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Les théories de la contingence

Introduction
Les théories de la contingence sont nées à partir de l’observation de diverses entreprises
par plusieurs chercheurs qui ont conduit à relativiser le caractère réducteur de l’analyse
microéconomique de la firme et les principes universalistes posés par l’école classique.

Les auteurs qu’on rattache au courant de la contingence sont partis de l’étude empirique
de cas concrets. Leur problématique était de déterminer les éléments de la structure
d’entreprise qui fondent son efficacité. Pour répondre à cette question, ils suivirent le
cheminement suivant : déterminer les entreprises efficaces et définir le type de structure qu’elles
ont adopté et dans quel contexte. A partir de ces études, ils ont retiré des règles liant certaines
caractéristiques de l’entreprise ou de son environnement à une structure efficace. Ainsi, ces
auteurs ont montré que qu’une structure n’est efficace que dans une situation déterminée
qui dépond des caractéristiques de l’organisation et de son environnement.

1. Définition de la contingence
La contingence se définit comme « une situation spécifique et évolutive qui conduit à
rejeter des prescriptions uniques et standards »1. Pour les organisations, cette contingence est
structurelle car les changements dans les variables externes (technologie, marché,…)
provoquent des évolutions dans la structure des organisations.

La théorie de la contingence (ou approche situationnelle) « est une approche qui affirme
n’existe pas une méthode idéale qu’il suffirait d’appliquer, mais que le type de solutions
envisagées dépond toujours du contexte et de la situation rencontrés »2.

Les auteurs se rattachant au courant de la contingence ont identifié plusieurs variables qui
influencent et déterminent la structure à adapter efficacement à l’organisation.les variables les
variables les plus couramment répétées et que nous allons présenter dans ce chapitre sont :
l’environnement, la technologie, la taille et stratégie.

2. Les travaux de T. Berns et G. Stolker : structures mécanique et organique

Dans leur ouvrage « The management of innovation » publié en 1966, Berns et Stalker
présentent les résultats de leurs recherches portant sur l’étude de l’impact de l’environnement
sur le fonctionnement de vingt entreprises en Grande Bretagne.
Dans leurs recherches, ils montrent que la structure de l’entreprise dépond de facteurs
externes, plus particulièrement de l’incertitude et de la complexité de l’environnement. Le degré
d’incertitude et de complexité de cet environnement se mesure par les changements de la

1
Plane.J .M (2003), « Théories des organisations », 3ième édition, édition Dunod, Paris, P47.
2
Robbins.S, DeCenzo D, Coutler.M(2011), “Management, l’essentiel des concepts et pratiques”, 7ième edition,
edition Person Education Inc, P21.
technologie et du marché. A partir de là, les deux auteurs distinguent de types de structure
d’organisation en fonction de l’incertitude et de la complexité de l’environnement :

2.1 Les structures mécanistes


Les structures mécanistes sont complexes, formalisées et centralisées. Elles réalisent des
taches de routines et d’exécution, recourent massivement à la programmation des
comportements et ont un potentiel limité pour répondre à des situations qui ne leurs sont pas
familières. Le travail est rationalisé, spécialisé et standardisé. La résolution des conflits se fait
par la voie hiérarchique (principe d’arbitrage). Les décisions se prennent au sommet et la
communication se fait par la forme de directives. Le prestige et la valorisation sont liés au statut
social de chaque personne et au système de qualification (ingénieur, informaticien, …).
L’organisation mécaniste est similaire à l’organisation bureaucratique décrite par Max Weber.

Leurs recherches montrent que les structures mécanistes sont mieux adaptées aux
environnements stables.

2.2 Les structures organiques


Les structures organiques sont plus flexibles et adaptatives que les structures
mécanistes. Le pouvoir et l’exercice d’autorité sont basés sur l’expertise et les connaissances
plutôt que sur la position hiérarchique, les responsabilités sont définies d’une manière plus large
(pas trop de spécialisation du travail), la communication est basée sur l’échange et le partage
d’informations plutôt que sur des directives. Les communications latérales sont fortement
favorisées.

On observe donc, au sein de ce type d’organisation, une faible spécialisation et


standardisation du travail, le système de prise de décision est plutôt décentralisé puisque la
décision est sensée se prendre au niveau où se trouve la compétence, la résolution des conflits
est basée sur l’échange et non pas l’arbitrage su supérieur hiérarchique. La valorisation et le
prestige sont liés à la contribution personnelle et à la loyauté de chacun à un groupe et à un
projet.

Les recherches de Burns et Stolker montrent que les structures organiques sont mieux
adaptées aux environnements instables (dynamiques).

