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DROIT INTERNATIONAL

PRIVÉ COMPARÉ
PARTIE II – Arnaud Nuyts

Université Libre de Bruxelles – Master en droit


Lysa Michiels
LYSA MICHIELS DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ COMPARÉ (2) Q1 2022-2023

INTRODUCTION

On va faire du droit international privé comparé sous un angle géographique c'est-à-dire qu’on
va s’intéresser à la manière dont le droit international privé est appréhendé dans d’autres
systèmes juridiques. On va notamment s’intéresser à l’approche retenue aux USA et dans les
système de common law plus généralement.

Il y a deux parties au cours :


- On va examiner le droit international privé américain ;
- On va examiner des techniques particulières du droit des litiges internationaux utilisées
spécialement par les tribunaux de common law et, chaque fois, s’interroger sur la place
de ces instruments dans le droit européen.

Le droit international privé n’est pas du droit international en ce sens qu’il ne s’agit pas d’un
droit commun à l’ensemble des états du monde. Le DIPrivé est international par son objet, en
fait, c’est la discipline qui détermine, d’une part, le tribunal internationalement compétent
pour connaitre d’une affaire et, d’autre part, la loi applicable une fois qu’un juge s’est déclaré
compétent. La troisième question réglée par le DIPrivé est celle de l’effet et de la
reconnaissance des jugements rendus.
On va s’intéresser à la manière dont ces questions sont réglées aux USA et on va comparer cela
avec l’approche européenne sur ces mêmes questions. En Europe, le DIPrivé a été largement
communautarisé en ce sens qu’aujourd’hui, 75% de ces questions sont réglées par des
règlements européens.
On va donc s’intéresser à la manière dont le droit américain appréhende les conflits de
juridiction (compétence et effet des jugements) et les conflits de loi (loi applicable).

PART I – LE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ AMÉRICAIN

I - INTRODUCTION AU SYSTEME JURIDIQUE AMERICAIN

A STRUCTURE DU DROIT AUX ÉTATS-UNIS

1. Système fédéral : distinction entre le pays (country) et les 50 états (states)

Les USA sont un pays fédéral, il y a donc deux niveaux de pouvoirs : le pouvoir fédéral au niveau
du pays et le pouvoir étatique qui est exercé au niveau des 50 états. En Europe, la distinction
entre pays et état n’est pas aussi forte.

2. Constitution des Etats-Unis (texte de 1776 + amendements successifs)

L’instrument juridique qui domine l’ensemble du système fédéral et étatique est la constitution
des États-Unis. ⚠ On parle de la constitution fédérale car la plupart des états ont leur propre
constitution au-dessus desquelles il y a la fédérale.

La US constitution a été élaborée en 1776 et a ensuite été complétée car de base, c’est un
document très court et tellement sacré qu’on n’y touche pas. Quand on veut ajouter de

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nouvelles règles constitutionnelles, on ne les rajoute pas dans la constitution mais on les
introduits dans les amendements.

Les amendements sont des règles qui font partie de la constitution mais qui viennent après
celle-ci. Ces amendements sont adoptés au fur et à mesure des années.

Cette constitution organise le système fédéral et étatique c'est-à-dire qu’elle répartit les
pouvoirs entre le système des USA et des états. Il s’agit du résultat d’un compromis entre des
intérêts fédéralistes et des intérêts étatiques.

⚠ Il faut bien comprendre cette notion de lutte perpétuelle : encore aujourd’hui, il y a des
tensions permanentes entre le tronc fédéral et le tronc étatique. Il y a des courants politiques
favorables à donner plus de pouvoir aux états et d’autres plus favorables à donner plus de
pouvoir au pays. Souvent, dans les affaires judiciaires, on va retrouver la question de savoir s’il
s’agit d’une matière étatique et fédérale. Ex : récemment, la matière du droit à l’avortement était,
jusque juin 2022, une matière fédérale (Roe v. Wade). La Cour Suprême n’a pas interdit l’avortement, elle a
simplement consacré que l’avortement n’était plus une question fédérale mais étatique donc chaque état
peut déterminer librement le droit à l’avortement et ses conditions.

3. Pouvoirs exécutif et législatif au niveau fédéral

Il y une division classique, au niveau fédéral, comme dans toutes les démocraties, entre le
pouvoir exécutif, législatif et judiciaire.

Le pouvoir législatif est exercé par 3 branches :


- Le congrès : il est élu sur base de circonscription qui correspondent à des petits districts
à l’intérieur des états et chaque membre est élu sur base de sa circonscription (+500).
↬ Le congrès est réélu intégralement tous les 2 ans (élection en même temps que la
présidentielle + les élections de mi-mandat).
- Le Sénat : Certains sénateurs sont également élus tous les deux ans mais uniquement
un tiers de ceux-ci. L’idée est qu’un sénateur est élu pour 6 ans et un tiers d’entre eux
sont renouvelés tous les deux ans.
Le Sénat joue un rôle particulier dans certaines matières : toutes les nominations au
niveau fédéral doivent être approuvé par lui (pas par le congrès).
- Le président : une loi est adoptée et n’entre en vigueur que pour autant que le président
l’approuve et la signe, il a donc un droit de véto sauf si un quorum de 2/3 est atteint au
congrès et au Sénat.

Le pouvoir exécutif est exercé par :


- Le président ;
- Son cabinet : ce sont les ministres qui s’appellent secrétaires.

4. Le pouvoir résiduel appartient aux États (10e Amendement de 1791)

Chaque état a aussi son pouvoir législatif et exécutif.

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De manière général le législatif a tendance à être organisé sur le même modèle que le niveau
fédéral mais chaque état, dans sa propre constitution, peut organiser son pouvoir législatif
comme il l’entend. En général il y a un sénat et un congrès étatiques.
Concernant l’exécutif, il y a le gouverneur qui en est le chef.

Ce pouvoir législatif est exercé, dans les états, dans toutes les matières étatiques et la
constitution fédérale prévoit, dans son 10e amendement, que le pouvoir résiduel appartient
aux états c'est-à-dire que l’état fédéral n’a que les pouvoirs qui lui sont accordés par la C°. Tout
le reste, ce qui n’est pas réservé au fédéral, appartient aux états.

5. Matières fédérales

L’armée, la guerre, le commerce avec les états étrangers, le droit antitrust.

6. Règles fédérales constitutionnelles

Ce sont des règles inscrites dans la constitution et qui vont imprégner l’ensemble du droit
américain indépendamment du fait que c’est une matière fédérale ou étatique. Ex : le 14e
amendement, prévoit le principe de due process qui est un règle fédérale constitutionnelle et qui s’impose
dans l’ensemble des USA, y compris devant les tribunaux étatiques.

7. Système juridique fondé sur la common law, par influence du droit anglais

Dans une large mesure, l’approche du droit privé aux USA, dans les états américains, est
inspirée par l’approche de common law issue du droit anglais donc cela reste généralement
des concepts juridiques de common law.

Il y a également quelques exceptions : la Louisiane se distingue des autres états car elle a un
système juridique de droit privé de nature romaniste, ils ont d’ailleurs un code civil.

8. Diversité des droits étatiques

La plupart des matières sont étatiques, en effet, la plupart du droit privé (droit de la famille,
des contrats, des sociétés) est essentiellement étatique sous réserve de ces règles fédérales
constitutionnelles. Puisque c’est du droit étatique, chaque état est libre de le déterminer
comme il l’entend, donc il y a une très grande diversité du droit privé aux USA.

B STRUCTURE DES TRIBUNAUX AUX ÉTATS-UNIS

1. Double hiérarchie judiciaire : fédérale et étatique

Il y a un double niveau de tribunaux aux USA, lorsqu’on est face à une décision il faut toujours
s’interroger pour savoir s’il s’agit d’un tribunal fédéral ou étatique.

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2. Cours fédérales

Les tribunaux fédéraux sont organisés sont organisés par la constitution et les lois fédérales
américaines et il s’agit d’un système à 3 niveaux :
- Première instance : district court (environ une centaine). Ex : affaire Trump qui avait repris
des documents confidentiels en quittant la maison blanche, les avocats de Trump ont demandé à
une district court de désigner un master (quelqu’un pour examiner ces documents) et pour qu’on
lui rende ses documents. Biden s’y est opposé mais le juge de la district court a désigné ce master
et a refusé au gouvernement le droit de récupérer ces documents hyper confidentiels. Cette
décision a été fortement critiquée, le gouvernement a fait appel devant le 11e circuit qui a donné
raison au gouvernement.
- Degré d’appel : Court of appeals, elles sont réunies en circuit, on les appelles les circuit
courts (12). Chacun des 12 circuit agit comme juridiction d’appel d’environ une dizaine
de district.
- La Cour Suprême : C’est la juridiction suprême qui fait partie du système fédéral. Elle
est composée de 9 juges désignés par le président avec l’approbation du Sénat. Ces
juges sont des personnes très importantes dans la vie juridique et politique américaine.
Aujourd’hui, il y a 6 juges désignés par les républicains et 3 juges désignés par les
démocrates mais en général c’est plutôt 5/4 mais Trump, vers la fin de sa présidence, a
désigné un nouveau juge républicain car la juge Ginsburg est décédée en septembre
2020 et elle a donc eu être remplacée.
Pour pouvoir faire appel devant la Cour suprême, il faut d’abord obtenir l’autorisation
en ce sens que la cour suprême va elle-même choisir les appels qu’elle souhaite
entendre et l’immense majorité des demandes sont refusées. La demande pour faire
appel s’appelle le Writ of certiorari.

3. Juridictions des États : grande diversité

Au niveau des états, chacun a son propre système de tribunaux étatique et chacun d’eux
s’organise de manière différente. Généralement, il y a la première instance, l’appel et la cour
suprême pour chaque état. Parfois, on donne des noms assez confus (ex : la supreme court of New
York c’est le tribunal de première instance de New York, c’est suprême dans un sens différent).

4. Rapports entre les deux ordres de juridictions : cours fédérales compétentes uniquement dans les cas
prévus par la Constitution ; deux cas principaux : les matières fédérales, et la diversité de citoyennetés

La relation entre les juridictions étatique et les juridictions fédérales s’organise de sorte que le
principe est que conformément à la règle selon laquelle tous les pouvoirs appartiennent aux
états sauf ceux qui sont réservés au fédéral, les tribunaux des fédéraux n’ont de compétence
que dans les cas spécialement prévus par la constitution et essentiellement dans 2 cas :
- Dans les matières fédérales : il n’y en a pas beaucoup et cela concerne généralement
lorsqu’il y a une règle fédérale constitutionnelle en jeux (ex : problème de due process, anti-
trust).
- La diversité de citoyenneté : on entend par là, la diversité de citoyenneté étatique parce
qu’aux USA, toute personne est susceptible d’avoir deux citoyennetés (citizenship).
D’abord ils ont la nationalité des USA et la nationalité de l’état de la résidence.
↬ Les juridictions fédérales ont une compétence pour les litiges en cas de diversité de
citoyenneté c'est-à-dire lorsqu’il y a un litige entre deux personnes résidant dans deux

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états différents.

