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9 Utiliser le balanced
scorecard comme un outil
de management stratégique :
le cas Sodexho
Fondée en 1966 par Pierre Bellon à Marseille, Sodexho Alliance est aujour-
d'hui, avec 308 000 collaborateurs répartis dans plus de 70 pays et un chiffre
d'affaires consolidé de 11,5 milliards d'euros, un des leaders mondiaux de la
restauration et des services. Ses activités couvrent principalement la restau-
ration collective (santé, entreprises, administrations, éducation, etc. : n° 1
mondial) ainsi que les Chèques-Restaurant et cartes de service (n° 2 mon-
dial).
Sodexho s'est organisée autour de ses segments d'activité correspondant
à un marché précis : Grands Comptes, Restauration Inter Entreprise, Col-
lectivités territoriales, Établissements d'enseignement, Entreprises privées,
Administration, Personnes âgées, Personnes handicapées, Hôpitaux, Cli-
niques, Défense, Grands Comptes publics et Prisons. La délégation est his-
toriquement très forte dans le groupe. Les entités, qui sont chacune res-
ponsable d'un ou de plusieurs segments joints, ont longtemps eu une très
forte liberté de décision et de gestion sur leur marché. Cette situation a
tendance à évoluer aujourd'hui, comme nous le verrons, le projet BSC
mené par l'entité centrale, Sodexho France jouant un rôle important.
Les expériences de balanced scorecard que nous allons présenter concer-
nent deux entités, les segments « Hôpitaux Cliniques » et « Grands
Comptes », ainsi que l'entité centrale, Sodexho France. Elles suivent la
chronologie avec laquelle ces projets ont été menés au sein du groupe.
Chaque expérience sera traitée en trois temps : contexte et objectifs du
BSC, description de l'outil mis en œuvre, conclusion sur les points mar-
quants du projet.
Enfin, nous terminerons ce chapitre par une réflexion sur le rôle du BSC
et les différents stades de maturité de cet outil que l'on peut rencontrer
dans les organisations.
Contexte et objectifs
Le secteur des hôpitaux et cliniques connaît depuis quelques années en
France des évolutions importantes, qui ont naturellement un impact sur
l'ensemble des entreprises fournisseurs de services pour ces organisa-
tions. En 2001, Sodexho HC s'est trouvée confrontée à une baisse de son
marché de la restauration, s'expliquant notamment par les facteurs sui-
vants : réduction du nombre de lits en hôpitaux et cliniques, plus faible
durée moyenne de séjour des patients, augmentation de la pression des
organismes hospitaliers sur les prix des prestations de leurs fournisseurs.
Confrontée à cette menace, l'entreprise a décidé d'engager un processus
de réorientation stratégique visant à positionner l'entreprise sur de nou-
veaux métiers et dont l'objectif était à terme de transformer l'offre initiale de
restauration en un partenariat multiservices. En 2001, Sodexho HC avait déjà
initié ce mouvement en assurant pour certains de ses clients une assis-
tance technique dans le domaine du nettoyage (principalement sous la
forme de supervision d'équipes du personnel hospitalier) ; il s'agissait de
prolonger et d'accentuer cette évolution afin de pouvoir proposer aux
clients, outre la restauration, des prestations concernant l'accueil, le net-
toyage, la gestion de boutiques, la maintenance technique, etc. La stratégie
multiservices est un enjeu essentiel pour Sodexho et ce concept est
aujourd'hui décliné dans les différents segments du groupe.
Concernant « Hôpitaux Cliniques », cette stratégie peut être décrite
selon trois axes.
Perspective actionnaires
La réflexion sur la nouvelle stratégie a conduit à identifier 3 objectifs dans
la perspective financière.
