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oici un texte qui suscite moins d'attention que celui sur les retraites, également étudié

en commission mixte paritaire (CMP) le 15 mars. Et pourtant, il concerne


les négociations commerciales entre agriculteurs, industriels et distributeurs pour les
prochaines années. Mieux protéger le revenu des agriculteurs, encadrer davantage
les pénalités logistiques et surtout préserver l'investissement des industriels, tel était
le triptyque gagnant pour le Sénat. Les représentants de l'Ilec, de l'Ania et de
la FNSEA, trois fédérations puissantes défendant respectivement les multinationales,
l'agroalimentaire et l'agriculture, ont salué ce texte, qualifié d'Egalim 3. A contrario, la
Fédération du commerce et de la distribution (FCD), voix des enseignes de la grande
distribution, juge le texte « irresponsable et inflationniste » et souligne l'incohérence
au moment où le gouvernement lance un « trimestre anti-inflation ».

Concrètement, si les articles 1, qui stipule que les centrales d'achat européennes
seront soumises à la réglementation française, et 4 n'ont pas bougé, les articles 2 et
3 reprennent les modifications apportées par les sénateurs. Les distributeurs criaient
au loup, les industriels saluent la décision du Sénat : désormais, les promotions sur
tous les produits du non-alimentaire seront limitées à 34 % en valeur et 25 % en
volume. Objectif : les réduire alors que la guerre des promos s'est étendue au non-
alimentaire, faute de pouvoir en faire plus dans l'alimentaire. Emmanuel Guichard,
délégué général de la Febea, syndicat professionnel du secteur cosmétique, s'en
félicite : « En plafonnant les promotions à 34 %, notre filière va pouvoir continuer à
investir et produire en France. » Les distributeurs, eux, y voient « une manière
d'accroître encore les marges des quelques géants du secteur, représentant plus de
70 % du marché sur la plupart des grandes catégories de produits », dixit la FCD.

Cette démarche politique invalide totalement la dynamique portée par les enseignes de la
distribution dans le cadre du “Trimestre anti-inflation”.

Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution

Dans le but d'améliorer le revenu des agriculteurs, Egalim 3 introduit la non-


négociabilité des matières premières agricoles dans les produits vendus sous
marque de distributeur, alors que dans Egalim 2, c'était le cas uniquement sur les
marques nationales. Enfin, le combat mené par Michel-Édouard Leclerc aux côtés de
trois associations de défense des consommateurs n'a pas porté ses fruits.
L'expérimentation du SRP +10, qui oblige les distributeurs à prendre une marge de
10 % sur les produits de grande consommation a été reconduit jusqu'en 2025, à
l'exclusion de la filière des fruits et légumes.

Pas d'accord, pas de préavis

Adopté à titre expérimental pour trois ans, l'article 3 simplifie radicalement les choses
en cas de désaccord sur les négociations commerciales. Au 1er mars, si le
fournisseur et le distributeur n'ont pas trouvé de consensus, le premier peut cesser
de livrer, sans préavis. Ou bien appliquer un préavis de rupture classique, qui devra
tenir compte des conditions économiques du marché, évolution introduite par le
Sénat, et non au tarif de l'année précédente. Si le recours au médiateur n'est jamais
obligatoire, les deux parties peuvent le saisir entre le 1er mars et le 1er avril,
uniquement sur la question du préavis, d'une durée habituellement comprise entre 6
et 18 mois. Si la médiation réussit, c'est rétroactif au 1er mars, mais si elle échoue, le
fournisseur peut partir avec perte et fracas… « Cette disposition était demandée par
les fournisseurs : ils ont un bouton nucléaire en main, commente un
expert. Évidemment, il est plus actionnable par les gros que par les petits. » Pour
Olivier Leroy, avocat au cabinet CMS Francis Lefebvre, « l'option offerte aux
industriels par l'article 3, asymétrique par construction, pourrait être un levier fort à la
disposition de quelques industriels incontournables. Pour les autres, le texte de la
CMP garantit la protection du régime de la rupture brutale. Les médiateurs sont, eux,
appelés à contribuer à l'émergence d'un accord sur les modalités d'exécution de
l'éventuel préavis ».

Cette loi était nécessaire pour éviter l’expiration des dispositions Egalim. Des contrôles stricts et
des sanctions dissuasives amèneront un changement d’état d’esprit.

Richard Panquiault, président de l’llec

À noter également que « la négociation doit être menée de bonne foi ». « Que la
bonne foi pilote la négociation ? C'est un principe du droit des contrats. Où est la
nouveauté ? », s'interroge Marie du Gardin, avocate associée chez Fidal. Enfin, le
non-respect de l'échéance du 1er mars est passible d'une amende administrative
dont le montant ne peut excéder 200 000 euros pour une personne physique et 1
million pour une personne morale. Soit beaucoup plus qu'auparavant, ce quine
devrait pas plaire aux distributeurs souvent accusés d'être les responsables d'une «
non-signature ».

Au final, « malgré les demandes de simplification, nous assistons à une


recrudescence de la complexité sous l'autorité du gouvernement : avec une
multiplication des rapports, un encadrement des marges… Nous allons désormais
vers une économie administrée ! », estime Marie du Gar-din. En attendant, « les
débats parlementaires sont maintenant clos, place à des relations entre acteurs, que
nous espérons plus justes et équilibrées. Une nouvelle ère commence pour la filière
alimentaire », conclut Jean-Philippe André, président de l'Ania. Premier bilan dans
quelques mois, à l'aune des nouvelles négociations promises par le ministre de
l'Économie, avant l'été.

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