapides. On peut
observer des douleurs thoraciques, une dyspnée, une anxiété, des
tremblements, une hypertension et même une coloration de la peau, à ne pas
confondre avec la cyanose. Des cas d'anémie hémolytique avec formation de
corps de Heinz ont été rapportés lors d'intoxications par dapsone et aniline
traitées par bleu de méthylène. Une hémolyse importante n'est décrite que lors
d'un déficit en G6PD.

Exsαnguino-trαnsfusion

Elle est indispensable chaque fois que le pronostic vital immédiat est en jeu et
que l'échec du bleu de méthylène est prévisible:

- méthémoglobinémie massive (taux de méthémoglobine supérieur à 60-70 %) ;

- hémolyse associée à la méthémoglobinémie, en particulier avec l'aniline, les


chlorates de sodium et de potassium;

- sulfhémoglobinémie, isolée ou associée à une méthémoglobinémie. La


formation de sulfhémoglobine étant irréversible, l'exsanguino-transfusion
s'impose dans les cas d'intoxications sévères.

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Principales références
Curry S. Methemoglobinemia. Ann Emerg Med 1982; 11 : 214-221.
Danel V. Le bleu de méthylène. In: Baud F, Barriot P, Riou B, eds. Les antidotes.
Paris: Masson, 1992: 29-41.
Testud F, Payen C, Roche R, Charrier D. Méthémoglobinémie prolongée après
ingestion accidentelle de nitrobenzène. JEUR 2006; 19: 33-36.
Umbreit J. Methemoglobin : it's not just blue. A concise review. Am J Hematol
2007; 82: 134-144.
Métaux

Philippe Hantson

Les intoxications par les métaux sont principalement du domaine de la


pathologie professionnelle. Aussi ce chapitre n'abordera-t-il que les formes
aiguës d'intoxication par des métaux pouvant conduire le patient à consulter
en urgence. La connaissance des propriétés physico-chimiques des métaux
(forme élémentaire, organique ou inorganique) est un élément d'appréciation
important de leur toxicité. Comme il s'agit le plus souvent d'ingestions volontaires
ou accidentelles, les projections oculaires ou cutanées ne seront pas
envisagées. L'intoxication par le plomb est un domaine particulier puisqu'elle est
bien plus fréquemment consécutive à une exposition chronique et qu'elle
touche préférentiellement les enfants.

Quand songer à une intoxication par les métaux ? Bilan de gravité

Il faut essentiellement suspecter une intoxication grave par ingestion de métaux


lorsque les manifestations multisystémiques semblent se rapporter aux tableaux
suivants:

- tableau digestif: souvent au premier plan, pouvant associer des nausées, des
vomissements, des douleurs abdominales et des diarrhées qui peuvent évoluer
vers des pertes liquidiennes extrêmement importantes proches du «choléra».
Une hypovolémie significative et non compensée aura des répercussions sur la
pression artérielle, d'autant plus que certains métaux peuvent entraîner une
vasoplégie;

- tableau rénal: oligurie par une atteinte d'abord fonctionnelle (hypovolémie) et


partiellement réversible, puis organique;

- tableau neurologique: encéphalopathie, plus rarement coma. Neuropathie


périphérique d'apparition plus tardive.

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Quelques situations à connaître

Ingestion accidentelle (accident avec ancien thermomètre) ou volontaire de


mercure élémentaire

- Ne pose pas de problème particulier, même en quantité importante.

- Surveillance brève de la fonction rénale, traitement de support, pas de


chélateurs.

- Embolisation dans la circulation pulmonaire si le mercure élémentaire a été


injecté par voie intraveineuse.

Ingestion de mercure organique

- Effets neurotoxiques marqués.

- Chélation potentiellement dangereuse pour les formes alkylées.


Ingestion de mercure inorganique

- Effets corrosifs marqués, troubles digestifs, insuffisance rénale, collapsus.

- Chélation indiquée.

- Hémodialyse si atteinte rénale significative.

Ingestion suicidaire ou criminelle d'arsenic

- Toujours dangereuse et le plus souvent mortelle pour la forme trivalente As2O3.

- Tableau diarrhéique sévère, collapsus, insuffisance rénale, atteinte


neurologique centrale et périphérique.

- Chélation indiquée, support des fonctions vitales, hémodialyse le plus souvent


requise.

Ingestion de thallium

- Troubles digestifs suivis après 1 à 5 jours de troubles neurologiques


(paresthésies, dysesthésies) débutant par les membres inférieurs.

- Évolue vers une paralysie ascendante, atteinte neurologique centrale possible,


dysautonomie.

- Pas de chélation efficace, pas d'indication d'hémodialyse si fonction rénale


préservée.

Ingestion de baryum inorganique

- Troubles digestifs suivis de paresthésies des extrémités, de fasciculations, de


myoclonies, puis de paralysie y compris respiratoire.

- Atteinte myocardique.

- Hypokaliémie de transfert, très sévère et à corriger avec prudence.

- Pas de chélation efficace, pas d'indication d'hémodialyse si fonction rénale


préservée.

Ingestion volontaire de fer

- Forme de suicide fréquente chez la femme enceinte. Dangereuse à partir de


60 mg/kg et potentiellement mortelle à partir de 150 mg/kg.

- Troubles digestifs précoces, hypovolémie, insuffisance rénale, collapsus.

- Dans les formes très sévères et plus tardivement: acidose métabolique,


hépatite cytolytique, coagulopathie de consommation.

- Chélation indiquée si dose ingérée supérieure à 150 mg/kg et/ou si signes


cliniques sévères d'intoxication et/ou si sidérémie supérieure à 500 µg/dl
(indication relative).

- Hémodialyse selon la sévérité de l'atteinte rénale.


Ingestion suicidaire de sulfate de cuivre

- Toujours sérieuse, associant troubles digestifs, hémolyse, cytolyse hépatique et


atteinte tubulaire rénale.

- Pas d'évidence d'efficacité d'un traitement chélateur pour les intoxications


aiguës.

Ingestion de sels de zinc

- Le chlorure de zinc est un agent corrosif: lésion des muqueuses digestives. Par
contre, manifestations systémiques habituellement modérées
(encéphalopathie).

- Élimination essentiellement digestive. Pas d'indication de traitement chélateur.

Intoxication aiguë par le plomb

- Rarissime chez l'adulte, suppose une ingestion massive ou une administration


parentérale d'un dérivé inorganique.

- Manifestations digestives, hémolyse modérée, atteinte hépatique et tubulaire


rénale; signes neurologiques d'abord modérés (céphalées).

- Une plombémie supérieure à 1 000 µg/l le lendemain de l'exposition signe une


intoxication sévère. En l'absence de traitement, une évolution vers le saturnisme
chronique est possible.

- Le traitement chélateur associe deux agents (EDTA ou succimer et


dimercaprol). Ce traitement est également celui de l'encéphalopathie
saturnine (manifestations neurologiques aiguës des formes chroniques, pour une
plombémie chez l'adulte souvent supérieure à 2 000 µg/l).

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Quelles sont les investigations plus spécifiques à réaliser?

- Dosages toxicologiques: à réaliser de préférence sur une collecte urinaire de


24 heures. Les concentrations tant sanguines qu'urinaires n'ont pas de valeur
pronostique comme telles mais permettent d'affirmer l'exposition et de surveiller
l'élimination du métal sous l'effet du traitement.

- Radiographie de l'abdomen sans préparation: elle permet, en cas de délai


court, de détecter la présence d'éléments métalliques dans le tube digestif.

- Radiographie du thorax: elle permet, parfois, de visualiser des embolisations


pulmonaires périphériques de mercure métallique lorsque ce dernier a été
injecté par voie intraveineuse.

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Quelles sont les techniques d'évacuation digestive ou d'épuration sanguine


réellement utiles?
Évacuation digestive

- Vomissements provoqués: aucune indication reconnue, même en dehors des


intoxications par les métaux. À bannir ici, car un grand nombre de métaux ont
des propriétés toxiques.

- Lavage gastrique: à proposer lorsque le délai est court (idéalement moins de 1


heure), d'autant plus qu'il existe une évidence indirecte (radiologique) de
métaux dans la partie haute du tube digestif ou de conglomérats de
comprimés de fer, par exemple, dans l'estomac.

- Charbon activé, dose unique ou doses multiples: notoirement inefficace lors


de l'ingestion de métaux, avec peut-être une faible efficacité pour le chlorure
mercurique ou le thallium.

- Le bleu de Prusse contribue à l'élimination digestive du thallium mais peut être


remplacé par du charbon activé si indisponible.

- « Neutralisants» ou «précipitants» à administrer par voie digestive: aucune


efficacité démontrée.

- Irrigation intestinale totale: documentée principalement lors de l'ingestion de


fer, mais également de plomb et de zinc. Habituellement réalisée en utilisant
des solutions de polyéthylène glycol destinées à la préparation colique. Aucune
étude contrôlée randomisée ne démontre un effet sur le pronostic. Des études
réalisées chez des volontaires pourraient montrer une certaine réduction de la
biodisponibilité du toxique.

Épuration rénale ou extra-rénale

- Le rein constitue la principale voie d'élimination des métaux. La diurèse doit


être entretenue le plus précocement possible par un remplissage vasculaire
adapté.

- L'hémodialyse est initiée lorsque la fonction rénale devient inadéquate.

Tant l'hémodialyse que d'autres techniques comme l'hémoperfusion ne


modifient en rien le pronostic de l'intoxication aiguë, même si elles contribuent à
l'élimination du toxique lorsque le rein est défaillant.

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Quels sont les chélateurs disponibles et utiles ?

Le traitement des intoxications aiguës par les métaux est essentiellement


symptomatique. En particulier, le maintien d'une volémie correcte doit favoriser
l'élimination urinaire. Les chélateurs permettent d'améliorer la mobilisation du
métal mais ne modifient pas le pronostic des intoxications sévères.

Dimercaprol ou BAL

- Utile dans les intoxications par l'arsenic et le mercure (sauf le pour Hg


élémentaire, peu toxique, et pour les dérivés diméthylés car inefficace) mais
également le plomb.
- À administrer par voie IM stricte (injection douloureuse), à la dose initiale de 4
mg/kg puis à dose identique toutes les 4 heures.

- Réduire à 2 mg/kg toutes les 12 heures si insuffisance rénale.

- Durée du traitement en fonction de l'élimination du métal.

- Effets secondaires précoces, fréquents et proportionnels à la dose:


tachycardie, hypertension, troubles digestifs...

Acide dimercaptosuccinique ou succimer (Succicaptal®)

- Chélateur dans les intoxications par le plomb (surtout les formes chroniques et
infantiles), mais aussi par le mercure ou l'arsenic.

- À administrer per os à la dose de 10 mg/kg/8 h pendant 5 jours (peut être


poursuivi pendant 2 semaines à la dose de 10 mg/kg/12 h).

- Peu d'effets secondaires: éosinophilie, augmentation des transaminases...

Calcium édétate de sodium ou EDTA calcique

- Intoxication par le plomb (y compris test diagnostique).

- Ampoule de 500 mg/10 ml à administrer en perfusion intraveineuse lente (1 h)


après dilution dans 250 ml de sérum physiologique ou de glucose. Dose usuelle:
1 à 2 ampoules/j pendant 5 jours.

- Effets secondaires: réactions allergiques, hypotension.

Déféroxamine (Desféral®)

- Utile dans les intoxications par le fer et l'aluminium.

- De préférence par voie IM, 1 gramme jusqu'à un maximum de 6 g/j.

- En cas d'administration IV, ne pas dépasser 15 mg/kg/h.

- Effets secondaires: hypotension marquée, parfois choc. Complications


infectieuses possibles.

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Principales références
Clarkson TW, Magos L. The toxicology of mercury and its chemical compounds.
Crit Rev Toxicol 2006; 36: 609-662.
Hantson P, Lula F, Lievens M, Mahieu P. Extremely high plasma zinc following zinc
chloride ingestion. J Toxicol Clin Toxicol 1998; 36: 375-377.
Isbister GK, Dawson AH, Whyte IM. Arsenic trioxide poisoning: a description of
two acute overdoses. Hum Exp Toxicol 2004; 23: 359-364.
Koch M, Appoloni O, Haufroid V, Vincent JL, Lheureux P. Acute barium
intoxication and hemodiafiltration. J Toxicol Clin Toxicol 2003; 41 : 363-367.
Kosnett MJ, Wedeen RP, Rothenberg SJ, et al. Recommendations for medical
management of adult lead exposure. Environ Health Perspect 2007; 115:
463-471.
Lin JL, Lim PS. Massive oral ingestion of elemental mercury. J Toxicol Clin Toxicol
1993 ; 31 : 487-492.
Mills KC, Curry SC. Acute iron poisoning. Emerg Med Clin North Am 1994; 12: 397-
413.
Produits Phytosanitaires

Patrick Harry

Les intoxications par les pesticides recensées au niveau national par les Centres
antipoison et de toxicovigilance français en 2006 ont concerné 8 461 cas (4%
des cas d'intoxications) et 15% d'entre elles sont volontaires. Elles sont dues
souvent au déconditionnement des produits dans des flacons alimentaires ou à
une mauvaise utilisation des produits, sans précautions élémentaires, en les
laissant accessibles aux enfants. Les produits de jardinage ont des compositions
identiques à celles des produits agricoles mais sont moins concentrés et leur
présentation en pulvérisateur prêt à l'emploi diminue les risques. Dans tous les
cas, il faut considérer l'exposition aux produits commerciaux et non pas à la
seule molécule active car les solvants et les surfactants qui entrent dans la
composition interviennent pour une part non négligeable dans la toxicité. La
connaissance de la présentation du produit et les circonstances détaillées de
l'exposition (tels les symptômes rythmés par l'exposition, l'absence de protection,
le travail contre le vent, le temps d'exposition et la dilution du produit) sont les
éléments clefs du diagnostic, de l'évaluation des risques et de la conduite à
tenir. Dans ce chapitre seront traitées les intoxications par les pesticides
auxquelles les services d'urgence sont régulièrement confrontés, incluant
certains produits retirés du marché toujours à l'origine d'intoxications en raison
du stockage illicite. Les expositions sans risques sont résumées dans le tableau 1.

Engrais

Les engrais contiennent essentiellement de l'azote, du phosphore, du potassium


(NPK) et des oligo-éléments concentrés. L'ingestion accidentelle de quelques
gorgées d'engrais dilué est sans danger alors que l'ingestion importante
d'engrais concentré provoque une hyperkaliémie aiguë précoce qui engage le
pronostic vital. La concentration élevée en fer de certains engrais est à prendre
en compte. L'exposition professionnelle à la cyanamide calcique induit des
irritations cutanées ou respiratoires et peut être à l'origine d'un syndrome
antabuse en cas d'ingestion d'alcool. Les engrais végétaux tel le tourteau de
ricin provoquent des allergies.

Engrais Les engrais dilués prêts à l'emploi et les conservateurs de


fleurs coupées sont sans risque pour des doses d'un verre
chez l'adulte ou l'enfant. L'ingestion de quelques grains
d'engrais pour plantes vertes ne nécessite qu'une dilution
par un verre d'eau

Rodenticides Quelques grains de souricide ou raticide antivitamine K


prétraités ingérés par l'enfant sont sans risque (concentration
< 0,005 %), ou à base de cholécalciférol à 0,1%, de
scilliroside à 0,03% ou de crimidine à 0,1%

Corvicides L'anthraquinone est réputée non toxique

Hélicides L'ingestion de quelques grains anti-limaces concentrés à 5%


de métaldéhyde ne provoque aucun symptôme chez
l'enfant

Anti-fourmis Les expositions orales aux anti-fourmis (boîte appâts, gels,


pulvérisateurs) sont toujours bénignes chez l'enfant, en
particulier l'ingestion accidentelle d'un peu de gel à 2% de
diméthyl arséniate

Insecticides Les plaquettes insecticides sucées ou mâchées par l'enfant


ou l'ingestion de quelques millilitres du liquide des diffuseurs
électriques sont sans danger de même que quelques grains
antimouches à 1% de méthomyl (par exemple Golden
Malrin Muscamone®)

Herbicides L'ingestion accidentelle d'une gorgée d'herbicide dilué pour


l'épandage à base de glyphosate ou de sulfosate est
habituellement sans symptômes

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Rodenticides

Alpha-chloralose

L'alpha-chloralose ou glucochloral, autrefois utilisé comme anesthésique, est


présenté en poudre ou en appâts concentrés de 10 à 100 %. Il est bien absorbé
par le tube digestif puis glucuroconjugué par le foie. Son excrétion est urinaire
sous forme libre et surtout sous forme conjuguée à une concentration 5 à 10 fois
supérieure. Sa demi-vie apparente est de 4 à 5 heures. L'excrétion urinaire est
indépendante du débit urinaire.

Les signes toxiques apparaissent en 1 à 2 heures après l'ingestion. Il s'agit d'une


ébriété, de tremblements et de vomissements. Pour des doses de 1 gramme
chez l'adulte et de 20 mg/kg chez l'enfant, une encéphalopathie myoclonique
puis un coma ou des convulsions sont observés. Les myoclonies sont amplifiées
par des stimuli divers. Une hypersécrétion salivaire et bronchique est
caractéristique. L'électroencéphalogramme révèle un tracé ralenti avec des
ondes delta de 2-3 cycles/s de grand voltage et à prédominance frontale et
des pointes-ondes symétriques et synchrones. Aucune manifestation
électrocardiographique ou hémodynamique n'est observée. L'encombrement
pulmonaire est la principale complication, les rhabdomyolyses sont rares.
L'œdème cérébral est exceptionnel. Le coma au chloralose dure
habituellement moins de 3 jours. Les intoxications prolongées sont dues à des
ingestions massives ou à l'absence de décontamination digestive précoce. Des
états de mort apparente avec électroencéphalogramme « plat » (nul) ont été
décrits.

La guérison est de règle sans séquelle. Le diagnostic est établi par la détection
du chloralose libre dans l'urine des 3 premiers jours par la réaction colorimétrique
de Fujiwara modifiée. Lorsque le diagnostic est évoqué tardivement, l'hydrolyse
des dérivés conjugués révèle le chloralose. L'encéphalopathie myoclonique
correspond à des concentrations plasmatiques de chloralose libre inférieures à
5 mg/l et un coma profond est observé au-delà. Les décès préhospitaliers
correspondent à des concentrations plasmatiques habituellement supérieures à
40 mg/l. Une concentration sanguine de 180 mg/l est compatible avec une
guérison.

Le charbon activé est indiqué à la phase précoce. Une irrigation intestinale par
le PEG 4000 s'est avérée utile à la phase symptomatique d'intoxications
massives. Les myoclonies ou les convulsions cliniques sont aisément contrôlées
par une benzodiazépine de demi-vie brève tel le midazolam. Une intubation
trachéale est nécessaire en cas de coma et une ventilation mécanique en cas
de dépression respiratoire amplifiée par la sédation médicamenteuse. Il est
inutile de chercher à supprimer les pointes-ondes électroencéphalographiques
par un barbiturique qui prolonge inutilement le coma. La curarisation est contre-
indiquée car elle peut masquer un état de mal convulsif non contrôlé et les
morphiniques n'ont aucune indication. Une dose de 10 μg/kg d'atropine
diminue l'hypersécrétion bronchique. Une polyurie induite ne change pas
l'évolution.

Strychnine

La strychnine est un alcaloïde extrait des graines de Strychnos nux vomica. Elle
était utilisée comme taupicide mais l'intoxication est devenue rare depuis son
interdiction d'utilisation en France en 1999. La coloration bleue de certains
produits est due au bleu de méthylène mais les colorants vert, noir ou rouge
étaient autorisés. La strychnine agit par compétition avec la glycine,
neurotransmetteur essentiellement médullaire qui inhibe le réflexe
polysynaptique.

Elle favorise l'activation des motoneurones à la moindre stimulation sensorielle.


Elle est rapidement absorbée par le tube digestif, surtout pour les présentations
liquides. Sa demi-vie est de 10 heures. L'élimination urinaire représente 1 à 20%
de la dose ingérée.

L'intoxication est potentiellement mortelle dans un dé lai de 30 minutes en


l'absence d'assistance respiratoire. Le plus souvent, des vomissements, des
spasmes musculaires, une hyper-réflexie généralisée, une hypersensibilité aux
stimuli, un trismus ou un faciès sardonique sont les premiers symptômes. Un
blocage respiratoire en pleine conscience peut survenir. À la phase de coma,
une hypertonie généralisée, des fasciculations musculaires spontanées ou
provoquées, des mouvements oculaires anormaux sont très évocateurs de
l'intoxication par la strychnine. Les convulsions sont rares. La coloration bleu-vert
des urines est inconstante. La mort préhospitalière résulte essentiellement d'une
paralysie respiratoire et d'une anoxie. Les intoxiqués ayant bénéficié d'une
intervention médicale précoce guérissent toujours sans séquelles en 24 à 48
heures. Parfois des douleurs musculaires résiduelles sont ressenties les premiers
jours.
Le diagnostic est fait par le dosage de la strychnine plasmatique ou urinaire par
chromatographie liquide. Des formes mortelles sont recensées avec des
concentrations plasmatiques de 0,5 à 3 mg/l. Des concentrations plasmatiques
de 10 mg/l ou plus sont compatibles avec une guérison si le traitement est
précoce.

L'intervention préhospitalière des services médicaux mobiles (SMUR) est


indispensable en cas de suspicion d'intoxication à la strychnine. La sédation par
le diazépam, l'intubation trachéale et la ventilation contrôlée sont les trois
éléments clés du traitement. De fortes doses de diazépam sont parfois
nécessaires les premières heures. Les curares polarisants sont contre-indiqués et
les curares dépolarisants sont déconseillés car ils risquent de masquer un état de
mal épileptique en l'absence de surveillance EEG. Une fois la situation
respiratoire du patient stabilisée, le charbon activé peut être instillé par la sonde
gastrique.

Rodenticides antivitamines K

Les molécules les plus fréquemment en cause sont la chlorophacinone, la


diféthialone, la bromadiolone, le coumafène (ou warfarine) et le difénacoum.
Ces rodenticides sont caractérisés par une demi-vie plasmatique de plusieurs
jours qui explique la durée de leurs effets. Ils bloquent la synthèse hépatique des
facteurs vitamine K-dépendants (facteurs II, VII, IX, X).

L'ingestion unique de quelques grains pré traités à faible concentration (< 0,005
%) par l'enfant n'expose à aucun risque. Toute ingestion volontaire ou
accidentelle de chlorophacinone liquide concentrée 2,5 g/l (0,25 %) expose au
risque hémorragique dans les jours ou semaines qui suivent et nécessite une
surveillance du taux de prothrombine (TP) ou de l'INR pendant 48 heures. Il ne
faut jamais prescrire la vitamine K1 de principe sans avoir confirmé l'intoxication
par une baisse du TP à moins de 60% ou un INR supérieur à 1,5. Dans ce cas, la
vitamine K1 orale sous forme d'ampoules est prescrite à la dose de 1 à 1,5
mg/kg/j chez l'adulte et l'enfant, en une prise orale quotidienne. La vitamine K1
par voie veineuse n'est pas plus efficace.

Le diagnostic peut être confirmé par le dosage plasmatique de l'AVK. Les


concentrations plasmatiques de la chlorophacinone responsables d'un
syndrome hémorragique varient habituellement de 0,5 à 60 mg/l selon la date
séparant le prélèvement de l'ingestion. Le dosage du raticide plasmatique
permet d'étayer les récidives et de les différencier d'une intoxication prolongée.
L'autre intérêt est thérapeutique. Le prélèvement sanguin peut être réalisé tous
les 8 jours pour déterminer la demi-vie de la chlorophacinone et estimer la
durée du traitement par la vitamine K1, qui est en moyenne de 3 semaines.

À la phase symptomatique, le diagnostic d'intoxication est évoqué devant des


hémorragies externes ou internes et confirmé par une chute des facteurs
vitamine K-dépendants. Le traitement nécessite alors la perfusion des facteurs
PPSB qui restaurent instantanément l'hémostase en attendant l'action de la
vitamine K1. Lorsque la demi-vie de la chlorophacinone est très longue, une
induction enzymatique par le phénobarbital à la dose de 100 mg/j réduit la
durée du traitement.
Scilliroside

Le scilliroside est un hétéroside extrait de la Scille rouge, proche des digitaliques.


Les préparations commerciales en contiennent moins de 0,03 %. Il s'agit d'une
intoxication de bon pronostic. Le scilliroside est absorbé rapidement, sa demi-vie
est de l'ordre de 3 heures et son élimination est urinaire. Quelques grains ingérés
par l'enfant sont sans risque, une ingestion volontaire peut exposer à un risque
certain.

Les symptômes sont précoces avec des vomissements, parfois une diarrhée.
Une somnolence ou exceptionnellement des convulsions sont possibles. Dans un
délai de plusieurs heures, des signes identiques à ceux de l'intoxication
digitalique apparaissent, parfois prolongés plusieurs jours. Il s'agit de blocs
auriculo-ventriculaires, de bradycardie et de troubles du rythme ventriculaire.
L'hyperkaliémie témoigne du blocage de l'ATPase.

Le diagnostic peut être évoqué par la détection plasmatique de la « digitoxine


” apparente qui ne doit pas être interprétée sur le plan quantitatif car il s'agit
d'une réaction croisée. Le dosage spécifique du scilliroside est possible par
certains laboratoires de toxicologie. Le traitement comporte l'administration
précoce de charbon activé. L'atropine est justifiée en cas de bradycardie. En
cas de complications cardiaques, le traitement par l'immunothérapie Fab
antidigoxine peut être envisagé mais la posologie reste à préciser.

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Herbicides

Chlorophénoxyherbicides et apparentés

Les chlorophénoxyherbicides (phytohormones de synthèse) sont des herbicides


sélectifs. Les molécules les plus souvent en cause sont l'acide 2,4-D, le MCPA, le
MCPP ou mécoprop, le 2,4,5-T et le dicamba. Il s'agit d'acides faibles dont le pK
est situé entre 2,6 et 4,8. Ces herbicides provoquent des altérations
mitochondriales et ils sont découpleurs des réactions oxydatives.

L'absorption par le tube digestif a lieu en quelques heures et l'élimination


urinaire, active et saturable, est pH-dépendante. Lorsque les pH sanguin ou
urinaire sont augmentés, la demi-vie diminue et l'excrétion urinaire augmente
d'un facteur 1 000 pour le 2,4-D. La diurèse forcée sans augmentation du pH
urinaire ne modifie pas l'élimination. La pénétration cellulaire sous forme
associée et, donc, la toxicité sont majorées par l'acidose.