5. Concurrence possible entre les compétences fédérale et étatique pour un même litige

Cette compétence fédérale fondée sur la diversité de citoyenneté, elle a lieu dans des matières
étatiques, on est dans un litige de droit qui est de la compétence des états mais on le porte
devant les tribunaux fédéraux parce que les parties résident dans des états différents.

Dès l’origine, cette compétence a été créée car les USA ont été créés dans la violence et dans
la guerre entre le nord et le sud et lorsqu’on a essayé d’unifier ces différents états, on a pas
voulu que des citoyens se retrouvent devant des juges d’un autre état qui ne le concerne pas
et qui a des valeurs et coutumes complètement différentes des siennes, on s’est donc dit que,
dans ce cas, il faut pouvoir extraire ces litiges des tribunaux des états et les donner à des juges
fédéraux qui sont désignés par le pouvoir fédéral et sont donc, à priori, plus neutre.

⚠ La compétence des juridictions fédérales dans les matières étatiques fondée sur la diversité
de citoyenneté n’est pas exclusive, c’est une possibilité donnée au demandeur et au défendeur
mais souvent ces litiges sont réglés devant des tribunaux étatique.

C LA LOI APPLICABLE DANS LE SYSTÈME FÉDÉRAL

Le droit applicable devant les juridictions étatiques est le droit étatique mais ils doivent quand
même respecter les règles fédérales constitutionnelles (ex : le due process) qui sont peu
nombreuses.

Le droit applicable devant les juridictions fédérales est le droit fédéral. Lorsqu’on est dans un
litige fondé sur la diversité de citoyenneté, donc quand on est en matière étatique mais devant
un tribunal fédéral, dans ce cas, le juge fédéral doit respecter les lois étatiques applicables.

Un problème se pose lorsque le juge fédéral est confronté à un litige où il n’y a pas de lois
spécifiques d’un état qui doivent s’appliquer. La plupart des états suivent l’approche de
common law c'est-à-dire le système de case law mais le problème est de savoir quelle est la
common law devant un juge fédéral dans une matière étatique. La Cour suprême a du trancher
ce problème et elle l’a fait dans deux arrêts :

↠ Swift v. Tyson (1842), par le Juge Story


La Cour a dit que lorsqu’on est devant un juge fédéral dans une matière étatique et qu’on doit
appliquer la Common Law, le juge doit tenir compte de tous les précédents de tous les
tribunaux fédéraux aux us c’est le développement de la Common Law fédérale. ↬ Application
de la general common law.
Cette décision a été fortement critiquée car elle consiste à créer du droit fédéral dans une
matière étatique ce qui va complètement à l’encontre du système américain. De plus, elle
créer du forum shoping à l’intérieur des US c'est-à-dire que le droit applicable va dépendre du
juge saisi. En effet, cette compétence n’est pas exclusive et le droit sera différent pour un
même litige selon que l’on porte l’affaire devant un juge étatique ou un juge fédéral et ce n’est
pas normal.

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↠ Erie Railroad Corporation v. Tompkins (1938)


Le juge fédéral dans une matière étatique doit appliquer le droit et la jurisprudence étatique, il
n’y a pas de fédérale Common Law. Chaque état a sa propre Common Law ce qui a pour
conséquence de multiplier les conflits de lois vu qu’il y a une diversité du droit législatif et du
droit jurisprudentiel aux Etats-Unis.

II - LES CONFLITS DE LOIS AUX ÉTATS-UNIS

Aux USA, il n’y a pas de différence entre le conflit de loi intra-américain et extra-américain, ce
sont les mêmes règles qui s’appliquent et ce conflit se conçoit exactement de la même façon.
Il y a 3 grandes périodes dans l’évolution :

A LA PÉRIODE DU TERRITORIALISME

Elle trouve son origine dans le droit international public et principalement dans l’école
hollandaise de Voet et de Huber : l’idée est celle de souveraineté, d’indépendance,
d’interdiction d’immixtion dans la souveraineté étrangère (Grotius).

Il y a donc une transposition des règles de droit international public au droit international privé:
chaque état est souverain chez lui, chaque juge de chaque état peut appliquer ses lois locales
à ce qui se passe dans son territoire mais cette idée de souveraineté et d’indépendance est
combinée avec un autre concept qu’est l’idée de comitas gentium (courtoisie internationale).
L’idée est de dire oui je suis souverain chez moi mais je vais essayer d’avoir de bonnes relations
avec mon voisin, des relations de courtoisie. Dans le droit privé, ça revient à pouvoir accepter
(mais ce n’est pas obligatoire) d’appliquer la loi de mon voisin en espérant que mon voisin
appliquera ma loi.

Joseph Story (1779-1845), Professeur à l’Université d’Harvard et juge à la Cour suprême des
Etats-Unis, va réécrire cette théorie, à l’origine en Latin, en Anglais et elle portera le nom de
Comity. Il va importer le principe de territorialité et écrire : « aucun État ou nation ne peut
étendre directement l’application de ses lois ou réglementer les biens qui se trouvent en dehors
de son territoire, ni les personnes qui n’y sont pas résidentes, quelles que soient leur nationalité
» mais il importe le principe de Comitas gentium, repris sous l’intitulé de Comity : l’application
des lois étrangères est souhaitable « pour autant qu’elles ne portent pas atteinte aux pouvoirs
ou aux droits d’autres gouvernements ou de leurs citoyens ».

B L’APPROCHE FORMALISTE DU TERRITORIALISME

Dans cette période on continue à raisonner sur la base de la souveraineté mais on va critiquer
le fait que le Comity donne trop de discrétion au juge et cela crée trop d’insécurité juridique.
La 2eme période est issue d’une critique de cette insécurité juridique, il faut des règles plus
précises et savoir exactement quand on va appliquer ou pas la loi étrangère, on va appliquer
de manière stricte le territorialisme en développant la théorie des droits acquis (vested rights) :
C’est l’idée qu’un droit régulièrement acquis dans un État doit être reconnu dans les autres
États ↬ application de la loi du lieu où le droit s’est « créé ».

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Cette approche a été formalisée dans le premier Restatement (photographie du droit à un


moment donnée dans une certaine matière rédigée par les professeurs d’université les plus
compétents dans ce domaine) des conflits de loi (1934).
L’auteur le plus célèbre pour cette approche s’appelle Beale (1861-1943), il a synthétisé cette
approche formaliste du territorialisme.

C LA « RÉVOLUTION » AMÉRICAINE

Dans cette approche, les auteurs célèbres sont D.F. Cavers (1902-1988) et B. Currie (1912-1965)
et ils vont critiquer la théorie des droits acquis c'est-à-dire le système du premier Restatement
car il est, selon eux, inadapté à l’évolution des idées et du droit en général. On est à l’époque
ou un nouveau mouvement se développe dont l’idée est que le droit ne doit pas simplement
donner de la sécurité juridique, il faut aussi que la règle soit juste et conforme aux intérêts en
jeux. Les règles qui se développent alors sont plus flexibles et tiennent compte des situation
individuelles, or, l’approche des droits acquis est tout sauf flexible, ils le décrivent comme
artificiel, abstrait, formaliste, inadapté aux situations concrètes.

Plusieurs théories sont nées de la Révolution américaine et de la critique de cette théorie des
droits acquis. Il y en a trois principales et leur point commun est qu’elles adoptent toutes une
approche flexible et fonctionnelle :
- Théorie des points de contacts (Morris ; Reese ; deuxième Restatement de 1971) : C’est
l’idée que, en vue de déterminer la loi applicable à une situation internationale, le juge
doit déterminer tous les points de contact de la situation avec les différents pays. La loi
applicable sera celle avec laquelle la situation a le plus de point de contact envisagé au
cas par cas. Cela aboutit à l’application de la « proper law » c'est-à-dire la loi qui
convient. ↬ C’est donc une approche très concrète, très flexible mais donc très peu
prévisible.
- Théorie de « la règle la plus juste » : (Cavers ; Leflar) le juge, lorsqu’il est confronté à un
conflit de loi, va se demander quelle est la règle la plus juste qui doit s’appliquer. Il y a
un certain nombre de facteur à prendre en compte pour déterminer cette loi la plus
juste. Parmi ces critères il y a : quelle est la règle qui va le plus protéger les intérêts des
parties, quel est l’intérêt du for (de l’endroit), quelle est la règle qui va permettre la plus
grande simplification judiciaire, celle qui va permettre de meilleures relations
internationale, quelle est la plus prévisible. Tous ces éléments vont être pris en compte
afin de justifier l’application de la règle choisie.
- Théorie des « intérêts gouvernementaux » (governemental-interest analysis de Currie):
C’est la plus révolutionnaire. L’idée est que chaque fois qu’une règle de droit est créé
par un législateur, elle vise à atteindre un objectif, à protéger des intérêts, elle n’est
jamais neutre. Ex : protéger le vendeur. Donc le champ d’application dans l’espace des lois
dépend du contenu matériel des lois en cause, de la politique législative poursuivie par
l’auteur des règles concernées ; on oppose des règles et pas des ordres juridiques.
↬ Il va falloir partir de cet intérêt, de cet objectif pour voir quelle loi s’applique. On doit
s’interroger sur les intérêts sous-jacents aux règles en conflit. Ensuite, il y a trois
hypothèses qui ressortent de l’examination des intérêts de ces règles :
o Une absence de conflit : il n’y a pas de conflit de loi car les règles visent à protéger
les mêmes intérêts, elles sont identiques ou similaires. Le juge n’a pas besoin de

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trancher car le conflit de loi n’existe pas, il va trancher le litige sur base des règles
qui sont les mêmes dans les deux droits.
o Il y a un faux conflit : les règles sont différentes mais lorsqu’on examine les intérêts
sous-jacents, on constate qu’une seule des deux règle à vocation à s’appliquer à la
situation en l’espèce. Une seule des deux règles vise à protéger un objectif qui
rentre dans la situation en cause.
o Il y a un vrai conflit de lois : Il y a deux lois contraires qui veulent s’appliquer. Dans
ce cas, deux sous-hypothèses se présentent :
↬ Soit, parmi les lois, il y a la loi for (juge saisi) : Le juge en question va alors
appliquer sa loi.
↬ Soit les lois sont toutes les deux étrangères : Il faut alors peser les intérêts en
présence et le juge va procéder à une comparaison des intérêts en présence et va
appliquer la loi qui a le plus d’intérêts à s’appliquer, c’est la loi dont les intérêts
gouvernementaux sont le plus impliqués qui va s’appliquer. Cette hypothèse a été
critiquée pour l’insécurité juridique liée à cette mise en balance.

