Vous êtes sur la page 1sur 6

COMMENTAIRE DE L’ARRET CCJA, 1ére ch.

, n°097/2015 du 23 juillet
2015 ; P. n°074/2010/PC du 25 aout 2010 : SODIMA SA devenue SANIA-Cie
SA c/DRAMERA Mamadou

Jean de Dieu ALLOGO MVE


Doctorant en Droit privé
Université Omar BONGO

La convention d’arbitrage revêt une autonomie par rapport au contrat


principal qui la contient, ce qui permet de l’immuniser des invalidés qui
pourront éventuellement affecter le contrat. C’est dans cette logique que
s’inscrit l’arrêt de cassation rendu par la CCJA le 23 juillet 2015.

En l’espèce, la société SODIMA, la société SICOM-CI et DRAMERA Mamadou


ont signé un protocole d’accord par lequel, la SICOM-CI et DRAMERA ont,
entre autres, reconnu devoir à la SODIMA des sommes d’argent, qu’ils se sont
engagés à rembourser suivant un échéancier précis. Pour garantir le respect
de cet engagement, les parties sont convenues de la vente à la SODIMA d’un
immeuble, et en exécution de cet accord, un acte de vente a été signé à la
même date par les parties, sous la condition suspensive d’une défaillance
quelconque des débiteurs à l’exécution de leurs obligations.

La SODIMA s’étant par la suite prévalue de cet acte pour revendiquer la


propriété de l’immeuble, la SICOM et DRAMERA ont saisi le Tribunal de
Première Instance d’Abidjan pour en demander l’annulation, lequel s’est
déclaré incompétent, en raison de la clause compromissoire stipulée à l’article
11 du protocole. La SICOM-CI et DRAMERA ont interjeté appel contre ce
jugement, et la Cour d’appel d’Abidjan a infirmé ce jugement, d’où la SODIMA
se pourvoit en cassation.

La demanderesse au pourvoi sollicite la cassation de l’arrêt infirmatif rendu


par la cour d’appel d’Abidjan au motif que celle-ci a retenu la compétence des
juges étatiques au mépris d’une clause compromissoire qui soumettait
pourtant tout litige né du contrat à un arbitrage et que, les parties n’ayant
jamais renoncé à cette clause, la compétence des juges étatiques ne se
justifiait pas. Pour la défenderesse, elle soutient que la SODIMA-CI qui, d’une
part, a saisi la juridiction présidentielle du Tribunal de Première Instance

1
d’Abidjan d’une requête aux fins d’hypothèque conservatoire et, d’autre part,
lui a signifié un certificat de propriété de l’immeuble avec mention de l’article
1690 du code civil, a par ces actes dénoncé la convention d’arbitrage dont elle
se prévaut. Aussi ajoute-t-elle que, la validité de la clause d’arbitrage étant
conditionnée par la question de la validité ou de la nullité du protocole, qui
relève de la compétence du juge étatique, l’arrêt infirmatif rendu par la cour
d’appel doit être confirmé et le pourvoi rejeté.

Au regard de ce qui précède, il était demandé à la CCJA de répondre à deux


questions. D’une part, la cour devait dire si la validité de la clause d’arbitrage
est subordonnée à la validité ou non de la convention dans laquelle elle est
insérée. D’autre part, les hauts magistrats devaient dire si la saisine des
juridictions étatiques constituait ipso facto une renonciation à la clause
d’arbitrage.

A ces deux interrogations, la haute cour répond par la négative, désavouant


ainsi la cour d’appel d’Abidjan. D’abord sur la validité de la clause
compromissoire, la CCJA affirme qu’il « est de principe constant que la
convention d’arbitrage est autonome par rapport au contrat qui la contient et
que la nullité de celui-ci est sans effet sur sa validité ». Elle rappelle ainsi le
principe de l’autonomie de la clause d’arbitrage par rapport au contrat qui la
contient. Ensuite, sur la renonciation à ladite clause, la cour affirme que « ni
la saisine des juridictions de droit commun d’une demande de mesures
simplement conservatoires, ni la signification d’un certificat de propriété comme
en l’espèce, ne permettent par elles-mêmes de présumer la renonciation par leur
auteur à une clause compromissoire, laquelle ne peut résulter que d’une
manifestation de volonté des parties dépourvue d’équivoque ». C’est donc le
principe de la renonciation expresse qui est ici consacré.

