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CHAPITRE 1

La monnaie
Mis à jour en mai 2022
Chapitre 1 La monnaie


L
’approche la plus classique de la des autres biens existants. Alors, l’introduc‑
monnaie consiste à la définir par ses tion de la monnaie peut se lire comme une
fonctions. La monnaie ne se résume simplification technique – c’est notamment
toutefois pas à ce qu’elle fait, elle est aussi l’approche retenue par Walras selon Arrow
une institution s’appuyant, en son centre, et Debreu dans l’exposition de sa théorie de
sur la confiance, ce qui amène à s’inter‑ l’équilibre général – rendant les différents
roger sur la nature de la monnaie (1). Elle biens aisément comparables et permettant
s’inscrit dans des formes, dont l’évolution de réduire les coûts de transaction.
historique va vers une dématérialisation
croissante (2). Enfin, sa création, qui est Au‑delà d’une simplification technique, l’in‑
endogène, repose sur un partage des rôles troduction de la monnaie résulte d’un choix
et des fonctions entre banque centrale et collectif. L’unité de compte est à cet égard
banques commerciales, selon une archi‑ l’institution à laquelle on se réfère pour
tecture hiérarchisée (3). procéder à l’échange. L’unité de compte
n’est donc pas qu’une facilité de calcul, elle
est aussi un rapport social (via l’acceptation
1. La nature de la monnaie collective).

1.1. « La monnaie est ce qu’elle fait » : La fonction de la monnaie n’est cependant


l’approche instrumentale de pas seulement de mesurer : elle permet
la monnaie par ses fonctions aussi d’acquérir n’importe quel bien ou
service dans une économie. Elle constitue
Les approches économiques de la monnaie ainsi un intermédiaire des échanges ;
l’appréhendent principalement de manière c’est la deuxième fonction qui lui est
instrumentale, par les services qu’elle rend – traditionnellement assignée. Là encore,
selon la maxime de Francis Walker, « Money l’utilité de la fonction est souvent (chez
is what money does ». Plus précisément, Adam Smith, par exemple) décrite en
la monnaie est souvent considérée comme opposition à une économie de troc, où un
une réponse aux frictions de l’échange qui agent disposé à échanger un bien contre un
existeraient en son absence, c’est‑à‑dire autre ne trouvera pas nécessairement une
dans une économie non monétaire. Si l’in‑ contrepartie détenant le bien qu’il désire et
tuition d’une telle approche est ancienne disposée à accepter le sien en échange.
– la définition de la monnaie par ses L’usage d’une « monnaie d’échange »
fonctions se retrouve ainsi par exemple chez permet de régler ce problème classique
Aristote – elle n’a jamais cessé d’interroger de double coïncidence des besoins, qui
(les économistes, mais pas seulement) : peut limiter les possibilités d’échange. Selon
les problèmes que la notion de monnaie la formule d’Irving Fisher, « Tout droit de
soulève sont parfaitement actuels et conti‑ propriété susceptible d’être généralement
nuent à faire l’objet d’un foisonnement de accepté dans l’échange peut être appelé
travaux de recherche. monnaie ». Pour les économistes clas‑
siques, cette fonction est première, et, dans
La première fonction traditionnellement le cadre d’une hiérarchie des fonctions de la
assignée à la monnaie est celle d’unité monnaie, la fonction d’unité de compte ne
de compte. La monnaie permet en effet fait qu’en découler. Dans le courant néoclas‑
d’évaluer et de comparer la valeur de biens sique, l’émergence de la monnaie depuis
hétérogènes, en les ramenant à un étalon une économie de troc est notamment
unique instituant une équivalence générale décrite dans les travaux de Menger, selon
entre les prix des biens échangés. L’utilité lequel un bien s’impose comme monnaie
d’une telle fonction s’appréhende classique‑ à la suite d’un processus de sélection de
ment en opposition à une économie non l’instrument le plus commode d’échange.
monétaire de troc, où chaque bien aurait Ce bien peut s’imposer d’une part, du fait
un prix relatif exprimé par rapport à chacun de caractéristiques propres d’un « bon »