L'ingestion de plusieurs grammes est toxique et celle de plusieurs dizaines de


grammes est potentiellement létale. Les signes apparaissent dans un délai de
moins de 1 heure à plusieurs heures selon la dose : vomissements, irritation
pharyngée, céphalées, sueurs, puis diarrhée. Les troubles de la conscience, un
coma puis des convulsions, une dyspnée et une hypotension artérielle
caractérisent les formes graves. Une hypertonie musculaire (myotonie) est
caractéristique et peut durer plusieurs jours. L'électrocardiogramme révèle une
tachycardie sinusale et une inversion des ondes T. Les signes biologiques
précoces sont une acidose métabolique, une hyperkaliémie, une augmentation
des CPK, une hypocalcémie et une hypoglycémie. Dans les heures et jours
suivants, une hyperthermie parfois maligne, un coma prolongé, une
rhabdomyolyse, une cytolyse hépatique, une insuffisance rénale aiguë sont les
complications habituelles des intoxications massives ou insuffisamment traitées.
Les critères précoces de gravité sont les troubles de la conscience, une
hypotension artérielle et une acidose métabolique avec un pH inférieur à 7,30.

Le diagnostic peut être confirmé par le laboratoire de toxicologie. Les


concentrations plasmatiques supérieures à 100 mg/l sont « toxiques » et celles
de 300 à 500 mg/l sont potentiellement létales. Des survies ont cependant été
signalées à des concentrations plasmatiques de 1 g/l. La concentration
mesurée sur sang total est 2 fois plus élevée que celle du plasma. La
concentration doit tenir compte du pH pour être interprétée.

Le traitement repose sur une aspiration digestive précoce de ces présentations


liquides, surtout les esters et le 2,4,5-T d'absorption digestive lente. Une irrigation
digestive par le PEG 4000 est préconisée lors d'ingestions massives.
L'alcalinisation est le traitement le plus important d'emblée. Il s'agit d'obtenir un
pH sanguin supérieur à 7,40 et un pH urinaire à 8 de façon prolongée durant
plusieurs jours, c'est-à-dire tant que l'herbicide est détecté dans le sang ou les
urines. On conseille une dose de charge en bicarbonate de 1 à 2 mEq/kg le
plus précocement possible puis une dose identique sur 24 heures. L'hémodialyse
prolongée permet d'obtenir une clairance de 70 ml/min et est préconisée dans
les intoxications cliniquement graves.

Paraquat et diquat

Le diquat est commercialisé en France sous le nom de marque Réglone 2®; le


paraquat est retiré du marché européen depuis juillet 2007. Ce sont des
ammoniums quaternaires corrosifs qui provoquent une oxydation radicalaire de
l'oxygène moléculaire (Voir chapitre Paraquat).

Un état de choc, un œdème pulmonaire, une anurie caractérisent l'intoxication


suraiguë par ingestion.

Pour le paraquat, l'ingestion d'une gorgée (30 à 50 mg/kg) provoque des


vomissements, une œsophagite et une gastrite. Dans les heures ou les jours
suivants, selon la dose ingérée, apparaissent une hépatite modérée, une
insuffisance rénale tubulaire puis un œdème pulmonaire vers le 10e jour. Le
décès est du à une hypoxémie réfractaire et la fibrose pulmonaire est à l'origine
de séquelles. Le contact cutané prolongé provoque une brûlure qui, même
localisée, est responsable d'intoxications systémiques sévères ou mortelles.
L'intoxication due à l'injection intraveineuse de paraquat est constamment
mortelle.

Le diquat peut donner des signes systémiques identiques par ingestion mais ne
donne pas de fibrose pulmonaire ni d'intoxication systémique en cas de brûlures
cutanées. Son inhalation peut être responsable de bronchospasmes.

Le diagnostic repose soit sur le dosage du paraquat plasmatique dont la


concentration a une valeur pronostique les 24 premières heures, soit sur une
identification du paraquat ou du diquat dans les urines en raison d'une
élimination urinaire prolongée sur plusieurs semaines. Le pronostic de
l'intoxication au paraquat par ingestion repose sur les signes cliniques tels que
une dose ingérée supérieure à 30 mg/kg, l'ingestion estomac vide, des lésions
endoscopiques digestives, un test au dithionite de sodium urinaire positif. Ce
test, réalisable en urgence, consiste à mélanger 1 ml d'urine avec 0,5 ml de
soude (1 N) et de dithionite de sodium à 1%. La coloration bleu pâle révèle le
paraquat, la coloration bleu foncé annonce un mauvais pronostic. Le score
biologique de Yamaguchi prédictif du décès dans les 48 premières heures est
fondé sur la détermination plasmatique du potassium, des bicarbonates et de la
créatinine. Un score APACHE II supérieur à 13 est également prédictif de
mortalité.

Toute exposition cutanée nécessite une douche prolongée immédiate.


L'ingestion est à traiter par l'administration précoce de charbon activé puis par
le lavage gastrique en l'absence de vomissements. Il n'y a pas d'antidote et
l'épuration extrarénale ne modifie pas le pronostic. L'association corticoïdes et
cyclophosphamide reste à valider. La greffe pulmonaire a échoué dans les
quelques observations où elle a été tentée.

Glyphosate et sulfosate

Ce sont des herbicides non sélectifs dont les noms de marque les plus connus
sont Round Up®, Ragtime®, Herbosate®. Les produits de jardinage dilués prêt à
l'emploi sont sans risque en cas d'exposition faible d'un enfant par exemple.
L'ingestion de plusieurs gorgées d'un produit concentré à 360 g/l expose à un
risque certain. La toxicité serait due à la molécule elle-même mais aussi au
surfactant très irritant des préparations commerciales. L'exposition accidentelle
est à l'origine de dermites d'irritation, d'une rhinite, d'une gêne respiratoire ou
pharyngée et d'une toux. L'ingestion de préparations concentrées est
responsable de vomissements, d'une pharyngite parfois hémorragique, d'une
dysphagie parfois prolongée, de lésions irritatives et œdémateuses digestives et,
dans les formes sévères, d'un état de choc, d'une acidose métabolique et d'un
œdème pulmonaire. Le choc infectieux par translocation bactérienne
intestinale due au surfactant est à dépister précocement.

Le diagnostic est étayé par le dosage plasmatique et urinaire du glyphosate et


de son métabolite, l'acide aminométhylphosphonique.

Le traitement en cas d'ingestion comporte l'aspiration gastrique en l'absence de


vomissement puis le charbon activé. Le maintien d'une bonne diurèse par la
correction des troubles hémodynamiques est le meilleur moyen d'éliminer le
glyphosate ; cependant, en cas d'anurie, l'hémodialyse peut l'épurer lentement.
L'alcalinisation urinaire favoriserait son élimination et celle du métabolite.

Glufosinate

C'est un herbicide non sélectif de structure voisine de l'acide glutamique dont le


nom de marque le plus connu est Basta®. L'ingestion de 0,3 ml/kg de la
préparation commerciale donne des vomissements bénins. À la dose de 1,6
ml/kg, les signes digestifs sont plus marqués, l'endoscopie révèle une irritation
digestive, puis les signes neurologiques retardés apparaissent avec stupeur,
somnolence et coma. Des convulsions sont possibles. L'intoxication importante
est compliquée d'hypotension, d'un état de choc et d'une acidose
métabolique dus au surfactant entrant dans la composition du produit. Des
séquelles amnésiques ou des lésions de la substance blanche sont décrites. Le
traitement repose sur l'aspiration gastrique précoce, une surveillance prolongée
de 48 heures et le traitement symptomatique des convulsions et du coma.

Chlorate

Le chlorate de sodium (NaClO3) est un herbicide non sélectif. L'inhalation ou


l'exposition orale minime suffit à provoquer une intoxication pour une dose de 1
gramme ; le risque est mortel au-delà de 10 grammes. Le chlorate de sodium
oxyde l'hémoglobine en méthémoglobine et provoque une hémolyse et une
insuffisance rénale aiguë tubulaire (Voir chapitre Méthémoglobinémies). Les
signes de l'ingestion sont des vomissements puis une cyanose ou un teint
grisâtre, un malaise et une dyspnée. Dans les formes sévères, un état de choc
dû à l'hémolyse massive et une détresse respiratoire sont observés. Les urines
comme le sang sont brun foncé. L'insuffisance rénale aiguë est habituellement
réversible en 3 semaines. L'endoscopie peut montrer une gastrite mineure. Les
signes biologiques sont une méthémoglobinémie, une hémolyse et une
thrombopénie parfois prolongée, une hyperkaliémie, une acidose lactique et
des troubles de la coagulation. La numération globulaire sur les appareils à
comptage automatisé peut être fausse et nécessite une vérification au
microscope.

Le traitement repose sur l'aspiration ou le lavage gastrique puis sur


l'administration intraveineuse de bleu de méthylène à la dose de 1 à 2 mg/kg
qui n'est efficace qu'en cas de méthémoglobinémie modérée au stade
précoce, avant l'hémolyse. L'exsanguino-transfusion en urgence couplée à
l'hémodialyse permet d'espérer la survie des intoxications sévères.
L'oxygénothérapie hyperbare s'est avérée utile en attente de l'exsanguino-
transfusion.

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Insecticides

Organophosphorés et carbamates insecticides

Ces insecticides anticholinestérasiques sont toxiques par toutes les voies.


L'intoxication systémique est dominée par le syndrome cholinergique mais doit
tenir compte des solvants car les glycols et les différents hydrocarbures ont une
toxicité propre. Le syndrome cholinergique comporte les signes muscariniques
(myosis, bradycardie, vomissements, diarrhée motrice, bronchospasme,
hypersécrétion salivaire, bronchique et pancréatique), les signes nicotiniques
(tachycardie, hypertension artérielle, fasciculations musculaires puis paralysie
musculaire et respiratoire) et les signes centraux (confusion, coma, convulsions).
Les intoxications sévères sont compliquées par un état de choc, des troubles du
rythme ou de la conduction, une pancréatite ou un coma prolongé. Un
syndrome paralytique intermédiaire ou une neuropathie retardée sont possibles.
Des perturbations cognitives peuvent être séquellaires. L'exposition accidentelle
est suivie, quelques heures plus tard, de signes cholinergiques habituellement
modérés, de signes digestifs atypiques et d'une asthénie qui persiste plusieurs
jours. Une projection oculaire provoque un myosis serré unilatéral. L'inhalation
peut provoquer un bronchospasme isolé.

Le diagnostic repose sur la diminution de l'activité des cholinestérases


plasmatiques et globulaires. Le dosage de l'organophosphoré ou de ses
métabolites est également possible.

L'aspiration gastrique puis l'administration de charbon activé sont conseillées en


cas d'ingestion. En cas d'exposition cutanée accidentelle, le retrait des
vêtements contaminés est suivi d'une douche à l'eau savonneuse. Le syndrome
muscarinique est traité par l'atropine à la dose de 1 à 2 mg IV et des doses
fortes ont pu être nécessaires en cas d'ingestion. Le bronchospasme isolé des
accidents d'inhalation est traité par un aérosol anticholinergique tel le bromure
d'ipratropium. Le syndrome nicotinique doit être traité le plus précocement
possible par la pralidoxime (Contrathion®) qui régénère les
acétylcholinestérases. La posologie est de 1 à 2 grammes perfusés par voie
veineuse en 15 minutes, suivie d'une dose d'entretien de 500 mg/h. Le
traitement symptomatique en réanimation, notamment l'assistance respiratoire
et le contrôle des convulsions, est parfois prolongé plusieurs semaines.

Les carbamates insecticides (carbaryl, aldicarbe, carbofuran, méthomyl) ont


une toxicité voisine de celle des insecticides organophosphorés mais l'inhibition
des cholinestérases est réversible. Les signes centraux sont moins prononcés et ils
ne provoquent pas de syndrome intermédiaire ni de neuropathie retardée.
L'exposition professionnelle peut être à l'origine d'une dermite de contact, d'une
asthénie, de troubles digestifs, de troubles électrocardiographiques de la
repolarisation (méthomyl). Le méthomyl (Lannate 20 L®) est très toxique par
ingestion et est à l'origine de décès préhospitaliers. Le traitement du syndrome
muscarinique repose sur l'atropine. La pralidoxime est conseillée si la réponse à
l'atropine est insuffisante ou en cas d'intoxication mixte
carbamate/organophosphoré.

Insecticides organochlorés

L'intoxication par les insecticides organochlorés est devenue rare en France ces
dernières années. Le lindane a disparu du marché français des pesticides
depuis 1988 mais persiste comme antipoux. L'endosulfan, le dicofol et le
dienochlore sont encore en vente. Les organochlorés sont absorbés par toutes
les voies.

Les ingestions volontaires sont rares. Les signes sont des vomissements, des
troubles du comportement, des mouvements athétosiques, des hallucinations,
des convulsions myocloniques généralisées qui peuvent être inaugurales dans
un délai de quelques minutes. Les complications sont l'inhalation pulmonaire,
l'anoxie, la rhabdomyolyse, l'insuffisance rénale et la coagulopathie de
consommation. L'engagement cérébral secondaire à un œdème cérébral a
été rapporté chez des patients curarisés et sédatés.

Le diagnostic peut être affirmé par le dosage de l'organochloré dans le plasma,


surtout lorsqu'il existe un doute diagnostique ou un intérêt médicolégal ou en
accident professionnel. Les intoxications aiguës sont observées pour des
concentrations plasmatiques de quelques dizaines de μg/l à plusieurs mg/l.

Le traitement repose sur le contrôle des convulsions par le diazépam ou le


midazolam et une assistance respiratoire. Une aspiration gastrique après
protection des voies aériennes est préconisée. Les curares sont à proscrire. La
décontamination cutanée par une douche à l'eau savonneuse est impérative.

Pyréthrinoïdes de synthèse

Ces insecticides ont une structure voisine de celle des alcaloïdes naturels extraits
d'une variété de chrysanthème. Ils sont largement commercialisés dans les
insecticides ménagers ou professionnels. Les molécules les plus fréquentes se
nomment cyperméthrine, lamda-cyalothrine, cyfluthrine, deltaméthrine,
perméthrine, fenvalérate.

L'exposition cutanée accidentelle aux produits concentrés provoque une


irritation, des fourmillements ou des paresthésies au niveau de la zone de
contact pendant moins de 48 heures. Les aérosols insecticides ou pédiculicides,
surtout s'ils sont concentrés, ont été responsables de bronchospasmes chez des
patients asthmatiques ou bronchiteux. L'asthénie, l'anorexie, des fasciculations
n'ont été rapportées qu'en cas d'exposition massive professionnelle. L'ingestion à
forte dose provoque des convulsions.

Le traitement repose sur la décontamination cutanée précoce à l'eau


savonneuse si des hydrocarbures sont présents dans la préparation. Les
pommades à base de vitamine E sont prescrites pour les paresthésies. Le
traitement est symptomatique et il n'y a pas d'antidote.

Amitraze

L'amitraze est un insecticide utilisé comme acaricide vétérinaire et insecticide


phytosanitaire. Sa toxicité serait liée à son action α2-adrénergique périphérique
et centrale proche de la clonidine. L'ingestion de solutions commerciales
expose de plus aux risques des hydrocarbures associés. Il est bien absorbé par
voie digestive et cutanée, subit une hydrolyse gastrique puis est métabolisé
dans le foie en métabolites éliminés dans les urines. Sa demi-vie serait de 4
heures chez l'homme.

Les signes de l'intoxication sont l'apparition, dans un délai de 1 à 2 heures après


l'ingestion, de vomissements puis d'une confusion, d'un myosis, d'une
bradycardie sinusale et d'une hypotension artérielle. Une hyperglycémie et
parfois une glycosurie, une hypokaliémie modérée sont les signes biologiques.
Les formes graves secondaires à des ingestions de plusieurs grammes d'amitraze
sont caractérisées par un coma, une hypothermie, une dépression respiratoire
nécessitant une ventilation contrô lée. Des convulsions ont été rapportées.
L'inhalation du dérivé pétrolier est à dépister. L'évolution est favorable dans tous
les cas rapportés dans un délai de moins de 24 heures. Le diagnostic peut être
étayé par le dosage plasmatique de l'amitraze.

Le traitement est symptomatique. L'aspiration gastrique ou le charbon activé


sont conseillés précocement ; le lavage gastrique est dangereux en raison du
solvant pétrolier associé. L'atropine est prescrite en cas de bradycardie mal
supportée.

Fipronil

Il s'agit d'un insecticide phénylpyrazolé utilisé comme insecticide pour les


semences ou les sols, comme anti-termites, antiparasitaire vétérinaire,
anticafards et anti-fourmis en produits ménagers. Il bloque les récepteurs GABA.
L'absorption respiratoire est faible, les absorptions cutanée et digestive plus
importantes. Les accidents domestiques restent bénins en raison des faibles
concentrations des produits (0,02 à 0,05%) mais les aérosols donnent des
symptômes irritatifs oculaires, pharyngés, des vomissements, des vertiges et une
somnolence. L'ingestion volontaire de quelques dizaines de millilitres du produit
insecticide agricole concentré a été à l'origine d'agitation et de convulsions
d'évolution simple après traitement symptomatique. Ces produits concentrés
entre 20 et 50% ne sont plus sur le marché français depuis 2004.

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Fongicides

Le sulfate de cuivre de la bouillie bordelaise expose, en cas d'ingestion d'une


dose importante (de l'ordre de 140 mg/kg en cuivre), à un syndrome digestif
intense, une hémolyse, un collapsus et une insuffisance rénale aiguë puis une
hépatite retardée. Le diagnostic est étayé par la présence d'opacités
gastriques ou duodénales des sels métalliques. La biologie montre, dans les
formes sévères, une acidose lactique, une déshydratation extracellulaire, les
marqueurs d'hémolyse. La cuprémie et la cuprurie sont les éléments clefs du
diagnostic. Le traitement comporte une aspiration gastrique continue puis une
irrigation digestive par le PEG 4000 si les opacités intestinales sont confirmées. La
chélation par le BAL à la dose de 5 mg/kg IM 4 fois par jour peut être indiquée.
L'effet hépatoprotecteur de la N-acétyl cystéine reste à évaluer.

Les carbamates fongicides (bénomyl, carbendazime), les dithiocarbamates


(mancozèbe, manèbe, thirame, zinèbe, métam sodium) sont
exceptionnellement responsables d'intoxications aiguës. Par contact cutané ils
sont à l'origine de dermites d'irritation, d'eczéma et de sensibilisation cutanée.
L'exposition aux aérosols donne des irritations oculaires et des voies aéro-
digestives supérieures ou des bronchospasmes. L'exposition aux
dithiocarbamates peut être à l'origine d'un syndrome antabuse en cas
d'ingestion d'alcool.

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Principales références
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Alcools et Glycols

Éric Sardier

Stéphane Bergzoll

Jean-Marc Philippe

Éthanol

Circonstances de l'intoxication et épidémiologie

L'éthanol est la principale substance psychoactive consommée dans les pays


occidentaux. L'intoxication éthylique aiguë (IEA) volontaire est un motif fréquent
de recours aux urgences. Le « binge drinking » qui se développe chez les
jeunes et correspond à une prise massive et rapide d'éthanol a des
conséquences somatiques souvent sévères. L'intoxication accidentelle à
l'éthanol est rare chez l'adulte. Elle peut être liée à l'ingestion involontaire ou
volontaire de produits cosmétiques, d'entretien ou pharmaceutiques contenant
de l'éthanol.

Molécule et métabolisme

Prototype des alcools primaires, l'éthanol est produit soit par fermentation, soit
industriellement à partir de l'éthylène. Pour obtenir la quantité d'éthanol en
grammes contenue dans 100 ml d'un liquide, il faut multiplier le pourcentage
d'éthanol contenu dans le mélange (% Vol) par la masse volumique de l'alcool
éthylique (0,8 g/cm3). Après ingestion, la concentration maximum est
rapidement atteinte (Cmax = 30 minutes). La rapidité d'absorption est favorisée
par la vacuité gastrique et le caractère gazeux de la boisson. Le métabolisme
est essentiellement hépatique (90%). Toutefois, il existe une activité métabolique
gastrique, intestinale et, pour une part infime, rénale. On distingue trois voies
métaboliques pour l'éthanol : la voie principale liée à l'alcool déshydrogénase
(ADH) représente environ 80% des capacités métaboliques, le systè me
microsomial d'oxydation (MEOS) métabolise les 20% restants. Enfin, une voie
qualifiée d'accessoire est assurée par la catalase. L'éthanol est dégradé en
acétaldéhyde. L'acétaldéhyde est dégradé en acétate par l'aldéhyde
déshydrogénase (ALDH). L'acétate est lui-même dégradé en acétyle coenzyme
A qui va s'intégrer dans le cycle de Krebs et fournir H2O et CO2.

Diagnostic clinique et paraclinique

Le diagnostic d'IEA est le plus souvent le résultat d'un faisceau d'arguments


anamnestiques et cliniques, qui permettent aussi d'en apprécier la gravité.
Toutefois, la sensibilité de l'examen clinique n'est que de 78% et la spécificité de
98 %, ce qui implique que 2% des IEA présumées ne sont pas des IEA et que le
tableau clinique est imputable à une autre pathologie potentiellement grave.
L'alcoolémie permet de confirmer l'intoxication et de la quantifier mais la
corrélation entre l'alcoolémie, les signes cliniques et la gravité est médiocre. Elle
permet aussi, en cas de négativité, d'éliminer un diagnostic d'IEA cliniquement
présumé. Elle présente un intérêt certain s'il existe une discordance entre la
quantité absorbée d'éthanol et l'état clinique ou si l'évolution ne coïncide pas
avec une évolution normale en quelques heures.

Dans la pratique de la médecine d'urgence, l'IEA se définie en 2 catégories


constituées par les IEA non compliquées et les IEA compliquées :

- l'IEA non compliquée se définit par l'ingestion d'éthanol en quantité excessive


sans autre intoxication associée, sans anomalie des paramètres vitaux, avec un
examen clinique ne révélant pas d'anomalies organiques ni de lésions
traumatiques, et dont les signes régressent dans les 3 à 6 heures. Classiquement,
les premiers signes cliniques d'intoxication sont caractérisés par une euphorie
avec désinhibition et excitation. Des troubles de l'attention et une
augmentation du temps de réaction sont en général associés. À des doses plus
élevées, il existe une incohérence dans le discours à laquelle s'associent une
dysarthrie et des troubles de la marche avec incoordination et titubation. Des
troubles de l'équilibre et des vertiges avec troubles végétatifs sont possibles. Lors
d'une consommation importante, des troubles de la vigilance apparaissent
pouvant aller jusqu'au coma, sans signe de localisation neurologique, avec une
bradycardie et une hypotension modérées ;

- l'IEA compliquée est définie par l'ingestion d'éthanol en quantité excessive


survenant chez un patient, associée à au moins un des éléments du tableau 1.
Aux mêmes éléments d'expression clinique que dans l'IEA non compliquée vont
se rajouter les signes cliniques propres aux complications.

Respiratoires Pneumonies d'inhalation avec évolution possible vers


un syndrome de détresse respiratoire aiguë de
l'adulte

Digestives Gastrite aiguë

Syndrome de Mallory-Weiss

Hépatite aiguë

Cardiovasculaires et Troubles du rythme supra-ventriculaires paroxystiques


hémodynamiques : fibrillation auriculaire spontanément régressive dans
90% des cas

Cardiopathies ischémiques aiguës

Shoshin béribéri, par carence en thiamine

Métaboliques Hypoglycémie (rare chez l'adulte)

Hyponatrémie (surtout si bière).

Hypernatrémie (déshydratation)

Insuffisance rénale aiguë

Acidocétose de jeûne avec alcoolisation renforcée

Rhabdomyolyse
Hypothermie

Infectieuses Pneumonies d'inhalation

Infection d'ascite

Immuno-allergiques Urticaire, œdème de Quincke, choc allergique, liés


à la présence de substances allergisantes dans les
boissons alcoolisées (sulfites, tyramine, tartrazine) et
au caractère histaminolibérateur de l'acétaldéhyde

Neurologiques Convulsions

Coma

Accident vasculaire cérébral pouvant être


ischémique ou hémorragique (rupture artérielle lors
d'effort de vomissements).

L'indication de tomodensitométrie cérébrale (TDM)


doit être large

Encéphalopathie de Gayet-Wernicke par carence


en thiamine

Encéphalopathie hépatique

Agitation Risques traumatiques pour le malade et pour


l'entourage

Traumatologie Traumatisme crânien : toute anomalie de l'examen


induite neurologique plus ou moins associée à un
traumatisme crânien doit imposer une TDM
cérébrale en urgence

Polytraumatisme nécessitant une TDM corps entier


après stabilisation

Stratégie de prise en charge et thérapeutique

La stratégie de prise en charge repose sur la recherche systématique des


complications et l'élimination des diagnostics différentiels. À l'issue de la prise en
charge initiale en salle d'urgence, la surveillance doit se faire au mieux en unité
d'hospitalisation de courte durée. La durée de la surveillance est déterminée
par le retour à une relation possible du patient alcoolisé avec l'entourage, qui
peut avoir lieu, en général, entre 3 à 6 heures. La décroissance de l'alcoolémie
est de 0,15 à 0,45 g/l/h. Dans le cadre d'une IEA non compliquée et en
l'absence d'hypoglycémie, la pose d'une voie veineuse périphérique n'est pas
nécessaire et aucune thérapeutique particulière n'est recommandée. En
revanche, en cas d'hypoglycémie - qui devra être immédiatement corrigée par
l'administration de soluté glucosé - ou dans un contexte d'alcoolisme chronique,
une surveillance de la glycémie capillaire toutes les 2 heures paraît utile,
d'autant plus que le patient est dénutri ou diabétique. Dans ce contexte, la
prescription de thiamine (vitamine B1), per os ou intraveineux à raison de 300 à
500 mg par jour, est conseillée en association avec du soluté glucosé, en
prévention de l'encéphalopathie de Gayet-Wernicke. À l'issue de la phase
aiguë, une évaluation alcoologique doit être réalisée pour repérer un mésusage
d'éthanol, voire une dépendance. La prise en charge de l'IEA compliquée
repose avant tout sur le traitement de la ou des complications.

Retour au début

Méthanol et éthylène-glycol

Circonstances

Ces intoxications sont potentiellement graves même si elles ne sont pas très
fréquentes. Le caractère sucré de l'éthylène-glycol peut favoriser l'intoxication
accidentelle.

Métabolisme

Les produits contenant du méthanol ou de l'éthylène-glycol sont précisés au


tableau 2. Ce sont les métabolites formés qui sont les principaux responsables
de la toxicité. Il est donc important de connaître les voies métaboliques pour
comprendre l'action des antidotes utilisés ( Fig. 1 ).

