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Procès de Socrate

procès au cours duquel Socrate est


condamné à la peine capitale

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Le procès de Socrate est l'un des procès
les plus célèbres de l'Histoire. Le
philosophe athénien Socrate est accusé
par Mélétos de corrompre la jeunesse, de
nier les dieux de la cité et d'introduire des
divinités nouvelles à Athènes. Socrate est
condamné à mort par le tribunal de
l'Héliée, à Athènes, en 399 avant J.-C.
Plusieurs amis de Socrate proposent de
le défendre, mais il refuse leur aide.
Acceptant la sentence, bien que se
défendant de l'accusation d'impiété, il
boit volontairement la ciguë.
La Mort de Socrate, par Jacques-Louis David (1787).

Le procès et la mort de Socrate sont


relatés par deux de ses disciples, Platon
et Xénophon. Platon accorde une
tétralogie entière au procès de Socrate,
qui part de l'Euthyphron pour continuer
avec l'Apologie de Socrate, le Criton et,
enfin, le Phédon. Xénophon, lui, en parle
dans son Apologie de Socrate, dans les
Mémorables, et dans les Épîtres
socratiques.
Contexte
Le procès et la condamnation de Socrate
doivent se comprendre dans leur
contexte historique. Durant le ve siècle,
Athènes apparaît comme la cité la plus
puissante du monde grec. La guerre du
Péloponnèse, commencée en 431 av. J.-
C, se termine toutefois pour elle par une
terrible défaite. Vaincue par Sparte,
Athènes perd son empire maritime et un
quart de ses citoyens. Elle connaît
ensuite une grave crise financière et
d'importantes tensions politiques. À la fin
de la guerre, c'est le régime
démocratique lui-même qui est mis en
cause[1].
Une première tentative pour renverser la
démocratie, à l'initiative d'Alcibiade et au
profit d'un régime oligarchique, a lieu en
-411. En 404 avant J.-C, une nouvelle
tentative, dirigée par Théramène, institue
le régime des Trente, qui tyrannise la ville,
mais échoue une nouvelle fois[2].

La condamnation de Socrate a lieu peu


de temps après la fin du régime
oligarchique des Trente. Durant cette
période, comme le rappelle Cicéron, « la
Grèce avait davantage de tyrans qu'un
tyran n'a de gardes du corps ». Les
tensions sociales sont importantes, et
Socrate est accusé par l'homme politique
Anytos, l'orateur Lycon et le poète
Mélétos.

Déroulement

Mise en accusation à l'Héliée

Fonctionnement de l'Héliée au temps de


Socrate

Le cadre institutionnel athénien a fait de


l'Héliée le principal tribunal chargé de
juger les procès civils au sein de la Cité.
Ce tribunal est composé de six mille
citoyens, tirés au sort chaque année. De
ce fait, le système judiciaire est une sorte
de doublet du système politique avec
son assemblée, l'ecclésia, et l'on peut
parler d'une justice populaire. Les juges,
ou héliastes, chargés de juger les procès
du jour sont eux-mêmes tirés au sort
chaque jour parmi les six mille juges
annuels. Ils sont rétribués pour leur
fonction. Le nombre d'héliastes varie en
fonction de l'importance du procès, entre
201 et 2501[3].

N'importe quel citoyen peut porter une


accusation. Certains de ces accusateurs,
qui ont reçu le sobriquet méprisant de
sycophantes (« porteurs de figues »),
sont des délateurs habitués, parfois
soudoyés pour porter des accusations
contre autrui, souvent dans un but
politique[3]. La plainte doit être déposée
auprès d'un magistrat (l'archonte ou le
thesmothète), et le jour du procès,
l'accusateur et l'accusé parlent à tour de
rôle, leur temps de parole étant mesuré
par la clepsydre. Les juges votent ensuite
en déposant un caillou dans l'une des
deux urnes prévues à cet effet. Si
l'accusation est rejetée, l'accusateur peut
se voir infliger une peine. Si l'accusation
est acceptée, il y a deux cas de figure :
soit la loi prévoit une peine, et c'est celle-
ci qui est appliquée, soit la loi n'en prévoit
pas. Dans ce dernier cas, et c'est celui du
procès de Socrate, accusateur et accusé
peuvent chacun proposer une peine, et
les juges décident laquelle appliquer[3].
Accusateurs de Socrate

Les accusateurs de Socrate sont au


nombre de trois : Mélétos, Anytos et
Lycon.

