Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Résumé. « La Nouvelle Mosquée » est érigée, à la fin du xviie siècle, dans la seule perspective de
doter le rite hanéfite de sa propre Grande Mosquée. Cette nouvelle édification relève, à l’évidence,
d’une procédure collective exceptionnelle, celle qu’entreprend la milice d’Alger, en l’occurrence le
corps des janissaires, en puisant dans les fonds des Subul al-Khayrât. L’examen du livre de comptes
qu’avait tenu cette institution ḥabûs, responsable de la gestion de la plupart des mosquées hanéfites
et de leurs awqâf, aussitôt après le lancement du chantier, a permis de suivre le déroulement des
travaux sur une période de presque dix années, soit de 1067/1656-1657 à 1076/1665-1666. Ce rôle
de chantier apporte des éclairages significatifs notamment sur la nature, la provenance, la quantité
et le coût des matériaux employés à la construction. Ils ne manquent pas non plus de documenter les
aspects concernant leur fabrication, voire leur préparation, et quelque rares fois leur mise en œuvre ;
une mise en œuvre qui, ici, revient à la dextérité de nombreux hommes, mobilisés dans le cadre
corporatif. La comptabilité salariale, tenue en cette occasion, compte d’ailleurs parmi les rares
initiatives de gestion qui ont permis, durant au moins une décennie, de consigner les plus amples
détails non seulement sur le profil distinctif de l’ensemble de ces intervenants, mais également sur
leur origine géographique, voire confessionnelle.
Mots clés : Alger, mosquée, Ottoman, waqf, matériau de construction, corporation de métier, art
de bâtir.
*
Docteur en Histoire de l’Art et Archéologie islamiques (Paris IV). Historienne de l’Architecture, université
Saad Dahlab de Blida (Algérie).
Abstract. The “New Mosque” in Algiers: the building process in the seventeenth century
The „New Mosque“ was built in the late seventeenth century for the sole purpose of providing
Hanafi rite Muslims their own Great Mosque. The new building was clearly the result of an excep-
tional collective course of action, undertaken by the Algiers militia, in this case the Janissary
corps, with funds from Subul al-Khayrat. A review of the accounting books of the h.abus, the
institution responsible for managing most Hanefi mosques and Awqâf, has allowed us to track the
work progress over a period of almost ten years, from 1067/1656-1657 to 1076/1665-1666. The
records of the construction site provide significant insights into the nature, origin, quantity and cost
of materials used in construction. They also provide information on their fabrication, preparation,
and occasionally, their implementation, an implementation which is based on the dexterity of many
men, part of a corporate structure. The project’s payroll accounts are one of the few management
records that, for at least a decade, provide detailed individual profiles of all stakeholders as well as
their geographical origins and even their faiths.
Keywords: Alger, mosque, Ottoman, waqf, construction material, corporation of profession, art
to build.
La période ottomane s’est révélée décisive pour l’essor urbain d’Alger. La pros-
périté économique qui a atteint son apogée, à l’aube du xviie siècle, s’est traduite
par une activité architecturale florissante, notamment dans le domaine religieux. La
construction des édifices cultuels, tout autant que leur rénovation, représentent des
actes d’un réel dynamisme datant pour la plupart de cette époque de faste.
L’amorce d’une nouvelle étape s’est exprimée par la force des motivations reli-
gieuses dans l’intervention active et la contribution réfléchie du pouvoir central
ottoman. Ces mêmes puissantes motivations ont nourri l’effort populaire. Des per-
sonnages aussi illustres que Ḥusayn Bâshâ Mîzû Mûrṭû [1094/1683-1100/1688] ou
le dey Sha‛bân Khûja [1100/1688-1106/1695] marquèrent leur règne par l’édifica-
tion de mosquées à khuṭba. Tandis que d’autres dignitaires, comme Muḥammad
Bâshâ [1179/1766-1205/1791] ou Ḥassan Bâshâ [1205/1791-1212/1798], ne donnè-
rent qu’une modeste expression à leur pouvoir, en se contentant de la rénovation
d’anciennes mosquées, telles qu’al-Sayyida et Katčâwa.