Objectifs actionnaires Description
A1 – Accroître notre leadership Plus précisément, l’objectif a été défini de la façon sui-
en accélérant la croissance interne vante : « Accélérer la croissance en améliorant le taux de
d’au moins 10 % par an fidélisation client et en développant des offres en hôtellerie
hospitalière. Développer une image d’entreprise de services
innovante, spécialisée Santé, avec une position de leader
incontestée en parts de marché sur les différents métiers »
A2 – Générer plus de cash-flow L’augmentation du cash-flow concerne tout à la fois le
choix et la limitation des investissements, la réduction
des délais de règlements et la maîtrise des stocks
A3 – Augmenter la profitabilité d’au La profitabilité globale est recherchée, d’une part via le
moins 15 % (sous-objectif de A2) développement de services à haute valeur ajoutée et,
d’autre part, via la maîtrise des coûts. En pratique,
chaque segment et chaque offre de services devra défi-
nir ses propres objectifs de profitabilité
Perspective clients
Les objectifs clients ont été définis en dissociant les secteurs privé (cli-
niques) et public (hôpitaux) et en identifiant différentes cibles de clientèle
(le patient et le personnel de l'organisme de soin). Ils sont volontairement
exprimés selon le point de vue des attentes de la cible visée et liés aux
objectifs financiers par une chaîne de causalité.
Objectifs clients Description
C1 – Secteur privé : Je veux un parte- Pour le secteur privé, l’attente principale vis-à-vis d’un
naire qui assure la qualité de service partenaire est d’assurer une excellente qualité de service.
dans mon établissement L’offre doit donc être sur-mesure et créer une valeur
ajoutée pour les clients (patients et leur entourage)
C2 – Secteur public : Je veux la Pour le secteur public, le risque zéro, le respect des
sécurité et la maîtrise de mes budgets, la simplification de la gestion interne et la
approvisionnements sécurité sont les facteurs déterminants
C3 – Patient : Je veux un séjour de En situation de soin, le patient a besoin d’éléments qui
qualité facilitent et humanisent son séjour (qualité de la prise en
charge, confort, palette de services dans laquelle il peut
opérer un véritable choix)
C4 – Personnel de l’établissement : Pour le personnel de l’hôpital ou de la clinique, le pres-
Je veux des moments de détente tataire multiservices peut contribuer à la qualité de vie
de qualité dans l’environnement de travail (convivialité des espaces,
services accessibles, gamme de prix bien étudiée)
En termes de causalité, ces quatre objectifs clients jouent sur les objectifs
financiers : A1 (Leadership) et A3 (Profitabilité).
Perspective processus
À partir des objectifs des perspectives actionnaires et clients, une dizaine
d'objectifs clés relatifs à la perspective processus ont été définis (dont
une partie est reprise dans le tableau ci-après). Ils sont individuellement
liés dans une chaîne de causalité à d'autres objectifs, appartenant aux
perspectives actionnaires, clients et/ou processus.
Objectifs Description Chaîne de causalité
processus (impact sur les autres
objectifs)
P1 – Vendre notre offre Définir l’offre multiservices, C1 – Objectif client secteur
« Hôtellerie hospitalière » identifier les compétences, privé
accompagner les équipes sur C3 et C4 – Objectifs client/
le terrain dans le déploiement patient et personnel hospitalier
P2 – Capter les opportuni- Travailler sur l’adaptation de C2 – Objectif client secteur
tés dans le secteur public l’offre au secteur public, en public
tenant compte de la spécificité
des attentes
P3 – Développer une Mettre en place des interlocu- P1 – Vente de l’offre
approche Grands Comptes teurs dédiés, créer une offre P2 – Opportunités dans secteur
et un marketing spécifiques public
P4 – Passer nos révisions Analyser les performances A3 – Augmenter la profitabilité
de prix avec des indicateurs de pro- C1 et C2 – Objectifs clients
ductivité et de rentabilité ; secteurs public et privé
proposer des contreparties
équilibrées au client
(1) Nous remercions Sodexho, ainsi que le cabinet Nexance, qui nous ont donné accès aux documents du projet, d’où sont extraits,
en particulier, les citations utilisées dans cette section. La même méthodologie a été utilisée pour les deux autres expériences de BSC
présentées dans ce chapitre.
