Vous êtes sur la page 1sur 15

La fonction sociale de la rumeur

Patrick Scharnitzky
Dans Migrations Société 2007/1 (N° 109), pages 35 à 48
Éditions Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales
ISSN 0995-7367
DOI 10.3917/migra.109.0035
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2007-1-page-35.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales.
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
La fonction sociale de la rumeur 35

LA FONCTION SOCIALE DE LA
RUMEUR

Patrick SCHARNITZKY*

La rumeur peut se définir comme une information inexacte ou exa-


gérée qui se déforme à mesure qu’elle est transmise de façon directe
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
par le mode du bouche à oreille ou de façon indirecte, via un média
informationnel (télévision, presse écrite…). Elle fait partie intégrante
de notre quotidien et concerne chacun d’entre nous, alors même que
nous prétendons aisément ne lui accorder aucun crédit et encore moins
participer à sa transmission. Qu’elle amuse, intrigue, angoisse ou énerve,
la rumeur est omniprésente. Par exemple, le fait de saisir le mot
“rumeur” dans n’importe quel moteur de recherche sur internet donne
lieu à près de 1,5 million de pages. Elle semble donc inhérente à
l’existence de toutes les formes de communication et d’organisation
sociale.
Mais en même temps, la rumeur est nuisible. Elle détruit des répu-
tations et des carrières, colporte la terreur et donne une vision tout à
fait erronée du monde social. Comment concevoir et comprendre
alors un tel paradoxe ? Comment les êtres humains peuvent-ils se
confondre dans une pratique qui les menace ? Pour répondre à cette
question il faut distinguer deux éléments : d’une part, il s’agit de décrire
le contenu classique de ces rumeurs et la particularité des contextes
sociaux dans lesquels les rumeurs émergent ; d’autre part, il est néces-
saire d’entrevoir l’hypothèse selon laquelle la rumeur remplit une
fonction sociale. Si elle est envisagée du point de vue de son “utilité”,
on comprend mieux son existence et sa robustesse. Mais quelle est
cette utilité ?

Le contenu des rumeurs


En 1944, Robert H. Knapp entreprend la démarche de recenser
le contenu de toutes les rumeurs existant dans la société américaine1.

* Maître de conférences en psychologie sociale, Université de Picardie – Jules Verne.


1. Cf. KNAPP, Robert H., “A psychology of rumor”, Public Opinion Quarterly, n° 8, 1944, pp. 22-37.

Migrations Société
36 Dossier : Migrations, quand les préjugés s’en mêlent

À l’aide du Readers Digest, il invite les lecteurs à lui envoyer la liste


de toutes les rumeurs qu’ils connaissent. Submergé par le courrier, il
classe ces rumeurs selon les besoins émotionnels satisfaits. Il en ressort
que sur plus d’un millier de rumeurs différentes recensées, plus de 66 %
véhiculent des contenus liés à l’agression et à la haine entre les gens
et entre les groupes sociaux, 25 % concernent des informations qui
véhiculent la peur et l’angoisse et seulement 2 % renvoient à des désirs.
Autrement dit, la quasi-totalité des rumeurs véhiculent des croyances
négatives et anxiogènes. Le contenu des rumeurs est aujourd’hui tout à
fait comparable au recensement effectué par Robert H. Knapp2.
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
Ces rumeurs peuvent concerner les objets du quotidien comme les
timbres-tatouages pour les enfants imbibés au LSD3 ou les fours à micro-
ondes “tueurs” au moment où leur commercialisation a débuté4. Mais
le meilleur exemple reste la rumeur dite d’Orléans. Selon cette légende,
les cabines d’essayage de certains magasins de lingerie de la ville
d’Orléans, tenus par des commerçants juifs, étaient en réalité des
pièges dans lesquels des clientes sont tombées. Coincées dans ces
cabines, elles étaient enlevées pour devenir les victimes d’un réseau
de traite des blanches. Cette rumeur jamais démentie compte tenu de
son énormité s’est développée pendant plus de 20 ans et s’est propagée
à des dizaines d’autres villes de France. Dans cette rumeur on retrouve
tous les éléments classiques : la peur, le mystère et des éléments évi-
dents d’antisémitisme et de racisme5.
Ces rumeurs peuvent aussi concerner des personnes en vue dont la
célébrité génère toutes sortes de fantasmes. Le plus souvent ces rumeurs
sont également dramatiques ou colportent des informations calom-
nieuses. On y retrouve pêle-mêle des morts accidentelles, des meurtres
cachés, des maladies subites, des affaires d’adultère ou encore des
pratiques déviantes (pratiques sexuelles, alcoolisme, toxicomanie…).
Enfin, et c’est ce qui nous intéresse particulièrement ici, les rumeurs
peuvent concerner des groupes de personnes. Là encore, elles se
composent de croyances négatives, proportionnelles au degré d’anxiété