Le fait à relever ici est que les lieux de culte, objets de ces louables attentions,
sont classés en quatre catégories. On recense d’abord les mosquées à prône (masjid
jâma‛) qui étaient à la fois lieu de prière, centre politique et siège de tribunal. Les
oratoires de quartiers (masjid) forment la seconde catégorie. Viennent enfin deux
dernières catégories regroupant, l’une les mosquées commémoratives (qubba-s et
zâwiya-s), et l’autre les mosquées-écoles (msîd-s) (Pedersen, 1991 : 633-639).
L’odjak ne s’était pas tenu à l’écart de cet effort de construction et de conserva-
tion. Il avait prêté à son tour une vive attention au renforcement des fortifications.
Au xviie siècle, le pouvoir s’est concentré aux mains d’aghâ-s élus parmi ces janis-
saires, qui, très vite, ont imité les pachas triennaux, en ordonnant la construction de
La population, animée d’une ferveur religieuse, faisait accéder ses biens au statut de
ḥabûs (Dulout, 1938).
La « Nouvelle Mosquée» d’Alger. Le déroulement d’une procédure …/ 235
la « Nouvelle Mosquée » sur les fonds des Subul al-Khayrât. La participation des
« Chemins de Bienfaisances », dans le financement et l’encadrement de ce projet
constitue un fait exceptionnel très peu renseigné par les sources narratives arabes
et occidentales.
L’examen attentif du livre de comptes, établi dès le lancement du chantier, per-
met de déduire que le déroulement d’une construction d’envergure a couvert pres-
que une décennie – 1067/1656-1657 à 1076/1665-1666. Ce registre, qui comprend
125 folios en langue arabe influencée par le dialecte algérois, la langue turque offi-
cielle et la « lingua franca » européenne, s’apparente à un véritable rôle de chantier
et constitue la source première du présent texte (figure 1). Les détails financiers
entourant l’édification de la « Nouvelle Mosquée » y sont soigneusement enregis-
trés et côtoient d’autres aspects comptables relatifs aux frais de culte. Notons que
ce document comptable figure parmi les archives ḥabûs d’al-Baylik. Il s’agit d’une
source archivistique encore peu explorée, et qui est conservée, sous sa forme ori-
ginale, au Centre National des Archives (CNA), à Alger ; tandis que les Archives
d’Outre-mer à Aix-en Provence (CAOM) disposent de microfilms. L’utilisation de
ces sources denses, pour la plupart inédites, et leur manipulation raisonnée ont
révélé des données d’un grand intérêt pour nos recherches sur les mosquées en
Alger ottomane.
La création, vers 999/1590-1591, de cette institution hanéfite obéit à la volonté du pouvoir ottoman de doter
les lieux de culte, se proclamant du hanafisme, d’une structure centrale assurant la gestion de leurs awqâf
(Ministère de la Guerre, 1838 : 223).
CNA, Alger, al-Baylik, C310 à 382, R325/423, 1066/1655-1656 à 1082/1671-1672 : 125 f.
À propos de ce point de nature budgétaire, se référer à Merouche, 2002.
Ces sources offrent des perspectives passionnantes d’histoire sociale et économique liée à l’industrie
du bâtiment et à l’urbanisme d’Alger.
Ainsi, il en ressort que le terrain convoité comportait aussi des structures spa-
tiales souterraines. Une morphologie pareille n’est pas différente de la topographie
générale d’Alger qui impose, à fortiori, pour chaque nouvelle entreprise l’aména-
gement de sous-sols, afin de rattraper la déclivité du terrain. Ces espaces voûtés
Hormis Zâwiyat al-Andalus, c’est, là, un exemple exceptionnel d’élévation d’édifices sacrés due à une action
collective (Devoulx, 1868 : 278).