(1) Dans la démarche OVAR, les initiatives trouvent leur correspondance dans la notion de plan d’action. Celle-ci est explicitement
placée au cœur du processus d’élaboration des tableaux de bord.
O2 – Réaffirmer les valeurs % de sites ayant affiché Plan d’actions « valeurs SHC »
de Sodexho sur le terrain « publiquement » les valeurs - expliciter les valeurs
de la filiale - concevoir un livret accueil
interne
- distribuer des « cartes
management »
Mise en place d’une politique de
délégation
% d’utilisateurs intranet actifs Projet internet et messagerie
Définir le plan de communica-
tion hospitalisation privée et
hospitalisation publique
Initié dans un contexte de crise, le BSC apparaît dans cet exemple du seg-
ment Sodexho HC comme un outil de support à la transformation straté-
gique. L'objectif de redéfinition de la stratégie a été atteint en rendant
celle-ci visible et en la plaçant au cœur des réunions du comité de direc-
tion de façon concrète au travers de la définition en commun des objec-
tifs. La transformation de l'entreprise s'est quant à elle opérée par le biais
des nombreux projets qui ont systématiquement accompagné les objectifs
des perspectives processus et apprentissage organisationnel.
Contexte et objectifs
Le contexte dans lequel le projet BSC a été mené pour la filiale GC pré-
sente à la fois des similitudes et des différences importantes par rapport à
l'expérience menée dans la filiale HC.
Comme pour cette dernière, le projet démarra à l'initiative de M. Coléou,
qui prend la direction de la filiale GC en 2001, soit deux ans après le
démarrage de l'expérience chez HC. Une autre similitude importante avec
le secteur de la santé est la volonté de la filiale GC de se décentrer du
seul métier de la restauration pour évoluer vers le multiservices.
Mais le contexte de démarrage des deux projets BSC présente aussi des dif-
férences sensibles. La filiale HC se trouvait confrontée à un marché en muta-
tion profonde où les contours d'un nouveau métier – le multiservices –
étaient en cours de définition. Il s'agissait d'être le premier à construire,
vendre et assurer cette nouvelle offre afin de rester le prestataire de réfé-
rence sur le marché. La filiale GC quant à elle se trouvait confrontée à la
difficulté d'aborder un marché mature, déjà fortement sous-traité et
occupé par des experts sur chacun des métiers.
Ceci constitue une seconde différence importante entre les deux projets.
Alors que la filiale HC avait initié son projet BSC dans un contexte éco-
nomique relativement favorable, la filiale GC se trouve au contraire en
situation particulièrement difficile. En 2002, les plans ne sont pas réalisés
depuis deux ans, le chiffre d'affaires et les résultats baissent. Le marché
est en forte contraction. L'évolution des comportements alimentaires se
traduit par une plus grande déstructuration des repas et donc par une
baisse générale de consommation, bien que ce facteur soit difficilement
Description du BSC GC
Dans la progression méthodologique, le point de départ consista à établir
la carte stratégique, c'est-à-dire l'énoncé des objectifs globaux et de leur
déclinaison en sous-objectifs au sein des quatre perspectives du balanced
scorecard, reliés à la stratégie d'ensemble par des relations de cause à
effet clairement identifiées. Cette première phase permit dans un second
temps de structurer le choix des indicateurs et la sélection de projets
autour de chacun des objectifs ainsi définis.
Afin d'alléger la lecture, nous ne reproduisons pas ci-dessous l'exhausti-
vité des objectifs et indicateurs retenus dans le BSC de la filiale, mais met-
tons l'accent sur des exemples qui illustrent le passage des objectifs géné-
raux aux indicateurs et projets.