Méthanol Éthylène-glycol Diéthylène-


glycol

Caractéristique Liquide, incolore, Visqueux, Saveur sucrée


s volatile, odeur incolore,
agréable faiblement
caractéristique volatile, inodore,
saveur sucrée

Produits Alcool à brûler (% Antigel dans les Antigel


domestiques variable) Diluant, produits
solvant, antigel phytosanitaires Assouplissant
(nettoyants, textile
Produits de lavage assouplissant),
et de dégraissage lavevitres, liquides
de refroidissement

Solvant de
pesticides

Produits Carburant Circuits de Lubrifiant, liquide


industriels (machines à réfrigération, frein
combustion chauffage
interne), solvant central, solvant
d'extraction des industriel
huiles, diluant des
peintures, vernis,
teintures, colorants
pour émaux

Produits Alcool frelaté,


artisanaux alcool de bois,
boissons
alcoolisées
artisanales

Diagnostic clinique et paraclinique

Les manifestations cliniques sont résumées au tableau 3. Le diagnostic positif


est fondé sur la recherche de méthanol et d'éthylène-glycol dans le sang ou
dans les urines. Lors de ces intoxications, il existe une acidose métabolique avec
trou anionique (TA) élevé non expliqué par la présence de lactates. La gravité
de l'intoxication est liée à l'apparition de l'acidose. La surveillance repose sur le
pH artériel et les bicarbonates qui témoignent de l'accumulation des
métabolites toxiques. Ces toxiques augmentent aussi l'osmolarité plasmatique. Il
existe donc un différentiel entre l'osmolarité mesurée et l'osmolarité calculée
appelé trou osmolaire (TO). En cas de prise d'éthanol concomitante, les
concentrations de méthanol ou d'éthylène-glycol diminuent plus lentement
alors que la toxicité est réduite car la formation des métabolites toxiques
diminue en raison de la saturation de l'ADH par l'éthanol. À l'inverse, une
concentration faible peut témoigner d'une intoxication importante vue
tardivement alors qu'un grand nombre de métabolites toxiques sont formés ou
en voie de formation. Dans ce cadre, le TO ne sera pas particulièrement élevé.
Figure 1 - Intoxications méthanol et éthylène glycol : métabolisme,
physiopathologie.

Prise en charge thérapeutique

Elle est résumée dans les tableaux 4 et 5.

Signes de gravité ou de mauvais pronostic

Ils sont résumés dans le tableau 6.

Ingestion Dès 30 Dès 2 De 6 à 12 Au-delà de Dès 24


minutes heures heures 12 heures heures
après après après après après
l'ingestion ingesti l'ingestion l'ingestion l'ingestion
on

Ethylène- Phase Interva Polypnée Insuffisance Coma,


glycol ébrieuse lle libre de rénale par convulsion
(prise (effets Küssmaul nécrose s
massive) et = acidose tubulaire
durée métaboli aiguë Choc
Ébriété variabl que avec proximale et (hypovolé
es) TA et TO distale mie,
Symptômes élevés cardiogéni
gastrointestin que)
aux Retard
d'appariti OAP
Polyurie on si lésionnel
associatio
Déshydratati nà Défaillanc
on l'éthanol e
multiviscér
ale

Polyurie+ Hypocalcémi Séquelles


+ e (chélation neurologiq
(osmotiqu par l'oxalate) ues
e) possibles
Hyperglycém mais rares
Vomissem ie et
ents hyperleucoc
ytose par
Somnolen stress
ce adrénergiqu
e

Myoclonies,
tétanie

Oxalurie (50
%)

Méthanol Phase Interva Polypnée Signes ophtalmiques :


ébrieuse lle libre de baisse acuité visuelle,
(prise (effets Küssmaul photophobie, œdème
massive) et = acidose papillaire, mydriase,
durée métaboli névrite optique, atteinte
Ébriété variabl que avec rétinienne.
Symptômes es) TA et TO
élevés Défaillance multiviscérale
gastrointestin : coma, convulsions, choc
aux Retard
d'appariti Séquelles neurologiques
Désinhibition on si possibles : ischémie ou
(moins associatio hémorragie des noyaux
euphorisant nà gris centraux, syndrome
que l'éthanol parkinsonien
l'éthanol)

Haleine
éthylique
Intoxication au méthanol Intoxication à
l'éthylène-glycol

Évacuation Utile dans les 2 premières heures suivant l'ingestion


digestive

Charbon activé Inutile

Traitement Selon état clinique


symptomatique

Anticonvulsivants,
ventilation assistée,
amines

Traitement Indications :
antidotique :
- devant toute acidose métabolique à trou anionique
4 méthyl-pyrazole augmenté et non expliqué par une élévation des
(Fomépizole®) lactates

Traitement de - devant toute exposition significative avérée avec


référence : une quantité ingérée importante ou des
concentrations toxiques de méthanol et d'éthylène
Éthanol PO ou IV glycol (> 0,2 g/l)
(Curéthyl®)
- devant toute intoxication avec acidose
métabolique, insuffisance rénale, signes
neurologiques ou oculaires

- IV si critère de gravité

- préférer le fomépizole car peu d'effets indésirables

Hydratation PO Elle doit être importante. Au moins compenser la


et/ou IV polyurie osmotique. Limite la formation de cristaux
d'oxalate de calcium dans l'intoxication à l'éthylène
glycol

Bicarbonates IV En cas d'acidose sévère (pH < 7,2)

Posologie = Delta HCO3- × 0,5 × poids patient (en kg)

Objectif : HCO3- > 10 mmol/l

Gluconate de Ca++ Pas d'indication Seulement en cas


IV d'hypocalcémie
symptomatique car
majore la précipitation
de cristaux d'oxalate de
calcium

Thiamine (vitamine 100 mg/j (prévention de


B1) l'encéphalopathie de
Gayet-Wernicke si
éthylique chronique)

Pyridoxine (vitamine Inutile 100 mg/j


B6)

Acide folique IV 1 mg/kg toutes les 6 heures

Hémodialyse Corrige les troubles métaboliques. Épure les toxiques


et métabolites actif mais épure aussi les antidotes, ce
qui nécessite une administration en continu

Indications (si l'un des signes suivants est présent


malgré un traitement médical bien conduit) :

- acidose métabolique majeure avec pH < 7,1 ou


HCO3- < 5 mmol/l

- dosage sanguin du méthanol > 0,5 g/l (discuté si


asymptomatique)

- insuffisance rénale aiguë

- troubles visuels ou neurologiques

Protocole 4 méthyl-pyrazole (Fomépizole®)

Distribué par la pharmacie centrale des hôpitaux de Paris ; flacon 100 mg/ml
; utilisable per os ou IV

Longue durée d'action, pas d'effet sur le SNC

Effets secondaires possibles : douleur au site d'injection, nausées, pseudo-


vertiges, éruption cutanée ou autre réaction allergique, élévation des
polynucléaires éosinophiles, élévation des transaminases

Contre-indications : allergie aux pyrazolé s, femme enceinte ou allaitante

Posologies : IV ou per os avec 15 mg/kg en dose de charge puis 10 mg/kg


toutes les 12 heures

Possibilité de décroissance progressive des doses toutes les 12 heures, selon


concentrations du toxique

À titre indicatif, pour une intoxication par éthylène glycol (EG) :

- si [EG] initiale > 1,50 g/l = 24 mmol/l → 15 mg/kg - 10 mg/kg - 10 mg/kg

- si [EG] initiale = 0,75 g/l = 12 mmol/l → 15 mg/kg - 10 mg/kg - 7,5 mg/kg


- si [EG] initiale = 0,35 g/l = 5,6 mmol/l → 15 mg/kg - 7,5 mg/kg - 0

- si [EG] initiale < 0,30 g/l = 5,5 mmol/l → 15 mg/kg - 0 - 0

Si hémodialyse : administrer le fomépizole en continu à 1-1,5 mg/kg/h

Protocole éthanol per os ou IV Curéthyl®

Objectif thérapeutique : 1 g/l (22 mmol/l) < éthanolémie < 1,5 g/l (33 mmol/l)

Administration per os ou IV

Posologie : 0,6 g/kg en dose initiale puis de 50 à 200 mg/kg/h (voire 400
mg/kg/j chez l'éthylique chronique) En cas d'hémodialyse, la posologie doit
être multipliée par 2

Durée du traitement : jusqu'à la disparition du méthanol ou de l'éthylène


glycol dans le sang (infradétectables)

Effets secondaires : trouble de conscience, hypoglycémie, gastrite sévère


(administration per os)

Dosages horaires de l'éthanolémie et de la glycémie

Facteurs cliniques Convulsions et coma, état de choc Mydriase aréactive,


et paracliniques œdème papillaire et engorgement des vaisseaux
(méthanol) Lésions ischémiques ou hémorragiques des
noyaux gris centraux (surtout putamen) et de l'aire
visuelle occipitale à l'imagerie cérébrale (TDM, IRM)
L'électrorétinogramme et les potentiels évoqués visuels
peuvent permettre d'évaluer les lésions et les risques de
séquelles (méthanol)

Facteurs Profondeur de l'acidose métabolique (pH < 7,1)


métaboliques proportionnelle à la concentration des métabolites
toxiques (glycolate, glyoxylate, oxalate, formate)
Importance de l'insuffisance rénale aiguë (éthylène-
glycol) et des troubles visuels (méthanol)

Dosages toxiques Concentrations élevées de méthanol et d'éthylène


glycol (≥ 0,5 g/l)

Facteurs Retard de mise en place du traitement spécifique


thérapeutiques

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Isopropanol (alcool isopropylique)

Molé cule, mé tabolisme, circonstances

L'isopropanol ou alcool isopropylique est incolore, inodore et inflammable. Il


entre dans la composition de désinfectants, de décapants et de dissolvants
dans l'industrie, également comme additif dans l'essence.

Diagnostic clinique et paraclinique

Après ingestion, il est rapidement absorbé puis partiellement transformé en


acétone par l'alcool déshydrogénase. Sa toxicité principale est neurologique,
entraînant un coma calme hypotonique, une hypotension, une arythmie, une
hypothermie et une atteinte respiratoire. Au niveau digestif, une odeur
acétonique, des douleurs abdominales, des vomissements, des hématé-mèses
sont fréquents. Sur le plan biologique, le TO est augmenté sans perturbation du
TA.

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Prise en charge thé rapeutique

Le traitement est avant tout symptomatique. Le recours à l'hémodialyse est


possible mais reste exceptionnel.

Les caractéristiques des principales intoxications aux alcools et glycols sont


résumées dans le tableau 7.

Caractéristiques Éthanol Méthanol Éthylène-glycol Isopropano


l

Formule CH3-CH2 CH3-OH OH-CH2-CH2-OH CH3-CH2-


-OH CH2-OH

Toxicité spécifique Atteinte Insuffisance


principale rétinienne rénale aiguë
Névrite
optique

Odeur haleine Éthyliqu Éthylique - Cétonique


e

Acidose (TA) ↗ ↗↗↗ ↗↗↗↗ ↔

Métabolites Lactates Formates Glycolates


responsables de Oxalates
l'acidose Glyoxylates

Hyperosmolarité ↗↗↗ ↗↗↗ ↗↗↗ ↗↗↗


(TO)

Contribution de 1 0,95 1,4 1 1,1


mmol/l au TO en
mOsm/l

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Autres mono ou dialcools

Ils sont résumés dans le tableau 8.

Molécules Produits en Expression clinique de


cause l'intoxication

Autres Alcool butylique Solvant de Vertiges, céphalées


alcool résines
s
toxiqu Alcool Médicaments En néonatalogie : gasping
es benzylique (atropine, syndrome, hypotension,
diazépam, acidose métabolique,
curares...) leucopénie thrombopénie

Butanediol Solvant Troubles de conscience


industriel Agitation Dépression
Euphorisant respiratoire, convulsions,
sexuel vomissements, incontinence
urinaire et fécale

Autres Di-éthylèneglycol Solvant Troubles digestifs


glycols Déshydratation
Polyradiculonévrite, voire
coma ou signes méningés Puis
secondairement : insuffisance
rénale aiguë par nécrose
tubulaire Diagnostic : acidose
métabolique, cytolyse
hépatique

Propylène glycol Antigel Réactif Acidose lactique Hémolyse


de fabrication Surdité Troubles du rythme
de résines cardiaque Insuffisance
Émulsifiant hépatique ou rénale
(industrie Hypoglycémie avec
alimentaire) convulsions et coma
Excipient de
médicaments
(Valium,
Étomidate...)
Polyéthylène Pommades Acidose métabolique Coma
glycol (PM entre (brûlés) Insuffisance rénale avec
200 et 600 D) tubulopathie proximale
Hépatite cytolytique « Trou
calcique » : Ca total
augmenté avec Ca ionisé
diminué

Éthers Lave-vitre Irritation muqueuse digestive


méthyliques et Confusion, faiblesse
butyliques de l'EG musculaire, coma, nausées,
hyperventilation, hypotension,
hépatite, acidose
métabolique, oedème
lésionnel pulmonaire,
hypernatrémie insuffisance
rénale à diurèse conservée

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Principales références
Borron SW, Mégarbane B, Baud FJ. Fomepizole in the treatment of
uncomplicated ethylene glycol poisoning. Lancet 1999 ; 354 : 831.
Hylander B, Kjellstrand CM. Pronostic factors and treatment of severe ethylene
glycol intoxication. Int Care Med 1996 ; 22 : 546-552.
Mégarbane B, Borron SW, Trout H, et al. Treatment of acute methanol poisoning
with fomepizol. Int Care Med 2001 ; 27 : 1370-1378.
Mégarbane B, Brahmi N, Baud F. Intoxication aiguë par les glycols et alcools
toxiques : diagnostic et traitement. Réanimation 2001 ; 10 : 426-434.
Philippe JM, Sureau C, Ruiz D, Teil S. Intoxication éthylique aiguë. EMC Urgences
(à paraître).

Abréviations employées et définitions

NA

IEA: intoxication éthylique aiguë

TA : trou anionique = (Na+ + K+) - (HCO3- + Cl-). Valeur normale < 16 mmol/l

TO : trou osmolaire = osmolarité mesurée - osmolarité calculée (2 Na+ + urée +


glycémie). Valeur normale ≤ 10 mOsm/l

OAP : œdème aigu du poumon

ADH: alcool déshydrogénase


ALDH: aldéhyde-déshydrogénase

Monoalcool aliphatique : 1 groupement OH sur chaîne ouverte; Exemples :


méthanol (CH3-OH), éthanol (CH3-CH2-OH) et propanol (CH3-CH2-CH2-OH ou
CH3-CH-OH-CH3)

Glycol (dialcool aliphatique) : 2 groupements OH sur une chaîne ouverte;


Exemples : éthylène glycol (OH-CH2-CH2-OH) et diéthylène glycol, propylène
glycol
Paraquat

Bruno Mégarbane

Le paraquat ou 1,1 diméthyl 4,4′ bipyridylium est un herbicide largement utilisé


dans le monde. Il occupe en volume le 7e rang des produits phytosanitaires. Il
est utilisé pour tout type de culture puisqu'il détruit les mauvaises herbes sans
laisser de résidus en inhibant la photosynthèse chlorophyllienne. Il est
rapidement inactivé après épandage par absorption sur les sels du sol, ce qui
en fait un composé peu polluant et sans risque d'accumulation dans les
organismes animaux.

Le paraquat, qui n'est plus commercialisé en France depuis juillet 2007, est le
toxique le plus dangereux actuel de notre écosystème. Les intoxications sont
rares en France mais persistent dans les zones rurales. Elles sont bien plus
fréquentes dans les pays en développement. Elles font généralement suite à
une ingestion à but suicidaire, voire plus rarement accidentelle. Une seule
gorgée d'une solution concentrée à 200 mg/l est potentiellement mortelle. Une
intoxication aiguë est également possible après pénétration par une effraction
cutanée.

L'intoxication est à l'origine d'une létalité de l'ordre de 80 %. Le paraquat est


responsable d'une cytolyse hépatique, d'une insuffisance rénale aiguë tubulaire
et surtout d'une insuffisance respiratoire subaiguë par fibrose pulmonaire
conduisant au décès.

Physiopathologie

Après ingestion chez l'homme, le paraquat subit des réactions de réduction qui
provoquent, d'une part, la transformation d'oxygène moléculaire en anion
superoxyde - à l'origine de lésions cellulaires par peroxydation des lipides
membranaires - et, d'autre part, une déplétion du NADPH nécessaire au
fonctionnement du métabolisme oxydatif cellulaire ( Fig. 1 ). La cible du
paraquat est principalement le pneumocyte. La destruction des cellules
alvéolaires conduit à une alvéolite aiguë puis à une fibrose extensive
secondaire à une prolifération fibroblastique.

Après ingestion, l'absorption est rapide avec un pic plasmatique à la 2e heure


et une biodisponibilité de moins de 20 %. La distribution tissulaire est inégale
dans les différents organes, avec une forte diffusion dans les poumons, les reins
et le foie. La concentration dans le parenchyme pulmonaire atteint jusqu'à 10
fois la concentration plasmatique, en raison d'un processus de transport actif
énergie-dépendant. L'é limination du paraquat se fait sous forme inchangée
dans les urines. La demi-vie, de l'ordre de 12 heures, peut s'allonger en cas
d'insuffisance rénale.
Figure 1 - Mécanisme de toxicité cellulaire du paraquat.

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Présentation clinique et diagnostic positif

L'intoxication aiguë au paraquat comporte trois phases cliniques.

- Une phase initiale de lésions caustiques, apparaissant avec un intervalle libre


de quelques heures et comportant des douleurs pharyngées. Les vomissements
sont fréquents. La réalisation d'une fibroscopie œso-gastro-duodénale précoce
retrouve une oesophagite et une gastrite diffuse, cette dernière ayant une
mauvaise valeur pronostique. Il est plus rare d'observer une perforation
digestive.

- Une phase de cytolyse hépatique et d'insuffisance rénale aiguë à partir de la


12e heure, secondaire à une tubulopathie aiguë. La part fonctionnelle de
l'insuffisance rénale liée aux pertes digestives et à l'arrêt de l'alimentation doit
être corrigée pour limiter la toxicité du paraquat. L'atteinte hépatique est en
général modérée et de type centro-lobulaire.

- Une phase de fibrose pulmonaire progressive, entre le 4e et 10e jour,


aboutissant progressivement au décès, des suites d'un syndrome de détresse
respiratoire aiguë (SDRA). Le décès peut survenir de 5 à 70 jours après
intoxication. Chez les rares survivants, les lé sions pulmonaires sont responsables
d'un tableau d'insuffisance respiratoire chronique restrictive. Dans les cas les plus
graves, le décès fait suite à une insuffisance circulatoire, liée aux lésions
nécrotiques du cœur, des surrénales, du foie et des intestins.

La survie est exceptionnelle en cas d'atteinte respiratoire. De nombreux facteurs


pronostiques ont été décrits. L'ingestion et, à un moindre degré, la pénétration
par des excoriations cutanées entraînent les lésions les plus sévères. Les formes
suicidaires sont plus graves que les formes accidentelles, en raison de la plus
grande quantité de produit ingéré. La dose ingérée influence le pronostic vital
et la durée de l'évolution. La dose mortelle minimale est de 35 mg/kg, ce qui
correspond à environ 2 gorgées de produit dosé à 100 g/l. Entre 35 et 50 mg/kg,
le tableau aboutit à une fibrose pulmonaire. Au-delà de 55 mg/kg, le décès
survient dans les 4 premiers jours d'un choc cardiogénique. L'ingestion d'une
forme concentrée (20 %) est plus grave que celle d'une forme diluée (12 %, 8%
et 4%). L'é tat de réplétion gastrique influence le pronostic : l'ingestion à
estomac vide est défavorable, alors que l'ingestion suivie d'un repas réduit la
biodisponibilité. Les manifestations cliniques précoces, tels qu'une gastrite vue à
la fibroscopie, une insuffisance rénale organique et une cytolyse hépatique sont
péjoratives. Les ulcérations bucco-pharyngées n'ont, par contre, aucune valeur
pronostique. Dans les exceptionnels cas d'injection parentérale, le décès
survient rapidement.

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Diagnostics différentiels - Examens complémentaires

Tous les herbicides ne contiennent pas forcément du paraquat, d'autant qu'il


n'est plus commercialisé. Il faut donc clairement connaître la composition de la
solution ingérée, en se renseignant auprès du centre antipoison régional. À
l'admission, il convient d'effectuer un bilan biologique standard, un
électrocardiogramme et une radiographie de thorax, pour évaluer les
répercussions lésionnelles du paraquat. Une première fibroscopie œso-gastrique
doit être pratiquée au mieux entre la 4e et la 8e heure. Si cet examen est
négatif, il peut être répété vers la 35e heure, en raison de lésions tardives.

La mesure de la concentration plasmatique du paraquat est décisive pour


évaluer la gravité ( Fig. 2 ). Le nomogramme de Proudfoot permet, en fonction
de la concentration plasmatique de paraquat mesurée par rapport à la date
d'ingestion, de prédire la probabilité d'évolution vers la fibrose pulmonaire et de
séparer les formes constamment mortelles des formes moins sévères. Tous les
patients dont les concentrations plasmatiques sont situées au-dessous d'une
courbe joignant les points 2 mg/l à H4, 0,6 mg/l à H6, 0,3 mg/l à H10, La ligne
pleine représente la relation de Proudfoot observée dans les 24 premières
heures. Les lignes en tirets représentent les prolongations de la courbe de
Proudfoot, suivant les équations tri-exponentielles (courbe 1) ou hyperboliques
(courbe 2).
Figure 2 - Évolution de 30 patients intoxiqués, en fonction des concentrations
plasmatiques de paraquat mesurées 24 heures après l'ingestion.

0,16 mg/l à H16 et 0,1 mg/l à H24 survivent ; tous ceux dont les concentrations
sont au-dessus de cette courbe décèdent. Une concentration plasmatique
supérieure à 10 mg/l dans les premières 24 heures est synonyme de décès par
choc cardiogénique.

Le dosage urinaire du paraquat par test au dithionite est facilement réalisable


en urgence dans un laboratoire non spécialisé. Il possède également une forte
valeur pronostique. Une paraquaturie supérieure à 1 mg/l au cours des premiè
res 24 heures ou supérieure à 1 mg/h est péjorative.

Le SIPP(Severity Index of Paraquat Poisoning) est un indice pronostique obtenu


en multipliant la paraquatémie à l'admission (mg/l) par le délai écoulé depuis
l'admission (heures) : pour une valeur inférieure à 10, les chances de survie sont
élevées, pour des valeurs entre 10 et 50, le développement d'une fibrose
pulmonaire est quasi inévitable et, pour des valeurs supérieures à 50, le décès
est rapide par incompétence circulatoire. La réalisation répétée d'épreuves
fonctionnelles respiratoires (DLCO, compliance pulmonaire, volume résiduel et
capacité vitale) peut être intéressante, même si leur valeur pronostique n'a pas
été clairement évaluée. Ces tests peuvent cependant être difficiles à effectuer,
en raison des lésions pharyngées et de l'asthénie des patients.

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Prise en charge (Tab. 1)


Il convient d'orienter toute intoxication par le paraquat vers un centre de
réanimation spécialisée. Le facteur pronostique le plus important étant la dose
réellement absorbée, il est capital de procéder immédiatement à une
décontamination digestive : administration de charbon activé, prescription
d'adsorbants (terre à foulon 150 g dilué dans 1 l d'eau), de silicates (Bédélix® 10
sachets dans 1 l d'eau), induction d'une diarrhée par du mannitol 10 %... Les
vomissements provoqués peuvent se révéler utiles, en cas d'éloignement d'un
centre hospitalier. Aux urgences, le lavage gastrique garde une place dans
l'arsenal thérapeutique et le charbon activé est efficace. L'épuration extra-
rénale (hémofiltration sur colonne de charbon ou hémodialyse) est indiquée
dans les formes graves vues précocement avec une paraquatémie supérieure
à 6 mg/l à la 4e heure. Néanmoins, il est facile de comprendre que les
procédés d'épuration extrare ´nale ne peuvent éliminer que le paraquat
plasmatique, sans pouvoir modifier le stock tissulaire, notamment pulmonaire, à
l'origine des lésions irréversibles. Le volume de distribution est considérable. La
quantité totale retirée par une hémodialyse est toujours négligeable par rapport
à la quantité absorbée. Celleci ne doit donc être entreprise que si la capacité
d'élimination du paraquat par les reins est précocement et sévèrement altérée.

Traitements immédiats

Décontamination digestive (le plus vite possible, selon disponibilité) : lavage


gastrique, charbon activé , Terre à Foulon (150 g dilué dans 1 l d'eau),
Bédelix® (silicates, 10 sachets dans 1 l d'eau), apomorphine 0,1 mg/kg sous-
cutané, diarrhée osmotique avec mannitol 10 %.

Traitement symptomatique - Traitements à poursuivre

- contacter rapidement une réanimation spécialisée

- faire pratiquer une fibroscopie œso-gastrique pour bilan lésionnel

- bains de bouche antalgiques

- éviter oxygénothérapie : air ambiant, monoxyde d'azote si PaO2 < 60


mmHg, oxygène le plus tardivement si PaO2 < 50 mmHg, VNI initiale,
intubation tardive

- épuration extra-rénale (dialyse ou hémofiltration sur charbon) si


paraquatémie ≥ 6 mg/l à H4 ou insuffisance rénale aiguë

- protocole d'immunosuppression IV avec bénéfice attendu pour les formes


mineures et modérées :

- cyclophosphamide (Endoxan®) 15 mg/kg


à J1, J2

- méthylprednisolone (Solumédrol®) 1 g à
J1, J2, J3

- dexaméthasone (Soludécadron®) 10
mg/8 h pendant 14 jours

Sans intérêt : N-acétylcystéine, S-carboxyméthylcystéine, déféroxamine,


acide ascorbique, alpha-tocoférol, antioxydants

En cas de défaillance respiratoire, l'inhalation de monoxyde d'azote (NO) a


permis d'obtenir des cas de stabilisation et de survie. Nous recommandons le
maintien d'une ventilation en air tant que la PaO2 reste supérieure à 60 mmHg.
Il convient d'introduire le NO à partir de ce seuil et de ne mettre l'oxygène que
le plus tardivement possible, lorsque la PaO2 devient inférieure à 50 mmHg, en
raison de ses propriétés pro-fibrosantes à forte concentration. Si le patient tolère
la ventilation spontanée, il est souhaitable d'intuber le patient le plus
tardivement possible, pour éviter l'aggravation des lésions par une pneumonie
infectieuse acquise sous ventilateur, quitte à mettre en place une ventilation
non invasive avec aide inspiratoire et pression positive en fin d'expiration (PEEP).
Cependant, dans nombre de cas, force est de constater qu'il n'est pas possible
d'éviter l'intubation en raison de la dyspnée croissante, des lésions algiques
pharyngées, de l'absence de confort et de l'angoisse.

De nombreux antidotes ont été proposés, par analogie aux modèles animaux :
N-acétylcystéine, déféroxamine, anti-oxydants (superoxyde dismutase,
clofibrate, acide ascorbique, alpha-tocoférol). Leur bénéfice n'a jamais été
clairement établi chez l'homme. Un essai prospectif randomisé taiwanais a
démontré le bénéfice en termes de survie, pour les intoxications modérées ou
mineures, d'un traitement précoce par association de méthylprednisolone
(Solumédrol®) 1 g IV pendant 3 jours, de cyclophosphamide (Endoxan®) 15
mg/kg IV pendant 2 jours et de dexaméthasone (Soludécadron®) 10 mg/8 h
pendant 14 jours. Ces traitements immunosuppresseurs agiraient en réduisant le
processus fibrosant pulmonaire. Ainsi, malgré de nombreuses critiques
méthodologiques, cette étude a rapporté la plus large expérience actuelle
avec cette thérapeutique prometteuse. De plus, en cas de formes réfractaires
(persistance de l'hypoxémie, en l'absence de complications infectieuses ou de
leuconeutropénie), ce traitement peut être ré-administré en cures successives.

