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KALENDAE.
Studia sollemnia in memoriam Johannis Sarkady
Hungarian Polis Studies 16, Debrecen / Budapest, 2008, pp. 241-264
Agnes A. Nagy
I. Introduction
L’analyse qui suit n’a bien entendu pas la prétention d’examiner toutes ces
questions en détail. Elle se borne à les regarder sous un seul aspect, la théorie
lancée il y a plus d’un siècle par A. von Harnack : la caractérisation de Paul
comme nouveau Socrate1. On laisse ainsi de côté toute question relative à
l’historicité du récit : on part du principe que les Actes des apôtres sont une œuvre
1
« Sokrates und die alte Kirche », dans : Reden und Aufsätze I,2, 1906, p. 27ff.
241
Agnes A. Nagy, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », dans :
György Németh (ed.), KALENDAE. Studia sollemnia in memoriam Johannis Sarkady (Hungarian Polis Studies 16),
Debrecen / Budapest, 2008, pp. 241-264.
Pour ce qui est des discours tenus par chacun des belligérants, soit avant d’engager
la guerre, soit quand celle-ci était déjà commencée, il m’était aussi difficile de
rapporter avec exactitude les paroles qui ont été prononcées, tant celles que j’ai
entendues moi-même, que celles que l’on m’a rapportées de divers côtés. Comme
il m’a semblé que les orateurs devaient parler pour dire ce qui était le plus à
propos, eu égard aux circonstances, je me suis efforcé de restituer le plus
exactement possible la pensée complète des paroles exactement prononcées. Quant
aux événements de la guerre, je n’ai pas jugé bon de les rapporter sur la foi du
premier venu, ni d’après mon opinion ; je n’ai écrit que ce dont j’avais été témoin
ou pour le reste ce que je savais par des informations aussi exactes que possible3.
2
Pour le dossier de Luc comme historien voir MARGUERAT, Daniel, La première histoire du
christianisme (Les Actes des apôtres) (Lectio divina 180), Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 2e
éd. mise à jour, 2003 ; IDEM., « Luc, pionnier de l’historiographie chrétienne », RSR 92/4, 2004, p.
513-538, STERLING, Gregory E., Historiography and Self-Definition. Josephos, Luke-Acts and
Apologetic Historiography (NT.S 64), Leiden, Brill, 1992.
1,22,1-3 :
4
« Die Reden der Apostelgeschichte und die antike Geschichtsschreibung », dans : Aufsätze zur
Apostelgeschichte, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1957, p. 145. Voir plus récemment
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Agnes A. Nagy, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », dans :
György Németh (ed.), KALENDAE. Studia sollemnia in memoriam Johannis Sarkady (Hungarian Polis Studies 16),
Debrecen / Budapest, 2008, pp. 241-264.
l’excellent article de PORTER, Stanley E., « Thucydides 1.22.1 and Speeches in Acts : Is There a
Thucydidian View ? », Novum Testamentum 32 (1990) p. 121-142.
5
P. ex. Rom 1,18ff où Paul souscrit à la théorie de la révélation naturelle, mais l’utilise pour
condamner les Gentils qui, au lieu de se rendre à l’évidence, se sont éloignés de la vérité en se
perdant dans de vaines conjectures. Le Paul d’Ac 17 prône par contre la patience de Dieu vis-à-vis
des païens, du moins avant la venue du Christ.
6
LUCIEN, Peregrinus 12.
7
Cette vision globale de la scène rejoint l’opinion de Justin Martyr qui comparait déjà la démarche
de Paul à celle de Socrate, en affirmant que les deux tentaient de persuader les Athéniens d’honorer
le dieu inconnu (2 Apol. 10,5-6). SANDNES, Karl Olav, « Paul and Socrates : The Aim of Paul’s
Areopagus Speech », JSNT 50 (1993) 12-26 ; GIVEN, Mark, « The Unknown Paul : Philosophers
and Sophists in Acts 17 », SBL 1996 Seminar Papers, 343-351 ; IDEM, « Not Either/Or but
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György Németh (ed.), KALENDAE. Studia sollemnia in memoriam Johannis Sarkady (Hungarian Polis Studies 16),
Debrecen / Budapest, 2008, pp. 241-264.
Both/And in Paul’s Areopgus Speech », Biblical Interpretation 3,3 (1995), p. 356-372. La même
opinion chez BENZ, Ernst, « Christus und Sokrates in der alten Kirche : Ein Beitrag zum
altkirlichen Verständnis des Märtyrers und des Martyriums », ZNW 43 (1950-51), p. 195-224. Pour
une bibliographie de ceux qui reconnaissent le parallèle uniquement aux versets 17, 16-21 voir
SANDNES p. 20, n. 16.
