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INTRODUCTION : Descriptif du cours

Dans le cadre de cette introduction, nous


avons pensé vous présenter 16 points essentiels
à savoir : le volume horaire (1), le titulaire du
cours (2), l’objet d’étude (3), la finalité ou son but
général (4), les objectifs spécifiques (5), le
prérequis (6), les compétences (7), le contenu (8),
les stratégies d’intervention ou les formules
pédagogiques (9), Les approches et natures de
l’évaluation (10), la périodicité (11), la Plateforme
(12), l’horaire hebdomadaire du cours (13), le
Cadre de la Communication Psychopédagogique
(14), la Bibliographie sommaire (15) et la
Cérémonie finale (16).
1. Volume horaire : 2 crédits

2. Titulaire du Cours

NOM : Séraphin KHONDE PHOBA


GRADE : Chef de Travaux avec Master
2

- DISPONIBILITES : Du lundi au samedi de


8H00 à 12H30

3. Son objet d’étude.


L’éducation à la citoyenneté est une
formation complète à laquelle est soumis le jeune
étudiant en vue d’en faire un citoyen responsable.
Introduit dans le programme de l’enseignement
supérieur et universitaire depuis 2003, le cours
d’éducation à la citoyenneté est venu supplanter
celui de « Civisme et développement » jugé
inadapté aux inspirations actuelles de notre
société. En effet, le cours de « civisme et
développement » avait été conçu pour répondre
aux aspirations d’un pays dit sous-développé ; il
s’agissait, en substance, d’une instruction civique
susceptible d’avoir une implication sur le
développement du pays.
3

Le cours d’Education à la citoyenneté quant


à lui, consiste à instruire, à former et à informer
l’étudiant sur ce qu’est le civisme et de lui en faire
comprendre l’importance. C’est dire que, l’étudiant
sera à mesure de se convaincre de la nécessité
d’adopter un comportement civique requis pour un
agir et une participation responsable à la vie de la
cité.

4. Sa finalité ou son but général.


Ce cous a pour but de préparer l’étudiant
d’aujourd’hui, cadre de demain à affronter les
réalités de la vie communautaire par l’intégration
des valeurs morales et civiques aux réalités de la
vie nationale et internationale; préparer
scientifiquement l’étudiant afin qu’il soit en mesure
d’exercer ses responsabilités citoyenne, d’amener
un bon rendement par le travail qu’il va rendre à
son Etat, à sa communauté et à sa société.
4

5. Ses objectifs spécifiques.


Toute éducation civique manque d’être
efficace et rate sa visée si elle oublie de se
donner la claire conscience de vouloir transformer
les consciences et les comportements, de vouloir
rendre les citoyens meilleurs dans leur vie
individuelle et sociale. Ainsi, l’éducation à la
citoyenneté vise à former:
1. Un citoyen autonome, qui comprend et
respecte les lois de son pays, est capable
de se donner des règles et d’adopter des
comportements responsables vis-à-vis de
lui-même, des autres et de l’environnement.
2. Un citoyen capable d’argumenter sur des
thèmes d’actualité, de débattre et de faire
preuve de discernement.
3. Un citoyen conscient des enjeux nationaux
par une éducation à la défense et une
éducation à la paix.
5

4. Un citoyen capable de prendre des


décisions en connaissance de cause, et
d’agir de manière responsable, réfléchie,
localement et mondialement.
5. Un citoyen capable d’adopter une attitude
fondée sur le respect et un comportement
positif face à la diversité sociale, pour
favoriser l’intégration.
6. Un citoyen capable d'Intérioriser pour sa vie
citoyenne, la vertu cardinale qu’est l’amour
de la république, l’amour de son pays,
considéré par Charles Montesquieu comme
le fondement ou encore le pilier de toute
nation qui aspire au progrès.
Prérequis :

L’étudiant doit avoir des notions de


l’éducation civique et morale (ECM) et de la
religion.
6

6. Compétences.
Le cours d’éducation à la citoyenneté
permettra à l’étudiant de porter des jugements sur
les événements de la vie tant nationale
qu’internationale et de partager les valeurs
humaines. Cet enseignement a la vocation de
l’emmener à positiver ses attitudes et son
comportement dans son environnement social, de
s’intégrer aux rouages de la vie politique,
administrative, institutionnelle et économique de
son pays. Les notions de l’éducation civique et
morale, ainsi que celles de religion, aiderons
davantage l’étudiant à intérioriser le présent
cours.

7. Le contenu du cours.
Hormis l’introduction et la conclusion, le
présent cours fera l’objet de cinq chapitres que
voici :
7

Chapitre 1. Considérations générales sur


l’éducation à la citoyenneté. (C’est le savoir)
Chapitre 2. L’Etat et sa mission à travers
l’histoire (C’est le savoir être).
Chapitre 3. La constitution (C’est le savoir-
faire).
Chapitre 4. Le pouvoir politique. (C’est le
savoir-faire faire).
Chapitre 5. Lecture, étude et analyse des
écrits de quelques auteurs (C’est le
savoir devenir).

8. Les stratégies d’intervention ou les


formules pédagogiques.
L’enseignement d’éducation à la
citoyenneté est assuré suivant une approche
interactive et participative, associant les étudiants
aux exposés magistraux de l’enseignant.
L’enseignement théorique sera complété par les
travaux pratiques consistant à analyser certains
8

textes ayant trait à la morale ou au civisme d’un


citoyen. Un support sera rendu disponible.

9. Les approches et natures de l’évaluation.


Les groupes de travaux seront composés
le premier jour du cours et un dossier des textes
obligatoires préparés à l’avance par le Professeur
sera mis à la disposition des étudiants après
l’introduction du cours.
Pour évaluer les étudiants, nous tiendrons
compte de la présence et participation à la
discussion, des travaux individuels, en groupe et
en plénière et de l’examen final.

10. Sa périodicité.
Le cours sera enseigné au premier semestre.

11. Sa plateforme.
Dans le cadre de ce cours, nous avons mis
à la disposition des étudiants quelques sites où ils
9

pouvaient obtenir les informations relatives à cet


enseignement.
1. libgen.io
2. pdfdrive.net
3. Allitebooks.com
4. Bookrix.com
5. Gutemberg.org

12. Horaire hebdomadaire du cours :


Ce cours se donnera du lundi au samedi
de 8 heures à 15 heures.

13. Cadre de la Communication


Psychopédagogique :
Ce cours sera enseigné à l’UKV, plus
précisément dans l’auditoire de G1 Biomed.

14. Bibliographie sommaire

1. Alain de BENOIST, Au-delà des droits de


l’homme, Pour défendre les libertés, Pierre
10

Guillaume de Roux, 2004, réed. Augmentée,


2016.
2. Alexis de TOCQUEVILLE, L’ancien régime
et la révolution, édition originale, 1858, GF-
Flammarion, 2005.
3. Anne-Marie LAULAN et Didier OILLO,
Francophonie et mondialisation, les
essentiels Hermès, CNRS éditions, 2008.
4. ARNPERGER, C. & VAN PARIJS, P.,
Ethique économique et sociale, Paris, la
Découverte, 2003.
5. BONHOEFFER, D., L’Ethique, Genève,
Labor et Fides, 1972.
6. Fédération des Coopératives MICRO (éd),
Entre le bien et le mal, Zurich, Ex Libris,
1971.
7. FRANCISCO, L., Bien vivre sa vie,
Mulhouse Cedex, Grâce et Vérité, 1983.
11

8. Georges BURDEAU, L’Etat, Seuil, « Points


Essais », 2009.
9. Hervé-René MARTIN, La mondialisation
racontée à ceux qui la subissent, 1999.
10. ILUNGA MONGA, Simplice,
Education à la citoyenneté, PUL, Likasi,
2013.
11. J. ADDA, La mondialisation de
l’économie, Vol.1 et Vol.2, La découverte,
Repères, Paris, 1996.
12. Jean-Jacques ROUSSEAU, Le contrat
social, 1762.
13. John LOCKE, Les deux traités du
gouvernement civil, 1690
14. Kä MANA, Changer la République
Démocratique du Congo, Bafoussam,
CIPCRE, 2012.
15. Kä MANA, Réussir l’Afrique, Yaoundé,
Sherpa, 2003
12

16. Marcel MAUSS, La nation, PUF,


Quadrige, 2013.
17. MASANGA MAPONDA, A., Penser et
construire la nouvelle citoyenneté. Vision et
pouvoir, Boma, PUB, 2014.
18. Max WEBER, Economie et société,
édition originale, 1921.
19. MONTESQUIE, De l’esprit des lois,
1748.
20. MULLER, D,.L’éthique protestante
dans la crise de la modernité. Généalogie,
critique, reconstruction, Paris, Cerf/ Genève,
Labor et Fides, 1999.
21. Nicolas MACHIAVEL, Le prince,
ouvrage écrit au début du XVIème siècle, Le
livre de poche, 2000 ;
22. PLATON, La république, ouvrage écrit
au IVème siècle av. J.C.
13

23. Raymond Carré de MALBERG,


Contribution à la théorie générale de l’Etat,
Dalloz, UlanPresse, 2012 ;
24. Samir AMIN, Classe et nation dans
l’histoire et la crise contemporaine, Minuit,
1979.
25. Thomas HOBBES, Léviathan, ouvrage
édité en 1651, Gallimard, 2014
26. TSIBILONDA, A., Ethique et
engagement communautaire. L’homme et sa
destinée, Kananga, éd. Université du Kasï,
2001.
27. VAN PARYS, J.M., Petite introduction
à l’éthique, Kinshasa, Loyola, 1991.
28. WEBER, M., L’Ethique protestante et
l’Esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964.
29. YAWIDI MAYINZAMBI, J.P., Procès
de la société congolaise, Kinshasa, Mabiki,
2008.
14

AUTRES DOCUMENTS

1. Vade-mecum du gestionnaire d’une


institution d’enseignement supérieur et
universitaire, édition de la CPE, Kinshasa,
2020.
2. Guide de l’étudiant, année académique
2020-2021.
3. Instructions académiques n°024
15. Cérémonie finale du cours.
A la fin de cours, le promotionnel se
chargera de faire un discours de remerciements
au professeur au nom de tous les étudiants de
Premier Graduat. Après le discours, une séance
photo sera au rendez-vous entre professeur et
étudiants.
15

CHAPITRE 1. CONSIDERATIONS
GENERALES

Pour bien comprendre la problématique


soulevée par le concept de citoyenneté et pour
bien cerner ses enjeux, il est indispensable de la
situer dans le temps et dans l’espace en revisitant
la mémoire des sociétés antiques et son évolution
historique dans certaines sociétés modernes, la
France et la RDC en l’occurrence.
Ainsi, nous osons croire que la citoyenneté,
telle que vécue dans l’Egypte pharaonique, dans
la Grèce antique, chez les Romains et chez les
Français, nous éclairera davantage dans notre
démarche, en vue de comprendre son évolution.

1.1 Elucidation des concepts de base


L’exercice de la citoyenneté se situe au
carrefour d’appartenances socioculturelles
16

diverses et des valeurs universelles qui fondent


les droits humains. L’éducation à la citoyenneté a
pour but de construire des repères communs
compris et acceptés de tous.
Jouer un rôle dans la société et assumer
des responsabilités implique de construire des
compétences pour comprendre les enjeux de
société actuels qui s’inscrivent dans un système
mondial complexe. Elle fournit à l’étudiant des
moyens pour se situer face à ces enjeux et pour
devenir acteur de la société.
La citoyenneté au sens juridique est un
principe de légitimité juridique. Partant de son
sens étymologique, la citoyenneté, du latin quiris
désigne la lance. Il finira par désigner en latin le
«citoyen» (au pluriel quirites), car la citoyenneté
romaine offrait le privilège de servir dans la militia
(«la milice», « l'armée »), notamment en tant que
17

porteurs de lances et de javelots, Lancearii et


Hastati.
La citoyenneté, c’est la qualité d’un bon
citoyen ou la qualité d’être un citoyen ou membre
d’un Etat, membre conscient et actif d’une société
politiquement organisée. Conscient parce qu’il
appartient à une communauté humaine
déterminée. Actif, parce qu’il doit participer au
maintien de la société et à son évolution.
De manière générale, un citoyen est une
personne qui relève de l'autorité et de la
protection d'un État et par suite, jouit de droits
civiques et a des devoirs envers cet État. Chaque
citoyen exerce à sa façon la citoyenneté telle
qu'elle est établie par les lois et intégrée dans
l'ensemble des mœurs de la société à laquelle il
appartient.
La citoyenneté est aussi une composante
du lien social. C'est, en particulier, l'égalité de
18

droits associée à la citoyenneté qui fonde le lien


social dans la société démocratique moderne. Les
citoyens d'une même nation forment une
communauté politique.
La citoyenneté est intimement liée à la
démocratie. Être citoyen implique que l'on fait
partie d'un corps politique, un État, que l'on a
dans ce corps politique des droits et des devoirs.
C’est pour dire que la définition classique
d’un citoyen c'est-à-dire ‘un fils majeur d’un pays’,
comporte beaucoup de lacunes, car, parmi les fils
majeurs, nous pouvons rencontrer certaines
personnes qui sont privées des droits civiques tels
que le droit de voter ou de se faire voter. Dans
cette catégorie des personnes on peut citer : les
malades mentaux (fous), les condamnés
(prisonniers) et les militaires.
En démocratie, chaque citoyen est
détenteur d'une partie de la souveraineté
19

politique ; c'est donc l'ensemble des citoyens qui,


par l'élection, choisissent les gouvernants.
Le citoyen moderne est le sujet de droits et
de devoirs : droits de l'homme - droits civils -
droits politiques - droits sociaux. Les devoirs sont
accomplis par les citoyens pour le bien de la
collectivité (impôts, service militaire, etc.) et
définis par les lois des pays dans lesquels ils
vivent.
Au regard de ce qui précède, nous pouvons
dire qu’un citoyen est un habitant d’un pays qui
jouit de ses droits civiques et accomplit les
obligations envers sa nation, c'est-à-dire un
habitant privilégié d’un pays.
Comme caractéristiques, le terme citoyen :
1. Est un titre de noblesse. C’est le plus grand
titre que l’homme peut porter dans un pays
2. Est un titre de fierté. Par exemple, le Roi
Louis Philippe se plaisait qu’il soit appelé
20

« Citoyen Roi ». Pendant la deuxième


République, tous nous étions appelés des
citoyennes et de citoyens en lieu et place du
Madame et Monsieur. En tant que tel, on
peut le perdre à tout moment. Il suffit de
devenir malade mentalement ou un
prisonnier pour perdre le titre de citoyen.

Au sens strictement juridique, un citoyen


est un habitant d’un Etat doté d’une législation
destinée à protéger les droits civils et politiques
des individus qui, en retour, ont des obligations à
son encontre : obéir aux lois du pays, contribuer
aux dépenses communes et défendre le pays s’il
venait à être attaqué.
L'expression "Citoyen du monde" qualifie
celui qui proclame son attachement à l'ensemble
de l'humanité, refusant les frontières nationales,
tel les stoïciens. C’est dans cet ordre d’idée que
J.J. Rousseau définira le citoyen comme étant
21

« [...] est un être éminemment politique (la cité)


qui exprime non pas son intérêt individuel mais
l'intérêt général. Cet intérêt général ne se résume
pas à la somme des volontés particulières mais la
dépasse.»

1.2 Bref historique de la citoyenneté

1.2.1 La citoyenneté en Grèce Antique

La Grèce antique est à l'origine de la


citoyenneté moderne grâce à l'invention de la cité
grecque ou « polis ». La politique alors se
développe comme domaine autonome de la vie
collective. La polis est fondée sur l'égalité de tous
les citoyens, mais tout le monde ne peut devenir
citoyen, la cité est fermée ethniquement.

Chez les Grecs, parler de la vie, c’est faire


allusion à la vie dans la cité. Les plus célèbres
cités grecques étaient Athènes et Spartes. Dans
22

chaque Cité-Etat, on trouvait généralement trois


catégories d’habitants.

Nous citons d’abord les citoyens qui


participaient aux décisions de la cité (lois,
guerres, justice, administration), aux débats à
l'agora (place publique), et étaient les seuls à
pouvoir posséder la terre. Ensuite, les métèques
étaient des étrangers habitant la cité sans aucun
droit politique. Enfin, les esclaves quant à eux,
étaient traités comme des choses à la merci des
maîtres, sans aucun droit. Les deux dernières
catégories citées n'existaient qu'à Athènes.

Toutefois, ils devaient respecter certains


critères, comme être de sexe masculin, avoir plus
de dix-huit ans, être libre, être né de père citoyen
et aussi, sous Périclès, de mère fille de citoyen.
Ils étaient également dans l'obligation de faire leur
service militaire (l'éphébie), après quoi ils
devenaient citoyens.
23

1.2.2 En Egypte antique

En Egypte ancienne, du temps d’Alexandre


le grand, la notion de citoyenneté était réservée à
l'élite de la ville, puis avec le temps, elle s'élargira
alors aux habitants de ces cités, bien que les
Égyptiens du quartier de Rakhotis dans
l'Alexandrie antique n'eurent jamais vraiment
accès à ce statut, et la ville était constituée de
quartiers bien délimités qui souvent entrèrent en
conflit, démontrant ainsi l'aspect quelque peu
relatif de la citoyenneté antique.

