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Les ruées vers l’or au Sahara et au nord du Sahel.

Ferment
de crise ou stabilisateur ?
Raphaëlle Chevrillon-Guibert, Laurent Gagnol, Géraud Magrin
Dans Hérodote 2019/1 (N° 172), pages 193 à 215
Éditions La Découverte
ISSN 0338-487X
ISBN 9782348042751
DOI 10.3917/her.172.0193
© La Découverte | Téléchargé le 17/07/2023 sur www.cairn.info (IP: 190.74.100.102)

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Les ruées vers l’or au Sahara et au nord
du Sahel. Ferment de crise ou stabilisateur ?

Raphaëlle Chevrillon-Guibert 1,
Laurent Gagnol 2 et Géraud Magrin 3

Les ruées vers l’or saharo-sahéliennes contemporaines sont absentes des radars
des études sur les relations entre ressources naturelles extractives et conflits en
Afrique, dominées notamment par les travaux sur les rentes pétrolières et sur le
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pillage des minerais des Grands Lacs. Dans les années 2000, la hausse des prix
des matières premières associée aux réformes néolibérales promues par la Banque
mondiale a conduit à un regain des activités extractives en Afrique. Une abondante
littérature a accompagné ces développements, soulignant les dangers potentiels
d’économies fondées exclusivement sur l’extractivisme (pétrolier essentiellement)
ou cherchant des alternatives juridiques pour en juguler les défauts. L’accent a été
mis sur l’aspect macroéconomique de cette exploitation ou, au niveau local, sur
les aspects négatifs de pratiques peu soucieuses des travailleurs et de l’environ-
nement (sur les nouveaux codes miniers et la « malédiction des ressources », voir
par exemple Campbell [2009] et Magrin [2013]). Moins nombreux ont été les
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travaux empiriques menés pour tenter de saisir au plus près du terrain la réalité des
transformations engagées dans les territoires locaux par ces développements, et
notamment les multiples mobilisations et conflits suscités [Engels et Dietz, 2017].
Avec ses milliers de migrants qui traversent le Sahara au péril de leur vie,
plusieurs conflits ouverts d’intensité variable (Sahara occidental, Nord-Mali,
Tibesti, Darfour, monts Nouba, etc.), une insécurité récurrente entretenue par des

1. Chargée de recherche IRD.


2. Maître de conférences université d’Artois.
3. Professeur université Paris 1.

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contextes politico-économiques instables et inégalitaires ou encore l’existence


de groupes armés radicaux (Aqmi, État islamique, milices, etc.), l’actualité sahé-
lo-saharienne nous rappelle combien cet espace est travaillé par une multitude de
dynamiques aux effets conflictuels et déstabilisateurs pour l’extérieur mais aussi
structurants pour ses territoires et sociétés. Parmi ces forces à l’œuvre, le boom
minier que connaît la région n’est pas le moindre. Il est principalement alimenté
par le développement d’une production artisanale qui mobilise des centaines de
milliers de mineurs, voire des millions si on en croit les évaluations des minis-
tères des Mines nationaux. L’afflux d’orpailleurs, les exploitations et les revenus
qu’elles procurent dans des contextes économiques marqués par la pauvreté
suscitent de profonds bouleversements sociaux, économiques et environnemen-
taux qui améliorent les situations locales ou au contraire les dégradent. Les gains
potentiels créent des espoirs tout en suscitant des convoitises et de nombreux
conflits sur les usages qui doivent être faits de ces ressources et la redistribution
des produits de leur exploitation. En attisant les circulations transfrontalières, les
rivalités pour les ressources entre individus et entre groupes dans des espaces de
marges désertiques connaissant un fort sous-développement et parfois une faible
régulation étatique, ces ruées vers l’or constituent-elles un facteur de vulnérabilité
supplémentaire pour ces États sahélo-sahariens ou leurs populations ? Ou bien au
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contraire peuvent-elles représenter un stabilisateur sociopolitique en fournissant
des revenus décentralisés à un très grand nombre d’hommes ? Autrement dit, les
pratiques développées autour de ces activités économiques participent-elles au
renforcement de modes de gouvernement souvent autoritaires de ces États ou sont-
elles, au contraire, facteur d’émancipation des sociétés ?
Cet article vise à proposer un panorama des travaux empiriques menés sur l’or
dans ce vaste espace saharo-sahélien pour interroger leurs enjeux géopolitiques
et notamment les conflits et violences qui l’affectent. Ceux-ci mettent aux prises
les différents États de la région, les pouvoirs locaux, des entreprises industrielles
internationales et les orpailleurs pour le contrôle de la ressource ; ils opposent aussi

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certains groupes d’orpailleurs entre eux. Il s’agit ainsi d’éclairer les interactions
complexes entre l’exploitation de l’or et les conflits préexistants, la recherche de
l’or étant à la fois un horizon d’accumulation économique pour des populations
paupérisées ou chassées par des conflits, mais aussi un objet de rivalités entre
individus et groupes, dont la rentabilité est susceptible de financer les activités
violentes de groupes armés ou des nombreux États autoritaires de la région.
Nous mobilisons ici les produits d’une veille documentaire (littérature grise et
scientifique, presses nationales) et surtout plusieurs recherches de terrain menées
par les auteurs depuis 2014 au Soudan, au Tchad, au Niger, mais aussi, à moindre
échelle, au Burkina Faso et en Mauritanie. Malheureusement, la situation sécuri-
taire au Mali n’a pas permis aux auteurs d’y travailler.
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Les ruées vers l’or au Sahara et au nord du Sahel

Nous décrivons d’abord l’émergence et la diffusion de l’extraction artisanale de


l’or dans l’espace saharo-sahélien à travers le prisme de la notion de front pionnier.
L’orpaillage produit en effet une dynamique de peuplement et de mise en valeur
inédite dans ces régions désertiques de confins, souvent isolées, marginalisées et
donc peu contrôlées par les États. Ensuite, nous interrogeons les facteurs et impacts
de ces ruées sur les territoires concernés. Enfin, nous questionnons le rôle de l’État,
à travers les implications de ses choix en termes de modèle de développement
(industriel vs artisanal), puis à travers la manière dont il contrôle la reconfiguration
des arènes de gouvernance locale autour des sites d’extraction artisanale.

Le front pionnier de l’or sahélo-saharien


Historiquement, l’espace saharo-sahélien n’était pas une grande région de produc-
tion aurifère. Il s’agissait plutôt d’un espace à franchir pour les caravanes connectant
le monde méditerranéen aux royaumes et villes sahéliennes [Devisse, 1990]. L’or,
surtout sous forme de poudre, y transitait tandis que les gisements étaient situés plus
au sud 4. Or, depuis une dizaine d’années, les ressources aurifères découvertes et
jusque-là quasi insoupçonnées attisent de nombreuses convoitises, comme l’attestent
le développement de projets industriels financés par des acteurs internationaux mais
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aussi et surtout l’apparition puis l’expansion considérable de l’orpaillage artisanal.

Un front pionnier récent et instable

Le front pionnier de l’or saharo-sahélien reflète le contexte géopolitique


instable dans lequel il s’inscrit puisqu’il fait l’objet de rivalités multiples (entre
groupes armés, entre orpailleurs et États méfiants devant le potentiel déstabilisant
de ces processus mais également avides de nouvelles ressources).
Il n’existe que très peu de sociétés minières exploitant industriellement
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l’or au Sahara et au nord du Sahel. Cela s’explique par la faible connaissance


des gisements, par un « climat des affaires » jugé peu favorable 5 malgré des lois
minières revues pour attirer les investissements étrangers, mais aussi par l’inac-
cessibilité et l’instabilité de ces régions, qui augmentent les coûts de production.