8
Les termes en question sont , , , ,
et mais c’est souvent uniquement le premier que touchent les exégètes de ce
courant traditionnel. BOSSUYT, Philippe / RADERMAKERS, Jean, « Rencontre de l’incroyant et
inculturation », Nouvelle Revue Théologique 117/1 (1995), p. 19-43 ; CONZELMANN, Hans, « The
Address of Paul on the Aeropagus », dans : KECK, Leander E. / MARTYN, James Louis, (éd.),
Studies in Luke-Acts, Philadelphia, Fortress Press, 1980, p. 217-230 ; DELEBECQUE, Edouard,
« Les deux versions du discours de saint Paul à l’Aréopage (Actes des Apôtres 17,22-31) », dans :
DELEBECQUE, Edouard, Etudes sur le Grec du Nouveau Testament (Bibliotheca Ephemeridum
Theologicarum Lovaniensium 191), Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence,
1995, p. 231-248 ; GRAY, Patrick, « Implied Audiences in the Aeropagus Narrative », Tyndale
Bulletin 55/2 (2004), p. 205-218 ; HAENCHEN, Ernst, The Acts of the Aposteles : A Commentary,
Philadelphia, Westminster, 1971 ; KÜLLING, Heinz, Geoffenbartes Geheimnis. Eine Auslegung von
Apostelgeschichte 17,16-34 (Abhandlungen zur Theologie des Alten und Neuen Testaments 79),
Zürich, Theologischer Verlag, 1993 ; LINDEMANN, Andreas, « Die Christuspredigt des Paulus in
Athen (Act 17,16-33) », dans : FORNBERG, Tord / HELLHOLM, David, (éd.), Texts and Contexts.
Biblical Texts in Their Textual and Situational Contexts. Essays in Honor of Lars Hartman, Oslo,
Scandinavian University Press, 1995, p. 245-255. Un des récents représentants de ce courant,
Michel Gourgues fait l’inventaire systématique des idées exprimées par le discours de l’Aréopage
(un dieu ni localisable ni dépendant; un dieu à la fois lointain et proche ; un dieu non fabriqué par
les humains; un dieu provident), et est bien obligé d’admettre que les arguments de Paul sont
porteurs d’un certain sens pour les philosophes grecs et d’un autre pour les juifs et les chrétiens. Il
arrive pourtant à la conclusion que Paul utilise uniquement la forme de ces principes
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estime qu’une telle concentration de double sens ne peut en aucun cas être due au
hasard. Au lieu de les résoudre, il faut donc chercher la raison de leur présence
dans le texte9. Selon l’analyse de Given, Luc évoque Socrate par l’ambiguïté
même du discours : car le Socrate de Platon utilise également très souvent un
double discours pour tromper son interlocuteur stupide ou malhonnête – avec un
philosophiques en les remplissant d’un contenu purement biblique. Bien que l’apôtre, par l’usage
de ces formes, cherche indubitablement à établir une base minimale d’affinité avec le paganisme, il
ne ferait pas de doute – toujours selon Gourgues – que les concepts restent à corriger à la lumière
de la révélation dans le Christ : GOURGUES, Michel, « La littérature profane dans le discours
d’Athènes (Ac 17,16-31) : un dossier fermé ? », Revue Biblique 109/2 (2002), p. 241-269.
9
Ce courant n’est pourtant pas unanime quant au sens à donner à ces ambiguïtés. Deux visions
s’opposent : selon la première, le but du double discours est la recherche d’un langage commun
entre christianisme et paganisme, tandis que selon la seconde, au contraire, Paul se moque
gentiment de la philosophie grecque. Cependant, à l’intérieur de ces deux visions on rencontre des
hypothèses sensiblement différentes les unes des autres. Selon Lestang, Paul fait semblant de
réformer la religion grecque de l’intérieur. C’est cette ambiguïté qui permet aux auditeurs
d’accueillir non seulement la partie commune avec la philosophie, mais aussi la suite, la
résurrection de Jésus. (LESTANG, François, « A la louange du dieu inconnu. Analyse rhétorique de
Ac 17.22–31 », New Testament Studies 52/3 (2006), p. 394-408). Malherbe opte plutôt pour la
sincérité de l’apôtre : son Paul est un philosophe en dialogue avec des philosophes qui présente le
christianisme comme la continuation et l’accomplissement de la tradition philosophique
(MALHERBE, Abraham, « ‘Not in a Corner’: Early Christian Apologetic in Acts 26:26 », dans :
Paul and the Popular Philosophers, Minneapolis, Fortress Press, 1989, p. 147-163). A la seconde
vision, celle qui prend le double sens pour signe de moquerie vis-à-vis de la philosophie appartient
Mark Given (op. cit.), ainsi que Jacques Dupont (« Le discours à l’aréopage (Ac 17,22-31), lieu de
rencontre entre christianisme et hellénisme », Biblica 60 (1979), p. 530-546). L. Gregory
Bloomquist, dans une récente étude consacrée au rôle de l’auditoire dans la construction des
arguments rhétoriques, a apporté un support théorique à cette seconde vision. Son analyse, qui
n’inclut toutefois pas directement Ac 17, 21-31, a clairement démontré que l’argument rhétorique,
contrairement à l’argument logique, n’est pas indépendant des auditeurs, mais dépend justement
d’eux. Puisque le but d’un discours est de convaincre un auditoire précis, c’est en fonction de son
niveau d’éducation, de ses centres d’intérêts, de son appartenance ethnique ou religieuse que
l’orateur / l’auteur choisit ses arguments. Or, comme le souligne Bloomquist, dans une œuvre
littéraire (notamment les Actes) le discours s’adresse à deux sortes d’auditoire : d’une part aux
auditeurs fictifs, mis en scène dans le récit, et d’autre part aux auditeurs implicites, lecteurs
supposés de l’œuvre (BLOOMQUIST, L. Gregory, « The Role of the Audience in the Determination
or Argumentation. The Gospel of Luke and the Acts of the Apostles », dans : ERIKSSON, Anders /
OLBRICHT, Thomas / ÜBELACKER, Walter, (éd.), Rhetorical Argumentation in Biblical Texts.