1.2.3 Chez les Romains :

La structure romaine comprenait quatre


catégories :

- Les patriciens : descendants des premières


familles romaines légendaires (Romulus et
Remis). Ils constituaient une noblesse
jouissant de beaucoup de privilèges et
24

bénéficiaient de tous les droits de l’homme


et tous les civiques.
- Les Plébéiens (classe inférieure),
composaient surtout de marchands et
d’artisans n’ayant pas d’ancêtres communs
et traités avec discrimination par les
patriciens.
- Les Clients étaient souvent des étrangers
comme des Métèques, protégés par un
patron patricien, libre mais dont la situation
économique nécessitait une prise en charge
de celui-ci moyennant exécution des travaux
désignés par le patron protecteur.
- Les Esclaves considérés comme des choses
ou des moins que rien.
Parlant de la citoyenneté, celle-ci diffère
statutairement du citoyen des cités grecques. La
citoyenneté romaine est définie en termes
juridiques, le civisromanus dispose de droits civils
et personnels. Les étrangers peuvent accéder à la
société politique définie en termes juridiques.
25

Pour les Romains, la citoyenneté a une vocation


universelle, sans critères d'origine ethnique.

1.2.4 En France

Le peuple français n’avait pas connu la


liberté et l’égalité avant la Révolution française.
Etre frère signifiait faire partie de la même classe.
A la révolution française, le terme est réutilisé,
s'opposant au terme de sujet. Il instaure alors une
égalité, puisque tout homme peut être appelé
citoyen sans hiérarchisation, contrairement aux
titres de noblesse.
La date du 26 Août 1789 marque un
tournant historique dans la vie du peuple sous
examen. C’est la grande Révolution qui va avoir
des conséquences positives pour l’intérêt
supérieur de tous les Français.
Les faits ci-après en sont des témoignages
éloquents. Désormais :
26

- Tous les français deviennent égaux devant


la loi
- Tous les français deviennent libres et égaux
et jouissent des mêmes droits civiques.
- Le terme citoyen remplace le terme
« Monsieur », jadis réservé exclusivement
aux Individus des classes privilégiées
- La France a une devise : Liberté, Egalité et
Fraternité
- La France a une Constitution écrite
- La France connait la séparation des trois
pouvoirs classiques : législatif, exécutif et
Judiciaire.
27

1.2.5 En République Démocratique du


Congo

La citoyenneté congolaise doit être


examinée et appréciée à travers les dates et les
événements y afférents qui ont marqués et qui
marquent encore l’histoire du peuple congolais
que nous présentons succinctement dans les
lignes qui suivent :
- 1888 : Congo - EIC, une propriété privée du
Roi Léopold II. Les Congolais avaient le
statut d’objets-parlants, ignorés des humains
et sans aucun droit, sauf des devoirs et des
obligations envers le Roi Léopold II.
- 1908 : Congo Belge, le Congo devenait une
colonie et les congolais étaient considérés
comme des sujets du roi des Belges, sans
considération vis-à-vis du colonisateur.
- 1960 : Congo Indépendant et début de la
première République les Congolais
28

devenaient ainsi les citoyens jouissant de


tous les droits et exerçant des devoirs et
obligations envers leur patrie.
- 1965 : Une date qui marque le début de la
2ème République au cours de laquelle le
Congo devint Zaïre. Le peuple zaïrois a
connu une perte considérable de ses droits
suite à un régime dictatorial caractérisé par
des contraintes, des actions tortures,
enlèvement, intimidations et exploitations de
tout genre. Bref, le droit de l’homme et de
citoyen n’existait plus au Zaïre.
- 1997 : (17 Mai) Congo-RDC, c’est
l’avènement de la 3ème République. Le pays
retrouve son nom sous l’appellation de la
RDC pour renverser un régime dictatorial de
plus de 30 ans. Le peuple congolais se
lance ainsi dans la reconquête par la prise
de conscience, de ses droits et l’exercice
29

des devoirs et obligations pour la


reconstruction d’un pays réellement
démocratique.
- 2006 : Organisation des élections libres,
transparentes et démocratiques.
30

CHAPITRE 2 : L’ETAT ET SA MISSION A


TRAVERS L’HISTOIRE

Introduction

Nous signalons d’emblée que l’ouvrage du


Professeur KIMPIANGA MAHANIAH paru sous le
titre : La problématique du développement,
Kinshasa, Presses de l’Université Libre de Luozi,
2007, à partir de la page 89 nous a servi pour la
rédaction des grandes articulations de la première
partie de ce chapitre.
L’Etat, l’autorité publique qu’il exerce sur un
peuple et sur un territoire déterminés et dont
l’origine est lointaine, a connu une évolution tant
dans sa forme que dans sa fonction.
La notion ou le concept d’Etat désigne deux
réalités distinctes : tout d’abord, une communauté
humaine institutionnalisée. Ensuite, un appareil
politico administratif qui la gouverne. Selon Max
31

Weber, l’Etat a une double mission ou


responsabilité : le maintien de l’ordre sur le
territoire étatique grâce à la police et à la justice ;
et la défense du territoire contre les agresseurs
extérieurs grâce à l’armée. Ainsi, l’Etat peut être
défini comme une forme d’organisation politique
caractérisée par le monopole du pouvoir de
contrainte sur un territoire et une population
donnée, d’une part, et par un ensemble de règles
juridiques stables, d’autre part.
Cependant, l’existence d’un Etat dépend de
sa reconnaissance par la communauté
internationale. Or, afin d’avoir cette
reconnaissance, l’Etat, selon le droit international,
doit disposer, au préalable de trois composantes :
un territoire aux frontières délimitées et reconnues
par les autres Etats, une population et des
pouvoirs publics ayant en charge l’administration
du territoire et de la population.
32

Ainsi, nous voulons exposer dans les lignes


qui suivent, d’une part, l’évolution et les mutations
qu’a connues l’Etat à travers l’histoire et d’autre
part, le lien qui existe entre le développement et
l’Etat. Sans l’autorité politique, il n’y a que la loi de
la jungle, la loi du plus fort et du plus malin et il n’y
a pas de développement durable.

Les trois points ci- après constituent


l’ossature de ce chapitre :
1) l’origine de l’autorité politique
2) l’évolution qu’a connue cette autorité
politique à travers l’histoire
3) les composantes et les instruments
essentiels à la construction d’un Etat.

2.1. L’origine de l’Etat

L’Etat, une structure sociale organisatrice


d’une multitude de masse en société, existe d’une
33

forme à une autre depuis que l’être humain est


sorti de l’animalité à la raison, il y a environ 7
millions d’années. Avec la multiplication des êtres
humains, la personne commença à vivre en
groupe organisé : la communauté humaine
institutionnalisée.
Ainsi, la nécessité d’une autorité ou d’un
appareil politico administratif pour gouverner et
gérer le groupe, arbitrer les conflits, protéger les
membres du groupe les uns contre les autres et
contre les étrangers et protéger les avoirs du
groupe.
L’origine lointaine de l’Etat prête à
beaucoup d’interprétation. A ce propos, il
existerait plusieurs pensées, notamment la
pensée gréco- latine, la pensée judéo- chrétienne,
la pensée semito-islamique, la pensée libérale et
la pensée marxiste. Ces pensées ont été
groupées, ici, en trois courant à savoir :
34

- Etat : une donnée de la nature ;


- Etat : une donnée de Dieu ;
- Etat : une donnée humaine.

2.1.1. Etat: une donnée de la nature

Pour les Philosophes grecs dont Platon et


Aristote, l’Etat est une réalité naturelle. L’homme
est par nature un être destiné à vivre en groupe.
L’Etat est une création naturelle, car
l’homme est un animal social qui ne peut vivre et
s’épanouir qu’en communauté. L’Etat est
antérieur à l’humain. Il n’est pas une création de
l’humain. C’est une création de la nature.

2.1.2. Etat: une donnée de Dieu

La pensée juive sur l’origine de l’Etat tourne


autour du concept d’alliance entre Dieu et le
peuple juif. Dieu a conclu une alliance avec le
peuple juif.
35

C’est Dieu qui l’a choisi. L’alliance entre


Dieu et le peuple juif a pris la forme d’un contrat
auquel le peuple élu a librement souscrit mais qui,
une fois conclu, le lie indéfiniment. Ce contrat,
cette alliance qui unit Dieu au peuple juif, doit être
sanctionné. Il en est ainsi lorsque le peuple juif
commet des fautes ou ne remplit pas ses
obligations ; il est alors normal que Dieu le
punisse. A l’inverse, le peuple juif est en droit
d’attendre un soutien et une protection de Dieu
lorsqu’il a exactement rempli les obligations que
les conditions de l’alliance lui imposent. En tant
que peuple élu, les juifs sont directement dans la
main de Dieu, ils dépendent de lui et les loue.
Dans cette perspective, tout pouvoir vient
de Dieu et appartient à lui, et tout dirigeant est
désigné par lui. A titre d’exemple, le leadership
des personnages historiques comme Abraham,
Jacob, Joseph, Moïse, David vient de Dieu lui
36

même. Dieu dicta directement ses lois à Moïse,


lois nécessaires à l’organisation sociale et
religieuse de la nation juive, le peuple de Dieu.
La pensée chrétienne sur l’origine de l’Etat
s’inspire de la pensée juive. Cette pensée a été
explicitée par St. Paul à travers ses interventions.
Elle proclame quatre principes, à savoir :
- Tout pouvoir vient de Dieu, car c’est bien
Dieu qui est le créateur de tout ;
- Les autorités qui exercent ont été instituées
par Dieu (prédestination, providence) ;
- La soumission totale à l’autorité civile, car
celle-ci émane de Dieu ;
- L’existence de deux autorités : la cité de
Dieu et la cité civile (la séparation de ces
deux pouvoirs)
L’enseignement de Jésus-Christ est
explicité dans sa réponse aux
pharisiens : « Rendez à César ce qui est à César
37

et à Dieu ce qui est à Dieu. Mon royaume n’est


pas de ce monde ». Le discours sur l’origine
divine de l’autorité explicité par St Paul à travers
ses écrits sera repris par différents philosophes et
théologiens notamment St Augustin, St Thomas
d’Aquin, Martin Luther et Jean Calvin.
St Augustin, influencé par la doctrine de
l’origine de l’autorité, affirme que tout pouvoir
vient de Dieu et que tout pouvoir provient de Dieu,
aucun humain ne peut avoir un pouvoir sur un
autre humain. Il distingue deux types d’autorité :
l’autorité divine ou la cité de Dieu et l’autorité
terrestre, séculière ou la cité humaine, c’est-à-dire
l’Etat. L’Eglise est le symbole de la cité de Dieu
sur terre pendant que l’Etat est l’incarnation de
l’autorité de Dieu sur terre. Pour St Augustin, la
mission de l’Etat est d’assurer le maintien de la
paix et l’ordre pour permettre aux êtres humains
de vivre une vie qui leur permettra d’entrer dans la
38

cité céleste. La justice est obtenue seulement


quand les êtres humains sont en bonne relation
avec Dieu.
Pour Saint Thomas d’Aquin, les sociétés
humaines ne sont pas des données de la nature
que l’esprit de l’homme s’efforce de comprendre,
mais bien l’œuvre de l’homme qui a établi un
ordre que la nature ne connaît pas. Il estime que
l’exercice du pouvoir est commandé par un quasi-
contrat entre les gouvernants et gouvernés.
Si les citoyens obéissent aux gouvernants
et s’ils leur doivent fidélité ; ceux-ci devront
gouverner pour garantir le bien commun et non
poursuivre leurs intérêts propres. Si les
obligations ne sont pas respectées par l’un des
partenaires, l’autre a la possibilité de ne pas
exécuter lui-même ses obligations. De ce qui
précède, il ressort, aux yeux de Saint Thomas
39

d’Aquin, que l’Etat a trois fonctions à accomplir à


savoir :
- Garantir la bonté des populations ;
- Conduire les populations à la vertu ;
- Protéger les populations des attaques
des ennemis.

Quant à Martin Luther, l’Etat est la


conséquence du péché originel et sans lui,
l’homme aurait pu vivre libre et heureux dans le
monde que Dieu avait créé. Comme l’Etat est la
conséquence du péché, on ne peut pas espérer
qu’il soit bénéfique. Il est simplement
indispensable. Comme Dieu est la source de
toute autorité, il désigne directement ou
indirectement les détenteurs du pouvoir. L’Etat
existe pour satisfaire les besoins naturels
d’organisation de la multitude et afin de rendre un
service à Dieu. C’est dire que l’Etat a une fonction
sociale et divine. Car, il n’organise pas seulement
40

la cité civile, mais protège aussi la cité de Dieu. Il


est le gardien de cette dernière. « Les lois sont
les chaînes et les lieux où l’on empoisonne les
bêtes sauvages ». Martin Luther prêche une
soumission absolue à l’Etat. Cependant, il
propose la séparation de l’Eglise et de l’Etat civil.
Jean Calvin, pour sa part, considère que
toute souveraineté, toute forme de pouvoir vient
de Dieu tant dans la société civile que dans
l’Eglise. Prêchant la prédestination, il estime que
c’est la volonté de Dieu qui commande le destin
personnel de chaque humain, qu’il soit
gouvernant ou gouverné. Ainsi, il prêche la
soumission à l’Etat et à tous les détenteurs du
pouvoir que Dieu a choisis pour commander.
Partisan de la théodicée, Calvin proclame
que c’est le péché des humains qui impose qu’un
Etat soit organisé. Sans Etat, c’est-à-dire sans
justice et sans règle, les humains seraient pires
41

que les bêtes sauvages. L’Etat n’est pas une


donnée de la nature, mais une création divine.
Ainsi, il recommande la soumission et
l’obéissance totale à l’autorité.
Cependant, il y doit exister un contrat entre
le gouvernant et le gouverné. Chacune des
parties au contrat accepte des obligations qui ont
comme contrepartie et justification celles qui
incombent à l’autre partie. Si l’un des contractants
ne remplit pas ses obligations, l’autre peut cesser
d’exécuter les siennes.
Le contrat est une forme de constitution qui
organise le groupe considéré, définit les pouvoirs
des uns et des autres, les conditions de la
désignation des responsables, de la cessation de
leurs fonctions et des sanctions pouvant être
appliquées à ceux qui ne remplissent pas leurs
obligations.
42

2.1.3. L’Etat : Une donnée humaine

Les adeptes qui associent l’origine de l’Etat


à l’action humaine ont été à la base de la
formulation de plusieurs théories sur l’origine
lointaine de l’Etat, dont l’école par nécessité des
choses(l’Etat est né de la situation contre laquelle
l’homme se butait quand la population avait un
accroissement causé par l’amélioration des
conditions de vie), l’école de guerre (les guerres
causées par l’insuffisance de terre ont été à la
base de l’émergence des Etats), l’école des
travaux publics(les grands travaux publics sont à
l’origine de l’émergence des Etats), l’école du
contrat social (à ce sujet lire Jean-Jacques
Rousseau, Thomas Hobbes, John Locke), et
l’école de la contrainte (pour Proudhon, la religion,
la propriété et l’Etat sont les institutions que
l’homme utilise pour dominer son semblable.
Celles-ci ne sont que les incarnations de
43

l’exploitation de l’homme par l’homme et le


gouvernement de l’homme par l’homme et
l’adoration de l’homme par l’homme étroitement
liés).

2.2. Les éléments constitutifs de l’Etat

L’état comporte trois éléments constitutifs à


savoir, une population, un territoire, un pouvoir
s’imposant à la population ou le gouvernement.
Lorsqu’on parle de la population, notons
que celle-ci peut être étudiée sous l’angle
juridique et sous l’angle sociologique.
La population sous l’angle juridique est
définie comme l’ensemble des membres d’une
société politiquement organisée par l’état. Elle
comprend les nationaux, les étrangers et les
personnes étant dans des situations
intermédiaires.
44

Par nationaux, il faut entendre les individus


qui sont unis à l’Etat par un lien de rattachement
et de suggestion désigné sous le nom de la
nationalité. Chaque Etat est libre de déterminer le
système selon lequel sa nationalité sera acquise.
Les étrangers quant à eux, sont des
personnes qui sont sujet d’autres Etats et qui ont
par là des liens avec l’Etat considéré. Ils peuvent
avoir des relations avec un Etat dont ils ne sont
pas les nationaux, en raison soit de leur
puissance, soit de leur installation sur le territoire
de cet Etat, soit des liens qu’ils ont et qui sont
situés sur le territoire de cet Etat.
Parmi les étrangers, il peut exister une
différence de statut. Ainsi, les diplomates
bénéficient de certains privilèges appelés
« immunités diplomatiques » alors que les
étrangers non diplomates ne peuvent avoir que
certains droits.
45

S’agissant des intermédiaires, il sied de


signaler à ce niveau qu’il existe des personnes qui
n’ont aucune nationalité. On les appelle les
« apatrides »
Vue sous l’angle sociologique, la population
s’identifie à la Nation sur le plan sociologique.
C’est pourquoi on dit également qu’elle n’est pas
nécessairement homogène et peut donc être
composée d’une ou plusieurs nations.
Par ailleurs, la Nation est un ensemble
culturel qui peut se définir à partir de deux types
de critères :
1) Objectifs : éléments culturels (langue,
religion, coutume, etc.) ;
2) Subjectifs : la volonté de vivre ensemble.

