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2018/1 N° 3 | pages 31 à 48
DOI 10.3917/mavs.003.0031
Article disponible en ligne à l'adresse :
https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-sante-2018-1-page-31.htm
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Formulation et mise en œuvre d’une stratégie logistique
hospitalière : un exemple d’industrialisation
Sylvain LANDRY1
Martin BEAULIEU2
Résumé
Abstract
“Healthcare logistics” is the term used to describe the management of the diverse
internal distribution networks that provide products, supplies and equipment to
support the provision of care. This article discusses the challenges of developing
and implementing a logistics strategy in an environment such as healthcare,
where logistics activities remain on the periphery of the organization’s primary
mission. To more clearly define hospital logistics management structures and
identify some of the tools used to manage a hospital’s inventory, the article
examines ways the healthcare sector has borrowed from the manufacturing
industry. It also demonstrates how in deploying a logistics strategy, a hospital
can gain from following a lean management approach, itself a practice borrowed
from the industrial sector.
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Introduction
« L’industrialisation de la santé est la seule façon d’humaniser les soins ! », c’est ainsi que
s’expri- mait, il y a une dizaine d’années, le Dr Markus Froehling, un chirurgien qui travaillait à
l’époque en Grande-Bretagne. Il avait fait cette affirmation lors d’une discussion avec l’un des
auteurs. Ces propos peuvent paraître étonnants alors que, pour plusieurs personnes,
l’industrialisation de la santé inspire de la crainte. Cependant, lorsque l’on s’y arrête un
instant, ce qui peut sembler être une boutade renferme une forme de vérité. Naturellement, il
n’est pas question de traiter les patients comme des numéros ni de les faire défiler sur une
chaîne de montage, mais tout simplement d’organiser différemment les processus qui
soutiennent la prestation de soins de façon à ce que les cliniciens puissent créer de la valeur
pour les patients. Ce point de vue rejoint les propos de Toussaint et Gerard (2010) qui
affirment que les processus en amont ou en aval de l’acte de soins peuvent faire l’objet
d’efforts organisationnels afin de rehausser leur performance, mais que la rencontre du
médecin avec son patient, ce que les auteurs nomment le « middle flow », ne peut pas être
standardisée.
Le concept d’industrialisation des services a été formulé par Theodore Levitt dans les années
1970 dans deux articles célèbres (Levitt, 1972 ; 1976). Il désigne l’utilisation dans le secteur
des services d’outils de gestion, de technologies ou de systèmes ayant fait leurs preuves dans
le milieu manufacturier, et ceci afin d’en améliorer la performance (Landry et Nollet, 1992).
Par ailleurs, différents travaux ont mis en évidence que les services ne pouvaient pas être
considérés comme un ensemble monolithique (Chase, 1978 ; Collier et Meyer, 2000). Par
Ainsi, la complexité d’un centre hospitalier dépasse l’offre de services cliniques puisque ces
derniers sont eux-mêmes approvisionnés ou soutenus par de nombreux services périphériques
(pharmacie, stérilisation, buanderie, cuisine, etc.) (Marcon, Guinet et Tahon, 2008). Ultimement,
l’hô pital s’incarnera par l’entremise d’une diversité de réseaux de distribution internes afin
de soutenir la prestation de soins avec différents produits, fournitures et équipements. Ainsi,
la logistique hospitalière est l’expression utilisée pour désigner la gestion de ces différents
flux internes (Landry et Beaulieu, 2002). Bien que périphérique à l’activité de soins, le poids
de ces activités logistiques pourrait accaparer de 30 % à 45 % du budget total d’un
établissement de santé sans que les dirigeants n’en soient totalement conscients (Abdulsalam et
Schneller, 2017 ; Bourgeon et al., 2001 ; Chow et Heaver, 1994).
Cet article entend discuter des défis de la formulation et de l’implantation d’une stratégie
logistique dans un milieu comme celui de la santé où ces activités demeurent en périphérie de
la mission première de l’organisation. Notre propos s’articule autour d’une revue de
littérature basée principalement sur les travaux que nous avons menés au cours des vingt
dernières années sur les processus de logistique hospitalière dans les contextes canadien,
européen et japonais. Nos observations sont complétées par d’autres études qui recoupent nos
Gustat et McGinnis (1980) ont introduit le concept de logistique dans le secteur de la santé
au début des années 1980. Ils expliquent le choix de ce concept ainsi : « We have chosen to use
the term hospital “logistics” rather than “materials management” or “materiel management”.
[…] Logistics has a broader meaning. It represents an overall, systematic approach to the
allocation and use of resources, as opposed to the confusion and fragmentation of roles and
responsibilities that have been so common in hospitals in the past. Thus, logistics involves a kind
of thinking that hospitals need to apply in dealing with problems related to their use of
resources. » (p. 1931).
Bien que ces auteurs tendent à opposer la gestion des matières ou du matériel (materials mana-
gement ou materiel management) à celui de la logistique, d’un point de vue historique, ces
deux termes ont jeté les fondements de la gestion intégrée du flux des matières dans une
organisation.
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À la base, le terme logistique se limitait au contexte militaire, et ce n’est qu’au cours des
années 1960 qu’on verra son apparition dans la réalité de l’entreprise (Ballou, 2007 ; Klaus,
2009). À ce moment, les entreprises commencent à porter une attention aux arbitrages entre
les coû ts de transport et ceux d’entreposage (Ballou, 2007). C’est dans ce contexte qu’en
1964, Heskett, Ivie et Glaskowsky décrivent la logistique d’entreprise comme étant la gestion
du flux des matières entrant et sortant de l’organisation. Plus concrètement, ces concepts ont
commencé à trouver leur application au cours des années 1960 avec l’émergence de la
structure de gestion des matières (materials management) dans les entreprises
manufacturières (Pooley et Dunn, 1994). Cette structure avait pour objectif de confier à un
professionnel la responsabilité des approvisionne- ments, de la planification de la production
ainsi que du transport et de la distribution (Miller et Gilmour, 1979 ; Zenz, 1981). Cette
structure a crû en popularité au cours des années 1970.
Outre cette centralisation plus poussée, le concept de gestion du matériel marquait une rup-
Le concept de logistique se démarque aussi de celui de gestion du matériel par son caractère
intégrateur (Gustat et Mcginnis, 1980). Contrairement à la gestion du matériel, la logistique
n’a pas à se limiter au mouvement des matières dans un hô pital, elle peut aussi inclure le
mouve- ment des patients et celui de l’information (Landry et Beaulieu, 2002). Ces
observations ont été raffinées plus récemment par les travaux de Beaulieu et al. (2014) qui
proposent un découpage des activités de logistique hospitalière (voir la Figure 1). Cette
même évolution est survenue dans le secteur industriel alors que la structure de gestion des
matières perd en popularité au cours des années 1980, et que celle de la logistique prend de
l’essor (Bowersox et Daugherty, 1987 ; Klaus, 2009).
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