Essays from the Lund 2000 Conference [Emory Studies in Early Christianity 8], Harrisburg,
Trinity Press International, 2002, p. 157-173.)
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clin d’œil complice au lecteur « initié ». Given rappelle que Socrate accorde une
grande importance à la définition exacte des termes, et c’est par ce biais qu’il
arrive à démontrer l’ignorance de ses adversaires. Or, les deux écoles
philosophiques évoquées en Ac 17 représentent les deux pôles opposés en matière
de langage. Tandis que les épicuriens utilisent un langage expressément naïf,
refusant de révéler les doubles sens, les stoïciens sont réputés pour leur dialectique
et pour leurs définitions des termes, entre autres précisément leur définition de
l’ambiguïté () ! Ils confessent que la capacité de reconnaître et d’éviter
tout équivocité est primordiale pour ne pas tomber dans l’erreur, la
mécompréhension ou la confusion des concepts10. Selon Given, le discours de
l’Aréopage est ainsi rempli d’une ironie socratique par laquelle Luc se moque des
philosophes qui sont battus sur leur propre terrain. L’auditoire d’Athènes,
prétendument sage et religieux, ne comprend rien parce qu’il entend le discours de
Paul d’une oreille de non-initié, tandis que les lecteurs chrétiens – les sortes de
Denys et de Damaris – le lisent comme des « gnostiques », les seuls capables d’en
déchiffrer le vrai message.
En partant de la base établie par les travaux de Sandnes et de Given, et en
proposant d’apporter quelques éléments de plus au dossier des réminiscences
socratiques déjà bien fourni par ses prédécesseurs, la présente étude tentera de
démontrer que Luc ne se contente pas de modeler son héros sur Socrate tout au
long de la scène d’Athènes. En anticipant la rencontre de l’apôtre avec le
paganisme « populaire » à Lystre (Ac 14,8-18), Luc nous présente un Socrate
chrétien supérieur à son modèle païen sur un point essentiel : l’abolition sans
complaisance des rites ancestraux.
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oublier que Paul arrive dans la plupart des villes sans avoir organisé son voyage
d’avance. A l’exception de sa visite à Philippes, ordonnée par une vision, ses
destinations sont pour la plupart des escales ad hoc déterminées par la nécessité de
fuir les Juifs persécuteurs des étapes précédentes. Selon l’avis unanime des
exégètes non-historicisants, Luc fait venir Paul à Athènes parce que cette ville
symbolise la culture, la sagesse et peut-être même la piété du monde gréco-
romain12. Cependant, l’opinion majoritaire préfère expliquer ce rôle d’Athènes
d’une façon condescendante: même si la philosophie grecque est respectable pour
sa quête de Dieu, et même si certains de ses résultats sont encourageants, elle doit
se plier devant la Révélation survenue en Jésus-Christ13. N. Clayton Croy et
Patrick Gray attribuent même à Luc l’intention de renier la sagesse grecque. Dans
leur lecture, les Athéniens se montrent absolument inaptes à accueillir le
christianisme, car leur ouverture d’esprit apparente n’est qu’une curiosité
maladive : toujours avides d’entendre des nouveautés, ils les rejettent aussitôt pour
des idées encore plus récentes14. D’ailleurs, disent-ils, le discours de Paul ne se
solde-t-il pas par un échec15 ? Selon Gray, l’ombre de Socrate apparaît sur ce
point, dans un but ironique. Car précisément Socrate, le philosophe malcompris,
fut condamné par les Athéniens entre autres à cause de sa prétendue curiosité
criminelle16 ! Pourtant, les réminiscences socratiques ne s’arrêtent pas à la partie
12
P. ex. HAENCHEN, Ernst, The Acts of the Apostles Philadelphia, Westminster Press, 1971, p.
528 ; DUPONT, Jacques, (1979) p. 534 ; CONZELMANN (1980) p. 218 : (« Athens, the museum of
classical culture » ; « the center of intellectual life and piety »).
13
cf. n. 10.
14
CROY (1997), p. 25 ; GRAY, Patrick, « Athenian Curiosity (Acts 17:21) », Novum Testamentum
47/2 (2005), p. 109-116.
15
GRAY, Patrick, « Implied Audiences in the Aeropagus Narrative », Tyndale Bulletin 55/2 (2004),
p. 205-218 (113-116). Le même avis chez CONZELMANN (1980) p. 227. D’autres exégètes sont
plus nuancés et pensent que la mission d’Athènes peut être considérée comme un succès modéré ou
mitigé : HAENCHEN (1971) p. 517 ; DUPONT (1979) p. 536 ; BOSSUYT / RADERMAKERS (1995) ;
LESTANG (2006) p. 398 ; CROY, N. Clayton, « Hellenistic Philosophies and the Preaching of the
Resurrection (Acts 1:18, 32) », Novum Testamentum 39/1 (1997), p. 21-39 ; NEYREY, Jerome H.,
« Acts 17, Epicureans, and Theodicy : A Study in Stereotypes », dans : BALCH, David L. /
FERGUSON, Everett / MEEKS, Wayne A., (éd.), Greeks, Romans and Christians. Essays in Honour
of Abraham J. Malherbe (Travaux d’Humanisme et Renaissance 415), Minneapolis, Fortress Press,
1990, p. 118-134.