2. Cf. CAMPION-VINCENT, Véronique ; RENARD, Jean-Bruno, Légendes urbaines, rumeurs d’aujourd’hui,


Paris : Éd. Payot, 1992, 349 p. ; CAMPION-VINCENT, Véronique ; RENARD, Jean-Bruno, De
source sûre, nouvelles rumeurs d’aujourd’hui, Paris : Éd. Payot, 2002, 369 p.
3. Cf. KAPFERER, Jean-Noël, Rumeurs : le plus vieux média du monde, Paris : Éd. du Seuil, 1987,
353 p.
4. Cf. CAMPION-VINCENT, Véronique ; RENARD, Jean-Bruno, Légendes urbaines, rumeurs d’aujour-
d’hui, op. cit.
5. Cf. FROISSART, Pascal, La rumeur : histoire et fantasmes, Paris : Éd. Belin, 2002, 198 p.

Vol. 19, n° 109 janvier – février 2007


La fonction sociale de la rumeur 37

ou de mystère que génèrent ces groupes. On peut distinguer deux


catégories : celles qui concernent les groupes mystérieux dans leur
composition et leur fonctionnement (les sectes, certains partis poli-
tiques dont l’organisation est occulte…) et celles qui concernent sim-
plement les groupes stigmatisés du fait de leur faible pouvoir social,
de leur statut minoritaire en nombre ou tout simplement de leur
“différence” par rapport aux pratiques normatives. C’est le cas par
exemple pour les homosexuels qui laisseraient des seringues remplies
de sang porteur du HIV sur des sièges de cinéma afin que les spec-
tateurs se piquent et soient contaminés. Et c’est bien entendu le cas
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
des étrangers qui remplissent toutes les conditions propices à l’émer-
gence de ces rumeurs : les étrangers sont par définition moins nombreux
la plupart du temps, ils ont un pouvoir socioéconomique et politique
faible, ils sont “visibles” au sens où on peut les identifier facilement et
ils sont “différents”.

Le contexte social d’émergence des rumeurs


Dans la mesure où les rumeurs fonctionnent sur le ressort de la peur,
elles sont d’autant plus prolifiques et robustes quand elles apparaissent
dans un contexte socioculturel lui-même anxiogène. Plus il le sera et
plus les membres d’une culture ressentiront un besoin de sérénité qui
passe par une forme de catharsis des angoisses vers des croyances
fantasmées. On trouve le même phénomène avec les superstitions et
le recours à des pratiques parapsychologiques. Le degré de précarité
sociale est toujours proportionnel au besoin d’avoir recours à de la
pensée magique pour expliquer les phénomènes anxiogènes.
Concernant les rumeurs, on dispose d’un exemple symptomatique
avec les attentas du 11 septembre 20016. Il s’en est suivi une vague
de rumeurs tous azimuts destinées à rassurer les gens en leur donnant
une illusion de contrôle sur la situation. C’est d’ailleurs là tout le para-
doxe intéressant des rumeurs. Elles sont à la fois anxiogènes en
raison de leur contenu et elles ont une fonction sociale rassurante par
le sentiment de contrôle, souvent illusoire, qu’elles procurent.
On peut distinguer deux contextes propices à l’émergence des
rumeurs. Le premier, on vient de le voir, concerne des périodes où

6. Cf. JACQUART, Cécile ; HAAS, Valérie, “La rumeur comme modalité de la pensée sociale”, in :
HAAS, Valérie (sous la direction de), Les savoirs au quotidien, transmissions, appropriations,
représentations, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2006, pp. 51-70.