Les tentatives de transplantation pulmonaire se sont en général soldées par un


échec, en raison de la rétention cellulaire prolongée du paraquat, expliquant la
récidive de la fibrose sur le poumon greffé. Les seuls cas de succès l'ont été
après transplantation uni-pulmonaire retardée. La transplantation pulmonaire
ne doit donc jamais être considérée comme le traitement de l'intoxication mais
comme celui de ses séquelles.

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Terrains particuliers

Des ulcérations superficielles cutanées sont observées chez les travailleurs


assurant l'épandage de solutions concentrées. Des ulcérations conjonctivales
ou cornéennes peuvent être secondaires aux projections oculaires, se
constituant en 12 à 24 heures et guérissant habituellement sans séquelles. Les
lésions de pharyngite ou de laryngite guérissent rapidement à l'arrêt de
l'exposition.

En cas de projection cutanée, il convient de retirer immédiatement les


vêtements contaminés, de laver abondamment à l'eau et au savon et
d'effectuer un dosage de paraquat plasmatique, en cas d'excoriation cutanée.
Pour les projections oculaires, il faut laver immédiatement et abondamment à
l'eau et effectuer un examen ophtalmologique.

L'intoxication chronique faisant suite à une pénétration transcutanée du


paraquat peut conduire à l'apparition d'une fibrose interstitielle, avec un
syndrome ventilatoire restrictif et des anomalies scintigraphiques pulmonaires.

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Conclusion

L'intoxication par le paraquat est rare mais gravissime. Il est indispensable


d'effectuer au plus vite une décontamination digestive et de prendre contact
avec un centre spécialisé afin de discuter de la prise en charge, associant des
thérapeutiques toxicodynamiques (corticoïdes et cyclophosphamide) et
toxicocine ´tiques (épuration extra-rénale).

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Principales références
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Solvants et Hydrocarbures

Vincent Danel

Les solvants forment un vaste ensemble de produits issus du raffinage du pétrole


et de la pétrochimie. Les caractéristiques de quelques hydrocarbures et
solvants figurent sur le tableau 1. Leurs utilisations sont très larges en milieu
industriel. Ils entrent également dans la composition de nombreux produits
domestiques et de bricolage. Ils sont responsables de fréquentes intoxications
professionnelles et domestiques : inhalation aiguë chez l'adulte, ingestion
accidentelle chez l'enfant, accident de siphonage ou du cracheur de feu. En
revanche, les intoxications suicidaires sont relativement rares. Ils peuvent faire
l'objet d'un usage détourné par les toxicomanes « sniffeurs », parfois à l'origine
de morts subites chez des adolescents (par anoxie ou effet arythmogè ne des
solvants chlorés).

Volati Pénétrati Activatio Pou Pouvoir Toxicité


lité on n voir ébrionarcoti spécifiqu
percuta métaboli irrita que e
née que nt

Cyclohexane ++ + non 0à ++
CH2-(CH2)4- +
CH2

Toluène CH3- ++ + à ++ non + ++ Malform


C 6H5 ations
congénit
ales

Xylènes ++ ++ à +++ non + ++


(CH3)2-C6H4

Chlorure de +++ + à ++ non ++ ++ Intoxicati


méthylène on
CH2Cl2 oxycarb
onée

Trichloréthylè ++ + oui ++ ++ Cœur


ne Cancéro
CCl2=CHCl gène ?

Perchloréthyl ++ + oui (pour ++ + Cancéro


ène 3%) gène ?
CCl2=CCl2

1,1,1- ++ ++ oui (pour + ++


Trichloréthan 6%)
e CCl3-CH3

Tétrachlorure ++ à + oui + ++ Foie Rein


de carbone +++ Cancéro
CCl4 gène

Monochloro ++ + oui ++ +++ Foie Rein


benzène Cancéro
C6H5Cl gène ?

Acétone +++ + à ++ non +à ++ à +++


CH3-CO-CH3 ++

Acétate +++ + non ++ + à ++


d'éthyle CH3-
CO-O-CH2-
CH2

Tétrahydrofur +++ ++ non +++ + Foie Nerf


ane CH2-O- Périphéri
(CH2)2-CH2 que ?

1,4-Dioxane + +à ++ oui ++ ++ Foie et


CH2-O-(CH2)2 rein
-O-CH2

Diméthylform + +++ oui ++ ++ Foie


amide Cancéro
(CH3)2N- gène ?
CH=O

Diméthylsulfo 0à+ +++ non ++ +


xyde
(CH3)2SO

Pyridine ++ ++ non ++ à ++ Foie


NC5H5 +++

Sulfure de +++ ++ oui ++ +++ Nerf


carbone CS2 périphéri
que
Vaisseau
x
Thyroïde

Toxicociné tique

Absorption

Les dérivés pétroliers et les hydrocarbures aliphatiques sont faiblement résorbés


par voie digestive et n'ont qu'une faible toxicité systémique par cette voie. Les
autres hydrocarbures (aromatiques, halogénés, et autres hydrocarbures
substitués), les alcools, les éthers et cétones sont très facilement résorbés par
toutes les voies. De façon générale, la voie d'entrée et la pénétration dans
l'organisme sont liées au degré de viscosité et de volatilité ainsi qu'à la tension
de surface du produit ; ainsi, par exemple, la résorption pulmonaire est d'autant
plus importante que le produit a une faible viscosité, une grande volatilité et
une faible tension de surface.

Distribution

La distribution concerne tous les organes avec un tropisme marqué pour les
tissus riches en graisses (tissu adipeux, système nerveux central, moelle osseuse,
etc.) qui peuvent être le siège d'un stockage relatif, expliquant l'élimination plus
lente des solvants chez les sujets obèses. Du fait de leur faible poids molé-
culaire, la plupart des solvants traversent facilement le placenta par simple
diffusion.

Biotransformation

Les solvants sont métabolisés pour une fraction variable, principalement au


niveau du foie, en composés hydrosolubles éliminés par le rein et/ou en
composés volatils (CO2, CO) éliminés par les poumons. Le plus souvent, la
biotransformation hépatique passe d'abord par une oxydation microsomiale
impliquant les mono-oxygénases à cytochromes P450. Les métabolites sont
ensuite conjugués à des substrats endogènes (acide glucuronique, glutathion,
sulfates, etc.) pour former des composés plus hydrosolubles et plus polaires,
donc plus facilement excrétables.

Quelques molécules chimiquement stables initialement subissent une activation


métabolique : l'oxydation microsomiale provoque l'apparition de métabolites
intermédiaires hautement réactifs (époxydes, radicaux libres, etc.), plus toxiques
que la molécule mère, capables de se lier de façon covalente à des
macromolécules cellulaires et de provoquer des effets cytotoxiques et/ou
génotoxiques. La conjugaison au glutathion est un des principaux mécanismes
protecteurs vis-à-vis de ces métabolites réactifs ; il est dépassé lors d'une
exposition à forte dose et/ou répétée.

Élimination

Une fraction plus ou moins importante, variable selon les molécules, est élimine
´e sans transformation par le poumon. Elle est supérieure à 50 % de la dose
absorbée pour le chlorure de méthylène et voisine de 90% pour le perchloré-
thylène et le 1,1,1-trichloréthane. Les métabolites hydrosolubles provenant de la
biotransformation hépatique sont excrétés par le rein.

Doses toxiques et analyse toxicologique

Les doses toxiques sont très variables ; elles dépendent du produit en cause et
de la voie d'entrée. L'inhalation pendant quelques minutes de 3 000 ppm de
trichloréthylène provoque un coma tandis que, avec les solvants pétroliers, il
faut des concentrations de l'ordre de 10 000 ppm ; pour le chlorure de méthylè
ne, l'inhalation de 20 000 ppm pendant 30 minutes est nécessaire à l'apparition
d'un coma. L'inhalation trachéo-bronchique de quelques millilitres d'un solvant
pétrolier peut entraîner une pneumopathie chimique alors que l'ingestion de 100
à 200 ml peut n'avoir que des conséquences minimes chez l'adulte. L'ingestion
de 10 à 20 ml de tétrachlorure de carbone peut entraîner une intoxication
grave. L'analyse toxicologique est rarement disponible en urgence ; elle a en
fait peu d'intérêt clinique. Elle peut avoir un intérêt médico-légal et en cas
d'exposition professionnelle. Au moindre doute, des prélèvements biologiques
(sang, urine) doivent être conservés pour analyse ultérieure.

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Intoxications aiguës

Appareil digestif

Après ingestion, pratiquement tous les solvants entraînent des nausées, des
vomissements, des douleurs abdominales et de la diarrhée. Ces symptômes sont
dus à une congestion muqueuse diffuse sans ulcération ; la fibroscopie est le
plus souvent inutile. Les vomissements, spontanés ou provoqués, majorent le
risque d'inhalation bronchique.

Système nerveux central

Tous les hydrocarbures et solvants peuvent entraîner une dépression nerveuse


centrale lors de l'ingestion d'une quantité importante. Elle est le plus souvent
modérée après ingestion de dérivés pétroliers et d'hydrocarbures aliphatiques.
L'inhalation de fortes concentrations provoque des manifestations
ébrionarcotiques avec sensations d'ivresse, céphalées, vertiges et nausées,
réversibles en quelques heures après retrait de l'atmosphère contaminée. En cas
d'exposition massive, apparaissent des troubles de conscience pouvant aller
jusqu'au coma, parfois convulsif (anoxie).

Peau et muqueuses

La projection oculaire d'un solvant ne provoque, dans la majorité des cas,


qu'une conjonctivite irritative banale. Le traitement consiste en un lavage pré-
coce, abondant et prolongé pendant au moins 10 à 15 minutes, à l'eau
courante. Certaines molécules plus agressives comme le chlorure de
méthylène, le diméthylformamide (DMF), le tétrahydrofurane, la pyridine et la N-
méthylpyrrolidone peuvent entraîner un œdème, voire des érosions superficielles
de la cornée.

La projection cutanée est habituellement sans conséquence notable et relève


également d'un lavage à l'eau courante. Néanmoins, les composés cités
cidessus peuvent provoquer, à forte concentration et si le contact est prolongé,
des brûlures chimiques pouvant aller jusqu'à l'épidermolyse avec décollements
cutanés. Les brûlures dues au diméthylformamide sont volontiers retardées,
d'aspect souvent fripé et cartonné. Leur prise en charge est non spécifique.

En cas de contamination étendue et prolongée, les brûlures peuvent se


compliquer d'une intoxication systémique associant des signes ébrionarcotiques
et des manifestations liées à l'éventuelle toxicité spécifique du solvant.
Voies respiratoires

Une broncho-pneumopathie chimique par fausse-route peut être observée à la


suite d'une ingestion accidentelle (enfant), d'un accident de siphonage chez
l'adulte, d'un accident du cracheur de feu ou d'une manœuvre intempestive
d'évacuation digestive (vomissements provoqués, lavage gastrique). Elle est le
plus souvent associée à des hydrocarbures de faible viscosité. La diffusion des
hydrocarbures jusqu'aux alvéoles est facilitée par l'inspiration forcée et leur
faible tension superficielle (« pouvoir mouillant ») ; ils solubilisent le surfactant
lipidique et induisent une réaction inflammatoire. Un accès de toux initial, une
gêne respiratoire, une douleur rétrosternale doivent faire suspecter une
inhalation. La corrélation radioclinique est mauvaise. L'auscultation est un
meilleur critère ; elle peut objectiver des raîles bronchiques et quelques
crépitants. L'évolution peut se faire en quelques heures vers une véritable
pneumopathie. Des opacités floconneuses mal limitées, souvent para-
cardiaques droites, sont visibles sur la radiographie pulmonaire au bout de 24 à
48 heures. Une fièvre traduit la surinfection, fréquente. Le traitement est celui
d'une pneumopathie infectieuse. La corticothérapie n'a pas démontré son
intérêt, l'antibiothe ´rapie ne doit pas être systématique. L'apparition d'un
œdème aigu du poumon lésionnel avec SDRA est exceptionnelle ; le traitement
est non spécifique. En l'absence de symptômes dans les 4 à 6 heures après
l'exposition, l'évolution vers une pneumopathie est peu probable.

La pyrolyse des solvants chlorés, comme le trichloréthylène ou le chlorure de


méthylène, libère du chlore, de l'acide chlorhydrique gazeux et du phosgène.
Ces gaz sont corrosifs, à l'origine d'un œdème aigu du poumon lésionnel ou
d'équivalents mineurs (toux, dyspnée, oppression thoracique), immédiats ou
retardés. La pyrolyse des fréons libère également du phosgène ainsi que de
l'acide fluorhydrique gazeux. L'inhalation de vapeurs très concentrées de
solvants chlorés, de pyridine ou de tétrahydrofurane peut entraîner des signes
irritatifs des voies aériennes supérieures, voire même déclencher un
bronchospasme chez des sujets sensibles (asthmatiques, bronchiteux
chroniques).

Cœur et vaisseaux

Troubles du rythme

De nombreux hydrocarbures volatils, en particulier les solvants chlorés (trichlore


´thane, trichloréthylène), peuvent entraîner des troubles de l'excitabilité
myocardique (tachycardie, salves d'extrasystoles ventriculaires, tachycardie,
voire fibrillation ventriculaire) lorsqu'ils sont inhalés. Des morts subites par
arythmie ventriculaire, liée à une sensibilisation du myocarde aux
catécholamines endogè nes, ont été rapportées chez des toxicomanes
sniffeurs. L'exposition à de très fortes concentrations de fréons provoque un
coma pouvant se compliquer d'une diminution de la contractilité myocardique
et de troubles du rythme. Les troubles sont nettement favorisés par une
éventuelle pathologie cardiaque pré-existante, l'hyperadrénergie (effort
physique, stress) et surtout l'hypoxie. Des décès par inhalation volontaire de
méthane, éthane, propane et butane ont également été rapportés.
L'intoxication aiguë par le trichloréthylène associe des troubles neuropsychiques,
des troubles digestifs précoces, intenses et prolongés et des troubles
cardiovasculaires (collapsus, troubles du rythme). Le diagnostic repose sur
l'anamnèse, la clinique et la recherche des métabolites dans le sang et les
urines (trichloroéthanol, acide trichloroacétique). Les solvants chlorés sont radio-
opaques. La prise en charge repose sur une réanimation symptomatique avec
oxygénothérapie et sur l'administration de propranolol en cas d'hyperexcitabilite
´ventriculaire : injection intraveineuse lente de 2,5 à 5 mg, puis relais par une
perfusion continue de 0,5 à 1 mg/h ; le sevrage doit être progressif. Les
sympathomimétiques, qui aggravent et peuvent déclencher les troubles du
rythme, sont formellement contre-indiqués.

De façon générale, toute intoxication par solvant ou hydrocarbure donnant lieu


à des troubles de conscience et/ou à d'importantes brûlures impose une
surveillance hospitalière d'au moins 36 à 48 heures avec monitorage cardiaque
; en effet, des arythmies retardées ont été décrites alors même que les signes
neurologiques avaient disparu.

Angor

Le chlorure de méthylène ou dichlorométhane est partiellement métabolisé en


monoxyde de carbone. Lors d'une exposition massive, ses effets
ébrionarcotiques, marqués, sont aggravés par une intoxication oxycarbonée
retardée de plusieurs heures. En général, le taux de carboxyhémoglobine n'est
que modérément augmenté, de l'ordre de 10 %, et n'apparaît pas responsable
du décès. Cependant, plusieurs observations font état de taux pouvant
atteindre 30, voire même 50%. L'inhalation prolongée de vapeurs concentrées
peut favoriser la survenue d'une crise angineuse ou d'un infarctus du myocarde
chez le coronarien.

Foie et rein

Les hépatonéphrites résultent le plus souvent d'expositions accidentelles à forte


dose, par inhalation de vapeurs et/ou contamination cutanée étendue et
prolonge ´e, à des dérivés dont la biotransformation produit des métabolites
réactifs. Il s'agit le plus souvent de solvants chlorés comme le chloroforme ou le
tétrachlorure de carbone. Cependant le chlorure de méthylène, le
trichloréthylène, le tétrachloréthylène et le 1,1,1-trichloréthane ne sont pas
hépatotoxiques ; les hépatites rapportées avec ces molécules sont
actuellement attribuées aux impurete ´s des produits industriels. Selon le solvant,
l'atteinte peut être purement hépatique ou prédominer sur le foie ou sur le rein.

Diméthylformamide (DMF)

Faiblement volatil mais doué d'une excellente pénétration percutanée, le dimé-


thylformamide peut provoquer une cytolyse hépatique, habituellement
bénigne, après contact unique ou répété sur plusieurs jours. Typiquement, le
tableau comporte des brûlures des mains, accompagnées de signes
ébrionarcotiques, puis des troubles digestifs, une asthénie et un subictère
survenant 24 heures à 5 jours après le début de l'exposition. Les transaminases
ne sont que modérément augmentées dans la majorité des cas ; la biopsie
montre une stéatose puis une nécrose centro-lobulaire. L'administration
précoce et prolonge ´e de N-acétylcystéine paraît efficace pour limiter la
cytolyse. Des suicides par le T 61, euthanasiant à usage vétérinaire associant
agents anesthésiques et curare en solution dans du diméthylformamide, ont été
rapportés, par ingestion ou injection parentérale. La survenue retardée d'une
atteinte hépatique, parfois sévère, est attribuée au diméthylformamide ou à ses
métabolites.

Divers

Le 1,2-dichloréthane provoque une hépatonéphrite tout à fait superposable à


celle due au tétrachlorure de carbone, volontiers compliquée d'une
rhabdomyolyse. Une atteinte hépatique a été décrite avec d'autres produits
comme le 1,3-dichloro-2-propanol, le tétrahydrofurane, le dioxane et la
pyridine. Une atteinte hépato-rénale a été occasionnellement signalée lors
d'intoxications massives, le plus souvent par ingestion, par certains solvants
pétroliers ou cétones (cyclohexanone) ; leur pathogénie est indéterminée.

Autres atteintes

Des cas d'injections parentérales d'hydrocarbures, ou de produits domestiques


ou phytosanitaires en solution dans des hydrocarbures (insecticides), ont été
rapportés, le plus souvent dans un contexte suicidaire. Les manifestations
cliniques sont liées à la voie d'injection. L'injection intraveineuse peut entraîner
une toxicité systémique avec, en particulier, une atteinte pulmonaire semblable
à celle qui est observée après inhalation. L'injection sous-cutanée n'entraîne
que des signes locorégionaux, souvent retardés et volontiers extensifs : réaction
inflammatoire, cellulite et abcès stérile ; une intervention chirurgicale (incision et
drainage) est souvent nécessaire. Des nécroses cutanées et tendineuses
peuvent être observées. Enfin, l'injection sous forte pression (pistolet à peinture,
à graisse) peut entraîner un véritable syndrome compartimental.

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Traitement : remarques générales

Dans tous les cas, le traitement est essentiellement symptomatique, avec une
priorité pour le maintien de la fonction respiratoire (oxygénation, intubation,
ventilation artificielle). La surveillance porte sur la respiration, l'état
hémodynamique et l'électrocardiogramme, l'état neurologique (survenue
possible de convulsions), l'équilibre acido-basique (acidose métabolique) et
hydroélectrolytique (déshydratation).

Le traitement de la broncho-pneumopathie chimique n'est pas spécifique. Dans


les formes graves, les modalités de la ventilation artificielle ne sont pas diffé-
rentes de celles appliquées aux pneumopathies sévères d'autre origine. Les
corticoïdes et l'antibiothérapie ne doivent pas être systématiques.

En cas de collapsus, les amines sympathomimétiques doivent être utilisées avec


prudence ; elles peuvent déclencher la survenue de troubles du rythme, en
particulier avec les solvants chlorés et les fréons.
Le traitement antidotique est efficace dans quelques rares cas de toxicité
géné-rale, comme la N-acétylcystéine dans le traitement de l'intoxication aiguë
par le tétrachlorure de carbone.

L'épuration digestive en cas d'ingestion est controversée. Le charbon activé est


inefficace. Seul le lavage gastrique peut être envisagé en cas d'ingestion
massive récente (moins de 1 heure) et de risque de toxicité systémique. Les
voies aériennes doivent être protégées par une intubation trachéale. Aucune
manœuvre d'épuration digestive n'est indiquée en l'absence de risque de
toxicité systé-mique. Les ingestions minimes ne nécessitent qu'un pansement
gastrique et une surveillance à domicile.

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Principales références
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Plantes

Françoise Flesch

Les végétaux sont à l'origine d'environ 5% des intoxications signalées aux centres
antipoison. Ces intoxications concernent principalement l'enfant et sont
généralement bénignes. Chez l'adulte, elles sont rares et surviennent soit dans
un contexte suicidaire, soit par confusion avec une plante comestible, soit par
utilisation de la plante dans un but addictif ou thérapeutique. Ces intoxications
peuvent être graves en raison de la toxicité cardiaque et/ou neurologique de
certaines plantes.

Après la présentation des principaux symptômes pouvant être induits par


l'ingestion de plantes ou de baies ainsi que celle d'une conduite à tenir
générale vis-à-vis de ces intoxications, une vingtaine de plantes, choisies en
fonction de leur toxicité et/ou de la fréquence des intoxications, sont
présentées par ordre alphabétique du nom commun français.

Symptômes pouvant être induits par l'ingestion de plantes ou de baies

Les intoxications végétales peuvent occasionner les signes cliniques suivants :

 signes généraux : malaise, soif, sueurs, hyperthermie ;


 troubles digestifs : pratiquement toutes les plantes peuvent occasionner
des troubles digestifs et ces troubles sont souvent la première
manifestation de l'intoxication ;
 troubles cardiovasculaires : bradycardie, tachycardie, arythmie, troubles
conductifs. Ils sont responsables de la majorité des décès et sont
consécutifs à l'ingestion de digitale, aconit, laurier rose, if, vératre,
belladone… ;
 troubles neurologiques : il peut s'agir de convulsions (belladone, actée,
ciguë, morelle, redoul, vérâtre) et plus rarement de parésies/paralysies
(aconit, ciguë) ;
 troubles neuropsychiques : délire et hallucinations sont occasionnés par
belladone, datura, jusquiame ;
 troubles hématologiques : l'aplasie médullaire est consécutive à une
ingestion de colchique ou de Gloriosa superba ;
 troubles hépatiques et rénaux : ils sont induits par l'aristoloche ;
 syndrome atropinique : il est occasionné par belladone, datura,
jusquiame.

Conduite à tenir en présence d'une ingestion supposée de baies ou de plantes

Toute consommation volontaire de plante chez un adulte a un caractère


potentiel de gravité. La survenue de troubles digestifs au décours d'une
ingestion de végétaux signe une intoxication et doit faire préconiser une
surveillance hospitalière.

En milieu hospitalier, l'évacuation digestive et/ou l'administration de charbon


activé peut être préconisée en cas d'ingestion d'une quantité importante d'une
plante toxique ; les indications doivent être discutées au cas par cas, avec un
centre antipoison, en considérant le délai, la toxicité du végétal et les signes
cliniques.

Dans la majorité des cas, il convient uniquement d'assurer une surveillance


clinique et électrocardiographique pour les plantes potentiellement
neurotoxiques ou cardiotoxiques et d'effectuer un traitement symptomatique :
anticonvulsivants, réhydratation, atropine en cas de bradycardie.

Dans quelques rares cas peuvent être utilisés des antidotes :

 les anticorps antidigitaliques (Digibind®) dans les intoxications sévères par


digitale et laurier rose ;
 l'hydroxocobalamine (Cyanokit®) en cas d'intoxication sévère par
amandes amères ou feuilles de laurier cerise.

Plantes et baies toxiques : présentation par ordre alphabétique du nom


commun français

Aconit (Aconitum napellu L.)

Les intoxications peuvent être soit suicidaires, soit consécutives à une


consommation de préparations phytothérapiques ou à une confusion avec des
racines alimentaires.

Les symptômes apparaissent rapidement après l'ingestion (entre 10 minutes et 2


heures) et se caractérisent par : paresthésies buccales, troubles digestifs,
hyperventilation, vertiges.

Dans les cas graves surviennent des troubles cardiaques (tachycardie


ventriculaire, fibrillation ventriculaire, dysrythmies). Il n'existe pas de consensus
concernant le meilleur traitement des arythmies ventriculaires : amiodarone,
flécaïnide, mexilétine ont été utilisés avec succès dans certains cas. La
lidocaïne a été généralement inefficace.

Amandes amères

L'intoxication se produit par ingestion d'amandes amères ou d'amandes de


noyaux de fruits ; 6 à 10 amandes amères pourraient occasionner une
intoxication grave.

Les signes d'une intoxication avérée sont ceux de l'intoxication cyanhydrique


avec malaise, dyspnée, sueurs, tachycardie et, en cas d'intoxication grave,
coma et convulsions.

Le traitement associe oxygénothérapie, correction de l'acidose et traitement


antidotique par hydroxocobalamine (Cyanokit®) dans les cas sévères.

Arum (Arum maculatum L.)

La mastication et l'ingestion de feuilles ou de baies provoquent une forte


irritation bucco-pharyngée avec douleurs buccales lancinantes,
hypersialorrhée, tuméfaction labiale et linguale, vomissements et diarrhées. En
cas d'ingestion massive (peu probable en raison de l'âcreté de la plante), on
peut observer : paresthésies, troubles du rythme cardiaque, somnolence.
Le traitement est symptomatique. Les glaçons peuvent soulager les douleurs
buccales.

Belladone (Atropa belladonna L.)

La belladone est le plus souvent consommée accidentellement par des enfants


et plus rarement par des adultes dans un contexte suicidaire, toxicomaniaque
ou de confusion avec des baies comestibles.

Les symptômes apparaissent 30 minutes à 2 heures après l'ingestion et


comportent un ou plusieurs des signes cliniques suivants : vomissements,
sécheresse buccale, mydriase, tachycardie, hyperthermie, confusion mentale,
délire, convulsions, coma.

Le traitement est symptomatique. La physostigmine (non disponible en France)


a été utilisée avec succès par certains auteurs.

Berce (Heracleum mantegazzianum L.)

Toutes les parties de cette ombellifère contiennent des furocoumarines. La


projection du suc de la plante sur une peau humide avec une exposition
concomitante au soleil induit une réaction phototoxique avec érythème, prurit,
hyperpigmentation, lésions vésiculaires et parfois phlycténulaires. Un traitement
par pommade à base de sulfadiazine argentique peut être proposé.

Ciguë (grande ciguë : Conium maculatum L.; ciguë vireuse : Cicuta virosa L.)

Les intoxications sont rares. Elles peuvent être volontaires ou accidentelles par
confusion avec des feuilles ou des racines d'apiacées comestibles (cerfeuil,
persil).

L'ingestion de ciguë vireuse provoque : brûlures oropharyngées, vomissements,


douleurs abdominales, convulsions, acidose métabolique, rhabdomyolyse et
insuffisance rénale aiguë.

L'intoxication par la grande ciguë se traduit par une irritation digestive associée
à une paralysie ascendante avec sensation de refroidissement des extrémités.
Une rhabdomyolyse et une atteinte rénale sont fréquemment observées.

Le traitement est symptomatique.