16
PLATON, Apol. 19b-c: « Socrate est un homme dangereux, qui, par une curiosité criminelle, veut
pénétrer ce qui se passe dans le ciel et sous la terre, fait une bonne cause d’une mauvaise, et
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narrative. Le discours lui-même évoque le grand philosophe par ses motifs et par
sa méthode.
1. Le motif de l’ignorance
Socrate dédie sa vie à la démonstration de l’inexactitude des idées reçues et de la
sagesse humaine, en s’appliquant à faire avouer aux gens leur ignorance. Dans
l’Apologie de Platon, Socrate explique pourquoi les Athéniens ne l’aiment pas :
J’allai chez un de nos concitoyens, qui passe pour un des plus sages de la ville (...).
Examinant donc cet homme (...) et m’entretenant avec lui, je trouvai qu’il passait
pour sage aux yeux de tout le monde, surtout aux siens, et qu’il ne l’était point.
Après cette découverte, je m’efforçai de lui faire voir qu’il n’était nullement ce
qu’il croyait être; et voilà déjà ce qui me rendit odieux à cet homme et à tous ses
amis, qui assistaient à notre conversation. (...) Car il ne manque pas de gens qui
croient tout savoir, quoiqu’ils ne sachent rien, ou très peu de chose. Tous ceux
qu’ils (les disciples de Socrate) convainquent ainsi d’ignorance s’en prennent à
moi, et non pas à eux, et vont disant qu’il y a un certain Socrate, qui est une vraie
peste pour les jeunes gens ; et quand on leur demande ce que fait ce Socrate, ou ce
qu’il enseigne, ils n’en savent rien ; mais, pour ne pas demeurer court, ils mettent
en avant ces accusations banales qu’on fait ordinairement aux philosophes, qu’il
recherche ce qui se passe dans le ciel et sous la terre ; qu’il ne croit point aux
dieux, et qu’il rend bonnes les plus mauvaises causes ; car ils n’osent dire ce qui
en est, que Socrate les prend sur le fait, et montre qu’ils font semblant de savoir,
quoiqu’ils ne sachent rien17.
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c’est qu’on prend plaisir à voir confondre ces gens qui se prétendent sages, et qui
ne le sont point; et, en effet, cela n’est pas désagréable. Et je n’agis ainsi, je vous
le répète, que pour accomplir l’ordre que le dieu m’a donné par la voix des oracles,
par celle des songes et par tous les moyens qu’aucune autre puissance céleste a
jamais employés pour communiquer sa volonté à un mortel21.
C’est un oracle de Delphes, le déclarant le plus sage des hommes, qui déclenche
sa quête :
Quand je sus la réponse de l’oracle, je me dis en moi-même : que veut dire le dieu
? Quel sens cachent ses paroles ? Car je sais bien qu’il n’y a en moi aucune
sagesse, ni petite ni grande ; Que veut-il donc dire, en me déclarant le plus sage
des hommes ? Car enfin il ne ment point ; un dieu ne saurait mentir. Je fus
longtemps dans une extrême perplexité sur le sens de l’oracle, jusqu’à ce qu’enfin,
18
19
.
20
21
Platon, Apol., 33 c 2-7 :
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après bien des incertitudes, je pris le parti que vous allez entendre pour connaître
l’intention du dieu22.
Il me semble donc qu’en cela du moins je suis un peu plus sage, que je ne crois pas
savoir ce que je ne sais point. (...) De là toutes les calomnies répandues sur mon
compte, et ma réputation de sage; car tous ceux qui m’entendent croient que je sais
toutes les choses sur lesquelles je démasque l’ignorance des autres. Mais,
Athéniens, la vérité est qu’Apollon seul est sage, et qu’il a voulu dire seulement,
par son oracle, que toute la sagesse humaine n’est pas grand-chose, ou même
qu’elle n’est rien23.
D’ailleurs, la proclamation de cette mission divine cause sa perte, car elle permet à
ses adversaires de l’accuser d’impiété :
On dit Socrate criminel parce qu’il corrompt les jeunes gens, ne reconnaît pas les
dieux de la cité, mais (honore) d’autres divinités nouvelles24.