Ces travaux précisent également, que la plupart des organisations ne sont ni totalement
mécanistes, ni organiques mais tendent à se situer vers un pole ou l’autre. La plupart des
disfonctionnements qui apparaissent dans le fonctionnement de l’organisation sont dus à une
structure inadaptée à son environnement ou parce que ce dernier change, e qui a conduit ces
travaux à mettre en évidence l’existence d’une dynamique des structures organisationnelles
liées à l’évolution de l’environnement.

3. Les travaux de P. Lawrense et J. Lorsch : différentiation et intégration


Les travaux de Lawrense et Lorsch sur vingt entreprises de secteurs et d’environnements
diversifiés constituent une poursuite et une confirmation des résultats de Burns et Stolker : les
départements organisationnels exerçant dans des environnements stables sont fortement
structurés, tandis que ceux exerçant dans des environnements plus dynamiques sont
moins formels. Leurs recherches portent donc, sur l’étude de l’impact de l’incertitude de
l’environnement sur la structure interne de l’organisation. Plus un sous-environnement
(technologique, concurrentiel,…) est stable, plus la structure est formalisée.

La démarche de Lawrense et Lorsch repose sur deux concepts clés : différenciation et


intégration.

3.1 La différenciation de l’organisation


Pour que l’organisation puisse se familiariser avec son milieu externe, il faut que toutes
ses unités puissent s’adapter à l’environnement auquel elles font face. C’est ce que Lawrense
et Lorsch appellent le principe de différenciation qu’ils définissent comme « les différences
d’attitudes et de comportements et non uniquement le simple fait du fractionnement et de la
spécialisation ». La différenciation consiste à fractionner, à partager et à segmenter
l’organisation en différents départements et unités pour répondre à l’évolution des différents
sous-environnements auxquels elle fait face. Cette analyse montre que plus l’environnement est
instable, plus l’entreprise se différencie. Cette différenciation conduit à un état de segmentation
de l’organisation en sous-systèmes relativement autonomes quand à leur fonctionnement.

3.2 L’intégration de l’organisation


Plus l’environnement est instable, et complexe, plus l’entreprise doit être différenciée.
Cependant, cette différenciation risque d’entrainer un éclatement de l’organisation. C’est
pourquoi, il faut trouver des mécanismes intégrateurs afin de maintenir l’unité de l’organisation
et conserver sa cohésion afin d’atteindre ses objectifs d’une manière efficace. C’est ce qu’il
appelle le principe d’intégration qu’ils définissent comme « la qualité de la collaboration qui
existent entre les départements qui doivent unir leurs efforts pour satisfaire aux demandes
de l’environnement ». L’intégration peut se faire par exemple par l’intermédiaire d’une
fonction de liaison et de coordination pour assurer une unité d’effort et une cohésion globale de
l’action collective.

Plus l’environnement est stable, moins l’entreprise est différenciée et plus


l’environnement est instable, turbulent et complexe, incertain plus l’organisation doit être
différentiée en départements internes. Dès lors qu’il y a une diversité de départements,
l’entreprise a besoin de mécanisme d’intégration pour coordonner l’action.

Les travaux de Lawrense et Lorsch sont proches de ceux de Burns et Stolker : les
organisations organiques sont plus différenciées, car elles sont plus flexibles, moins
formalisées et hiérarchisées, mais elles ont besoins d’importants mécanismes de
coordination pour assurer la coordination et l’unité d’effort. A l’inverse, les organisations
mécanistes sont plus hiérarchisées moins différenciées et moins intégrées car leur
environnement est stable et moins complexe.
4. Les travaux de J. Woodward : la technologie

« Il ne peut y avoir une seule bonne façon d'organiser les entreprises » J.Woodward

Sur la base d’une étude empirique menée dans les années 50 auprès de 100 firmes
britanniques, Joan Woodward a été la première à avoir montré que la technologie (système de
production) conditionne la forme d’organisation (structure) et que les entreprises les plus
performantes sont celles dont la structure (flexibilité ou rigidité, nombre de niveaux
hiérarchique, taux d’encadrement, …) correspond le mieux à la technique adoptée (production
de masse, continue ou unitaire). Ainsi, la structure de l’organisation dépond de la
technologie (système de production).

A partir de ses recherches, elle montre que la structure mise en place et la technologie
utilisée sont liées. Woodward entent par technologie non pas les innovations, mais le système
de production utilisée. Elle établit d’abord une typologie de systèmes de production puis décrit
chaque type de structure organisationnelle adaptée.

