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La mise en scène de la vie quotidienne - Erving Goffman

Research · February 2021


DOI: 10.13140/RG.2.2.35421.54246/1

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Matthieu Verry
Sorbonne Université
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Année Universitaire 2020 - 2021

Mini-mémoire

La mise en scène de la vie quotidienne :

La présentation de soi

Erving Goffman

Présenté par Matthieu VERRY

Sous la direction de Madame la professeure

Gaëlle PÉRIOT-BLED
Sommaire :

Introduction 2
I – La conception de la scène chez Goffman 3
A – Un contexte interactionnel 3
B – La mise en scène 4
C – Les régions 6
II – La critique de la théâtralité 6
A – La représentation consciente, l’acteur cynique 6
B – La représentation inconsciente, l’acteur sincère 8
C – Le jugement sur le théâtre 9
Conclusion 10
Bibliographie 10

1
Introduction
« Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. Et notre
vie durant nous jouons plusieurs rôles » William Shakespeare par ces mots pourrait résumer le
premier tome de La mise en scène de la vie quotidienne, intitulé « la présentation de soi »
d’Erving Goffman (1922 – 1982) 1. L’écrit de Goffman incarne non seulement le miroir reflétant
notre vie quotidienne mais aussi et surtout inverse les positions, avec un lecteur qui devient
l’objet d’étude. Nombre d’exemples, de situation choisis par Goffman s’inscrivent dans une
banalité des plus déconcertante qu’offre la vie. Goffman est un sociologue américain d’origine
canadienne, il a saisi l’ensemble de son existence a principalement pensé les interactions
humaines. Sa grande thèse est le soutient que la normalité s’inscrit dans un théâtre c’est-à-dire
que toute action sociale s’apparente à une représentation théâtrale. Le phénomène de la
théâtralisation du monde n’est pas nouveau en soi, et il a été traité par de nombreux auteurs
auparavant 2. Ce qu’il en différence, c’est son approche microsociologique de la vie quotidienne,
analysant des milieux sociaux très variés suivant la métaphore du théâtre 3. Avec un champ
lexical relatif à la dramaturgie, Goffman décrit une vie sociale apparentée au théâtre.
Représentant de l’école de Chicago, Goffman a analysé pendant douze mois la vie sociale à
Shetland, une ville située au nord de l’Écosse afin de mieux observer et rendre compte du
phénomène de la théâtralité. Son empirisme montre que l’art de la scène est omniprésent à partir
d’exemples prenants que chacun peut conceptualiser.

Pour autant, si la vie quotidienne est un théâtre, Goffman pose-t-il une conception critique de
la théâtralité ? Par cet axe, il est intéressant de questionner l’identification de la scène et du
théâtre dans la vie quotidienne puis la vision critique qui est faite à cette mise en scène.

1
Voir William Shakespeare, As You Like It.
2
On peut également trouver la Bruyère, Molière ou encore La Fontaine qui jouent de ce fait social dans leurs
œuvres respectives avec une forme de légèreté, d’irrationnel.
3
Par exemple, Goffman s’inspire de la classe ouvrière qui se joue du patron en s’agitant lors de sa présence, sous
peine d’être condamné par la morale qui y verrait de l’irrespect. Goffman modélise également la classe
bourgeoise lors de dîners ou de réceptions, qui ont l’obligation de véhiculer une image correspondant à leur
représentation sociale auprès d’autrui, cela peut s’incarner par la beauté du décor avec la présence de fleurs ou
de tables bien dressées.
2
I – La conception de la scène chez Goffman
A – Un contexte interactionnel