Pour une meilleure analyse de ces solutions dégagées par la CCJA en l’espèce,
nous aborderons d’une part la question de l’autonomie de la clause d’arbitrage
(I) et d’autre part, nous examinerons la renonciation à cette clause (II).

I- L’autonomie de la clause d’arbitrage

2
L’autonomie de la convention d’arbitrage que la CCJA affirme dans l’arrêt à
commenter trouve son fondement dans l’article 4 de l’acte uniforme sur le
droit de l’arbitrage aux termes duquel, « la convention d’arbitrage est
indépendante du contrat principal. Sa validité n’est pas affectée par la nullité
de ce contrat et elle est appréciée d’après la commune volonté des parties, sans
référence nécessaire à un droit étatique ». Il résulte de ce texte et de la décision
à commenter, que la convention d’arbitrage jouit d’une autonomie dont il nous
faut préciser le sens (A), laquelle a pour conséquence de la soustraire des aléas
du contrat principal (B).

A- Le sens du principe de l’autonomie de la clause


d’arbitrage

Le principe de son autonomie signifie, que la convention d’arbitrage représente


un acte juridique autonome. De ce fait, elle doit être appréciée de manière
propre, de manière séparée du contrat auquel elle se rapporte. Cette
autonomie peut se justifier par le fait que, la clause compromissoire est une
clause qui remplit, au sein du contrat, une fonction particulière au profit de
toutes les autres clauses et notamment les clauses substantielles : elle soumet
à l'arbitrage les contestations qui pourraient s'élever à 1eur sujet.

Ainsi, en raison de l’autonomie dont elle jouit, la convention d’arbitrage est


détachable du contrat principal et obéit à un régime juridique spécifique. Sa
validité n’est donc pas conditionnée par celle du contrat principal, c’est ce que
soutient la CCJA en sanctionnant l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Abidjan
le 30 juillet 2010. Celle-ci avait en effet affirmé à tort, que « la convention
d’arbitrage n’a de sens qu’insérée dans la convention liant les parties ; Par
conséquent, la validité du contrat dit principal auquel elle se greffe, conditionne
son effectivité ». C’est donc à bon droit que la CCJA a censuré cette décision.

Le principe d’autonomie de la clause d’arbitrage déroge à la règle selon


laquelle, « l’accessoire suit le principal », et semble même en contradiction avec
le principe de l’unité du contrat. Cependant, il repose sur le respect de la
commune volonté des parties de faire trancher leurs litiges par un tribunal

3
arbitral. Cette autonomie a pour conséquence de soustraire la clause
d’arbitrage aux aléas du contrat principal.

B- La soustraction de la clause compromissoire aux aléas


du contrat principal

En raison de l’autonomie dont elle jouit, la convention d’arbitrage est


détachable du contrat principal et obéit à un régime juridique spécifique. Par
conséquent, elle ne doit pas souffrir des aléas éventuels du contrat dans lequel
elle est stipulée. Ainsi, en soutenant que « la validité du contrat dit principal
auquel elle se greffe, conditionne son effectivité », la cour d’Appel d’Abidjan a
effectivement violé l’article 4 sus cité et méritait d’être désavouée par la CCJA
sur ce point.

Le principe de l’autonomie permet de sauver le processus arbitral, même en


cas de nullité alléguée du contrat principal dans lequel est insérée la
convention d’arbitrage. La convention d'arbitrage ne doit donc pas être sous
influence du contrat principal, les deux doivent être considérés comme étant
séparé. En d’autres termes, la convention d'arbitrage n’est pas un contrat
accessoire au contrat principal. Par conséquent, les aléas du contrat principal
n'ont pas d’effets sur son existence. C’est ce qu’affirme la CCJA dans ses
motifs lorsqu’elle énonce « qu’en se déterminant ainsi, alors qu’il est de principe
constant que la convention d’arbitrage est autonome par rapport au contrat qui
la contient et que la nullité de celui-ci est sans effet sur sa validité, la Cour
d’appel a violé les dispositions visées au moyen ».

Toutefois, l’autonomie ne signifiant pas irrévocabilité, la clause d’arbitrage


peut être écartée au moyen d’une renonciation par les parties.