APPLICATION : Hypothèse d’un litige en matière de droit de la distribution qui implique des parties
établies en Belgique et dans l’état de New-York. En Belgique, il y a une réglementation particulière
protectrice du concessionnaire dans les contrat de concession de vente exclusive. Depuis 1961, le
concessionnaire est protégé en cas de rupture du contrat lorsqu’il s’agit d’un CDI, si le concédant met
fin au contrat, il doit indemniser le concessionnaire du préjudice.
Le litige concernerait un concédant établi en Belgique et un concessionnaire établi à New-York où le
concédant met fin au contrat et le litige est porté devant le juge de l’état de New-York et il se trouve
donc devant un conflit de loi. Les lois susceptible de s’appliquer sont les lois New-Yorkaises (exécution
du contrat, état du concessionnaire) et les lois Belges (état du concédant).
↠ Application de la théorie des intérêts gouvernementaux :
Est-ce qu’il y a une absence de conflit ? ↬ non car la loi Belge prévoit une indemnisation du
concessionnaire alors que le droit New-Yorkais n’en prévoit pas, c’est du pur droit des contrats. Est-ce
qu’il s’agit d’un faux conflit de loi ? ↬ Le juge New-Yorkais devrait logiquement conclure que, oui, c'est
un faux conflit parce que les travaux préparatoires de la loi Belge montrent qu’elle a été prise dans
l’objectif de protéger les concessionnaires Belges victimes de rupture de contrat par des concédants
étrangers, or, la situation ici est inversée et la loi Belge n’a donc pas pour but de protéger le
concessionnaire New-Yorkais. Le juge va donc appliquer le droit commun des contrat qui sera identique
à New-York et en Belgique.

Si maintenant on inverse la situation et que le concessionnaire est en Belgique et le concédant est à


New-York, dans ce cas, le juge va constater que la loi Belge a volonté à s’appliquer puisqu’elle vise à
protéger le concessionnaire Belge. Le juge va, en revanche, constater que la loi New-Yorkaise vise à
protéger le principe de l’autonomie de la volonté. Il y a donc un vrai conflit parce que les deux loi veulent
s’appliquer : Le juge devra préférer la loi du for, à savoir la loi New-Yorkaise.
Si les deux parties sont étrangères, il va falloir mettre en balance les intérêts et déterminer lequel des
deux est le plus important : protéger le concessionnaire belge ou protéger le respect de l’autonomie de
la volonté ? Il faudrait faire cette balance et décider lequel est plus important mais ce n’est pas un
exercice facile et cela apporte une certaine insécurité juridique.

Une autre théorie est mise en avant par Ehrenzweig (lex fori + forum non conveniens) : la loi
du for devrait être la règle générale et devrait tout le temps s’appliquer. Selon cette théorie,
l’idée d’appliquer une loi étrangère qui peut être fondée sur d’autres principes est absurde. Le
problème de cette théorie est que cela va aboutir à du « forum shopping » c'est-à-dire qu’on

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va choisir le juge en fonction de la loi qui nous arrange en pratique alors que tout l’intérêt du
droit international est d’éviter cela, à savoir qu’une même situation soit réglée différemment
selon qu’on soit devant un juge ou un autre. L’auteur de cette théorie avance alors que la
solution en doit pas être trouvée au niveau du droit applicable mais plutôt au niveau de la
compétence des tribunaux en développant que pour chaque litige il n’y a qu’un seul juge qui
convient et il s’éloigne donc de la théorie de la loi la plus juste.

D L’ÉTAT ACTUEL DU DÉVELOPPEMENT DES CONFLITS DE LOI AUX ÉTATS-UNIS

La première chose à relever est qu’il n’existe pas de droit fédéral des conflits de loi aux USA, les
règles de la détermination du droit applicable sont des règles étatiques et non fédérales, il n’y
a pas de federal common law, le juge fédéral ou étatique va appliquer le droit étatique. ↬ Il y
a donc différents système de conflits de loi dans les différents états qui composent les USA et
c’est assez extraordinaire car on pourrait penser que les USA sont un système fédéral beaucoup
plus poussé que les états européens mais, dans ce domaine, on remarque que le droit
européen va beaucoup plus loin que le droit américain car, en Europe, les conflits de loi, sont,
dans une très large mesure, européanisé (contrats, responsabilité extracontractuelle,
successions, insolvabilité, aliments, régimes matrimoniaux, divorces), les mêmes solutions sont
appliqués, dans ces matières, pour régler les conflits de loi.

Aux Usa, dans certains états on va appliquer la théorie du premier Restatement, dans d’autre
celles du deuxième, dans d’autres encore celle de la règle la plus juste, celle des points de
contacts, celles de droits acquis, celle des intérêts gouvernementaux,... De manière générale,
cependant, la plupart des états suivent plutôt des théories issues de la révolution américaine
même si certain continuent de suivre d’ancienne théories. ↬ Il y a donc une très grande
diversité.

E APPLICATION EN MATIÈRE DE RESPONSABILITÉ EXTRACONTRACTUELLE

↠ Affaire Babcock v. Jackson, Cour d’appel de NY, 1963 : Une personne qui réside à NY et qui
a sa voiture enregistrée à NY et part en Week-end au Canada dans l’état d’Ontario. Il part avec
un ami dans sa voiture et un accident survient lors duquel le passager est blessé. Le passager
introduit une action devant les tribunaux New-Yorkais contre le conducteur en argumentant
une négligence de la part du conducteur. La question qui se pose est de savoir si le juge de
l’état de NY doit appliquer le droit de l’Ontario ou de l’état de NY.
↬ La théorie formaliste des droits acquis (1er Restatement) : c’est la loi D’Ontario qui devrait
s’appliquer car c’est la loi du lieu où l’obligation nait.
↬ La théorie d’Ehrenzweig : la loi du for donc la loi de NY.
↬ La théorie des points de contact (2e Restatement) : ici, c’est la loi de NY, puisque c’est la loi
qui a le plus de points de contact avec la situation (2 New-Yorkais, voiture immatriculée à NY,...).
↬ La théorie de la règle la plus juste (Cavers) : ici, on commence à vérifier le contenu les lois
pour déterminer la règle qui sera la plus juste. Le juge constate que le droit de l’Ontario ne
permet pas à un passager d’agir en justice contre un conducteur s’ils sont dans la même
voiture. En revanche, la loi de NY dit que le passager peut assigner le conducteur pour autant
qu’il démontre sa négligence. La règle la plus juste serait celle de NY car c’est plus juste de
permettre l’indemnisation du passager si il y a effectivement eu une négligence (v. tous les
critères à prendre en compte supra).

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↬ La théorie des intérêts gouvernementaux (Currie) : ici, il y a effectivement un conflit de loi


mais c’est un faux conflit car l’objectif et les intérêts protégés par la règle ne sont pas les
mêmes. Le législateur d’Ontario interdit l’introduction d’une action par un passager contre un
conducteur dans l’objectif d’éviter la fraude à l’assurance des assureurs Ontarien. Puisque la
voiture est assurée à NY et qu’il n’y existe pas cette règle qui vise à protéger les assureurs de
cet état, la seule loi qui a donc vocation à s’appliquer est celle de NY.

F COMPARAISON AVEC LES DÉVELOPPEMENTS EN DROIT EUROPÉEN CONTINENTAL

De manière générale, l’approche retenue en DIPrivé européen est totalement éloigné de ces
théories issues de la révolution américaine. Le DIPrivé européen est basé sur des règles de
conflit de loi rigides, fixes. L’idée est que le législateur européen essaye d’identifier la règle la
plus proche mais les critères qui déterminent la proximité sont différents en fonction des
différentes matières.

Il y a, malgré tout, quelques éléments dans les instruments de DIPrivé européen qui font écho
à certains éléments de la révolution américaine :
- La théorie des points de contact rapprochement avec l'essor du principe de proximité ;
combinaison de la technique des liens étroits avec d’autres techniques retenant une
approche classique ; l’exemple du droit européen (article 4-1° de la Convention de
Rome ; article 4-4° du règlement Rome I) ; l’exemple du Code belge de droit
international privé (exemple de la responsabilité extra-contractuelle (art. 99) : critères
classiques + critère subsidiaire des liens plus étroits) ;
- Rapprochement avec les clauses d’exception ; l’article 4-3° du règlement Rome I ;
l’article 15 de la loi suisse de DIP de 1987 ; l’article 19 du Code belge de droit
international privé ; comparaison : double condition de liens très faibles avec le for et
de liens très forts avec l’étranger (plus strict que la proper law ; plus strict que l’article
4-3° Rome I – Intercontainer 2009) ; prise en compte du besoin de prévisibilité du droit
applicable (cf. principes de préférences) ; prise en compte de création régulière de la
relation en cause selon le droit étranger (cf. droits acquis)
- Théorie des intérêts gouvernementaux : rapprochement avec la théorie des lois de
police (n’intervient que dans des domaines très délicat comme le droit de la
concurrence); l’article 9 du règlement Rome I (intérêts publics ; interprétation par
l’arrêt Unamar 2013); l’article 20 du Code belge de droit international privé (extension
à l’ensemble des matières) ; lois de police du for et étrangères ; volonté d’application
de la loi et souplesse ; comparaison avec la théorie des intérêts gouvernementaux

III - LES CONFLITS DE JURIDICTIONS AUX ÉTATS-UNIS

Un auteur américain, dans un article publié dans les années 60, a systématisé les différentes
théories qui peuvent justifier l’exercice de la compétence international. Il y explique qu’il y a
trois grandes théories de la compétence internationale en droit comparé :
- Théorie de l’allégeance : on a un lien de soumission vis-à-vis de quelqu’un. L’idée est
que les tribunaux sont compétents pour connaitre des litiges à l’égard des personnes
qui ont un lien d’allégeance à l’égard de cette état, généralement fondé sur la
nationalité. Cette théorie a beaucoup été utilisée en droit Français. ;

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- Théorie du pouvoir physique : l’idée est que les tribunaux d’un état sont compétent
parce qu’ils peuvent exercer un pouvoir physique sur les parties en cause, parce qu’on
est sur le territoire. ;
- Théorie de la justice procédurale : c’est l’idée qu’un juge est compétent
internationalement parce que procéduralement il est juste de tenir compte des intérêts
privé des parties d’exercer cette compétence. De nos jours, cette théorie est, dans une
large mesure, suivie par le droit EU même s’il y a encore une partie de la théorie de
l’allégeance.

A L’APPROCHE TRADITIONNELLE : LE POUVOIR PHYSIQUE

Le point de départ aux USA, qui n’a jamais été complètement abandonné était la théorie du
pouvoir physique issu du principe de territorialité (Juge Story : chaque état est compétent pour
appliquer sur son territoire pour appliquer ses lois et exercer la compétence de ses tribunaux).
Cette théorie trouve son origine dans le droit Anglais du moyen âge ou la justice du roi ou de
la reine était strictement lié au pouvoir physique : lorsqu’un litige devait être tranché, les
personnes concernées étaient mises dans une cellule jusqu’à-ce qu’ils soient jugés. Cela a été
transformé et ce qui compte c’est qu’on a le pouvoir d’arrêter la personne sur le territoire.
↬ L’idée est qu’on est soumis à la compétence d’un tribunal lorsqu’on a été cité en justice au
moment où on était sur le territoire du tribunal en question.

↠ Pennoyer v. Neff (1878) : Cet arrêt consacre cette règle du pouvoir physique. La Cour
suprême dit que les tribunaux des USA sont compétents quand le défendeur a reçu la citation/
notification personnelle alors qu’il était présent sur le territoire, c’est ce qu’on a appelé la « tag
jurisdiction ».