La « Nouvelle Mosquée» d’Alger. Le déroulement d’une procédure …/ 237
formaient, à ce niveau de la ville, les assisses des remparts (qâ‛ al-ṣûr) dominant
autrefois la mer (fig. 2).
La configuration du terrain changea rapidement en faveur de la construction de
la « Nouvelle Mosquée » ; une construction exceptionnelle au point de justifier une
étude détaillée de son déroulement.
Fig. 2 - Al-Jâma‛ al-Jadîd, vers 1830. Anonyme, collection du Musée National des Beaux Arts, Alger.
S’il est établi que l’odjak fut l’initiateur d’une opération collective aussi presti-
gieuse que celle de la construction d’al-Jâma‛ al-Jadîd, il n’en demeure pas moins
qu’il ne l’a point financée. Les Subul al-Khayrât furent sommés de consacrer l’ex-
cédent de leurs revenus au financement de cette nouvelle opération.
L’acte établi par al-majlis al‛ilmî, au début de muḥarram 1073/16 août 1662,
permet d’entrevoir une démarche originale qu’avait poursuivie la partie plaignante,
représentée par les personnes d’al-Ḥâjj Bakîr Aghâ et de Kâlî Muḥammad Aghâ,
– deux militaires nommés à la tête du chantier de construction de la « Nouvelle
Mosquée » –. Leur plainte parvenue à cette cour suprême, concernait un différend
les opposant depuis plusieurs années déjà au théologien Sîdî Aḥmad Ben Yaḥya
au sujet d’une boutique fondée en ḥabûs, que ce dernier détourna purement. Cette
démarche est certes conjoncturelle, mais peut renseigner sur le mode de financement
arrêté pour la construction de la mosquée. Le conseil scientifique avait ordonné le
retour définitif de la boutique, objet du litige, aux Subul al-Khayrât. Il avait stipulé
en outre que la rente perçue grâce à sa location devait continuer, comme aupara-
vant, à payer les dépenses enregistrées à cette occasion (Devoulx, 1867 : 383-385).
A. Devoulx avance, en fonction de sa compulsion de divers actes, que la
« Nouvelle Mosquée » fut bâtie vers 1070/1660-1661 (Devoulx, 1867 : 383). Or,
notre lecture aboutit vers des conclusions différentes.
Le texte d’une première waqfiyya datant de rajab 1070/14 mars 1660 signale avec
force détails l’inachèvement des travaux relatifs à l’édification de ladite mosquée :
« al-Ḥâjj Ḥassan Aghâ, fonde un ḥabûsau profit de la mosquée à la construction de laquelle
on travaille actuellement dans la medersa ‛Inâniya, sous la surveillance d’al-Ḥâjj Bakîr
Aghâ et Kâlî Muḥammad Aghâ » (Devoulx, 1867 : 384).
Cet organisme législatif statuait, à titre consultatif, sur la gestion waqf (Saidouni, 1990 : 177).
La « Nouvelle Mosquée» d’Alger. Le déroulement d’une procédure …/ 239
Nṣâra al-Baylik seraient les chrétiens du commun affectés aux travaux d’utilité publique
(Haëdo, 1871 : 395).
Ce profil de métier relève plus de l’artisanat que de la profession libérale (Shaw, 1830 : 93).
10 Au Caire, l’architecte en chef (ra’îs al-muhandasîn) est taxé d’incompétence (Hanna, 1984 : 8).
11 Dans la Grande Mosquée almoravide est notée une disposition constructive particulière des murs restaurés
à l’époque ottomane : les rondins de thuya alternent à hauteurs égales avec les lits de briques cuites alors
qu’au niveau des angles des murs ces derniers sont attachés avec des cordelettes.