Migrations Société
38 Dossier : Migrations, quand les préjugés s’en mêlent

ont lieu des événements dramatiques. Les tremblements de terre, les


guerres, les attentats sont autant de phénomènes — naturels ou
humains — qui déclenchent des séries de pensées magiques et de
croyances dont les rumeurs font partie. Le second concerne les évé-
nements qui ne sont pas dramatiques en eux-mêmes mais qui sont
inexplicables. Le fait de ne pas être en mesure d’expliquer un phéno-
mène accroît la probabilité de voir apparaître des croyances qui
proposent de se substituer aux connaissances rationnelles. C’est le cas
par exemple des rumeurs portant sur des célébrités dont on ne sait
rien. Bien entendu, quand le contexte cumule les deux aspects, cela
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
démultiplie le nombre et l’intensité des rumeurs qui émergent.

Le contrôle des rumeurs


La stratégie la plus spontanée et la plus fréquente pour contrôler
les rumeurs et faire en sorte qu’elles cessent est le démenti. Il s’agit
d’une information qui vient contredire la rumeur et qui est diffusée
par la ou les personnes qui en sont les victimes, lorsque celles-ci sont
des personnes ou des groupes.
Cette information prétend avoir le pouvoir d’annuler la rumeur en
apportant la preuve de son non-fondement. L’écueil majeur de cette
méthode est que le démenti se révèle souvent inefficace pour plusieurs
raisons. D’une part, le démenti circule beaucoup moins bien et moins
vite que la rumeur elle-même. C’est une information qui est moins sensa-
tionnelle et qui remet en cause des croyances largement répandues.
En d’autres termes, elle vient dire aux gens qu’ils ont eu tort. Elle est
donc accueillie avec moins d’enthousiasme et plus de méfiance. D’autre
part, le démenti n’est pas toujours diffusé au bon moment : s’il est
trop précoce, il éveille des soupçons (un accusé qui se défend alors
même qu’on ne sait pas qu’il l’est est perçu comme quelqu’un qui se
confesse) ; et s’il est trop tardif, la rumeur est bien trop solide et ancrée
pour être bousculée.
Ensuite, le démenti n’a pas toujours la capacité de prouver que la
rumeur est fausse : soit la preuve existe mais cela passe par une dé-
monstration scientifique trop compliquée pour le commun des mortels
(c’est le cas, par exemple, pour la nocivité de certains produits comme
l’aspartam. La rumeur selon laquelle ce produit est cancérigène date
des années 50, et malgré la capacité des chercheurs à en démontrer
son absurdité scientifique, elle persiste), soit la preuve n’existe pas et

Vol. 19, n° 109 janvier – février 2007


La fonction sociale de la rumeur 39

les deux versions s’opposent sans que la crédibilité des uns prenne le
pas sur celle des autres.
Enfin, le démenti a un effet parfois pire que le fait d’être simplement
inefficace. En effet, on peut voir apparaître un “effet boomerang”.
C’est le cas quand c’est le démenti lui-même qui déclenche ou accroît
la portée de la rumeur. Une étude réalisée auprès des lycéens sur la
toxicité des timbres-tatouages a montré que près de 21 % des jeunes
interrogés qui ne croyaient pas à la rumeur avant la lecture du
démenti en ont été convaincus par le contenu même du démenti !
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
La construction de la réalité sociale par les rumeurs
Avant d’aborder la question de la fonction sociale des rumeurs, il
convient d’expliquer comment celles-ci peuvent transformer la réalité
sociale par un jeu de déformations de l’information qui est transmise.
Cette explication est cruciale car elle permet de comprendre son uti-
lité sociale.
Il est clair que la rumeur, à mesure qu’elle se transmet, transforme
de façon non fortuite l’information qu’elle véhicule. Certains éléments
informationnels sont oubliés, transformés, exagérés, et tout cela respecte
des règles strictes et logiques. L’analyse de cette transformation a
été formidablement mise en lumière par une très célèbre étude de
Gordon Allport et Leo Postman en 1947. Ces chercheurs ne s’intéressent
pas au contenu des rumeurs mais à leur mode de transmission. Ainsi,
au lieu d’interroger des sujets sur les rumeurs qu’ils connaissent, ils dé-
cident d’opter pour une méthode plus expérimentale grâce à la-
quelle ils vont étudier, in vivo, comment une simple information se
propage et se déforme7.
Ces deux chercheurs américains constatent pendant la Seconde
Guerre mondiale la quantité et l’intensité des rumeurs véhiculées aux
États-Unis, surtout après la défaite de Pearl Harbor en 1941. Les
rumeurs furent tellement nombreuses et déformées qu’elles obligèrent
le président Roosevelt à lire un démenti radiodiffusé le 23 février
1942.