Il existe ainsi plusieurs conceptions de la


Nation. Mais en général, on les range sous deux
grandes catégories : la conception objective et la
conception subjective.
46

Objectivement, d’après cette conception la


nation est un ensemble culturel qui se définit à
partir des critères objectifs tels que les éléments
culturels (langue, religion, coutume, etc.). Cette
conception a été développée par les juristes
allemands du XXème siècle. Ces juristes qui ont
fondé l’école dite allemande et par certains
Allemands comme A. Rosenberg et A. Hitler.
Pour ces différents auteurs, ce qui
caractérise une nation ce sont les éléments de fait
ci-après : le territoire, la langue, la religion, la
culture et surtout la race.
En réalité cette conception allemande de la
nation est raciste, car la théorie objective de la
nation a été élaborée pour justifier une certaine
politique.
Subjectivement, cette conception repose
essentiellement sur la volonté de vivre ensemble.
Elle a été développée par les auteurs français
47

(Ernest, Remany, Michelet, M. Hauriou et l’Italien


Mancini).
Ernest RENAN a défini la nation comme
une âme, un principe spirituel, une conscience, un
vouloir-vivre collectif. C’est en effet une
communauté de civilisation qui s’est créée au
cours d’une longue histoire commune.
La conception subjective de la nation parait
plus proche de la réalité. En effet, il existe des
nations qui ne forment pas une unité linguistique,
raciale, religieuse, ethnique ou même culturelle.
Exemple : La République de Madagascar et la
Thaïlande forment des nations à travers une
diversité de races et d’éléments ethniques très
poussés.

2.2.1. Le territoire

Le territoire est nécessaire à l’existence de


l’Etat. En effet, une organisation régissant des
48

hommes, mais sans territoire nettement approprié


par elle et par eux, ne peut constituer un Etat.
Le territoire situe ainsi l’Etat dans l’espace
et délimite la sphère d’exercice de ses
compétences. Il sied donc de s’y atteler en
examinant de façon rapide la notion, le rôle du
territoire du territoire, les théories sur le rôle du
territoire dans l’Etat et la nature juridique du
territoire.
Par définition, le territoire, appelé aussi
« assise territoriale » est l’ensemble spatial
(délimité par des frontières) sur lequel s’exercent
les prérogatives de l’Etat.
Dans le langage juridique, le territoire d’un
Etat comprend une portion de la surface terrestre,
l’espace aérien qui surplombe cette portion de la
surface terrestre et le sous-sol. Il faut également
ajouter, pour les Etat côtiers, la bande de la mer
adjacente appelée « mer territoriale ».
49

La notion de territoire est romaine. A Rome,


le « territoire » c’est la surface géographique sur
laquelle s’exerçait la plus grande puissance : la
force armée en temps de guerre, le pouvoir du
Magistrat civil, la paix revenue.
Vu dans cette perspective, nous disons
sans crainte d’être contredit que le territoire est
donc, une donnée d’ordre géographique.
Pour ce qui est de son rôle, le territoire,
élément important dans la constitution de l’Etat,
exerce plusieurs fonctions, notamment :
1. Le territoire délimite le groupe grâce aux
frontières
2. Le territoire est un cadre de compétence
3. Le territoire est aussi un moyen d’action
de l’Etat.
50

2.2.2. Le fondement de l’Etat

Le fondement de l’Etat, c'est-à-dire sa


formation, sa naissance, ou ses origines pose un
problème difficile qui ne cesse d’opposer les
auteurs.
On distingue deux sortes de fondement de
l’Etat : le fondement juridique de l’Etat et le
fondement extra juridique de l’Etat.
Les auteurs qui soutiennent la thèse du
fondement juridique de l’Etat, pensent que l’Etat
est une formation politique voulue et réalisée
consciemment ; l’affectation du pouvoir à une
entité et non à des hommes déterminés étant le
résultat d’une action délivrée et marquant du
reste, un progrès qualitatif évident par rapport aux
formations naturelles : clans, tribus, ou nation.
Les auteurs qui soutiennent cette thèse du
Fondement Extra juridique de l’Etat estiment que
l’Etat naît en dehors du droit. Ils considèrent que
51

la formation des Etats est le résultat tantôt de la


conquête, tantôt de l’hétérogénéité culturelle dans
une aire géographique d’une certaine étendue,
tantôt des tensions politiques entre tribus ou gens
antiques et vivant, primitivement, en bonne
intelligence.

2.2.3. Les formes de l’Etat

Il ne faut pas confondre la forme de l’Etat


avec la forme de gouvernement.
La forme de l’Etat vise la consistance du
pouvoir dont l’Etat est le titulaire. La forme du
gouvernement, au contraire, est déterminée par la
manière dont sont désignés les agents d’exercice
de ce pouvoir, et par la façon dont il est mis en
œuvre.
En ce qui concerne la forme de l’Etat elle-
même, elle peut être envisagée à deux points de
vue différents, l’un politique, l’autre juridique.
52

Du point de vue politique, un Etat peut être


totalitaire. Il peut être défini comme le système
politique à parti unique, n’admettant aucune
opposition organisée, dans lequel le pouvoir
politique dirige souverainement et même tend à
confisquer la totalité des activités de la société
qu’il domine.
En d’autres termes, le pouvoir central est
l’unique et la seule autorité. Il n’y existe qu’un seul
centre d’impulsion politique et gouvernementale
comme le dit Georges Bourdieu.
Tous les organismes officiels du niveau
régional et local émanent directement des
institutions nationales. L’autorité qui est unique,
peut souverainement décider, selon sa vision des
réalités nationales, de modifier ou de supprimer
ces structures nationales et locales ainsi que les
lois et règlements qui les régissent. C’est dans ce
même ordre d’idée que Benito Mussolini définira
53

l’Etat totalitaire pertinemment en ces termes


précis et concis quand il dit : « Rien en dehors de
l’Etat. Rien n’est contre l’Etat. Tout dans l’Etat ».
L’Etat totalitaire impose donc le monisme
idéologique.
Selon Michalon, la structuration unitaire
adoptée par la plupart des pays d’Afrique noire
francophone est héritée de la forme d’organisation
politique de leurs anciennes puissances
colonisatrices (la France et la Belgique).
Cet héritage colonial fut consolidé par les
coups d’Etat militaires. Des militaires devenus
policiers, comme accident, ont cru nécessaire
d’imposer la forme unitaire (conforme au principe
d’unicité de commandement prôné dans l’armée)
aux Etats africains dans l’intention, apparemment
noble, de contrecarrer les désordres politiques et
d’assumer la paix sociale.
54

Toujours du point de vue politique, l’Etat


peut aussi être fédéral qui est cette forme dans
lequel il existe deux titulaires de l’autorité. Celle-ci
est détenue à la fois par des institutions politiques
nationales qui ont à s’occuper des affaires ou des
problèmes relatifs à l’ensemble du territoire
fédéral, et par les entités politiques régionales
(provinces) qui, tout en gardant une certaine
indépendance dans la gestion des affaires
législatives, judiciaires et administratives à leurs
niveaux, participent néanmoins à l’élaboration des
décisions qui organisent l’ensemble de la
fédération. Il y a donc deux instances : celle
chargée de gérer les affaires nationales (l’Etat
fédéral) et celle chargée des affaires provinciales
(l’Etat fédéré).
La constitution nationale réserve
généralement à l’Etat fédéral les fonctions des
affaires étrangères, de la diplomatie, de la
55

monnaie, des impôts, de la sécurité, de l’armée.


En plus des unités fédérées ou provinciales de la
police, il peut y avoir une police nationale. Les
Etats fédérés s’occupent de l’administration du
territoire, de l’éducation, de la fonction publique,
etc., suivant les matières que la constitution
nationale détermine. Entre l’Etat fédéral et ses
Etats fédérés, il y a inévitablement des matières
concurrentes.
Exemple : Etats-Unis ; le Canada, le Mexique, le
Brésil, l’Argentine, l’Autriche, la Suisse, etc.
Vu sous l’angle juridique, l’Etat unitaire se
définit comme celui qui ne possède qu’un seul
centre d’impulsion politique et gouvernementale.
L’Etat unitaire peut être centralisé ou
décentralisé mais il détient toujours la totalité des
compétences étatiques. La décentralisation
permet à l’Etat unitaire de reconnaître à certaines
personnes morales inférieures une certaine
56

autonomie, mais ce n’est jamais qu’une


reconnaissance précaire perpétuellement
révocable émanant de sa seule volonté.
Cette centralisation connaît deux
modalités : la Déconcentration et La
Concentration.
Dans un Etat ainsi construit, on trouve
toujours une organisation administrative régionale
ou locale, mais il ne s’agit pas de collectivités
autonomes. Cette administration est constituée
par des agents de l’Etat nommés
discrétionnairement par lui, révocables à tout
moment et entièrement soumis à ses ordres.
L’Etat unitaire concentré, c’est celui où il
n’existe aucune autorité de décision nommée par
l’Etat au niveau local. Selon cette formule, ne
peuvent être tolérés que les exécutants.
57

CHAPITRE 3 : LA CONSTITUTION

Sans avoir la prétention de transformer ce


cours en Droit constitutionnel, le présent chapitre
veut donner à l’étudiant quelques éléments
essentiels concernant la constitution.

3.1. Les conceptions de la constitution

On distingue deux conceptions de la


constitution à savoir : la conception juridique et la
conception politique. Selon cette dernière, la
constitution est une forme d’organisation politique
qui garantie les libertés individuelles en traçant
des limites à l’autorité des gouvernants. Par
ailleurs, vu sous l’angle juridique, la constitution
est comprise comme un ensemble de règles
relatives au mode de désignation des
gouvernants, à l’organisation et au
58

fonctionnement du pouvoir politique. Elle est le


canal par lequel le pouvoir passe de son titulaire.
Quant à ce qui est de la notion de la
constitution, deux points essentiels méritent d’être
retenus à savoir: la nature et les formes. Nous
intégrerons aussi dans l’avenir l’aspect relatif au
contenu de la constitution.
Une constitution connaît deux natures à
savoir : le sens matériel et le sens formel. Parlant
du sens matériel, ici, la constitution est considérée
comme un ensemble de normes juridiques
régissant le fonctionnement des pouvoirs publics.
De par son sens formel, on entend par
constitution, le document qui réglemente les
institutions et qui ne peut être élaboré ou modifié
que selon une procédure différente des autres
formes d’établissement des règles de droit.
Pour ce qui est de la forme, on distingue
principalement deux formes de constitutions : la
59

constitution écrite et la constitution coutumière.


On parle de la constitution coutumière lorsque
l’organisation de l’Etat résulte de pratiques, de
traditions consacrées par l’usage et considérées
comme ayant force juridique. L’Angleterre est le
prototype de la constitution coutumière. Par
contre, la constitution est dite écrite lorsque les
règles relatives au gouvernement et à l’Etat sont
rassemblées dans un document, un texte
fondamental.

3.2. La suprématie de la constitution

Les règles constitutionnelles constituent le


sommet de la pyramide juridique. Cela signifie
que toutes les lois, ordonnances, décrets, arrêtés
et décisions administratives quelconques lui sont
soumises. De plus, la constitution est au-dessus
des gouvernants.
60

Sa suprématie est soit matérielle ou


formelle. Elle est matérielle du fait qu’elle organise
des compétences. De ce fait, elle est
nécessairement supérieure aux autorités qui en
sont investies. Elle est formelle lorsque les règles
constitutionnelles ne peuvent être élaborées ou
modifiées que dans des conditions et suivant des
procédures spéciales qui sont plus strictes que
celles qui sont prévues pour l’élaboration et pour
la modification des lois ordinaires.
Du point de vue de la suprématie formelle
de la constitution, on distingue : les constitutions
rigides et les constitutions souples. Une
constitution est dite rigide lorsqu’elle est dotée
d’une certaine immutabilité du fait des procédures
particulières dont l’observation est requise pour sa
modification. Elle est dite souple lorsqu’une forme
spéciale n’est prévue pour sa révision et cela
sans tenir compte qu’elle est écrite ou coutumière.
61

3.3. L’élaboration, la révision et la garantie du


respect de la constitution

En théorie, le pouvoir constituant, c’est-à-


dire, le pouvoir d’édicter des normes juridiques
régissant le fonctionnement des pouvoirs publics,
est censé émaner du souverain primaire. En
réalité, le pouvoir constituant « appartient à la
force politique organisée capable d’imposer à la
collectivité le type d’organisation politique et social
qui lui paraît désirable»(Georges Bourdieu), le
corps électoral n’intervenant que pour ratifier son
choix.
Notons que l’élaboration d’une constitution
est en réalité une entreprise complexe qui, par sa
technicité, exige le concours des spécialistes.
Quant à sa révision, le pouvoir constituant est
l’autorité désignée par la constitution elle-même
pour modifier le texte constitutionnel.
62

S’agissant de la garantie de son respect ;


placée au sommet de la pyramide juridique, la
constitution s’impose théoriquement à tous les
organes de l’Etat. Cependant, le principe risque
de ne pas être respecté si un véritable contrôle de
la constitutionnalité n’est pas organisé.
La constitution représente bien la norme
dernière de toute la construction juridique et
administrative. Il doit donc exister un contrôle des
décisions des gouvernants en vue de garantir le
respect à la constitution. Ce contrôle ne peut être
exercé par un organe politique qui serait à la fois
juge et partie. C’est le pouvoir judiciaire qui est
l’instance de la constitutionnalité de toute l’autorité
politique.

3.4. Regard sur les constitutions de la RD


Congo
63

Notre pays a connu plusieurs constitutions.


Ces dernières se présentent chronologiquement
de la manière suivante :
- Etat indépendant du Congo (E.I.C) : 1885-
1908 : L’E.I.C n’avait pas de constitution. Le
Roi Souverain (Léopold II) disposait de tout
par Décrets.
- La charte coloniale 1908-1960 : Le Congo-
Belge était régi par ce qu’on appela la
Charte Coloniale qui était une loi belge du
18 octobre 1908. Cette charte était coloniale
parce que les autorités supérieures étaient
étrangères et parce qu’elle ne reconnaissait
pas les mêmes droits aux nationaux et aux
étrangers.
- La loi fondamentale de 1960 : On appela Loi
fondamentale, la loi belge du 19 mai 1960
qui servit de base pour la mise en place des
64

institutions de souveraineté au moment de la


proclamation de l’Indépendance.

Il sied de signaler que cette constitution


n’avait pas bien défini le pouvoir entre le
Président et le Premier Ministre. Par exemple,
l’article 17 déclarait que « le pouvoir exécutif…
appartenait au Chef de l’Etat sous contreseing du
Ministre responsable » ; alors que l’article 36
stipulait que « la conduite de la politique de l’Etat
est attribuée au Premier Ministre ».
En réalité, les deux types de problèmes
constitutionnels étaient laissés sans solution dans
la loi Fondamentale :
1. Aucun autre principe que la reconnaissance
provisoire des six provinces de la période
coloniale n’était posée pour l’organisation
territoriale pourtant fortement contestée ;
2. Aucune procédure n’était non plus définie
pour la répartition effective des ressources
65

financières entre le pouvoir central et les


provinces.
- La constitution de 1964, dite de
LULUABOURG : La constitution de 1964 est
la première à avoir proposé une définition de
la nationalité congolaise, « attribuée, à la
date du 30 juin 1960, toute personne dont
un des ascendants est ou a été membre
d’une tribu ou une partie de tribu établie sur
le territoire du Congo avant le 18 octobre
1908 ».
- La constitution de la 2ème République 1967 :
La constitution du 24 juin 1967 fut adoptée
par référendum. Elle détermine qu’il ne peut
être créé plus de deux partis politiques dans
la République (article 4).
- La constitution de la conférence Nationale
de 1991 : A titre d’information, la Conférence
Nationale Souveraine (CNS) a élaboré une
66

constitution du type fédéral.


Malheureusement, cette dernière n’a été ni
officiellement diffusée ni soumise au
référendum.

La Conférence Nationale a été ouverte le


07/O8/1991 par le 1er Ministre Crispin MULUMBA
LUKOJI après plusieurs reports. D’abord présidée
par le Doyen d’âge, KALONJI MUTAMBAYI puis
par Mgr. MOSENGWO, cette conférence a élu un
1er Ministre en la personne d’Etienne
TSHISEKEDI WA MULUMBA.
Les objectifs principaux de la C.N.S
étaient :
- La rédaction d’une nouvelle constitution
basée sur les principes démocratiques et
des droits de l’homme ;
- La préparation du calendrier électoral pour
la mise en place de la 3ème République ;
- La reconciliation nationale.
67

La constitution provisoire de 1997 : Quelques


dates et événements méritent d’être rappelés
notamment :

Prise de Kinshasa par les forces


armées de l’AFDL.
Proclamation de la République
17 mai
Démocratique du Congo.
1997
Prise de pouvoir par S.E Laurent Désiré
Kabila en qualité de Président de la
R.D.C
Investiture de S.E Laurent Désiré Kabila
par la C.S.J
29 mai Suspension de la constitution de la 2e
1997 République
Le Président de la République légifère
par décrets
68

La constitution de la Transition 2003 : les


quelques dates et événements ci- après méritent
d’être retenus.