↠ Grace v. McArthur (1959) : Un exemple d’application à l’extrême de la « tag jurisdiction » :


concernant un vol non-stop de Memphis à Dallas passant au-dessus de l’Arkansas. Au moment
où l’avion est au-dessus de l’Arkansas, un avocat présent dans l’avion se lève et donne une
citation à une personne présente dans l’avion pour être jugé devant le tribunal de l’Arkansas
puisqu’ils sont au-dessus de cet état. Devant les tribunaux, la personne cité se défend en disant
qu’il était dans un vol, le juge a confirmé que l’air au-dessus d’un état est une partie du territoire
et qu’il a donc bien été cité en justice au moment où il était sur le territoire donc l’Arkansas est
compétent.
↬ La particularité de l’arrêt Pennoyer est d’avoir consacré constitutionnellement la théorie de
la tag jurisdiction mais aussi d’avoir consacré une règle fédérale constitutionnelle, en effet, la
Cour suprême a rattaché la question de compétence internationale à la clause de due process
(procès équitable). Le 14e amendement consacre le principe de due process selon lequel toute
personne a droit à la protection de sa vie, de sa liberté et de sa propriété. On ne peut donc pas
priver une personne de sa vie, de sa liberté ou de sa propriété sans avoir respecté le due
process. La Cour Suprême a dit, dans l’arrêt Pennoyer, qu’il est contraire au due process
d’exercer une compétence lorsqu’une personne n’est pas présente physiquement sur le
territoire. ↬ Constitutionnalisation du droit de la compétence internationale.

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B LA CONCEPTION MODERNE

Il y a eu une évolution, on est pas resté sur la compétence de la tag jurisdiction indéfiniment.
Un arrêt fondamental a consacré cette évolution : cet arrêt est le fondement moderne du droit
de la compétence aujourd’hui aux USA.

↠ International Shoe (1945) : L’idée de la tag jurisdiction n’a plus de sens. Il dit qu’il faut un
critère plus flexible que la présence physique. ↬ Ce critère est le concept des contacts
minimums : l’idée est que pour être conforme au due process, il faut que le défendeur (celui
qui est cité) ait des contacts minimums avec l’état.
Depuis lors, il y a eu une trentaine d’arrêts de la Cour suprême et aucun n’a remis en cause
International Shoe mais ont modalisés la notion de contacts minimums.

Malgré qu’il y ait eu une constitutionalisation avec le rattachement au due process, le point de
départ reste que le droit de la compétence international reste une matière étatique mais les
règles de chaque état sont soumis à un contrôle de constitutionnalité.

Dans certains états, le législateur a adopté une règle qui dit que tout exercice de compétence
qui est conforme au due process, est conforme au droit étatique. Dans ces états, le droit fédéral
déduit de la clause du due process est aussi le droit étatique parce que le législateur a lié le
droit étatique au droit fédéral.
Dans d’autres états, on a des règles plus précise, comme l’état de NY qui a un texte de loi sur
la compétence internationale qui ressemble de manière étonnante au règlement européen sur
cette question sauf que cette compétence, dans un cas particulier, ne peut être exercée que
pour autant que cela ne viole pas le due process donc il faut toujours démontrer la condition
préalable de l’existence de contacts minimums.

⚠ DONC la détermination de la compétence aux USA implique une démarche en deux temps :
- Est-ce que la compétence est conforme au doit étatique ?
- Est-ce qu’elle est conforme au droit constitutionnel du due process ? (contacts
minimum entre le défendeur et le for)

Pour établir l’existence de ces contacts minimums, la cour suprême a précisé comment mettre
en œuvre ce critère. Pour ce faire, elle a établi une distinction entre deux types de
compétence :
- La compétence générale ;
- La compétence spécifique.

C LA COMPÉTENCE GÉNÉRALE

Elle est conçue comme le cas où le défendeur a des liens tellement étroits avec le for qu’on
peut introduire n’importe quelle action en justice contre cette personne, le défendeur, même
si le litige ne concerne pas lui-même le for. Il ne doit pas avoir de lien entre le litige et le for
mais entre le défendeur et le for (territoire du juge).

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Un certain nombre de critères de compétence générales ont alors été consacré par la
jurisprudence :
- Le domicile : si une personne a son domicile à NY, cela veut dire qu’on peut saisir les
tribunaux de l’état de NY pour n’importe quel litige concernant le défendeur même si
le litige n’a rien à voir avec NY.
- La résidence habituelle : La Cour suprême dit que la résidence habituelle suffit à établir
la compétence.
- Le lieu de l’incorporation (où la société a rempli les formalités de sa création) : pour les
sociétés et personnes morales.
Ce sont des critères qui déclenchent la compétence générale. Ce sont des critères bien établis
et non controversés.

Ensuite, il y a deux critères plus délicats qui sont aussi retenus comme fondant une compétence
générale :
- La compétence fondée sur la présence physique du défendeur sur le for. (Task
jurisdiction).
↠ Arrêt Burnham (1990) : La Cour Suprême a réaffirmé que la Task jurisdiction
remplissait le critère des minimums contacts. Ce n’est plus le seul critère comme avant
mais ça a survécu à International Shoe.
- Le critère du doing business : c’est une particularité du droit américain, l’idée c’est que
lorsqu’une personne fait des affaires aux US, cela va créer la compétence des tribunaux
de l’état où cette société fait des affaires. C’est un critère de compétence générale,
donc même pour les litiges qui ne concernent pas les affaires qui sont établies à New
York, par exemple, parce qu’une société fait des affaires à New York, le tribunal de New
York sera compétent pour tous les litiges, même ceux qui n’ont pas de lien avec l’état
de New York.
Pour que joue cette compétence du doing business, il faut quand même que la conduite
d’affaire présente certaines caractéristiques.
↠ Arrêt Helicopteros : la Cour Suprême a souligné qu’il fallait qu’il s’agisse d’un exercice
d’activité de manière régulière et de manière systématique.
Ce n’est pas parce que vous faîtes une opération commerciale, par exemple une société
belge vend des produits à une société New Yorkaise, ce n’est pas suffisant pour être du
doing business, ce n’est pas suffisant parce que ce n’est pas récurant et ce n’est pas
systématique. Par contre, la société qui a un volume d’affaire important, qui de manière
régulière et systématique fait des affaires à New York, ça va déclenche la compétence
générale des tribunaux de New York.

↠ Goodyear (2011) : Il s’agissait d’un décès dans un accident de bus à Paris de deux adolescents
US lors d’un voyage scolaire organisé par une école américaine. Une action est introduite aux
USA contre la société Goodyear pour produits (les pneus) défectueux car c’est ce qui aurait
causé l’accident. L’action est dirigée contre plusieurs filiales Goodyear : USA, Turquie,
Luxembourg et France. La question qui a été posée à la Cour Suprême des US est de savoir si
les tribunaux aux US étaient compétents pour connaître de l’action concernant Goodyear
Turquie, Luxembourg et France, les sociétés européennes Goodyear. La Cour Suprême a
appliqué le critère Helicoptéros du doing business et a vérifié s’il y avait un exercice régulier et
systématique d’activité et la Cour dit qu’il n’y en a pas parce que les sociétés filiales ne faisaient
pas, elles, d’activités aux US et donc il n’y a pas de compétence générale.

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L’idée de la compétence générale est que les tribunaux aux US sont compétents lorsque le
défendeur fait du doing business de manière systématique et régulière dans l’état en question.

D LA COMPÉTENCE SPÉCIFIQUE

Pour la compétence spécifique, la Cour Suprême des US, a rendu un arrêt de base :
↠ Worl Wide Volkswagen (1980) : Elle a consacré le double test dans cet arrêt.
Il s’agissait d’un accident en Oklahoma impliquant une voiture VW en route de NY vers
l’Arizona. Une action est introduite devant les tribunaux de l’Oklahoma, lieu de l’accident,
contre la société Worl Wide Volkswagen (nom d’un petit dealer de Manhattan), c’est en fait
une action dirigée contre le vendeur new yorkais de cette voiture. Il fallait savoir s’il y avait une
compétence établie des tribunaux de l’Oklahoma. Il n’y avait pas de compétence générale
parce que ce dealer n’exerçait clairement pas d’activité de manière systématique et régulière
dans l’Oklahoma. Mais y avait-il une compétence spécifique ? La compétence spécifique
implique qu’il y ait un lien minimum entre l’activité du défendeur et le for. Le double test est le
suivant : la cour suprême dit qu’il faut vérifier si :
1° le défendeur, a créé, en connaissance de cause, des liens suffisants avec le for au travers de
son activité. En l’espèce, inexistence malgré le « stream of commerce », le simple fait que des
voitures sont amenées à rouler jusqu’à l’Oklahoma ne crée pas ce lien minimum ;
2° l’exercice de la compétence doit être raisonnable dans le cas d’espèce. En l’occurrence, ce
n’était pas le cas.

↠ McIntyre (2011) : Il s’agissait d’un accident survenu dans le New Jersey, d’un ouvrier utilisant
une machine à broyer le métal. Une action est dirigée contre McIntyre UK (société qui fabrique
ces machines) devant les tribunaux de l’état du New Jersey. Les tribunaux de cet état étaient-
ils compétents ? ↬ Il n’y avait pas de compétence générale mais l’accident avait eu lieu là.
Y avait-il une compétence spécifique ? ↬ Est-ce qu’à travers son activité, McIntyre avait créée
des liens en connaissance de cause avec le New Jersey ? Il est établi que cette société a des
activités commerciales aux US, il y avait des salons spécialisés dans ce type de machine mais ce
n’était pas dans le New Jersey, c’était dans d’autres états des US.
La question fédérale qui se posait était de savoir si pour déterminer les contacts minimums
avec les US, on tient compte des US dans leur ensemble comme un seul pays ou s’il faut établir
des contacts minimums avec l’état en question. La Cour Suprême a dit que c’est par état qu’il
fallait déterminer les contacts. La Cour a décidé avec une majorité de 6 juges contre 3 qu’il n’y
avait pas de compétence spécifique : McIntyre savait que ses machines pouvaient être
potentiellement utilisées dans n’importe quel État y compris au NJ, mais pas de structure pour
atteindre le marché de NJ ; pas d’efforts du fabricants dirigés vers le NJ (à distinguer des Etats-
Unis dans leur ensemble). L’opinion dissidente des 3 juges était basée notamment sur le
règlement Bruxelles 1bis sur la compétence et l’effet des jugements dans les relations intra-
européenne qui prévoit que si, un fait dommageable survient sur le territoire d’un État, cela
déclenche la compétence de l’état en question.

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↠ Ford Motor Co. (2021) : On est de nouveau dans les accidents de circulation : Un accident
survenu dans un état et l’action était introduite contre le vendeur d’un autre état. Ici, il est
établi que la société Ford en cause avait commercialisé ses véhicules dans l’état en question.
C’est la grande différence avec Worl Wide Volkswagen. Mais la voiture n’avait pas été vendu
dans cet état par la société Ford du défendeur. La Cour a conclu qu’il y avait tout de même une
compétence spécifique dans l’État du lieu de l’accident car :
1° : La société Ford en cause commercialise des véhicules dans cet État (publicités dirigées vers
cet État);
2° L’action en cause « a un lien » (relate to) avec l’activité du défendeur dans le for. Elle a
précisé qu’il n’y avait pas d’exigence que l’action « trouve son fondement » (« arise out of »)
dans cette activité (condition en l’espèce non remplie car le véhicule n’avait pas été vendu par
la société Ford défenderesse) .