7. Cf. ALLPORT, Gordon ; POSTMAN, Leo, “Les bases psychologiques des rumeurs”, in : LÉVY,
André (sous la direction de), Psychologie sociale, textes fondamentaux, Paris : Éd. Dunod,
1965, pp. 170-185.

Migrations Société
40 Dossier : Migrations, quand les préjugés s’en mêlent

Ils ont donc l’idée de recréer en laboratoire une situation de trans-


mission de la rumeur afin de mesurer comment un message se transmet
en quelques minutes et d’en analyser les modalités de déformation.
Ils soumettent donc à des sujets des images représentant des scènes
de la vie quotidienne en maintenant une certaine ambiguïté sur le
sens même de ces scènes afin d’induire un doute propice à l’émergence
d’une déformation. Si l’information est trop compliquée à mémoriser
dans son intégralité et/ou si cette information est ambiguë, elle a toutes
les chances d’être transformée, et c’est ce qui intéresse les chercheurs.
Bien entendu, cette situation expérimentale n’a pas l’ambition de re-
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
produire exactement les conditions dans lesquelles les rumeurs se trans-
mettent dans la vie quotidienne. Les chercheurs veulent juste observer,
en direct, comment une simple information évolue par le jeu des récits
multiples de bouche à oreille.
Le protocole de l’expérience est simple. Il s’apparente à un jeu
de colonie de vacances. On fait rentrer dans une pièce un participant
auquel on montre une image en lui lisant un texte qui décrit en détail
la scène représentée. On donne beaucoup de précisions afin d’être
certain que le sujet n’est pas en mesure d’en retenir l’intégralité. Puis
on range l’image et on fait rentrer un deuxième participant dans la
pièce. On demande alors au premier de raconter au deuxième la
scène qu’on lui a montrée et dont on lui a lu la description. Le récit
achevé, on fait rentrer un troisième participant auprès duquel le
deuxième devra s’acquitter de la même tâche, et ainsi de suite jusqu’à
un septième participant. Les chercheurs enregistrent chaque récit et
analysent mot à mot ce qui est retenu, oublié ou déformé. Les résultats
sont spectaculaires :
— la réduction : ils notent que l’information est très rapidement réduite.
Au bout du troisième récit, seulement 35 % des détails décrits subsistent.
Le dernier participant fait un récit dans lequel on ne retrouve que
20 % des éléments du récit original. La capacité de mémoire à court
terme étant limitée, il est impossible de se souvenir de tous les détails
d’une information. Certains sont donc progressivement oubliés pour
aboutir à une information minimale qui finira par ne plus bouger tant
elle est réduite et donc simple à retenir. C’est ce que Michel-Louis
Rouquette appelle « la phase d’invariance »8. Il est alors intéressant
d’analyser les éléments du discours qui sont retenus et ceux qui sont
oubliés ;

