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GAAP 1 – Dérogations pour placement en EHPAD

1) Réglementation relative à l’éligilité en EHPAD : peu d’interdits officiels

Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou


EHPAD, sont des établissements médicalisés ont pour mission d’accompagner les
personnes fragiles et/ou vulnérables et de préserver leur autonomie par une prise
en charge globale, comprenant l’hébergement, la restauration, l’animation et le
soin. Ils proposent ainsi des prestations hôtelières, un accompagnement de la perte
d'autonomie et une prise en charge des soins médicaux et paramédicaux au
quotidien [1].

Sont éligibles à la prise en charge en EHPAD les personnes âgées de plus de 60


ans qui nécessitent une aide plus ou moins importante d’un tiers dans les actes de la
vie quotidienne pour des raisons physiques ou mentales [1].

Certaines personnes de moins de 60 ans peuvent être admises en EHPAD sur


dérogation [1] : il ne semble toutefois pas exister de textes de loi précisant les
conditions des dites dérogations [2], en dépit de certains communiqués d’instances
référentes : le centre de ressources partenaires de Seine-Saint-Denis énonce ainsi
que de les seules personnes éligibles à résider en EHPAD sont celles de 65 ans et
plus, ou de 60 ans et plus si la personne a été reconnue inapte au travail ; dans le
reste des cas, il s’agirait d’un accueil dérogatoire qui s’appliquerait pour les
personnes âgées de moins de 60 ans reconnues handicapées avec un taux
d’incapacité de 80 % par la Maison Départementale des Personnes Handicapées
(MDPH), et pour les personnes dont l’âge est compris entre 60 à 65 ans et qui n’ont
pas été reconnues inaptes au travail [3].
Toutefois, les textes de lois ne corroborent pas ces critères : l’article L113-1
modifié par loi n°2015-1776 du 28 décembre 2015 - article 24 stipule seulement que
toute personne âgée de soixante-cinq ans privée de ressources suffisantes peut
bénéficier, soit d'une aide à domicile, soit d'un accueil chez des particuliers ou dans
un établissement, et que les personnes âgées de plus de soixante ans peuvent
obtenir les mêmes avantages lorsqu'elles sont reconnues inaptes au travail [4]. Il
n’existe par ailleurs aucune mention concernant les individus moins âgés et leur
prise en charge en EHPAD, y compris dans le cadre du handicap [2].
Ainsi, l’accord d’entrée en EHPAD pour une personne jeune est en fait pourra
s’effectuer sur décision du directeur de l’établissement, le plus souvent après avis du
médecin coordonnateur. La notion de handicap ou de dépendance n’est pas
obligatoire à cette admission, du moment que la personne peut financer
intégralement son hébergement,
Au final, la dérogation par rapport au critère de l’âge n’est exigée par le conseil
général qu’en cas de demande de recours à l’aide sociale, où les critères tels que le
handicap et la perte d’autonomie peuvent permettre de prétendre à une aide
sociale, même en cas d’individu jeune, sur décision du président du conseil général
[2].

2) Causes concrètes des limites des dérogations à l’entrée précoce en


EHPAD

Aussi, les EHPAD étant pour la plupart des établissements privés, pourquoi
sont-ils souvent peu enclins à accueillir des individus plus jeune, dans la mesure ou
rien de le leur interdit formellement ?
D’une part, pour assurer la viabilité financière du résident : en effet, le tarif
d’hébergement en EHPAD est significatif, avec un tarif moyen en France de 2169
euros mensuels [5]. Ce montant est rarement financé par la contribution pécunière
de la personne ou de sa famille seule : l’allocation personnalisée d’autonomie (APA),
l’aide au logement, l’aide sociale à l'hébergement sont autant de contributions
complémentaires permettant d’assurer le financement de la place en EHPAD [6]. Or,
ces aides ne sont déblocables que sous certaines conditions : l’APA, notamment, est
réservée aux personnes de plus de 60 ans en perte d’autonomie [2][7].
D’autre part, elle ne sera pas comptabilisée lors de l’élaboration du G. I.R
Moyen Pondéré (GMP) (anciennement coupe PATHOS [8]), faussant ainsi les besoins
de l’EHPAD lors de l’élaboration des budgets dépendances et soins et le calcul de la
dotation soins d’un EHPAD, ensuite financé par l’assurance-maladie : les personnes
hébergées de moins de 60 ans pénalisent donc les établissements les hébergeant,
d’où une réticence à leur prise en charge par ces derniers [3][8].