4. L’orpaillage et l’activité minière industrielle ne sont anciennement pratiqués qu’à


l­’extrême sud de la zone sahélienne dans les régions du Bambouk, du Bouré et en pays Lobi
(sud du Sénégal et du Mali, nord de la Guinée, sud du Burkina Faso).
5. Créé par la Banque mondiale, l’indice de la « facilité de faire des affaires » mesure les
réglementations nationales favorables aux investissements des firmes transnationales : les pays
saharo-sahéliens y sont classés dans le bas du tableau.

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Alger Tunis

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TUNISIE Mer Méditerranée
Rabat
Océan
hérodote

Atlantique MAROC Tripoli


Akka Le Caire
Désert
Nil oriental
A LGÉ RIE L IBY E égyptien
Sabha ÉGYPT E 2011
Laayoune
Louxor
M

SAHARA
e

Djanet Koufra
OCCIDENTAL Sukari
rR

Hanane- Assouan
oug

Tamanghasset Tiririne
e

Tichla 2018 Zouerate Kouri Bougoudi


Tirek Nubie
Tasiast Tchibarakaten Tibesti 2013 2009
Tijirit 2016 Amesmessa Aïr 2014 Djado
2014 Port-Soudan
Chami Adagh 2018 Tabelot Miski
M AUR ITA N I E Fasso il Hassaï
Gouzar Kidal N
NouakchottS
én Tombouctou Amzeguer TC H A D Darfour
Gao Agadez 2012 S OUDA N
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l Khartoum
Dakar MALI N IGE R Abéché Jebel
Sabodala
Sadiola iger
N Niamey Amir El Obeid
Bamako Fitri 2016
Mako OuagadougouN
N’Djamena
BURKINA ige
r Nyala
NIGERIA Addis
FASO Abeba
Océan CÔTE Abuja
Atlantique D’IVOIRE RÉP. SOUDAN ÉTHIOPIE
GHANA Lagos DU SUD
CENTRAFRICAINE
Frontières nationales Accra CAMEROUN Juba
Fleuves Abidjan
Golfe de Guinée Yaoundé Bangui 500 km
Villes principales RDC
Mines d’or industrielles Conflits armés liés aux mines, Franchissements clandestins
en exploitation entre orpailleurs et entre orpailleurs des frontières par les orpailleurs Kampala
Zones de prospection et forces armées nationales
des orpailleurs Dates de début d’une ruée Points de passage frontaliers sahariens
2016 majeure du front pionnier
Principaux sites tolérés
Carte 1. – Le front pionnier aurifère dans l’espace saharo-sahélien

ouverts fermés Carte conçue par


Principaux sites fermés Diffusion du front pionnier R. Chevrillon-Guibert,
Centres de traitement aurifère (circulation des orpailleurs L. Gagnol et G. Magrin
et des techniques) HÉRODOTE N°172

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Les ruées vers l’or au Sahara et au nord du Sahel

On observe cependant un essor des investissements miniers depuis une dizaine


d’années. En Mauritanie, la mine de cuivre d’Akjoujt, détenue depuis 2004 par
une société canadienne, fournit des résidus d’or depuis l’époque coloniale et
surtout la mine de Tasiast, filiale d’une société canadienne, en extrait depuis 2010.
En Algérie, malgré d’importantes réserves, les gisements du sud de l’Ahaggar
(Tirek, Amesmessa, Tiririne, In Abegui, TinChaffao, etc.), annoncés comme
les plus prometteurs d’Afrique après ceux du Congo, ont été exploités pour les
deux premiers d’entre eux entre 2003 et 2011, à la suite d’un partenariat entre
Enor (société nationale, filiale de la Sonatrach) et une société australienne, avant
d’être abandonnés faute, officiellement, de rentabilité. Au Maroc, la mine d’Akka
est exploitée depuis 2007 par le groupe marocain Managem. Mais, on le verra,
c’est surtout dans le désert oriental égypto-soudanais, entre la vallée du Nil et la
mer Rouge, que l’exploitation mécanisée a été la plus ancienne (depuis l’époque
coloniale anglaise) et qu’elle est la plus active aujourd’hui. On peut ajouter que le
nord du Burkina Faso et l’extrême sud du Niger comptent respectivement quatre et
une mines industrielles dont l’exploitation a commencé à partir de 2007 pour les
unes et 2004 pour l’autre, grâce à des investissements russes et surtout canadiens.
Depuis une dizaine d’années, une fièvre de l’or s’est répandue à travers tout
l’espace saharo-sahélien, conduisant à des ruées extractives successives. On peut
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mobiliser la notion de front pionnier pour désigner ce processus heurté et rapide de
mise en valeur des ressources aurifères, dans un milieu désertique considéré géné-
ralement comme stérile et vide, voire « sauvage » et violent, en tout cas en marge
de la « modernité » et situé souvent dans les confins mal contrôlés des États. Pour
mieux cerner les dynamiques et les enjeux de cet immense front pionnier aurifère,
il convient de préciser les logiques territoriales et les acteurs qui prospectent en
s’affranchissant souvent des frontières nationales.
L’émergence du front pionnier est située au Soudan et fort probablement au
nord du pays, aux abords de la vallée du Nil. Comment expliquer cette matrice
nubienne ? D’abord, on l’a vu, contrairement aux autres régions saharo-sahéliennes
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qui ont été historiquement des espaces de transit et non de production, l’orpaillage
y est une activité très anciennement répandue. De même que le désert oriental
égyptien exploité par les dynasties pharaoniques 6, la Nubie soudanaise a été depuis

6. Le papyrus trouvé près de Thèbes et conservé à Turin, datant probablement du règne


de Ramsès IV, est sans doute la plus ancienne carte au monde localisant des mines. Il s’agit
plus exactement de la représentation d’un itinéraire qui permet de se rendre à la mer Rouge
en passant par les mines d’or de l’oued Hammamat dans le désert oriental [Baud, 1989]. Les
archéologues ont mis au jour plus de 250 sites miniers [Klemm et Klemm, 2013], dont certaines
techniques sont encore utilisées aujourd’hui (emploi du feu dans les filons, puits d’extraction,
moulins et rampes de lavage, etc.).

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l’Antiquité une région aurifère. Plus tard l’or, associé à d’autres ressources telles
que la gomme arabique, le bétail ou encore les esclaves, fut probablement parmi
les principales motivations à la conquête turco-égyptienne du Soudan. Après la
période coloniale, au Soudan comme en Égypte, il faut attendre la hausse specta-
culaire des cours de l’or pour que ce métal redevienne stratégique et soit à nouveau
exploité industriellement depuis le début des années 1990 au Soudan avec la mine
d’Hassaï via un partenariat de l’État soudanais avec diverses sociétés (canadienne,
française et égyptienne) et en Égypte à Hammash (entre 2007 et 2013) et surtout
à Sukari (depuis 2005 avec une production effective en 2009 via un partenariat
entre l’État égyptien et une société australienne). À la suite de la révolution égyp-
tienne du printemps 2011 et du départ des forces militaires vers d’autres régions
plus sensibles, des milliers d’Égyptiens des régions de Louxor, Assouan et Marsa
Alam (gouvernorat de la mer Rouge) se sont lancés dans l’orpaillage 7 aux alen-
tours des sites industriels (en entrant clandestinement dans les zones des permis) et
en réinvestissant parfois à la pelleteuse ou au bulldozer les filons exploités durant
l’Antiquité, commettant ainsi des dégâts irréversibles pour le patrimoine [Faucher,
2018]. Il semblerait que les techniques leur ont été expliquées et les outils vendus
par des Soudanais, entrés clandestinement en Égypte et ayant déjà acquis une
solide expérience en matière d’orpaillage.
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C’est donc au Soudan qu’il faut chercher l’origine du front pionnier saha-
rien. L’introduction d’une nouvelle génération d’appareils détecteurs de métaux
a contribué au renouveau et à l’expansion territoriale des activités minières
artisanales. Le partenariat économique stratégique avec la Chine, ainsi que
l’implan­tation d’opérateurs économiques soudanais à Dubaï ont favorisé la large
diffusion dans le pays de matériels utiles à l’orpaillage semi-artisanal, notamment
des appareils détecteurs de métaux 8 dont l’importation est officiellement auto-
risée au Soudan en 2008 [Chevrillon-Guibert et Magrin, 2018]. Leur introduction
massive et à plus faible coût est probablement à l’origine du développement
sans précédent et à grande échelle d’un nouveau type d’orpaillage « mobile »,