12 C’est un calcaire de résistance et de qualité supposées supérieures (Rozet, 1830 : 360 ; Lespes, 1930 : 55).
La « Nouvelle Mosquée» d’Alger. Le déroulement d’une procédure …/ 241
portes de la mosquée que celles de son mayḍa et de son tribunal, bâtiments secon-
daires dont il ne subsiste nulle trace aujourd’hui (R325/423 : f. 28). Durant cette
même année, un nombre déterminé de colonnes fut acquis en l’intervalle de quatre
mois. Il s’agit des 14 colonnes en tuf qui sont encore conservées sur la façade sud
de la « Nouvelle Mosquée » ; elles ornent le haut parapet qui longe, au-dessus du
rivage, le chemin de ronde aménagé au-devant du mur de qibla.
La lecture de l’état comptable de rajab 1070/14 mars 1660 laisse penser enfin que
l’élévation des murs de pourtour, comme celui de la qibla, est achevée au milieu de
la quatrième année de chantier ; l’achat d’une colonne pour la fenêtre sise au-dessus
du miḥrâb (‘arṣa lil-kuwa bi a‘lâ al-miḥrâb) peut en constituer une preuve irréfutable
(R325/423 : f. 48). Le percement de cette grande baie est pratiqué au milieu du mur
de tête qui barre le fond du berceau maçonné perpendiculairement à la qibla.
Les travaux de construction enregistrés dans la salle de prière suivent désormais
une cadence accélérée. La comptabilité fait état de l’achat, en rabî‘ al-thânî, de
rondins que l’on projette de placer au démarrage des arcs (R325/423 : f. 45). En
effet, il peut y avoir une ou deux rangées de deux à trois portions de rondins qui
se superposent à ce niveau. Cette disposition constructive révélée par les fouilles
archéologiques serait parasismique.
13 La construction de la « Nouvelle Mosquée » est due selon les uns à un captif génois, selon les autres à un
Grec (E. Duthoit, 1874).
14 La coordination des travaux est assurée durant les trois premières années du chantier par al-Ḥâjj Brâhîm,
considéré à posteriori comme architecte. La fonction de mi‛mâr bâshî, notée en Orient, est absente au
Maghreb (Raymond, 1985 : 216).
La « Nouvelle Mosquée» d’Alger. Le déroulement d’une procédure …/ 243
les forgerons (ḥaddâdîn) ont livré des crampons (makhâṭif lil-ḥajar) pour
l’assemblage des pierres du minaret. Ils avaient fabriqué aussi, en dhû al-qi‘da/juin-
juillet 1661, des grilles de fenêtres en cuivre (R325/423 : f. 58 ; f. 66). De plus, les
trois colonnes (‘arṣât thalâth lil-ṭwâqî), acquises en jumâdâ al-thâniya/février 1661
(R325/423 : f. 60), ornent, chacune, trois grandes fenêtres similaires à celle placée
au-dessus du miḥrâb. Le percement de toutes ces ouvertures suivait la même procé-
dure ; elles sont pratiquées au milieu des quatre murs de tête qui correspondent, eux,
aux deux voûtes en berceaux placées, soit en parallèle, soit perpendiculairement au
mur de qibla. Au début de sha‘bân, al-Ḥâjj ‘Abd al-La�îf al-Tûnsî avait acheminé
20 000 carreaux de céramique (zallâyaj) à partir de Tunis (R325/423 : f. 63). Leur
destination première allait à la décoration du miḥrâb et du minaret.
tains matériaux acquis au cours des quatre dernières années. La chaux en bloc est
employée, par exemple, dès muḥarram 1073/16 août 1662, pour le badigeonnage
des coupoles (jîr ḍras li tabyyâḍ al-qubab) (R325/423 : f. 80). L’acheminement de
la brique en petites quantités augure du début de la réalisation des merlons en dents
de scie qui ornent les murs de la mosquée. De même, l’approvisionnement d’une
part en plâtre, peinture et dorure et d’autre part, en chaînes et lustres aurait servi
aux travaux de parachèvement.