16
Assassinat du Président Laurent Désiré
janvier
KABILA
2001
Prestation de serment de S.E Joseph
21
Kabila en qualité de Président de la
janvier
R.D.C et investiture du Président par la
2001
C.S.J
Le 4 Promulgation de la constitution de la
avril transition issue de l’accord global et
2003 inclusif de Sun City

La constitution de la 3ème République (18 février


2006) : compilé en 229 articles, cette constitution
fut adoptée au référendum du 18 et 19 décembre
2005 et promulguée le 18 février 2006.
En plus de l’exposé des motifs, cette
constitution s’articule pour l’essentiel autour des
idées suivantes en rapport avec l’Etat de
69

souveraineté, les droits humains, des libertés


fondamentales et des devoirs du citoyen et de
l’Etat, de l’organisation et de l’exercice du
pouvoir et de la révision constitutionnelle.
Chapitre 4 : LE POUVOIR POLITIQUE

4.1 Définition, statut et mode d’acquisition


du pouvoir

Le pouvoir politique est celui exercé dans


une collectivité étatique par un groupe d’individus
et permet à ces derniers de commander les
autres et de décider pour et au nom de cette
collectivité d’une manière exclusive et impérative.
Exemple : Du Gouverneur jusqu’aux Chefs
coutumiers, tous exercent le pouvoir Politique.
Dans toute société moderne, le pouvoir
politique n’est pas libre ; il est réglementé par un
certain nombre des procédures et soumis à un
cadre juridique appelé la Constitution. Celle-ci est
la source de légitimité du pouvoir.
70

Concernant le mode d’acquisition du


pouvoir politique, il faut comprendre qu’on ne naît
pas détenteur du pouvoir Politique mais on le
devient, c’est-à-dire on l’obtient ou on l’acquiert de
plusieurs manières regroupées en deux modes à
savoir : Choix non démocratique ou dictatorial et
Choix démocratique.
Parmi les choix non démocratique, nous
avons : l’hérédité, qui est un mode par lequel le
pouvoir se lègue à un individu comme un bien
patrimonial. Il peut être patrilinéaire ou
matrilinéaire. Cas des monarchies : Grande
Bretagne, Japon, Pays-Bas, Maroc, etc.
La cooptation est aussi un mode qui exige
qu’on désigne le nouveau détenteur du pouvoir
par son prédécesseur (le sortant). L’exemple du
Sénégal en est un cas éloquent : SEDAR
SENGHOR avec Abdou DIOUF.
71

La nomination constitue le troisième mode


non démocratique d’accession au pouvoir. Il est
dictatorial lorsqu’elle se fait en dehors de la
constitution. C’est le fait que les gouvernants
subalternes soient désignés par les gouvernants
supérieurs.
Exemple :
- le Président nomme les Ministre & P.D.G par
ordonnance-loi ou décret-loi.
- Le Ministre nomme les Directeurs Généraux
par Arrêté Ministériel
- Le Directeur nomme les agents par
Décision.

4.2 La Conquête.

C’est le quatrième et le dernier mode qui


consiste dans la prise et dans l’exercice du
pouvoir politique par la force sous deux formes :
la révolution ou le coup d’état.
72

- La révolution est un soulèvement populaire


brusque pour renverser le régime en place
et changer la situation. (Le cas le plus récent
est celui qui vient de se passer au Burkina
Faso avec la déchéance du Président Blaise
Compaoré)
- Le coup d’Etat est un acte des militaires qui
cessent d’obéir au régime en place et luttent
pour conquérir le pouvoir publique.

Pour ce qui est du choix démocratique, il


reste la seule manière d’acquérir
démocratiquement le pouvoir politique. C’est
l’élection ou le suffrage universel. C’est la manière
par laquelle les gouvernants sont librement
choisis par les gouvernés.
Il y a plusieurs formes d’élections à
savoir :
73

- Le système majoritaire qui est une forme


d’élection où le candidat élu doit obtenir la
majorité des voix exprimées.
Il existe deux sortes des systèmes
majoritaires :
 le système majoritaire à un tour : le candidat
élu doit obtenir le plus grand nombre des
voix, c’est-à-dire la majorité simple
 Le système majoritaire à deux tours : le
candidat élu doit obtenir la moitié des voix
plus une voix (50% +1), c’est la majorité
absolue.
Dans le choix démocratique on reconnaît
aussi la représentation proportionnelle comme
mode. C’est une forme d’élection qui garantie le
représentant des entités au prorata des voix
exprimées dans chaque entité ou groupe.
N.B : la détermination du nombre des
représentants par entité passe par le quotient
électoral (Q.E).
Exemple : une liste de 1.000 voix aura droit à
10 députés.
74

Il y a lieu de souligner également le


consensus qui est une forme d’élection qui
consiste à trouver un compromis entre deux ou
plusieurs groupements politiques ou autres après
avoir équipé toutes les voix électorales.

4. 3Modes de répartition du pouvoir politique


ou régimes politiques

Le régime politique est un ensemble


d’institutions coordonnées avec toutes
compétences ou avec limitation des
compétences. Il s’appuie et s’extériorise sur le
gouvernement c’est-à-dire, il est perçu à travers le
fonctionnement du gouvernement.
Le régime politique est permanent tandis
que le gouvernement est éphémère ; mais dans
les pays en voie de développement, la plupart des
régimes politiques disparaissent en même temps
75

que le gouvernement, car ils sont conçus à


l’image des hommes au pouvoir.

4.4 Le régime présidentiel

C’est un régime de séparation des pouvoirs


classiques : législatif (légifère), exécutif
(gouverne) et judiciaire (juge). Le président de la
République est le Chef de l’Etat et du
gouvernement. Il est secondé par un Vice-
président. Il détermine et conduit la politique de la
Nation. Il est le Commandant en chef des forces
armées. Il dirige la politique extérieure et signe les
accords. Il nomme les hauts fonctionnaires de
l’armée, de l’administration, de la justice et des
services publics.
Dans ces rapports avec le parlement, le
Président de la République s’adresse à ce dernier
dans un discours de politique générale (bilan ou
programme) ; il peut convoquer une cession
76

spéciale du parlement, il partage avec le


Parlement le pouvoir de voter les lois et exerce le
droit de veto.
Pour éviter les abus et l’arbitraire du
Président, la constitution a prévu des freins et des
contrepoids à savoir :
1. La limitation du mandat à une courte durée
(1à 4 ans)
2. Le droit d’approbation des membres du
gouvernement par le parlement.

4.4.1. Régime semi-présidentiel (France)

C’est aussi un régime de séparation des


pouvoirs classiques. Le Chef de l’Etat est élu au
suffrage universel direct à deux tours. Il est
secondé par un Premier Ministre. Ce dernier est
nommé par le Chef de l’Etat qui s’inspire de la
majorité parlementaire. Le Premier Ministre est
77

politiquement responsable devant le Président de


la République et devant le Parlement.

4.4.2. Régime parlementaire

C’est un régime de collaboration des


pouvoirs : le Président de la République, le
Premier Ministre et le Parlement collaborent et
entretiennent des actions réciproques en dépit de
leurs fonctions spécifiques.
Ce régime fonctionne également sur un
mode du gouvernement fondé sur la majorité
parlementaire.
Le régime Parlementaire est caractérisé
par :
- Le dualisme de l’exécutif : le gouvernement
est dirigé par le Président et le Premier
Ministre.
- L’effacement du Chef de l’Etat : le Président
joue un rôle symbolique et honorifique.
78

C’est-à-dire il règne mais ne gouverne pas.


Toutes les décisions importantes sont prises
par le gouvernement. Le Premier Ministre
est responsable devant le Parlement.
- L’équilibre des pouvoirs entre le
gouvernement et le Parlement :
Le Parlement peut révoquer le gouvernement et
vice-versa. Le gouvernement initie le projet des
lois et applique les lois votées par le Parlement.
Bref, dans un régime parlementaire, le
Premier Ministre est le pivot principal du pouvoir.
Il exerce ce pouvoir conformément à la politique
générale du parti ou du groupe majoritaire au
Parlement.
En effet, dans un contexte du régime
monarchique, à l’instar du Maroc, Angleterre,
Belgique, Japon, le gouvernement est dirigé par
un roi ou un empereur. Il a un caractère
79

héréditaire et la position du pouvoir se fait selon la


loi dynastique et de façon automatique.
Dans le temps, la monarchie était absolue :
le pouvoir du monarque n’était pas contrôlé par
aucun organe et sans aucun cadre juridique. Mais
aujourd’hui, la monarchie est constitutionnelle,
l’autorité du Roi est limitée par la constitution.

4.5 Moyens d’actions au service du pouvoir


politique.

Il s’agit ici des instruments qu’utilisent les


autorités politiques pour asseoir leur pouvoir et
sécuriser la population. Les moyens les plus
utilisés sont les suivants :
- La force politique : elle est constituée de
l’armée, la Police, les cours et tribunaux, les
conventions et accords signés entre les
Etats. Ce moyen consiste à établir l’ordre
80

public et la sécurité des personnes et de


leurs biens.
- La ruse : elle est une flatterie ou une
démagogie pour séduire, convaincre et
gagner la confiance de la population et
obtenir son appui ou son adhésion. Elle est
plus utilisée lors des campagnes électorales,
en espionnage et dans les services de
renseignements.
- Le camouflage : C’est une dissimulation et
une tactique pour faire croire. Ce moyen
consiste à cacher le motif réel derrière le
faux dans le but de détourner l’attention de
la population ou la distraire. L’intérêt
personnel et égoïste des autorités politiques
estla principale préoccupation.
Exemple : les fausses arrestations et les fausses
tentatives de coups d’Etat.
81

- Le mass média (la presse) : c’est un moyen


qui consiste à véhiculer les informations et
les actions des autorités politiques en vue
d’amener la population à adopter leurs
programmes dans les différents domaines.
N.B : Dans un régime dictatorial, le pouvoir
confisque tous les moyens d’information pour
avoir le monopole des informations et éviter des
contre-vérités ou des critiques et se maintenir au
pouvoir.
En régime démocratique, il y a libéralisation
des tous les moyens d’informations et permission
aux opposants de véhiculer leurs messages et
conquérir le pouvoir.
82

Chapitre 5: Analyse des textes de la


transformation sociale

1.1. Comprendre le monde dans lequel


nous vivons
Auteurs à lire : Matthieu Ricard, d’Edgar
Morin, Frédéric Lenoir,

1.1.1. De l’éducation comme clé de


l’avenir : deux histoires

Les deux histoires par lesquelles nous


commençons cette réflexion de la transformation
sociale, nous les tirons du livre du moine
bouddhiste français Matthieu Ricard : Plaidoyer
pour l’altruisme, La force de la bienveillance.
Matthieu Ricard est un scientifique, spécialiste
83

des neurosciences. Il est aussi l’une des autorités


morales et spirituelles de première grandeur,
plongé dans la profonde tradition bouddhiste qu’il
a maîtrisée auprès des grands maîtres tibétains,
notamment du Dalaï Lama dont il est l’interprète
le plus écouté en France et en Occident.

Il allie ainsi en lui la puissante rationalité


scientifique du monde occidental et le souffle des
richesses de l’Orient. Son œuvre devrait
constituer pour la jeunesse congolaise et africaine
une précieuse source d’inspiration dans les
aspirations de nos peuples pour un autre monde
possible, cet horizon au nom duquel il convient de
penser l’articulation féconde entre la citoyenneté
mondiale et le respect des identités des terroirs.
Pour Matthieu Ricard, l’avènement d’un tel
horizon de civilisation dépendra de l’éducation à
84

la responsabilité et à l’altruisme comme nouvel


esprit.

TEXTE

La première histoire que nous tirons du livre


de Matthieu Ricard est un fait historique bien
connu : celui des sauveteurs des Juifs pendant la
deuxième guerre mondiale.

« Six millions de Juifs, 60 pour cent de ceux


vivant en Europe, furent exterminés par les nazis.
Selon Samuel et Pearl Oliner, le nombre des
sauveteurs qui non seulement ont aidé mais aussi
risqué leur vie, sans aucune compensation,
s’élèverait à environ 50 000.
Un grand nombre de ces sauveteurs ne
seront jamais connus et bien d’autres ont péri
pour avoir porté assistance aux Juifs, acte qui
était passible de la peine de mort en Allemagne,
en Pologne et en France, notamment.
85

L’organisation YadVashem a rassemble les noms


de 6000 sauveteurs dont les hauts faits leur ont
été signalés par ceux qui leur devaient la vie.
Selon les Oliner, si on compare ces Justes
à un échantillon de personnes ayant vécu à la
même époque dans les mêmes régions, mais qui
ne sont pas intervenues en faveur des opprimés,
on constate que nombre de sauveteurs avaient
reçu une éducation fondée sur le souci de l’autre
et sur les valeurs transcendant l’égoïsme.1 »

La deuxième histoire est un récit de


sagesse concernant un vieil homme amérindien
qui parle à son petit-fils :

« Une lutte impitoyable se déroule en nous,


dit-il à son petit-fils, une lutte entre deux loups
L’un est mauvais – il est haine, avidité, arrogance,
jalousie, rancune, égoïsme et mensonge. L’autre

1 Matthieu Ricard, Plaidoyer pour l’altruisme, La force de la bienveillance, Paris,


Editions Nil, 2013, p. 132
86

est bon – il est amour, patience, générosité,


humilité, pardon, bienveillance et droiture. Ces
deux loups se battent en toi comme en tous les
hommes. » L’enfant réfléchit un instant, puis
demanda : « Lequel des deux loups va gagner ? »
« Celui que tu nourris », répondit le grand-père2.

INDICATION POUR LE TRAVAIL

Les étudiants doivent pouvoir, pendant le


moment de la discussion autour de deux histoires,
comprendre deux vérités essentielles :
1. l’avenir du monde, de l’Afrique et du Congo
dépend des valeurs qu’ils choisissent de
vivre en vue d’un autre monde possible ;
2. Ce monde ne tombe pas du ciel, il faut lutter
soi-même et dans la société contre les
forces, les puissances et les énergies qui
bloquent et empêchent son avènement.

2
Ibidem
87

3. Comment entreprendre cette lutte ?

5.1.2. De la mondialisation à la
globalisation

De l’auteur du texte que nous proposons


ici, Edgar Morin, on doit affirmer, à l’africaine :
c’est un baobab. Un vrai, un puissant et
indomptable. L’image veut dire qu’il est l’un des
grands hommes de notre temps, qui a
révolutionné nos modes de pensées, nos
conceptions de la connaissance, nos pratiques
des sciences et notre vision de la réalité.
Connu pour être le concepteur de la théorie
de la pensée complexe, qui met ensemble
d’innombrables champs des savoirs et dé-
compartimente ainsi nos approches du réel, il
aboutit à une éthique de l’espérance et de l’amour
dans un monde sans perspective de grand sens :
une éthique du courage d’être ensemble dans une
88

situation générale de perdition. Nous avons


décidé de reprendre ici sa présentation de la
mondialisation et de la globalisation pour que
toute éducation à la citoyenneté et au leadership
s’enracine dans les problèmes liés aujourd’hui à
cette distinction indispensable.

TEXTE

Le processus de mondialisation a
commencé à la fin du XVe siècle avec la conquête
des Amériques et la circumnavigation de Fernao
de Magalhaes (Magellan).
Dès les années 60-70 du XXe siècle,
chaque individu du monde dit développé porte en
lui, sans en être conscient, la présence du tout-
planétaire. Il prend le matin un café sud-américain
89

ou un thé asiatique, sort de son réfrigérateur


allemand des fruits exotiques, enfile son tricot en
coton d’Egypte ou d’Inde, ouvre sa radio
japonaise pour écouter les nouvelles
internationales, endosse son costume de laine
d’Australie tissé à Manchester, conduit sa voiture
coréenne en écoutant un air de flamenco sur son
iphone californien. Il peut voir des films
américains, japonais, chinois, mexicains,
africains. Il assiste à un opéra italien où la diva est
afro-américaine, l’orchestre dirigé par un chef
japonais. Il soupe ensuite éventuellement de chili
con carne ou de riz cantonais.
Le miséreux des bidonvilles d’Afrique ou
d’Amérique du Sud a été chassé de sa terre par la
monoculture industrialisée importé d’Occident, il
porte un tee-shirt pourvu d’une inscription
américaine, vit des rebuts de la civilisation
occidentale qu’il bricole.
90

La globalisation est le stade actuel de la


mondialisation. Elle commence en 1989 après
l’effondrement des économies dites socialistes.
Elle est le fruit de la conjonction en boucle
rétroactive de l’essor effréné du capitalisme qui,
sous l’égide du néo-libéralisme, déferle sur les
cinq continents et l’essor d’un réseau de
télécommunications instantanées (fax, téléphone
portable, Internet). Cette conjonction effectue
l’unification techno-économique de la planète.
Suite à l’implosion de l’URSS et à la
déconfiture du maoïsme, la globalisation a
comporté une vague démocratisante en diverses
nations, une valorisation des droits de l’homme et
des droits de la femme dont les résultats
demeurent incertains, limités, voire combattus.
Elle a également comporté trois processus
culturels à la fois concurrents et antagonistes :
d’une part, un processus d’homogénéisation et de
91

standardisation selon les modèles nord-


américains ; d’autre part, un contre-processus de
résistances et de refloraisons de métissages
culturels.
Enfin la globalisation a produit l’infra-texture
d’une société-monde. Une société requiert un
territoire comportant de permanentes et
innombrables intercommunications – c’est ce qui
est advenu à la planète ; elle nécessite sa propre
économie – c’est le cas de l’économie
mondialisée ; mais une société doit contrôler son
économie, et ce contrôle ici fait défaut ; il manque
également les autorités légitimes dotées de
pouvoirs de décision ; absente aussi est la
conscience d’une communauté de destin
indispensable pour que cette société devienne
Terre-Patrie.3

3
Edgar Morin, La voie pour l’avenir de l’humanité, Paris, Pluriel, 2012.
92

INDICATIONS POUR LES CONNAISSANCES


ET LA DISCUSSION

Comme professeur du cours de l’éducation


à la citoyenneté nous considérons ce texte
comme capital pour la connaissance du monde
dans lequel nous vivons : ses structures, ses
valeurs, ses dynamiques de fond, ses risques,
ses pathologies et ses opportunités d’avenir.
Les étudiants doivent pouvoir à la fois :
1. s’informer sur toutes les références
historiques contenues dans ce texte, depuis
Magellan jusqu’à l’effondrement de l’Empire
soviétique, pour savoir dans quel sol
historique notre monde s’enracine ;
2. décrire ce monde tel qu’il est et les
problèmes qu’il pose aux peuples et aux
civilisations ;
3. débattre sur ses possibilités d’avenir et sur
les exigences de changement qu’il impose ;
93

4. voir sous quel mode l’Afrique et le Congo s’y


insèrent et avec quelles forces d’action ;
5. définir les tâches des citoyens et des leaders
dans un tel contexte.