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avec l’exploitation de nombreux gisements dans les sables alluviaux (placers) du
désert nubien et dans les collines bordant la mer Rouge de la frontière égyptienne

7. Depuis cette date, selon le gouvernorat de la mer Rouge, on estime qu’entre 1 et 2,5 tonnes
d’or y sont exploitées illégalement chaque année. En 2017, la presse nationale a relayé l’éva-
cuation par l’armée de quatre sites, qui font partie des concessions minières à pourvoir par le
ministère des Mines, et l’arrestation de 280 orpailleurs.
8. En 2009, en raison de la fièvre de l’or au Soudan, il y a eu pendant 6 à 9 mois une
rupture de stock mondiale dans la commercialisation de détecteurs de métaux de plusieurs
marques (Le Fouilleur magazine, n° 32, 2010), notamment des détecteurs à induction pulsée qui
conviennent mieux à la recherche d’or natif dans les sols fortement minéralisés.

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Les ruées vers l’or au Sahara et au nord du Sahel

à celle de l’Érythrée (le bouclier nubien). Des dizaines de milliers de personnes


s’improvisèrent orpailleurs et affluèrent vers les filons. De grandes concentrations
de mineurs furent liées à la découverte de veines de quartz aurifère. Le front se
propagea à travers une bonne partie du pays avec plus ou moins de rapidité selon
les conditions sécuritaires, surtout dans les États du Kassala, Gedaref et du Nil
Bleu, ainsi qu’au Sud- et au Nord-Kordofan et au Darfour. Dès 2014, le minis-
tère des Mines a estimé à plus d’un million le nombre d’orpailleurs artisanaux.
L’orpaillage a été encouragé par l’État à la recherche de rente après la partition
de 2011. Alors qu’en 2009 l’or contribuait à 1 % des exportations du pays, il en
fournit plus de la moitié aujourd’hui, dépassant en valeur la contribution du pétrole
dont les gisements sont massivement situés dans le sud du pays qui a fait séces-
sion et dont les cours se sont contractés en 2008-2009 puis entre 2014 et 2016.
Doublant le Mali, le Soudan serait devenu en 2014 le troisième exportateur
d’Afrique et peut-être le deuxième aujourd’hui devant le Ghana (107 t annoncées
en 2017, ce qui en ferait le neuvième mondial) 9 [Chevrillon-Guibert, 2016]. Une
raffinerie d’or a été inaugurée en 2012 10, tandis que, selon le ministère des Mines,
plus de 400 sociétés aurifères seraient enregistrées fin 2017. Cependant leur taille
est très variable et, à part quelques entreprises internationales importantes comme
Managem ou Russal, les projets industriels restent peu nombreux. La levée de
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l’embargo américain fin 2017 et l’intérêt de certains investisseurs non occiden-
taux pour un pays comme le Soudan (turcs, chinois, marocains, russes) pourraient
conduire au développement de nouveaux grands projets industriels. Certaines
entreprises canadiennes se sont aussi lancées dans l’aventure, même si la crise
économique et monétaire dramatique qui frappe le pays et un régime prédateur
conduisent les opérateurs à une grande prudence.
À partir d’avril 2012, une ruée majeure s’est produite au nord du Darfour,
avec la découverte d’un gisement important dans le Jebel Amir. La mine de Jebel
Amir devient alors la plus grosse mine de la région. Elle compte probablement
20 000 puits et 100 000 à 150 000 travailleurs au moment de sa plus forte activité.
Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.

Cette ruée s’inscrit dans le contexte d’une région en guerre depuis quinze ans. Rente
inespérée dans une région ravagée par le conflit et historiquement marquée par
un fort sous-développement, l’exploitation du précieux minerai suscite d’intenses

9. Le caractère extrêmement politique des données chiffrées dans le contexte d’une écono-
mie en crise et d’un régime qui se veut « développeur » invite à la plus grande prudence quant
aux chiffres officiels annoncés.
10. Le Soudan a été suivi en cela par le Mali et le Ghana en Afrique de l’Ouest. L’Égypte
a le projet de construire un complexe industrialo-commercial autour de l’or à Suez. Aujourd’hui
l’or est surtout raffiné au Moyen-Orient (notamment Dubaï). L’Afrique du Sud, le Botswana, la
Namibie, le Mozambique, la Tanzanie, l’Éthiopie et l’Ouganda possèdent aussi une raffinerie.

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convoitises et s’articule alors avec des dynamiques locales et nationales d’opposi-


tion entre communautés ainsi qu’avec le régime central, d’autant que Jebel Amir est
située sur le territoire traditionnel d’un des leaders des milices progouvernemen-
tales entré récemment en rébellion contre son ancien soutien. À peine un an après
sa découverte et jusqu’en 2017, le Jebel Amir devient ainsi le théâtre d’importants
affrontements, ce qui n’empêche pas les activités artisanales de continuer à s’y
développer. De tels conflits et la rudesse des conditions de vie et de travail n’ont pas
empêché l’afflux d’étrangers des pays voisins, notamment du Tchad.
Du Darfour, le front pionnier de l’orpaillage traversa les frontières tchadiennes
à partir de la fin 2012, quand des chercheurs d’or expérimentés du Jebel Amir
prospectèrent dans les régions frontalières tchadiennes du Dar Sila et du Ouadaï.
Plus récemment aguerris, des orpailleurs appartenant aux communautés toubou
en découvrirent aussi dans leur région d’origine au Tibesti, notamment près de
l’oued Enneri Miski, ce qui conduisit à une ruée d’ampleur en 2013 [Tubiana et
Gramizzi, 2017, 2018]. Dès lors, des tensions apparurent entre des orpailleurs issus
des communautés locales toubou (Teda) et ceux issus des communautés voisines,
notamment celles des Béri dont relève le groupe ethnique Zaghawa situé à cheval
entre le Tchad et le Soudan et dont sont originaires le président tchadien Déby
et les premiers cercles de son régime [Chevrillon-Guibert, 2013]. Des affronte-
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ments réguliers y ont fait des dizaines de morts depuis 2014, à la suite desquels
les autorités tchadiennes décidèrent une fermeture partielle des sites le temps
d’expulser les étrangers 11. Si beaucoup continuèrent à Miski et dans les environs
de Zouar, d’autres s’installèrent de l’autre côté de la frontière, en Libye (Kilinje
et surtout Kouri Bougoudi), tout en continuant à extraire les roches côté tcha-
dien. En réplique à une attaque rebelle à Kouri Bougoudi et à des manifestations
contre un redécoupage territorial détachant Miski du Tibesti, l’armée tchadienne
est intervenue à nouveau en août 2018 en bombardant les sites miniers. Les mines
du Tibesti ont été « nettoyées » et les orpailleurs, considérés tous comme illégaux,
chassés. L’or est suspecté de financer la rébellion du Conseil de commandement

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militaire pour le salut de la République (CCSMR) qui défie le pouvoir d’Idriss
Déby, depuis leur position dans le Sud libyen. À l’inverse, l’opposition et de
nombreux membres des communautés toubou considèrent que les mines du Tibesti
vont passer sous le contrôle des membres du « clan Déby ». Au Tchad, toutes les
mines d’or sont officiellement fermées.

11. Madjiasra Nako, « Tchad : quand la ruée vers l’or provoque des tensions intercommu-
nautaires », Jeune Afrique, 15 août 2014, <www.jeuneafrique.com/47036/societe/tchad-quand-
la-ru-e-vers-l-or-provoque-des-tensions-intercommunautaires/>.

