Surface oculaire
Les anomalies de la statique
et de la dynamique palpébrales
qui altèrent la surface oculaire chez l’adulte
Anne-Laurence Best -
Que retenir ?
• Une malocclusion ou une cause
d’irritation par frottement sont à
rechercher devant une atteinte
cornéenne.
• L’analyse du clignement est indis-
pensable dans l’examen de la sur-
face oculaire.
• Devant une lagophtalmie asso-
ciée à une kératite, l’origine para-
lytique est la plus fréquente, mais
il faut savoir évoquer les autres
causes : restrictive et nocturne.
• L’entropion de paupière infé-
rieure est plus fréquent et est
souvent d’origine involutionnelle
alors que l’entropion de paupière
supérieure est majoritairement
d’origine cicatricielle.
• Toujours rechercher une patho-
logie conjonctivale fibrosante lors
de l’examen des culs-de-sac.
•
●●●●●●●● Introduction
Les paupières protègent l’œil de façon
mécanique, et en particulier la surface
oculaire, par leurs actions d’étalement
du film lacrymal et de barrière. Devant
une altération de la surface oculaire,
l’examen de la statique palpébrale, du
Service d’ophtalmologie, CHU de Bicêtre
bord libre, des culs-de-sac et des voies
lacrymales, ainsi que l’étude de la
dynamique palpébrale sont indispen-
sables. Il faut savoir rechercher une
malocclusion, une irritation chronique
liée à une malposition ou une inflam-
mation des paupières et des culs-de-
sac conjonctivaux.
•
●●●●●●●● Rappels
d’anatomie
Les paupières sont indispensables à la
protection du globe oculaire et au
renouvellement du film lacrymal.
Commençons par brièvement revoir
leur structure anatomique.
Les paupières sont divisées en deux
lamelles : antérieure et postérieure.
La lamelle antérieure est constituée
de la peau et du muscle orbiculaire.
Le muscle orbiculaire se répartit en
trois anneaux concentriques : prétar-
sal, préseptal et orbitaire, il est res-
ponsable de la fermeture volontaire
et involontaire des paupières.
Derrière le muscle orbiculaire se
trouve le septum orbitaire, un tissu
fibro-élastique séparant les deux
N°236 - Tome 25 - juin 2020 - RéfleXions Ophtalmologiques
lamelles, celui-ci contient la graisse
orbitaire. Le tissu conjonctif est le
corps du volet palpébral, il est soutenu
par le tarse et le septum périorbitaire.
La lamelle postérieure est constituée,
au niveau de la paupière supérieure,
par le muscle releveur de la paupière
supérieure, tapissé à sa face posté-
rieure du muscle de Müller et de la
conjonctive palpébrale. Au niveau de
la paupière inférieure, elle est consti-
tuée de la lame des rétracteurs et de
la conjonctive tarsale.
Les cils ont une insertion folliculaire
profonde : une ou deux glandes séba-
cées, dites de Zeiss, leur sont annexées.
Les glandes de Moll sont des glandes
sudoripares localisées entre les cils.
•
●●●●●●●● Physiopathologie
À l’état normal, le bord libre des pau-
pières est au contact du globe oculaire
grâce à une tension palpébrale harmo-
nieuse résultant de deux facteurs
principaux :
• les vecteurs horizontaux sont la
peau, l’orbiculaire, le tarse et ses
connexions avec les parois de l’orbite
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par l’intermédiaire du septum orbitaire
et des ligaments latéraux ;
• les vecteurs verticaux : les éléments
musculo-aponévrotiques qui s’in-
sèrent sur les bords tarsaux, le rétrac-
teur de la paupière inférieure lié au
septum, le releveur de la paupière et
le muscle de Müller en paupière supé-
rieure.
Les malpositions palpébrales résultent
d’un déséquilibre entre les vecteurs
horizontaux et verticaux s’exerçant sur
les paupières.
•
●●●●●●●● Causes
d’exposition cornéenne
par malocclusion
La lagophtalmie (fermeture incom-
plète des paupières) est un pourvoyeur
important de kératite. La fermeture
complète des paupières est évaluée
en dynamique mais également au
repos. Une atteinte de sa statique aura
un retentissement dynamique certain.