C’est cette activité « éducative » qui lui vaut la haine des gens ainsi confondus et
qui le conduit enfin jusqu’au calice de ciguë. Et pourtant, il n’y renonce pas, car
22
Apol., 21b 2-7 :
23
Apol., 21d :
(...)23.a.2-7:
24
PLATON, Apol., 24b :
Cf. Dion Chrysostome, Orationes
43,9,4 – 10,1 :
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mourir en obéissant à la divinité lui paraît plus souhaitable que vivre avec les
hommes :
Paul accomplit également une mission divine. Luc y insiste en racontant à trois
reprises dans les Actes sa conversion et son envoi vers les nations (9,1-18 ; 22,1-
21 ; 26,9-23). Cependant, les philosophes d’Athènes montrent leur incapacité à
reconnaître le messager de Dieu du début jusqu’à la fin de la scène. Luc offre un
très bel exemple de cela par l’utilisation des verbes de parole décrivant l’activité
de Paul. Tandis qu’au v.17 Luc montre l’apôtre dialoguant () avec les
passants à la manière de Socrate, les philosophes parlent d’un discours de bavard
()26. Et lorsque ils l’accusent d’être un messager de mauvaise augure
() de divinités étrangères, le narrateur nous apprend que l’apôtre
annonce la bonne nouvelle () de Jésus et la résurrection27. Le terme
est particulièrement intéressant, parce que ce hapax
néotestamentaire, inconnu dans la littérature classique, ne signifie pas simplement
messager, héraut, comme le suggèrent les traductions modernes ainsi que les
commentaires du verset. Si dans le langage de Paul le verbe est un
synonyme de et est donc à comprendre dans un sens positif28, il ne va
pas de même chez Luc, et encore moins dans le grec non biblique. Dans la langue
classique, avec le verbe on annonce surtout de mauvaises
25
Apol., 37e:
26
17-18a :
27
18b-c :
28
Rom 1,8 ; 1 Co 2,1 ; 9,14 ; 11,26 ; Phil 1,17.18 ; Col 1,28.
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29
DENYS D’HALICARNASSE, Ant. Rom. 1, 58, 1, 2; 9,60,6,4 ; PLUT., Lyc. 21,6.
30
FLAVIUS JOSEPHE, Ant. Juives 1,180; PHILON, Migr., 190,1; Abr. 291,9.
31
2Macc 8,36 ; 9,17.
32
13,38 ; 17,3.23 ; 26,23.
33
34
16,17b :
35
16,20-21 :
36
Ac 5,28-32. Cf. MARGUERAT, Daniel, Les Actes des apôtres (1-12) (Commentaire du Nouveau
Testament 5a), Genève, Labor et Fides, 2007, p. 195.
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3. La méthode socratique
Socrate ne se contente pas de déconstruire les idées reçues erronées : il veut les
remplacer par des notions justes. Selon le témoignage de Xénophon :
Il ne se hâtait pas de rendre ses disciples habiles à parler, à agir, à inventer des
expédients, mais il croyait qu’il fallait commencer par les amener à la sagesse ;
sans la sagesse, en effet, il pensait que ceux qui ont ces talents n’en sont que plus
injustes, plus puissants à mal faire. Et d’abord il essayait de donner à ceux qui le
fréquentaient des idées sages au sujet des dieux37.
Pour y arriver, il part toujours d’un sujet que son compagnon pense connaître et
auquel celui-ci n’a pas encore pris la peine de réfléchir, ou l’a fait d’une façon
erronée. Au début, le philosophe fait semblant d’être d’accord sur le principe, et
commence par des objections minimes. Ainsi par exemple, dans le Phèdre,
Socrate semble tout disposé à croire au mythe de l’enlèvement d’Orithyie par
Borée, et il ne contredit son compagnon que sur le lieu exact de l’événement. Or,
c’est justement par cette attitude qu’il réveille le sens critique de Phèdre. Lui qui
proposait à l’instant de retrouver l’endroit mythique s’étonne en entendant le
maître se prononcer favorablement au sujet de la localisation de l’histoire :
Mais, par Zeus, dis-moi, Socrate, est-ce que tu crois, toi, que ce récit fabuleux est
vrai38 ?
Mais ceux qui s’attachent à moi, bien que certains d’entre eux paraissent au début
complètement ignorants, font tous, au cours de leur commerce avec moi, si le dieu
le leur permet, des progrès merveilleux non seulement à leur jugement, mais à
37
Mem., 4,3,1,1 – 4,3,2,2 :
38
229c :
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celui des autres. Et il est clair comme le jour qu’ils n’ont jamais rien appris de moi,
et qu’ils ont eux-mêmes trouvé en eux et enfanté beaucoup de belles choses. Mais
s’ils en ont accouché, c’est grâce au dieu et à moi39.
Trois éléments d’égale importance sont donc à relever dans la méthode socratique,
qu’on connaît d’ailleurs uniquement grâce aux œuvres écrites par ses disciples
après sa mort :
1. Socrate prend comme point de départ un sujet que son partenaire pense
connaître.
2. Il fait semblant de partager ses convictions et n’avance que par de petites
objections.
3. L’interlocuteur prend lui-même conscience de son ignorance, grâce à la
réflexion déclenchée par les questions et remarques de Socrate.
1. Paul commence son discours par un élément familier de ses auditeurs, l’autel du
dieu inconnu, ce qui n’est pas sans rappeler la scène initiale du Phèdre40.
2. L’apôtre fait semblant de partager les idées religieuses des Athéniens, et plus
particulièrement celles des philosophes : il les flatte sur le nombre de leurs
édifices dédiés aux dieux (v.22-23) ; il déclare que la divinité est le créateur
suprême (v.24.26)41 ; elle n’a besoin ni de temple, ni de services (v.24-25)42 ; elle
39
PLATON, Théétète, 150d :
Cf.
PLATON, Premier Alcibiade 113a : « SOCRATE: Allons donc, conclus. Dans une conversation qui
se passe en demandes et en réponses, qui affirme, celui qui interroge, ou celui qui répond ?
ALCIBIADE: Celui qui répond, Socrate, à ce qu’il me semble. »
40
Bien sûr, l’existence de cet autel n’est ni prouvée, ni même probable. Cependant, dans la logique
de la narration lucanienne il est bien réel, et peut donc servir de référence culturelle.