II. La renonciation à la clause d’arbitrage

La renonciation à la clause d’arbitrage constitue le second point de discorde,


sur lequel la CCJA désavoue les juges d’appel. En effet, s’il n’est pas contesté
que les parties peuvent renoncer à la clause d’arbitrage qu’elles ont insérée
dans le contrat, les conditions de cette renonciation ne semblent pas avoir été
bien appliquées par la cour d’appel, d’où, la CCJA saisie l’occasion pour

4
rappeler que la renonciation ne peut résulter que d’une manifestation
expresse de la volonté des partie (A), cette position nous semble contestable,
car la renonciation tacite est reconnue (B).

A- La volonté sans équivoque des parties, seule condition


de renonciation à la clause compromissoire

Dans l’arrêt soumis à notre analyse, la CCJA rappelle que s’il est admis que
les parties peuvent renoncer à leur clause d’arbitrage, une telle renonciation
ne doit pas être présumée, elle doit résulter d’une manifestation expresse de
la volonté des parties. En l’espèce, les juges d’appel ont estimé que le fait pour
la partie demanderesse d’avoir d’une part, saisi le Tribunal de Première
Instance d’Abidjan d’une requête aux fins d’hypothèque conservatoire et,
d’autre part, signifié à son cocontractant un certificat de propriété de
l’immeuble avec mention de l’article 1690 du code civil, impliquait une
renonciation à la clause d’arbitrage dont elle voulait par la suite se prévaloir.

Or, selon la haute juridiction communautaire, cette saisine du juge étatique


qui n’avait pour objet que d’obtenir une mesure conservatoire, ne pouvait pas
valablement être interprétée en une renonciation à la clause. Cette position de
la CCJA est conforme à l’article 13 de l’AUA dont l’alinéa 4 dispose que
« l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle à ce qu’à la
demande d’une partie, une juridiction étatique, en cas d’urgence reconnue et
motivée, ordonne des mesures provisoires ou conservatoires dès lors que ces
mesures n’impliquent pas un examen du différend au fond pour lequel seul le
tribunal arbitral est compétent ». Il ressort de ce texte que le juge étatique peut
être saisi pour prendre des mesures conservatoires, cette saisine n’affecte pas
la clause compromissoire dès lors qu’elle n’implique pas un examen du litige
au fond. En cassant l’arrêt attaqué, la haute cour a donc fait une bonne
application de la loi, même si, dans une certaine mesure, cette décision nous
semble critiquable.

B- Une solution critiquable du fait de l’existence d’une


renonciation tacite

5
Si nous pouvons être d’accord avec la CCJA sur le fait que, les juges d’appel
ont eu tort de conclure, que la saisine du juge étatique entrainait ipso facto
renonciation à la clause d’arbitrage, nous n’approuvons pas les hauts
magistrats lorsqu’ils affirment concernant la renonciation à la clause, qu’elle
« ne peut résulter que d’une manifestation de volonté des parties dépourvue
d’équivoque ». En effet, cette position semble vouloir dire, que la renonciation
à la clause compromissoire doit toujours être expresse, ce qui n’est pas vrai.
A côté de la renonciation expresse, il existe une renonciation tacite, que l’on
déduit de l’attitude des parties.

En fait, l’alinéa 3 de l’article 13 sus cité interdit au Juge étatique de soulever


d’office son incompétence lorsqu’il est saisi. Il doit donc se prononcer lorsqu’il
est saisi par une partie même sur les questions de fond qui, en principe
relèvent de la compétence du Tribunal arbitrale, sauf si l’autre partie soulève
son incompétence. Aussi est-il unanimement admis que, le demandeur
renonce au bénéfice de la clause compromissoire lorsqu’il assigne son
cocontractant au fond devant le juge étatique et ce dernier valide cette
renonciation en acceptant de comparaitre sans soulever l’incompétence du
Juge étatique. C’est ce qu’on appelle une renonciation tacite. Elle n’est pas
issue d’une manifestation expresse de la volonté des parties, mais elle est
déduite de leur attitude. En affirmant donc que la renonciation ne peut
résulter que d’une manifestation de la volonté des parties dépourvue
d’équivoque, la Haute cour a occulté l’idée d’une renonciation tacite.

Vous aimerez peut-être aussi