8. Cf. ROUQUETTE, Michel-Louis, Les rumeurs, Paris : Presses universitaires de France, 1985, 157 p.

Vol. 19, n° 109 janvier – février 2007


La fonction sociale de la rumeur 41

— l’accentuation : ils constatent que certaines informations subissent un


processus d’accentuation qui est indissociable de la réduction. C’est parce
que la plupart des détails sont oubliés que les sujets compensent la
densité du récit en exagérant les détails qui leur restent en mémoire.
Il peut s’agir d’accentuations numériques ou temporelles, mais qui
dans tous les cas changent la nature profonde de l’information transmise.
On va par exemple accentuer la gravité d’une blessure, la taille d’un
objet ou le nombre de personnes engagées dans une situation donnée ;
— l’assimilation : le plus important est que l’information subit un pro-
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
cessus d’assimilation. Si la réduction et l’accentuation concernent direc-
tement les failles quantitatives de la mémoire, l’assimilation est un
processus par lequel certaines informations sont transformées pour
devenir conformes aux attentes ou aux croyances initiales des sujets.
On assimile une information nouvelle aux sentiments et intérêts de ceux
qui véhiculent la rumeur. C’est à cette étape que les préjugés jouent
un rôle important en ce qui concerne les groupes sociaux. Les préjugés
sont des croyances a priori dont nous disposons à propos des groupes
sociaux auxquels nous n’appartenons pas. Ainsi, les préjugés vont jouer
un rôle de guide dans l’interprétation des informations véhiculées par
la rumeur. Si un élément du récit est compliqué ou ambigu, il sera
assimilé au préjugé préexistant dans les représentations des personnes.
Le meilleur exemple concerne l’image la plus connue et la plus
significative qui a été testée lors de cette étude (voir illustration page
suivante). Cette image représente une rame du métro new-yorkais
dans laquelle cinq passagers sont assis. Deux personnages face à
face se tiennent debout devant eux. Le premier est un Afro-Américain,
il porte un costume, une cravate et un chapeau. Le second, un Américain
blanc, est plus petit que l’autre et parle au Noir en le montrant du
doigt avec la main droite, tandis qu’il tient un rasoir dans la main
gauche. On ne sait pas ce que le Blanc dit et on ne comprend pas
bien pourquoi il tient un rasoir dans la main, mais cette mise en scène
ambiguë est volontaire de la part des chercheurs.
Dans le récit des participants, qui sont tous des Américains blancs,
l’image est souvent assimilée à leurs préjugés envers les Noirs. Voici
par exemple un septième récit typique : « Ceci est un wagon de
métro de New York qui se dirige vers Portland Street. Il y a une femme
juive et un Noir qui tient un rasoir dans sa main. La femme a un bébé
ou un chien sur les genoux. Le train va jusqu’à Deyer Street, et rien de
particulier ne se produit ».

Migrations Société
42 Dossier : Migrations, quand les préjugés s’en mêlent
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
Outre le fait qu’il est considérablement réduit, deux éléments sont
importants dans ce récit. Dans l’histoire initiale, il n’est pas mentionné
la religion des personnages assis ; or les participants ont jugé qu’une
femme était juive, probablement d’après sa tenue vestimentaire et
son apparence physique. Mais, surtout, il apparaît dans la plupart des
groupes soumis à cette étude que le rasoir a tout bonnement changé
de main ! Dans l’histoire originale il était dans la main gauche du
Blanc, et le voilà maintenant dans celle du Noir, tout simplement
parce que selon les préjugés des années 40 (et probablement dans
une moindre mesure aujourd’hui) les Afro-Américains sont violents et
agressifs, ce qui rend tout à fait logique le fait que ce soit le Noir qui
tienne le rasoir. Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est qu’il est
peu probable que les sujets fassent le choix volontaire et maîtrisé de
faire changer de main le rasoir. C’est tout à fait inconsciemment que
leurs préjugés viennent interférer avec leur mémoire pour rendre la
réalité conforme à leurs opinions a priori.
Un autre exemple intéressant et aussi très révélateur : dans quelques
récits on ne retrouve pas « un individu noir » face à un Blanc, mais
« un groupe de plusieurs Noirs » face au passager blanc. Là encore,
cette assimilation vient du fait que dans l’histoire on dit que le Noir
est plus grand. Cette information de différence de taille reste en
mémoire mais de façon imprécise, et c’est là que le préjugé intervient,
selon lequel les Noirs « vivent dans les banlieues » et qu’ils « fonctionnent
souvent en bande ». La différence de taille entre les deux protago-
Vol. 19, n° 109 janvier – février 2007
La fonction sociale de la rumeur 43

nistes est transformée en une différence de nombre de personnes, ce


qui est plus conforme aux croyances et aux préjugés ambiants. De
« plus grand » on passe à « plus nombreux ». On a ainsi véhiculé le
préjugé sans même s’en rendre compte et sans chercher à le faire. Bien
entendu, cette assimilation est à remettre dans le contexte culturel
américain des années 40, mais serait-ce si différent de nos jours en
France ?
Dans le cadre d’un enseignement sur la communication auprès d’étu-
diants en première année de psychologie, nous cherchons à reproduire
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
l’expérience d’Allport et Postman à des fins pédagogiques. Nous avons
actualisé l’expérience, en présentant une photographie mettant en
scène quelques jeunes debout derrière une barrière « qui a été mise
là par la police ».