Mélétos est poète et c'est sans doute lui


qui a déposé la plainte auprès de
l'archonte-roi. Bien que dans leur
Apologie, Platon et Xénophon le fassent
dialoguer avec Socrate, il est peu
vraisemblable qu'un tel dialogue ait eu
lieu lors du véritable procès. Mélétos
apparaît chez Platon et Xénophon
comme un individu sans envergure, et
n'était sans doute que le prête-nom
d'Anytos[4].
Anytos est un homme politique issu d'un
milieu modeste par comparaison aux
hommes politiques appartenant aux
anciennes familles aristocratiques de la
ville qui avaient dirigé jusque-là la cité. Il
a fait fortune comme tanneur. Proche de
Théramène et des modérés, il rejoint
cependant en exil Thrasybule lors du
gouvernement des Trente en 404. C'est
donc un homme politique en vue après la
restauration de la démocratie, parmi les
plus puissants, si l'on en croit Isocrate.
Anytos est l'un des personnages du
Ménon de Platon : il y apparaît comme
opposé aux sophistes, qu'il juge
dangereux pour la jeunesse[5].
Lycon est un personnage dont on sait
peu de choses. Orateur, il est la cible de
poètes comiques tels Eupolis et
Cratinos. Appartenant à l'entourage
d'Anytos, il était sans doute chargé avec
d'autres de soutenir ses intérêts dans les
assemblées ou les procès[5].

Chefs d'accusation

Nous connaissons précisément les trois


chefs d'accusation qui visent Socrate, car
l'acte d'accusation est retrouvé au
iie siècle dans les archives athéniennes
par Favorinus, recopié puis repris par
Diogène[Note 1]. En avril 399 av. J.-C.,
Socrate se voit accusé par Mélétos
principalement[6], ainsi que deux de ses
amis, Lycon et Anytos, de deux crimes,
définis sous trois chefs d'accusation[7] :

1. Ne pas reconnaître les dieux que


reconnaît la cité (être impie) ;
2. Introduire des divinités nouvelles
(son daimôn) ;
3. Corrompre les jeunes gens[8].

Déclenchement du procès

Discours de l'accusation et convocation

Maison creusée dans la colline de la Pnyx et désignée comme la « Prison de Socrate »[9] .
Le premier élément du procès est une
accusation formelle, que l'accusateur
Mélétos prononce devant l'archonte, un
fonctionnaire d'État ayant principalement
des responsabilités religieuses.
L'archonte décide de recevoir la
demande, et convoque selon la
procédure dédiée Socrate. Il paraît
devant un jury composé de citoyens
athéniens, pour répondre des charges de
corruption de la jeunesse et d'impiété.

Les jurys athéniens antiques sont choisis


à l'époque par tirage au sort, à partir d'un
groupe de volontaires masculins.
Contrairement aux procès modernes, les
verdicts à la majorité sont plutôt la règle
que l'exception (on peut trouver une
satire de ces jurys dans la comédie
d'Aristophane Les Guêpes). Ni Platon, ni
Xénophon ne mentionnent le nombre des
juges, même si Platon suggère[10] des
limites claires : seuls trente votes
auraient suffi à acquitter Socrate, et
moins des trois cinquièmes ont voté
contre lui[Note 2].

Discours de la défense et jugement

Le procès se déroula en deux temps.


Dans un premier temps, 501 jurés sont
réunis pour son jugement. Le nombre de
501 était le nombre habituel de jurés pour
ce type de procès. Socrate refuse
toutefois de lire un discours de défense
qui avait été écrit à son intention par
Lysias. Il préfère alors raconter sa vie aux
jurés[11]. Cette attitude lui vaut d’être jugé
coupable avec 281 voix contre lui.