E LA COMPARAISON AVEC LE DROIT EUROPÉEN DE LA COMPÉTENCE

La situation est très différente en Europe. Au niveau structurel, il y a des différences au niveau
de la base légale. En Europe, le droit de la compétence est réglementée par un instrument
européen, le Règlement Bruxelles 1bis qui s’applique dans les états de manière directe. Alors
qu’aux US, c’est par le biais de ce contrôle constitutionnel du due process, des liens les plus
étroits qu’on établit des limites à l’exercice de la compétence.
↬ La source de la réglementation est donc différente.
↬ Le types de règlementations est différente. En Europe on a une liste de règles et de
compétences précises. Aux US, c’est un standard général.
↬ La nature de la connexion avec le for est différente aussi, en EU pour que la compétence soit
établie en matière de responsabilité extracontractuelle, il suffit qu’il y ait un lien avec le fait
dommageable, avec l’accident. Aux US tout est toujours conçu sous l’angle du lien des contacts
minimums avec le défendeur, tout se conçoit autour de lui, c’est pour ça qu’on parle de «
personal jurisdiction ».
↬ Les parties protégées sont différentes aussi, en EU on veut favoriser l’accès au for, protéger
le demandeur (large choix)/ la victime et aux US, le défendeur. MAIS rééquilibrage du système
: EU principe du for du défendeur + interprétation restrictive.
↬ La prévisibilité de la compétence est aussi différente : tant en EU qu’aux US, ils insistent sur
la prévisibilité de la compétence. Le mot est le même mais la signification est très différente.
- Pour les juges américains, la prévisibilité de la compétence c’est la prévisibilité pour le
défendeur qui doit pouvoir savoir à l’avance, quand il exerce une activité transfrontière,
s’il va pouvoir être assigné à tel ou tel endroit. C’est pour ça qu’il faut qu’il y ait des
contacts minimums avec le défendeur, il ne faut pas qu’il soit surpris d’avoir été assigné
en justice dans un état qu’il ne pouvait pas prévoir.
- Dans l’approche européenne, on s’intéresse plus à la prévisibilité pour le demandeur.
Est-ce que le demandeur, au moment où il agit en justice, peut savoir où il peut agir et
où il ne peut pas agir.
En Europe, on parle donc de prévisibilité après la naissance du litige et aux US on parle de
prévisibilité avant la naissance du litige.
↬ Quant à la discrétion laissée au juge, en Europe il n’y en a pas, l’accident a lieu en Belgique,
les juges belges sont compétents, peu importe les circonstances particulières du cas d’espèce.

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Aux US, il y a beaucoup plus de discrétions, le juge va vérifier s’il y a des contacts minimums
avec le for, etc.

De manière générale, les systèmes juridiques civilistes, ont tendance à laisser une grande
importance à la sécurité juridique. La question de sécurité juridique est beaucoup moins
importante pour un juriste de Common Law, ce qui compte plus c’est que la solution soit juste,
c’est la justice dans le cas d’espèce.

PART II – LES TECHNIQUES DE COMMON LAW DES LITIGES CIVILS


INTERNATIONAUX

I - FEEZING INJUNCTIONS (GEL D’AVOIRS) ET AUTRES MESURES PROVISOIRES IN PERSONAM

A NOTION ET PRATIQUE DES TRIBUNAUX DE COMMON LAW

Quelle est la différence entre ordonnance de saisie conservatoire et une ordonnance de gel des
avoirs ?
- Dans les systèmes civiliste, une mesure conservatoire, c’est une saisie dirigée contre
une chose, elle a un effet in rem et l’huissier de justice procède à la signification d’un
exploit de saisie de la chose.
- Dans les systèmes de Common Law, l’ordonnance de gel des avoirs, elle n’est pas
dirigée contre une chose, elle est dirigée exclusivement contre une personne, c’est pour
ça que c’est une mesure in personam, c’est un ordre donné à une personnes de geler
ses avoirs, de ne pas les bouger. Il n’y a pas d’huissier de justice qui va venir ou de saisie
matérielle des biens.
En cas de non-respect, on est dans une situation de « contempt of court » : il est lié à
une injonction de faire ou de ne pas faire qu’on ne respecte pas (cela ne concerne pas
le fait de payer une somme d’argent). Les sanctions du contempt of court sont très
lourdes, cela peut être : une amende, un emprisonnement, on enlève la possibilité à la
personne de se défendre, une confiscation de ses biens sur le territoire. Les tribunaux
anglais ont commencé à utiliser cette injonction sur une base transfrontière en ce sens
que c’est une ordonnance mondiale, c’est une mesure produisant souvent des effets «
extraterritoriaux » vu qu’elle vise la personne (world wide freezing injunction).

Toujours avec un caractère civil, il y a d’autres types d’injonctions qui produisent également
des effets in personam, qui sont aussi soumis à la sanction du contempt of court en cas de non-
respect et qui ont tendance, aussi, a prendre un caractère extraterritorial :
- Disclosure order (souvent combiné avec la freezing injunction) : injonction de divulguer
la localisation d’avoir ; dirigée contre le titulaire des avoirs et/ou contre des parties
tierces si on omet de divulguer certains des actifs, on sera en situation de contempt of
court. Ce disclosure order n’est pas limité sur une base territoriale donc même les actifs
qui se trouvent à l’étranger doivent être divulgués.;
- Search order (= Anton Piller Order): injonction faite au défendeur de permettre au
requérant de procéder à la recherche d’informations dans les locaux du défendeur voir
dans le système informatique. Si le défendeur dit non rien ne se passe, ce n’est pas par

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la force que c’est exécuté mais si il refuse c’est contempt of court. Possibilité de search
order a exécuter à l’étranger ; mais condition de compétence, et problème d’exécution;
- Receivership order : ordonnance désignant un receiver chargé de collecter les créances
en notre nom ; injonction sans effet réel à l’égard des tiers ; opère comme une
injonction de non interférence avec l’exercice par le receiver de sa mission;
- Norwich Pharmacal order : ordonnance à un tiers innocent impliqué dans un
wrongdoing (activité illicite) de collaborer à l’identification de cette situation illicite
(fourniture de documents ou informations, prises de mesures destinées à empêcher ou
remédier au wrongdoing, etc) ;
- Passport Confiscation order : un juge peut dire à une personne qu’elle doit remettre
son passport et donc l’empêcher de voyager. Il y a un exemple célèbre d’utilisation de
ce type d’injonction avec l’affaire Irak Airways ou un jugement avait été prononcé pour
payer une somme d’argent. Quand la compagnie a repris du service, les créanciers qui
n’avaient toujours pas été pays avait obtenu un Passport Confiscation order d’un
tribunal anglais de sorte que lorsque le nouveau CEO de Irak Airways a atterri à Londres,
son passeport lui a été confisqué. Il n’a pu le récupéré qu’une fois que le disclosure
order, qui devait permettre au créancier de faire exécuter le jugement sur les avoirs de
la société, n’a été complété.
- Gagging order : injonction interdisant la divulgation d’informations, c’est surtout utilisé
pour la presse anglaise mais le problème c’est que les journaux disent qu’ils ont reçu un
Gagging order en disant de la part de qui il vient et qu’ils n’ont pas le droit de divulguer
l’information ce qui pousse le reste de la presse a enquêter et divulguer. De ce fait une
autre sorte de Gagging order est apparue ;
- Super injunction : injonction interdisant à son destinataire la divulgation d’informations
sur un sujet accompagnée d’une interdiction de divulguer l’existence même de
l’injonction ; utilisée contre les médias ; exemple de l’affaire Ryan Giggs ;
- Restraining order : injonction de ne pas s’approcher ou d’entrer en contact avec une
personne.

B COMPATIBILITÉ AVEC LE DROIT JUDICIAIRE EUROPÉEN

En droit judiciaire européen, il y a un règlement Bruxelles 1bis qui organise la compétence des
juges et l’effet des jugements en EU. Évidemment il faut tenir compte de l’impact du brexit
aujourd’hui, lorsqu’un certain nombre des décisions mentionnées dans ce cours ont été
rendues, le Royaume Uni faisait encore partie de l’UE et une question qui se posait en pratique
était de savoir si la pratique des tribunaux anglais était compatible avec le droit européen.

Aujourd’hui, les restrictions du droit européen ne s’appliquent plus aux tribunaux anglais mais
ça a tout de même un intérêt parce que les tribunaux irlandais ont le même type de pratique
et certaines des injonctions mentionnées ont une tendance à se propager et à être utilisées
dans certains systèmes juridiques civilistes.

Il y a deux questions, sous l’angle du droit européen, à examiner : D’abord, une question sur la
compétence, pour prendre ce type de mesure in personam, les tribunaux d’un état membre
sont-ils compétents pour ordonner ces mesures ? Et ensuite, lorsque ces mesures ont été
prises, quel est leurs effet ?

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1. Question sur la compétence :

↠ Van Uden (1998) : L’arrêt établit une distinction fondamentale entre les mesures provisoires
qui sont ordonnées par le juge compétent sur le fond du litige et les mesures provisoires
ordonnées par un autre juge qui n’est pas compétent sur le fond du litige.
↬ Si le juge est compétent sur le fond, le droit européen ne prévoit aucune limites à l’utilisation
des mesures in personam.
↬ Si le juge est non compétent sur le fond mais qu’on lui demande d’émettre ce type
d’injonction, qui sont des mesures provisoires, alors, l’article 35 du règlement Bruxelles Ibis
s’applique. Cet article, pour déterminer la compétence, renvoie au droit national, mais le
danger est qu’à travers l’utilisation des mesures provisoires, on contourne tout le régime de
compétence du droit européen.
Pour éviter cela, la CJUE a établi des limites à l’utilisation de l’article 35 :
1° On peut uniquement demander des mesures véritablement provisoires, pas des mesures qui
ont des effets définitifs, les mesures doivent avoir des effet réversibles.
2° Il faut un lien de connexion réel entre l’objet de la mesure et le territoire du for. ⚠ à ne pas
le confondre avec un lien territorial. Dans Bruxelles 1bis, le Considérant 33 dit que l’effet des
mesures provisoires ordonnées par le juge non compétent au fond « devrait être limité au
territoire » du for.
↠ CJUE, TOTO, 2021 : La CJUE a dit deux choses contradictoires : (1°) elle confirme l’approche
Van Uden fondée sur le lien de connexion réel ; (2°) elle suggère, en raison du considérant 33,
que la demande ne peut être portée que dans l’EM où se trouvent les biens ou la personne à
l’égard de laquelle la mesure doit être exécutée (qui équivaudrait à une territorialité absolue).
Cela voudrait dire que les ordonnances de gel d’avoirs et autres ne pourraient alors que
mentionner les actifs locaux ?