Colchique (Colchicum autumnale L.)

Il s'agit surtout d'intoxications survenant au printemps, par confusion des feuilles


avec celles de l'ail des ours, et plus rarement d'intoxications chez l'enfant par
consommation de graines.

Les intoxications par colchique sont graves et mettent en jeu le pronostic vital.
Les premiers signes sont digestifs et surviennent après un délai de quelques
heures : vomissements puis diarrhées profuses rapidement responsables d'une
déshydratation (Voir chapitre Colchicine).

Dans les cas sévères peut apparaître, dans les 24 premières heures, une
insuffisance circulatoire aiguë. Vers le 3e jour, apparaît une aplasie médullaire
qui va durer de 2 à 6 jours et dont le risque est infectieux et hémorragique. Vers
le 10e jour survient une alopécie.

L'évacuation digestive est rarement réalisée en raison du délai généralement


long entre l'ingestion et l'admission en milieu hospitalier. L'administration de
doses répétées de charbon activé est efficace mais rarement réalisable en
raison des vomissements importants. Le traitement est donc principalement
symptomatique avec une surveillance quotidienne de l'ionogramme, de
l'hémogramme, des plaquettes et de la prothrombine.

Coloquinte (Citrullus colocynthis L.)

Les coloquintes renferment des cucurbitacines aux propriétés purgatives


drastiques. L'ingestion de coloquintes, confondues avec des cucurbitacées
comestibles (courgettes, concombres…), provoque des vomissements et
diarrhées profuses. L'évolution est généralement favorable en 24 heures.

Cytise (Laburnum anagyroides Med. = Cytisus laburnum L.)

L'intoxication est généralement consécutive à une ingestion accidentelle de


graines chez l'enfant et se traduit par des vomissements pouvant persister
quelques heures. L'effet émétisant de la cytisine semble empêcher l'absorption
digestive des alcaloïdes neurotoxiques.

Datura (Datura stramonium L.)

La consommation de cette plante dans un but addictif sous forme de


décoction ou d'ingestion de graines est actuellement le mode d'intoxication le
plus fréquent.

L'intoxication se traduit par un syndrome anticholinergique à symptomatologie


essentiellement neuropsychique avec excitation psychomotrice, propos
incohérents, hallucinations visuelles, désorientation et agressivité. La présence
d'une mydriase bilatérale est constante alors que les autres signes
anticholinergiques sont inconstants : sécheresse buccale, tachycardie sinusale,
hyperthermie, rétention urinaire, vomissements. Dans les cas graves, on peut
observer coma et convulsions. Le traitement est symptomatique.

Dieffenbachia (Dieffenbachia sp.)

L'intoxication est due le plus souvent au mâchonnement de l'extrémité d'une


tige ou d'un fragment de feuille.

Après quelques minutes apparaît une sensation de brûlure intense de la cavité


buccale avec hypersalivation. Dans les cas sévères apparaît un œdème
pouvant atteindre l'oropharynx. Le contact oculaire avec la sève provoque une
douleur immédiate et intense avec larmoiement et œdème conjonctival. Une
atteinte de l'épithélium cornéen est possible.

En cas de contact buccal, liquides frais et glaçons soulagent douleur et


œdème. En présence de symptômes, une surveillance en milieu hospitalier est
indiquée en raison du risque de survenue d'un œdème pharyngé.
Digitale pourpre (Digitalis purpurea L.)

Les intoxications peuvent être dues soit à une confusion avec des feuilles de
bourrache utilisées pour la préparation de salades ou de tisanes, soit à une
ingestion volontaire dans un but suicidaire.

Les symptômes associent : troubles digestifs (nausées, vomissements), troubles


neuro-sensoriels (obnubilation, troubles de la vision avec dyschromatopsie),
troubles cardiaques (troubles de la conduction et/ou de l'automatisme). Ces
troubles peuvent être associés à une hyperkaliémie, facteur de gravité de cette
intoxication.

Le traitement comporte l'administration d'atropine en cas de bradycardie. Un


traitement spécifique par les anticorps antidigitaliques (Digibind®) représente le
traitement de choix d'une intoxication grave (Voir chapitre Digitaliques).

Férule = Fassoukh (Ferula communis L.)

Cette plante est utilisée dans les traditions marocaines et algériennes pour ses
vertus magiques de désenvoûtement. Ferula communis est riche en dérivés
coumariniques. Une ingestion de fassoukh doit être suspectée devant un
syndrome hémorragique par hypovitaminose K chez un patient non traité par
antivitamines K.

If (Taxus baccata L.)

Chez l'adulte, l'intoxication peut être volontaire ou consécutive à une utilisation


à visée thérapeutique. Ces intoxications sont souvent graves. Chez l'enfant, les
intoxications accidentelles sont généralement bénignes en raison de l'ingestion
de la partie charnue non toxique de la “baie” ou de l'ingestion d'une faible
quantité de “baies” avec un noyau non mâché.

Les signes cliniques apparaissent 2 à 3 heures après l'ingestion et comprennent


des signes digestifs, neurologiques (coma, convulsions) et cardiaques (troubles
de la conduction ventriculaire, arythmies, fibrillation ventriculaire).

Le traitement des troubles cardiaques reste mal codifié ; lidocaïne, phénytoïne,


anticorps antidigitaliques, entraînement électrosystolique, perfusions de solutés
alcalins ont été utilisés avec des succès variables.

Laurier cerise (Prunus laurocerasus L.)

La consommation des fruits du laurier-cerise est fréquente chez l'enfant. La chair


du fruit n'est pas toxique et le noyau avalé sans être mâché ne provoque pas
de symptômes.

Par contre, l'ingestion de feuilles se traduit par une intoxication de type


cyanhydrique (Voir Amande amère).

Laurier rose (Nerium oleander L.)

Toute la plante renferme des hétérosides dont la structure est proche de celle
des digitaliques. Les symptômes de l'intoxication sont donc ceux de l'intoxication
digitalique et le traitement relève de l'administration d'anticorps antidigitaliques
(Voir chapitre Digitaliques).

Muscade (Myristica fragrans Houtt.)

La noix de muscade contient de la myristicine qui a un effet psychostimulant et


hallucinogène.

L'intoxication est généralement volontaire dans un but toxicomanogène.

Une à 3 noix de muscade ou 5 à 30 grammes de noix râpée peuvent provoquer


des effets toxiques qui se traduisent par : nausées, vomissements, sécheresse
buccale, myosis ou mydriase, vertiges, tachycardie, anxiété, excitation,
hallucinations. La symptomatologie régresse généralement dans les 24 heures.
Le traitement est symptomatique.

Redoul (Coriaria myrtifolia L.)

La cause la plus fréquente d'intoxication est l'ingestion de fruits, surtout chez les
enfants.

Les symptômes surviennent après 30 minutes à 2 heures et associent troubles


digestifs, troubles neurologiques (myosis, obnubilation, convulsions, coma) et
troubles respiratoires (polypnée, apnée). Le traitement est symptomatique.

Ricin (Ricinus communis L.)

L'intoxication est liée à une ingestion de graines. Les signes digestifs apparaissent
après un délai variable (de 15 minutes à quelques heures). Le tableau est celui
d'une gastro-entérite sévère qui aboutit rapidement à une déshydratation
aiguë avec hypovolémie, choc et insuffisance rénale aiguë en l'absence de
rééquilibration hydro-électrolytique. Exceptionnellement ont été rapportées :
hémolyse, atteinte hépatique et rénale.

Vératre (Veratrum album L.)

Il s'agit le plus souvent d'intoxications accidentelles par confusion avec la


gentiane (Gentiana lutea L.) lors de la fabrication artisanale de liqueur à partir
des racines. Les symptômes apparaissent après 30 minutes à 3 heures et se
caractérisent par : troubles digestifs (nausées, vomissements, parfois diarrhées),
bradycardie, hypotension et plus rarement des troubles de la conscience,
vertiges, paresthésies. Du point de vue cardiaque, en dehors d'une bradycardie
sinusale fréquente, il a été signalé : bloc sino-auriculaire ou auriculo-
ventriculaire, troubles de la repolarisation, troubles rythmiques, allongement du
QT. Le traitement est symptomatique. L'atropine est efficace sur la bradycardie.

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Principales références
Boustié J, Caubet A, Paris M. Atlas des intoxications d'origine végétale. EMC
Toxicologie Pathologies Professionnelles 2002, 16-065-A-10, 29 p.
Bruneton J. Pharmacognosie, phytochimie, plantes médicinales. Paris : Lavoisier
éditions Tec et Doc, 2003.
Bruneton J. Plantes toxiques. Paris : Lavoisier éditions Tec et Doc, 2001.
Flesch F. Intoxications d'origine végétale. EMC Traité de Médecine Akos, 2005, 7-
1057, 11 p.
Flesch F, Krencker E. Intoxications par les végétaux. EMC Urgences 2003, 24-116-
A-07, 14 p.
Champignons Supérieurs

Philippe Saviuc

Généralités

Entre 1 000 et 1 500 cas d'intoxication par champignons sont rapportés chaque
année dans les centres anti-poison et de toxicovigilance français (CAPTV),
principalement durant les mois de septembre et d'octobre. Beaucoup de ces
intoxications sont traitées en ambulatoire. Celles qui font l'objet d'une admission
dans un SAU sont responsables d'un surcroît d'activité perceptible durant ces
quelques semaines de l'automne.

En l'absence d'une identification mycologique des espèces ingérées disponible


en urgence, ce sont l'analyse du délai écoulé entre le repas et le moment de
l'apparition des symptômes (= délai ingestion-symptômes) ainsi que l'analyse de
ces symptômes qui permettent de s'orienter vers l'un des syndromes
d'intoxication par champignons (= syndromes mycotoxicologiques) et
d'adapter la prise en charge de l'intoxiqué. Le plus fréquent (60 à 70% des
intoxications) est le syndrome gastro-intestinal, en règle générale d'évolution
favorable.

La règle des 6 heures a été établie dans le seul objectif de dépister


précocement la possibilité d'un syndrome phalloïdien ; cette règle peut être
prise en défaut lorsque des champignons sont consommés à plusieurs repas
successifs ou lorsque plusieurs espèces sont consommées simultanément. Même
si l'intoxication phalloïdienne a une fréquence globalement en diminution, son
pronostic reste sévère : il n'existe pas d'antidote susceptible d'inverser le
pronostic et cette intoxication est responsable de la majorité des décès par
champignons (95% des décès ; létalité de 10 à 15%). D'autres syndromes
mycotoxicologiques peuvent exceptionnellement conduire au décès :
syndromes muscarinien, orellanien, gyromitrien, paxillien et lié à une
rhabdomyolyse.

L'identification mycologique est d'autant plus souhaitable que les signes


présentés ou le délai ne sont pas en stricte adéquation entre avec l'un des
syndromes mycotoxicologiques. La constitution préalable d'un réseau de
contacts permet de disposer d'une telle expertise. Joindre un CAPTV permet
éventuellement d'obtenir cette expertise et de confronter les hypothèses.

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Orientation diagnostique

Différentes circonstances font évoquer une intoxication par champignons :

 lors de troubles digestifs reliés à la consommation de champignons, d'un


usage “récréatif” de champignons hallucinogènes ou en présence d'une
situation pathologique particulière devant faire rechercher la
consommation de champignons, la démarche orientant vers l'un des
syndromes est décrite figures 1 à 3;
Figure 1 - Démarche diagnostique permettant de s'orienter vers l'un des
syndromes d'intoxication par champignons : point d'appel digestif.

Figure 2 - Démarche diagnostique permettant de s'orienter vers l'un des


syndromes d'intoxication par champignons : contexte récréatif.
Figure 3 - Démarche diagnostique permettant de s'orienter vers l'un des
syndromes d'intoxication par champignons : pathologies devant faire évoquer
la consommation de champignons.

 lors d'une intoxication accidentelle chez l'enfant, la situation est un peu


différente : la quantité ingérée est systématiquement minime et
l'intoxication est le plus souvent découverte au décours immédiat de
l'exposition. C'est dans cette circonstance que l'identification
mycologique permet d'orienter au mieux la prise en charge. Par défaut
ou en cas de risque de syndrome lésionnel, une épuration digestive
(lavage gastrique, charbon activé) peut être indiquée, pleinement
justifiée par le délai court entre l'ingestion et le moment de la prise en
charge ;
 lors d'une intoxication volontaire de l'adulte, les champignons sont a priori
toxiques (mais le suicidant peut se tromper) et la quantité absorbée peut
être importante. Une épuration digestive est justifiée si le délai est court ;
la démarche de la figure 1 s'applique.

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Différents syndromes

Les principales espèces responsables des différents syndromes ainsi que les
principales confusions sont rassemblées tableau 1.

Syndromes Espèces toxiques Confondues avec

Gastro-intestinal Agaric jaunissant Rosé des prés

Bolet Satan et espèces Bolet comestible


proches

Entolome livide Clitocybe nébuleux,


meunier

Pleurote de l'olivier Girolle

Russule émétique1 Russules “rouges”

Tricholome tigré Tricholome “gris”

Muscarinien Clitocybes “blancs” Mousseron d'automne,


meunier

Inocybes “bruns” Mousseron d'automne,


tricholome terreux

Inocybe de Tricholome de la Saint-


Patouillard Georges

Panthérinien Amanite panthère Amanite rougissante


(golmotte)

Amanite tue-mouche Amanite des Césars


(oronge)

Narcotinien Psilocybes et autres Consommés en tant que


genres tels

Coprinien Coprin noir d'encre Coprin chevelu

Phalloïdien Amanite phalloïde Autres amanites


comestibles, coulemelle,
russule verdoyante,
tricholome prétentieux…

Amanite printanière, Agaric des prés, des bois,


amanite vireuse tricholome colombette…

Galère marginée et Pholiote changeante


autres galères

Lépiotes “brunes de petit Lépiotes comestibles


diamètre”

Orellanien Cortinaire des montagnes Girolle

Cortinaire très joli

Proximien Amanite à volve rousse Amanite ovoïde

Gyromitrien Gyromitre “comestible” Morilles Consommés en


et autres gyromitres tant que tels

Cérebelleux Morilles Consommées en tant que


telles

Paxillien Paxille enroulé Consommés en tant que


tels

Rhabdomyolyse Tricholome équestre Consommés en tant que


(tricholome doré, bidaou) tels

Acromélalgien Clitocybe à bonne odeur Clitocybe renversé

Encéphalopathie Pleurocybella porrigens Consommés en tant que


tels

Polypore rutilant Langue de bœuf

1. Et armillaire couleur de miel, clitocybe nébuleux, russule olivacée,


hypholome en touffe, lactaire à toison, hébélomes, clavaires…

Syndromes dont le délai ingestion-premiers symptômes est inférieur à 6 heures

Gastro-intestinal (digestif, résinoïdien) (1)

 C'est le plus fréquent des syndromes (60-70 %).


 Délai signes digestifs : 15 minutes-3 heures.
 Signes cliniques : troubles digestifs isolés ; résolution en 12 heures (parfois 1-
2 j).
 Risque principal : déshydratation, chez les patients à risque (enfant,
multiantécédents cardiaques, rénaux…).
 Traitement : symptomatique : réhydratation par voie parentérale.
 Toxine : connue dans de rares cas ; pas de dosage.
 Commentaires : les champignons soulignés exposent à un risque
d'intoxication plus sévère, d'évolution plus prolongée, pouvant pour les
entolomes débuter jusqu'à 8-10 heures après le repas (diagnostic
différentiel avec une intoxication phalloïdienne).

Muscarinien (sudorien, cholinergique) (2)

 Deuxième syndrome par ordre de fréquence décroissante (15 %).


 Délai signes digestifs et extra-digestifs : 15 minutes-3 heures.
 Signes cliniques : troubles digestifs, signes muscariniques : sueurs profuses,
hypersécrétion salivaire et bronchique, bradycardie sinusale, hypotension
artérielle ; résolution le plus souvent spontanée.
 Risque principal : bradycardie sévère, retentissement hémodynamique,
décès exceptionnel (terrain).
 Traitement :
 symptomatique : réhydratation ;
 antidotique : atropine voie IV, 0,5-1 mg, éventuellement à
renouveler.
 Toxine : muscarine ; pas de dosage en routine.
 Commentaires: la sévé rité de la bradycardie impose une surveillance en
réanimation. La présence d'antécédents, en particulier cardio-
circulatoires, constitue un facteur de gravité.

Panthérinien (anticholinergique) (3)

 Troisième syndrome par ordre de fréquence décroissante (quelques %).


 Délai signes digestifs et extra-digestifs : 30 minutes-3 heures.
 Signes cliniques : troubles digestifs modérés, agitation, confusion, délire,
“hallucinations ”, tachycardie, mydriase ; résolution spontanée en 12-24
heures.
 Risque principal : convulsions chez l'enfant, dépression du SNC jusqu'au
coma (grande quantité).
 Traitement : symptomatique : benzodiazépines (agitation).
 Toxines : isoxazoles ; pas de dosage en routine.
 Commentaires : les “pseudo” hallucinations (le sujet reste critique)
peuvent être recherchées (usage récréatif). Bien que l'amanite tue-
mouche ait donné son nom à la muscarine, elle en contient trop peu
pour entraîner des effets muscariniques significatifs.

Narcotinien (psilocybien, psychodysleptique) (4)

 Syndrome faisant peu fréquemment l'objet d'une hospitalisation.


 Délai signes extra-digestifs : 20-30 minutes-1 heure.
 Signes cliniques : euphorie ou anxiété, hallucinations surtout, troubles de la
perception temporo-spatiale, tachycardie, mydriase, vasodilatation
périphérique, nausées ; effet maximal en 2-4 heures ; résolution
spontanée.
 Risque principal : convulsions chez l'enfant. Coma, infarctus, décès très
exceptionnels, toujours avec à des doses massives.
 Traitement : symptomatique : benzodiazépines selon le cas.
 Toxine : psilocybine ; dosage possible par spectrométrie de masse, pas en
routine.
 Commentaires : la consommation est récréative (10-20 exemplaires). Les
espèces contenant de la psilocybine sont inscrites sur la liste des
stupéfiants (arrêté du 22 février 1990) ; la psilocine (métabolite de la
psilocybine) est une quasi copie de la sérotonine.

Coprinien (antabuse) (5)

 Syndrome rare (< 1 %).


 Délai signes digestifs et extra-digestifs : 30 minutes-2 heures après alcool.
 Signes cliniques : syndrome antabuse : flush cutané, céphalée, sueurs,
tachycardie sinusale, hypotension artérielle ; résolution le plus souvent
spontanée.
 Risque principal : collapsus, crise d'angor.
 Traitement : symptomatique : remplissage.
 Toxine : coprine ; aucun dosage.
 Commentaires : le métabolite de la coprine inhibe l'aldéhyde
déshydrogénase. La durée de cette inhibition explique la répétition de
l'effet lors de la répétition de la consommation d'alcool, pendant 3 jours.
Le fomépizole inhibant l'alcool déshydrogénase pourrait théoriquement
être utilisé lors d'intoxications sévères.

Syndromes dont le délai ingestion-premiers symptômes dépasse les 6 heures

Phalloïdien (6)

 Le plus redouté des syndromes ; rare (< 1 %), mais responsable de 90 à


95% des décès.
 Délai signes digestifs : 6-24 heures (moyenne 10-12 h) ; signes extra-
digestifs : 36-48 heures.
 Signes cliniques : troubles digestifs sévères, syndrome dysentérique - risque
d'hypovolémie, d'insuffisance rénale - ; élévation des transaminases vers
36 heures, insuffisance hépatocellulaire vers 72 heures (diminution de la
prothrombine, du facteur V vers 4-5 j), hémorragie digestive,
encéphalopathie hépatique, hypoglycémie, insuffisance rénale aiguë
organique, coagulopathie de consommation.
 Risque principal : hépatite fulminante, décès.
 Traitement :
 symptomatique : compensation en réanimation des pertes hydro-
électrolytiques, maintien d'une hydratation et d'une fonction rénale
correctes, ce qui permet une élimination efficace des amatoxines ;
 épurateur : administration répétée de charbon activé (parfois
gênée par l'intolérance digestive) qui permet l'interruption du cycle
entéro-hépatique ; diarrhées (riches en amatoxines) à respecter.
Les techniques d'épuration extra-rénale n'ont pas d'intérêt en
termes d'épuration du toxique ;
 spécifique : la pénicilline G n'est plus recommandée ; la silibinine
(Légalon Sil®, dose de 20 mg/kg/j en 4 perfusions ; preuves
d'efficacité chez l'animal) et la N-acétylcystéine (Fluimucil® 5 g/25
ml, doses du protocole “paracétamol” ; absence de preuves
d'efficacité chez l'animal) sont utilisées sans validation de leur
efficacité clinique ;
 le traitement de l'insuffisance hépatocellulaire est symptomatique.
L'orientation vers une réanimation proche d'un centre de
transplantation est à réaliser tôt. Au stade de l'encéphalopathie
hépatique, la dialyse sur albumine (MARS™) peut permettre de
passer un cap ou bien d'aborder la transplantation hépatique dans
de meilleures conditions. L'une des difficultés est d'établir
précocement les facteurs pronostiques de l'irréversibilité de
l'atteinte hépatique. La régénération hépatique peut être suivie par
le dosage des α-fœtoprotéines.
 Toxines. α-amanitine surtout. Dosage de l'amanitine urinaire (kit Bulhmann,
chromatographie) ; il n'a pas de valeur pronostique.
 Commentaires : l'α-amanitine est résorbée au niveau gastro-intestinal,
excrétée par la bile et subit un cycle entéro-hépatique. L'élimination est
principalement urinaire sous forme inchangée. Les urines et les selles
constituent le principal émonctoire des amanitines. Le pronostic est lié à :
gravité de l'hépatite, jeune âge, facteur V et taux de prothrombine
inférieurs à 10 %, insuffisance rénale et encéphalopathie. Il n'est pas
corrélé à l'hypertransaminasémie.

Orellanien (7)

 Délai signes digestifs : 24 heures-14 jours (médiane : 3 j) ; signes extra-


digestifs : 4-15 jours (médiane : 8,5 j).
 Signes cliniques : troubles digestifs peu sévères ; plus tardivement :
asthénie, anorexie, douleurs lombaires, soif, frissons, céphalées,
myalgies…, IRA par tubulopathie aiguë.
 Risque principal : insuffisance rénale terminale.
 Traitement : symptomatique : réhydratation, hémodialyse, transplantation
rénale.
 Toxine : orellanine ; dosage dans le matériel de biopsie rénale ; pas en
routine.
 Commentaires : rare (< 1%). L'orellanine agit sur la cellule tubulaire par le
biais d'un cercle vicieux d'oxydo-réduction entretenant la réaction
radicalaire et expliquant la fréquente évolution vers la chronicité. Le
pronostic est sévère : la moitié des IRA évolue vers une insuffisance rénale
chronique parfois terminale.

Proximien (8)

 Délai signes digestifs : 8-14 heures ; signes extra-digestifs : 1-4 jours.


 Signes cliniques : troubles digestifs, tubulopathie aiguë, cytolyse
hépatique < 15 N; évolution favorable en 2 à 3 semaines.
 Risque principal : insuffisance rénale aiguë.
 Traitement : symptomatique : réhydratation, hémodialyse.
 Toxine : acide 2-amino-4,5-hexadiénoïque ? Aucun dosage.
 Commentaires : rare (< 1 %). Diagnostic différentiel avec le syndrome
orellanien.

Gyromitrien (9)
 Délai signes digestifs : 6-24 heures ; signes extra-digestifs : 36-48 heures.
 Signes cliniques : troubles digestifs tardifs, céphalée et fièvre, agitation,
convulsions ; hépatite cytolytique souvent modérée, hémolyse,
insuffisance rénale.
 Risque principal : insuffisance hépatocellulaire et rénale aiguë, coma.
 Traitement :
 symptomatique : traitement insuffisance hépatocellulaire,
hémodialyse ;
 antidotique : benzodiazépine, pyridoxine lors de convulsions.
 Toxine : gyromitrine ; aucun dosage.
 Commentaires : rare (< 1%). La monométhylhydrazine, métabolite de la
gyromitrine, a une action anti-vitamine B6 (pyridoxine) qui diminue le
GABA et induit des convulsions ; un effet radicalaire est responsable de
l'hépatite et de l'hémolyse. La vitamine B6 est administrée par perfusion
intraveineuse (25 mg/kg, pouvant être répétée sans dépasser une dose
cumulée de 30 g/j).

Cérébelleux (10)

 Délai signes : 3-20 heures (médiane 12 h).


 Signes cliniques : vertiges, ébriété, tremblements, ataxie, paresthésies,
troubles visuels polymorphes ; résolution spontanée en 24 heures
(médiane : 12 h).
 Traitement : aucun.
 Toxine : inconnue.
 Commentaires : rare (< 1 %). Consommation de morilles en grande
quantité.

Syndromes dont la survenue est exceptionnelle

Paxillien (11)

Des troubles digestifs sont signalés lors de la consommation de paxilles enroulés


peu cuits. Indépendamment, une anémie hémolytique aiguë d'origine immuno-
allergique est possible avec ses complications classiques. Aucun décès n'a été
publié en France. Le traitement associe remplissage, EER, exsanguino-
transfusion, voire plasmaphérèse.

Rhabdomyolyse (12)

De 1 à 3 jours après plusieurs repas consécutifs de tricholomes équestres


apparaissent : myalgies proximales intenses, raideur musculaire, asthénie, sueurs,
nausées, polypnée, créatine-kinases augmentées (> 100 000 U/l). L'EMG montre
une atteinte myogène pure. Le risque est lié à l'insuffisance respiratoire et
cardiaque réfractaire au traitement et conduisant au décès. Le traitement est
symptomatique. La toxine est inconnue. Plusieurs cas signalés en Aquitaine mais
aucun depuis 1998.

Acromélalgien (13)

Moins d'une dizaine de cas en France. Survenue, 24 heures après de l'absorption


de clitocybes à bonne odeur, d'une érythermalgie : paresthésies des extré-mités
(pieds) avec œdème et érythème au moment de paroxysmes déclenchés par
la chaleur ; atteinte neurogène à l'EMG. Il existe un risque de séquelles à type
de paresthésies. Une toxine agoniste des récepteurs non-NMDA a été isolée. Le
traitement est symptomatique ; de la kétamine pourrait être proposée.

Encéphalopathie (14)

Aucun cas en France. Survenue en Allemagne, 6 heures après l'absorption d'un


polypore, de troubles digestifs puis, à la 12e heure, d'une atteinte du système
nerveux central (vertiges, ataxie, somnolence, troubles visuels) avec discrète
augmentation des transaminases et de la créatinine. Le traitement est
symptomatique.

Une encéphalopathie convulsivante a été récemment décrite au Japon.


Aucun cas en France. Survenue, 1-30 jours après la consommation par des
insuffisants rénaux d'un petit “pleurote” blanc, d'une encéphalopathie
convulsivante avec une atteinte des noyaux gris de la base du crâne (TDM,
RMN) ; risque d'état de mal épileptique, de coma prolongé et de décès (létalité
30 %). La toxine est inconnue ; le traitement est symptomatique.