4.1 Les systèmes de production


Elle établit trois types de systèmes de production :

 Le système de production unitaire ou de petites séries

Il se retrouve dans l’artisanat, dans certaine industries de luxe ou les agences de publicité.
La production unitaire consiste à produire des unités spécifiques à un client, de prototypes ou
de petites séries. Ce système s’exerce au sein d’entreprises flexibles où la communication est
informelle et le niveau hiérarchique est très faible.

 Le système de production continu

Dans ce cas, un seul produit est fabriqué par un processus automatique.

 Le système de production de masse

Le produit est plutôt standardisé et fabriqué en grandes quantités. On vise des économies
d’échelles et la minimisation des couts de production.

Ensuite Woodward a proposé des systèmes de contrôles et des structures qu’il


conviendrait d’adopter à au sein de l’organisation en fonction du de production:

 Pour un système de production unitaire, l’entreprise doit développer un système de contrôle


direct et ses structures doivent être très souples, à communication informelle (organiques)
pour favoriser la flexibilité requise.
 Pour un système de production continue, le système de contrôle impersonnel est plus
adapté. Le haut degré d’automatisation conduit à n’utiliser le personnel que pour la
surveillance des automatisations et à leur entretien. Un encadrement important est requis pour
ce mode de production avec une structure plus souple comme la structure de gestion par
projet.
 Pour un système de production de masse, un système de contrôle mécanique est requis et
une structure hiérarchisée, rigide et formalisée (bureaucratique) est plus adaptée.

5. Les travaux d’Alfred Chandler : la stratégie

Les travaux de Chandler dépassent largement le seul courant de la contingence. La thèse


qu’il développe est que la stratégie détermine la structure de l’organisation. Dans son ouvrage
fondamental stratégie et structure d’entreprise (1962), il explique que chaque modification de
la stratégie entraine une modification de la structure de l’entreprise. La stratégie se développe
au sein de l’entreprise quand des évolutions (démographiques, technologiques et des revenus)
nécessitent la planification de la définition et la mise en place des ressources d’une manière
profitable afin de répondre à ces nouvelles exigences environnementales. Ainsi, il met en
évidence les phases de développement de l’entreprise : la croissance en volume, l’expansion
géographique, l’intégration verticale avec une spécialisation en départements fonctionnels et
enfin la diversification qui implique la multiplicité d’unités de divisions. Donc, à chaque
modification de la stratégie, il y a modification de la structure. Ainsi, dans le cas d’une stratégie
de spécialisation, l’entreprise est amenée à adopter une structure fonctionnelle et avec la
croissance qui entrainera des stratégies de diversification, la structure d’entreprise devra être
réparties en différentes divisions pour prendre en charge les nouvelles activités (structure
divisionnelle).

6. Les travaux d’ Henry Mintzberg : les configurations types

Mintzberg reprend les notions de différentiation et d’intégration de Lawrense et Lorsch


pour proposer une typologie des organisations. Il développe conjointement des concepts et des
configurations types qui fournissent un cadre théorique précis et opérationnel pour étudier
l’organisation du point de vue de la structure qu’il définit comme étant « la somme totale des
moyens employés pour diviser le travail entre taches distinctes et pour ensuite assurer la
coordination entre ces taches »3.

6.1La représentation de la structure


La structure est représentée selon Mintzberg à partir de ces cix éléments :

3
Mintzberg.H(1989), « Le management, voyage au centre des organisations », les éditions d’organisation, P157.
-Un centre opérationnel : chargé d’assurer le travail de base (activité principale) de
l’organisation. Il s’agit de l’activité de production des biens et des services.

-Le sommet stratégique : chargé de l’accomplissement de la mission de l’organisation


efficacement.

-La ligne hiérarchique : qui constitue une ligne d’autorité unique allant de haut en bas.

-La technostructure : qui a comme but de standardiser les procédures. Il s’agit de groupes de
spécialistes qui remplissent les taches administratives, de planification et de contrôle.

-Les fonctions de support logistique : ayant pour mission d’offrir une aide en matière de
recherche, de paie ou de relations publiques à travers ses services.

-L’idéologie ou la culture d’entreprise : comprend les valeurs et les traditions qui la distinguent
d’autres organisations.

6.2 La coordination du travail


Une fois le travail est réparti et les activités sont définies, il faut coordonner entre ces dernières
afin d’assurer la cohérence de la structure. Les mécanismes de coordination sont :

-L’ajustement mutuel : il s’effectue via la communication directe et informelle entre les


personnes.

-La supervision directe : le supérieur contrôle le travail d’un ou plusieurs individus en exerçant
sur eux son autorité qui se traduit par des ordres et des instructions.

-La standardisation qui consiste à décrire les taches de travail avant même de commencer le
travail. On peut distinguer trois types de standardisation :

-standardisation des procédés : elle précise le contenu du travail (techniques).