Au centre de l’image on voit un des jeunes, un foulard palestinien


sur la tête, qui vise un objectif, dont on ignore la nature, avec un lance-
pierres. Cette image est aussi ambiguë que celle du train dans l’expé-
rience originale. Les effets sont les mêmes. Dans quelques récits cette
scène devient : « Lors d’une manifestation, des jeunes femmes musulmanes
envoient des pierres sur la police ». On voit bien ici comment le foulard
palestinien, qui est présenté dans l’histoire originale comme un simple
accessoire vestimentaire, devient un voile islamique puis est assimilé
à la religion des jeunes gens qui, du coup, deviennent des femmes. De
plus, on parlait « d’un jeune », et cela devient « des jeunes femmes »
car cela renvoie aux représentations médiatiques et stéréotypées du

Migrations Société
44 Dossier : Migrations, quand les préjugés s’en mêlent

conflit israélo-palestinien. Enfin, on décrivait une barrière mise en place


par la police et, finalement, la police devient l’objet du lancer de
pierres dans le cadre d’une manifestation. Il ne s’agit pas ici d’une
recherche et nous ne voulons pas lui donner un caractère scientifique,
mais cette “expérience” pédagogique illustre bien le même processus
d’assimilation aux préjugés que celui décrit par Allport et Postman.
On voit bien comment la réduction de l’information transmise par
les rumeurs n’est pas fortuite mais respecte deux règles essentielles :
celle de la déformation allant dans le sens des croyances ayant cours
dans la société et celle de l’assimilation à ces croyances. Les rumeurs
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
peuvent alors être envisagées comme des outils de rationalisation
des préjugés et d’une certaine vision partagée et consensuelle de la
société. C’est sa fonction sociale première.

La fonction sociale des rumeurs


• Rationaliser les croyances sociales
Rationaliser les croyances sociales est la fonction sociale première
des rumeurs. Les préjugés sont des héritages culturels dont nous
ignorons souvent le fondement et à propos desquels nous ne nous
posons que très rarement cette question. Pourquoi pensons-nous que
les Anglais sont avares ? C’est un fait établi comme une vérité transmise
par notre éducation, la culture, les médias et de façon opératoire par
les rumeurs. Cette vision des choses inverse totalement la logique
rationnelle de la construction de la pensée. Ce ne sont plus les faits
observables qui construisent les opinions et les idéologies, mais les
croyances a priori qui s’appuient sur des constructions sociales pour
trouver leur légitimité. Les rumeurs sur les étrangers — et particulièrement
aujourd’hui sur les musulmans — véhiculent des contenus de violence
afin de justifier une opinion publique largement acquise à cette cause
du fait des attentats commis par des groupuscules extrémistes. En
véhiculant ces rumeurs les “Occidentaux” se rassurent sur le bien-fondé
de leurs opinions.
Les rumeurs sont donc indissociables des croyances générales véhi-
culées au sein d’une société, et particulièrement des préjugés. Elles
véhiculent toujours des contenus qui vont dans le sens de ces préjugés
partagés dans une culture donnée car elles y trouvent leur enracinement
social. En ce sens, elles jouent un rôle important dans les processus de
discrimination en justifiant des positions sociales conflictuelles et en légi-

Vol. 19, n° 109 janvier – février 2007


La fonction sociale de la rumeur 45

timant toutes les formes d’exclusion dont les groupes stigmatisés sont
les victimes.