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Principales références
Ganzert M, Felgenhauser N, Zilker T. Indication of liver tranplantation following
amatoxin intoxication. J Hepatol 2005 ; 42 : 202-209.
Jaeger A. Developing evidence. Molecular adsorbents recirculating system
(MARS) as a critical example. Clin Toxicol 2005 ; 43 : 440-441.
Jaeger A. Is there a role for use of elimination techniques in Amanita poisoning ?
J Toxicol Clin Toxicol 2004 ; 44 : 54-55.
Saviuc P, Danel V. New syndromes in mushroom poisoning. Toxicol Rev 2006 ; 25 :
199-209.
Saviuc P, Flesch F, Danel V. Intoxications par les champignons : syndromes
mineurs. EMC Pathologie Professsionnelle et de l'Environnement 2006, 16077-B-
10, 12 p.
Saviuc P, Flesch F, Danel V. Intoxications par les champignons : syndromes
majeurs. EMC Pathologie Professsionnelle et de l'Environnement 2003, 16077-A-
10, 10 p.
Animaux Toxiques

Luc de Haro

Envenimation par animaux terrestres

Vipères européennes

Parmi les serpents de France métropolitaine, 2 espèces de vipère sont


susceptibles d'entraîner des envenimations pouvant mettre en jeu le pronostic
vital : la vipère aspic (Vipera aspis) et la vipère péliade (Vipera berus). Des
estimations font état d'environ 1 000 morsures annuelles en France, dont
seulement une centaine à l'origine d'envenimations sévères nécessitant une
prise en charge hospitalière prolongée et des traitements spécifiques. Le
tableau clinique est polymorphe et peut évoluer dans le temps. Environ 50% des
morsures sont dites blanches : la vipère a mordu mais n'a pas injecté de venin
(grade 0). Pour les 50% restants, l'injection de venin est attestée par l'apparition
d'une douleur vive et d'un œdème local (grade 1). Des symptômes généraux
peuvent être observés d'emblée : angoisse, malaise, douleurs abdominales,
nausées, vomissements. Deux signes représentent un critère de gravité : une
diarrhée et une hypotension artérielle résistant à un remplissage vasculaire
(grade 2 précoce). Dans la majorité des cas, le tableau clinique reste au grade
1 mais, dans 15 à 20% des envenimations, un œdème extensif se développe
secondairement, ce qui caractérise un grade 2. Lorsque l'œdème dépasse la
racine du membre mordu, un troisième secteur est réalisé et se complique de
multiples défaillances organiques (troubles de la coagulation, de la fonction
rénale, de l'équilibre hydro-électrolytique, etc.). Il s'agit alors d'un grade 3 avec
lésions tissulaires établies ( Tab. 1 ). Il existe en France plusieurs populations de
vipères aspics neurotoxiques en Lozère et dans l'arrière-pays niçois. Le tableau
clinique dans ces régions est dominé par une atteinte des nerfs crâniens (ptosis,
paralysie des muscles faciaux) avec une somnolence. L'anti-venin Viperfav% est
efficace pour neutraliser les neurotoxines présentes dans le venin de ces
populations originales. Le traitement de ces envenimations est donc le même
que celui préconisé pour les autres morsures vipérines en France métropolitaine.

Tableau 1 - Gradation clinique des envenimations par vipères européennes

Grad Envenimation Symptomatologie


e

0 Absente Marque des crochets et Absence d'œdème et de


douleur

1 Minime Œdème local autour de la morsure et Absence


de symptôme général

2 Modérée Œdème extensif et/ou Symptômes généraux


modérés et/ou Morsure faciale avec œdème

3 Sévère Œdème étendu au-delà du membre atteint et/ou


Symptômes généraux sévères
Conduite à tenir sur le lieu de la morsure

Il faut mettre la victime au repos. Une désinfection est pratiquée. Une vessie de
glace posée sur la zone mordue permet d'obtenir un effet antalgique. Un
bandage non serré peut être mis en place de la racine du membre vers la
périphérie pour ralentir la diffusion lymphatique du venin sans gêner la
vascularisation. Il faut enlever les garrots potentiels (bagues, bracelets). Des
symptômes mineurs et rassurants ne doivent jamais amener à laisser le patient à
domicile ; la gradation doit toujours être réalisée dans un service d'urgence.
Durant le transport, une voie veineuse périphérique doit être mise en place pour
permettre un apport de solutés de remplissage en cas d'hypotension artérielle.
Certaines pratiques dangereuses doivent être proscrites : incision, aspiration,
garrot, tourniquet, sérothérapie en dehors d'une structure hospitalière. Les
corticoïdes et les dérivés de l'héparine in situ n'ont montré aucune efficacité et
ne sont pas indiqués.

Conduite à tenir à l'hôpital

Le patient doit être examiné afin de pouvoir attribuer un grade ( Tab. 1 ). Le


bilan biologique comprend une numération-formule, un dosage de
l'hémoglobine, une évaluation de l'hémostase et un bilan rénal. Si le patient est
au grade 0 ou 1, la sérothérapie n'est pas nécessaire ; mais attention, le tableau
clinique des grades 1 peut s'aggraver secondairement (surveillance hospitalière
d'au moins 24 heures). Au cours de cette surveillance, des traitements
symptomatiques doivent être prescrits pour améliorer le confort du patient
(antalgiques, vessie de glace, désinfection et contrô le d'une éventuelle
surinfection). Dès que le patient présente un grade 2 ou 3, l'administration d'anti-
venin est nécessaire. Il est recommandé d'injecter des produits suffisamment
purifiés pour permettre l'utilisation de la voie intraveineuse (Viperfav® pour les
envenimations par V. aspis et V. berus), seule voie véritablement efficace en
cas d'envenimations pour lesquelles le pronostic vital est mis en jeu. Les
dernières données cliniques montrent qu'une seule perfusion lente d'une dose
de Viperfav® est suffisante. Notons deux cas particuliers : les femmes enceintes
doivent bénéficier de l'antivenin car il existe une toxicité fœtale du venin ; les
doses d'anticorps administrées sont les mêmes chez les enfants et chez les
adultes car le but est de neutraliser une quantité de venin, ce qui dépend du
serpent et non de la victime.

Serpents exotiques

La toxicité des venins des serpents est variable selon les espèces. Il est
cependant possible d'établir des généralités en fonction de la famille du
serpent responsable de la morsure.

- Les vipéridés d'origine asiatique (genre Daboia) se sont surtout développés en


Afrique où l'on retrouve des espèces redoutables (genre Bitis, Echis, Cerastes).
Le venin des Vipéridés est caractérisé par de grandes concentrations d'enzymes
qui sont à l'origine de troubles locorégionaux sévères et, pour les espèces les
plus dangereuses, de troubles de la coagulation mettant en jeu le pronostic
vital.

- Les crotalidés sont aussi d'origine asiatique (de nombreuses espèces


arboricoles du genre Trimeresurus) mais cette famille s'est beaucoup
développée en Amérique avec les serpents à sonnette (genre Crotalus) et les
fers de lance (genre Bothrops). Le venin des crotales contient de nombreuses
enzymes responsables de troubles locorégionaux et de perturbations de
l'hémostase. Notons que les venins des serpents à sonnette contiennent des
inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine, à l'origine d'hypotension
artérielle. Certaines espèces du genre Crotalus sécrètent de plus des
neurotoxines pouvant entraîner un véritable syndrome cobraïque (Crotalus
durissus d'Amérique latine).

- Les élapidés sont nombreux en Afrique (cobras du genre Naja, mambas du


genre Dendroaspis), en Asie (plusieurs genres de cobras, bongares du genre
Bungarus) et surtout en Australie. Quelques espèces de serpents corail ont, de
plus, colonisé le continent Américain (genres Micrurus et Leptomicrurus). Ces
serpents possèdent de petits crochets bien moins efficaces que l'appareil
venimeux des familles précédentes. Leur venin est peu riche en enzymes
provoquant des signes locaux mineurs, voire totalement absents, et des
perturbations minimes de la coagulation. L'essentiel de la toxicité du venin des
élapidés repose sur la présence de neurotoxines dont le mode d'action est
variable, toutes aboutissant cependant à un dysfonctionnement des synapses
neuromusculaires. Le tableau clinique, appelé syndrome cobraïque, est
caractérisé par une atteinte des nerfs faciaux (ptosis, ophtalmoplégie), puis par
l'apparition d'une paralysie flasque ascendante pouvant aboutir à un arrêt
respiratoire.

- Les hydrophiidés (serpents marins) sont de proches cousins des élapidés. La


quasi-totalité des espèces est placide, exceptée une espèce du genre
Enhydrina du golfe Persique qui peut attaquer les plongeurs. Leur venin est
pratiquement dépourvu d'enzymes (pas de signes locaux ni de troubles de
l'hémostase) mais il est très riche en myotoxines (rhabdomyolyse, myoglobinurie,
insuffisance rénale, hyperkaliémie) et en neurotoxines (dépression respiratoire).
Si les patients survivent à l'envenimation, les séquelles musculaires et rénales sont
toujours importantes.

- La famille des colubridés regroupe l'ensemble des couleuvres de tous les


continents. Certaines espèces sont venimeuses mais leurs crochets sont situés à
l'arrière de la cavité buccale, ce qui les handicape lors des tentatives
d'injection de venin à un humain. C'est ainsi le cas avec notre couleuvre de
Montpellier (Malpolon monspessulanus) dont le venin est neurotoxique mais
dont les morsures avec injection de venin sont rarissimes. Plusieurs espèces de
serpents lianes, dont Thelotornis kirtlandi d'Afrique, sont capables d'entraîner
des envenimations mortelles. Citons enfin le boomslang Dispholidus typus
d'Afrique australe responsable de troubles de l'hémostase mettant en jeu le
pronostic vital.

La conduite à tenir varie selon la toxicité du venin. En attendant l'arrivée des


secours, les gestes de première urgence décrits avec les vipères européennes
sont toujours valables (voir ci-dessus). Lors du transport vers l'hôpital, la seule
complication sévère que l'on peut craindre dans les premières heures est la
dépression respiratoire liée à la neurotoxicité de nombreuses espèces. Le
prodrome devant donner l'alerte est un ptosis ou une paralysie des muscles
oculaires. Le patient doit bénéficier d'une intubation dès qu'une bradypnée
apparaît. Dès l'arrivée à l'hôpital, une évaluation paraclinique et clinique doit
être effectuée. Si des anomalies de l'hémostase sont observées, le dosage des
facteurs de coagulation sera pratiqué. L'apparition de tout symptôme général,
a fortiori s'il s'agit de signes témoignant d'une action toxinique (ptosis, paralysie
musculaire, myoglobinurie…), doit amener à étiqueter l'envenimation comme
étant sévère. En pratique, tout patient présentant, après avoir été mordu par un
serpent exotique, des troubles de la coagulation et/ou des signes généraux
et/ou des signes locorégionaux en cours d'extension doit bénéficier d'une
sérothérapie spécifique. Malheureusement, l'anti-venin adapté n'est pas
toujours disponible et les thérapeutes doivent se contenter de prescrire les
traitements symptomatiques de toute façon indispensables : antalgiques,
antiseptiques locaux, antibiotiques, vessie de glace, intubation et ventilation
contrôlée en cas de dépression respiratoire, apport de facteurs de la
coagulation en cas de troubles patents de l'hémostase, aponévrectomie de
décharge en cas d'œdème compressif, apport de soluté de remplissage en cas
d'hypotension.

Batraciens

La plupart des amphibiens (grenouilles, crapauds, salamandres et tritons) possè


dent des glandes parotides sécrétant le venin qui est étalé sur la peau pour
éloigner les prédateurs. Les crapauds, dont l'espèce européenne Bufo bufo,
sécrètent des toxines stéroïdes d'action digitalique-like. Le contact cutané est à
peine irritant. Le fait de porter à la bouche un tel animal (enfants, chiens) peut
être à l'origine de symptômes mimant une intoxication digitalique
(vomissements, bradycardie, hyperkaliémie). Des irritations muqueuses et
cutanées peuvent aussi être observées en Europe après contact avec des
salamandres.

Les petites grenouilles tropicales et colorées des genres Dendrobates et


Phyllobates sont utilisées par les Indiens d'Amazonie pour empoisonner leurs
flèches. Ces espèces arboricoles accumulent sur leur peau de nombreuses
variétés d'alcaloïdes neurotoxiques qu'elles ne sécrètent pas mais qu'elles
thésaurisent à partir des insectes toxiques dont elles se nourrissent.

Scorpions

En France, les cinq espèces présentes sont toutes inoffensives : le scorpion jaune
(Buthus occitanus), les petits scorpions noirs (Euscorpius flavicaudis, E. italicus, E.
carpathicus) et le scorpion aveugle des Pyrénées (Belisarius xambeui). Lors
d'une piqûre par ces espèces, on ne décrit aucun signe général et les signes
locaux se limitent le plus souvent à la petite douleur initiale. Une désinfection
suffit pour régler le problème. Les scorpions vivant dans le sol, il est recommandé
de mettre à jour la couverture vaccinale antitétanique.

Les scorpions potentiellement dangereux pour l'homme appartiennent tous à la


famille des buthidés : genres Androctonus (Nord de l'Afrique), Leiurus (Afrique,
Proche Orient), Mesobuthus (Indes), Centruroides (Mexique, États-Unis), Tityus
(Amérique du sud) et, dans une moindre, mesure Buthus en Afrique du Nord.
Ces espèces dangereuses ont un venin qui contient des neurotoxines bloquant
la fermeture des canaux sodiques des cellules excitables. Lorsque la victime est
un adulte, le tableau clinique se limite dans la plupart des cas à des signes
locaux mineurs. Mais, en cas de piqûre d'un enfant ou d'un patient débilité, des
symptômes généraux peuvent apparaître 1 à 2 heures après l'injection de venin
: frissons, tremblements, hypersécrétion, vomissements et diarrhées, puis
variations de la tension artérielle (selon les espèces, hypo ou hypertension),
troubles de l'excitation et de la repolarisation cardiaque, œdème aigu
pulmonaire, coma et collapsus. Un choc cardiogénique nécessite l'utilisation
d'amines pressives, dobutamine en particulier. Le traitement symptomatique
repose sur l'emploi d'antalgiques et d'atropine et sur une assistance respiratoire.
Le seul traitement spécifique (anti-venin mono ou polyvalent) n'est efficace que
s'il est utilisé avant que les signes apparaissent, car les toxines de scorpions ne
peuvent être délogées de leur site de fixation cellulaire. En pratique, dans les
pays ou régions où vivent des espèces potentiellement mortelles, l'anti-venin est
injecté à l'hôpital dès que le diagnostic de piqûre de scorpion est posé.

Araignées

- Les araignées australiennes des genres Atrax et Hadronyche sont les plus
dangereuses pour les humains. Les espèces Atrax robustus et A. formidabilis
ont été responsables d'un nombre élevé de décès d'enfants ou de personnes
débilitées dans le sud-est australien. Le venin contient plusieurs neurotoxines, les
atracotoxines, qui bloquent la fermeture des canaux sodiques des cellules
excitables (blocage de la transmission neuro-musculaire). La morsure est
douloureuse et l'apparition de signes généraux dans les 2 heures qui suivent est
l'apanage des envenimations sévères : vomissements, hypersudation,
hypotension artérielle, dyspnée et possible dépression respiratoire. La morbidité
et la mortalité de ces envenimations ont beaucoup régressé depuis l'utilisation
systématique en Australie d'un anti-venin spécifique.

- Les mygales d'Amérique du sud, d'Afrique et d'Asie sont bien moins


redoutables que leurs cousines australiennes. Elles sont presque toutes placides
ou craintives et les envenimations dans le milieu naturel sont exceptionnelles. Le
développement de l'élevage amateur de ces arthropodes induit un nombre
croissant de morsures chez des collectionneurs en Europe. Les chélicères de
grande taille sont responsables de plaies profondes. La douleur est modérée et
un œdème est souvent présent. Le traitement est symptomatique : désinfection,
antalgiques, antibiothérapie éventuelle. Α noter que de nombreuses espèces
de mygales sont capables de projeter les poils urticants présents sur leur
abdomen, ce qui peut aboutir à des lésions oculaires irritatives pouvant
nécessiter plusieurs mois de traitement.

- Les veuves noires ou brunes sont présentes dans tous les pays tempérés ou
chauds avec Latrodectus mactans en Amérique et L. tredecimguttatus en
Europe (la malmignate ou veuve à 13 points). Le venin de toutes les espèces est
très proche, contenant des neurotoxines (latrotoxines) qui dépolarisent les
neurones, élèvent les concentrations intracellulaires de calcium et stimulent
l'exocytose incontrôlée des neurotransmetteurs synaptiques. Le tableau clinique
des envenimations par ces araignées, appelé latrodectisme, est pratiquement
identique dans toutes les régions où elles vivent, avec en Europe des
observations sur le pourtour méditerranéen (pour la France, en Provence et en
Corse). La morsure est peu douloureuse puis, quelques dizaines de minutes plus
tard, apparaissent des douleurs généralisées avec contractures musculaires
abdominales (ventre de bois), lombaires et faciales (facies latrodectismica) et
des troubles neurovégétatifs (variations brutales de la tension artérielle et de la
température corporelle). Des décès par collapsus ont été décrits en Afrique,
Australie et Amérique. Le traitement repose sur l'emploi de décontracturants
plus ou moins associés à des perfusions de sels de calcium (seuls traitements
utilisés en Europe). Des anti-venins sont élaborés dans certains pays (États-Unis,
Australie, Afrique du sud).

- Les loxoscèles sont de petites araignées possédant un venin responsable d'un


syndrome viscéro-cutanéo-nécrotique appelé loxoscelisme. Citons Loxosceles
rufescens du bassin méditerranéen, L. reclusa et L. laeta d'Amérique. La
morsure peu douloureuse peut passer inaperçue mais en quelques heures se
développe une ulcération nécrotique extensive centrifuge pouvant évoluer sur
plusieurs semaines avant qu'une cicatrisation ne s'ébauche. Une hémolyse peut
aussi être observée. Le traitement symptomatique (topiques locaux,
antalgiques, antibiotiques) est associé à des corticoïdes per os qui peuvent
prévenir ou diminuer l'extension de la nécrose. Des anti-venins sont élaborés en
Amérique mais ne sont pas utilisés en Europe.

Insectes hyménoptères

L'ordre des hyménoptères comprend de nombreuses espèces venimeuses de


guêpes, abeilles, frelons et fourmis. Ces insectes sont de loin les animaux
venimeux responsables du plus grand nombre de décès humains de par le
monde. L'appareil venimeux est à l'extrémité postérieure de l'abdomen avec un
aiguillon mobile connecté à une paire de glandes venimeuses (l'appareil
venimeux est dérivé du tractus génital femelle ; les mâles en sont donc
dépourvus). Le venin est complexe et contient des enzymes (hyaluronidases,
phospholipases), des amines biogènes (histamine) et des peptides spécifiques
dont beaucoup sont histaminolibérateurs (mellitine, peptide MCD,
mastoparans). Tous ces composants sont de plus allergisants.

Lors d'une piqûre simple de guêpe, abeille ou frelon, la douleur est immédiate
et un œdème se développe rapidement, ce qui peut être dangereux lors d'une
piqûre faciale ou buccale. Pour les abeilles, l'aiguillon et la glande à venin qui
restent accrochés à la peau de la victime doivent être enlevés car l'appareil
continue à injecter les réserves de venin. Ce venin thermolabile est dénaturé si
l'on approche de la zone piquée une source de chaleur (cigarette,
sèchecheveux) puis une source de froid. Cette pratique possède un effet
antalgique et anti-œdémateux rapide. Il faut compléter le traitement par une
désinfection locale.

Lors de piqûres multiples survenant au cours d'un accident impliquant plusieurs


dizaines ou centaines d'insectes, les quantités de venin injectées sont alors
importantes. Avec la plupart des espèces, le tableau clinique est dominé par
des signes témoins d'un histaminolibération massive : vomissements, hypotension
artérielle, œdème, flush, possible choc anaphylactoïde (et non pas
anaphylactique car il ne s'agit pas d'un phénomène allergique, mais bien d'une
action toxique des composants du venin). Le traitement de ces piqûres multiples
est symptomatique.

L'allergie au venin d'hyménoptères est une pathologie fréquente nécessitant


une sensibilisation préalable. Les patients allergiques peuvent présenter, en cas
de piqûre unique (la dose de venin injectée est dans ce cas sans rapport avec
le tableau clinique), un choc anaphylactique qui doit être pris en charge en
urgence (remplissage vasculaire par cristalloïdes, adrénaline) ; un œdème de
Quincke, une urticaire, un bronchospasme nécessitent aussi une prise en charge
en urgence. De tels patients peuvent être désensibilisés.

Insectes lépidoptères

De nombreuses espèces de papillons développent, au cours de leurs formes


larvaires, des défenses chimiques susceptibles d'éloigner les prédateurs. Dans le
sud de la France, les chenilles processionnaires se nourrissent d'aiguilles de pin.
Leur nombre peut être très important dans les pinèdes où chaque arbre peut
porter plusieurs nids de chenilles. Leur corps est couvert de poils urticants reliés à
des glandes à venin.

Le contact cutané avec ces insectes entraîne une irritation cutanée fort
désagréable : démangeaisons, érythème, œdème. Lors de contact avec des
muqueuses ou avec les yeux, le venin entraîne un œdème plus marqué et des
nécroses parfois sévères. Plusieurs observations de lésions nécrotiques étendues
oculaires ou buccales chez des enfants ayant joué avec des chenilles ont été
décrites. Un rinçage minutieux oculaire ou buccal suivi d'un traitement
symptomatique (antihistaminiques) permet de limiter ces complications.

Myriapodes

Les chilopodes sont des mille-pattes possédant des crochets venimeux. Seules
les espèces de grande taille sont susceptibles d'entraîner des envenimations
humaines. La scolopendre européenne (Scolopendra cingulata) peut atteindre
20 cm. Il s'agit d'un arthropode agressif qui mord volontiers les humains.

La douleur est importante, parfois accompagnée d'érythème et d'œdème


local. Le venin de scolopendre n'est pas responsable de signes systémiques. Le
traitement comprend désinfection locale et antalgiques. Une antibiothérapie
doit être systématiquement prescrite en milieu tropical mais ne semble
nécessaire en Europe que si les signes locaux persistent plus de 24 heures.

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Envenimations par animaux aquatiques

Poissons : trachinidés

Les poissons responsables du plus grand nombre d'envenimations sur le littoral


européen sont les vives dont plusieurs espèces vivent en Atlantique et en
Méditerranée. Les deux espèces les plus fréquentes sont la grande vive
(Trachinus draco) et la petite vive (Echiichtys vipera). Ce sont des poissons qui
chassent à l'affût en s'enfouissant dans le sable. Les humains sont envenimés
dans trois circonstances : en posant le pied sur la nageoire dorsale lors d'une
marche sur le sable, lorsqu'un pêcheur tente de décrocher l'animal d'un
hameçon ou d'un filet, lorsqu'un cuisinier préparant la soupe manipule sans
précaution le poisson frais (l'animal mort depuis peu est encore capable
d'injecter le venin car la piqûre est un phénomène réflexe). Le venin n'a pas de
toxicité systémique chez l'homme lors des injections sous-cutanées.

Le tableau clinique est dominé par la douleur immédiate et intense, irradiant


dans tout le membre. Un œdème se développe mais reste local ; des signes
généraux liés aux algies peuvent apparaître : malaise vagal, nausées, agitation.
Toutes les équipes médicales confrontées à de multiples envenimations chaque
été ont constaté une bonne efficacité sur la douleur lorsqu'une variation brutale
de température est effectuée au niveau de la piqûre. En pratique, une source
de chaleur (cigarette, sèche-cheveux) est approchée de la zone piquée durant
quelques minutes, aussitôt remplacée par un glaçon dans un linge. Une fois les
algies calmées, il faut désinfecter la plaie, vérifier l'absence de débris d'aiguillon
dans les tissus lésés et mettre à jour la couverture vaccinale antitétanique.

Poissons : scorpénidés

Les rascasses sont des poissons vivant parmi les rochers. Les plongeurs ou les
baigneurs sont piqués alors qu'ils croyaient poser la main sur un rocher. Comme
pour les vives, les envenimations peuvent aussi survenir lors de la préparation
d'un plat à base de poisson frais (piqûre réflexe). L'appareil venimeux est
constitué d'aiguillons reliés à des glandes à venin et qui sont les premiers rayons
des nageoires dorsales, anales et ventrales (il y a aussi des aiguillons sur les
opercules). Le tableau clinique est très proche de ce qui a été décrit avec les
trachinidés, avec une douleur aussi intense, et a comme particularité le fait que
la blessure saigne abondamment. Le traitement est identique à ce qui a été
décrit pour les vives.

Les rascasses volantes du genre Pterois sont de magnifiques poissons tropicaux


vivant dans les récifs coralliens où elles trouvent les proies dont elles se
nourrissent. Elles ne sont pas agressives mais des piqûres peuvent survenir chez
des nageurs ou des plongeurs imprudents. Les Pterois sont régulièrement
importés comme poissons d'aquarium depuis les années 1970 et des
envenimations chez des aquariophiles sont décrites chaque année. Les piqûres
de rascasses volantes d'aquarium entraînent essentiellement des signes locaux
(douleur, œdème, saignements) et des symptômes liés aux algies (malaise,
angoisse). Le traitement est identique à celui des piqûres de vives.

Poissons pierres

Les poissons pierres du genre Synanceia sont de proches cousins des rascasses
dont ils partagent le comportement de chasseur passif à l'affût. Plusieurs
espèces vivent dans l'Indo-Pacifique où elles peuvent être fréquentes dans
certains récifs. Les synancées sont considérées à juste titre comme les poissons
les plus venimeux mais leur toxicité a sans doute été largement exagérée.
L'appareil venimeux est constitué d'aiguillons venimeux des nageoires dorsales,
ventrales et anales.

La douleur est immédiate, intense et souvent syncopale, entraînant des signes


généraux : angoisse, sueurs froides, hypotension artérielle, malaise,
vomissements. Un œdème extensif est presque toujours décrit. Dans les
observations les plus sévères, des symptômes d'envenimation systémique sont
présents : choc, dyspnée, voire paralysie respiratoire, troubles cardiaques et/ou
convulsions. Dans les séries récemment publiées, les envenimations avec mise
en jeu du pronostic vital semblent tout à fait exceptionnelles. Le traitement est
proche de ce qui a été décrit avec les vives : variation brutale de la
température locale, antalgiques, anesthésiques locaux, antibiotiques et
traitements symptomatiques. Un anti-venin couvrant les venins des espèces
locales est fabriqué en Australie où les envenimations sont fréquentes. Cet anti-
venin utilisable par voie intramusculaire n'est pas recommandé en France
d'outre-mer où les espèces sont différentes.