41
DION CHRYSOSTOME, Discours XII ; EPICTETE, Entretiens IV.
254
Agnes A. Nagy, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », dans :
György Németh (ed.), KALENDAE. Studia sollemnia in memoriam Johannis Sarkady (Hungarian Polis Studies 16),
Debrecen / Budapest, 2008, pp. 241-264.
est providente (v.26) ; elle n’habite pas ses statues (v.29)43. Il va jusqu’à citer
Aratos, en déclarant que l’homme est de la race de Dieu, pour créer la confiance
par des références culturelles communes (v.28).
Cette longue captatio benevolentiae est toutefois entrecoupée par de brèves
allusions qui présagent d’une conclusion inattendue du public. Au v. 23b, Paul
déclare connaître le « dieu inconnu » : « Ce que vous vénérez ainsi sans connaître,
c’est ce que je viens, moi, vous annoncer44 ». Au v.27b, par un optatif élégant,
Paul laisse entrevoir ses doutes quant à la possibilité de connaître Dieu par les
propres moyens de l’homme, malgré sa proximité45. Enfin, aux v.30-31, il dévoile
son jeu : au temps de l’ignorance succède désormais celui de la Révélation, de la
conversion et du jugement, car le Juge désigné vient de se ressusciter d’entre les
morts.
42
EURIPIDE, ap. CLEMENT, Stromates V, 11, 75 ; ZENON, ap. PLUTARQUE, Des contradictions des
Stoïciens 1034b.
43
ZENON, ap. CLEMENT, Stromates V, 11, 76.
44
45
255
Agnes A. Nagy, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », dans :
György Németh (ed.), KALENDAE. Studia sollemnia in memoriam Johannis Sarkady (Hungarian Polis Studies 16),
Debrecen / Budapest, 2008, pp. 241-264.
accusateurs et juges de Socrate, tandis que les gens sans prétention deviennent les
vrais sages, compagnons du Socrate chrétien.
256
Agnes A. Nagy, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », dans :
György Németh (ed.), KALENDAE. Studia sollemnia in memoriam Johannis Sarkady (Hungarian Polis Studies 16),
Debrecen / Budapest, 2008, pp. 241-264.
48
PESCH, Rudolf, Die Apostelgeschichte (EKK 5,1-2), Zurich / Neukirchen, Benziger /
Neukirchener, 1986, p.56.
49
LEGASSE, Simon, « Le discours de Paul à Lystres (Actes 14,15-17) », dans : DORE, Joseph /
THEOBALD, Christoph, (éd.), Penser la foi. Recherches en théologie aujourd’hui. Mélanges offerts
à Joseph Moingt (Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium 142), Paris, Cerf, 1993,
p. 127-136 (134-135).
257
Agnes A. Nagy, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », dans :
György Németh (ed.), KALENDAE. Studia sollemnia in memoriam Johannis Sarkady (Hungarian Polis Studies 16),
Debrecen / Budapest, 2008, pp. 241-264.
Dean Béchard voit se dessiner dans les deux péricopes les deux pôles opposés
idéalisés du paganisme, car les habitants de Lystre sont décrits avec tous les signes
caractéristiques des rustres, attachés à leurs anciennes coutumes religieuses – face
à l’éducation (et scepticisme) philosophique de l’auditoire athénien. La différence
de la composition de l’auditoire ainsi que les lieux respectifs des deux discours
seraient significatifs: diversité ethnique à Athènes (Grecs, Juifs, métèques),
uniquement indigènes à Lystre parlant le dialecte local; l’agora et l’Aréopage à
Athènes, centres d’un environnement urbain, et « les portes » à Lystre simplement,
probablement celles d’un temple modeste avec un seul prêtre en dehors de la ville.
A Athènes, Paul annonce la bonne nouvelle mais rencontre l’incrédulité
philosophique, tandis qu’à Lystre c’est à l’enthousiasme crédule des rustiques
auquel il doit se confronter50. Vu les liens existants entre Ac 14 et 17, il ne semble
pas inapproprié d’analyser l’image socratique de Paul à la lumière des événements
de Lystre.
Les deux discours montrent des parallèles indubitables et souvent relevés : Paul
annonce les deux fois un dieu provident et patient qui subvient aux besoins des
nations malgré leur ignorance, et qui leur pardonne leur passé. Or, parmi les
choses ignorées jusqu’alors se trouve le culte juste que ce dieu attend des
hommes. A Athènes, Paul parle en termes philosophiques, qui tempèrent la portée
de ses propos : tout en soulignant de l’inutilité des statues (v.29), des temples
(v.24) et des rites (v.25), il n’exhorte pas ouvertement ses auditeurs à l’abandon de
leurs cultes ancestraux. Car le fait que la divinité n’ait besoin de rien ne signifie
pas automatiquement le rejet de ces pratiques. Les épicuriens, comme les
stoïciens, tout en confessant une divinité indépendante de tout service humain,
n’ont pas moins continué à fréquenter les temples et à offrir des sacrifices51 !
Socrate lui-même n’a jamais cessé d’accomplir ses devoirs religieux52, enseignait
à ses disciples d’en faire autant et tentait de ramener les réticents vers la religion
50
BECHARD, Dean P., « Paul Among the Rustics : The Lystran Episode (Acts 14:8-20) and Lucan
Apologetic », Catholic Biblical Quarterly 63/1 (2001), p. 84-101.