5.1.3 Un monde malade

Le texte que vous allez lire est tiré du livre


La guérison du monde. Son auteur, le français
Frédéric Lenoir, est mondialement connu pour sa
recherche d’une nouvelle sagesse face aux crises
de l’ordre mondial. Nous avons choisi ici un extrait
de ses réflexions sur la maladie de notre société
actuelle à l’échelle planétaire.

TEXTE

De tous les maux qui meurtrissent la


planète et l’humanité, la plupart des politiques et
des médias semblent n’en retenir qu’un : la crise
94

économique. Et ils ne voient bien souvent qu’un


unique remède miracle pour y répondre : le retour
de la croissance par la relance de la
consommation.
Notre monde est malade. Mais la crise
économique et financière actuelle n’est qu’un
symptôme de déséquilibres beaucoup plus
profonds. (…) La crise du monde moderne a des
racines lointaines et des ramifications multiples.
Et la solution qui est proposée est à la fois trop
partielle et parfaitement illusoire sur le long terme,
puisque les ressources de la planète sont limitées
et que l’accroissement brutal de la consommation
au cours des dernières décennies constitue
précisément un des éléments du problème global
que nous sommes censés résoudre.

Pour guérir le monde, il ne suffit pas de se


concentrer sur un seul symptôme et de penser
95

que, en le traitant avec une bonne dose


d’antibiotiques, tout repartira comme avant. Il
convient de considérer le monde pour ce qu’il est :
un organisme complexe et, qui plus, atteint de
nombreux maux : crise économique et financière,
certes, mais aussi crise environnementale,
agricole, sanitaire ; crise psychologique et
identitaire ; crise du sens et des valeurs ; crise du
politique, c’est-à-dire du vivre ensemble, et cela à
l’échelle de la planète. La crise que nous
traversons est systémique : elle « fait système »
et il est impossible d’isoler les problèmes les uns
des autres ou d’en ignorer les causes profondes
et intriquées. Pour guérir le monde, il faut donc
tout à la fois connaître la véritable nature de son
mal et pointer les ressources dont nous disposons
pour le surmonter4.

4
Frédéric Lenoir, La guérison du monde, Paris, Fayard, 2012
96

INDICATIONS POUR LES CONNAISSANCES


ET LA DISCUSSION

Comme professeur, il nous est demandé de


conduire les étudiants à définir chaque domaine
de la crise contemporaine avec des exemples
concrets tirés des contextes différents des pays et
des nations, avec le Congo comme point de mire.
On devra pouvoir concentrer l’attention sur les
réalités suivantes :
1. Ce que signifie le caractère systémique d’un
mal ;
2. Ce qui différencie une cause profonde des
causes de surface ;
3. Comment la manière dont Frédéric Lenoir
pose le problème de la crise du monde
conduit à des solutions différentes de celles
qui sont proposées aujourd’hui.
97

5.2 L’Afrique entre mondialisation et


altermondialisation. Les choix décisifs

Gérard BuakasaTuluKia Mpanzu, Jean-Blaise


Kenmogne

Dans cet exposé, nous rassemblons des


textes qui mettent en lumière les problèmes que
le monde actuel pose à l’Afrique. Ces problèmes,
il est nécessaire que les Nouveaux Africains
forgent un esprit fertile pour les résoudre. Nous
entendons par Nouveaux Africains tous ceux qui
veulent que le continent pèse positivement sur la
marche du monde et fasse rayonner ses valeurs
pour l’invention d’un autre monde possible.
Les textes proposés ici dans cette
perspective devront être lus et débattus selon une
ligne de fond : définir le nouvel esprit africain et
les conditions de possibilité de son avènement
maintenant.
98

L’essentiel ne sera pas d’analyser le


monde, comme nous l’avons fait dans la première
partie, mais de proposer des orientations pour
l’action et des stratégies pour promouvoir
l’Afrique. On aura ainsi construit l’esprit d’une
citoyenneté africaine centrée sur les grands
problèmes de notre continent : problèmes
économiques, problèmes politiques, problèmes
écologiques, problèmes culturels et problèmes
spirituels.
La méthode pour conduire la lecture et le
débat sera l’identification de ces problèmes et les
propositions pour les résoudre à partir des
données récoltées dans les textes.

5.2.1Sortir du modèle et de la trajectoire de


l’Occident

Gérard BuakasaTuluKia Mpanzu, dont le


texte vous est proposé ici, a publié un important
99

ouvrage paru sous le titre : L’impensé du


discours, consacré à la sorcellerie, aux fétiches et
au phénomène de la guérison traditionnelle des
maladies mentales. Le texte que vous allez lire
rend compte de sa vision du problème africain
dans le monde actuel. Nous l’avons repris du
journal Le Potentiel de Kinshasa.

TEXTE

A bien considérer l’option ou la théorie de


certains cadres africains, comme Daniel Etounga-
Manguele, l’Afrique ne peut vraiment se
développer que si elle s’engage résolument dans
la modernité, autrement dit, si elle adopte le
modèle occidental. Ils pensent en effet que dans
le monde d’aujourd’hui, les sociétés qui ne
marchent pas ou ne circulent pas à l’occidentale
n’ont pas de place ; il ne reste donc aux Africains
qu’à se mettre au pas s’ils ne veulent pas mourir.
100

Une telle attitude apparemment réaliste, qui


reconnaît effectivement que ce sont les
Occidentaux qui dirigent le monde, est plutôt non
seulement opportuniste mais elle contient des
bévues ; elle ignore en effet que les sociétés non-
occidentales sont en train de mourir aux contacts
avec les Occidentaux et ne voit pas la capacité
des autres peuples à inventer ni les limitations du
modèle occidental lui-même.
Certes, le modèle occidental s’est montré
performant, au 19ème siècle dans le dressage
des populations rurales au travail industriel,
aujourd’hui dans le dressage à la consommation.
L’industrialisation et la consommation ne sont pas
mauvaises a priori. Il y a même lieu de faire
l’éloge des technologies qui puissent soulager la
population des corvées quotidiennes pour lui
permettre de jouir de la vie. Cependant, pour
arriver à industrialiser et consommer, deux
101

difficultés majeures sont à surmonter et il n’est


pas sûr que l’Afrique assaisonnée à l’occidentale
soit en mesure de les surmonter.

PREMIERE DIFFICULTE

On peut se demander si, rangée sur


l’Occident, la société africaine peut vraiment
résoudre la question des privilèges et du pouvoir
responsables aujourd’hui de la distorsion ou de
l’exploitation structurelle dont sa population est
victime. Haïti et tous les autres pays des Caraïbes
et de l’Amérique Latine sont là, dans le sillage
américain, mais ils n’arrivent pas à démarrer.
Haïti, en particulier, pays proche et où le peuple
qui a voulu se débarrasser des dictateurs s’est vu
obligé de voir ces derniers lui revenir, avec - ce
n’est plus un secret pour personne – le soutien du
grand voisin. Certes, celui-ci vient de remettre le
pouvoir aux personnes démocratiquement élues.
102

Mais avec quel gâchis entre temps : trois à cinq


mille morts innocentes. Et si le pouvoir
démocratique est rétabli, c’est parce que ledit
voisin, en tout cas son président, est embêté par
l’immigration dite clandestine et aussi par le black
caucus, donc pour des raisons de politique
purement interne. Les pays d’Afrique, le Congo-
Zaïre en particulier, pendant des siècles
d’esclavage, 75 ans de colonisation et près de 30
ans d’assistance technique, militaire, économique,
politique et culturelle de l’Occident, ont régressé
au lieu de progresser.
Même au cœur de l’Occident, comme New
York, Montréal ou Paris, la misère apparaît pour
ce système comme un fait banal. Les Noirs
d’Amérique, en particulier, qui ont pourtant pris
une grande part à la construction de ce pays, sont
obligés de recourir à la casse pour rappeler leur
sort de déshérités, mais d’ailleurs sans succès.
103

Excepté peut-être le cas du Japon, mais un cas


qui est plutôt japonais, le modèle occidental ne
semble pas convaincre de sa capacité à générer
le progrès hors de sa population.
Autrement dit, à y regarder de près, il est
troublant de constater que ce modèle ne s’est pas
encore rendu capable de générer et de provoquer
le progrès aucune part dans le monde où il est
appliqué, à part en Occident et encore ! Ainsi, on
peut avancer la thèse que l’Occident a fait ses
preuves. Dès lors si, la civilisation occidentale
n’arrive même pas à résoudre les problèmes des
peuples situés à sa périphérie immédiate et à son
centre, comme les Amérindiens et les Noirs,
comment peut-elle résoudre ceux des peuples de
la périphérie éloignée qui accepteraient de la
suivre dans son modèle ? A fortiori, si les misères
de l’Afrique d’aujourd’hui sont dues à l’occupation
occidentale, que faut-il encore attendre pour
104

comprendre que l’Occident a fait ses preuves? Il


s’agit là d’un problème de fond, plutôt que d’un
accident, qui se trouve dans l’ontologie et la
pratique occidentales. Si celles-ci posent tous les
êtres humains absolus et libres, elles ne semblent
pas, à notre avis, avoir bien résolu la question du
rapport à l’espace et au temps.
Cette question vient même troubler
l’applicabilité du paradigme qui veut que tous les
êtres humains soient absolus et libres. Soit x et y,
êtres absolus et libres. L’ontologie et la pratique
occidentales ferment les yeux ou ne semblent pas
(vouloir) voir ce que ces êtres deviennent dans
l’espace. Mises à part l’approche théorique
marxiste et, dans une mesure atténuée,
l’expérience chrétienne de l’espérance qui
plaident pour tout le monde. Autrement dit, dans
la pratique, l’Occident donne raison à la force et à
la chance, au plus fort ou au plus chanceux. De
105

sorte que si l’origine des richesses s’explique par


le travail, celui-ci ne suffit pas. L’avance des uns
ou le recul des autres sont aussi dus à l’inégalité
de la force ou de la chance. Ce qui donne ici
l’impression, et sans doute c’est la réalité, que le
monde est confisqué par les propriétaires des
moyens de production les technocrates et les
autres intervenants en gestion sociale.
Cette logique des forces habite et traverse
les sociétés occidentales depuis leurs sources
situées dans l’antiquité gréco-latine jusqu’à
présent : il y a toujours une inégalité qui fragilise
la liberté des moins forts ou des malchanceux.
C’est ainsi que, quand bien même le modèle
d’économie de marché, lieu par excellence de la
théorie de passage ou de développement à
l’occidentale, prétend que ses sujets vivent dans
un espace de marché concurrentiel, la réalité est
106

que cet espace est plutôt fait de situations


historiques de non• marché, d’inégalité, de jungle.
Ce qui fait dire que si le modèle libéral a
gagné sur le socialisme, ce n’est certainement
pas dû au simple fait qu’il serait le meilleur lieu de
travail et de liberté. Comment peut-il se prétendre
supérieur au modèle socialiste ou meilleur que lui
s’il soutient des dictateurs, s’il menace la nature,
s’il privilégie la force pour résoudre les problèmes
? Rappelons-nous des émeutes de Los Angeles
de mai 1992 : elles n’ont pas été résolues
autrement que par la force, le Président de ce
grand pays s’étant contenté d’envoyer l’armée sur
les lieux et de débloquer de l’argent pour faire
réparer les dégâts, laissant sous silence le
problème à la base des émeutes. Ce qu’il faut
plutôt dire, c’est que ce modèle a gagné sur le
socialisme parce qu’il est le plus fort
économiquement et militairement. Mais, il n’y a
107

pas lieu de dire que la force du modèle libéral lui


vient de sa qualité de modèle le meilleur. Il y a
d’autres raisons indépendantes, notamment les
cinq ci-après qui, en se conjuguant, expliquent la
supériorité du modèle libéral.
L’une des raisons de sa force, donc de sa
victoire, réside plutôt dans le fait que le régime
libéral avait sur l’autre une avance historique
indéniable dans le développement de ses
infrastructures économiques et de ses
équipements militaires, une avance qu’il a depuis
la fin du Moyen-âge ; le socialisme est d’abord un
projet construit a priori dans l’utopie avec un
objectif d’intervenir dans l’histoire et là d’y
corriger, mieux de remplacer le modèle libéral
déjà-là qui occupe le terrain du réel et qui est
construit au plan théorique seulement a posteriori
par des auteurs comme les Rostow. La révolution
française de 1789 n’est une invention de
108

personne même s’il y a eu des meneurs comme


Robespierre ou Danton ; elle est un temps social
marquant l’irruption de l’ère bourgeoise qui a elle-
même renversé l’ère féodale. Et personne n’a
inventé le Moyen-âge ni les sociétés qui ont
précédé celui-ci. Le modèle socialiste, lui, est
d’abord une invention de l’esprit plutôt que de
l’histoire et il devait donc compter avec l’histoire
passée et immédiate.
Or, dans l’histoire, il y avait déjà-là le
modèle libéral. En entrant dans l’histoire réelle,
fier et orgueilleux dans ses prétentions par ailleurs
bien placées et bien compréhensibles qui visaient
la promotion de la justice et le développement, le
modèle socialiste a, par là-même, commencé à
ébranler l’image et la confiance du vieux modèle
libéral.
C’est ainsi qu’il a été inévitablement
affronté par celui-ci qui ne pouvait pas se laisser
109

faire, suivant en cela la vieille philosophie pratique


occidentale de l’existence, dont le mot d’ordre est
« être ou ne pas être ». Et tous les moyens furent
bons dans cette guerre non déclarée appelée «
guerre froide Est-Ouest ». C’est ce qui, à notre
avis, a amené le socialisme implanté dans les
pays de l’est, comme par la suite le capitalisme
lui-même, à se préoccuper des questions
d’armement et d’auto-défense et à négliger ses
programmes proprement socialistes.
La deuxième guerre mondiale a failli donner
la victoire à l’Allemagne nazie. Les pays d’Europe
ont capitulé. La France fut purement et
simplement occupée. Du fait de la capitulation,
beaucoup de ces pays n’ont pas été
farouchement détruits. Les pays de l’ex-URSS
n’ont jamais capitulé mais au contraire ils ont
arrêté l’avance nazie avec leur armée rouge qui
s’est battue comme un lion jusqu’à la fin de la
110

guerre. Sans la résistance de ces pays avec leur


armée rouge, l’Allemagne aurait peut-être eu la
victoire. Et même si l’on disait que l’Angleterre et
surtout les Etats-Unis étaient là pour sauver
l’Europe et le monde du pouvoir nazi, on n’est pas
avancé : les pays de l’ex-Union soviétique ont
subi des pertes certainement plus grandes que
les pays de l’Europe de l’Ouest. Mais, à la fin de
la guerre, quand il a fallu reconstruire les pays
détruits et appauvris par la guerre, les pays de
l’est n’ont pas figuré sur la liste des pays qui ont
bénéficié de l’aide du Plan Marshal. Ils ont dû
compter sur leur propre effort pour leur
reconstruction, ce qui doit avoir retardé l’effort de
poursuivre leurs propres programmes socialistes.
Quoi qu’il en soit, dans l’économie de
marché comme dans le modèle socialiste, nous
avons affaire à deux versions d’un même modèle
occidental de développement; deux expériences
111

ou deux formules de la même philosophie judéo-


chrétienne et de la même société de croissance
technologique et industrielle, avec cette différence
que le libéralisme s’appuie sur la tradition et
privilégie la position historique ou l’antériorité des
propriétaires des moyens de production, tandis
que le modèle socialiste a voulu corriger, voire
supprimer le premier en prenant position sur et
pour les forces productives. Le coup a raté: le
socialisme a achoppé sur des valeurs
fondamentales traditionnelles, notamment celle de
liberté.
Mais, voilà que les deux versions se
retrouvent face à une nouvelle situation mondiale
non souhaitée, provoquée par la concurrence
orientale montante dont l’expression la plus
avancée est la percée vertigineuse de l’économie
japonaise jusqu’en plein cœur de l’Occident, New
York. Cette situation expliquerait la chute en
112

douce de la terrible ex-URSS. En douce? Excepté


dans le cas de l’ancienne Yougoslavie. Pour le
reste, on croirait que dans les cercles supérieurs
de réflexion et de direction il y aurait une stratégie
mondiale qui regrouperait les Occidentaux, eux
qui redoutaient depuis longtemps le péril jaune.
Cette stratégie les aurait finalement convaincus à
s’entendre entre eux pour faire face ensemble à
un ennemi commun: l’Asie, le Japon en premier
lieu.
Plutôt que de continuer à s’opposer entre
eux et de s’épuiser, ceux de l’Ouest ont convaincu
ceux de l’Est à faire la paix.
C’est tout ce contexte qui peut expliquer
l’échec du modèle socialiste dans son incapacité
à résoudre les problèmes qui se sont présentés à
lui massivement et presque en même temps.
Cela dit, on ne peut pas négliger le double
apport de l’expérience socialiste. Celle-ci a permis
113