Un individu qui converse avec un autre, transmet une information qui doit in fine figurer dans
un jeu de rôle afin que l’émetteur reconnaisse le récepteur. Goffman définit le rôle dès
l’introduction en tant que « modèle d’action préétabli que l’on développe durant une
représentation et que l’on peut présenter ou utiliser en d’autres occasions », le rôle est désormais
vu comme une représentation, une performance 4 . Par cet axe, le personnage par des faits
volontaires ou non c’est-à-dire maîtrisé ou non dans son jeu d’apparence, s’engage à transmettre
son individualité à l’autre sous le concept d’acteur. En d’autres termes, l’échange doit incarner
l’impression que ce qu’il prétend être, voulant maintenir « une impression compatible avec la
définition globale de la situation» 5. Goffman s’appuie sur l’étymologie des mots, il rappelle
que le mot personne signifie étymologiquement masque, c’est ce qui est l’essence même qu’un
individu est perpétuellement dans la représentation. Pour aller plus loin, Goffman donne
certains indices qui laisse penser que l’acteur continue de jouer un rôle alors même qu’il est
seul, c’est un public invisible espéré par l’individu qui le fait rentrer en scène.
Goffman pense que chaque interaction est une représentation : « Par interaction, on entend à
peu près l’influence réciproque que les partenaires exercent sur leurs actions respectives
lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres. […] Par représentation, on
entend la totalité de l’activité d’une personne donnée, dans une occasion donnée, pour
influencer d’une certaine façon un des autres participants »6. C’est un point de référence qui
permet à chaque acteur de savoir son rôle à jouer et d’identifier les positions des autres acteurs
dans leurs interactions. En conséquence, le réel doit s’incarner dans l’acteur ce qui passe par
certaines exigences sociales, c’est-à-dire des relations sociales codifiées selon l’image que
chacun veut renvoyer. Par cet axe, les acteurs passent un certain temps à essayer de s’accaparer
et mobiliser nombre d'informations sur leurs partenaires d’interactions. En d’autres termes, les
acteurs cherchent à définir le statut de chacun afin d’adapter une situation interactionnelle pour
choisir le bon masque c’est-à-dire faire son entrer dans son rôle. Aussi, cela ne veut pas dire
qu’un acteur est figé dans son personnage, il s’adapte en permanence à son récepteur pour être
en cohérence avec l’image qu’il souhaite renvoyer. La notion de volonté est ici importante à

4
Voir Erving Goffman, la présentation de soi, p. 23.
5
Voir Erving Goffman, la présentation de soi, p. 55.
6
Voir Erving Goffman, la présentation de soi, p. 23.
3
souligner, l’acteur est libre de faire ou non, de plaire ou non par le respect des codes. L’entrée
dans le jeu de rôle, dans le personnage passe par son incarnation qui est essentielle à l'acteur
pour la réussite de son spectacle : la présentation est une phase clé. Un des axes de réussite de
la théâtralisation est de poursuivre une ligne conductrice permettant de donner bonne figure
afin de garder la face, a contrario l’acteur peut être démasqué cela implique une rupture dans
sa représentation 7. Autrement dit, c’est la sincérité qui permet de créer le rôle. Les erreurs de
non correspondance quant à elles vont jouer sur la performance de la prestation, c’est-à-dire s’il
y a une accumulation d’erreurs la représentation sera considérée par le public comme un échec.
De manière générale, le jeu d’acteurs suit son cours même si le personnage sait qu’un incident
involontaire peut venir contredire à tout moment l’impression de réalité produite. En d’autres
termes, aucune garantie est donnée à l'acteur pour assure que son public interprétera ses actes,
ses paroles ou ses gestes tel que le commande sa prestation. En conséquence, il peut arriver que
par maladresse, par l’advenue du hasard une signification non voulue peut prendre le dessus et
transmettre un message erroné que celui voulu. Goffman affirme alors que l’acteur intègre un
relief dramatique pour que sa représentation ne passe pas inaperçue et soit comprise en donnant
l'opportunité de diriger l'attention de la situation.
Dans un autre axe, chaque acteur agit non uniformément dû à leur a priori, c’est-à-dire de par
leurs expériences passées. C’est une véritable liberté que propose Goffman où l’individualité
est capable d’interpréter à sa manière la situation et agir différemment. En fonction d’un certain
nombre de paramètre comme l’âge, l’expérience sur un sujet ou encore l’expérience. Ce qui
donne une perspective plus ou moins à chacun d’obtenir de belles interactions. Au début toute
interaction est précaire, c’est le temps qui permet de construire des informations que produisent
ou dégagent les individus et leur environnement.