51
PLUTARQUE, Des contradictions des Stoïciens 1034c ; SENEQUE, ap. AUGUSTIN, Civ. Dei V, 10.
52
XENOPHON, Mémorables 1,1,2 : « Car on le voyait souvent sacrifier dans sa maison, souvent
aussi sur les autels communs de l’État, et il ne se cachait pas quand il avait recours à la divination »
258
Agnes A. Nagy, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », dans :
György Németh (ed.), KALENDAE. Studia sollemnia in memoriam Johannis Sarkady (Hungarian Polis Studies 16),
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civique, curieusement avec en partie les mêmes arguments que Paul utilise pour la
faire abandonner :
53
Xénophon, Mém., 1,4,2:
(...)
4:
(...) 13 :
(...) 14 :
(...) 16 :
259
Agnes A. Nagy, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », dans :
György Németh (ed.), KALENDAE. Studia sollemnia in memoriam Johannis Sarkady (Hungarian Polis Studies 16),
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54
Cette idée se retrouve dans l’Hymne à Zeus de CLEANTHE également. Aux versets 32-39,
l’auteur demande au dieu de délivrer les humains de leur ignorance coupable, pour le reconnaître
ainsi que la manière juste de lui rendre hommage. Cf. THOM, Johan C., « Cleanthes’ Hymn to Zeus
and Early Christian Literature », dans : MITCHELL, Margaret M. / COLLINS, Adela Yarbro, (éd.),
Antiquity and Humanity. Essays on Ancient Religion and Philosophy Presented to Hans Dieter
Betz on His 70th Birthday, Tübingen, Mohr Siebeck, 2001, p. 477-499 (484).
55
Mem. 4,3,15-17 :
260
Agnes A. Nagy, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », dans :
György Németh (ed.), KALENDAE. Studia sollemnia in memoriam Johannis Sarkady (Hungarian Polis Studies 16),
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La religion civique représente pour Socrate un garde-fou entre les deux dérives,
l’athéisme et la superstition56 :
14. Il est en effet des fous qui ne redoutent pas ce qui est à craindre, et d’autres qui
craignent ce qui n’est pas redoutable; certains croient qu’il n’y a aucune honte à
tout dire et à tout faire même au milieu de la foule, tandis que d’autres pensent
qu’il ne faut même pas sortir pour se produire dans le monde; ceux-ci ne respectent
ni temple, ni autel, ni aucune autre chose sacrée et ceux-là révèrent des pierres, des
morceaux de bois quelconques, des bêtes sauvages. De même parmi ceux que
préoccupe la nature de l’univers, les uns croient que l’être est un, les autres qu’il
est infini en nombre, ceux-ci, que tout est sans cesse en mouvement, ceux-là, que
rien ne saurait se mouvoir; les uns, que tout naît et périt, les autres que rien ne
saurait jamais naître ni périr57.
Les arguments de Socrate sont très forts et seront utilisés mainte fois pour éviter
les déviances par rapport aux cultes civiques. Ainsi le patriôs nomos, la loi des
ancêtres (donnée ou cautionnée par les dieux nationaux) sera souvent opposée à la
nouveauté que représente le christianisme58. Quant à la définition de la religion
juste par rapport à l’athéisme et à la superstition, théorisée dans l’école d’Aristote
au 4e s. av. J.C., elle sera encore citée par Porphyre à la fin du 3e s. après J.C.59.
Cependant, malgré toute leur force, les arguments socratiques ne sont pas absolus.
Ils sont susceptibles d’être détournés de leur dessein premier pour les mettre au
56
Selon Philippe Borgeaud, il s’agit de la première définition de la deisidaimonia accouplée à celle
de l’athéisme (sans même les nommer) pour définir la bonne religion. BORGEAUD, Philippe, Aux
origines de l’histoire des religions, Paris, Seuil, 2004, p.34.
57
1,1,14,1-15.1 :
58
CELSE ap. ORIGENE, Contre Celse V, 34.
59
THEOPHRASTE ap. PORPHYRE, De l’Abstinence II, 7, 3. Pour une bibliographie de la définition
de la bonne piété comme médiane des deux extrémités voir BORGEAUD (2004) pp. 32-36.