Le verre (zujâj) et les lampes (ṣabâḥî) se manifestent pour la première fois sur
l’état comptable de rabî‘ al-thânî 1074/3 novembre 1663 (R325/423 : f. 96). Reste
à relever que les tuiles devant couvrir les auvents des quatre fenêtres, percées à la
base de la coupole ovoïdale, ainsi que le cuivre destiné à fabriquer les jamûr-s,
sont acquis au début de l’année 1076/1665-1666. Le tourneur autant que le peintre
étaient intervenus en continu, durant cette même période. Al-kharrâṭ (tourneur),
était chargé de fabriquer, puis de monter les grilles de bois tourné, destinées aux
fenêtres et aux balustrades (darâbiz) (R325/423 : f. 92). Quant au zawwâq (peintre
décorateur), il avait peint les boiseries et rehaussé les coupoles par des dorures
(dhahab li tafâfîḥ al-qubab) (R325/423 : f. 120).
Le plâtrier (jabbâs) est intervenu au milieu de l’année 1076/1665-1666. En plus
de la fabrication des cinq claustras en plâtre qui ornent le mur de qibla, son œuvre
majeure a consisté à encadrer le miḥrâb d’une fine ciselure de plâtre. Au milieu
de ce décor épigraphique, d’un caractère religieux, se distingue une inscription
qui borde l’arcature du miḥrâb, et qui désigne l’aghâ chargé de diriger, en der-
nier lieu, la construction de la « Nouvelle Mosquée ». C’est al-Ḥâjj al-Ḥabîb Aghâ,
l’ultime directeur de travaux, nommé à ce poste en 1074/1662-3, qui avait trouvé
dans l’exécution de l’ornementation intérieure l’occasion de transmettre le souvenir
de son nom à la postérité (R325/423 : f. 128). À la Veille de l’inauguration officielle
d’al-Jâma‘ al-Jadîd, en ramaḍân 1076/7 mars 1666 – la première khuṭba a eu lieu le
premier vendredi de ce mois –, l’administrateur des fontaines publiques (qâyad al-
‘yûn) avait entrepris l’ultime action, celle consistant à raccorder la salle d’ablution
au réseau d’alimentation en eau (R325/423 : f. 62-63).
Désormais, la notoriété de cette mosquée à prône a totalement effacé le souve-
nir d’al-Madrasa al-Inâniya. Le centre spirituel et politico-économique de l’ancien
Alger, étant presque entièrement détruit, c’est al-Jâma‘ al-Jadîd, cet édifice sacré qui
en offre aujourd’hui le plus saisissant des témoignages architecturaux.
16 Les marnes sahéliennes d’El-Biar et les argiles alluvionnaires de la vallée d’El-Harrach alimentaient les
briqueteries d’Alger (Lespes, 1930 : 55).
17 Les calcaires cipolins du massif de Bouzaréah ont fourni des moellons résistants (Rozet, 1830 : 360).
18 Le remploi de matériaux est constaté également au Caire fatimide (Barrucand, Chapiteaux, 2002 : 37-55).
19 Rozet, 1833 : 109. Voir aussi le Manifeste du 22 février 1820 (Amin, 1993 : 12).
20 Chergui, 2007 : 294-295.
revanche, le plâtre est plutôt rare. Sculpté en motifs floraux ou épigraphiques, il est
réservé au décor du miḥrâb.
Un ultime aspect concerne enfin le coût des dépenses engagées au seul titre de
l’approvisionnement en matériaux de construction. Selon que ces matériaux sont
produits localement ou importés de contrées lointaines, le livre de comptes, qui
couvre les dix années de construction de la « Nouvelle Mosquée », fait ressortir
une nette différence entre leurs prix respectifs. Ceux importés coûtent plus que
ceux de fabrication locale. Ce dernier point, proprement budgétaire, présenté à titre
indicatif, n’autorise aucune confirmation, vu les fréquentes fluctuations de prix et
monnaies, constatées à l’époque ottomane.