B – La mise en scène

La façade est l'image projetée par un acteur lors de sa représentation, elle permet d'établir la
scène proposée. Chaque individu adopte une façade, selon Goffman, qui dépend du contexte et
du public devant lequel l’individu se produit. Au théâtre comme dans l’interaction, les
accessoires, le décor, la manière de jouer, la distribution des acteurs dans l’espace, la nature et
l’attitude du public doivent être cohérent avec le rôle ; l’enjeu est de faire adhérer au public son
image et persuader que l’acteur est l'homme de la situation. La façade permet de dégager

7
L'acteur se conformant à ce système normalisé, fera abstraction de tous les comportements ou attitudes
incompatibles à ces valeurs sociales.

4
rapidement les différences statutaires et d'y associer les comportements correspondants.
Goffman écrit dans le chapitre sur les représentations : « Une façade sociale donnée tend à
s'institutionnaliser en fonction des attentes stéréotypées et abstraites qu'elle détermine et à
prendre une signification et une stabilité indépendante des tâches spécifiques qui se trouvent
être accomplies sous son couvert. […] La façade devient une « représentation collective » et un
fait objectif » 8.
Dans ce contexte, Goffman comprend deux types de façades qui alimentent la dramaturgie de
la scène : il y a le décor où l'acteur et son public s'y déplacent et la façade personnelle qui
rassemble des signes distinctifs tels que la fonction ou le grade, les vêtements, le sexe, l'âge, et
les manières et apparences propres aux acteurs comme les attributs physiques, les façons de
parler, les mimiques, ou encore les gestes. Lorsqu'il se donne en spectacle, l’acteur aura
tendance à insuffler une impression idéalisée de sa façade personnelle. Ce phénomène, appelé,
l'idéalisation, s'insère dans le processus de socialisation ; les signaux de la communication se
déploient en accord avec une série de normes socialement acceptables.
La mise en scène du quotidien s’opère le plus souvent en équipe d’acteurs qui se constituent et
coopèrent pour présenter une définition de la situation. Certaines représentations étant de plus
grande envergure et imprévisibles doivent se baser sur une familiarité et une solidarité pour
rester cohérentes 9 . Dans le chapitre « les équipes » Goffman définit ce terme comme un «
ensemble de personnes coopérant à la mise en scène d’une routine particulière » 10. Œuvrant
conjointement au soutien d’une définition donnée, Goffman distingue plusieurs types d’équipes
qu’il détermine selon les objectifs suivis. Les enjeux de hiérarchie et de loyauté sont centraux
et caractérisent les équipes ; les acteurs impliqués dans une représentation ne détiennent pas le
même pouvoir à l'égard de la direction dramaturgique. Avant sa représentation l’équipe
s’accorde, s’harmonise et elle s’octroie le droit d’exercer des sanctions plus ou moins
symboliques sur tout membre menaçant de discréditer la définition qu’elle souhaite entretenir.
Des positions officielles et des opinions communes doivent être définies entre les individus
pour montrer une forme d’unité au reste de la société. L’enjeu d’une équipe est de maintenir
une définition adéquate de la situation, Goffman parle alors de complicité d’équipe ; les acteurs
par le biais de subterfuges se comprennent et agissent en conséquence 11.

8
Voir Erving Goffman, la présentation de soi, p. 33.
9
Par exemple les membres de la classe bourgeoise sont unis par un accord tacite leur imposant politesse
cérémonieuse, plaisanteries rituelles, règles de bienséance
10
Voir Erving Goffman, la présentation de soi, p. 81.
11
Par exemple cela peut se traduire par l’utilisation de signaux plus ou moins codés et en fournissant des
indications scéniques.

5
C – Les régions

Goffman affirme que plusieurs régions caractérisent la représentation théâtrale de la vie