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Les ruées vers l’or au Sahara et au nord du Sahel

Le bruit se répandit à partir d’avril 2014 de découverte de pépites dans la région


désertique du Djado, au nord-est du Niger. L’afflux fut encore plus massif et inter-
national qu’au nord du Tchad [Grégoire et Gagnol, 2017]. Les rumeurs mais aussi
les expulsions des sites miniers tchadiens conduisirent à une véritable ruée vers l’or
en quelques semaines, dans une région là encore très isolée. Si les découvreurs sont
des membres des communautés toubou en provenance du Tibesti, les Touareg eurent
l’occasion de s’initier à leur contact à l’orpaillage. Au Nord-Niger, la prospection
a ensuite conduit à la découverte de nombreux autres gisements dans l’Aïr (Gofat,
Fasso, Amzeguer, etc.) et surtout à Tchibarakaten, à la frontière nigéro-­algérienne,
aujourd’hui en grande partie sous le contrôle de la communauté touareg. Le filon de
Tchibarakaten se poursuivant en Algérie, les orpailleurs subsahariens franchissent
clandestinement la frontière et exploitent de nuit les sites miniers industriels aban-
donnés du sud de l’Ahaggar. Selon ces derniers, pour éviter un afflux sur le territoire
algérien et pour préserver les ressources aurifères, l’armée surveille, tire à vue ou
capture, maltraite parfois et expulse les chercheurs d’or 12. Pour empêcher son fran-
chissement clandestin, l’armée algérienne a creusé des tranchées et formé des talus
avec les remblais tout au long des parties roulantes de sa frontière avec le Niger.
En moins de deux ans, le front pionnier aurifère saharien se diffusa donc d’est
en ouest, depuis le Soudan au Tchad et en Libye, puis au Niger et en Algérie. Dans
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les confins libyens et soudanais, au niveau du carrefour que constitue le Jebel
Aweynat, l’orpaillage s’est beaucoup développé. Néanmoins, seule l’extraction
est pratiquée sur place car le manque d’eau (les puits produisent une eau saline
problématique à coût très élevé) et l’insécurité libyenne conduisent les orpail-
leurs à parcourir plus de 600 km pour rejoindre les rives du Nil soudanais et le
marché de l’or de Rana, afin d’y traiter leur minerai [Chevrillon-Guibert, 2018].
Cette propagation de ruées vers l’or est ensuite en partie bloquée vers le nord par
l’armée algérienne et le conflit libyen et vers l’ouest par le conflit au Nord-Mali.
Les prospecteurs glissèrent donc vers le sud dans les régions sahéliennes du Tchad
et du Niger. Début 2016, l’or a été découvert au Tchad dans la région du Batha,
Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.

près d’Ati et du lac Fitri, conduisant à l’afflux de 40 000 personnes en quelques


jours [Chevrillon-Guibert et Magrin, 2018]. Au Niger, des ruées ont conduit des
dizaines de milliers de citadins de Niamey et de Zinder à creuser des bas-fonds

12. Par exemple, en 2015, selon la presse nationale, le bilan officiel dressé par l’armée
algérienne surveillant par moyens terrestres et aériens ses frontières sahariennes faisait état de
l’arrestation de 774 individus impliqués dans la recherche illégale d’or et la saisie de 522 détec-
teurs de métaux, sans parler des marteaux-piqueurs, groupes électrogènes, véhicules, armes, or,
téléphones satellitaires, etc. qui ont été réquisitionnés. En 2014, il s’agissait de 502 orpailleurs
et 671 détecteurs. En avril 2016, 503 Tchadiens et 289 Soudanais ont été expulsés vers leur pays
après plusieurs mois d’emprisonnement.

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et à raser des collines, des jours durant, sans jamais découvrir la moindre once
[Gagnol, Grégoire et Ahmed, à paraître]. Cette extension du front pionnier a été
liée aux fermetures de sites d’orpaillage par les États, cherchant à mieux contrôler
et à taxer l’activité, à attribuer des permis miniers et à encadrer la commercialisa-
tion de l’or, ainsi qu’aux évolutions locales des conflits. Le départ ou l’expulsion
d’orpailleurs étrangers qui se sont reportés ailleurs a conduit aussi à la prospection
et à la découverte de nouveaux gisements.
Évitant pour un temps le Nord-Mali, les prospecteurs sahariens se sont ensuite
portés vers la Mauritanie. Depuis 2016, on observe ainsi un afflux de dizaines
de milliers de chercheurs d’or en Mauritanie, surtout dans la région de Tijirit et de
Tasiast, autour de la mine d’or industrielle éponyme, mais aussi dans la wilaya du
Tiris Zemmour jusqu’à la frontière avec l’Algérie. Là encore, les Soudanais, en
particulier du Darfour, ont fait figure d’initiateurs et d’experts 13. Les prospecteurs
ont également franchi clandestinement les frontières pour étendre leur activité vers
le nord, en Algérie et au Sahara occidental. La presse marocaine et algérienne
rapporte ces arrivées d’orpailleurs depuis les pays du Sud, qui sont pourchassés
par les militaires. En s’associant avec des nationaux, ils les initient à l’orpaillage,
aujourd’hui largement pratiqué au Sahara occidental et en Algérie, et peuvent
continuer leur prospection mais de façon plus discrète et risquée. En 2017, dans la
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province d’Aousserd près de Tichla (Sahara occidental sous contrôle du Maroc),
la découverte d’un gisement a conduit à une petite ruée début 2018, jusqu’à ce
que les autorités marocaines décident en mars de fermer le site situé en zone mili-
taire et de déloger plus de 200 tentes et 500 orpailleurs, marocains mais aussi
nigériens. La dernière ruée saharienne en date est celle que connaît le nord du
Mali depuis fin 2017, malgré les violences qui perdurent. Dès 2017, des orpail-
leurs de Tchibarakaten ont poussé leur prospection entre Kidal et Tinzawatène,
initiant les Touareg maliens à la prospection. Plusieurs milliers d’orpailleurs
exploitent aujourd’hui les filons proches de Gouzar, sous le contrôle de la CMA
(Coordination des mouvements de l’Azawad).

Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.


Plutôt que la figure de la tache d’huile ou d’un front linéaire qui avance, la
diffusion de l’orpaillage s’est ainsi réalisée sous la forme d’une nébuleuse de sites
miniers qui émergent, croissent très rapidement et se démultiplient, puis dispa-
raissent parfois encore plus soudainement. Pour autant, à l’échelle continentale,
on observe que le front pionnier aurifère s’est diffusé d’est en ouest en moins
de sept ans, depuis les bords du Nil jusqu’au rivage de l’océan Atlantique 14.

13. Enquêtes de terrain à Chami (Mauritanie), février 2018.


14. De même qu’en Afrique de l’Ouest, la corne de l’Afrique, de l’Érythrée à la Somalie,
connaît aussi un développement spectaculaire de l’orpaillage en continuité avec celle du Sahara-
Sahel : certains Érythréens et Somaliens se sont expérimentés au Soudan et, inversement, des

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Les ruées vers l’or au Sahara et au nord du Sahel

Aujourd’hui, selon un rapport récent de l’OCDE (2018), l’orpaillage artisanal


ferait vivre directement et indirectement 10 % de la population malienne, burki-
nabè et nigérienne, ce qui pourrait être généralisé à l’ensemble de la population
saharo-sahélienne.