Raies armées

Alors que les raies communes (Raja sp., famille des rajidés) sont dépourvues
d'appareil venimeux, les raies armées possèdent à la base de leur queue un ou
deux aiguillons barbelés reliés à des glandes à venin. Sur les côtes françaises,
deux espèces de raies armées peuvent être à l'origine d'envenimations : l'aigle
de mer (Myliobatis aquila), que l'on rencontre en pleine eau, et la pastenague
(Dasyatis pastinaca), qui vit sur les fonds sableux. Ces poissons ne sont pas
agressifs ; les envenimations surviennent lorsque la victime marche sur le
«manteau »des raies, ce qui déclenche une piqûre réflexe. La blessure est
généralement profonde et douloureuse et peut se compliquer d'œdème,
d'hémorragies et d'ulcérations nécrotiques. Notons que la douleur peut être
responsable d'angoisse, de vomissements et de malaise, ce qui peut
représenter un danger si c'est un plongeur se trouvant à plusieurs mètres de
profondeur qui est piqué. Le traitement des envenimations est symptomatique :
antalgiques, antiseptiques, antibiotiques, ablation des débris d'aiguillon et
parage de la plaie.

Cnidaires

Les tentacules des cnidaires comportent des cellules urticantes appelées


cnidocytes capables d'injecter au moindre contact le venin qu'elles
contiennent. La plupart des espèces sont venimeuses mais très peu sont
capables d'injecter leur venin à travers la peau des mammifères. On retrouve
quelques espèces de méduses, coraux et anémones de mer susceptibles
d'entraîner des envenimations humaines. En Europe, les anémones des genres
Actinia et Sagatia sont à peine irritantes cutanées. Plusieurs espèces de
méduses de nos côtes (genres Pelagia, Cyanea, Aurelia) peuvent entraîner de
véritables brûlures chez des baigneurs ou des pêcheurs.

La douleur est immédiate et vive, décrite comme une sensation de décharge


électrique. L'apparition d'érythème avec phlyctènes doit faire craindre des
complications de nécrose cutanée retardée, de mauvaise cicatrisation et de
zone pigmentée définitive. Le but du traitement en urgence est de favoriser une
bonne évolution en minimisant les quantités de venin libérées. En effet, peu de
cnidocytes délivrent d'emblée leur contenu, et les tentacules transparents
restent accrochés à la peau des victimes. Le fait de frotter la zone douloureuse
aggrave la symptomatologie en permettant l'éclatement de la totalité des
cellules urticantes. Le premier geste consiste à calmer la victime et à
l'empêcher de frotter les lésions. Pour enlever les tentacules invisibles,
l'application de mousse à raser ou de sable permet de «piéger » les débris de
méduses que l'on peut alors ôter avec l'aide d'un carton rigide. Le membre
atteint doit être ensuite rincé à l'eau de mer (la faible osmolarité de l'eau douce
fait éclater les quelques cnidocytes restants), puis avec du vinaigre ou de
l'alcool pour coaguler les derniers résidus de venin. On termine par l'utilisation
d'antiseptiques et de topiques cicatrisants.

En milieu tropical, les coraux de feu du genre Millepora sont à l'origine de


lésions en tous points comparables à ce que nous venons de décrire avec les
méduses des côtes européennes. Il existe cependant dans les mers chaudes
des espèces qui peuvent être responsables d'envenimations plus sévères, voire
mortelles : les anémones de l'Indo-Pacifique des genres Actinodendron et
Doflenia, les galères portugaises du genre Physalia et les méduses de l'Indo-
Pacifique des genres Chironex, Chiropsalmus (les cubo-méduses) et Carukia
(à l'origine du syndrome «Irukandji »). Ces espèces peuvent entraîner des signes
généraux lors de lésions cutanées étendues : lipothymie, contractures
musculaires, hypotension artérielle, paralysie respiratoire ou collapsus
cardiovasculaire.

Mollusques gastéropodes

Les cônes (genre Conus présent dans toutes les mers tropicales) sont les seuls
mollusques gastéropodes venimeux potentiellement dangereux pour l'homme.
Cela concerne des espèces piscivores dont le venin est destiné à paralyser
rapidement les poissons dont ils se nourrissent. Citons les redoutables Conus
geographus et C. striatus. Ces mollusques ressemblant à des escargots à
coquille allongée (de 1 à 20 cm selon l'espèce) possèdent un appareil
venimeux complexe : ils sont capables de projeter des dents reliées à une
glande à venin et qui sont de véritables petits harpons. Le venin contient
plusieurs types de neurotoxines (les conotoxines) perturbant les synapses
neuromusculaires.

Les humains sont envenimés en manipulant ces coquillages. La piqûre est


douloureuse. En quelques dizaines de minutes apparaissent des paresthésies et
un engourdissement du membre atteint. Dans la majorité des cas,
l'envenimation en reste là. L'apparition de signes généraux (malaise, céphalées,
vomissements, troubles de la vision) est un critère de gravité faisant craindre une
éventuelle paralysie flasque ascendante avec dépression respiratoire. Le
traitement est symptomatique : antalgiques, surveillance et ventilation assistée
en cas d'apnées.

Mollusques céphalopodes

De nombreux céphalopodes possèdent un appareil venimeux avec une glande


à venin reliée à chaque dent de leur bec. Cela concerne plusieurs espèces de
seiches (décapodes) et la quasi-totalité des pieuvres ou poulpes (octopodes).
En Méditerranée, les poulpes du genre Octopus sont activement pêchés mais
les envenimations sont rares car ce sont des animaux placides. Lorsqu'un
humain est mordu, la zone de pénétration des dents est hypoesthésiée durant
quelques heures. On a décrit quelques cas de paralysie locale (notamment
faciale) durant plusieurs semaines lorsque l'injection du venin a été effectuée
près du trajet d'un nerf. Dans l'Indo-Pacifique, deux petites espèces appelées
poulpes à anneaux bleus (Hapalochlaena maculosa et H. lunata) sont
caractérisées par un venin neurotoxique pour les mammifères. La morsure est
pratiquement indolore mais, en quelques minutes, des paresthésies des 4
membres apparaissent, suivies de malaise et vomissements. Une paralysie
flasque ascendante est possible, pouvant aboutir à une dépression respiratoire.
Le traitement repose sur le maintien d'une bonne oxygénation avec l'aide d'une
ventilation assistée.

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Intoxications par animaux aquatiques

Scombrotoxisme

Les poissons de la famille des scombridés sont consommés sur tous les continents
: thons, bonites et maquereaux. Le scombrotoxisme concerne toutes les
espèces de cette famille ainsi que plusieurs espèces de la famille des
engraulidés (anchois), des clupéidés (sardines, harengs) et des xiphiidés
(espadons). La masse musculaire de ces poissons est caractérisée par un
aspect rouge évoquant la viande (d'où leur appellation de «poissons bleus ») et
par la présence dans leurs tissus de grandes quantités d'histidine. Si les
méthodes de conservation ne sont pas bonnes, cette histidine peut être
décarboxylée en histamine par des bactéries se développant à la chaleur et au
soleil. La chair contient en quelques heures de telles quantités d'histamine que
l'ingestion de quelques bouchées de poisson entraîne, en 10 minutes à 3 heures,
un tableau mimant une anaphylaxie : flush, vasodilatation, céphalées,
tachycardie, bouffées de chaleur, éruption urticarienne, hypotension artérielle,
œdème facial, vomissements. Le traitement repose sur l'emploi
d'antihistaminiques. Les corticoïdes n'ont pas leur place dans le traitement de
ce type d'intoxication.

Ciguatera

Dans certaines conditions naturelles (cyclones, éruptions volcaniques) ou liées


aux activités humaines (pollutions, travaux sur les récifs), l'équilibre des récifs
coralliens est rompu et l'algue unicellulaire Gambierdiscus toxicus pullule. Il
s'agit d'un dinoflagellé qui sécrète plusieurs toxines (ciguatoxine, scaritoxine,
maïtoxine) qui contaminent la chaîne alimentaire. Ces toxines qui résistent à la
cuisson s'accumulent dans les tissus des poissons, avec des concentrations
importantes pour les grands carnivores en bout de chaîne (mérous,
barracudas). L'ingestion de chair de poissons contaminés (et uniquement de
poissons) entraîne chez l'homme une intoxication appelée ciguatera. Plus de
400 espèces de poissons récifaux habituellement consommés sans problème
ont été décrites comme étant ciguatogènes.
Les premiers signes apparaissent de quelques minutes à plus de 30 heures après
le repas contaminant. Plus le délai est bref, plus le cas peut être sévère. Les
premiers signes sont digestifs (vomissements, diarrhées), rapidement suivis de
troubles neurologiques périphériques (paresthésies de la face et des membres,
myalgies, perturbations de la sensibilité thermique, possible parésie). Asthénie,
bradycardie, hypersudation, hypotension artérielle et baisse des cholinestérases
complètent le tableau de la phase d'état qui dure 3 ou 4 jours. Quelques décès
par collapsus ou dépression respiratoire ont été décrits. L'évolution classique est
caractérisée par une persistance de paresthésies avec prurit palmo-plantaire
(d'où le nom de «gratte » en Nouvelle Calédonie), de myalgies et d'une
asthénie sur plusieurs mois après le repas contaminant. Il n'existe aucune
thérapeutique véritablement efficace et on ne peut malheureusement
proposer que des traitements symptomatiques pour améliorer le confort des
patients. Les personnes ayant contracté une ciguatera sont particulièrement
sensibles durant plusieurs années, avec possible réapparition de la
symptomatologie après ingestion d'alcool ou de chair de poissons tropicaux.

Intoxications par tétraodons

Dans l'ordre des tétraodontiformes, plusieurs espèces sont susceptibles de


contenir de la tétrodotoxine qui bloque la conductance sodique des cellules
excitables. Les intoxications humaines concernent les espèces du genre
Tetraodon appelées « Fugu » en japonais. C'est dans ce pays que l'on
consomme le plus ces espèces après une minutieuse préparation pour ôter les
parties contenant les toxines. Celles-ci se concentrent dans les gonades et le
foie et, dans une moindre mesure, au niveau de la peau, des intestins et de la
graisse dorsale des poissons. La toxine n'est pas sécrétée par les poissons eux-
mêmes mais par des colonies hébergées de vibrion (Vibrio alginolyticus)
productrices de tétrodotoxine.

Le tableau clinique est caractérisé par l'apparition rapide des symptômes (5 à


30 min), les patients n'ayant généralement pas le temps de terminer leur repas.
On observe des paresthésies, une anesthésie buccale, un engourdissement des
extrémités, des céphalées, des troubles digestifs, puis une dyspnée et une
paralysie flasque ascendante des muscles lisses et squelettiques. Le risque de
dépression respiratoire est important. Le traitement repose sur le maintien d'une
bonne oxygénation avec l'aide d'une éventuelle ventilation assistée. Une fois le
cap des 24 premières heures passé, il est possible d'obtenir une guérison
complète.

Mytilisme

On appelle mytilisme les intoxications par ingestion de coquillages filtreurs


(moules, huîtres, palourdes, etc.) qui ont accumulé dans leurs tissus des toxines
d'algues unicellulaires du phytoplancton (dinoflagellés). Ces algues
microscopiques, normalement présentes en petites quantités, peuvent pulluler
dans des conditions favorables (chaleur, soleil, présence d'engrais dans l'eau),
et ce à tel point qu'elles peuvent modifier la coloration de l'eau (phénomène «
d'eaux rouges »). Les espèces d'algues toxiques sont diverses et l'on peut
distinguer plusieurs types de mytilisme dont deux seulement peuvent être
observés en Europe.
- Le mytilisme digestif (DSP, Diarrheic Shellfish Poisoning) est caractérisé par
l'apparition, dans les 6 à 12 heures après le repas, de douleurs abdominales,
vomissements et diarrhées. Les toxines diarrhéiques de type acide okadaïque
ne modifient pas le goût des coquillages dont la fraîcheur ne garantit pas
l'innocuité. Le risque essentiel est la déshydratation. Le traitement
symptomatique permet d'éviter une telle complication. Les espèces de
dinoflagellés responsables de ce type d'intoxication sont nombreuses : citons
entre autres pour l'Europe les Dinophysis sp.

- Le mytilisme paralysant (PSP, Paralytic Shellfish Poisoning) est rare en Europe


mais fréquent en Amérique. Les toxines de type saxitoxines induisent, dans les
heures qui suivent le repas : paresthésies faciales et buccales, puis asthénie,
engourdissement des membres, mydriase, ataxie, avec risque de dépression
respiratoire. Des troubles digestifs sont possibles mais peu fréquents. Le
traitement est fondé sur le maintien d'une bonne oxygénation avec l'aide d'une
éventuelle ventilation assistée. L'évolution est alors favorable en quelques
heures à quelques jours. Plusieurs espèces de dinoflagellés sont connues pour
entraîner ce type de mytilisme : Alexandrium sp., Gonyaulax sp.,
Prorocentrum sp., etc.

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Principales références
Bédry R, de Haro L. Envenimations ou intoxications par les animaux venimeux ou
vénéneux : vertébrés aquatiques venimeux. Med Trop 2007 ; 67 : 111-116.
Bédry R, de Haro L. Envenimations ou intoxications par les animaux venimeux ou
vénéneux : invertébrés marins venimeux. Med Trop 2007 ; 67 : 223-231.
de Haro L. Intoxications par les venins. Rev Prat 2000 ; 50 : 401-406.
de Haro L. Les envenimations par les serpents de France et leur traitement.
Presse Med 2003 ; 32 : 1131-1137.
Pommier P, Rollard C, de Haro L. Morsures d'araignées : les aranéismes
d'importance médicale. Presse Med 2005 ; 34 : 49-56.
Sciarli RJ, de Haro L. Principales intoxications et envenimations par animaux
marins. Conc Med 1999 ; 121 : 2003-2010.
Toxiques Chimiques De Guerre Risques Accidentels et Menace Terroriste

Frédéric Dorandeu

C'est au cours du premier conflit mondial que des agressifs chimiques ont été,
pour la première fois, utilisés à grande échelle contre des troupes. Chlore,
phosgène, acide cyanhydrique et ypérite (H ou HD pour la forme distillée en
codification OTAN) sont les agents les plus représentatifs. L'entre-deux guerres a
vu la naissance d'autres composés comme les moutardes azotées et surtout les
dérivés organophosphorés neurotoxiques ou NOP (agents dits G pour German
en codification OTAN) : tabun (GA), sarin (GB), soman (GD) et cyclosarin (GF).
En pleine guerre froide, une nouvelle famille de NOP a vu le jour avec comme
représentants principaux le VX (A4 en codification française) et le VX russe.

En janvier 1993, à Paris, une convention internationale était signée par 130 pays
(Convention relative à l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du
stockage et de l'emploi des armes chimiques et à leur destruction, ou CIAC).
Ratifiée par la France en 1994, elle est entrée en vigueur le 29 avril 1997. Au 22
juillet 2008, elle avait été signée par 188 pays et ratifiée par 184 nations.
Quelques pays parmi les non-signataires restent suspectés de développer ce
type d'armement et les risques de transfert de technologie vers des pays tiers ou
des groupuscules terroristes ne doivent pas être négligés. L'article II-9 de la CIAC
prévoit certaines activités non interdites par la convention, en particulier celles à
des fins de maintien de l'ordre public, y compris de lutte anti-émeute sur le plan
intérieur. Les agents anti-émeutes classiquement utilisés dans les pays
occidentaux sont des irritants sensoriels à activité lacrymogène. La position de
certains agents incapacitants, d'action plus longue et qui pourraient être utilisés
comme agent de lutte anti-émeute, reste mal définie avec des risques de
contournement de la CIAC.

Les risques d'exposition aux toxiques de guerre en France sont principalement


de deux ordres : le risque accidentel (vieilles munitions de la Première Guerre
mondiale et accidents dans les quelques laboratoires du ministère de la
Défense habilités à manipuler ces agents) et le risque terroriste. Les agressifs
chimiques de guerre, en raison de leur haute toxicité, de leur caractère insidieux
et, pour certains seulement, de leur fort pouvoir contaminant, génèrent un
sentiment d'insécurité, voire de panique, entretenu dans l'imaginaire populaire
par les évocations de la Première Guerre mondiale pendant laquelle pourtant
le nombre de victimes par le fait d'armes chimiques est très inférieur à celui
associé aux autres causes. Depuis les attentats perpétrés par la secte Aum-
Shinrikyo au Japon en 1994 et 1995 (sarin), l'utilisation terroriste d'agressifs
chimiques de guerre est devenue une réalité. La répétition d'un attentat avec
un toxique du type sarin est toutefois peu probable par le fait de groupuscules
dépourvus de moyens financiers et techniques très importants, voire d'un
soutien étatique par un pays possédant ce type d'agent. D'autres scénarios
peuvent néanmoins être considérés comme le montrent les attentats récents en
Iraq contre les troupes américaines et la population impliquant l'explosion de
camions citernes de chlore. Les scénarios d'emploi terroriste d'agents chimiques
sont multiples : contamination ou dispersion à l'air libre ou en milieu confiné
(métro, centre commercial par exemple), attaques contre des installations
chimiques industrielles, contamination d'un réseau d'eau potable ou
contamination de la chaîne alimentaire. Même si les toxiques de guerre
peuvent être considérés comme ayant une probabilité d'emploi faible, leur
pouvoir de désorganisation (il s'agit en effet d'armes de désorganisation massive
et non pas d'armes de destruction massive) et les conséquences sanitaires sont
suffisamment grands pour que les pouvoirs publics mènent activement une
politique de prévention et de préparation au niveau national, soulignée par
l'existence de plans gouvernementaux NRBC (Piratox pour les agents
chimiques). Le dispositif est complété par des circulaires spécialisées (circulaire
700/SGDN/PSE/PPS du 26 avril 2002, révisée 2008 pour les agressions chimiques)
et un guide opérationnel chimique destiné aux différents services impliqués
dans la gestion d'une crise « chimique » pour permettre la mise en place d'une
doctrine d'intervention fondée sur le plan Piratox et la circulaire 700. Bien que
susceptibles d'être utilisés à des fins terroristes, les agressifs suffocants (chlore,
phosgène et isocyanate de méthyle en particulier), les dérivés du cyanure
(acide cyanhydrique, halogénure de cyanogène…) ou même les agents
lacrymogènes du maintien de l'ordre ne seront pas traités dans ce chapitre (Voir
chapitre Inhalations toxiques).

Après une présentation générale sur les agressifs chimiques de guerre, nous
envisagerons deux grands groupes de toxiques : les neurotoxiques
organophosphorés et les agents vésicants. Il s'agit de toxiques létaux par
opposition à des agents simplement irritants ou incapacitants.

Caractéristiques générales

Les agents toxiques développés dans ce chapitre (neurotoxiques


organophosphorés et vésicants) se présentent sous forme liquide dans les
conditions normales de température et de pression, ce qui doit faire bannir le
terme de «gaz de combat ». Ils sont plus ou moins volatils. Les toxiques militarisés
existent à différents niveaux de pureté, mélangés à différents additifs. Des
précurseurs chimiques peuvent persister. Ces mélanges chimiques vont donc
entraîner des différences de comportement et de toxicité par rapport au
toxique pur. En particulier, les caractéristiques organoleptiques classiquement
décrites doivent être considérées avec prudence. Le comportement d'un
toxique dispersé dépend de ses propriétés physico-chimiques. En fonction de la
persistance, on distingue classiquement les agents fugaces et les agents
persistants.

Toxiques fugaces (non persistants ou polluants de l'air)

Ils représentent essentiellement un danger vapeur et donc un danger par


interaction direct du toxique avec les organes cibles (voies aériennes, yeux,
peau, etc.).

Sous la forme de vapeurs, ces toxiques vont entraîner la formation de nuages


capables de concerner de grandes étendues en fonction des conditions
météorologiques (température et vent, humidité et précipitations, stabilité de
l'air) ou de la nature du terrain. La densité des vapeurs déterminera également
le comportement d'un nuage toxique. Ces nuages imposeront le port de
moyens de protection qui réduisent considérablement les capacités de
manœuvre. Pour de basses températures, la durée du danger vapeur peut
atteindre quelques jours. Température, vent et humidité vont réduire
considérablement ce temps. Ni le terrain (en dehors de la zone d'impact ou de
déversement) ni les équipements ne sont durablement contaminés.
Contrairement à la situation des personnels évoluant en tenue de protection,
qui n'adsorbe pas ou que très peu les vapeurs, l'exposition de personnes portant
des habits de ville est susceptible de s'accompagner d'adsorption du toxique et
ainsi d'entraîner un risque de désorption dont il faut tenir compte lors de la prise
en charge des victimes. Nous verrons dans la suite qu'un simple déshabillage
suffira à réduire ou à supprimer le danger.

Toxiques persistants (ou contaminants du sol)

Les agressifs de guerre persistants considérés ici se présentent en conditions


normales sous la forme de liquides plus ou moins visqueux. Outre un danger
d'intoxication par contact avec la peau et les muqueuses non protégées, ils
sont capables de contaminer les objets, contamination qui peut être transférée
vers d'autres objets, voire vers les zones non protégées d'un individu, l'exposant
ainsi à une intoxication si aucune précaution n'est prise (transfert de
contamination). Ils n'émettent que peu de vapeurs, même s'il fait chaud.
Toutefois, à proximité immédiate d'une zone contaminée, un toxique aussi peu
volatil que le VX (A4) présente un danger vapeur et donc un risque
d'intoxication en l'absence de protection (exemple du membre d'une équipe
médicale quasiment au contact d'une victime pour l'intubation
endotrachéale).

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Modalités de prise en charge médicale

Dans la suite de ce paragraphe, nous allons différencier l'intoxication de la


contamination. Cette différence peut paraître ténue mais elle a une
importance opérationnelle : seules des victimes contaminées et donc
contaminantes devront être décontaminées. La décontamination impose sur le
terrain des personnels en nombre suffisant, formés et entraînés, ainsi que des
équipements spécifiques. Le dispositif à mettre en place est donc lourd et la
conduite des opérations de secours plus ou moins complexe. Toutes les
situations d'exposition à des agressifs chimiques ne le nécessiteront pas. Les
victimes uniquement intoxiquées (par le fait de vapeurs par exemple) pourront
n'être que déshabillées rapidement pour éliminer la possibilité du piégeage de
vapeurs ou d'aérosols dans les vêtements. Le retour d'expérience récent du
service de santé des armées américain en Irak à la suite des attentats ayant
impliqué l'explosion de camions de chlore est parfaitement illustratif : la très
rapide évacuation des victimes vers les centres de soins a entraîné l'arrivée de
victimes encore capables d'émettre des vapeurs de chlore. Le déshabillage
n'ayant pas eu lieu immédiatement, quelques intoxications légères du personnel
soignant ont été rapportées. En dissociant un peu artificiellement le
déshabillage de la décontamination, le déshabillage devient une étape
indispensable et commune à la prise en charge de victimes chimiques quel que
soit le toxique considéré; il peut être éventuellement suivi d'une
décontamination lorsque les produits sont contaminants. La décontamination
devra toujours être réalisée lorsqu'il s'agira de NOP et de vésicants.

Le traitement de toute intoxication collective par des agents chimiques s'inscrit


dans une démarche complexe qui comprend la protection des intervenants,
l'extraction des victimes et le maintien de leurs fonctions vitales, le déshabillage,
une décontamination quand elle est indiquée, le triage médico-chirurgical, le
traitement symptomatique des détresses vitales puis le recours éventuel aux
antidotes. La place de la décontamination dans la chronologie des
événements est à discuter selon la gravité des intoxications. Une
décontamination complète ne sera pas nécessaire pour la réalisation de
certains gestes de sauvegarde et tout retard dans la prise en charge médicale
du fait de la décontamination sera au contraire délétère pour la victime en cas
d'engagement du pronostic vital (intoxication par les NOP). L'identification du
toxique devra pouvoir être réalisée dès que possible mais elle ne peut ralentir la
prise en charge des victimes.

Tel que défini par la circulaire no 700, la priorité est donnée à l'extraction des
victimes de l'atmosphère toxique. Cette extraction d'urgence pour mise en
sécurité, vers les points de rassemblement des victimes (PRV) en zone contrôlée,
est réalisée en fonction de l'état clinique des victimes.

Une règle essentielle est que toute personne provenant d'une zone contaminée
doit être considérée comme contaminée. Une des conséquences immédiates
est qu'il est inutile de vouloir contrôler la contamination des victimes avant de
les diriger, si nécessaire, vers une chaîne de décontamination. En particulier,
pour les NOP et l'ypérite, l'usage de l'appareil portatif de contrôle de la
contamination (AP2C), qui détecte les produits phosphorés et soufrés, n'est pas
à recommander si de nombreuses personnes victimes et impliquées sont
présentes. Si le toxique est volatil, il est fort possible que les mesures effectuées
sur une victime au PRV puissent être faussées par des vapeurs déjà présentes ou
provenant d'autres personnes. Si le toxique est très peu volatil, VX par exemple,
l'utilisation de l'AP2C sans le dispositif de prélèvement (S4PE) conduira à un faux
sentiment de sécurité. Une étude israélienne récente démontre également
l'importance des faux positifs, y compris en provenance de fluides biologiques.
Enfin, l'usage du dispositif S4PE sur un grand nombre de victimes prendra un
temps considérable et mobilisera des énergies inutilement. La dernière version
de la circulaire no 700 rejoint maintenant cette position. Le positionnement d'un
AP2C à l'entrée d'une chaîne de décontamination pour la surveillance
d'ambiance est en revanche souhaitable. L'utilisation de cet appareil, bien que
très simple d'emploi, doit être confiée à des personnels ayant reçu une
formation minimale quant à la signification des lectures obtenues. Par exemple,
le résultat d'une détection négative ne devra pas être transmis sous la forme
«absence de contamination par un neurotoxique » mais sous la forme
«détection négative de produits phosphorés ». L'éventuel contrôle de la
décontamination en fin de chaîne ne doit pas ralentir la prise en charge
médicale. N'oublions pas non plus que l'AP2C a été conçu comme un matériel
militaire destiné à un usage opérationnel. Les concentrations de toxique que le
commandement peut être amené à considérer comme négligeables en termes
de perte de capacité opérationnelle à court terme dans des opérations de
guerre sont supérieures à celles supposées totalement sans effet toxique.

En conclusion, le plus important est donc de posséder des protocoles de


décontamination que l'on sait être efficaces après validation. C'est un point
essentiel et force est de constater que, actuellement, aucun des protocoles
utilisés par les services de secours n'a fait l'objet de validation rigoureuse et
scientifique. En cas de contact avec l'un des agressifs chimiques considérés
dans ce chapitre, la vitesse avec laquelle la décontamination sera entreprise
est le paramètre essentiel. La décontamination des zones cutanées
éventuellement exposées doit être réalisée dans les quelques minutes après
contact. Certaines études ont néanmoins suggéré qu'une décontamination
plus tardive (10-20 min) pouvait encore amener une réduction des effets de
l'ypérite. Cela reste toutefois un temps très court si on le compare avec le délai
de mise en œuvre d'une chaîne de décontamination après un attentat (au
minimum 40-60 min). Dans la situation d'un attentat, l'objectif de la
décontamination sera donc essentiellement de réduire les possibilités de
transfert de contamination. Le gain pour les victimes sera réduit d'autant plus
que nous ne pourrons intervenir que sur la contamination cutanée. En cas de
contamination de muqueuses, en particulier oculaires, aucun dispositif ne
permet à l'heure actuelle de décontamination efficace. Les muqueuses doivent
être lavées abondamment le plus tô t possible avec une solution isotonique
d'hydrogénocarbonate de sodium (bicarbonate) ou de chlorure de sodium ou,
à défaut, à l'eau pure. Si une plaie est contaminée, soit parce qu'elle est
causée par un éclat de munition portant le toxique chimique, soit parce qu'elle
est exposée à la contamination directe (épandage d'un toxique en situation de
conflit) ou indirecte (terrain ou matériaux contaminés), les moyens d'action sont
également très limités. La décontamination des plaies n'est à considérer que
dans le cas d'agents épaissis, d'ypérite ou de VX car les toxiques plus solubles
(sarin par exemple) auront été absorbés. L'élimination du corps étranger
contaminé éventuellement présent est le seul geste possible.