• Accentuer la cohésion du groupe


Accentuer la cohésion du groupe est la seconde fonction sociale des
rumeurs. Elles sont le plus souvent véhiculées au sein d’une même culture
par des réseaux de proximité qui, certes, s’élargissent à mesure qu’elles
se propagent, mais qui, d’une personne à l’autre, circulent au sein d’un
même groupe. Et plus les rumeurs circulent, plus le groupe est cohésif
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
car il donne un sentiment rassurant de partage des connaissances. Ce
partage culturel et émotionnel renforce l’idée de ressemblance et donc
de cohésion.
Connaître la rumeur en cours est un moyen d’identification au groupe
et de partage, au même titre que peuvent l’être des rituels, des codes
langagiers ou vestimentaires. Le groupe se construit une identité dans la
rumeur de deux façons : d’une part, il se construit en interne par un jeu
de ressemblances multiples ; d’autre part, il se construit en opposition
avec ce qui est différent, c’est-à-dire avec les autres groupes, culturels
par exemple. Nous sommes identiques et ils sont différents. Cette ligne
d’opposition symbolique permet un renforcement de l’identité au sein
des groupes et confirme le fantasme de la différence et de l’incom-
préhension réciproque. Là encore, on trouve un socle propice à la confir-
mation des préjugés et au développement des discriminations. Plus un
groupe se perçoit de façon cohésive, plus il se construit en opposition
aux autres groupes et plus il induit du conflit et de la discrimination.
C’est le principe même de toutes les formes de communautarisme dé-
fensif ou offensif qui construisent des barrières hermétiques entre les
groupes.

• Expliquer l’inexplicable
Expliquer l’inexplicable est la troisième fonction sociale de la rumeur.
Si la pensée rationnelle, telle qu’elle est incarnée par la science, rejette
toutes les formes de croyances, il n’en est pas de même pour la psy-
chologie humaine. L’être humain est avant tout animé par un besoin
d’équilibre affectif qui dépasse très largement son besoin d’exactitude
dans l’interprétation de la réalité sociale. L’équilibre affectif est un
besoin fondamental qui permet de construire un rempart contre les
événements anxiogènes qui menacent les individus plus ou moins

Migrations Société
46 Dossier : Migrations, quand les préjugés s’en mêlent

directement. Or, la psychologie du contrôle montre à quel point ce qui


est inexplicable est anxiogène9. Ne pas être en mesure d’expliquer,
c’est renoncer à toute forme d’adaptation sociale et d’anticipation
possible sur les événements futurs. Cet état est donc fortement menaçant
pour l’équilibre affectif, ce qui est proprement intolérable. Alors, les
individus développent toutes sortes de stratégies destinées à rétablir
l’équilibre en trouvant des explications, coûte que coûte, même les
plus irrationnelles.
Une bonne illustration de ces stratégies concerne notre attitude face
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
à l’aléatoire. Le hasard est un concept impossible à envisager en tant
que tel quand il est en jeu dans des événements nous concernant.
Dans le jeu par exemple, on voit comment nous construisons toutes
sortes de stratégies nous persuadant que le hasard n’existe pas.
Cela passe par des numéros fétiches, des rituels, des superstitions,
des objets porte-bonheur… Concernant les rumeurs, Véronique Campion-
Vincent explique parfaitement comment la rumeur incarnée selon
certains critères par les fantasmes de complot prend forme sur l’in-
tolérable hasard10. Tout est lié et rien n’arrive jamais par hasard dans
l’esprit des gens.
Face à des choses et à des actes quasiment impossibles à expliquer
— au moins dans leur origine — tels que des épidémies subites, des
attentats, des disparitions, il nous est nécessaire de recréer de la
logique et de l’explicable. Et on voit bien comment la rumeur fait partie
de l’arsenal disponible pour rétablir ce contrôle sur les événements.
Elle apparaît comme un outil explicatif d’une réalité sociale. C’est
dans cette mesure qu’elle rassure, car elle a le mérite de proposer
une explication, si irrationnelle soit-elle. Au début de l’apparition du
virus du sida, on a vu comment toutes sortes de rumeurs ont émergé
face au vide scientifique permettant de l’expliquer de façon rationnelle.
L’absence d’explication est intolérable, au point que les croyances ap-
paraissent là où le savoir scientifique est inefficace ou inaccessible.

• Se valoriser socialement
Enfin, on peut identifier une dernière fonction sociale à l’existence
des rumeurs : la valorisation de soi. L’identité sociale se construit par
9. Cf. DUBOIS, Nicole, La psychologie du contrôle : les croyances internes et externes, Grenoble :
Presses universitaires de Grenoble, 1987, 202 p.
10. Cf. CAMPION-VINCENT, Véronique, La société parano : théories du complot, menaces et
incertitudes, Paris : Éd. Payot, 2005, 233 p.