Circulations aurifères : entre techniques allochtones et pouvoir autochtone


Du Soudan à la Mauritanie, l’orpaillage artisanal obéit à des logiques similaires
qui répondent aux phases successives des ruées vers l’or. Du point de vue humain
d’abord, les orpailleurs circulent et prospectent aisément d’une région à l’autre
mais aussi d’un État à l’autre. Les sites miniers sont pour la plupart cosmopo-
lites : on peut compter parfois plus d’une dizaine de nationalités et de groupes
ethniques différents (à Tchibarakaten par exemple). Ce qui ne revient pas à dire,
du moins pour l’instant, que s’opère un brassage des populations et qu’émerge
une communauté d’orpailleurs, comme cela s’observe sur d’autres sites en Afrique
occidentale [Grätz, 2004]. Les informations et les formes d’organisation du travail
s’inscrivent dans des solidarités nationales, ethniques ou tribales. Sans parler de
xénophobie, il existe une défiance ambivalente envers les orpailleurs étrangers.
Ils sont indispensables, surtout au début des ruées, notamment en raison de leur
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expérience, des outils et des engins qu’ils possèdent, ainsi que des financements
qu’ils peuvent apporter. Mais leur réussite conduit à des rivalités, entretenues par
les tensions politiques nationales. Dans de nombreux sites, les étrangers ont été
chassés, voire arrêtés et expulsés. Certains sites ont été fermés, officiellement en
raison de cette présence étrangère importante, et l’insécurité qui y serait associée.
Par exemple au Niger, les populations toubou s’estiment lésées par la fermeture du
site minier du Djado en mars 2017 (entre 25 000 et 50 000 orpailleurs expulsés),
tandis que celui de Tchibarakaten demeure toléré, ce qui traduirait la capacité des
Touareg à mobiliser des appuis politiques jusqu’au plus haut du gouvernement
[Tubiana et Gramizzi, 2018]. D’autre part, certains groupes sociaux cherchent
Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.

à contrôler les gisements, comme au Jebel Amir, ou à garder la maîtrise sur le


foncier (puits d’extraction) et les moyens de production (traitement du minerai).
Dans le cas du Tibesti, une hiérarchie forte s’installe entre les communautés d’or-
pailleurs, reproduisant les hiérarchies sociopolitiques, qui peuvent s’inscrire dans
le cadre de conflits plus larges (rivalités entre groupes saharo-sahéliens pour le
contrôle de l’État depuis 1979). En Mauritanie, ce sont des personnes issues des
communautés Beidan qui contrôlent les sites d’orpaillage et les machines des

Soudanais revendent du matériel de détection jusqu’au Somaliland. Il y aurait également plusieurs
centaines de milliers d’orpailleurs en Éthiopie, au Sud-Soudan, en Ouganda, etc.

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centres de traitement, employant pour leur force de travail des orpailleurs issus
des communautés « négro-mauritaniennes » du sud du pays (Soninké, Toucouleur,
Wolof). Interdits sur les sites d’extraction, des centaines d’étrangers, notamment
des pays voisins, sont employés comme main-d’œuvre du traitement du minerai
ou pour leur expérience dans l’exploitation aurifère (Maliens, Soudanais à Chami
en Mauritanie par exemple). Au début de la ruée en 2016, de nombreux Soudanais
venus parfois depuis le Niger sont entrés clandestinement en Algérie, ont été tués
ou emprisonnés et expulsés. La diffusion rapide du front pionnier s’explique donc
par la grande mobilité des orpailleurs, qui passent d’un site à un autre selon les
rumeurs, les découvertes, les opportunités ou les expulsions, les fermetures de
sites et les conflits. Les orpailleurs sahéliens travaillant antérieurement dans les
mines industrielles (Mali, Burkina, Ghana, Nigeria...) ont mis à profit leur expé-
rience pour tenter leur chance dans ces ruées, tandis que les populations nomades
ont pu reconvertir leur savoir-faire de la mobilité saharienne dans cette prospection
itinérante par détecteurs qui correspond à la première phase de la ruée.
Les techniques mobilisées par l’orpaillage artisanal sont également communes
à l’ensemble saharo-sahélien. Distinguons plus précisément deux phases dans les
ruées. La première, plus caractéristique et marquée dans l’espace saharo-­sahélien,
est fondée sur la capacité des orpailleurs à être mobiles et rapides grâce à une
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bonne connaissance du terrain, une organisation du travail souple et l’usage
d’outils simples et légers complétant celui d’appareils détecteurs de métaux.
En petites équipes autonomes ou équipées et financées par un « patron », les
orpailleurs circulent rapidement dans des véhicules 4 × 4 et prospectent sur de
grandes distances, franchissant parfois clandestinement les frontières nationales.
Une répartition des tâches s’opère entre les membres du groupe : chauffeurs/méca-
niciens, cuisiniers/chargés du ravitaillement, prospecteurs (ceux qui manient le
détecteur et ceux qui, à l’aide de pioche et de pelle, décapent le sol) et parfois
gardes armés.
Si ces équipes peuvent être disséminées, elles peuvent tout aussi bien se

Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.


regrouper très vite lorsqu’un site prometteur est découvert. Se produit alors une
ruée plus ou moins importante. On passe ainsi à une deuxième phase de la ruée qui
repose sur une exploitation plus stable et intensive, notamment lorsqu’un filon est
repéré. L’exploitation devient plus technique et coûteuse car elle s’opère en creu-
sant de plus en plus profondément le long de la veine aurifère. Si dans la première
phase l’or est détecté sous la forme de pépites (qui sont aussi un moyen de paie-
ment), le minerai extrait des filons doit être traité mécaniquement (concassé, broyé
puis réduit en poudre, lavé et trié) puis traité chimiquement pour purifier et fondre
l’or. Ce processus complexe demande un capital de départ et des investissements
beaucoup plus importants pour acheter ou louer les machines, explosifs et produits
chimiques (mercure ou cyanure), ainsi que pour l’emploi d’un personnel plus
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Les ruées vers l’or au Sahara et au nord du Sahel

nombreux et spécialisé. Alors que les orpailleurs sont plutôt des équipes auto-
nomes et mobiles dont les membres sont dans une relation relativement égalitaire,
la deuxième phase correspond à l’apparition d’une forte division du travail et on
assiste, selon les pays et les situations locales, à l’émergence de sociétés minières
prenant en charge les moyens de travail, le ravitaillement, les soins, etc. et cher-
chant à se faire reconnaître par l’administration centrale. À Tchibarakaten et dans
l’ensemble des régions du Soudan, ce processus de reconnaissance et de formali-
sation est bien engagé, avec l’appui des autorités centrales à l’orpaillage artisanal
devenu semi-industriel.
Une troisième phase des ruées pourrait être identifiée lorsque ce processus de
légalisation des mineurs artisanaux est fragilisé par les conflits ou des politiques
économiques pro-industrielles qui conduisent les États à décider de la ferme-
ture des sites pour préparer l’octroi de permis minier à des firmes industrielles
transnationales. C’est le cas par exemple au Niger où le Liptako et le Djado
sont officiellement fermés à l’exploitation artisanale, en raison de la circula-
tion de groupes armés dans ces régions, ou dans la région du Fitri au Tchad où
l’État espère l’installation d’une mine industrielle. La situation peut aussi être
intermédiaire, comme en Mauritanie, où les autorités centrales ont attribué des
vastes « couloirs d’orpaillage » et aménagé deux « centres de traitement » (Chami
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et Zouerate), tout en octroyant également de tout aussi vastes et sans doute plus
avantageuses concessions minières industrielles 15.
Avant d’analyser ces régulations, les modèles de développement qui les portent
et les conflits qu’ils peuvent générer, revenons sur les conditions qui ont rendu
possible ce boom minier et présentons les impacts territoriaux multiformes de
ces ruées.

Facteurs et impacts territoriaux du boom minier


Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.

Des facteurs multiples entre dynamiques sahéliennes et influences mondialisées

Plusieurs facteurs ont participé à l’essor spectaculaire de l’exploitation aurifère


et expliquent son ampleur. Ils reflètent l’intersection de dynamiques à la fois
internes à l’Afrique, comme l’existence d’une très nombreuse population jeune
et pauvre à la recherche d’emploi, de dynamiques liées à la mondialisation, tout

15. L’orpaillage artisanal accède difficilement au minerai au-delà d’une cinquantaine


de mètres, quand les mines industrielles peuvent l’exploiter dans des carrières de 300 m de
profondeur.