3) Exemples de dérogations et spécificités de prise en charge

Peu de données ont été publié concernant les populations éligibles à la


dérogation d’âge d’admission en EHPAD, la principale raison étant que les critères de
dérogations ne sont, comme énoncés précédemment, pas légalement définis.
Toutefois, certaines études observationnelles permettent de préciser le profil des
personnes concernées.

L’étude du CREAI, débutée en décembre 2007, a recensé les entrée dans les
EHPAD bas-normands de 2008 à 2010 : 141 dérogations d’âge ont été accordées,
dont 95 hommes et 46 femmes. Parmi eux, on retrouvait des Individus de 36 à 58
ans, la majorité d’entre elles ayant un âge compris entre 53 et 57 ans (50% des cas).
Les situations ayant motivé cette dérogation étaient :
— Dans 24,11% des cas des patients alcooliques avec un syndrome de Korsakoff, le
plus souvent étaient sans domicile fixe ;
— Dans 20,5% des cas, des patients psychotiques stabilisés qui ne relevaient plus de
l’hospitalisation psychiatrique ;
— Dans 19,8% des cas une déficience intellectuelle ; parmi ces derniers, moins d’un
cinquième étaient atteints de trisomie 21 ;
— Dans 15,6% une atteinte cérébrale suite à une maladie ou à un accident coorporel
(accidents vasculaires cérébraux, ruptures d’anévrysmes, traumatismes crâniens,
séquelles d’arrêt cardio respiratoire, encéphalites post radique, encéphalite
secondaire d’une syphilis) ;
— Dans 9,2% des cas une maladie neuro dégénérative. (chorée de Huntington,
sclérose en plaque, sclérose latérale amyotrophique, maladie d’Alzheimer, maladie
de Parkinson, atrophie cortico sous corticale, maladie de Strumpell).
— Dans 7,8% des cas une infirmité motrice cérébrale ou une encéphalopathie , avec
état de dépendance présente depuis la naissance et épuisement des aidants.
— Dans 2,8% des cas une atteinte purement motrice à type de polyarthrite
rhumatoïde très évoluée ou associée à une insuffisance respiratoire sévères.
Parmi les 141 dérogations, 74 personnes ont pu être placées en EHPAD : 73%
résidaient en maison de retraite publique (en grande majorité des établissements
hospitaliers), 21,6% sont en Ehpad privés non conventionnés, et 5,4 % en Ehpad
privés conventionnés (soit 4 personnes) [2].

En 2015, en Bretagne, sur les 853 nouveaux admis en EHPAD, 118 avaient
moins de 60 ans, dont 31 de moins de 55 ans.
Ces entrées précoces avaient eu plus souvent lieu dans les EHPAD rattachés à
un hôpital, et dans ceux déclarant posséder un dispositif d’accueil spécifique à
certaines atteintes, particulièrement la maladie d’Alzheimer, avec la présence d’un
pôle d’activités et de soins adaptés (PASA) spécifiques.
Parmi les entrées, ceux de moins de 70 ans étaient plus souvent transféré à
partir d’un établissement psychiatrique ou d’un service psychiatrique d’un
établissement de santé ou à partir d’un établissement pour adultes en situation de
handicap.
Effectivement, parmi ces entrées en EHPAD, la proportion de personnes en
situation de handicap est bien plus élevée chez les personnes entrées avant 70 ans,
parmi lesquels 19 % présentaient un handicap contre 1 % pour les plus âgés.
Cependant, la perte d’autonomie, telle qu’évaluée à partir de la grille AGGIR
n’était pas significativement différente selon les entrées précoces ou
conventionnelles : 42 % des personnes entrées avant 70 ans sont évaluées en perte
d’autonomie importante (GIR 1 ou 2) contre 41 % des personnes entrées à 70 ans ou
plus. De même, la proportion des personnes atteintes de pathologie
neurodégénérative (Alzheimer et apparentés) différait peu : 10 % pour les moins de
70 ans, 8 % pour les seniors.
Par ailleurs, une proportion importante de personnes entrées précocement en
EHPAD bénéficiait d’une mesure de protection juridique : 37 % parmi les entrées
précoces contre 8 % pour les autres [2].

Les données collectées en 2017-2018 par la CNSA ont été exploitées pour
définir les pathologies et les événements ayant contribué à l’entrée en EHPAD de
1143 résidents avant l’âge de 70 ans :
— 25 % étaient atteint de psychose chronique
— 22 % des cas avaient un handicap mentales
— 13 % des cas avaient une maladie d’Alzheimer ou apparenté
— 11 % des cas étaient atteints du syndrome de Korsakoff
— 3,5 % des dérogés étaient entrés en EHPAD en raison de l’indisponibilité de leur
aidant principal, lui-même malade, pris en charge dans une institution ou décédé
[9].