Une fois Socrate jugé coupable, il est


question de choisir la peine encourue par
Socrate. Les accusateurs demandent la
mise à mort, mais le paiement d'une
amende est également possible. La
procédure est telle que, pour inciter les
parties à une plus grande modération, les
juges doivent choisir parmi les
propositions des deux parties du procès.
Socrate a alors la possibilité de proposer
une peine qui pût être acceptée par les
juges.
Socrate, après avoir exprimé sa surprise
d'avoir été condamné par une si petite
majorité, propose d'être nourri au
Prytanée en récompense de ses actions
envers la cité, un honneur immense
accordé aux bienfaiteurs de la cité et aux
vainqueurs des Jeux olympiques[12]. Il
propose ensuite de payer une mine (100
drachmes), qui est un cinquième de ses
biens, et est un témoignage de sa
pauvreté. Finalement, il s'arrête sur la
somme de 30 mines (3000 drachmes),
garantie par Platon et Criton. Ses
accusateurs proposent la peine de mort.

Son attitude finit par exaspérer les juges


qui y voient peut-être de l'arrogance[13],
bien que Socrate n'a pas arrêté de
rappeler tout au long de son procès que
ce n'était que vérité. Il est condamné à
mort avec 30 voix de plus sur 501
votants, d'après Platon. La mise à mort
décidée est une mise à mort par
ingestion d'un poison mortel, la ciguë.

Prison et mise à mort

La mise à mort de Socrate est retardée


pour des raisons religieuses. Mis en
prison, Socrate dispose de l'occasion de
s’enfuir grâce à l'aide de ses amis[14]. Il
refuse toutefois d'échapper à sa
sentence, au motif que le respect des
lois de la cité était plus important que sa
propre personne[15]. Si sa femme
Xanthippe se plaint qu'il soit condamné
injustement, Socrate évacue le problème
en lui répondant : « Aurais-tu préféré que
ce soit justement ? Anytos et Mélétos
peuvent me tuer, ils ne peuvent me nuire »
(Apologie, 30 c-d.).

Montrant son accord avec sa philosophie


d'obéissance à la loi, il se soumet à sa
condamnation, en buvant la cigüe, poison
qui lui est fourni. Il meurt à 70 ans.

Causes de la condamnation

Climat de tension à Athènes

Athènes vit la fin de son âge d'or lorsque


Socrate est poursuivi en justice. La Cité a
perdu la guerre, et beaucoup attribuèrent
la défaite dévastatrice à une prétendue
perte des valeurs traditionnelles dans la
ville. Dans cette perspective, on trouva
rapidement des boucs émissaires parmi
les sophistes, et on brûla, par exemple,
une partie des œuvres de Protagoras. Le
procès du philosophe commence dans
cette atmosphère pesante de chasse aux
sorcières[16].

La chasse aux sorcières s'abat d'autant


plus sur Socrate que ce dernier est
assimilé, à tort selon Bernard Louis, à l'un
d'entre eux. Eschine lui-même soutint que
Socrate en était. Aristophane, lorsqu'il
caricature Socrate dans sa comédie Les
Nuées (Νεφέλαι) en 420 av. J.-C.,
représente également Socrate comme un
sophiste.

Victime du sentiment général de


pessimisme et de superstition qui suit la
défaite d'Athènes dans la guerre du
Péloponnèse, Socrate pâtit au moment
du procès d'une mauvaise réputation et a
du mal à convaincre le jury.

Inimitiés et mauvaise réputation

Il est difficile de connaître le Socrate


historique, car, n'ayant probablement
jamais mis son travail philosophique par
écrit (l'authenticité des premières lettres
des Épîtres socratiques est remise en
cause), on ne le connaît que par les
dialogues de son disciple, Platon[Note 3].

Toutefois, les sources concordent à


montrer que la méthode socratique
semble gêner des personnages influents
de son époque, dont la réputation de
sagesse et de vertu est mise à mal par
ses questions[17]. Socrate attire lui-même
l'attention sur la gêne de ses concitoyens
que provoque sa méthode, en se
décrivant lui-même comme le « taon »
d'Athènes[18]. Socrate voit sa réputation
d'autant plus écornée que la méthode
socratique est souvent imitée par les
jeunes gens de la cité qui le
fréquentent[19].

Relations amicales avec les Trente

Socrate s'est entouré de nombreux


disciples, dont certains ont, par la suite,
abandonné la quête du Vrai en faveur de
la politique. Lors de son procès, les
opinions politiques qu'on a attribuées à
Socrate, et qu'ont embrassées certains
de ses disciples, jouent en sa défaveur.
Athènes a vécu un épisode tyrannique
avec les Trente ; or, l'un des Trente les
plus influents, Critias, est un ancien élève
de Socrate. Critias ayant fait partie de ce
groupe d'oligarques favorables à Sparte
(qui dirige Athènes durant sept mois, de
mai 404 à janvier 403, après la fin de la
guerre du Péloponnèse), sa réputation
réfléchit sur celle de Socrate[20].