2. Question sur la reconnaissance et l’exécution des injonctions dans les autres États membres

Une question préalable se pose : quid des conséquences de la sanction pour contempt of court?
si un juge anglais a appliqué cette sanction qui implique qu’on ne puisse plus se défendre sur
le fond du litige, est-ce qu’on va pouvoir refuser la reconnaissance de ce jugement, en vertu du
droit européen, en invoquant que c’est une atteinte au droit à un procès équitable ?

↠ Gambazzi (2009) : Un italien avait été condamné à plusieurs centaines de milliers de pounds
parce qu’il n’avait pas respecter la freezing injonction, il n’avait même pas été entendu sur le
fond, ensuite il n’avait pas respecté ce jugement et s’y opposait en disant que c’était contraire
au droit à un procès équitable.
La CJUE a refusé de condamner le mécanisme de contempt of court, elle a dit que l’interdiction
d’accès à la barre pour non-respect d’une injonction in personam n’est pas nécessairement
contraire au droit au procès équitable.

Quid de l’effet des mesures provisoires qu’on a examinées ? ↬ Le Règlement Bruxelles Ibis
introduit des limitations à l’effet des mesures provisoires :
- Une mesure provisoire ne va pouvoir produire des effets en vertu du droit européen
que si elle a été ordonnée par le juge compétent au fond, sinon elle ne peut pas circuler

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en bénéficiant du droit européen, elle peut circuler en vertu du droit national mais pas
en vertu du système de reconnaissance européen;
- Même si elle a été prononcée par le juge compétent au fond, la mesure provisoire ne
va pouvoir circuler que s’il y a eu une information préalable du défendeur. Elle doit avoir
été signifiée préalablement, et le défendeur doit avoir pu se défendre. On empêche la
circulation des mesures provisoires prononcées sur base de requête unilatérale.

II - DISCOVERY ORDERS ET AUTRE MÉTHODES D’OBTENTION DE PREUVES À L’ÉTRANGER

Il y a une grande différence entre l’approche anglo-américaine et l’approche civiliste pour


l’obtention des preuves. Dans les systèmes civilistes, nous avons des mécanismes de collecte
de preuve (ex : l’audition de témoin, collecte de documents,...) mais en pratique, ils sont très peu
développés et utilisés. Il s’agit d’une approche très restrictive, limitée quant à la collecte des
documents. L’audition de témoin, en matière civile et commerciale, est rarissime et lorsqu’on
veut (en Belgique) forcer le défendeur a produire des documents, il faut identifier le document
à l’avance, le problème est que, souvent, on ne sait pas si il existe ou sous quelle forme et il
faut également justifier pourquoi il est nécessaire pour la résolution du litige.

Devant les tribunaux de Common Law, l’approche est totalement différente. Le principe de
base c’est que lorsqu’il y a un litige qui progresse jusqu’au procès (Discovery), il faut faire la
lumière sur tous les faits pertinents du litige. Chaque partie va demander à l’autre la divulgation
de documents (catégories très large) et leur production électronique (electronic discovery) :
Chaque partie peut demander à l’autre partie de faire des recherches et d’extraire les
documents qui correspondent à certains critères (ex : chercher dans les mails entre le ... et le ... et
extraire les mails où apparaissent les mots « ... ».). Au niveau des dépositions de témoins, l’idée de
base aux US est que dans tous litiges qui vont jusqu’au procès, il y a des dépositions de témoins.
Il y a une procédure de deux jours où on est interrogés sur base des documents (cross
examination).

On ne peut rien cacher comme document sinon c’est une tromperie de la justice (contempt of
court). Si les avocats font un bon pre-trial discovery phase, c’est très fréquent que les affaires
fassent l’objet d’une transaction avant le procès. Dans les systèmes de Common Law, les
premiers témoins qu’on entend sont les parties adverses, on va interroger l’autre partie. En
Belgique, on ne peut pas demander à entendre la partie adverse.

A NOTION ET PRATIQUES EN DROIT COMPARÉ

Question de la collecte des preuves de manière transfrontière. Comment cela se passe lorsque
les preuves sont dans un autre pays que celui où a lieu le procès ? Ex : Tribunal A qui va connaitre
du fond du litige, le demandeur est dans l’état A mais les preuves et le défendeur sont dans l’état B. En droit
comparé, il y a toutes une série de techniques utilisées pour collecter des preuves à l’étranger.

↬ Quatre méthodes de base utilisées en droit comparé pour l’obtention des preuves à
l’étranger :

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1. Coopération entre autorités judiciaires

C’est l’approche traditionnelle romano-germanique : commission rogatoire traditionnelle


(lettre de demande d’assistance au tribunaux d’autres états par le biais du processus ministériel
et diplomatique (par défaut)). L’idée c’est que les autorités de chaque état vont collaborer pour
collecter les preuves : Le tribunal de l’état A doit s’adresser à l’organe public dont il dépend
c'est-à-dire le ministère de la justice, qui va, lui, s’adresser au ministère des affaires étrangères
de l’État A, qui va lui-même demander au ministère des Affaires étrangères de l’état B, puis ça
va remonter au ministère de la justice de B et après au tribunal de B qui va ensuite collecter les
preuves.

C’est un système très lourd et peu efficace, qui peut prendre jusqu’à 2 ans. Une convention a
donc été adoptée pour faciliter l’obtention des preuves dans un autre pays : la Convention de
La Haye de 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger. Ils ont développé une méthode des
autorités centrale : chaque état partie à la convention doit désigner une autorité centrale
(souvent le ministère de la justice) et ces autorités centrales sont chargées de correspondre
entre elles pour transmettre les demandes de collecte de preuve à l’étranger. C’est plus rapide
mais ça prend quand même un an. La Belgique n’a pas ratifié la Convention de la Haye donc
elle fonctionne toujours selon la procédure de commission rogatoire si elle doit échanger des
preuves avec les US par exemple.

L’UE, au moment où elle est devenue compétente pour le Droit international privé, en 2000, a
adopté un Règlement sur l’obtention des preuves dans les relations entre les pays membres de
l’UE. Ce règlement a mis en place la collecte de preuve directe entre tribunaux. C’est encore
plus efficace, le tribunal d’un état membre s’adressera directement au tribunal de l’autre état
membre. À cette époque c’était révolutionnaire, le seul petit problème est celui de la langue
mais pour pallier cela, il y a des formulaires à remplir qui sont traduits dans l’autre langue. La
collecte des preuves avec ce Règlement s’effectue, en principe, en trois mois.

Le règlement organise aussi une autre méthode dans la coopération qui est la saisine des
preuves directement dans l’autre état. Ex : Un juge allemand peut venir lui-même, ou designer
quelqu’un pour venir, en Belgique collecter les preuves, organiser une audition de témoin,... Il y a, magré
tout, deux limites :
- Cette collecte de preuve ne peut se faire que de manière volontaire, sans utilisation de
force (moyen de coercition).
- Avant que le juge de l’état ne procède à la collecte sur le territoire de l’autre état, le
tribunal doit adresser une demande à l’autorité centrale. Au bout d’un certain délai, le
silence vaut acceptation. L’autorité peut accepter, refuser ou admettre sous certaines
conditions.
Plutôt que de passer par la coopération judiciaire, pourquoi le demandeur ne s’adresse-t-il pas
directement au tribunal de l’état B ? ¯

2. Saisine directe des autorités du lieu de situation des preuves

Les pratiques sont différentes à travers le monde. Aux US, il y a l’art. 1782 du titre 28 du United
States Code qui dit que les tribunaux fédéraux des US sont disponibles pour prêter leur

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assistance à la collecte de preuves aux US au soutient d’un tribunal étranger. Cette disposition
est beaucoup utilisée dans la pratique du contentieux.

↠ Affaire Intel Corp v. Advanced Micro Devices, Inc., 21 juin 2004 : Cet arrêt a précisé la portée
de l’article 1782. En l’espèce, la commission européenne investiguait l’existence potentielle
d’un cartel dans le domaine des micro-puces. Le leader du marché c’est Intel. Intel se défendait
et disait qu’il pouvait prouver qu’il n’y avait pas de cartel mais que pour ça ils avaient besoin de
preuves qui étaient dans les mains des concurrents. La commission européenne ne voulait pas
demander ces preuves et accusait Intel, Intel a introduit une demande devant les tribunaux
fédéraux américains pour obtenir les données qui pouvaient prouver qu’il n’y avait pas de
cartel.
Mais les conditions de 1782 étaient-elles remplies ? En quoi c’était pour aider un tribunal
étranger ? ↬ La commission européenne a déposé devant la cour suprême des US un amicus
curiae (un mémoire déposé par un tiers à la procédure pour prendre position par rapport à ce
qui va être décidé) pour lui dire qu’elle ne voulait pas utiliser 1782 car la commission
européenne n’est pas un tribunal (or elle pose des amendes). La Cour vient dire à la commission
européenne qu’elle est un tribunal étranger et que cette demande d’Intel est pour aller au fond
des choses, pour soutenir la commission européenne.

En Europe la question a été posée à la cour de justice dans l’arrêt Saint Paul dairy en 2006 pour
savoir si on peut saisir le tribunal local de l’état B pour collecter des preuves directement là. La
CJUE a répondu non, permettre le numéro 2 équivaudrait à contourner le Règlement de preuve
et les systèmes vus précédemment. Il y a une incompétence du juge local sur pied de l’article
31 du règlement Bruxelles Ibis, car mesure d’obtention de preuves en vue d’évaluer
l’introduction d’une action n’est pas une mesure provisoire. ↬ interdiction de contourner les
règles du règlement européen sur les preuves ; pas d’équivalent de l’article 1782(a) du US Code
; impact de Bruxelles Ibis : nouveau considérant 25 de Bruxelles Ibis : notion de mesure
provisoire ne comprend pas les mesures qui n’ont pas un caractère conservatoire comme
l’audition d’un témoin ; mais comprend les mesures visant à obtenir ou conserver des moyens
de preuve comme dans la directive sur le respect de la propriété intellectuelle.

Pourquoi le demandeur ne pourrait pas aller lui-même chercher des preuves dans l’état B ? ¯

3. Obtention des preuves directement par les parties elles-mêmes (avec le concours éventuel de leurs
avocats)

⚠ ça ne peut se concevoir que si ça se fait sans utiliser la force.


Il s’agit du système de base aux Etats-Unis (Suits) mais ce processus est controversé dans les
pays continentaux ; il y a un développement des blocking statutes. Par exemple, une loi
française de 1980 sur la protection des intérêts économiques français est une loi de blocage
qui interdit cette méthode. Il y a un refus des tribunaux US d’avoir égard à cette loi « tombée
en désuétude », mais :
↠ Cass. Fr. 1997 : Concernait un cas où un avocat français membre d’un cabinet anglo-
américain avait contacté des témoins à Paris pour un cross-examination. L’avocat a été
poursuivi pour violation de la loi de blocage.