d’abord au sein-même du modèle libéral de


bénéficier d’une plus grande prise de conscience
de ses grands problèmes. En ce sens,
l’expérience socialiste fut, pourrait-on dire, l’un
des mécanismes capitaux internes de prise de
conscience de l’Occident par lui-même. Elle a
aussi permis au sein des élites des pays de la
périphérie des puissances industrielles
occidentales de prendre elles-aussi conscience
de l’exploitation dont leurs peuples sont victimes
de la part de celles-ci.
On ne peut certainement pas, non plus, ne
pas applaudir les modifications qui sont en train
de s’opérer dans le monde et qui constituent un
climat intéressant, une occasion, un atout, un
moyen propice en vue des changements
importants à l’intérieur des pays du sud. Le fait
que les pays de l’est reviennent aujourd’hui à la
pratique capitaliste d’économie libérale, autrement
114

dit l’effondrement du socialisme, est, dans un


sens, la fin du rôle principal jusque-là assigné aux
dirigeants africains qui ont pris la relève des
colons, celui de la sauvegarde des intérêts
étrangers contre la menace socialiste. On peut
dès lors espérer que les Africains peuvent
maintenant librement revendiquer leur liberté et
leur droit à l’auto-détermination sans être taxés de
communistes. Encore qu’il reste la question de
savoir comment éviter le piège des instances
dirigeantes d’Occident débarrassées d’une URSS
qui jusque-là fut un élément d’équilibre du monde
et être vraiment en régime de démocratie, si
l’espace de vie, en particulier le marché
capitaliste, continue de n’être qu’une jungle où
seuls des léopards, des lions, des tigres et des
guépards font la loi ; si cet espace reste occupé
par des marchands et des financiers qui vendent
toujours plus cher et achètent à un prix toujours
115

plus bas ; s’il n’existe aucun frein à la volonté des


grands pays d’imposer leur loi ; et si les structures
économiques des petits pays restent extraverties.
On espère en tout cas que la venue en
vogue des idées de droits de la personne, de
démocratie et la proclamation de l’Etat de
démocratie multiethnique en Afrique du sud vont
rendre difficile l’actuel système international de
jungle de fonctionner comme par le passé. Bien
sûr, c’est d’abord sur eux-mêmes que les pays
africains, qui connaissent une nette et grande
évolution sociopolitique, peuvent et doivent
compter malgré certains dérapages, comme au
Togo et au Cameroun. Il y a en effet un
désenchantement et une prise de conscience de
la population, à commencer par des étudiants.
Au Congo-Zaïre, cette prise de conscience
est aiguë à la suite d’une douloureuse expérience
du déclin économique du pays et du régime
116

autocratique qui a remplacé la période d’euphorie


de l’indépendance en 1960. Sur cette base
sociale s’est développée une action des partis
politiques d’opposition, œuvre des cadres
désillusionnés du régime, parmi lesquels il y a
assurément de nombreux opportunistes mais
aussi sans doute quelques-uns animés par de
très grandes convictions. En-deçà, il y a des
associations et des forces fondamentales ou
spirituelles qui se cherchent des voies sous une
forte pression exercée de l’intérieur et qui
occupent parfois d’ailleurs le devant de la scène
politique. Il y a donc là des possibilités d’un
redéploiement des forces sociales internes dans
les pays du sud, en particulier, les pays d’Afrique,
et que le pouvoir peut à l’avenir changer de
mains, c’est-à-dire, sortir du modèle et de la
trajectoire de l’Occident.

DEUXIEME DIFFICULTE
117

En Occident, ce sont des cadres de


technologies et d’affaires qui dirigent, alors qu’ils
n’ont pas les moyens adéquats pour résoudre les
questions de fond, celles du sens ; questions qui,
aujourd’hui, se posent en termes de déconnexion
de la personne du sens fondamental de la vie et
de banalisation de la relation au nom de la liberté
de chacun à disposer de sa vie. De fait, la société
occidentale n’a plus d’équilibre ; elle a tué le
diable du Moyen-âge; elle n’a plus de mythe ; plus
de transcendance ; plus de valeur absolue. Il n’y a
plus qu’émission et réception des signes; que
comptabilité fonctionnelle et relativité généralisée.
La personne est environnée non par les autres
personnes mais par des objets qui l’isolent. Même
des Occidentaux le regrettent. Laissons la parole
à Georges-Henri Lévesque : « Je vis
douloureusement la dislocation des familles, cela
m’apparaît la blessure fondamentale du peuple
118

québécois. Il faut à tout prix sauver la famille et lui


donner des conditions favorables pour son
épanouissement, car elle demeure toujours le
premier ferment de l’éducation...»
Les Occidentaux ont inventé beaucoup de
choses merveilleuses au niveau de la technologie
et de l’industrie, mais leur situation familiale laisse
à désirer, dans la mesure où on assiste à la
déstabilisation de la vie familiale au nom de la
liberté de disposer de sa vie, alors que jusqu’à
maintenant l’humanité ne dispose pas encore
d’institution autre que la famille qui soit en mesure
de bien former le petit être humain venant au
monde.
En justifiant cette évolution comme une
caractéristique des sociétés modernes, en termes
de conséquences de la modernité, on a nettement
l’impression que les Occidentaux camouflent leur
égoïsme sous le couvert de la théorie de la
119

liberté. Il n’est pas surprenant, dans ces


conditions, d’apprendre demain la revendication
du droit de refuser la souffrance de l’enfantement,
si l’enfant doit toujours venir dans des conditions
de douleur.
C’est à ce contexte qu’il faut, à notre avis,
attribuer la criminalité et des cas de plus en plus
nombreux de maladies mentales dans le monde :
derrière cette criminalité et ces maladies, il y a
peut-être un manque d’amour, d’affection, de
relation positive, bref de sens qui dépasse l’être.
Ceci dit, loin de nous l’idée que les technologies
et les affaires soient inutiles ; mais si elles sont
des moyens au service de la vie, encore qu’elles
ne sont pas les seuls, il est vrai qu’elles ne
fondent pas la vie et n’en ont pas le sens ; elles
devraient donc être subordonnées à l’idée du
sens. La parole à Edgar Morin : «Nous devons
savoir que la science et la raison n’ont pas la
120

mission providentielle d’opérer le salut de


l’humanité mais qu’elles ont des pouvoirs
absolument ambivalents,...»
Il doit donc y avoir, avant, pendant et après
la technologie et les affaires, un sens. Et ce sens,
la modernité ne le promet et ne le promeut pas.
Au contraire, elle a besoin de le rechercher,
ailleurs. Et dans les conditions où la
déstructuration de l’Afrique par une Europe
hautement équipée de technologies et d’affaires a
déjà coûté l’ébranlement de la personnalité
africaine, le dénigrement de nos valeurs
fondamentales et la déviation (et non,
heureusement, l’arrêt) de la trajectoire de la
société africaine, une question se pose, celle de
savoir à qui ou à quoi va servir un développement
à l’occidentale et au nom de quelles valeurs, si un
tel développement doit coûter un tel
appauvrissement ? C’est compte tenu de ces
121

difficultés et de ces questions qu’une alternative


s’impose, laquelle, comme dit ci-dessus,
commence par la sortie de la trajectoire du
modèle occidental.

ROMPRE AVEC L’IDEOLOGIE DES CADRES


LOCAUX

Sortir de la trajectoire du modèle occidental


signifierait aussi rompre avec l’idéologie
technocratique des cadres locaux de chez nous.
Pourquoi? Jusque-là, l’approche classique du
développement d’un pays et de la maîtrise de son
avenir mise en Occident sur l’entrepreneur et le
technocrate.
Chez nous, en période coloniale, cette
approche responsabilise l’agent colonial, qui peut
être administrateur, commerçant ou missionnaire ;
et aujourd’hui en période de post-colonie, l’agent
de développement est censé être le cadre
122

moderne. Celui-ci se voit comme un chargé de


mission. Par rapport aux autres membres de la
société, sa mission est, en gros, de diriger et de
transformer l’indigène resté encore traditionnel,
primitif, sauvage, et de l’amener à la modernité,
celle-ci entendue comme le lieu de la lumière, du
progrès, de la civilisation. On a alors inventé un
modèle, le modèle de transfert de technologies ou
de passage de la tradition à la modernité.
Dans cette approche qui revient à adopter
l’occidentalité au détriment de la tradition
africaine, et dans les conditions qui lui sont
imposées, la population du Congo-Zaïre comme
pratiquement de toute l’Afrique noire a perdu
l’habitude de la parole ainsi que ses multiples
possibilités d’autogestion qu’elle avait assurément
jadis, à l’époque où elle disposait d’elle-même
pour elle-même. A la place, il s’est développé un
ensemble d’attitudes et de comportements qui, à
123

travers la plupart des institutions de gestion du


pays, ne facilitent pas la promotion des valeurs
locales. Excepté quelques rares cadres qui, au
temps colonial, osèrent lever la voix, c’est plutôt
tout récemment que des efforts sont vraiment en
cours, notamment de la part des théologiens et
des philosophes parmi lesquels on compte des
Zaïrois.
L’inconvénient ou ce qui fait problème, c’est
que (…) ces intellectuels partent et parlent depuis
la modernité ; beaucoup d’entre eux ne font pas
l’effort de sauter ou de quitter leur lieu de parole
situé dans la modernité pour rejoindre la
population, là où celle-ci est, et négocier ou voir
avec elle ce qu’il y a à faire et comment faire dans
l’intérêt de tout le monde ; au contraire les
intellectuels dénigrent leur peuple et détruisent sa
tradition, au nom de la modernité considérée par
eux comme un ensemble de valeurs par
124

excellence. Ce travail de dénigrement et de


déstructuration rend la tradition africaine au rang
de culture seconde, tribale, voire, au péjoratif et
au mépris. Certains termes d’injure en Afrique
viennent de ce traitement de la tradition ; entre
autres termes, on peut signaler celui, en kikongo
et en lingala, de musenji (analphabète, indigène,
non-instruit, non-évolué, non-moderne) qui
désigne une personne qui continue d’appartenir à
son mode de vie ancien.
Une des idées avancées par des
intellectuels technocrates modernistes est celle de
l’inaptitude de la tradition à comprendre ou à
promouvoir la rationalité, la technologie,
l’économie et la politique modernes. Imbus de la
science et de la technologie, ces intellectuels
voient les problèmes de leur pays principalement
en termes de problèmes techniques et, en tant
que cadres experts, ils se montrent très
125

orgueilleux, parce qu’ils se croient précisément


capables de les résoudre. Mais voilà que comme
on l’a vu plus haut, malgré des ressources
humaines et naturelles immenses et disponibles,
et malgré le nombre relativement important des
fameux technocrates, le Congo-Zaïre et tous les
pays d’Afrique sont en panne, par terre, « morts ».
Malgré le concours des médias, le discours
savant qui n’est compris que par ceux-là qui ont
été à l’école moderne n’a pu continuer à couvrir
de mensonge la réalité qui s’effondrait.
Alors la question a été posée un jour par un
ouvrier de Kinshasa et on peut la reprendre ici
pour la compléter: ces technocrates ont été
apprendre l’art de penser, de gérer, de maintenir
ou sans doute de protéger la vie, à l’école
moderne, à l’Université Lovanium (Kinshasa), à la
Kasapa (appelation familière de l’Université de
Lubumbashi), à l’Université Libre du Congo
126

(Kisangani), à Harvard, à Stanford, à l’Université


Catholique de Louvain, à la Sorbonne, à
l’Université Libre de Bruxelles, à Bordeaux, à
Montpellier, à l’Université Laval ; on a dit des uns
qu’ils étaient des « hommes de la rigueur », des
autres qu’ils formaient des équipes
gouvernementales « musclées »; par ailleurs, le
pays, pour ne parler que du Congo-Zaïre,
bénéficie de façon ininterrompue des conseils, de
l’assistance et du soutien de l’Occident; pourquoi
alors ce naufrage? Pourquoi leur théorie ne
marche-t-elle pas? Qu’est-ce qui cloche?
La population saisit une chose, qui répond
à cette terrible question: contrairement à l’initiation
traditionnelle, la formation que les cadres vont
recevoir à l’école moderne semble les rendre
faibles ou fragiles plutôt que forts ou aguerris,
inconsistants plutôt que résistants, corruptibles
plutôt qu’intègres. A choisir : si cette conclusion
127

n’est pas la bonne, il reste à dire que la formation


moderne rend ignorant ou incapable de résoudre
les problèmes de la vie. Ce sentiment populaire à
l’endroit du cadre souligne, surtout dans la
deuxième conclusion, que ce dernier est certes
intelligent, mais que cette intelligence serait plutôt
du livre, pas du tout de la vie, pour la vie.
Dans les deux cas (…), les intellectuels
africains ne sont pas dans la masse ni avec les
masses ; ils sont plus ou moins dans la
modernité, comme ils le peuvent, avec leurs
collègues d’Occident, à l’égard desquels leur
besoin ou leur désir est, semble-t-il, d’être
reconnus et traités comme ceux nombre ci. Ce
besoin est d’autant plus fort que les cadres
africains travaillent ou participent, consciemment
ou inconsciemment, au dénigrement et à la
déstructuration de leur propre culture maternelle.
128

Là se trouve ce que les masses ont


compris et que nous reprenons pour notre compte
pour expliquer l’échec d’un pays comme le
Congo-Zaïre : ce pays jusqu’ici géré par les seuls
cadres modernes connaît un des échecs les plus
lamentables de l’histoire, un échec qu’on pouvait
pourtant éviter, parce que: - ses cadres ne se sont
pas avisés que les modèles appris dans les
écoles supérieures occidentales et projetés sur
l’Afrique ne sont pas pertinents pour l’Afrique et
ce depuis qu’ils croient que le développement, en
Afrique, consiste à passer de la mentalité
africaine, supposée magico-religieuse, à la
mentalité occidentale prise pour scientifique et
technique; - ils n’ont pas compris que l’irrationalité
qu’ils attribuent à la société africaine, plus
précisément à sa tradition, vient plutôt des
théories modernes elles-mêmes, qui, ne l’oublions
pas, ne sont que des schémas culturels produits
129

dans et sur l’expérience de la société industrielle:


si pertinentes soient-elles, ces théories - surtout
en matière de société – sont plutôt des points de
vue, sans doute valables mais non
généralisables; - ils s’imaginent que toutes les
économies du monde, donc toutes les cultures
fonctionnent comme la culture occidentale à
l’issue de laquelle ces schémas ont été fabriqués
et que cette culture serait une catégorie
universelle; - leurs schémas ne rencontrent
probablement aucun intérêt dans la population à
qui ils imposent de les appliquer et de les
exécuter; ce qui a comme conséquence de
démotiver cette dernière au lieu de la stimuler.
Voilà: parce qu’ils se sont contentés
d’importer ou de reproduire les formules apprises
sans inventer ni réinventer, parce qu’ils ne sont
pas parvenus, comme le remarque aussi
François-Régis Mahieu, à penser en termes de
130

culture, de civilisation, de rationalité autre; parce


qu’ils n’ont vu de l’Afrique qu’irrationalité; parce
qu’ils ont cru, eux aussi, que la source de nos
malheurs étaient dans nos croyances
(ancestrales); alors qu’ils auraient dû en
comprendre la rationalité qui les aurait amenés
certainement à suspendre le modèle et les
indicateurs de l’économie libérale et à réhabiliter
les normes traditionnelles à partir desquelles le
raisonnement économique aurait pu être possible
et riche en informations; ils auraient alors pu
comprendre notamment que la distribution à
laquelle les Africains s’adonnent passionnément
ne relève pas du gaspillage mais bien d’un
système d’assurance et de sécurité qui réduit les
aléas et les risques, alors que la rationalité
libérale fragilise et est prête à tout moment à
précipiter les individus dans la pauvreté absolue.
131

C’est compte tenu de ces difficultés que


s’impose le courage de quitter le modèle
occidental et les illusions des intellectuels
technocrates pour aller fonder une alternative, au
sens où l’entend un Panikkar, intellectuel métissé
situé entre l’Orient et l’Occident, Catalan de mère
et Hindou de père, d’après lequel une alternative
est une approche dialogique qui traverse le logos
pour rejoindre, sans le rejeter, le mythos invisible.
Dans l’esprit de ce philosophe, si une alternative
s’impose désormais pour dépasser la situation
présente, cela doit être entendu de trois façons.
D’abord, il n’y a pas une alternative, au
singulier, mais des alternatives, au pluriel, car les
cultures concernées par ce changement radical et
qui vont en bénéficier, sont nombreuses, chacune
d’elles pouvant et devant choisir son alternative,
dans la liberté, sans dictature. Cette position
laisse entendre qu’on ne peut plus dire qu’en
132

dehors de la technologie (moderne), il n’y a point


de salut ; elle invite plutôt à renoncer au rêve d’un
ordre mondial global unique, d’une religion
universelle (l’espèce humaine n’étant pas
réductible à un seul type de pensée), d’un ordre
idéal ou parfait (politique, économique, humain)
au niveau du concept et de l’intelligibilité.
Ensuite, la culture moderne (entendez: la
civilisation occidentale) n’est pas la solution, ni
dans sa composante technologique ni dans sa
composante americanway of life (style de vie
américain). Non pas que la modernité ou ses
valeurs (comme la liberté, la science et la
tolérance) soient négatives; mais parce que,
d’abord, elle menace la culture traditionnelle qui a
aussi droit de cité, elle favorise la course aux
armements, elle enrichit les uns et appauvrit les
autres, elle fait perdre le sens de la vie et souvent
la joie de vivre, elle donne à la machine créée par
133

la personne humaine de gouverner cette dernière


; ensuite, elle n’est pas vraiment universelle ni
universalisable, n’étant qu’une expérience
humaine limitée aux Occidentaux et à ceux qui
sont colonisés par eux ; enfin, elle porte en elle-
même les germes de sa propre destruction étant
donné sa tendance à outrepasser à l’infini les
frontières ou les limites et son dynamisme même
de croissance qui étouffe son sujet humain dans
un monde technocratisé qui s’épuise ou épuise
ses ressources.
Enfin, il n’y a pas de modèle ou de
paradigme à donner a priori, chaque culture
devant inaugurer la possibilité de créer un espace
où la créativité puisse se développer, se penser
comme centre d’intelligibilité et lui adapter sa
propre vision de développement.
La condition des conditions, comme base,
pour réussir une entreprise alternative, réside,
134

selon Raimond Panikkar dans un exercice tibétain


qui consiste à bien penser de soi- même et des
autres, à ne conserver dans son esprit aucune
amertume ou tristesse et à avoir un esprit
suffisamment détaché, l’intellect suffisamment
libre. Il s’agit donc pour nos peuples de faire en
sorte qu’ils vivent dans la vision de leur choix,
qu’ils soient libres d’échanger et de partager avec
les autres et surtout qu’ils se rassurent que
l’inadaptation dans laquelle ils se trouvent vivre
jusqu’ici réside principalement dans le fait que,
basé sur la croissance infinie, le développement à
l’occidentale, qui a apparemment réussi en
Occident, est en fait une source de beaucoup de
maux : désarticulation des sociétés, destruction
des écosystèmes, création d’un chômage
important, etc.5