Il convient donc de rechercher une
lagophtalmie associée ou pas à un
ectropion et d’en préciser la localisa-
tion. La lagophtalmie peut être congé-
nitale ou acquise. Elle peut être
secondaire à une paralysie faciale,
restrictive ou être uniquement noc-
turne (1). Concernant les ectropions,
ils peuvent être d’origine congénitale,
cicatricielle (rétractile), par hyper-
laxité, ou paralytique.
L’ectropion par hyperlaxité involution-
nelle est évoqué devant un relâche-
ment des vecteurs horizontaux et
verticaux. De multiples procédés
chirurgicaux sont rapportés, deux
techniques de base permettent de
traiter la grande majorité des ectro-
pions involutionnels : la canthopéxie
latérale de raccourcissement et le
raccourcissement de la sangle tarso-
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tendineuse (technique de Kuhnt-
Szymanowski).
Le syndrome de flaccidité palpébrale
(ou floppy eyelid syndrome) entre
dans le cadre des ectropions par hyper-
laxité. Il associe une conjonctivite
papillaire chronique, une kératite
ponctuée superficielle, une hyper-
laxité palpébrale (avec possible ectro-
pion de paupière supérieure la nuit et
persistant au réveil) et une obésité. Le
tarse de la paupière supérieure est
lâche, facilement éversable à la trac-
tion. L’atteinte est habituellement
bilatérale. La paupière inférieure peut
être le siège d’un entropion ou d’un
ectropion. La prise en charge d’une
apnée du sommeil associée peut amé-
liorer les symptômes (2). Le traitement
chirurgical repose sur une résection
pentagonale de la lamelle postérieure
qui peut être associée à une cantho-
plastie externe.
L’ectropion paralytique est lié à un
relâchement du muscle orbiculaire, il
est le plus fréquemment associé à une
paralysie faciale. Il peut être secon-
daire à une myopathie généralisée ou
à plusieurs chirurgies des paupières
entraînant une faiblesse de l’orbicu-
laire. Il faut rechercher la présence du
signe de Charles-Bell qui est un facteur
protecteur. La prise en charge associe
un traitement médical symp-
tomatique par larmes artifi-
cielles et pommade vitamine A,
à un traitement chirurgical de
correction de l’exposition en
cas d’atteinte cornéenne
sévère. Plusieurs traitements
sont possibles : un blocage de
l’action du muscle releveur par
injection de toxine botuli-
nique, un alourdissement de
la paupière supérieure par
implantation d’un poids d’or Figure 1 : Ulcère neurotrophique central dans le cadre d’une
paralysie faciale périphérique compliquée d’une lagophtalmie,
entre l’orbiculaire et le tarse,
avec absence du signe de Charles-Bell, et essai d’un implant
ou un allongement du muscle fantôme en vue d’une implantation d’une plaque d’or au niveau
re l eve u r p e r m ette nt d e de la paupière supérieure.
retrouver une couverture cornéenne
de la paupière supérieure de façon
temporaire ou définitive avec conser-
vation d’une certaine cinétique
(Figure 1). En cas de persistance de
l’exposition, une tarsorraphie provi-
soire ou permanente, latérale ou
centrale peut être réalisée.
L’ectropion cicatriciel est à suspecter
devant les antécédents de chirurgie
avec présence de cicatrices fibreuses,
la notion d’un traumatisme, de
conjonctivite fibrosante (séquelles de
trachome, de syndrome de Stevens-
Johnson ou de pemphigoïde oculaire
cicatricielle [POC]) ou d’une dermatose
chronique comme le xeroderma pig-
mentosum ayant entraîné un raccour-
cissement des deux lamelles ou de la
lamelle antérieure de la paupière. Il
peut conduire à une lagophtalmie
restrictive. Il faudra également recher-
cher la présence d’une lésion tumorale
entraînant une rétraction mécanique
de la paupière. L’ectropion cicatriciel
est traité par allongement de lamelle
antérieure ou des deux lamelles en
fonction de l’atteinte.
En cas d’exophtalmie, une lagophtal-
mie restrictive peut être présente sans
ectropion, c’est le cas dans l’orbitopa-
thie dysthyroïdienne ou dans la myopie
forte. L’examen clinique retrouve un
 Les anomalies de la statique et de la dynamique palpébrales qui altèrent la surface oculaire chez l’adulte
scleral show inférieur, voire supérieur,
une kératite, voire un ulcère cornéen.