quotidienne. Une région est définie par Goffman au chapitre « les régions et le comportement
régional » comme « tout lieu borné par des obstacles à la perception, ceux-ci pouvant être de
différentes natures » 12 . Goffman distingue trois types de régions : les régions postérieures,
antérieures et extérieures. La région antérieure est l’endroit où une représentation déterminée
se déroule qui correspond à la scène théâtrale. La région postérieure également appelée coulisse
correspond à l'espace où les acteurs peuvent répéter la représentation, se détendre, abandonner
la façade, être plus naturels, être physiquement distincts de la scène, où « l’on a toute latitude
de contredire sciemment l’impression produite par la représentation » 13. La dernière région est
l’extérieur ; cette région est résiduelle n'appartenant ni à l'antérieure, ni au postérieure car elle
décrit quelqu'un qui se trouve en dehors du théâtre. L’accès aux coulisses, soit la région
postérieure est contrôlée et préservée pour ne pas montrer son existence.
Goffman détaille la différence entre les impressions relatives aux manières et aux apparences
susceptibles d'influencer la frontière des régions. Selon lui les manières relèvent des interactions
directes telles que la politesse tandis que les apparences relèvent des interactions indirectes, la
bienséance peut en faire partie par exemple. La politesse lors des conversations et la bienséance
lors de proximité physique sans interaction, relèvent de normes tacites entre les individus.
Goffman évoque le cloisonnement fonctionnel géographique des zones de l’habitat. Cette
séparation caractérise les régions qui sont propices à l’interaction ou trop intimes pour en
permettre. Il existe un conflit lorsqu’un individu attendu dans la zone antérieure pénètre dans
la zone postérieure, événement qui crée une tension et une forme de gêne. Goffman prend
l’exemple des sociétés anglo-américaines, celles-ci sont relativement fermées et cloisonnées,
même temporellement.

II – La critique de la théâtralité

A – La représentation consciente, l’acteur cynique

Goffman affirme que les acteurs peuvent jouer un jeu qui est volontaire et conscient, l’acteur
se voit alors cynique : il refuse de croire au jeu qu'il joue. L’individu aurait au contact d’autrui

12
Voir Erving Goffman, la présentation de soi, p. 105.
13
Voir Erving Goffman, la présentation de soi, chapitre « les régions et le comportement régional ».

6
c’est-à-dire en société tendance à cacher son soi profond au public, derrière une façade à la fois
protectrice et socialisante, seul moyen pour obtenir des distinctions et d’avoir une ascension
sociale. Un habile acteur peut manipuler l'impression que produisent ses expressions pour les
rendre conformes aux attentes et ainsi imposer sa propre définition de la situation. Les acteurs
peuvent parfois trahir leur jeu comme c’est le cas lors lapsus, des non-dits, des double-jeux.
C’est un ensemble de stratégies pour gagner en crédibilité qui sont alors mises en place comme
en dissimulant, estompant, mentant, trompant où en simulant.

Un acteur crée son image sur deux aspects, l'expression directe et l’expression indirecte qui est
plus difficile à contrôler. L’acteur est constamment jugé par le récepteur du message sur sa
conduite et son apparence ; il doit faire preuve de parades pour répondre aux codes attendus par
le public. Pour la conduite, Goffman précise que des acteurs limitent l’expression de leurs
émotions pour garder le contrôle de la situation. Pour les apparences, l’interaction entraîne
parfois des quiproquos, et à partir de ce moment plusieurs manières de réagir s’offrent aux
acteurs, il écrit dans le chapitre les représentations « chacun des participants [...] réprime ses
sentiments profonds immédiats pour exprimer une vue de la situation qu’il pense acceptable,
au moins provisoirement, par ses interlocuteurs ». Par ailleurs, Goffman précise que libérer ces
émotions peut être une manœuvre volontaire : l’individu peut sciemment faire une scène,
provoquer un clivage au sein du groupe par des propos ou des actes qui sortent de son rôle
attendu. Pour faire face à cette parade, les acteurs doivent se défendre et agir par eux-mêmes en
ayant une discipline et une loyauté dramaturgique comme décrit dans le chapitre « la maîtrise
des impressions ». Les équipiers doivent jouer le jeu sans se trahir, connaître leur rôle mais en
même temps avoir assez de recul pour pallier les aléas de la représentation.

Pour Goffman, le facteur décisif d’une rencontre sociale est « la maladresse provoque une
différence de la situation officielle » 14. L’éventualité d’une rupture contraint l’acteur à adopter
un rôle et à maîtriser ses impressions Chaque participant a intérêt à sauver les apparences de
l’ordre social pour se préserver du danger des ruptures de définition. Nombreuses sont les
situations où un individu désire « s’assurer que les personnes devant lesquelles il joue l’un de
ses rôles ne sont pas les mêmes que celles devant lesquelles il joue un autre rôle dans un autre
décor »15.