4) Conclusions et guidelines à l’échelle du médecin généraliste

On constate que les dérogations à l’EHPAD, si elles ne sont officiellement pas


codifiées, se limitent toutefois à des pathologies débilitantes sur le plan
neuromoteur et/ou psychique, avec pour trait commun un impact majeur sur
l’autonomie de l’individu. La possibilité d’accueil est alors théoriquement
envisageable, en particulier dans les établissements publics, rattachés au système
de soins ayant initialement pris en charge le patient dans un contexte d’aggravation
de sa pathologie.

Néanmoins, parmi l’ensemble des dérogations, de nombreuses n’aboutissent


pas à une solution d’hébergement concrète. Les principaux freins à cette admission
sont [2]:
— Les répercussions financières et leurs conséquenceslogistiques du fait que les
personnes avec dérogation d’âge ne rentrent pas dans la cotation AGGIR qui sert
de référence à l’Assurance maladie pour définir le budget des EHPAD ;
— La pression des demandes avec des listes d’attente s’étendant souvent sur
plusieurs années, incitant les médecins coordonnateurs à prioriser les populations
s’intégrant dans les grilles AGGIR et éviter à l’inverse celles présentant des
pathologies à lourds besoins logistiques ;
— L’absence de personnel qualifié pour faire face aux dites pathologies sévères,
notamment dans le cadre de la psychiatrie avec la peur de ne pouvoir gérer des
décompensations psychotiques susceptibles donc de perturber le fonctionnement
du lieu de vie.
— La crainte d’une mauvais intégration avec les autres résidents, plus âgés et
moins lourdement atteints voir immuns de pathologies à retentissement sévère
(déficience mentale et troubles psychotiques notamment).

Aussi, s’il est confronté à ce qu’il considère comme une nécessité médicale
d’institutionnalisation à long terme d’une personne insuffisamment âgée, le
médecin devra orienter les proches vers un établissement susceptible d’une
réponse favorable. Il devra ainsi privilégier un établissement [2] :
— public, si possible en continuité avec la structure de soin ayant suivi le patient ;
— disposant d’une unité dédiée, soit à la pathologie de l’individu (PASA pour la
maladie d’Alzheimer etc.) soit spécifique aux dérogations d’âges, qui pourront ainsi
mieux s’intégrer en groupe ;
— en relation avec des spécialistes en psychiatrie, médicaux ou paramédicaux,
pour lesquels un avis peut être facilement sollicité en cas de besoin ;
— disposant de protocoles bien définis concernant la conduite à tenir en cas de
décompensation psychotique, ou ouverts à l’élaboration de ceux-ci, en partenariat
avec les médecins référents ;
— formant le personnel à la gestion des personnes psychopathologiques, déficients
intellectuels ou de toute atteinte impactant sévèrement l’autonomie, et apte à
faciliter leur intégration avec le reste des résidents ;
— respectant ledit personnel dans leur ressenti humain face à cette perte
d’autonomie, et agissant au possible pour soulager leur charge de travail et leur
charge mentale, afin de maximiser leur efficience et d’améliorer les rapports au
sein du personnel et avec les résidents.

Références

[1] https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr/vivre-dans-un-ehpad/les-
differents-etablissements-medicalises/les-ehpad, consulté le 08/12/21
[2] Nathalie Hoste-Gaussens. Prise en charge en EHPAD des personnes de moins de
60 ans. D.I.U formation à la fonction de médecin coordonnateur d’Etablissement
d’Hébergement Pour Personnes Agées Dépendantes. 2010-2011
[3] https://ressources.seinesaintdenis.fr/Derogations-d-age-Admission-a-l-aide-
sociale-a-l-hebergement-des-adultes, consulté le 11/12/21
[4] Code de l'action sociale et des familles Article L113-1, version en vigueur le
08/12/21.
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074069/
LEGISCTA000006157553/#LEGISCTA000006157553
[5] https://www.etablissementsdesante.fr/pages/tarifs, consulté le 08/12/21
[6] https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr/vivre-dans-un-ehpad/aides-
financieres-en-ehpad, consulté le 11/12/21
[7] https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr/vivre-dans-un-ehpad/aides-
financieres-en-ehpad/lapa-en-etablissement, consulté le 11/12/21
[8] Rousselot T, Hébergement des personnes atteintes de maladies d'Alzheimer ou
apparentées avant 60 ans. Quelles réponses administratives pour quels besoins ?
Médecine juin 2012, 1-4
[9] FOCUS de l’ARS Bretagne, n°12 – Entrée précoce en EHPAD, agence régionale de
santé Bretagne, octobre 2015

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