L’exophtalmomètre de Hertel est uti-
lisé pour mesurer l’exophtalmie. Les
lagophtalmies associées à une prop-
tose peuvent être traitées par allon-
gement des paupières, voire par
décompression orbitaire dans les
formes sévères (pour en savoir plus,
cf. l’article du Dr Arnavielle sur l’orbi-
topathie dysthyroïdienne, Réflexions
Ophtalmologiques n° 163, mars 2013).
Une lagophtalmie nocturne est une
incapacité à fermer les paupières
durant le sommeil, elle est présente
chez plus de 5 % de la population, elle
est à rechercher par l’interrogatoire
du patient et de ses proches devant
une kératite ponctuée inférieure chro-
nique ou une sécheresse oculaire.
■
Les anomalies
du clignement
Chez les patients présentant une alté-
ration de la surface oculaire, 2 para-
mètres du clignement doivent être
évalués : la fréquence et son caractère
complet. La fréquence normale est de
l’ordre de 17 fois par minute (3). Un cli-
gnement incomplet est défini par la
couverture de moins des deux tiers de
la cornée par la paupière.
La dynamique du clignement peut être
altérée par la présence d’une cicatrice
rigide dans la paupière, une énophtal-
mie, une paralysie du nerf facial, ou
encore une anesthésie cornéenne
supprimant l’afférence réflexe du cli-
gnement.
Le blépharospasme est une dystonie
focale acquise, il s’agit de contractions
involontaires du muscle orbiculaire des
paupières, sourcilier et des muscles
intersourciliers qui provoque une
fermeture complète ou partielle des
paupières de façon intense et durable
(pendant quelques secondes à
minutes). Il est le plus souvent idiopa-
thique (ou essentiel), et alors souvent
associé à un syndrome de sécheresse
oculaire rebelle aux traitements habi-
tuels. Les autres causes plus rares sont
le syndrome de Meige, le syndrome
de Gilles-de-la-Tourette, la maladie de
Wilson, les dystonies liées aux antipar-
kinsoniens et les névralgies du triju-
meau. Dans le blépharospasme
essentiel, l’occlusion palpébrale n’est
pas permanente.
L’évaluation du clignement doit être
faite sans en informer le patient pour
éviter de fausser son analyse. Elle peut
être complétée par des outils d’analyse
vidéo du clignement disponibles sur
certaines plateformes d’imagerie de
la surface oculaire. Une fréquence
augmentée est présente dans toutes
les lésions aiguës de type kératites
infectieuses ou traumatiques, mais elle
peut aussi évoquer une altération
chronique de la surface oculaire. La
fréquence de clignement peut être
réduite en cas de diminution de la
sensibilité cornéenne, ce qui peut
contribuer à aggraver une kératite.
Un clignement pathologique entraîne
une exposition de la partie inférieure
de la cornée, une altération du film
lacrymal et un dysfonctionnement des
glandes de Meibomius secondaire qui
aggrave les conséquences sur la sur-
face oculaire (4, 5). Une sensibilisation
sur l’importance du clignement doit
être faite en complément du traite-
ment par substituts lacrymaux dans la
sécheresse oculaire.
•
●●●●●●●● Kératopathies
par irritation
mécanique chronique
L’entropion de la paupière supérieure
avec kératinisation du bord libre
accompagné d’un trichiasis est une
autre cause de kératoconjonctivite
N°236 - Tome 25 - juin 2020 - RéfleXions Ophtalmologiques
supérieure. Le trichiasis entraîne un
contact des cils sur la cornée, ici
généré par une cicatrice conjonctivale
ou tarsale, avec raccourcissement de
la lamelle postérieure. Cette cicatrice
peut être secondaire à un trachome,
un syndrome de Stevens-Johnson, une
POC, une kératoconjonctivite vernale,
une brûlure chimique ou thermique.
La prise en charge chirurgicale consiste
à séparer les deux lamelles pour recu-
ler la lamelle antérieure (Figure 2) et/
ou allonger la lamelle postérieure par
marginoplastie.
Le distichiasis est une implantation
d’une deuxième rangée de cils posté-
rieure en contact avec le globe, il est
le plus souvent d’origine congénital.
Les cils distichiasiques peuvent être
épilés par électrolyse bipolaire, laser,
cryothérapie ou chirurgie (Figure 3).