Opposition au régime des Trente

Socrate se serait opposé au régime


politique des Trente. Il aurait refusé de
participer à l'arrestation de Léon de
Salamine, démocrate et adversaire des
Trente, considérant que son arrestation
était illégale. Cela est rapporté par Platon
dans ses Épîtres (lettre VII)[21], ainsi que
dans l'Apologie (32 c). On retrouve
également cette affirmation dans les
Épîtres socratiques (lettre VII)[22].
Opinions politiques

Les véritables opinions politiques de


Socrate sont inconnues, ayant été diluées
ou transformées par la plume de Platon.
Le Socrate de Platon est opposé à la
démocratie et soutient que ce n'est pas
la voix populaire qui donne le vrai, mais le
savoir et la compétence professionnelle.
Or, durant la guerre du Péloponnèse, l'un
des principaux disciples de Socrate,
Alcibiade, trahit Athènes en rejoignant le
camp des spartiates. De plus, d'après les
portraits laissés par des disciples de
Socrate, ce dernier épouse ouvertement
certaines vues anti-démocratiques,
estimant que ce n'est pas l'opinion de la
majorité qui donne une politique correcte,
mais plutôt le savoir et la compétence
professionnelle, qualités que peu
d'hommes possèdent[23].

Platon le décrit aussi comme très


critique envers les citoyens les plus
importants et les plus respectés de la
démocratie athénienne[24] ; il le montre
affirmant que les responsables choisis
par le système athénien de
gouvernement ne peuvent être regardés
de façon crédible comme des
bienfaiteurs, car ce n'est pas un groupe
nombreux qui bénéficie de leur politique,
mais « un seul homme [...] ou alors un
tout petit nombre »[25]. Enfin Socrate est
connu pour louer les lois des régimes
non démocratiques de Sparte et de la
Crète[26].

Opinions religieuses

En dehors de ses idées politiques,


Socrate exprime des idées religieuses
non conventionnelles. Il fait plusieurs
références à un esprit personnel, ou
démon (δαίμων). Socrate aurait affirmé,
selon Xénophon, que ce daimôn est
simplement une voix divine qui s'adresse
à lui. Nombre de ses contemporains
voient dans la référence à son démon un
rejet de la part de Socrate de la religion
d'État. Pourtant, à la lecture des textes
de Platon et de Xénophon, il apparaît
plutôt comme une sorte d'intuition.

Postérité

Conséquences de la mort de Socrate


à Athènes

La mort de Socrate semble n'avoir eu que


peu d'écho parmi ses contemporains.
Elle est principalement connue par les
ouvrages de ses deux disciples les plus
célèbres, Platon et Xénophon ; mais on
n’en trouve aucune mention dans les
pièces d'Aristophane postérieures à 399
(L'Assemblée des femmes, Le Ploutos),
alors que Socrate en était un
personnage. Il en va de même dans les
discours de Lysias, qui avait pourtant
fréquenté Socrate, et de ceux d'Andocide
et d'Isocrate.

Les Épîtres socratiques affirment que les


spartiates, depuis la condamnation de
Socrate, « flétrissent notre peuple, en
disant qu'il est devenu fou d'avoir
consenti à mettre à mort le plus innocent
des hommes ». On peut toutefois douter
de cette affirmation. Il en va de même
pour ce que rapporte Diogène Laërce,
selon lequel « le repentir suivit de près
chez les Athéniens : on ferma les jeux et
les gymnases ; les ennemis de Socrate
furent exilés, et Mélétos en particulier fut
condamné à mort. On éleva à la mémoire
de Socrate une statue d’airain, œuvre de
Lysippe, qui fut placée dans le
Pompéium. Quant à Anytos, les habitants
d’Héraclée le proscrivirent le jour même
où il était entré dans leur ville[27] » (II, 43).