La décontamination de la peau, par entraînement ou déplacement (type gant


poudreur), est actuellement la méthode privilégiée. Il faut saupoudrer la zone
contaminée avec un adsorbant (terre à foulon, résine adsorbante…) qui sera
éliminé ensuite par essuyage ou douche. D'autres poudres comme la farine sont
parfois évoquées sans que l'on connaisse l'efficacité de ces moyens de fortune.
En cas d'usage de solutions aqueuses, des solutions d'hypochlorite de sodium ou
de calcium à 0,5-0,8% (% titre chlorométrique et non% de dilution) ont pu être
préconisées. Le calcul exact du titre chlorométrique est sans importance à
condition de rester dans cette zone, compatible avec une application
cutanée. L'efficacité de neutralisation de ces solutions est en effet très faible et il
faut bien plus chercher un effet par déplacement (grand volume de solution
associé à des dispositifs de type éponge). Un titre chlorométrique trop important
(5% par exemple) conduit à une augmentation de la pénétration cutanée du
toxique par lésion de la peau. Le pH de ces solutions est un autre paramètre
essentiel. Ainsi, le remplacement de l'hypochlorite (solution très basique) par des
comprimés de dichloro-isocyanurate (comprimés «de Javel ») (solutions
neutres), ne doit pas être réalisé dans le cas des neurotoxiques de guerre en
particulier.
Du fait de la piètre hydrosolubilité de nombreux toxiques chimiques liquides (à
l'exception notable du sarin, hydrosoluble), il a été longtemps considéré, dans
les armées, qu'une douche risquait d'étaler la contamination sans effet
bénéfique notable. Les scénarios de terrorisme impliquant un grand nombre de
victimes ont fait évoluer cette vision, d'abord aux États-Unis puis dans d'autres
pays comme la France. Le tableau 1 résume ces différents éléments.

Lieu de Moyens Efficacité attendue Limites


contaminatio de la
n décontamination

Peau Poudres Très bonne si Adsorption sans


adsorbantes réalisée dans les destruction du
(terre à foulon) quelques minutes toxique
suivant l'exposition

Solutions De limitée à Très faible


oxydantes à base moyenne si de efficacité de
d'hypochlorite grands volumes sont neutralisation
(0,5-0,8% utilisés
chlorométrique)

Eau et détergent De limitée à La nature du


moyenne si de détergent à utiliser
grands volumes sont n'est pas
utilisés déterminée Les
caractéristiques
des douches
(temps, volume,
pression) doivent
être validées

Muqueuses Solutions Assez bonne en cas Facteur temps


aqueuses d'utilisation de postexposition
grands volumes
pratiquement
immédiatement

Plaies Élimination des Limitée Aucun moyen de


éléments neutralisation
exogènes efficace
contaminés par disponible
un produit
persistant

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Exemples d'agressifs chimiques

Les deux familles de toxiques envisagées sont des toxiques létaux. Ils provoquent
la mort ou conduisent à des états pathologiques graves. Ceux-ci ne peuvent
évoluer favorablement que par la mise en œuvre de traitements appropriés,
parfois longs et délicats. De plus, en cas de survie, des séquelles plus ou moins
graves peuvent persister. À concentration faible, ces produits peuvent exercer
des effets seulement incapacitants.

Neurotoxiques organophosphorés

Généralités

Au sein des composés organophosphorés, il est possible de différencier les


neurotoxiques de guerre (NOP) et les organophosphorés pesticides (OPP). Ces
derniers sont utilisés à large échelle depuis 1935 et sont responsables,
annuellement, de plusieurs centaines de milliers d'intoxication et de 200 000 à
300 000 décès dans le monde par intoxication aiguë accidentelle ou volontaire
(Voir chapitre Produits phytosanitaires). Les NOP, quant à eux, constituent
l'élément essentiel de l'arsenal chimique qui peut être employé dans un cadre
militaire ou terroriste.

Les NOP sont liquides à température ambiante mais émettent des vapeurs
(intoxication possible par pénétration percutanée et inhalation). La toxicité des
NOP est extrême. Une gouttelette du composé VX de la taille d'une tête
d'épingle (de l'ordre d'une dizaine de microlitres, soit environ une dose létale 50
%), déposée sur la peau, peut suffire pour provoquer une intoxication mortelle.

Les NOP inhibent, entre autres, l'acétylcholinestérase (AChE), enzyme essentielle


au fonctionnement du système nerveux central (SNC) et périphérique (système
nerveux autonome - SNA - et moteur). Il en résulte l'accumulation
d'acétylcholine (ACh) au niveau des récepteurs cholinergiques muscariniques
et nicotiniques. Ceci explique la majorité des signes observés en aigu. La
symptomatologie dépend de la dose, de la forme physique du toxique et de sa
voie de pénétration. On retiendra l'apparition possible des signes suivants :
myosis, bronchoconstriction, hypersalivation, augmentation des sécrétions des
voies aériennes, sudation, diarrhées, perte de conscience, crises épileptiques et
arrêt respiratoire.

L'AChE érythrocytaire joue un rôle de marqueur d'exposition et de toxicité


même si son taux d'inhibition n'est pas toujours corrélé avec les symptômes (cas
des intoxications par vapeurs). La butyrylcholinestérase (BuChE) plasmatique est
également une cible de ces toxiques mais les conséquences fonctionnelles de
cette inhibition sont mal connues. Elle se comporte néanmoins comme un
épurateur en fixant une partie du NOP introduit dans la circulation.
L'accroissement iatrogène des concentrations plasmatiques de BuChE est une
option actuellement développée par l'armée américaine pour le prétraitement
des troupes en cas de risques d'exposition. L'inhibition de la BuChE est
également un bon marqueur d'exposition et, de ce fait, elle est utilisée
largement dans la surveillance des expositions professionnelles.

Contre-mesures médicales
Pour les forces armées uniquement, le premier élément des contre-mesures est
la pyridostigmine, composé à fonction carbamate, inhibiteur réversible des ChE
qui protège une partie des AChE de l'action des NOP lorsqu'il est pris avant
l'intoxication (autorisation de mise sur le marché - AMM - du 21 janvier 2008).

Le traitement doit de préférence être précédé de la décontamination des


victimes mais celle-ci peut être réduite à son minimum pour ne pas différer la
réalisation de gestes de sauvegarde devant une détresse vitale (pose d'une
voie veineuse, intubation…). Le traitement repose sur quatre piliers : assistance
respiratoire, traitement pharmacologique ayant pour but le blocage des
récepteurs cholinergiques, réactivation des ChE et prévention ou traitement des
crises épileptiques. Le traitement pharmacologique est identique pour
l'autotraitement et le traitement en milieu médicalisé. L'effet salvateur du
traitement précoce a conduit les armées à disposer de seringues
autoinjectables contenant les trois principes actifs, injectables ainsi en un seul
temps. Le militaire intoxiqué lui-même, par un geste simple et rapide, peut
s'administrer l'automédication dès l'apparition des premiers symptômes. L'auto-
injecteur bicompartiment (AIBC, Ineurope®) contient 2 mg de sulfate d'atropine,
350 mg de méthylsulfate de pralidoxime et 20 mg de chlorhydrate d'avizafone,
un précurseur du diazépam. Le Service de santé des armées a obtenu l'AMM le
5 mars 2008. Contrairement à la pyridostigmine, son usage n'est pas réservé aux
militaires.

Même s'il présente de nombreuses similitudes avec le traitement des


intoxications par OPP, il est important de ne pas extrapoler systématiquement
les données obtenues dans ces cas. En particulier, la diversité des structures
chimiques et des propriétés toxiques des organophosphorés rend nécessaire
une grande prudence dans l'analyse des résultats d'études expérimentales ou
cliniques. La sensibilité aux oximes, la perte plus ou moins rapide de la
réactivabilité de l'enzyme (phénomène de vieillissement de l'enzyme) sont des
paramètres très variables selon le toxique.

Biodosimétrie d'exposition

Outre le dosage des activités ChE couramment pratiqué, d'autres techniques


en développement dans différents centres de recherche sont capables, à partir
d'échantillons de sang et d'urine, de confirmer la nature du toxique, d'évaluer
l'importance de l'intoxication ou de confirmer l'exposition, même lorsque le
dosage des ChE ne montre aucune inhibition. Dans le cas d'un attentat ou d'un
accident, il sera important de contacter, en France, le Centre de recherches du
Service de santé des armées de Grenoble ou le Centre d'études du Bouchet
situé à Vert-le-Petit en banlieue parisienne pour qu'ils indiquent la démarche à
suivre pour les prélèvements. Ces approches récentes ne guideront pas le
clinicien en phase aiguë mais pourront apporter des éléments importants,
notamment dans le cadre de l'enquête post-attentat.

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Vésicants

Sous ce nom sont groupés des composés létaux et généralement persistants, de


formules chimiques et de modes d'action très différents les uns des autres. Ils ont
en commun de provoquer des lésions cutanées allant de l'érythème (le plus
précoce des effets de l'ypérite sur la peau) à la vésication plus ou moins
étendue (phlyctènes) en fonction de la dose reçue. En aigu, ils mettent la vie en
danger par les lésions qu'ils peuvent occasionner au niveau de l'appareil
respiratoire mais aussi par leur toxicité générale. Nous n'évoquerons que deux
représentants de cette famille : l'ypérite et la lewisite. D'autres moutardes
soufrées ou azotées, ou des dérivés arsénicaux encore présents dans de vieilles
munitions allemandes de la Première Guerre mondiale, pourraient provoquer
des intoxications. La prise en charge d'éventuelles victimes sera similaire à celle
décrite pour l'ypérite.

Ypérite

L'ypérite stricto sensu - une moutarde soufrée : sulfure de bis(2-chloroéthyle) - est


certainement le représentant le mieux connu de cette classe d'agents
chimiques de guerre. Abondamment utilisée pendant la Première Guerre
mondiale à partir de 1917, l'ypérite (” le gaz moutarde ”) a retrouvé le devant
de la scène à l'occasion du conflit entre l'Irak et l'Iran. Elle est aujourd'hui encore
considérée comme le plus redoutable agent de cette classe car sans antidote
spécifique et sans thérapeutique vraiment efficace. De synthèse beaucoup plus
aisée que les NOP, détenue en large quantité par de nombreux pays,
contenue, sous une forme encore active, dans de vieilles munitions de la
Première Guerre mondiale, l'ypérite est donc une arme potentielle de
terrorisme. Dans plusieurs régions du monde où d'anciennes armes ont été
enterrées ou déversées en mer, l'ypérite représente un problème
environnemental certain. Les accidents sur le territoire national, sans être très
courants, sont en nombre conséquent ; le dernier en date a, dans le Nord de la
France, fait deux victimes au printemps 2007.

Généralités

Sous un climat tempéré, l'ypérite s'évapore lentement et constitue d'abord un


risque « liquide ». Malgré cette volatilité réduite, plus de 80% des victimes de
l'ypérite de la Première Guerre mondiale ont présenté des lésions liées aux
vapeurs.

Comme pour les NOP, ces propriétés imposent des contraintes de protection
pour les sauveteurs et une décontamination. Mais, contrairement aux NOP, la
plupart des victimes ne présenteront pas de symptomatologie aiguë
engageant immédiatement le pronostic vital et donc ne justifieront pas la prise
de risque associée à des gestes de sauvegarde avant décontamination
complète.

L'efficacité militaire de l'ypérite (bien qu'elle fasse partie des toxiques létaux)
réside dans ses propriétés d'incapacitation. La mortalité immédiate associée à
l'ypérite durant le premier conflit mondial a été faible car moins de 3% des
blessés qui ont atteint les postes de secours y décédèrent. Les conséquences à
long terme de l'exposition aiguë ou chronique à des doses symptomatiques ne
peuvent être toutefois négligées mais elles restent imparfaitement connues :
bronchite chronique, asthme, enrouement, aphonie, hypersensibilité aux
fumées et poussières, cancers.

L'ypérite réagit rapidement avec différentes biomolécules et ces réactions sont


responsables des effets cytostatiques, cytotoxiques et mutagènes qui confèrent
à cet agent ses propriétés radiomimétiques.

Selon la quantité d'ypérite inhalée à l'état de vapeur ou en contact avec la


peau à l'état de vapeur ou de liquide, la symptomatologie est d'apparition plus
ou moins rapide. Les organes les plus souvent atteints, car les premiers en
contact avec le toxique, sont les yeux, les voies aériennes et la peau. Dans les
quelques heures suivant le contact avec le toxique, pourront apparaître :

 au niveau de la peau : des sensations de brûlure, des démangeaisons, un


érythème ou des vésications ;
 au niveau des yeux : une irritation des muqueuses avec larmoiement,
sensations de brûlure et rougeurs ;
 au niveau des voies aériennes : des irritations muqueuses et des difficultés
respiratoires ;
 des nausées et vomissements.

L'action générale consécutive à l'absorption par les différentes voies, y compris


cutanée, produit une symptomatologie analogue à celle due à l'irradiation. La
survenue de diarrhées (rarement hémorragiques) et de vomissements,
commençant plusieurs jours après une exposition à une haute dose, est en
revanche de mauvais pronostic. Les perturbations hématologiques sont
importantes dans leurs conséquences : chute des défenses immunitaires et
troubles de la coagulation avec tendance hémorragique. On observe d'abord
une leucopénie et une thrombocytopénie et, plus tardivement, une anémie. Un
nombre de leucocytes inférieur à 0,2 G/l est de mauvais pronostic. Une aplasie
médullaire est possible. Un intoxiqué par l'ypérite est un brûlé immunodéprimé.

Traitement

Des dizaines d'années de recherche n'ont pas permis de mettre en évidence


des pistes thérapeutiques certaines. En particulier, il n'existe pas d'antidote
spécifique de l'intoxication par l'ypérite et aucun consensus n'est établi quant à
des traitements plus spécifiques. Le traitement est symptomatique et
comparable à celui des grands brûlés immunodéprimés à leur phase de début.
Les premières actions sur le terrain concernent la décontamination et les gestes
de sauvegarde si nécessaire. La prise en charge thérapeutique ne peut se faire
correctement qu'en milieu hospitalier. Des modalités de prise en charge non
spécifiques comme la dermabrasion et le refroidissement des zones atteintes
semblent apporter, expérimentalement, quelques bénéfices intéressants.

Biodosimétrie d'exposition

Comme pour les NOP, des techniques analytiques sont en développement dans
différents centres de recherche pour confirmer la nature du toxique vésicant et
évaluer l'importance de l'intoxication à partir d'échantillons de sang et d'urine. Il
est ainsi possible de rechercher un métabolite urinaire - le thiodiglycol (peu
spécifique) - ou, dans le sang et des biopsies cutanées, des produits dérivant de
la réaction covalente entre l'ypérite et des biomolécules (adduits avec
certaines protéines ou l'acide désoxyribonucléique). Dans le cas d'un attentat
ou d'un accident, il sera donc important de contacter, en France, le Centre de
recherches du Service de santé des armées de Grenoble ou le Centre d'études
du Bouchet situé à Vert-le-Petit en banlieue parisienne pour qu'ils indiquent la
démarche à suivre pour les prélèvements.

Lewisites

Généralités

Ce sont des arsines, dérivés de substitution organique de l'hydrogène arsénié,


qui associent à des propriétés vésicantes l'empoisonnement général par
l'arsenic.

Le terme générique désigne la lewisite 1 (2-chlorovinyldichlorarsine) ; sans autre


précision c'est d'elle dont il s'agit. Les lewisites 2 et 3 correspondent aux dérivés
possédant respectivement deux ou trois groupements 2-chlorovinyl en
remplacement des chlores. Ces autres lewisites sont retrouvées aux côtés
d'impuretés additionnelles de toxicité mineure dans l'agent militarisé. L'intérêt
militaire de ce toxique reste discuté bien qu'il ait été vectorisépar différents
pays, notamment en mélange avec l'ypérite pour prévenir la solidification de
cette dernière à basse température. Dans certains pays, du fait de stocks de
munitions vieillissantes, la lewisite représente un problème sérieux de pollution
environnementale à l'arsenic. Synthétisée par les Américains à la fin de la
Première Guerre mondiale, elle n'a pas été déployée sur le front occidental. En
conséquence, en France, des intoxications par la lewisite ne peuvent se
concevoir que dans les laboratoires du ministère de la Défense ou par un acte
terroriste.

La toxicité des dérivés organiques de l'arsenic ne peut pas se résumer à celle de


l'arsenic tant du point de vue qualitatif que quantitatif. Le mécanisme exact par
lequel la lewisite exerce ses effets biologiques est inconnu. La littérature
scientifique abonde d'observations et de conclusions contradictoires. En
particulier, les données de toxicité sont très variables. Les évaluations chez
l'homme ont été très rares, limitant la pertinence d'une description précise des
symptô - mes et de leur chronologie d'apparition. La comparaison de la toxicité
humaine de l'ypérite et de la lewisite donne des résultats controversés.
Néanmoins, en première approche, on peut considérer que la
symptomatologie est assez semblable à celle provoquée par l'ypérite, mais
qu'elle apparaît beaucoup plus précocement.

Traitement

Il existe un traitement spécifique de l'intoxication par la lewisite, le BAL ou


dimercaprol, utilisé comme traitement de l'intoxication aux métaux lourds
(arsenic, or et mercure ainsi que les intoxications saturnines graves). Injecté par
voie IM (1 ampoule de 200 mg pour 2 ml initialement, seringue en verre), le BAL
apparaît capable de diminuer les effets systémiques de la lewisite. L'injection
d'une ampoule sera répétée toutes les 4 heures pendant 2 jours, puis toutes les 6
heures, le 3e jour. Pendant les 6 jours suivants, il convient d'injecter deux
ampoules par jour (ce schéma thérapeutique est celui utilisé dans l'intoxication
par les métaux lourds). C'est un traitement toxique par luimême.

En raison de la toxicité propre du dimercaprol et des contraintes liées à son


utilisation, l'emploi de dérivés hydrosolubles moins toxiques a été considéré.
L'acide 2,3-dimercapto-1-propanesulfonique (DMPS), en usage dans certains
pays, ou l'acide méso-dimercaptosuccinique (DMSA) semblent constituer des
alternatives intéressantes. Ce dernier est disponible en France sous le nom de
succimer (Succicaptal®) pour les intoxications au plomb et au mercure.

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Principales références
Baert A, Danel V. Armes chimiques. Encycl Med Chir Intoxications, Pathologies
du Travail 2004, 16-650-A-10 : 1-5.
Bertrand C, Ammirati C, Renaudeau C. Risques chimiques. Accidents, attentats.
Collection Médecine des risques. Paris : Elsevier, 2006.
Buisson Y, Kowalski JJ, Renaudeau C, Tréguier JY (Eds). Les risques NRBC, savoir
pour agir. Montrouge : Edition Xavier Montauban, 2004.
De Revel T, Gourmelon P, Vidal D, Renaudeau C (Eds). Menace terroriste,
approche médicale. Montrouge : John Libbey Eurotext, 2005.
Dorandeu F, Blanchet G. Toxiques chimiques de guerre et terrorisme. Med Cat
1998 ; 1 : 161-170.
Dorandeu F, Rüttimann M, Renaudeau C, Sapori JM, Jal N, Lallement G.
Décontamination de victimes chimiques : modalités et limites. Conséquences
pour la conduite opérationnelle. Urg Prat 2002 ; 51 : 29-34.
Eddleston M, Buckley NA, Eyer P, Dawson AH. Management of acute
organophosphorus pesticide poisoning. Lancet 2008 ; 371 : 597-607.
Le médecin face au risque chimique. Urgence pratique 2003 ; numéro spécial.
Szinicz L. History of chemical and biological warfare agents. Toxicology 2005 ;
214 : 167-181.
Yanagisawa N, Morita H, Nakajima T. Sarin experience in Japan : acute toxicity
and long-term effects. J Neurol Sci 2006 ; 249 : 76-85.

Sites officiels français


www.afssaps.sante.fr (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de
Santé), en particulier fiches piratox de prise en charge thérapeutique.
www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/biotox/index.htm
Index

Abeille,273

Absorbeurs d'humidité,170

Acide dimercaptosuccinique,28207

Acide édétique sel dicobaltique,29

Acide fluorhydrique,168

Acide formique,169

Acide monochloroacétique,169

Acide valproïque,81

Acides,162

Acidose lactique,145

Aconit,250

Alcools,242

Alpha-chloralose,210

Amandes amères,251

Amanite phalloïde,260

Amitraze,219

Amphétamine,150

Antiarythmiques,119

Anticholinestérasiques,217

Anticorps antidigoxine,25

Antidépresseurs,55

Antidépresseurs polycycliques,55

Antidépresseurs tricycliques,55

Antidiabétiques oraux,144

Antiépileptiques,79

Anti-inflammatoires non stéroïdiens,91

Antipsychotiques,76
Antispasmodiques,93

Antivitamines K,212

Araignées,271

Arsenic,204

Arum,251

Aspirine,91

Assistance circulatoire,109116126142

Atropine,20

BAL,207

Baryum,204

Bases,162

Batraciens,270

Belladone,157251

Benzodiazépines,44

Berce,251

Bêta-bloquants,102

Biguanides,144

Bleu de méthylène,26200

Bleu de Prusse,206

Body packers,158

Body stuffers,158

Brooks, syndrome de183

Buprénorphine,90149

Butyrophénones,76

Cactus,157

Calcium,115

Calcium édétate de sodium,29207


Cannabis,153

Carbamates insecticides,217

Carbamazépine,81

Caustiques, produits,161

Cétones,242

Charbon activé,1516

Chenilles processionnaires,274

Chlorate de sodium,216

Chlore,181

Chloroforme,247

Chloroquine,138

Chlorure de méthylène,243

Choc anaphylactique,273

Ciguatera,279

Ciguë,252

Cocaïne,151

Colchicine,131

Colchique,252

Coloquinte,252

Cônes,277

Contrathion®,218

Corrosifs, produits,161

Couleuvres,270

Crack,151

Crapauds,270

Cuivre,205

Cyanure,187

Cytise,253

D
Datura,157253

Décontamination,285

Déféroxamine,30208

Dérivés pétroliers,242

Dextropropoxyphène,90149

Diazépam,20

Dibenzothiazépines,77

Dibenzoxazépines,77

1,2-Dichloréthane,247

Dichlorométhane,246

Dieffenbachia,253

Digitale pourpre,253

Digitaliques,95

Dimercaprol,30207

Diméthylformamide,244247

Dioxyde d'azote,181

Diquat,214

Diurèse alcaline,1792

D-Pénicillamine,30

Eau de Javel,162

Eau oxygénée,162

Ecstasy,152

EDTA calcique,29207

Endosulfan,218

Engrais,209

Épuration rénale,17

Éthers,242

Éthylène-glycol,224
Exsanguino-transfusion,18

Felbamate,83

Fer,205

Férule,254

Fipronil,220

Flumazénil,2147

Fomépizole,26

Formol,162

Fréons,245

Fugu,279

Fumées d'incendie,191

Gamma OH,156

Gaz,179

Glinides,146

Glucagon,27107

Glucochloral,210

Glufosinate,216

Glyphosate,215

Gravitéou de mauvais pronostic,226

Guêpe,273

Hallucinogènes,153

Hémodiafiltration,18

Hémodialyse,17

Hémofiltration,18

Hémoperfusion,18

Herbicides,213
Héroïne,148

Histamine,278

Huîtres,280

Hydrocarbures aliphatiques,242

Hydroxocobalamine,21

Hyménoptères,273

Hypochlorite de sodium,162

If,254

Inhibiteurs calciques,111

Inhibiteurs de la monoamine oxydase,68

Inhibiteurs des α-glucosidases,146

Inhibiteurs des phosphodiestérases,116

Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine,68

Insecticides,217

Insuline,109115144

Insuline-glucose,22

Ipéca,14

Irrigation intestinale,15

Isopropanol,226

Jusquiame,157

Kétamine,156

Lamotrigine,82

Laurier cerise,254

Laurier rose,254

Lavage gastrique,14
Laxatifs,15

Lewisites,293

Lithium,51

LSD,154

MARS,18

MCPP,155

MDMA,152

Méduses,276

Méprobamate,49

Mercure,204

Métaux,203

Méthadone,90149

Méthanol,224

Méthémoglobinémie,198216

Méthomyl,218

Mille-pattes,274

Monoxyde de carbone,172

Morning glory,158

Morphine,88

Mort toxique,40

Moules,280

Muscade,255

Mygales,272

Mytilisme,280

N-acétylcystéine,2287263

Naloxone,2390148

Neuroleptiques,76
Neurotoxiques,282

N-méthylpyrrolidone,244

Octréotide,27146

Opiacés,88

Organochlorés,218

Organophosphorés,217282288

Paracétamol,87

Paraquat,214233

PCP,155

Permanganate de potassium,162

Peyotl,157

Phencyclidine,155

Phénobarbital,79

Phénol,162

Phénothiazines,76

Phénytoïne,80

Phytohormones de synthèse,213

Piles-boutons,169

Plasmaphérèse,18

Plomb,205

Poissons pierres,275

Poulpes,278

Pralidoxime,24218

Propranolol,246

Protoxyde d'azote,156

Psilocybe,157

Psilocybine,262
Pyréthrinoïdes,219

Pyridine,244

Pyridoxine,27265

Raies,276

Rascasses,275

Redoul,255

Ricin,255

Rodenticides,210

Sarin,2024282283287294

Sauge divinatoire,157

Scilliroside,213

Scolopendre,274

Scombridés,278

Scorpions,271

Sels de sodium hypertonique,24

Serpents,267

Silibinine,31263

Solvants,241

Soman,2024282

Soumission chimique,41

Strychnine,211

Stupéfiant,41

Succimer,28207

Suicidants,38

Sulfamides hypoglycémiants,145

Sulfate de cuivre,220

Sulfosate,215
T

Tabun,2024282

Terre à Foulon,237

Tétrachlorure de carbone,244247

Tétrahydrofurane,244245

Tétraodons,279

Thallium,204

Théophylline,128

Thiazolidinediones,146

Thioxanthènes,76

Thons,278

Tiagabine,82

Topiramate,82

Tramadol,91

Trichloréthylène,243246

Vapeurs,179

Vératre,255

Veuves noires,272

Vipères,267

Viperfav,28

Vitamine K,24212

Vive,274

Ypérite,291

Zinc,205

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