Perspective actionnaires
Sodexho est détenue en majorité par son actionnaire fondateur, Pierre
Bellon, ce qui lui confère une structure financière particulière, notamment
en termes de possibilités d'investissement. De façon générale, l'entreprise
souhaite conserver son image de « valeur sûre » pour les actionnaires.
Pour restaurer cette perception de solidité, plusieurs sous-objectifs appa-
raissent incontournables. À court terme, l'entreprise doit générer plus de
cash-flow, afin de garantir sa pérennité. Pour cela, plusieurs leviers d'ac-
tion ont été identifiés, parmi lesquels la réduction des délais de règlement
des clients. Les indicateurs retenus sur cet objectif et leur fréquence de
mesure sont les suivants.
Objectifs Indicateurs Fréquence
A4 – Générer plus de cash-flow LGO du segment M
Retour sur investissement S
Formation des cadres sur la LGO et/ou BFR S
Perspective clients
Les clients de Sodexho sont à la fois les grandes entreprises et les restau-
rants interentreprises. Indirectement, les consommateurs eux-mêmes
sont des clients potentiels, car le prix des repas leur est en partie réper-
recherche d'une plus grande rigueur dans les « basiques » ; une seconde
catégorie, plus prospective, s'attachait au développement de nouveaux
métiers. Or les performances les plus tangibles s'observent surtout dans
la première catégorie d'indicateurs. L'hétérogénéité des résultats s'ex-
plique donc en partie par des degrés de difficulté inégaux selon les objec-
tifs, le second thème exigeant un travail de remise en question et d'identi-
fication de leviers d'action nouveaux, là où pour le premier thème, il
s'agissait surtout d'activer des leviers déjà connus (1).
Contexte et objectifs
Comme il l'avait fait précédemment dans les entités Hôpitaux Cliniques
et Grands Comptes, Yann Coléou – devenu directeur général de
Sodexho France – décida d'amorcer en octobre 2003 une nouvelle expé-
rience BSC au niveau de l'entité France. Celle-ci soulevait des questions
d'un ordre différent. En effet, le caractère décentralisé du groupe avait
très tôt placé l'essentiel des décisions opérationnelles et stratégiques au
niveau des filiales, afin de favoriser la proximité par rapport aux clients.
Le choix de management avait été de pousser au maximum la logique
d'adaptation locale aux particularités de chaque segment de clientèle. De
ce fait, l'entité France fonctionnait pour l'essentiel comme une holding.
Seuls les achats et la communication étaient centralisés au niveau de la
France.
Dans ce contexte, la première question qui se posa lors du projet BSC
fut celle du positionnement de la stratégie groupe par rapport aux straté-
gies des filiales. En effet, la délocalisation tant recherchée des stratégies
des segments aboutissait naturellement à une multiplicité d'approches.
Dans ce contexte, la stratégie de la France correspondait-elle à la somme
des stratégies locales ? Et dans l'affirmative, était-il possible de trouver un
dénominateur commun entre celles-ci ?
De façon plus forte encore, la démarche BSC amena également le groupe
à remettre en question la pertinence de son organisation. En effet, le
mode de fonctionnement qui avait été mis en place n'était pas sans
limites. Si le caractère très marqué de la décentralisation avait suscité une
forte émulation au niveau des équipes locales, il avait également créé des
baronnies importantes et un cloisonnement de fait entre les pratiques des
filiales. Les synergies potentielles et les regroupements de moyens pos-
sibles entre segments étaient négligés, ce qui rendait le système relative-
ment coûteux. Dans un contexte où l'amélioration de la rentabilité était
(1) Cette distinction entre thèmes d’objectifs nous permet également de souligner le rôle essentiel joué par les indicateurs sur le
second thème. Certes les résultats sont moins probants à ce niveau, mais ils sont néanmoins appréciables, compte tenu de leur diffi-
culté. Les indicateurs ont créé une dynamique stimulante et permis de dépasser le stade des seules intentions, ce qui aurait sans
doute été le cas en leur absence.