De fait, il semble que ce soit


essentiellement pour les intellectuels,
partisans ou adversaires de Socrate, que
l'événement ait eu de l'importance. C'est
ainsi que vers 393, le sophiste Polycrate
d'Athènes fait paraître un pamphlet
contre Socrate, donnant la prétendue
transcription du discours d'accusation et
lui reprochant d'avoir été le maître de
Critias et Alcibiade, adversaires de la
démocratie[28], pamphlet qui a donné
naissance à une abondante littérature
des disciples de Socrate, les dialogues
socratiques (logoi sokratikoi)[29].
Plutarque écrit qu'après avoir laissé
condamner Socrate à mort, les Athéniens
s'en voulurent et se prirent de haine pour
ses accusateurs à tel point qu'on forçait
les garçons des bains publics à changer
leur eau de baignade, entre autres
harcèlements, si bien qu'ils se
pendirent[30].

Conséquences de la mort de Socrate


dans le christianisme

Il est impossible de savoir avec certitude


dans quelle mesure la légende
socratique a influencé, au ier siècle, les
récits des martyrs de Jésus de Nazareth
et des apôtres, en particulier chez les
chrétiens hellénisés. Le procès de
Socrate était toutefois connu dans les
milieux juifs : Flavius Josèphe et son
adversaire Juste de Tibériade s'y réfèrent
tous deux[31].

Au iie siècle les premières mentions de


Socrate apparaissent dans la littérature
apologétique chrétienne. Justin de
Naplouse est le premier à se référer
explicitement à l'Apologie de Socrate de
Platon. Cherchant à montrer que la
philosophie chrétienne est
l'aboutissement de la philosophie
platonicienne, ses deux Apologies du
christianisme suivent de près la structure
et les thèmes de celle de Platon. Socrate
est lui-même présenté comme un
chrétien, victime d'une fausse religion, et
son sort prélude à celui des martyrs du
christianisme. Origène et Clément
d'Alexandrie vont par la suite dans le
même sens, faisant de Socrate un
précurseur de Jésus[32].

Toutefois, le caractère divin attribué à


Jésus entraîne un hiatus à partir du
iiie siècle dans l'assimilation de Socrate à
Jésus, plus encore avec l'apparition d'une
littérature chrétienne en langue latine,
moins dépendante de la tradition
grecque. Tertullien condamne ainsi
Socrate, pour mieux l'opposer aux
martyrs chrétiens, tout comme Minucius
Felix dans son Octavius , œuvre qui
(en)

reprend la forme des dialogues


platoniciens[33].

À partir des Temps modernes, la figure


de Socrate est connue tout autant à
travers la littérature grecque qu'à travers
les premiers écrivains de l'Église. Le
parallèle avec Jésus se poursuit ainsi
chez les érudits, comme en témoigne par
exemple le Socrate du père Festugière
(1934). Chez les philosophes, il se
retrouve chez Hegel, Kierkegaard, Marx
ou Nietzsche. En littérature encore, chez
Rousseau (La Profession de foi du vicaire
savoyard : « Si la vie et la mort de Socrate
sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus
sont d'un Dieu. ») et les romantiques[34].

Conséquences de la mort de Socrate


sur la philosophie politique
occidentale

La mort de Socrate est devenu avec le


temps un symbole dans la philosophie
politique occidentale. Platon et
Xénophon ont immédiatement fait de la
mort de leur maître un symbole de
l'injustice due à l'ignorance populaire. Ils
critiquent ainsi la démocratie. Cette
image connaît une fortune certaine,
depuis Cicéron ou Marc Aurèle jusqu'à
Nietzsche.

Dans les Tusculanes, Cicéron fait de


l'acceptation de la mort de Socrate un
témoignage puissant de l'adhésion de
Socrate à se propre doctrine, selon
laquelle l'âme étant immortelle, la mort
« n'est autre chose qu'une séparation,
qu'une désunion des parties ». Ainsi,
Socrate « conserva une fierté qui venait,
non d'orgueil, mais de grandeur
d'âme »[35].