Selon le tableau 1, la brique cuite était cédée à environ 1-10 dinâr la centaine. Les
dérivés de poterie, comme les tuiles ou les éléments cylindriques, étaient payés 0-5
et 0-7,5 dinar l’unité, tandis que la céramique importée de Tunis coûtait 0-0,4 dinâr la
pièce. La pierre était différemment évaluée : son prix à l’unité était de 2 dinâr-s. Or,
la charge (ḥamla) de moellons était estimée à 0-3,5 dinâr. Le marbre d’importation
était resté assez chèrement payé : une colonne valait 7 dinâr-s. Le prix de la chaux
oscillait peu au-dessous de 0-20 dinâr la thamna. Le dernier constat est valable pour
le bois dont le prix semblait inégalement fixé : les rondins de thuya local revenaient
à 1-25 dinâr-s l’unité. En revanche, le prix du bois de cèdre ou de noyer, importé,
culminait jusqu’à 5 dinâr-s la solive.
Pour tenter d’appréhender cette courbe générale des prix unitaires des matériaux,
mais encore de l’apprécier à sa juste valeur, un parallèle avec les salaires moyens
des hommes du bâtiment est nécessaire.
Prix*
1067/ 1068/ 1069/ 1070/ 1071/ 1072/ 1073/ 1074/ 1075/ 1076/
Matériau
1656- 1657- 1658- 1659- 1660- 1661- 1662- 1663- 1664- 1665-
1657 1658 1659 1560 1666 1662 1663 1664 1665 1666
Chaux
(thamna) 0-25 0-30 0-29 0-20 0-30 0-25 0-30 0-25 0-29 0-27
Terre
(ḥamlâ) 0- 02 0- 02,5 0- 04 0- 5 0- 5 0- 5
Terre/pierre
(ḥamlâ) 0- 03 0- 02,5 0- 03,5 0- 05 0- 03,5
Brique
(Centaine) 1 1 1-20 1-20 1 1 1-15 1-15 1-15 1
Poterie
canalisation 0- 06 0- 06 0-10
(unité)
Tuile
(unité) 0- 05
Pierre
(ḥamlâ) 0- 02,5 0- 04 0- 05 0- 03,5
Pierre
(bloc) 0-35 2- 05 3- 45 1
Cadre/pierre
(unité) 50
Marbre
(unité) 0-25 0-15
Colonne
(unité) 2-32 8 8 9-12
Rondin
(unité) 2- 40 2 1-25 0-20 1
Solive
(unité) 7- 40 5- 43 4-33 2- 40 3- 40
Volige
(unité) 3 1- 08 1-37 1- 40 2-15 3-25
Balustrade
(unité)
Grille/cuivre
(unité) 122-10
Grille/fer
(unité) 160
Heurtoir
(unité) 0-25
Céramique
(unité) 0- 00,4
Feuille d’or
(unité) 11-30 14 5-30 11-15
Robinet
(unité) 4- 40 4-30
Chaîne
(unité) 4-12 5- 06 18
Fer
(poids) 46-25 45 53-15
Plomb
(poids)
Verre
(caisse) 124
Lampe
(unité) 0-10
1067 1068 1069 1070 1071 1072 1073 1074 1075 1076
Salaire**
1656- 1657- 1658- 1659- 1660- 1661- 1662- 1663- 1664- 1665-
Homme
1657 1658 1659 1660 1661 1662 1663 1664 1665 1666
Superviseur 7 7 7 7 8-40 9-15 12-45 13 13 10-40
Syndic
Encadrement
des maçons 6- 25
6- 20
5- 25
Maître d’œuvre
chrétien 7 6-25 5-40 10-15 13-35 16-15 16-15 16-15 16-15
Secrétaire
et Caissier 32- 25
20- 35
18- 15
17- 25
13 13 13 13 13
Administrateur
des fontaines 62-25
publiques
Maître terrassier 7
Maître maçon 6-40 7
Maîtres maçons
chrétiens 10-25 13 11-15 17-20 21-20 39-10 47-35 30-15 44-40 46-30
Maçon 7 6- 10
6 6- 25
4
Gâcheur 9- 40
5- 10
Manœuvre 0-30 0-25 0-25 0-25 0-25 0-25 0-25 0-25 0-25 0-25
Manœuvres
chrétiens 10-10 14
Maître tailleur
de pierre 232 21 4 12 4-25
Main d’œuvre
Tailleur
de pierre 7 7- 30
12 3- 40
12
Ouvrier tailleur
de pierre 2 2 2 2 2 7-25 5-10 5-05 7
Sculpteur de
pierre 2 2- 15
Conclusion
Le système institutionnel sur lequel s’était fondée une grande partie des opé-
rations, menées pour ainsi dire toutes en perspective de la réurbanisation d’Alger
est celui des h a bûs ; un instrument juridique qui s’est avéré efficace et approprié
lorsque l’odjak a ordonné l’édification de la « Nouvelle Mosquée ».