5
Gérard BuakasaTuluKiaMpanzu, Réinventer l’Afrique – de la tradition à la
modernité au Congo-Zaïre, L’Harmattan, Paris, 1996.
135

QUESTIONS A DISCUTER DANS LE DEBAT


SUR CE TEXTE

Le contenu du texte tel que rendu ici exige


au groupe concerné de discuter sur les questions
essentielles suivantes :
1. Quels sont les problèmes africains de fond
mis en relief par l’auteur ?
2. De quelles marges de manœuvre l’Afrique
dispose-t-elle pour résoudre ces
problèmes ?
3. La situation spécifique de la RDC, telle
qu’elle est décrite, vous semble-t-elle
désespérante ?
4. Comment voyez-vous l’avenir du continent à
la lumières de l’analyse de Buakasa ?
136

TEXTE 2

CHANGER L’AFRIQUE DANS LA SOLIDARITE


MONDIALE

Pasteur de l’Eglise Evangélique du


Cameroun, théologien, spécialiste en éthique
écologique et animateur de plusieurs projets de
développement durable et de promotion humaine
en Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest, Jean-
Blaise Kenmogne est Fondateur et Directeur
Général du Cercle International pour la Promotion
de la Création (CIPCRE). Sa réflexion sur
l’Afrique est fécondée par toute son expérience de
terrain. Pleine d’espérance et d’optimisme, elle
ouvre la voie à des actions de transformation
sociale profonde et positive.
137

Je ne suis ni économiste ni spécialiste de la


géostratégie. Je suis un Africain comme
beaucoup d'autres qui s'interrogent sur la situation
actuelle de notre continent et sur la manière de la
changer. Je cherche à savoir ce que nous devons
faire pour ne pas sombrer dans le désespoir, ce
qu'il faut faire pour vaincre la crise qui est
devenue l'autre nom de nos pays.
Pour nourrir mes interrogations et les éclairer,
je lis les multiples publications actuelles sur
l'Afrique : celles des économistes, des géo-
stratèges, des experts en développement et des
penseurs de tous bords. Plus je les lis, mieux je
vois notre situation. Je voudrais partager ici ce
que je vois, tout simplement.
J'ai la chance d'animer une organisation non
gouvernementale engagée dans la lutte
écologique et le combat pour le développement
durable, le CIPCRE. Au jour le jour, je vis les
138

problèmes de l'Afrique dans l'expérience de cette


organisation, à la fois localement et à l'échelle de
nos relations avec nos partenaires européens.
Localement, j'observe attentivement, à chaque
instant, nos comportements, nous Africaines et
Africains : nos désirs, nos mentalités, nos espoirs,
nos ambitions, nos conflits et nos pratiques de
vie. J'observe de la même manière le
fonctionnement de nos relations avec nos
partenaires : les attentes qui y sont investies, les
principes qui s'y incarnent, les modèles de
pensée qui s'y déploient et les visions du monde
différentes qui s'y dévoilent, s'y épousent ou s'y
affrontent. C'est au cœur de toute cette
expérience que je vois l'Afrique et le monde. En
réfléchissant sur cette posture qui est la mienne,
je croix comprendre mieux ce qu'il convient de
faire. Je voudrais partager ici ce que je pense à
ce sujet, simplement, tout simplement.
139

1. Organiser
Aujourd'hui, je suis convaincu que le problème
de l'Afrique tel qu'il est discuté dans le contexte
mondial gagnerait à être posé en termes de
mobilisation des forces vives de chez nous et
d'ailleurs : celles qui peuvent s'investir dans des
projets locaux concrets et travailler ensemble en
vue de changer petit à petit l'ordre des choses.
Ces forces vives se situent à différents niveaux
de l'action de transformation sociale.
Les plus concernées sont celles qui, dans le
monde rural et dans l'espace misérable de nos
villes tentaculaires, cherchent à survivre dans la
tempête de la crise. C'est dans leur capacité
imaginative qu'il est utile d'investir les énergies
pour l'avenir, à partir des projets utiles, bien
pensés, bien animés, bien gérés. Là peut prendre
naissance une véritable économie sociale et
solidaire fondée sur les intérêts vitaux des
140

populations et la mobilisation des capacités de


tous et de toutes pour la réussite de ce que l'on
entreprend.
En effet, c'est localement, à petite échelle, que
l'on réussira l'Afrique, par de bonnes stratégies
d'organisation et l'utilisation judicieuse des
pouvoirs locaux tels qu'ils peuvent assurer aux
populations un espace de créativité. Tous les
jours, je vois des hommes et des femmes
confrontés à la crise. Tous les jours, j'en
rencontre qui décident de se battre contre la
tempête et de semer dans le sol social de nos
pays, avec confiance et détermination, quelques
énergies d'espérance. Je pense qu'en ces
hommes et en ces femmes réside le secret de la
construction de l'Afrique nouvelle. Pour réussir
face à l'avenir, il est temps de se tourner vers ces
forces de bonne espérance.
141

Comme membre de la société civile, je suis


aujourd'hui très sensible à la manière dont cette
société s'organise et occupe l'espace de la lutte
contre la crise. Des projets naissent, vivent,
meurent, ressuscitent, réussissent ou échouent,
rayonnent dans l'ordre social et se renouvellent
dans une vitalité dont l'ensemble donne une idée
positive de l'Afrique. Même avec les scandales
qui émaillent leur vie en matière de gestion ou
d'administration souvent autocratique, ces projets
constituent un espace d'une autre Afrique en train
de s'imaginer, de se construire. Dans la société
civile se diffusent aujourd'hui beaucoup d'idées
fécondes et positives. On y voit clairement quelle
vision une certaine Afrique a d'elle-même et de
son avenir. On y entend vibrer les quêtes les plus
fructueuses pour transformer la société. Une force
d'anti-désespoir y est à l'œuvre : elle n'a pas peur
de regarder nos problèmes en face, de voir nos
142

tares et nos failles, nos faiblesses et nos faillites.


Quand certaines personnes, certaines couches de
populations, comme aujourd'hui, décident de se
regarder sans complaisance, c'est le premier pas
de la libération de notre conscience et de notre
imagination. Je suis convaincu que les projets
rigoureusement gérés pour la promotion de la
société civile comme puissance de transformation
sociale sont notre vraie voie de l'avenir, surtout
quand on sait que le monde associatif couvre
actuellement une gamme immense de
préoccupations importantes des populations.
Je ne suis pas que membre d'une organisation
non gouvernementale dans une société civile qui
se construit et se bat avec les moyens dont elle
dispose. Je suis engagé dans ce monde des ONG
et de la société civile à titre de chrétien, de
pasteur, de croyant vivant avec d'autres croyants
et croyantes, partageant avec eux des convictions
143

spirituelles fortes pour changer l'Afrique. Pour


moi, c'est dans ces forces spirituelles et dans
toutes leurs dynamiques religieuses qu'il faut
investir l'espérance de nos populations. Malgré
leurs défauts et leurs trop humaines faiblesses,
ces forces religieuses et spirituelles ont la chance
d'exister et elles peuvent mobiliser à large échelle
les capacités spirituelles et religieuses des
populations. Touchant les fibres les plus intimes
des hommes et des femmes dans leur désir de
Dieu et d'une vie en plénitude, les énergies
croyantes ont une mission de transformation
profonde de l'Afrique. Seulement, elles ne
semblent pas en avoir pleine conscience ni savoir
comment elles doivent s'organiser pour ce but.
Leur mobilisation autour des projets précis serait
une bonne base pour une éducation globale de la
conscience sociale et de sa capacité de changer
l'Afrique.
144

Comme beaucoup d'Africains et d'Africaines,


j'ai des convictions et des engagements dans le
champ politique. Je suis avec attention l'évolution
de certains partis politiques dont je partage la
vision de l'Afrique et le projet de société. Je suis
en lien avec des responsables politiques et des
autorités administratives des pays où le CIPCRE
intervient, dans la perspective de faire avancer
quelques idées et de contribuer à réussir
quelques projets. J'ai constaté qu'aujourd'hui, le
champ politique dans beaucoup de pays africains
n'est pas encore pensé et vécu comme le champ
des vrais changements fertiles pour l'Afrique.
L'idée de la politique a toujours à voir avec la
pourriture. Les hommes politiques n'ont pas de
relation de véritable confiance et de crédibilité
avec la population. On nage dans l'univers du
flou, du mensonge, de la manipulation, des
égoïsmes, des ambitions, de l'ésotérisme et du
145

crime. Entre le grand folklore des campagnes


politiques lors des élections, par exemple, et les
convictions profondes qui structurent la vie
quotidienne des populations, il existe un fossé.
C'est dommage que la politique soit ainsi perçue
et vécue. Très dommage parce que c'est dans la
dynamique de la conscience politique des peuples
et de ses responsables que l'on peut et que l'on
doit changer les choses. On peut, on doit les
changer et il existe une voie pour cela :
rassembler, dans tout l'immense champ des partis
et mouvements politiques, tous ceux et toutes
celles qui croient qu'une autre pratique politique et
possible; à partir de ces forces, lancer une
nouvelle dynamique d'éducation politique des
peuples, centrée sur l'urgence de mettre sur pied
des organisations locales et des projets locaux à
réussir grâce à l'idée que la politique n'est pas
seulement une stratégie de conquête du pouvoir,
146

mais aussi et surtout l'engagement pour des


transformations concrètes de la vie quotidienne
des gens.
Si l'on dispose des forces qui pensent
clairement dans cette direction, la politique dans
les hautes sphères du pouvoir changera aussi.
Elle deviendra plus responsable, plus consciente
des enjeux de la vie et plus en même de détendre
les intérêts vitaux de nos pays et de notre
continent dans le champ mondial. S'y
engageraient aussi des hommes et des femmes
qui ont vraiment l'ambition de changer l'Afrique,
de réussir l'Afrique.

2. Eduquer
Parmi mes engagements dans la société
aujourd'hui, je prends de plus en plus conscience
de l'importance de tout ce qui concerne
l'éducation. J'avais jusqu'ici travaillé dans le
monde des ONG, des associations, des églises,
147

des communautés de foi et avec des acteurs


politiques, sans relier ce qui se faisait dans ces
milieux à la question spécifique de l'éducation.
Mais depuis quelques années, j'analyse les
blocages de la société africaine et les faiblesses
de nos mentalités pour changer l'Afrique, dans le
cade d'un projet de mise sur pied d'une institution
supérieure de formation pédagogique appartenant
à l'Eglise Evangélique du Cameroun. J'ai compris,
à partir de cette expérience, qu'il n'y a pas de
réussite possible dans tous les domaines de la vie
dans notre société si la qualité de l'éducation ne
devient pas une priorité pour toutes les forces
vives.
Je parle de l'éducation en la liant ici à la
famille, à l'école et au champ social dans son
ensemble. J'en parle non pas comme d'une
simple période de la vie à traverser en vue de
faire autre chose, mais dans le sens des
148

dynamiques permanentes qui devront irriguer


l'existence, toujours et partout, avec un projet de
société clair, des outils de transformations
sociales solides, des stratégies d'action
pertinentes sur le terrain et une volonté
communautaire de bâtir une nouvelle société.
Le projet global, je le vois et j'en perçois
l'urgence tous les jours : il faut changer l'Afrique, il
faut réussir l'Afrique.
En revanche, je voyais jusqu'ici moins
clairement les outils dont nous disposons et les
stratégies que nous mettons en œuvre.
Maintenant je crois voir ce qu'il y a à faire. Joseph
Ki-Zerbo a trouvé la formule : éduquer ou périr.
S'il y un terrain où il faut mettre tous les
moyens nécessaires pour réussir l'Afrique, c'est la
formation des hommes et des femmes, le
renforcement des capacités d'action des forces
149

vives de nos sociétés, dans la lumière même de


notre mot d'ordre : réussir l'Afrique.
Le secret, c'est en somme dans l'éducation
permanente qu'il réside, dans la capacité à
orienter cette éducation vers des projets pratiques
au service duquel la formation humaine serait
consacrée, en veillant à développer les capacités
concrètes de prendre en charge les fonctions
d'acteurs de la transformation sociale là où l'on se
trouve. Comme dirait Jean-Marie Tchegho, il nous
faut à la fois le savoir, le savoir-faire et le savoir-
être pour pouvoir construire une Afrique réussie :
celle où des hommes et des femmes gagnent la
bataille contre la crise, dynamisent leur créativité
et libèrent l'énergie du développement
économique, politique, sociale et culturelle6.

3. Croire

6 Jean-Marie TCHEGHO, Le déracinement social en Afrique : une conséquence de


l'éducation moderne, Yaoundé, Editions Demos, 2000.
150

Dans l'expérience que j'ai de nos attitudes


africaines face aux défis actuels de nos sociétés,
j'ai constaté que les vrais freins qui nous
empêchent de réussir l'Afrique sont dans notre
peu de foi en nos capacités et en nos atouts réels
pour la transformation de nos sociétés. Tout le
monde le sait et le voit : malgré les forces qui
luttent actuellement pour que notre continent
trouve une place au soleil du développement, de
la promotion humaine, il existe une multitude
d'Africains et d'Africaines qui ne croient pas en
l'Afrique, qui ne croient pas en eux-mêmes. Ils ont
baissé les bras et ont accepté notre condition et
ses méfaits. Ils n'ont qu'une solution en tête : fuir
l'Afrique. Ils n'ont qu'une obsession : tenter leur
chance ailleurs. Ou tout simplement chercher à se
tirer d'affaires à la petit nègre, sans vouloir
s'inscrire dans une grande ambition pour eux-
mêmes, pour leur village, pour leur peuple, pour le
151

continent. Ceux et celles qui vivent de cette


mentalité sont les vrais ennemis de l'Afrique. Ils
démotivent les forces vives qui sont au travail
pour l'autre Afrique. A l'intention de tous ceux-là,
j'ai envie de lancer une vaste campagne de
conscientisation pour dire ce que le Ministre
français Edgar Pisani écrivait à l'intention des
chefs d'Etat africains :
L'avenir de l'Afrique, c'est le combat acharné
des Africains qui le construira. Telle est la vérité, il
faut la regarder en face. Ne comptez guère sur les
autres. Comptez sur vous-mêmes. (...). Cessez
de vous occuper de ceux qui pourraient vous
aider. Sollicitez-les, et ils se déroberont. Mettez-
vous à l'ouvrage, et ils viendront7.
Je sais : vous vous dites que cette chanson, on
l'a suffisamment entendue. Vous êtes peut-être
tenté de penser que les vrais obstacles sont

7 E. PISANI, Pour l'Afrique, Paris. Editions Odile Jacob, p. 239.


152

ailleurs, dans les conditions mondiales qui sont un


goulot d'étranglement pour les économies et les
politiques africaines. Vous avez raison. Mais vous
êtes-vous demandé, d'un point de vue purement
pragmatique et stratégique, par où commence la
liberté et par où se libère l'énergie de la
créativité ? Je réponds : par le potentiel de foi qu'il
y a en vous-même. Le potentiel de foi que vous
investissez en vous-même. Vous-même non
seulement comme personne, mais aussi comme
peuple, comme culture, comme civilisation,
comme continent, pour parler comme Kä Mana. Si
votre foi est faible, faible sera votre capacité
d'agir. Si votre foi est ardente, ardente sera votre
action pour changer l'ordre des choses. Si votre
foi est dynamique, dynamiques seront vos projets
pour réussir la destinée de l'Afrique.
Vous comprenez ainsi que la foi dont je
parle n'est pas une vaporeuse abstraction, mais
153

l'énergie qui peut soulever les montagnes, comme


dirait le Christ. Je crois que l'un des buts de
l'éducation et de l'organisation des forces vives
d'une société, c'est de libérer cette foi, de faire
exploser son énergie afin de détruire l'atavisme
de l'apathie sociale. Une telle foi vous lie aux
autres personnes, forge une mentalité collective
et développe les capacités de coopérer pour
changer la vie. Voilà où il vaut la peine d'investir.