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Pourquoi le demandeur ne peut-il pas s’adresser à son tribunal pour qu’il ordonne au
défendeur qu’il collecte des preuves ? ¯

4. Discovery order

Il s’agit d’une injonction in personam donnée par le tribunal de l’état A, au défendeur de l’état
B, de concourir à l’établissement de la preuve (production de documents, réponse à des
questions écrites, témoignage) disponible contre les parties ou contre des tiers. Cela a une
grande importance aux Etats-Unis et, en pratique, il y a une intervention du juge en cas de
désaccord ou de refus de collaboration.

La pratique du pre-trial discovery : une précision quant à la véritable nature de la procédure :


recherches des éléments de preuve non pas antérieurement à l’introduction de l’action, mais
dans la période qui précède le trial proprement dit ; toutes démarches visant à ‘découvrir’ des
preuves utiles parmi les pièces et informations détenues par toute personne, partie au litige ou
non.

B LE DROIT EUROPÉEN

Au niveau européen, il y a une question relative au caractère exclusif ou optionnel du


règlement: un juge peut-il ordonner la collecte d’une preuve selon son droit national, par
exemple selon une injonction in personam ? Les incertitudes à ce sujet crées par St Paul Dairy
ont été levées par deux arrêts :
↠ CJUE, Lippens (2012) : Cela concernait les conséquences de la crise de 2008, Fortis a failli
tomber en faillite et cela aurait fait crouler toute l’économie Belge. Pour sauver Fortis, le
gouvernement a extrait la banque Fortis du groupe Fortis en la rachetant et l’a revendue à BNP.
La conséquence est que les actionnaires ont perdu beaucoup d’argent parce que les actions
ont fortement baissé. On reprochait aux dirigeants de Fortis d’avoir fait des communications
trompeuses dans la presse en disant qu’il n’y avait pas de problème. Des actionnaires
néerlandais ont assigné en justice les anciens administrateurs de Fortis et le tribunal
d’Amsterdam a fait une injonction à Mr Lippens de venir se soumettre à une interrogation de
témoins. Lippens s’est opposé à cette déposition et a donc été sanctionné. ↬ Ce a été jusqu’à
devant la CJUE qui a dit que le tribunal d’un Etat membre peut citer une partie résidant dans
un autre Etat membre comme témoin conformément à la lex fori, c'est-à-dire conformément
au droit national ;
↠ CJUE ProRail (2013) : Un tribunal Belge qui avait désigné un expert pour se rendre au pays
bas et investiguer les causes d’un accident de train qui avait eu lieu à Amsterdam sans obtenir
d’autorisation d’investiguer. ↬ La CJUE a dit que le tribunal d’un Etat membre peut confier à
un expert la réalisation d’une expertise sur le territoire d’un autre Etat membre sans passer par
la procédure de l’article 17 (qui organise une procédure d’obtention directe de preuve à
l’étranger).
↬ La conséquence est le caractère en principe « optionnel » du règlement, il n’est pas
obligatoire. Si le droit procédural national permet la pratique, on n’est pas obligé de passer par
le règlement de preuve. Mais il y a deux limitations :
- Premièrement ces injonctions/décisions liées à la collecte de preuves dans un autre état
membre ne peuvent être émises qu’à l’égard des parties à la procédure, pas des tiers.

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- Deuxièmement, cette collecte de preuve ne peut pas porter atteinte à l’autorité public
d’un autre état membre. On peut collecter des preuves aux Pays-Bas mais on ne peut
pas accéder à des lieux interdits au public.

III - DOCTRINE DU FORUM NON CONVENIENS

A NOTION ET PRATIQUE DES TRIBUNAUX DE COMMON LAW

Ce n’est pas une notion utilisée dans le système civiliste, en revanche, c’est un mécanisme
largement utilisé dans tous les systèmes de common law mais aussi dans des systèmes
juridiques mixtes (ex : le canada, cela a été incorporé dans le Code civil du Québec).

L’idée est qu’un tribunal internationalement compétent peut, en vertu de la doctrine du forum
conveniens, décliner sa compétence, renoncer à exercer sa compétence en raison de
l’existence d’un for, d’un autre tribunal plus approprié à l’étranger. Cette doctrine prend des
formes différentes dans les différents systèmes juridiques où les modalités sont différentes
mais il y a des points qui ne changent pas.

On retrouve toujours un raisonnement en deux temps :


- Il faut démontrer qu’il existe un for alternatif disponible, un autre juge doit être
compétent. Il doit aussi présenter des qualités suffisantes au regard de la qualité de la
justice qui va être rendue. Cette condition des qualités suffisantes n’est pas formulée
de la même façon en fonction des différents pays Ex : aux US, le for alternatif doit respecter
le Due process. Un juge américain qui applique le due process ne déclinerait pas sa compétence au
profit d’un juge de Corée du Nord qui ne l’appliquerait pas.
- Ce for alternatif doit être mieux placé/ plus approprié. Un Arrêt domine la matière aux
US et c’est d’ailleurs l’unique arrêt sur le sujet :
↠ Arrêt Piper Aircraft v. Reyno (1981) : Le litige concernait un accident d’avion de
marque Piper Aircraft (Pennsylvanie) en Ecosse. L’avion s’écrase et les six passagers
meurent. Les héritiers des victimes intentent une action en justice contre Piper pour
obtenir une indemnisation en disant qu’il y avait un défaut à l’avion. Les héritiers sont
tous domiciliés en Ecosse mais ils introduisent l’action aux US.
Les tribunaux américains sont compétents (compétence générale vue précédemment
sur base des contacts minimums, Piper se situe en Pennsylvanie). Mais la Cour Suprême
consacre la doctrine du forum non conveniens.
Il n’y a pas eu de débat sur la compétence des tribunaux écossais ni concernant
l’application du due process. Il fallait ensuite démontrer le caractère plus approprié : à
ce sujet, la cour consacre que le juge peut apprécier de manière discrétionnaire des
facteurs et les mettre en balance, il n’y a pas un unique élément décisif.

Il y a des facteurs d’intérêts privés qui sont liés à la manière dont la justice va être
rendue pour les parties comme le lieu où sont établies les parties et l’accès aux preuves.
En l’espèce, l’accident ayant eu lieu en Ecosse, toutes les parties de l’avion et donc les
preuves se trouvent là-bas.
Il y a aussi des facteurs d’intérêts publics comme la loi applicable, l’intérêt de l’état,
l’encombrement du rôle. En l’espèce, la loi applicable est la loi écossaise, c’est donc plus
facile pour le juge écossais de l’appliquer.

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Dans l’appréciation discrétionnaire, la Cour souligne que lorsque le demandeur est


étranger, il mérite moins de considération c'est-à-dire le juge renverra plus souvent les
demandeurs étrangers devant le juge de leur territoire.

La justification de la Cour est que le demandeur étranger qui porte son action devant
un autre tribunal que celui de son pays, qui est aussi compétent, est suspect de forum
shopping en raison de certaines caractéristiques des tribunaux américains qui ont
tendance à être « pro-demandeur » mais aussi parce que c’est plus compliqué pour ce
demandeur de porter son action devant cet autre tribunal plutôt que celui de son pays.

Pourquoi dit-on que les tribunaux américains sont « pro-demandeur », quels sont les motifs ?
↬ Il y a plusieurs motifs :
D’abord, aux US, en matière civile et commerciale, les dommages et intérêts qui peuvent être
alloués sont de deux types :
- Compensatoires ;
- Punitifs : ils se rajoutent pour punir le responsable de ce fait générateur de
responsabilité. Ce n’est pas une amende, ça ne va pas dans les poches de l’état mais
dans les poches de la victime.

Ensuite, c’est le jury qui rend la justice et il a tendance à être plus généreux. Il y a aussi le fait
qu’on peut conclure une convention, un accord sur les couts de la procédure avec l’avocat. Ex :
l’avocat peut dire « vous ne payez rien, et si on gagne je prends une part (ex : 30%) de la somme ». En
Belgique c’est interdit, si on n’a pas l’argent, on ne va pas au procès.
Enfin, la procédure aux US est intéressante grâce au « discovery », en effet, si on a pas assez de
preuve dans notre dossier, il vaut mieux introduire une action aux US car on pourra forcer la
partie adverse à produire des documents, à sa soumettre à une cross-examination etc.

Les conséquence sur la procédure sont le rejet de l’action, le rejet conditionnel, le sursis à
statuer.

B COMPATIBILITÉ AVEC LE DROIT JUDICIAIRE EUROPÉEN

Quelle est sa place dans l’espace judiciaire européen ? Un État européen peut-il renoncer à sa
compétence au motif qu’un autre état serait mieux placé pour connaître du litige ? On constate
un silence des instruments européens et une absence de modification des textes lors de
l’adhésion du Royaume-Uni et de l’Irlande.
La question a été posée à la CJUE :
↠ Arrêt Owusu (2005) : Le litige concernait un accident de baignade sur une plage de Jamaïque,
la victime a fini en chaise roulante. Des actions contre les propriétaires et opérateurs
thaïlandais de la plage et contre le bailleur anglais de la propriété sont intentées et la question
concernant la « compatibilité » dessaisissement du juge du défendeur avec la Convention de
Bruxelles se pose. La CJUE a écarté cette doctrine en disant qu’en droit européen, lorsqu’un
juge est compétent, il doit exercer sa compétence, il ne peut pas y renoncer sur base de la
doctrine du forum non conveniens.

Lors de l’adoption du Règlement Bruxelles Ibis, il y a eu quelques petits changements et des


nouvelles règles sur le déclinatoire de compétence fondé sur la litispendance avec un Etat tiers

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(articles 33 et 34). On n’a pas introduit cette doctrine mais certains éléments de ce
raisonnement ont été introduits dans le texte notamment lorsqu’un juge étranger, hors UE, est
saisi du litige avant le juge d’un pays de l’UE. Alors dans ce cas-là, le juge de l’état membre de
l’UE peut décider de décliner sa compétence en faveur du juge déjà saisi en tenant compte du
caractère plus approprié d’une bonne administration de la justice. C’est donc une sorte de mini
forum conveniens uniquement lorsque le juge alternatif a déjà été saisi du litige.

IV - ANTI-SUIT INJUNCTION

Peut être traduit par injonction anti-procès.

A NOTION ET PRATIQUE DES TRIBUNAUX DE COMMON LAW

Il s’agit d’une injonction, un ordre donné à un plaideur de renoncer à commencer ou à


poursuivre une action devant un autre tribunal. On dit que c’est un peu l’inverse de la doctrine
du forum non conveniens. Un juge va décider que lui seul doit connaître de l’affaire et pas le
juge alternatif, il ordonne qu’il soit mis fin à la procédure étrangère. Cette pratique produit ses
effets in personam.

Ce mécanisme est très largement utilisé dans les systèmes de Common Law mais il n’y a pas
encore d’arrêt de la Cour Suprême des US même s’il y a une jurisprudence abondante des
juridictions inférieures. L’idée est qu’il faut démontrer que l’action à l’étranger est inadmissible.
Ex : parce qu’il y a une clause d’exclusion, une clause qui désigne les juridictions du fort. Si un contrat désigne
comme compétent les tribunaux de Londres, ceux-ci vont facilement émettre une clause anti-suit si, en
violation de cette clause du contrat, une partie porte son action devant un autre tribunal.