À l’instar du théâtre, il ne pourrait y avoir de représentation sociale sans la présence d’un public,
c’est-à-dire d’individus à qui l’acteur donne une représentation. Un imposteur dans une

14
Voir Erving Goffman, la présentation de soi, p. 55.
15
Voir Erving Goffman, la présentation de soi, p. 52.
7
représentation sera l'acteur qui ne pourra assurer cette attitude du public lors d'une
représentation. Autrement dit, c’est le public qui a le pouvoir du spectacle en feignant ou non
d'y croire, se tenant à l'écart des régions où il n'est pas invité. Ainsi, afin d’avoir un rôle l’acteur
ne doit pas posséder uniquement les attributs requis, il doit adopter les normes de la conduite
et de l'apparence du groupe social. Pour un acteur ayant conscience des normes sociales et du
rôle qu'il entretient, il est possible de créer toutes sortes d'impressions fausses sans pour autant
qu'il soit taxé de manipulateur.

B – La représentation inconsciente, l’acteur sincère

Les acteurs peuvent jouer un jeu qui est non voulu et inconscient, l’acteur est sincère ; il croit
totalement à l'impression que produit sa représentation. Influencé par le public présent pour
avoir un spectacle, l’acteur agit d’une manière inconsciente en choisissant un masque plaisant
au public. La manière dont l'acteur considère et se comporte devant son public reflète le niveau
du jeu d’acteur. Le public peut protéger les acteurs, feindre d'ignorer la faute, en croire les
explications, les aider à rétablir la situation ; ce comportement bienveillant est souvent dû à une
identification du public pour les personnages. Par exemple, le public peut agir avec tact en
réagissant physiquement, verbalement si une situation mal engagée se présente et les acteurs
doivent l'accepter et comprendre par le biais des allusions le message du public. L’adhésion du
public est difficile à obtenir, c’est cette approbation qui permet de confirmer l’acteur.
Pour Goffman l’acteur ne maîtrise pas les autres acteurs, c’est ce qui rend la scène imprévisible.
Goffman classe les rôles joués dans différentes catégories comme le délateur qui feint devant
les acteurs d’appartenir à leur équipe, le comparse qui agit comme s’il faisait partie du public
alors qu’il est complice avec les acteurs, l’imposteur qui fait partie du public et juge la
représentation, les acteurs peuvent être avertis de sa venue, alors que le contrôleur lui ne
prévient pas de sa visite, le client professionnel joue son rôle pour une équipe concurrente, il
assiste au spectacle dans le public et fait son rapport à ses supérieurs, l’intermédiaire aura pour
mission d’amener à un accord réciproque les deux parties, et enfin le rôle de la non-personne,
rôle joué pour être présent mais n’ayant pas une grande importance 16.

Le secret joue un rôle sur l’inconscient influençant la personnalité de l’acteur. Un contrôle de


l’information est nécessaire lors du spectacle car le public ne doit pas avoir certaines
informations qui pourraient altérer la représentation. Ces secrets sont conservés par tous les

16
Voir Erving Goffman, la présentation de soi, chapitre « les rôles contradictoires ».
8
membres de l’équipe, il existe différents types de secrets : les secrets inavouables, les secrets
publics et les secrets de confidences. Les secrets désignent l’impossibilité de l’individu à révéler
les dessous d’une organisation par la loyauté qu’elle lui doit ; il existe des secrets dont on
dispose librement car on les a découvert. Les différents types de personnalités, en lien avec
cette notion de secret, jouent un rôle dans l’agencement des informations entre les individus et
doivent s’y conformer sous peine de remettre en cause la présentation de l’ensemble de
l’équipe.