L’étude des habitudes constructives, révélées par le rôle de chantier tenu en cette
occasion, a mis en évidence des renseignements qui ne sont pas certes toujours
comparables, mais ils demeurent complémentaires. Ainsi des éclairages significa-
tifs sont apportés sur la nature, la provenance et le coût des matériaux employés.
Durant cette opération inédite de construction, le chantier avait fait cependant usage
de matériaux dont la fabrication et la mise en œuvre n’avaient guère évoluées.
Nous sommes tentés de soutenir que les Andalous autant que les communautés
minoritaires juives et chrétiennes avaient collaboré à donner un essor vigoureux
aux travaux de construction de la « Nouvelle Mosquée ». Toutefois, la compétence
technique avérée des Andalous et des chrétiens d’Europe semble légitimer leur séle-
ction à la tête du chantier.
Du point de vue géographique, jamâ‘at al-bannâ’în, l’une des plus influentes
corporations du bâtiment, comptait une majorité de maçons citadins (baldî-s).
Les manœuvres et les tâcherons sont affiliés, à la fois à leur communauté d’origine
et à leur corps de métier ; ils sont assimilés aux nouveaux arrivants (barrânî-s), qui
sont originaires de Kabylie ou de Biskra. Une main d’œuvre servile de lignée euro-
péenne renforçait le rang de ces ouvriers apprentis. La finition des blocs de marbre
importé ou de tuf local, mais aussi des éléments en bois de cèdre et de noyer, est
l’apanage de communautés non musulmanes.
Soulignons enfin que sur le plan des finances, la question des coûts et des
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Merouche L., 2002, Recherches sur l’Algérie ottomane : monnaies, prix et reve-
nus 1520-1830, Paris, Bouchene, 314 p.
Ministère de la Guerre, 1838, Tableau de la situation des établissements fran-
çais dans l’Algérie en 1837, Paris, Impr. impériale, in-fol.
Pederson J., 1991, « Masdjid », EI vi, Paris, G.-P. Maisonneuve & Larose,
p. 629-664.
Raymond A., 1985, Grandes villes arabes à l’époque ottomane, Paris, Sindbad,
391 p.
Rozet C. A., 1830, « Description géologique des environs d’Alger : voyage dans
la Régence d’Alger », Journal de géologie, vol.iii, Paris, éditeur scientifique,
360 p.
Saidouni N., 1990, « Les fonctionnaires de l’institution waqf à Alger à la fin de
l’époque ottomane d’après les archives algériennes », RHM 57-58, Tunis, imp.
UGTT, p. 75-190.
Shaw Dr T., 1830, Voyage dans la Régence d’Alger ou description géographique,
physique, philologique, etc., de cet État, trad. de l’anglais par J. Mac-Carthy,
2 t. en 1 vol., Paris, Marlin, 405 p.