-standardisation des résultats : vise à spécifier les caractéristiques d’un produit et les
performances à atteindre.

-standardisation des qualifications : spécifier la formation de celui qui exécutera le travail.

-standardisation des normes : elle vise à spécifier par le sommet stratégique les valeurs, les
principes et les normes selon lesquels chacun doit agir.

La présence de ces mécanismes est nécessaire au sein de toute organisation quelque soit son
type particulièrement les deux premiers mécanismes d’ajustement mutuel et de supervision
directe qui sont inévitables.

6.2 Les sept configurations types


Mintzberg distingue sept types de configurations (structures). A chaque type correspond
un mode de coordination privilégié :
1- L’organisation entrepreneuriale
L’entreprise est de petite taille. L’entrepreneur (sommet
stratégique) y joue un rôle privilégié. La structure est simple et
informelle ce qui lui offre une bonne capacité d’adaptation. Elle est
en revanche financièrement fragile.

Exemple : PME-PMI.

2- L’organisation mécaniste
Elle est efficace dans un environnement simple et stable. elle se
caractérise par une grande taille où le travail est rationalisé et
exécuté selon des procédures standardisées. Ces procédures sont
élaborées par des experts et spécialistes. C’est pourquoi les
fonctions de support et la technostructure y ont une place
prépondérante. Son fonctionnement est efficace, précis mais ce type
d’organisation évolue difficilement ou par des changements
brutaux.

Exemple : entreprise de production de masse, administrations


publiques.

3- L’organisation divisionnalisée
L’entreprise atteint une grande taille qui l’amène sur plusieurs
marchés. Elle peut diviser sa structure en fonction des marchés afin
de réaliser des économies d’échelle. Les divisions peuvent se faire
selon un produit, une gamme de produit, un pays… Chaque division
dispose d’une certaine autonomie et se compose d’une mini
structure classique. Mais chaque division reste chapeautée par une
direction générale qui fixe les objectifs stratégiques. Les fonctions
de support sont essentielles car elles assurent la coordination entre
les divisions. Chaque responsable de division applique les directives
stratégiques choisies par le siège et rend compte des résultats
obtenus.

Ex : une entreprise multinationale. Nestlé.

4- L’organisation professionnelle
L’environnement est stable mais complexe. L’organisation est
décentralisée. Elle laisse un maximum d’autonomie aux salariés. Le
sommet stratégique se contente de donner des grandes lignes
d’action. Pour assurer la coordination entre les membres de la base
opérationnelle, la fonction support est très développée.

Exemple : les entreprises de service


5- L’organisation innovatrice
L’environnement est complexe et dynamique. C’est une structure
adaptée à un environnement qui change. Elle met en avant
l’innovation par un échange d’information horizontal entre les
experts de la technostructure et la fonction support. L’autonomie est
forte et est justifiée par la qualification élevée des membres. La
base opérationnelle est inexistante : il n’y pas « d’exécutants ».

Exemple : université, laboratoire de recherche.

6- L’organisation missionnaire
La structure est très informelle et son fonctionnement repose sur des
croyances, une culture, une idéologie commune. Mintzberg n’a pas
observé d’entreprise fonctionnant de la sorte. Le rôle des valeurs ne
peut être qu’une teinte applicable à toutes les autres formes
d’organisation.

Exemple : un monastère.

7- L’organisation politisée
Il n’y a pas de hiérarchie spécifique. Chacun tente d’imposer son
point de vue en usant du pouvoir dont il dispose. Tantôt les
membres de l’organisation s’opposent, tantôt ils coexistent. Les
décisions prises sont les résultats de ces jeux politiques.

Exemple : l’assemblée nationale.

7. Apports et limites de la contingence

L’une des grandes avancées de la contingence est de considérer l’organisation comme un


système ouvert. Cependant, la relation entre l’environnement et l’entreprise est réduite à une
simple contrainte de l’un sur l’autre. Or, le système est beaucoup plus vaste et contient plusieurs
éléments qui n’ont pas été pris en considération par les tenants de la contingence.
Les auteurs de la contingence bien qu’ils ont proposé des modèles, des propos tels que structure
environnement doivent être adaptés, leur application pratique est difficile puisque les dirigeants
sont en face de l’utilisation de concepts flous comme par exemple la turbulence de
l’environnement qui est très difficile à mesurer dans la réalité. De même pour la souplesse
d’une structure.
D’autres auteurs comme Child rejettent le déterminisme de la théorie de la contingence en
attribuant une grande part de la différence entre les formes d’organisation non à l’action des
facteurs de la contingence, mais à la préférence des dirigeants.

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