C – Le jugement sur le théâtre

Goffman offre une réflexion critique à la sincérité autant qu’au cynisme. L’importance de la
représentation s’explique par l’idée de domination : la personne qui fait bonne impression en
donnant la meilleure image est plus susceptible d’obtenir le pouvoir. Contrôler l’image que l’on
donne à voir aux autres, c’est d’abord se connaître et être maître de soi mais c’est surtout
contrôler l’autre.
La théâtralisation de la vie quotidienne oscille entre ordre et jeu, contrainte et liberté. Chaque
participant fait le choix conscient ou non de cette dualité permettant la codification de l’ordre
social. C’est sur l’ensemble d’indices, de signes, d’informations que va s’organiser l’interaction
et se mettre en place un ordre social au niveau de chacune des situations. Les acteurs sont soit
des marionnettes subissant leurs actions soit des manipulateurs instrumentalisant l’interaction
derrière des masques sociaux les protégeant et masquant leurs véritables buts.
Pour sortir de ce jeu d’acteur, Goffman met l’accent sur l’ensemble des structures qui
s’imposent aux acteurs où tout est jeu d’apparence. Toutes nos petites mises en scènes, des
plus quotidiennes aux plus sophistiquées, ne sont que des parades 17.
Goffman ne se pose pas la question de savoir si la représentation théâtral est bien ou mal ; c’est
un sociologue ; il montre que les interactions sociales se réalisent sur le mode d’une mise en
scène. Pour Goffman, ce jeu est universel. Il fait donc partie des relations entre individus ; il est
donc essentiel car il permet d’éviter de « perdre la face » où dans ce cas, la relation serait
définitivement brisée.
À la fin de son ouvrage, Goffman nuance la théâtralisation de la vie quotidienne, et met en avant
son aspect structurant tout en relativisant son existence réelle. Dans les dernières lignes de la
conclusion, il écrit « Il faut abandonner ici le langage et le masque du théâtre. Les échafaudages,
après tout, ne servent qu’à construire autre chose, et on ne devrait les dresser que dans

17
Ici Goffman fait référence à la notion éthologique du mot parade.

9
l’intention de les démolir » 18 . Goffman décrit ici un monde utopique où chaque acteur ne
possède qu’un masque unique représentant son véritable soi. Il précise ainsi que les interactions
sociales ont des effets de longue portée, et que chaque représentation participe à la légitimation
du rôle que se donne l’individu qui n’est est faux.

Conclusion
Pour conclure avec la mise en scène de la vie quotidienne, Goffman contribue au
développement de la métaphore théâtrale du monde. Après avoir développé la notion de façade,
Goffman distingue la scène, des actions individuelles de leurs coulisses. La présentation de soi
tente de déceler les messages, les significations, et les contradictions des personnages que nous
jouons livrant une analyse des interactions sociales consciente comme inconsciente. Cet
ouvrage est très détaillé et offre une réflexion sur les rapports sociaux permettant de prendre de
la distance par rapport à soi. Afin d’étayer ses propos, Goffman cite d’autres sociologues, tels
que Becker ou Durkheim, mais aussi des philosophes allant de Simone de Beauvoir, George
Orwell ou encore Jean-Paul Sartre.
Ainsi, Goffman critique notre monde qui est superficiel et hypocrite où toutes les interactions
sociales sont codifiées ne laissant pas la place aux véritables sentiments. La vie en société est
conditionnée par la théâtralité de la vie quotidienne. Sans théâtralisation, pas de vie sociale
possible ; il aspire à un monde sans paraître où l’instinct animal de domination caractérisé par
le jeu de rôle n’existerait pas. Goffman montre du point de vue sociologique ce que le
philosophe français Clément Rosset dans Le réel et son double a cherché à montrer : l’homme
ne peut aborder le réel que sous le mode de la représentation car le réel dans sa dimension
première et immédiate est insoutenable.

Bibliographie
Goffman Erving, La mise en scène de la vie quotidienne – 1. la présentation de soi, Paris, Les
éditions de minuit, 1973.
William Sansom, A contest of ladies, London, London Hogarth Press, 1956.
Sylvain Pasquier, « Erving Goffman : de la contrainte au jeu des apparences », Revue du Mauss,
22, 2003, p. 388-406.
Eve Mercier, « La performance dramaturgique de l’acteur politique », mémoire de master sous
la direction Joël M. Katambwe, Université du Québec, 2006.

18
Voir Erving Goffman, la présentation de soi, p. 240.
10
Etienne Guertin Tardif, « La mise en scène de l’activité religieuse », mémoire de master sous
la direction de Barbara Thériault présenté à l’Université de Montréal dans le département de
sociologie, 2014.
Catherine Colliot-Thélène, « Rationalisation et désenchantement du monde : problèmes
d'interprétation de la sociologie des religions de Max Weber », Archives de Sciences Sociales
des Religions, 89, 1995, p. 61-81.
William Shakespeare, As You Like It, Londres, The Arden Shakespeare, 2006.

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