L’entropion de paupière inférieure
peut être visible à l’œil nu ou révélé
par un clignement forcé. Il en existe
différents types : spasmodique, invo-
lutionnel, congénital ou cicatriciel.
L’entropion involutionnel est causé
par une laxité verticale liée à une
déhiscence des rétracteurs de la pau-
Figure 2 : Entropion associé à un trichiasis de paupière
supérieure traité par marginoplastie (recul de la lamelle
antérieure), photos pré-opératoire et à J7 post-opératoire.
Figure 3 : Cils trichiasiques avant et après électrolyse.
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 Les anomalies de la statique et de la dynamique palpébrales qui altèrent la surface oculaire chez l’adulte
Figure 4 : Entropion involutionnel associé à un trichiasis
de paupière inférieure traité par une résection cutanéo-
orbiculaire associée à une canthopexie externe.
pière inférieure, associée à une laxité
horizontale par relâchement tarso-
ligamentaire et une énophtalmie par
atrophie de la graisse orbitaire.
L’entropion spasmodique de la pau-
pière inférieure est, lui, secondaire à
une laxité palpébrale et une migration
des fibres de l’orbiculaire préseptal en
position prétarsale. L’entropion cica-
triciel est lié à une contraction cicatri-
cielle de la lamelle postérieure, il est
secondaire à une brûlure chimique ou
une affection inflammatoire chronique
(trachome, blépharite chronique, POC
ou un syndrome de Stevens-Johnson).
Le traitement chirurgical vise à
remettre en tension les vecteurs hori-
zontaux et verticaux. En cas d’entro-
pion sans laxité horizontale, l’excision
cutanéo-orbiculaire ou la plicature des
rétracteurs est proposée. En cas de
laxité horizontale, une technique de
raccourcissement peut être proposée
Tableau 1 : Classification de Tauber et Foster.
42 N°236 - Tome 25 - juin 2020 - RéfleXions Ophtalmologiques
(technique de Quickert ou canthopexie
externe par bandelette tarsale d’An-
derson ou résection pentagonale
(Figure 4)). L’entropion spasmodique
est traité par un geste sur la lamelle
antérieure (injection de toxine botu-
lique, intervention de Feldstein-Wies
ou résection cutanéo-orbiculaire).
L’entropion cicatriciel peut bénéficier
d’une plastie en Z, d’une fracture du
tarse avec ou sans suture éversante
ou d’une greffe lamellaire postérieure
selon la présentation et les habitudes
du chirurgien (6).
•
●●●●●●●● Les culs-de-sac
conjonctivaux
et la surface oculaire
La surface oculaire est dépendante du
lac lacrymal présent dans les culs-de-
sac conjonctivaux et la motilité ocu-
laire dépend de leur intégrité. Une
altération des culs-de-sac conjoncti-
vaux peut entraîner des troubles
oculomoteurs, une lagophtalmie et
une sécheresse oculaire. Une évalua-
tion des culs-de-sac est nécessaire
avant toute chirurgie palpébrale. En
cas de comblement des culs-de-sac, il
faut évaluer l’extension de la fibrose
conjonctivale (classification de Tauber-
Foster (Tableau 1)), et
bien rechercher d’éven-
tuels symblépharons. Il
faudra rechercher des
signes de rosacée oculaire,
de POC, de syndrome de
Stevens-Johnson, de kérato-
conjonctivite atopique
mais également des anté-
cédents de conjonctivites
à adénovirus ou encore de
zona ophtalmique. La
prise en charge médicale
consiste à traiter l’inflam-
mation de surface (traite-
ment systémique nécessaire dans le
cadre des pemphigoïdes des
muqueuses) et ne sera suivi d’un geste
chirurgical de réfection du cul-de-sac
que si ce dernier est indispensable (7)
(pour en savoir plus, voir l’article du
Dr Doan sur les Maladies bulleuses,
n° 223, mars 2019, Réflexions
Ophtalmologiques).
•
●●●●●●●● Conclusion
Les altérations de la statique et de la
dynamique palpébrales ont des réper-
cussions sur la surface oculaire. Les
pathologies fibrosantes de la conjonc-
tive peuvent altérer la mobilité ocu-
laire et l’intégrité de sa surface. Une
évaluation minutieuse est indispen-
sable pour adapter la prise en charge
médicale et chirurgicale.
Liens d’intérêts : aucun
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