À partir de la Renaissance, alors que se


développe une pensée critique qui vaut à
certains (comme Giordano Bruno) d'être
condamnés à mort, Socrate devient une
figure de victime de l'intolérance, surtout
religieuse, et l'on redécouvre dans le
même temps un Socrate philosophe,
chez Rabelais, Montaigne ou Érasme.
Mais c'est surtout au xviiie siècle, durant
les Lumières, que Socrate devient une
référence de la lutte contre l'intolérance
religieuse. Voltaire est ainsi l'auteur en
1759 d'une pièce intitulée La Mort de
Socrate , drame en trois actes dans
(en)

lequel l'accusateur Anytos est un Grand


Prêtre, faisant mettre à mort Socrate par
vengeance personnelle. Quatre autres
tragédies sur le même sujet datent du
xviiie siècle, dont celle de Billardon de
Sauvigny en 1763[36].
Le rapprochement entre la condamnation
de Socrate et l'injustice et l'arbitraire
politiques a été également réalisé par
Denis Diderot. En juillet 1749, l'homme
politique et philosophe est incarcéré à la
prison de Vincennes pour l'ensemble de
ses écrits. Il y reste trois mois, période
pendant laquelle il traduit, sans
dictionnaire, l'Apologie de Socrate de
Platon[37]. Il s'agit, pour lui, de faire
l'amalgame entre son procès et celui du
célèbre philosophe grec.

Lorsque Charles Maurras est


emprisonné, après la Libération de la
France, pour fait de collaboration, il
publie un texte, en 1948, sous le
pseudonyme de Xénophon III et intitulé
l'Apologie de Socrate, dans lequel il
explique qu'il est victime des résistants
comme Socrate le fut des démocrates.

Adaptations dans les arts et


les lettres

Littérature

Voltaire, La Mort de Socrate, théâtre,


1759
Marmontel, Voltaire, Un disciple de
Socrate aux Athéniens, héroïde, 1760
[lire en ligne (https://gallica.bnf.fr/ark:/
12148/bpt6k55467277) [archive]]
Edme-Louis Billardon de Sauvigny, La
Mort de Socrate, théâtre, 1763
Simon-Nicolas-Henri Linguet, Socrate,
tragédie, 1764 [lire en ligne (https://gall
ica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109197q) [
archive]]
Jean-Marie Collot, ci-devant d'Herbois,
Le Procès de Socrate, ou Le Régime
des anciens temps, comédie, 1791 [lire
en ligne (https://gallica.bnf.fr/ark:/121
48/bpt6k482399) [archive]]
Alphonse de Lamartine, La Mort de
Socrate, poème, 1823
Brice Parain, La Mort de Socrate,
roman, 1950
Mansour Rahbani, Les Derniers Jours
de Socrate, comédie musicale (en
arabe), 1998
Jean Paul Mongin, La Mort du divin
Socrate, Les petits Platons, récit pour
la jeunesse, 2010

Cinéma

Processo e morte di Socrate , de


(it)