C’est une pratique très controversée. Les juristes civilistes critiquent souvent ce mécanisme
parce qu’il présente une immixtion dans la justice étrangère qui porte atteinte à la souveraineté
de l’ état et ce serait contraire au droit international public. À cela, les juristes du Common Law
répondent que l’injonction n’est pas dirigée contre le juge étranger, mais contre le demandeur.
Une autre critique formulée est que ça porte atteinte au droit à un procès équitable parce que
c’est une limitation au droit d’accès au juge qui est prévu par ce droit à un procès équitable.

B COMPATIBILITÉ AVEC LE DROIT JUDICIAIRE EUROPÉEN

Quelle est la place des injonctions anti-suit dans l’espace judiciaire européen ? ↬ La CJUE a
rendu 3 arrêts sur ce sujet. Arrêt fondateur :
↠ Arrêt Turner v. Grovit (2004) : Il s’agissait d’un litige lié à un contrat conclu entre M. Turner
qui était un juriste d’entreprise engagé par M. Grovit dans une société anglaise. Après quelques
mois Turner est détaché pour travailler en Espagne dans une société filiale de M. Grovit. Un
litige est né suite au changement des conditions de travail, la filiale espagnole a envoyé Turner
dans une autre ville. S’ensuit un licenciement, Turner revient en Angleterre et introduit une
action en justice contre la société anglaise pour licenciement de manière irrégulière. La filiale
espagnole introduit quant à elle une action en Espagne pour abandon du poste et rupture en
demandant des milliers d’euros de dommages. Turner aurait pu aller se défendre en Espagne
mais, au lieu de cela, il a demandé au juge anglais une injonction anti-suit.

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Pendant la procédure en Angleterre, il a été démontré que l’action en Espagne était utilisée
pour faire pression sur Turner pour le pousser à abandonner son action en Angleterre et le
tribunal émet donc une injonction anti-suit.

L’affaire est allée devant la Cour Suprême du RU qui a posé une question préjudicielle à la CJUE
afin de savoir si on pouvait autoriser cette injonction anti-suit : sans surprise, la CJUE a dit qu’il
était interdit pour un juge d’un état membre d’émettre une injonction anti-suit dirigée contre
une procédure dans un autre Etat membre parce que cela représente une immixtion dans la
justice d’un autre état membre et ça va à l’encontre du principe de confiance mutuelle entre
les tribunaux des états membres de l’UE. Le juge anglais devait faire confiance au juge espagnol
pour sanctionner.
Les motifs principaux sont donc la confiance réciproque entre juridictions ; le risque de chaos ;
l’ingérence dans le pouvoir juridictionnel étranger ; l’interdiction du contrôle de la compétence
étrangère.

↠ Arrêt West Tankers (2009) : La grande différence est que la demande d’injonction anti-suit
venait au soutient d’une clause d’arbitrage qui prévoyait que les litiges liés à ce contrat devaient
être tranchés à Londres. Or, la matière de l’arbitrage est exclue de Bruxelles Ibis. La question
de savoir si dans ce cas-là, on ne pouvait pas autoriser l’injonction anti-suit a été posée à la
CJUE. Celle-ci a interdit l’utilisation d’une injonction anti-suit même lorsqu’elle est prononcée
en soutien d’une clause d’arbitrage. Elle applique le raisonnement de l’arrêt Turner avec les
motifs suivants :
1° confiance mutuelle ;
2° le juge de l’Etat membre dont la procédure est visée par l’injonction trouve sa compétence
dans le règlement ;
3° la question du déclinatoire de juridiction fondé sur une clause d’arbitrage n’est qu’une
question préalable qui suit le sort de la question principale ;
4° le juge d’un Etat membre a une compétence « exclusive » pour se prononcer sur sa
compétence y compris sur l’effet de la clause d’arbitrage.

Critiques et incertitudes : encourage la saisine d’un juge au mépris d’une clause d’arbitrage ;
suggère la condamnation de l’effet négatif du principe de Kompetenz-Kompetenz.
↠ Arrêt Gazprom (2015) : Les circonstances étaient encore différentes. L’injonction avait été
prononcée par un tribunal arbitral et elle visait une action devant un tribunal Lituanien.
Gazprom est la société étatique russe qui procède à l’extraction du pétrole et du gaz en Russie
et qui est le fournisseur principal de gaz pour toute l’Europe. Gazprom avait un contrat avec la
Lituanie pour une livraison de gaz et dans ce contrat il y avait une clause d’arbitrage qui
prévoyait qu’en cas de litige, les litiges doivent être tranchés par un tribunal arbitral à
Stockholm. Un litige nait entre les parties et l’état de Lituanie introduit une action en justice
contre Gazprom devant les tribunaux de Lituanie en violation de la clause d’arbitrage. Gazprom
a été en urgence saisir le tribunal arbitral à Stockholm et a demandé à ce tribunal d’émettre
une injonction anti-suit contre l’état de Lituanie. Gazprom a obtenu la sentence arbitrale et
demande la reconnaissance par les tribunaux de Lituanie. Si ils reconnaissent l’injonction, ça
aura pour effet que l’action s’arrête. La question se pose de la reconnaissance et de l’exécution
de cette sentence arbitrale qui constitue une injonction anti-suit dans l’ordre juridique de
Lituanie. La question a été posée à la CJUE de savoir si le droit européen n’interdisait pas que

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cette injonction anti-suit produise un effet qui empêcherait l’action en Lituanie de se


poursuivre.
La CJUE a décidé que le droit européen n’avait rien à dire à ce sujet mais que Gazprom ne révise
pas la jurisprudence précédente.
Elle a dit que c’était différent parce que l’injonction venait d’un tribunal arbitral et qu’il n’y avait
pas de confiance mutuelle entre le tribunal arbitral et un tribunal d’un état membre. Que cela
relevait de la convention de New York.
↬ Impact de Bruxelles Ibis : primauté de la Convention de New York et précisions dans le
considérant 12 sur la portée de l’exclusion de l’arbitrage :
- Le déclinatoire de compétence pour clause d’arbitrage est hors régime Bruxelles I ;
- La décision sur l’effet de la clause d’arbitrage est hors du régime de circulation
européen;
- La décision sur le fond après avoir écarté l’effet de la clause d’arbitrage bénéficie du
régime de libre circulation ; impact sur le sort des injonctions anti-suit ? controverses
(autorisées car visant une question hors Bruxelles Ibis ? interdites de toute façon car
contraire au principe de confiance mutuelle ?)
Ce considérant ne met pas en cause la jurisprudence vue précédemment.

EXAM :
- question du style comparer la doctrine du forum non conveniens et l’injonction anti-
suit.
- Petite question de définition comme : Définissez ce qu’on entend par compétence
générale.

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PART I – LE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ AMÉRICAIN ............................................................................... - 1 -


I- INTRODUCTION AU SYSTEME JURIDIQUE AMERICAIN .......................................................................................... - 1 -
A Structure du droit aux États-Unis .....................................................................................................- 1 -
1. Système fédéral : distinction entre le pays (country) et les 50 états (states) .............................................. - 1 -
2. Constitution des Etats-Unis (texte de 1776 + amendements successifs) ..................................................... - 1 -
3. Pouvoirs exécutif et législatif au niveau fédéral ........................................................................................... - 2 -
4. Le pouvoir résiduel appartient aux États (10e Amendement de 1791)........................................................ - 2 -
5. Matières fédérales........................................................................................................................................ - 3 -
6. Règles fédérales constitutionnelles .............................................................................................................. - 3 -
7. Système juridique fondé sur la common law, par influence du droit anglais............................................... - 3 -
8. Diversité des droits étatiques ....................................................................................................................... - 3 -
B Structure des tribunaux aux États-Unis ............................................................................................- 3 -
1. Double hiérarchie judiciaire : fédérale et étatique....................................................................................... - 3 -
2. Cours fédérales ............................................................................................................................................. - 4 -
3. Juridictions des États : grande diversité ....................................................................................................... - 4 -
4. Rapports entre les deux ordres de juridictions : cours fédérales compétentes uniquement dans les cas
prévus par la Constitution ; deux cas principaux : les matières fédérales, et la diversité de citoyennetés ............ - 4 -
5. Concurrence possible entre les compétences fédérale et étatique pour un même litige ........................... - 5 -
C La loi applicable dans le système fédéral .........................................................................................- 5 -
II - LES CONFLITS DE LOIS AUX ÉTATS-UNIS........................................................................................................... - 6 -
A La période du territorialisme ............................................................................................................- 6 -
B l’approche formaliste du territorialisme...........................................................................................- 6 -
C la « révolution » américaine .............................................................................................................- 7 -
D L’état actuel du développement des conflits de loi aux États-Unis ..................................................- 9 -
E Application en matière de responsabilité extracontractuelle ...........................................................- 9 -
F Comparaison avec les développements en droit européen continental .........................................- 10 -
III - LES CONFLITS DE JURIDICTIONS AUX ÉTATS-UNIS ........................................................................................ - 10 -
A L’approche traditionnelle : Le pouvoir physique .............................................................................- 11 -
B La conception moderne ..................................................................................................................- 12 -
C La compétence générale ................................................................................................................- 12 -
D La compétence spécifique ..............................................................................................................- 14 -
E La comparaison avec le droit européen de la compétence.............................................................- 15 -
PART II – LES TECHNIQUES DE COMMON LAW DES LITIGES CIVILS INTERNATIONAUX ............................... - 16 -
I- FEEZING INJUNCTIONS (GEL D’AVOIRS) ET AUTRES MESURES PROVISOIRES IN PERSONAM ........................................ - 16 -
A Notion et pratique des tribunaux de common law .........................................................................- 16 -
B Compatibilité avec le droit judiciaire européen ..............................................................................- 17 -
1. Question sur la compétence : ..................................................................................................................... - 18 -
2. Question sur la reconnaissance et l’exécution des injonctions dans les autres États membres ................ - 18 -
II - DISCOVERY ORDERS ET AUTRE MÉTHODES D’OBTENTION DE PREUVES À L’ÉTRANGER .............................................. - 19 -
A Notion et pratiques en droit comparé ............................................................................................- 19 -
1. Coopération entre autorités judiciaires...................................................................................................... - 20 -
2. Saisine directe des autorités du lieu de situation des preuves................................................................... - 20 -
3. Obtention des preuves directement par les parties elles-mêmes (avec le concours éventuel de leurs
avocats) ................................................................................................................................................................. - 21 -
4. Discovery order .......................................................................................................................................... - 22 -
B Le droit européen ...........................................................................................................................- 22 -
III - DOCTRINE DU FORUM NON CONVENIENS.................................................................................................. - 23 -
A Notion et pratique des tribunaux de common law .........................................................................- 23 -
B Compatibilité avec le droit judiciaire européen ..............................................................................- 24 -
IV - ANTI-SUIT INJUNCTION ......................................................................................................................... - 25 -
A Notion et pratique des tribunaux de common law .........................................................................- 25 -
B Compatibilité avec le droit judiciaire européen ..............................................................................- 25 -

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