Vol. 19, n° 109 janvier – février 2007


La fonction sociale de la rumeur 47

un jeu de comparaison avec autrui, à l’intérieur des groupes d’appar-


tenance et entre les groupes11. Connaître une rumeur, c’est être le dé-
tenteur d’une information sensationnelle que les autres ne connaissent
pas, et c’est par là une façon d’occuper une place de “prophète”
détenteur d’un certain pouvoir social.
La rapidité et l’entrain avec lesquels les rumeurs se transmettent
sont révélateurs de ce pouvoir éphémère mais tellement narcissisant
pour l’individu. Transmettre une rumeur, c’est se mettre dans une place
de domination sociale par la détention d’un savoir ignoré des autres.
© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
N’est-il en effet pas frustrant de véhiculer une rumeur déjà connue
par son interlocuteur ? Cette frustration est à la hauteur de la déception
subie en raison de l’impossibilité d’occuper cette place de “prophète”
tout puissant. C’est aussi la raison pour laquelle les démentis ne se
transmettent pas, sauf quand ils permettent eux-mêmes d’occuper
cette place de “prophète”. Quand la rumeur est “démontable” par
une démonstration scientifique simple et accessible, c’est alors le porteur
du démenti qui est valorisé par son sérieux et sa pertinence intellec-
tuelle. Mais dans le cas des rumeurs dont il est impossible de faire la
preuve de leur absurdité, le démenti ne circule pas car il ne procure
aucun pouvoir social à celui qui le transmet.

Conclusion
Les rumeurs font partie des croyances irrationnelles qui mettent en
évidence tout le paradoxe du fonctionnement psychologique des
individus et du cadre social qui structure leurs interactions. Les rumeurs
sont anxiogènes, destructrices, erronées, mais elles remplissent des
fonctions sociales et psychologiques essentielles. Elles permettent de
justifier nos croyances et de nous rassurer ainsi sur la pertinence de
nos opinions ; elles permettent de nous construire socialement dans des
groupes et de nous positionner par rapport à ce qui est différent ; elles
permettent d’exercer un contrôle illusoire sur ce qui est inexplicable,
donc menaçant ; enfin, elles permettent de nous valoriser socialement
et de jouir d’un pouvoir social valorisant. Impossible donc de ne pas
être pessimiste quant au devenir et à la robustesse des rumeurs. Elles
sont universelles et intemporelles, et elles le resteront tant elles rem-
plissent des fonctions sociales et psychologiques vitales pour les individus.

11. Cf. SCHARNITZKY, Patrick, Les pièges de la discrimination : tous acteurs, tous victimes, Paris :
Éd. L’Archipel, 2006, 232 p.

Migrations Société
48 Dossier : Migrations, quand les préjugés s’en mêlent

En ce qui concerne les préjugés, le constat n’est pas plus encou-


rageant. Certains préjugés, en raison de leurs contenus anxiogènes,
génèrent toutes sortes de rumeurs fantasmées, et les rumeurs ratio-
nalisent les préjugés et ainsi les renforcent. Quand les préjugés s’en
mêlent, les rumeurs prolifèrent.


© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)

© Centre d'Information et d'Etudes sur les Migrations Internationales | Téléchargé le 13/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.0.185.9)
UN PEU D’HISTOIRE
Le rejet de l’Autre n’est pas nouveau

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui pensent que les immigrés


européens, en particulier les Italiens et les Polonais, se sont “bien
intégrés” parce qu’ils étaient culturellement proches.
En fait, à l’époque de leur immigration, la perception était bien
différente.
Dans une thèse sur l’immigration polonaise, Janine Ponty rap-
pelle que « dans les années 1925 M. Chautemps, ministre de l’Intérieur,
avait envoyé un questionnaire aux préfets pour demander leur opinion
sur la capacité d’assimilation des Polonais ». La plupart avaient ré-
pondu que les Polonais étaient « inassimilables ». La raison in-
voquée par les représentants de l’État était que, mal à l’aise dans
les églises françaises, les Polonais avaient fait venir leurs prêtres
et voulaient avoir leurs propres églises.

Vol. 19, n° 109 janvier – février 2007

Vous aimerez peut-être aussi