Corrado D'Errico, avec Ermete Zacconi


(Socrate), 1939
Socrate (téléfilm), de Roberto
Rosselini, 1971

Théâtre

Le Procès de Socrate H.U. Dorian Les


Éditions Universelles 1952 - pièce en 5
actes

Références

1. Mossé 1987, p. 11-28.


2. Mossé 1987, p. 35-38.
3. Mossé 1987, p. 90-95
4. Mossé 1987, p. 95-96
5. Mossé 1987, p. 97-98
6. Platon, Apologie, 19 b, 26-27, 36-37.
Xénophon, Mémorables, IV, 4, 4 ; IV,
8, 4.
7. Platon, Apologie de Socrate, 24 b-c ;
Xénophon, Mémorables, I, 1 ;
Diogène Laërce, II, 40.
8. Xénophon, Mémorables, I, 2, 12-47.
9. Adalberto Magnelli, Art et histoire de
la Grèce et du mont Athos, Casa
Editrice Bonechi, 1996, p. 21.
10. Platon, Apologie de Socrate, 35 a-b.
11. Platon, Apologie de Socrate, 20 d-22
b.
12. Platon, Apologie de Socrate [détail
des éditions] [lire en ligne (http://phil
octetes.free.fr/apologiedesocrate.h
tm) [archive]], 36 d-37 b.
13. Gilbert Romeyer-Dherbey, Jean-
Baptiste Gourinat, Socrate et les
socratiques, Vrin, 2001, p. 82.
14. Platon, Criton
15. Phédon, 99 a.
16. Bernard Louis, Socrate et les
sophistes, Université de Louvain,
1970.
17. Platon, Apologie de Socrate, 21 d-e,
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18. Platon, Apologie de Socrate 30 e-31
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19. Platon, Apologie de Socrate 23 c.
20. Xénophon. Les Mémorables, 1.2.29-
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21. Plato, Lettres, Flammarion, 1987
(ISBN 978-2-08-070466-5, lire en
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Diogène Laërce, traduction de
Charles Zévort, 1847
28. Mossé 1987, p. 130-131.
29. H. Kesters, Kérygmes de Socrate,
essai sur la formation du message
socratique, Nauwelaerts, 1965,
p. 151.
30. Plutarque, De l'envie et de la haine
(Lire en ligne (http://remacle.org/blo
odwolf/historiens/Plutarque/envie.
htm) [archive])
31. Ismard 2013, p. 216-218.
32. Ismard 2013, p. 220-228.
33. Ismard 2013, p. 228-230.
34. Ismard 2013, p. 231-233.
35. Annie COLLOGNAT, La Sagesse
antique, Place des éditeurs,
14 mai 2010
(ISBN 978-2-258-08649-4, lire en
ligne (https://books.google.com/boo
ks?id=UCfbLoRyb80C&newbks=0&h
l=en) [archive])
36. Mossé 1987, p. 139-142
37. Raymond Trousson, Denis Diderot,
ou, Le vrai Prométhée, Paris,
Tallandier, 2005, 717 p.
(ISBN 2-84734-151-X,
OCLC 61666416 (https://worldcat.org/fr/t
, lire en ligne (https://www.worldcat.
org/oclc/61666416) [archive]),
p. 140-143

Notes
Notes

1. Source : Jean-Baptiste Gourinat,


Socrate et les socratiques, Vrin,
2001, p. 76.
2. Ce second point peut être accepté
uniquement si l'affirmation de
Socrate en 35 a-b implique que
Mélétos seul échoue à convaincre un
« cinquième » de tous les juges.
Certains universitaires présument
simplement que les juges de
Socrate sont 500 ou 502, se fondant
(probablement) sur Diogène Laërce
en 2.41 ou plus généralement sur
l'Athenaion Politeia aristotélicienne
en 68. Mais Diogène donne non pas
un nombre total, mais un décompte
pour une affaire contestée. Et
l’Athenaion Politeia contient un
dénombrement pour une procédure
d'un type du quatrième siècle, qui
n'est peut-être pas en vigueur du
temps du procès de Socrate. Voir P.
Rhodes, 1981, Commentary on the
Aristotelian "Athenaion Politeia",
p. 729.
3. La difficulté est dès lors de délimiter
précisément la pensée de Socrate et
celle de Platon lui-même, qui
s'exprime par sa bouche.

Bibliographie
(en) Thomas C. Brickhouse et Nicholas
D. Smith, Plato and the Trial of
Socrates, Routledge, 2004
Louis-André Dorion, Socrate, Paris,
Presses Universitaires de France,
coll. « Que sais-je ? », 2004
Moses I. Finley, « Socrate et Athènes »,
dans On a perdu la guerre de Troie,
trad. Jannie Carlier, Les Belles Lettres,
« Histoire », 1989, rééd. 1993.
Paulin Ismard, L'Évènement Socrate,
Flammarion, coll. « Au fil de l'histoire »,
2013 (compte-rendu su le site La vie
des idées (http://www.laviedesidees.f
r/Socrate-l-inculpe.html) [archive])
Claude Mossé, Histoire d'une
démocratie : Athènes, Le Seuil, « Points
Histoire », 1971
Claude Mossé, - 399. Le Procès de
Socrate, Bruxelles, Complexe, coll. « La
mémoire des siècles », 1987
(ISBN 2-87027-201-4)
Claude Mossé, Le procès de Socrate :
un philosophe victime de la
démocratie ?, 2012
Paul Veyne, « Les présupposés de la
cité grecque, ou pourquoi Socrate a
refusé de s'évader », dans L'Empire
gréco-romain, Le Seuil, « Points
Histoire », 2005
(en) Emily Wilson, The Death of Socrates :
Hero, Villain, Chatterbox, Saint, Harvard
University Press, 2007

Voir aussi
Articles connexes

Dialogues de Platon : Euthyphron ·


Criton · Ménon · Apologie de Socrate ·
Phédon
Dialogue de Xénophon :
Apologie de Socrate (Xénophon)

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