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en s’insérant dans des contextes géopolitiques particuliers. L’envolée des prix des
minerais liée à la demande mondiale et notamment chinoise, la stabilisation de
ces prix à un niveau élevé malgré la crise financière de 2008, avec en parallèle
la diffusion d’outils et de techniques de production abordables pour le plus grand
nombre, ont en effet largement participé à ce que l’orpaillage (re)devienne une
activité extrêmement attractive dans le Sahara et le Sahel.
Parmi ces facteurs, on retrouve ainsi la démographie des différents pays sahé-
liens, qui présentent une forte fécondité depuis les années 1950, et un marché
du travail en panne, que ce soit en ville ou à la campagne. De tels contextes ont
favorisé la recherche d’alternatives dans des contextes souvent extrêmement
précaires où l’économie formelle moderne (industrie, services) n’absorbe qu’une
très faible part des flux démographiques et l’agriculture rencontre de multiples
difficultés (vulnérabilité climatique, pression foncière, etc.). Des crises géopoli-
tiques récentes ont renforcé l’intérêt de l’orpaillage. Au Soudan, avec la séparation
de la partie sud du pays et la perte concomitante des deux tiers de la rente pétro-
lière qui lui était associée, l’économie soudanaise a plongé dans une grave crise
incitant les individus à chercher des alternatives pour survivre. Dans plusieurs
sociétés pastorales du Sahel central (Peul, Touareg, Toubou et Arabes du Mali,
Niger, Tchad), la Libye de Kadhafi fournissait un horizon essentiel aux trajectoires
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individuelles de nombreux jeunes éleveurs pauvres : on partait quelques années
en Libye avec l’espoir d’y accumuler assez pour pouvoir ensuite se constituer un
cheptel suffisant pour se marier et s’autonomiser de ses parents. La disparition de
cet horizon migratoire, avec la chute de Kadhafi en 2011 et l’instabilité qui s’est
installée depuis en Libye, a également eu pour effet de renforcer l’attractivité de
l’orpaillage 16. Dans ces conditions, les mines artisanales représentent pour un très
grand nombre, jeunes ou moins jeunes, citadins ou ruraux, de véritables opportu-
nités à saisir, même si le travail y est dur. La chance de trouver le bon filon ou la
grosse pépite nourrit des rêves d’enrichissement rapide. L’exemple de ceux qui
ont pu améliorer leur existence (et investir, se marier, etc.) grâce au travail à la

Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.


mine est un moteur puissant des vocations extractives. À ce titre l’or occupe une
place privilégiée dans les imaginaires contrairement à d’autres activités minières
à l’image très dégradée (charbon, zinc, etc.).
Les innovations techniques, mentionnées ci-dessus, liées à la mondialisation
contemporaine et au contexte économique de l’Afrique, ont également contribué
à ces ruées. On observe ainsi une baisse sensible du prix de certaines machines et
des moyens de transport, notamment grâce à la diffusion des matériels chinois ou
indiens vendus directement dans les pays ou à Dubaï. Parmi ces innovations on

16. Entretiens menés par Charline Rangé, 2018.

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Les ruées vers l’or au Sahara et au nord du Sahel

retrouve principalement les détecteurs de métaux. Très utilisés au début des ruées
pour détecter l’or de surface, ils conservent ensuite leur intérêt pour suivre le filon
quand les mineurs commencent à creuser. On peut mentionner également l’accès
à un outillage de plus en plus sophistiqué à la fois pour l’extraction depuis le
sol (marteaux-piqueurs, treuils, pompes à air, tractopelles, etc.) mais aussi de l’or
contenu dans la roche grâce à des moulins combinant l’action mécanique de
concassage du minerai et celle chimique de l’amalgamation au mercure. La dyna-
mique est telle que dans certains pays l’activité artisanale a fait naître une activité
semi-industrielle de recyclage des déchets produits par les mineurs, activité rendue
possible notamment par l’existence d’usines chinoises vendues « en kit ».
D’autres outils ont également favorisé l’activité artisanale, comme les tamis
mécaniques. On voit aussi se diffuser de nouvelles pratiques de creusage et de soutè-
nement des puits, permettant de creuser et d’exploiter jusqu’à 70 m de profondeur,
grâce à des motopompes (permettant d’évacuer l’eau) et à des systèmes d’aération
permettant de ventiler le fond des puits ; des treuils à manivelle permettent de faire
descendre plus aisément les creuseurs. Enfin, on assiste au perfectionnement des
techniques de traitement des minerais, souvent en utilisant le mercure et le cyanure,
pour amalgamer l’or.
Les innovations socioéconomiques dans la gestion de ces activités et l’augmen-
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tation du capital mobilisé, qu’il soit technique ou financier, ont été également des
facteurs importants dans ce boom minier. Des patrons nationaux et des étrangers
(surtout chinois) ont investi dans des formes de mine artisanale mécanisée : on
reste dans des permis de mine artisanale, mais on est très loin des formes les plus
rudimentaires de l’exploitation artisanale. Les investissements peuvent atteindre
des millions de dollars (contre des centaines de millions de dollars pour des mines
industrielles, financés par la capitalisation boursière mondialisée).

Des impacts territoriaux multiformes


Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.

Ces booms extractifs occasionnent des changements importants sur les terri-
toires concernés. Des villages se créent près des sites de ruées, avec de nombreux
commerces et services associés aux activités ; tandis que des villages existants
voient leurs fonctions de centralité renforcées. C’est par exemple le cas de la petite
ville de Chami, située à mi-chemin de la route reliant Nouakchott à Nouadhibou.
Véritable aubaine pour ce bourg créé de toutes pièces par le gouvernement pour
favoriser la sédentarisation des populations nomades de la région, le boom minier
a favorisé son peuplement quand les autorités centrales ont choisi de faire de
Chami un des sites de traitement de l’or. Les fronts miniers apparaissent ainsi
comme un des principaux facteurs d’urbanisation par le bas. Notons cepen-
dant qu’il peut exister un important décalage territorial entre la localisation des
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gisements et le développement de nouvelles villes minières. L’encadrement des


autorités ou encore les nécessités techniques de l’orpaillage (important besoin en
eau pour la phase d’extraction) favorisent l’établissement des « centres de traite-
ment », ou « marchés d’or » selon l’appellation soudanaise, dans des sites disposant
d’un bon approvisionnement en eau (bords du Nil par exemple au Soudan) ou
favorisés par des politiques d’aménagement du territoire spécifiques, parfois éloi-
gnés des sites d’extraction. L’enjeu est alors pour les orpailleurs de rejoindre ces
sites, tandis que pour les représentants des pouvoirs locaux, il s’agit de ne pas
subir trop de nuisances liées à ces activités nouvelles tout en parvenant à en perce-
voir des revenus [Chevrillon-Guibert, 2018].
Un avantage des activités minières artisanales est d’être dans l’ensemble une
activité très inclusive. Ainsi, autochtones comme allochtones peuvent obtenir des
droits et des revenus, dans des proportions variables suivant la position de chacun
dans le système (suivant que l’on soit découvreur de site, creuseur, employé de la
chaîne de traitement, pourvoyeurs de services : restauration, réparation, services
divers...) ; les revenus sont différents, mais chacun peut espérer une place. C’est ce
qui explique l’ampleur des ruées : l’exploitation artisanale fournit directement et
indirectement des revenus à un très grand nombre de personnes.
Néanmoins, ce boom minier et les rentes qu’il crée dans le contexte de régions
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sahéliennes extrêmement pauvres ne s’opèrent pas sans rivalités et conflits.
De nombreux acteurs aux intérêts parfois contradictoires espèrent tirer profit du
développement de ces activités minières : investisseurs étrangers, bien sûr, mais
aussi nationaux, collectivités locales, ainsi que surtout l’État central ou encore
simples particuliers en quête d’une vie meilleure, migrants espérant trouver un
pécule pour payer son voyage vers l’Europe, etc. En mettant en jeu tant d’intérêts
divers dans la région, ces ruées, où plus d’un million de personnes évoluent à la
recherche de filons, brouillent encore plus le tableau des mouvements de popu-
lation internes aux pays concernés (réfugiés et déplacés des conflits, migrants
économiques, candidats à la migration en Europe, etc.). Comme nous l’avons

Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.


mentionné dans le cas du Jebel Amir, du Tibesti ou encore du Nord-Mali, elles
s’articulent aussi intimement avec les conflits de la région.