4. Coopérer
Je voudrais, pour terminer, parler de
l'exigence de coopérer. Toutes les actions que je
mène au CIPCRE, là où je suis engagé au jour le
jour, comme dans le monde associatif, les églises,
les communautés de foi et l'univers citoyen, je les
place sous le signe de ce mot : coopérer.
Coopérer, c'est construire avec les autres, à petite
comme à grande échelle. C'est collaborer pour
réussir une vision et une ambition que l'on
154

partage ensemble et que l'on doit réaliser


ensemble.
Pour l'Afrique, il est clair aujourd'hui que
nous ne pouvons pas réussir seuls la destinée de
notre continent, même en comptant absolument
sur nos atouts pour gagner la bataille de notre
avenir. Il y a une exigence d'organiser nos forces
internes, mais il y a aussi l'exigence de savoir sur
qui compter et avec qui coopérer pour faire
avancer la cause de notre continent.
Je vois cinq niveaux de coopération à
développer et à promouvoir :
1. la coopération à l'échelle locale dans des
projets locaux solides et porteurs
d'espérance ;
2. la coopération dans l'action à l'échelle du
pays, dans des organisations qui s'engagent
pour le développement de la nation ;
3. la coopération à l'échelle régionale, dans la
155

lutte constante pour la promotion des


organisations économiques, culturelles,
spirituelles et sociopolitiques solides,
capables de faire partager un même destin à
tous les peuples de la même région, dans
une sereine circulation des Hommes, des
marchandises et des idées ;
4. la coopération à l'échelle de l'Union
Africaine, pour une Afrique ouverte et
créatrice, porteuse d'espérance et de projet
de vie pour l'ensemble du monde ;
5. la coopération des forces de progrès et
d'espérance à l'échelle mondiale, pour la
promotion non seulement d'une économie
sociale et solidaire à l'échelle planétaire,
mais d'une véritable politique du bonheur
partagé, comme aime dire Ka Mana.
Aujourd'hui, je crois que chaque africain,
chaque Africaine, devrait structurer sa vie dans
tous ces types de coopération, avec l'ambition
156

non pas seulement de recevoir et de tirer profit de


ce que les autres apportent, mais d'apporter lui-
même, elle-même, quelque chose de positif et de
décisif pour transformer le monde. Nos
associations, nos églises, nos communautés de
foi, nos institutions politiques et nos Etats devront
aussi s'inscrire dans cette logique de l'avenir.
Ainsi naîtra l'Afrique de l'avenir. Ainsi brillera un
QUESTIONS A DISCUTER

De ce texte il ressort l’urgence des


questions suivantes, qui devraient être discutées
dans les groupes d’étudiants concerné :
1. En quoi les quatre dimensions du problème
dégagées par Jean-Blaise Kenmogne sont-
elles une voie pertinente pour la construction
de l’Afrique nouvelle ?
2. A quelles conditions une telle voie est-elle
envisageable dans les contraintes actuelles
de la mondialisation ?
157

3. Sommes-nous devant une utopie crédible


susceptible d’être enseignée pour son
incarnation concrète ou nous trouvons-nous
devant un rêve pieux, sans consistance ni
théorique ni pratique ?

5.3. Le temps des nouveaux congolais


dans un pays responsable

Lire les auteurs du Manifeste du Club pour l’Eveil


du Congo, Omer Tshiunza Mbiye et Kä Mana.

LE TEMPS DES NOUVEAUX CONGOLAIS


DANS UN PAYS RESPONSABLE

Dans ce dernier exposé du cours, nous


offrons des textes sur le Congo au cœur de
l’Afrique et dans le monde. Ces textes définissent
le nouvel esprit citoyen auquel il faut initier les
acteurs sociaux pour l’invention et la construction
d’une nouvelle société. L’ambition est de faire
158

comprendre que la problématique de la nouvelle


citoyenneté et du leadership du changement est
une dynamique fondamentale dont il faut prendre
conscience, si l’on veut donner au Congo sa place
dans le concert des nations.
Texte 1 : Manifeste du Club pour l’Eveil du
Congo

Publié dans le Journal Le Potentiel sous la


responsabilité de Tshiunza Mbiye et Kä Mana, ce
texte est devenu le Manifeste du Club pour l’Eveil
du Congo. Il a été signé par ses membres
fondateurs : Omer Tshiunza Mbiye, Anastasie
Masanga Maponda, Godefroid Kä Mana, Philippe
Biyoya Makutu, Emmanuel Kabongo Malu, Marie-
France Bayedila Bawunina, Jean-PauIlopi
Bokanga, François-Médard Mayengo et Olivier
Sangi. Le Club pour l’Eveil du Congo est un think
tank qui regroupe des chercheurs et experts
159

congolais engagés dans la recherche sur les


stratégies pour changer la RDC.

TEXTE
Aux yeux de beaucoup d’analystes dans le
monde d’aujourd’hui, la République Démocratique
du Congo n’a aucune chance de figurer sur la liste
des pays africains qui ambitionneraient de devenir
des lions économiques et des tigres politiques, à
l’instar des dragons asiatiques présentés partout
comme le modèle d’une émergence réussie dans
l’ordre mondial actuel. Nombre de Congolaises et
de Congolais s’inscrivent dans la même
conviction et diffusent sur le pays les mêmes
ombres de désespérance, sans se rendre compte
que c’est l’esprit du désespoir qui engendre
l’accoutumance aux malheurs et l’enfouissement
dans le catastrophisme.
On égrène dans tous les domaines les
causes et les effets de nos souffrances, soit ceux
160

qui relèvent de nos atavismes culturels, soit ceux


qui s’ancrent dans nos tares `actuelles, soit ceux
qui nous sont imposés par les chaînes cruelles du
monde dans ce qu’il est maintenant comme
désordre planétaire ou même comme perspective
d’engagements libérateurs. On fait de toutes ces
causes et de tous ces effets des pesanteurs
permanentes et des instances cruellement
indépassables. Comme si, dans la vie des nations
et des peuples, aucun élan de l’inespéré, aucun
souffle de l’inattendu, aucune force de
l’improbable ne pouvaient conduire à aucun
renversement de vapeur lié au génie créateur et à
la mobilisation des volontés pour inventer des
possibilités non inscrites dans les déterminismes
du déjà-vu, du déjà-pensé, du déjà-moulu au sein
des cavernes des habitudes et des
accoutumances.

Rompre avec les logiques du pessimisme


161

Si l’on ne s’en tient qu’aux logiques d’une


telle vision et qu’on s’englue à ses tendances, rien
de nouveau ne peut advenir sous le soleil du
chaos actuel de la République Démocratique du
Congo. Tout est fini et tout git maintenant dans les
tombes de nos misères. La RDC ne serait plus
que l’ombre de ses propres cendres, dans un
espace mondial qui ne compte plus sur l’homme
congolais pour imaginer l’avenir, la seule richesse
congolaise n’étant plus désormais que son sol,
son sous-sol et son espace écologique que des
peuples plus dynamiques et plus intelligents se
chargeront de mettre à profit, dans leur propre
intérêt et dans l’intérêt de la communauté
internationale.
Si nous avons décidé de créer le Club pour
l’Eveil de la RDC, avec un groupe de chercheurs
et d’experts congolais et africains, c’est parce que
nous sommes convaincus que c’est une erreur de
162

développer un mode de pensée qui noie le Congo


dans la marre de son désordre, dans la
profondeur de ses gouffres de désastres et de
calamités. On enlève ainsi à la vie son potentiel
de surprises, de retournements et de possibilités
de révolutions. On oublie même que l’une des
puissances du psychisme humain et du mental
d’un peuple, c’est leur capacité de sursaut,
l’énergie du surgissement des révoltes et des
ruptures, dans les fougues insoupçonnées et les
éruptions de rêves, des attentes, des aspirations
et quêtes qui changent complètement le cours de
l’Histoire, à partir d’une éthique du volontarisme et
d’action de résurrection décidée au plus profond
des énergies vitales d’un peuple.
Nous avons aujourd’hui le devoir de
rompre, tous et toutes au Congo, avec ce mode
de pensée désespéré, pour inventer un nouveau
rêve congolais et l’incarner dans de nouvelles
163

manières d’être, de nouveaux styles de vie, de


nouvelles orientations d’existence et une
puissante éthique du changement irréversible.
Les malheurs, les catastrophes, les
désastres, les anéantissements de toutes sortes,
le Congo les a connus presque tous dans son
histoire furieuse et malheureuse. Il a atteint le
fond de son propre gouffre dans les dictatures, les
guerres et les horreurs du sous-développement.
Le temps n’est plus pour les Congolaises et les
Congolais de se lamenter sans fin sur le sort de la
nation ni de se morfondre dans des jérémiades
sans fin. Le temps est aux nouvelles utopies et
aux nouvelles actions, qui commencent par notre
capacité de penser par nous-mêmes, de prendre
nos responsabilités face à l’avenir, de décider de
changer nous-mêmes le cours de notre histoire
irrémédiablement et d’agir par nous-mêmes pour
164

nous donner un présent heureux et un avenir


lumineux.

Penser par nous-mêmes

Un peuple ne sort du cycle des souffrances


que s’il décide de faire le choix de penser par lui-
même ses problèmes et de trouver des solutions
par l’énergie de sa propre intelligence, loin de
toutes les tentations de vivre grâce au cerveau
des autres et à la matière grise d’emprunt.
En RDC, à force de nous être habitués aux
orientations décidées ailleurs en matière politique
et économique comme en matière sociale et
culturelle, nous avons perdu la capacité et la
puissance de croire en nous-mêmes, à toutes les
échelles de la vie nationale. On chercherait en
vain aujourd’hui où sont les solutions congolaises
aux problèmes du Congo et nous en sommes
tous et toutes conscients depuis notre
165

indépendance jusqu’à ce jour. Nous avons


constamment déploré ce fait sans concrètement
assumer le devoir d’être nous-mêmes notre
propre centre de pensée, de recherche et
d’impulsion créatrice. Les grandes tentatives pour
relever ce défi se sont soldées par des échecs
lamentables. Tous les Congolais, toutes les
Congolaises connaissent la farce du recours à
l’authenticité comme idéologie nationale au temps
du président Mobutu. Tout le monde sait de
quelle manière s’acheva la Conférence nationale
souveraine et dans quel pitoyable fracas le Congo
courba l’échine face aux forces venues
d’ailleurs. Même les philosophes congolais qui se
donnèrent pour projet, selon l’impératif inspiré de
Kant, le courage de penser par nous-mêmes au
Congo, faiblirent très vite dans leur ambition. Leur
Sapereaude, « prends le courage de te servir de
166

ton propre entendement », s’effrita sans laisser


des traces mémorables.
Le projet doit être repris, la corde retendue,
la force de la matière grise remise en érection,
grâce à une culture de « think tank », de groupes
pour réfléchir et pour proposer des solutions
centrées sur des résultats concrets et crédibles.
Toute l’ambition du club pour l’éveil de la RDC est
dans cette orientation.

Prendre nos responsabilités

Elle consiste à construire une société de


responsabilité individuelle et collective. En effet, si
le Congo donne l’image d’effondrement qui est la
sienne actuellement, c’est sans doute parce que
le manque de dynamiques de pensée a engendré,
à très grande échelle, le manque du sens de
responsabilité. Il eut un temps ou un slogan
strident fut inventé dans notre pays pour définir ce
167

qui nous nous manque atrocement au Congo. Il


stipulait : « Servir et non se servir ». Ce slogan a
perdu toute substance depuis longtemps et la
RDC n’a plus aujourd’hui aucun sens de l’éthique
communautaire. On ne gagne aucune bataille du
développement, aucune bataille de la puissance
politique, aucune bataille de la modernisation
d’une société, aucune bataille du rayonnement
mondial pour un peuple si rien ne se structure et
ne s’organise sur l’impératif de responsabilité
individuelle et communautaire. On ne gagne rien
de cette dimension si rien n’élève l’esprit et la
conscience d’un peuple au-delà des contingences
des égoïsmes étroits, dans le choix éthique des
valeurs qui rendent un peuple capable de
s’engager dans la force du bien, dans le souci
d’un vivre-ensemble fertile et dans la volonté d’un
bonheur partagé où se tissent des liens d’une
indéfectible fidélité à une identité historique
168

construite et constamment arrosée par la décision


d’être ensemble comme communauté. Ce sens
de l’être ensemble se forge et s’éduque, se
fertilise et se transmet de génération en
génération, par le limon de l’éducation. Le Club
pour l’éveil de la RDC met l’éducation au cœur de
ses préoccupations fondamentales, à contre-
courant des attitudes aujourd’hui régnantes.

Changer nous-mêmes le cours de notre


histoire

L’enjeu, c’est de changer le destin


congolais par la puissance de l’imagination
créatrice, en ayant l’esprit tourné vers les valeurs
d’avenir : la liberté, la dignité, l’organisation, le
sens communautaire et le souci de la grandeur.
Pour ce faire, la mobilisation des énergies de
l’intelligence, des pouvoirs ainsi que et des
puissances de la créativité est décisive, avec la
169

capacité de les dynamiser par l’éducation et


d’ouvrir des voies nouvelles par des recherches
dans tous les domaines de la vie congolaise, pour
l’émergence du Congo dans un grand destin de
lion africain et de tigre tropical. Le destin du
bonheur, de la paix et de la stature mondiale à la
hauteur de nos possibilités et de nos aspirations
irrépressibles.

Agir par nous-mêmes

On ne construit pas ce bonheur si l’on ne


développe pas le pouvoir d’agir par soi-même
pour résoudre ses propres problèmes. Au Congo,
ce pouvoir est en crise. Nous avons perdu la
capacité de nous mettre debout ensemble, de
nous mettre ensemble au travail pour changer
tout ce qu’il convient de changer dans tous les
domaines qui posent problème dans notre pays :
l’éducation, la santé, les infrastructures de
170

développement, l’action de gouvernance, le


leadership socio-économique, l’effritement du
sens de la liberté et l’effondrement de notre génie
créateur. Contre cette crise de l’agir, il est temps
de forger un esprit congolais de transformation
concrète du Congo par les Congolaises et les
Congolais. Le Club pour l’éveil de la RDC a ce
devoir pour ambition, dans la mobilisation des
ressources humaines qui veulent une grande
destinée pour notre pays, qui décident de mettre
en action concrète le pouvoir de la matière grise,
le pouvoir des valeurs fondamentales d’humanité
et le pouvoir du sens créateur sans lequel il est
impossible de changer le sort d’une nation.

Réussir ce rêve

Nous sommes là dans l’ardente vibration du


nouveau rêve congolais. Depuis de longues
décennies, bien des penseurs ont perçu ce rêve
171

et y ont cru : Fanon l’a célébré en voyant l’Afrique


comme un revolver dont la gâchette est au
Congo ; Cheikh AntaDiop avait pensé l’Afrique
unie autour du souffle du Congo-Kinshasa ;
Théophile Obenga a récemment réaffirmé la
vocation continentale de la RDC et le philosophe
camerounais Fabien Eboussi a eu cette vibrante
et magnifique prophétie : « Si la RDC s’éveille,
toute l’Afrique ressuscitera ». Ce rêve de toute
l’Afrique n’est ni au-dessus de nos moyens, ni au-
delà de nos possibilités. Il relève de notre volonté
et de notre détermination. Il devra être en nous
comme un levier indomptable pour réussir le
Congo.
C’est lui que le Club pour l’Eveil de la RDC
veut faire vibrer et faire rayonner partout dans le
monde. A partir de maintenant.

Grande question à discuter :


172

1. Quel est l’esprit de la nouvelle citoyenneté


congolaise dans ce texte ?
2. Dans quelle mesure un tel esprit peut-il se
concrétiser dans des pratiques sociales et
dans tous les domaines de la vie nationale ?
3. Pour quelle finalité ?
173

CONCLUSION

Au terme de notre cheminement sur


l’éducation à la citoyenneté, il nous revient de
nous résumer en ces termes.
L’étudiante et l’étudiant de l’UKV qui a suivi
ce cours est devenu une nouvelle congolaise et
un Nouveau Congolais, une citoyenne et un
citoyen qui a appris à gagner la bataille de voir
grand et de viser haut dans tous les domaines. Il
peut, comme on disait aux plus beaux temps du
mobutisme triomphant, « tailler son chemin dans
le roc », s’il faut tailler le chemin dans le roc,
pourvu que le chemin conduise le peuple à être
un « peuple grand, peuple libre à jamais » selon
le bel hymne du Zaïre d’antan.
Avec cette vision de former une nouvelle
citoyenne et un nouveau citoyen on comprend
que le mot d’ordre est celui que le poète François-
Médard Mayengo adresse à tous ceux et toutes
174

celles qui veulent un Nouveau Congo : « Levez-


vous ». Dans un pays où le feu du désordre, de
l’immoralité, de la violence, de la destruction et de
la médiocrité a semé partout le désarroi dans les
esprits, le poète parle fort et vrai à tout notre
peuple :
Si demain ô survivants du feu,
Repoussent des villes nouvelles, au
Maniema,
à Bukavu, à Goma, à Kisangani et à
Bunia,
Nées des chants des hommes
nouveaux de votre terre,
Levez-vous, n’attendez point,
pour marcher, n’attendez point la voix
des diseurs d’annales
des industries de la mort,
Et des vendeurs de leurres
Levez-vous !... »
175

Le levier pour se mettre debout, c’est le


prêtre catholique Jean-Patrice Ngoyi qui nous en
a dévoilé les trois clés de l’antre où il est caché:

La première clé a un nom : l’éducation. La


deuxième clé a aussi un nom : l’éducation. La
troisième clé a également son nom :
l’éducation.
A vous mes étudiantes et étudiants; n’oubliez
pas que la République Démocratique du
Congo est notre cause commune.
Travaillons dès maintenant pour rendre
brillant son avenir.
Oui, ensemble et par le labeur nous sommes
capables d’assurer sa grandeur.

Séraphin KHONDE PHOBA,


Diplômé d’études approfondies
176

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