261
Agnes A. Nagy, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », dans :
György Németh (ed.), KALENDAE. Studia sollemnia in memoriam Johannis Sarkady (Hungarian Polis Studies 16),
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service d’un culte nouveau ou d’un nouveau type de piété. Car, si la religion
civique n’est autre que le juste milieu entre l’athéisme et la superstition, il suffit
de changer la définition d’un de ces termes pour déplacer la médiane. Il s’agit d’un
phénomène répandu dans le monde gréco-romain bien avant l’apparition du
christianisme, utilisé notamment dans le débat autour du sacrifice sanglant. La
thysia, l’acte central et emblématique de la religion civique, servait de point de
référence aux différents mouvements contestataires de la polis, dans leur
définition de la bonne piété. Pour l’orphisme, le pythagorisme ou le néoplatonisme
végétariens, ainsi que pour le cynisme prônant les bienfaits du manger cru, c’est la
religion civique qui est de la superstition, tandis que leurs mouvements marginaux
représenteraient la vraie piété60. Porphyre est un bon exemple de ce procédé, car il
utilise l’argument du bon équilibre non pas pour défendre, mais pour abolir le
sacrifice civique de type alimentaire. Ainsi, à l’intérieur d’une seule et même
société, le comportement parfaitement pieux de la majorité peut être dénoncé
comme superstitieux ou athée par la minorité, qui se place ainsi dans la position
de la piété61. Le Paul de Luc s’engouffre dans la brèche. On se souvient bien de
l’adresse de Paul aux Athéniens (v.22), qu’il qualifie de deisidaimonesteroi, un
adjectif à double tranchant. Certes il peut signifier un comportement religieux tout
à fait honorable, mais dans son acception courante il désigne plutôt une attitude
déviante, souvent passablement ridicule, mais parfois dangereuse62. Si les
Athéniens le prennent sans doute dans le premier sens, comme captatio
benevolentiae, il est évident que pour Paul il s’agit d’un jugement de la religion
civique athénienne. Or, une fois celle-ci redéfinie en tant que deisidaimonia, la
place de la bonne piété reste à remplir. C’est le culte du « dieu inconnu » (v.23)
qui l’occupera désormais. Le culte qui ne nécessite ni statues, ni temples, ni
sacrifices (24-25.29), mais la croyance dans l’Homme que le Dieu créateur
(v.24.26) a ressuscité pour juger l’univers (v.30-31). Le culte qui peut remplacer
les patrioi nomoi non seulement parce que Dieu annonce lui-même sa volonté
(v.30), mais aussi parce que la particularité des peuples et des pays céderont la
place à l’universalisme de l’humanité (v.26.30). C’est cet universalisme du
60
D. SABBATUCCI, Essai sur le mysticisme grec, Paris, Flammarion, 1982 (1965) ; M. DETIENNE,
Dionysos mis à mort (Les essais 195), Paris, Gallimard, 1977.
61
Voir NAGY, Agnes A., Récits antiques d’anthropophages. (Thèse de doctorat, Genève, 2006),
(BEHE, Sciences Religieuses 140), Brepols, Tournhout, à paraître
62
Ridicule : THEOPHRASTE, Caractères 16. Dangereuse : PLUTARQUE, De la superstition 171 B-C.
262
Agnes A. Nagy, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », dans :
György Németh (ed.), KALENDAE. Studia sollemnia in memoriam Johannis Sarkady (Hungarian Polis Studies 16),
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Et en effet, Timée, quand on parle des dieux à des hommes, il est plus facile de les
satisfaire que quand on nous parle des mortels. Car l’inexpérience et la complète
ignorance des auditeurs sur des matières qui leur sont ainsi étrangères font la partie
belle à qui veut en parler, et, au sujet des dieux, nous savons où nous en sommes.
(...) Quand il s’agit des choses célestes et divines, il nous suffit qu’on en parle avec
quelque vraisemblance ; mais pour les choses mortelles et humaines, nous les
examinons avec rigueur64.
63
14, 15b :
64
PLATON, Critias, 107.a.7 – 107.b.4 :
(...) 107.d.5 – 107.d.8 :
263
Agnes A. Nagy, « Comment rendre un culte juste au dieu inconnu ? Le Socrate chrétien entre Lystre et Athènes », dans :
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Debrecen / Budapest, 2008, pp. 241-264.
Luc choisit des termes et des idées à double sens de sorte que son Paul puisse
parler du « dieu inconnu » « avec quelque vraisemblance » devant les philosophes
qui sont forcément en « complète ignorance (...) sur des matières qui leur sont
ainsi étrangères ». Car les « choses célestes et divines » sont cachées devant les
hommes. D’ailleurs, contrairement à l’affirmation de ses accusateurs, Socrate a
toujours refusé de scruter les mystères des dieux et de l’univers :
Or jamais personne n’a vu ni entendu Socrate faire ou dire quoi que ce soit de
sacrilège ou d’impie. Il ne discutait pas non plus, comme la plupart des autres, sur
la nature de l’univers et ne recherchait point comment est né ce que les
philosophes appellent le monde, ni par quelles lois nécessaires se produit chacun
des phénomènes célestes ; il démontrait même que c’était folie de s’occuper de ces
problèmes. 13 En outre, il s’étonnait qu’ils ne vissent pas qu’il est impossible à
l’homme de pénétrer ces secrets, puisque aussi bien ceux qui se piquent d’en
parler le plus savamment ne sont pas d’accord les uns avec les autres, et que la
manière dont ils se traitent mutuellement ressemble à de la folie65.
L’apôtre, ce Juif envoyé aux nations, annonce la fin de cette ignorance qui
conduisait les peuples à suivre diverses superstitions et les philosophes à avoir des
idées incomplètes ou erronées de Dieu. La Révélation achève la quête séculaire
des écoles philosophiques qui arrivent enfin à la connaissance de Dieu : Juifs,
Athéniens et barbares de Lycaonie pourront désormais rendre hommage à Dieu
d’une seule voix.
L’élu d’Apollon doit s’effacer devant l’envoyé de Dieu dont la mission met fin à
la sienne. Car le de l’oracle de Delphes ne suffit plus : les temps
de l’ignorance cèdent désormais la place à la connaissance par la révélation du
« Dieu inconnu ».
65
XENOPHON, Mém., 1,1,11 :
13 :
264