Les rôles de l’État : entre tentation rentière et compromis locaux

Face aux processus très rapides et volatils des ruées vers l’or, les États de
l’aire saharo-sahélienne hésitent entre la tentation d’industrialiser le secteur
aurifère pour l’incorporer dans un modèle rentier classique et un encadrement
lâche de l­’orpaillage permettant de nouveaux équilibres sociopolitiques locaux.
Les difficultés pratiques orientent souvent largement les choix entrepris mais
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Les ruées vers l’or au Sahara et au nord du Sahel

restent les problématiques liées aux orientations politiques générales des projets
de développement.

Quel modèle de développement ?


En Afrique saharo-sahélienne comme dans une vaste majorité des pays du Sud,
les modèles de développement sont influencés depuis le processus de globalisation
des années 1980 par la diffusion de politiques néolibérales de dérégulation, priva-
tisation et libéralisation. La promotion du secteur minier engagé par les différents
gouvernements sahéliens semble s’inscrire parfaitement dans ce processus, avec
une refonte des codes miniers et d’investissement qui favorise la marchandisation
des terres et des ressources au profit d’investisseurs industriels souvent étrangers
– d’origine variée mais où dominent, dans le secteur de l’or, les transnationales
occidentales 17, en particulier canadiennes – et la promotion d’une économie capi-
taliste rentière [Leclerc-Olive, 2017].
Cependant, avec ce modèle de développement qui favorise des acteurs natio-
naux ou étrangers, de nombreux acteurs locaux se trouvent évincés alors même
qu’ils espèrent bénéficier de nouvelles rentes. Beaucoup considèrent même que
ces ressources auxquelles aspirent des acteurs locaux constitueraient une juste
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compensation dans la mesure où c’est le niveau local qui pâtit le plus des effets
négatifs de ces ruées, qu’il s’agisse des problèmes d’insécurité qui se développent
souvent en parallèle à ces ruées, car les armes se déplacent avec les hommes
à travers les frontières, et la volatilité des richesses extraites en fait des cibles
toutes désignées pour le banditisme armé, ou des tensions à gérer par les autorités
coutumières entre autochtones et allochtones, ou encore de l’impact environ-
nemental de ces activités minières (déboisement, pollution des sols, etc.) et en
termes de santé. Après le passage des orpailleurs, le paysage des sites exploités
ressemble en effet à un champ de bataille, où les puits d’orpailleurs évoquent des
trous d’obus. De larges superficies sont défrichées et abandonnées en l’état après
Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.

exploitation, interdisant toute activité agricole ou d’élevage. L’arrivée massive


de migrants dans des zones reculées exerce des pressions très fortes sur la faune
sauvage (largement braconnée) et sur la végétation (outre le défrichement et la
recherche de bois de chauffe, le prélèvement de bois pour le soutènement des
puits détruit les espèces les plus recherchées). L’utilisation massive de produits
chimiques (cyanure, mercure) utilisés sans précaution ni protection, au péril de
la santé des orpailleurs et de l’environnement, est aussi problématique puisqu’ils
sont rejetés dans la nature et donc voués à se retrouver dans les eaux de surface

17. Sauf au Soudan où les orientations politiques du pays (islam politique) et l’embargo


américain (aujourd’hui partiellement levé) ont limité les investissements occidentaux.

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et les nappes phréatiques, puis dans la chaîne trophique. Au-delà de constituer un


argument important dans le discours local pour revendiquer une part au moins
de la rente minière, ces effets négatifs et tout particulièrement les pollutions font
aussi l’objet de vives contestations locales que les États ne sont pas toujours prêts
à entendre – car eux non plus ne souhaitent pas voir entamée leur part de la rente.
Ces contestations des effets négatifs des activités minières alimentent souvent
un fort ressentiment latent des acteurs locaux des régions périphériques vis-à-vis
de l’État central, à qui ils reprochent un accaparement des rentes du développe-
ment, soit directement par l’appareil étatique au détriment des collectivités locales,
soit par des segments de cet appareil ou encore d’une manière patrimonialisée par
des proches des régimes. Cet accaparement peut prendre plusieurs formes, même
s’il s’opère fréquemment par l’octroi de licences d’exploitation à des firmes indus-
trielles ou des tolérances face à des activités de contournement des procédures
officielles de régulation de la rente.
Les politiques d’industrialisation du secteur s’inscrivent donc dans ce système
complexe de négociations de la rente minière, dans la mesure où les activités artisa-
nales sont censées profiter à un plus grand nombre et de façon plus répartie sur les
territoires nationaux comparativement aux activités industrielles. Celles-ci favorisent
une économie qui concentre la rente dans les mains de quelques grands hommes
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d’affaires proches du régime ou d’entreprises souvent étrangères qui négocient leurs
contrats dans les plus hautes sphères de l’État. Néanmoins, cette dichotomie entre
activités artisanales favorisant des dynamiques décentralisées et une industrialisation
favorable au pouvoir d’État doit elle-même être nuancée car les activités artisanales
permettent également un redéploiement et un contrôle de l’État central sur les terri-
toires et leurs acteurs, grâce à une renégociation permanente des équilibres locaux
précaires dans des régions périphériques promptes à la contestation.

Contrôle étatique à distance sur les configurations politico-extractives locales

Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.


Dans les États sahéliens, nombre des conflits qui opposent les rébellions
armées aux gouvernements en place s’organisent autour de l’épineuse question du
contrôle des rentes et de son injuste partage au niveau national, avec des régions
sahariennes souvent délaissées 18. En ce sens les conflits du Darfour, des monts
Nouba et du Nil Bleu au Soudan ou encore celui mené par l’Azawad au Mali

18. Ce qui ne signifie pas que les groupes originaires de ces régions n’aient pas accès aux
rentes de l’État : au Tchad, depuis 1979, se succèdent au pouvoir des originaires de différents
groupes sahariens, ce qui s’accompagne d’une mise en coupe réglée de l’État au profit des pre-
miers cercles du pouvoir, accentuée depuis l’ère pétrolière entamée en 2003, ce qui ne garantit
pas un meilleur investissement de la rente dans les régions d’origine.

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Les ruées vers l’or au Sahara et au nord du Sahel

l­’illustrent de façon criante. Dans ces régions sahariennes délaissées l’existence


de cette nouvelle rente minière attise à la fois les convoitises et les espérances car
beaucoup des gisements se situent sur leurs territoires.
Les tensions pour le contrôle de la ressource dégénèrent parfois en conflits
ouverts (au nord du Tchad, au Darfour, dans le Sud libyen notamment), que ce soit
à travers des affrontements directs sur les sites d’extraction, ou de traitement, ou
par le biais de violences pour contrôler certaines ressources associées au processus
de production (fourniture d’essence, d’eau, convoyage du minerai, sécurité, etc.).
Ces conflits et tensions s’articulent alors aux dispositifs transfrontaliers régio-
naux et aux conflits de ces régions. Il existe des arrangements locaux concrets
entre orpailleurs, rebelles armés, big men locaux et autorités (locales et natio-
nales). C’est le cas dans le Tibesti, où le régime tchadien a commencé par fermer
les yeux sur le conflit opposant les populations locales toubou aux orpailleurs issus
des communautés Zaghawi voisines dont est issu le président Déby. Cependant,
­l’ampleur prise par ce conflit en 2013 a fini par pousser le gouvernement à inter-
venir et interdire les activités, bien que des tolérances subsistent vis-à-vis de
commerçants d’or Zaghawi. C’est aussi le cas de la mine de Jebel Amir, où le
régime de Khartoum a favorisé le passage du contrôle de la mine d’une milice
progouvernementale à une autre qui lui était plus loyale.
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Au niveau local, même quand l’État central cherche à contrôler les activités
artisanales, il se trouve aux prises avec des tractations multiples, que ce soit avec
les propres segments de son administration ou avec des big men locaux (surtout
dans les territoires périphériques saharo-sahéliens) tout en restant le plus souvent
un point de passage obligé pour certains aspects du processus d’exploitation
[Calkins et Ille, 2014]. Cet aspect diffère grandement de ce qui se passe dans le
secteur industriel, où l’État central exerce seul le pouvoir d’attribution du droit
d’accès aux ressources (aux entreprises transnationales). On comprend alors
aisément que les régimes autoritaires de la plupart des pays sahéliens préfèrent
bénéficier de ce contrôle. Cependant, les ruées vers l’or sahéliennes ont abouti
Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.

à la mise en place d’une situation dominée par l’orpaillage artisanal, et les États
s’adaptent et négocient avec cet état de fait [Chevrillon-Guibert et Magrin, 2018].
Si l’on reprend le cas de Jebel Amir au Soudan, les relations entre l’État central
et Musa Hilal, l’autorité traditionnelle de la région qui a contrôlé les activités
minières jusqu’en août 2017, illustrent ces processus de chevauchement et de
négociation que l’on retrouve de façon plus ou moins exacerbée dans les diffé-
rents territoires concernés par le boom aurifère 19. Peu de temps après la découverte

19. L’analyse développée ici ne s’appuie pas sur un recueil de données direct du fait de la
situation sécuritaire de la zone mais sur des entretiens menés à Khartoum (2016, 2017 et en

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de l’or dans la localité de Jebel Amir, Musa Hilal a déployé une administration
ad hoc en charge de gérer l’exploitation de la mine et de taxer les activités, alors
que l’usage dans les autres régions voulait que ce soit plutôt les collectivités
territoriales qui gèrent ces activités au même titre que celles relevant de l’agri-
culture [Chevrillon-Guibert, 2018]. La gestion du secteur ne s’inscrivait donc pas
dans l’ossature officielle de l’administration locale. Musa Hilal s’appuyait sur le
soutien des milices progouvernementales qu’il dirigeait pour le compte de l’État
après que celles-ci ont fini par être intégrées officiellement dans les forces de
défense populaires du régime après leur rôle tristement célèbre au début du conflit
darfourien 20. À cette époque, la domination de Musa Hilal et de ses hommes fut
contestée à maintes reprises par des groupes issus d’autres communautés locales
revendiquant eux aussi des droits traditionnels sur le site. Plusieurs affrontements
armés eurent lieu directement sur le site. Cependant, Musa Hilal disposait d’un
appui tacite du gouvernement central, qui se gardait bien de froisser un précieux
allié de sa contre-insurrection darfourienne, bien qu’il ait probablement préféré
contrôler directement la précieuse rente. Il tolérait ainsi le pouvoir autoproclamé
de Musa Hilal et son enrichissement important, tout en luttant contre l’influence
grandissante de ce dernier par le biais d’autres mécanismes. Ces arrangements
s’inscrivent dans un contexte où l’État soudanais est aux abois financièrement
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après qu’il a perdu une grosse partie de son budget avec l’indépendance du
Soudan du Sud et de l’économie pétrolière qui lui était liée. Il n’a donc plus les
moyens de financer son effort de guerre et les milices sur lesquelles il s’appuie au
Darfour pour combattre la rébellion comme dans la décennie précédente. La rente
minière apparaît ainsi comme une aubaine permettant un financement décentra-
lisé de ses affidés. Cependant, l’évolution du conflit darfourien et du jeu politique
national a fait évoluer les choses en la défaveur de Musa Hilal, finalement arrêté
à l’automne 2018. L’intervention en 2018 de l’armée aux côtés d’une autre figure
milicienne pour déloger un Musa Hilal disgracié confirme cependant le maintien
de ce mécanisme de rétribution des alliés par la rente minière.

Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.


La proximité de la région avec les frontières libyenne et tchadienne ajoute de la
complexité à la situation, dans la mesure où de très nombreux travailleurs étrangers
venus à la recherche du précieux minerai sont présents sur le site de Jebel Amir.
Originaires d’autres territoires et bien souvent d’autres communautés ethniques,
ils ne dépendent pas des autorités coutumières contrôlant la zone, ce qui minimise
l’emprise de ces dernières sur eux et accroît l’influence des détenteurs d’armes.

France 2018) ou dans des sites miniers du nord du pays auprès d’orpailleurs darfouriens ou ayant
travaillé au Darfour. Elle s’appuie également sur des sources secondaires (divers journaux).
20. Ces milices Janjawid ont été accusées de crimes de guerre et de crimes contre l’huma-
nité pour les exactions qu’elles ont commises dans les premières années du conflit.

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Les ruées vers l’or au Sahara et au nord du Sahel

À ce titre, l’évolution de l’économie politique du conflit darfourien a également


conduit les groupes rebelles à participer au processus de captation de la nouvelle
rente minière. Cela s’observe au niveau individuel, de la part de combattants de
moins en moins payés par leurs groupes en raison de la durée de la guerre et de la
disparition progressive des soutiens étatiques (chute de Khadafi en Libye, conflit
civil au Soudan du Sud, accords entre le Tchad et Khartoum pour la lutte contre les
groupes d’opposition, etc.). Les combattants se transforment alors en orpailleurs,
utilisant leurs voitures et leurs armes pour tenter de trouver le précieux minerai
dans des zones très peu sûres. La captation de la rente minière se trouve également
institutionnalisée par les groupes armés qui, tout comme la CMA citée plus haut,
cherchent des moyens financiers. La mise en place de check points sur des routes
empruntées par les orpailleurs ou leur rançonnage violent sont choses courantes
dans le triangle transfrontalier situé au nord du Darfour, à l’est du Tchad et au
sud de la Libye. C’est aussi le cas dans le nord du Tchad [Tubiana et Gramizzi,
2017 et 2018].
Moins spectaculaires peut-être, parce que plus localisés et de moindre ampleur
financière pour le moment, les arrangements du pouvoir central tchadien quant au
contrôle de la nouvelle rente minière s’apparentent largement à ce schéma. Dans la
région du lac Fitri, par exemple, il semblerait que la ruée vers l’or qui a vu le jour
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au début de l’année 2016 a été confisquée par les plus hautes sphères du régime :
les activités ont été tout bonnement interdites au motif que de futures régulations
allaient être mises en place (installation d’une mine industrielle). En attendant, le
site abritant le gisement a été confié à la surveillance de la garde présidentielle,
suspectée d’être autorisée à en tirer quelques bénéfices.

Conclusion

Les ruées vers l’or contemporaines au Sahara et au nord du Sahel apparaissent


Hérodote, n° 172, La Découverte, 1er trimestre 2019.

ainsi comme des dynamiques ambivalentes : elles permettent une précieuse


distribution de revenus à un grand nombre d’hommes dans un contexte de crise
régionale. Mais leurs effets varient selon les contextes. Lorsqu’ils sont à peu
près iréniques (Mauritanie, Niger), elles fonctionnent comme stabilisateur socio-
politique, du moins tant que les États ménagent les orpailleurs en évitant de
promouvoir un modèle industriel exclusif. Dans les régions déjà caractérisées par
de fortes tensions géopolitiques (Soudan, Sud-Libye, Nord-Tchad), l’absence de
régulation étatique légitime ou leur instrumentalisation rendent les rivalités pour
les ressources aurifères explosives et les amalgament aux autres facteurs conflic-
togènes existants.

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