6 – Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale


La monnaie Chapitre 1


intermédiaire des échanges 1, et d’autre généralement en commun de qualifier les


part du fait d’effets de réseau liés à son propriétés de la monnaie par différence avec
acceptabilité 2. Le choix par une commu‑ des économies non monétaires théoriques,
nauté d’utilisateurs d’utiliser une forme le troc notamment, où sont caractérisés
de monnaie plutôt qu’une autre résulte l’économie et l’équilibre en l’absence de
ainsi partiellement de comportements monnaie. Or la monnaie ne se résume
1 Au vu notamment de
auto‑réalisateurs. pas à ses fonctions, et son étude peut critères de disponibilités,
être complétée par d’autres approches 4 de standardisation, de
facilité de transport, de
La troisième fonction traditionnelle‑ complémentaires, qui suggèrent que le troc divisibilité. Toutefois, ces
critères renvoient plutôt
ment assignée à la monnaie est celle n’a existé que dans des cas très particu‑ à des biens matériels, et
de réserve de valeur : la monnaie permet liers, que la forme alternative à la monnaie sont moins pertinents
dans un contexte où
de différer, dans le temps, l’utilisation de dans les sociétés dites « sans monnaie » l’essentiel de la monnaie
son pouvoir d’achat. Cette fonction n’a pas reposait sur une organisation des échanges en circulation prend une
forme dématérialisée.
toujours fait historiquement consensus par des formes de contrats de dette, et que
2 Plus nombreux sont
chez les économistes. Elle est en particu‑ l’utilisation de la monnaie comme mesure les agents utilisant le
lier absente de l’analyse des économistes de valeur ne découle pas naturellement bien comme moyen
d’échange, plus le bien
classiques (pour lesquels utiliser la monnaie de la recherche d’un palliatif aux frictions est à même de remplir
sa fonction de moyen
comme réserve de valeur signifie détenir de l’échange. d’échange auprès d’un
une encaisse oisive ce qui est contraire au large réseau de contre‑
parties, et plus les
bon sens – il n’y a pas de thésaurisation). La validité historique du troc comme agents sont en consé‑
En outre, comme le souligne John Hicks, forme d’échange précédant la monnaie quence incités à l’utiliser
comme tel.
l’utilisation de la monnaie comme réserve dans des sociétés « primitives » est ainsi
3 Pour qui la monnaie est
de valeur est discutable si d’autres actifs fortement contestée. En effet, de nombreux plus qu’un simple instru‑
ment et qui ne partage
existent qui la dominent en termes de travaux soulignent que la forme dominante donc pas cette approche
rendement (immobilier par exemple) – la d’échange dans les sociétés dites « primi‑ instrumentale.
monnaie n’étant pas rémunérée. Ce rôle tives » n’est pas assimilable à une forme 4 Qui s’appuient notam‑
ment sur des matériaux
est au contraire pour d’autres absolu‑ d’échange marchand « sans monnaie » 5, historiques et anthropo‑
ment central. C’est en particulier le cas à l’instar du troc tel qu’appréhendé dans logiques. En économie,
on pourra notamment
de Keynes 3, selon qui « l’importance de la théorie instrumentale de la monnaie 6. penser aux travaux
la monnaie découle essentiellement du fait Dans ces sociétés, il s’agit d’abord de de Heinsohn et Steiger
dans les années 1980,
qu’elle constitue un lien entre le présent et résoudre des problématiques de lien social, ou par la suite de
Larry Randall Wray – se
l’avenir ». Keynes appuie ainsi une partie de redistribution ou de réciprocité. référer par exemple
de son analyse d’une économie monétaire à Introduction to an
Alternative History of
sur le fait que les agents peuvent souhaiter La monnaie peut aussi être considérée Money, L. R. Wray,
conserver de la monnaie pour motif de comme résultant d’abord d’actes souve‑ Levy Economics
Institute Working Paper,
précaution (se prémunir contre les aléas rains, ce qui désigne le cours légal 2012 –, ou encore de
David Andolfatto.
du futur) et motif de spéculation (attente (cf. encadré 1), mais pas uniquement.
que se présentent d’autres opportunités de L’économiste Georg Friedrich Knapp 5 Qui servirait à parvenir
à des allocations de
placement). Par rapport aux autres actifs considère comme monnaie toute chose que ressources mutuelle‑
ment bénéfiques pour les
susceptibles d’être détenus à concurrence l’État décide d’accepter comme paiement participants à l’échange.
comme réserve de valeur, Keynes met en des impôts, qu’elle ait un cours légal ou non. 6  P a r exemple,
avant la liquidité de la monnaie, disponible Dans son analyse, la monnaie n’apparaît pas Marcel Mauss souligne
dans son Essai sur le
dans les échanges de manière immédiate tant comme moyen permettant de réduire don, 1923, que la forme
et sans risque. les frictions de l’échange et émergeant hors dominante d’échange
dans nombre de sociétés
de toute inter­vention politique hiérarchique, primitives n’est pas
1.2. La monnaie est plus que ce qu’elle que comme unité de compte dans laquelle le troc, mais le don.
Bronislaw Malinowski
fait : la monnaie comme institution les dettes envers le « palais » (obligations dans Les Argonautes
du Pacifique Occidental,
et le rôle de la confiance fiscales) sont mesurées. En l’acceptant 1922, s’attache à décrire
en paiement de ses créances, l’État la circulation, dans les
îles Trobriand, d’objets
Au‑delà de leur diversité, les différentes pose les conditions de la demande de ce ne revêtant aucune utilité
approches consistant à appréhender la qu’il considère comme une monnaie et pratique et qu’il explique
par un objectif unique de
monnaie via le prisme de ses fonctions ont qui peut par la suite être utilisé dans le tisser des relations.

Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale – 7


Chapitre 1 La monnaie


cadre de trans­actions contra­ctées dans la S’assurer de la présence des condi‑


sphère privée des agents. Selon la formule tions fondamentales de la confiance du
de Keynes, l’État écrit et impose en même public dans la monnaie constitue par
temps le dictionnaire. Le rôle de l’État ailleurs la mission fondamentale de la
dans l’acceptation de la monnaie comme banque centrale, qui se décline dans
référent commun dans les échanges est l’ensemble de ses activités. Elle s’illustre
ainsi central. ainsi avec l’ambition de la banque centrale
de proposer des technologies d’émission
Comme le démontre la simple existence des billets les plus sécurisées possibles,
de crises monétaires, l’État n’a pour autant afin d’empêcher la contrefaçon. Elle se
pas de contrôle absolu sur les pratiques manifeste aussi, dans le cas particulier de
monétaires et il ne suffit pas qu’il décrète la Banque de France (en tant que membre
qu’un instrument est monnaie pour de l’Eurosystème), par les missions qui
qu’une acceptation unanime s’ensuive lui sont conférées par le Code monétaire
nécessairement. Par exemple, en France, et financier 9 de veiller, d’une part, à la
l’épisode de l’émission disproportionnée sécurité des moyens de paiement scriptu‑
entre 1789 et 1796 de plusieurs milliards raux et, d’autre part, au bon fonctionnement
d’assignats gagés sur les biens confisqués des systèmes de paiement. Elle explique
au clergé 7 s’est soldé par un échec, malgré encore les exigences réglementaires s’ap‑
la déclaration de leur cours forcé en 1790 pliquant aux activités des établissements
et la sanction de peine de mort en cas de de crédit, qui sont à la source de l’essentiel
non‑acceptation adjointe à ce cours forcé de la création monétaire (cf. section 3 du
dès 1793. La valeur des assignats durant présent chapitre). Elle se matérialise enfin
la période s’est continûment dépréciée par l’objectif de stabilité des prix assigné
par rapport à la monnaie métallique, et, à la politique monétaire de l’Eurosystème,
démonétisé par un refus général avant qui permet à l’euro de maintenir dans le
de l’être par la loi en 1796, l’assignat a temps son pouvoir d’achat (et d’être ainsi
contribué au discrédit du régime politique une réserve de valeur stable).
révolutionnaire. Ainsi, si l’État peut
contribuer à ancrer l’acceptation d’un
instrument comme monnaie, un doute 2. Les formes de la monnaie
sur la qualité des actifs qui garanti­ssent
cette monnaie et justifient sa valeur peut 2.1. De la monnaie marchandise
conduire au rejet d’une monnaie en faveur à la monnaie métallique
d’autres modes de conservation du pouvoir
d’achat jugés plus sûrs. Dès lors, la notion De l’Anti­quité jusqu’au xix e siècle, certaines
de confiance apparaît comme centrale dans régions du monde ont utilisé des monnaies
le cas de la monnaie : pour tout citoyen, marchandises pour leurs échanges
cette confiance dépendra bien sûr de sa – c’est‑à‑dire que l’instrument support de
perception de la santé économique du pays, la monnaie peut être désiré pour lui‑même, 7 En 1796, le montant
total des assignats en
mais elle concerne aussi la qualité du réseau et remplit des besoins non liés à l’échange circulation est d’en‑
monétaire 8 et des garanties qu’il offre. (coquillages, bétail, blé, thé, fèves, etc.). viron 45 milliards de
livres, contre une esti‑
Ces garanties se traduisent par exemple, Au fil du temps, ces formes de monnaie mation des biens du
dans le cas d’une monnaie de banque ont évolué vers la monnaie métallique, clergé comprise entre 2
et 3 milliards.
centrale comme l’euro, par le cours légal et celle‑ci tirant sa valeur du métal qu’elle
l’octroi d’une créance sur la banque centrale contenait (or, argent). Les métaux utilisés 8 Compris comme l’en‑
semble des parties
dont bénéficient les pièces et les billets présentaient généralement la caractéris‑ prenantes et institutions
(cf. encadré 1) et dans le cas de la monnaie tique d’être fongibles, d’avoir une forte impliquées dans l’émis‑
sion et la circulation de
de banque commerciale, par l’attention valeur marchande, d’être divisibles et d’être la monnaie.
portée par les régulateurs à la qualité du bilan rares. La monnaie métallique s’est histo‑
9 Pour plus d’informations :
et de la gouvernance des établissements riquement échangée sous forme pesée https://www.banque-
émetteurs de monnaie commerciale. (par exemple en Égypte, deux mille ans france.fr/

8 – Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale


La monnaie Chapitre 1


avant notre ère), comptée (vers 800 avant intrinsèque de son support. Par ailleurs,
Jésus‑Christ, les lingots furent divisés en alors que les billets étaient initialement
pièces, invention qui se généralisa sous adossés à un sous‑jacent disposant
l’Anti­quité, en Grèce puis à Rome d’une part, d’une valeur intrinsèque, ils s’en sont
ainsi qu’en Chine, en Inde et dans le monde progressivement détachés. En effet, les
islamique d’autre part) ou frappée (la frappe premiers billets prennent la forme de
indiquant le poids de la pièce ; les premières « certificats de dépôt » échangeables
pièces modernes remontent au vie siècle contre des métaux précieux laissés en
avant Jésus‑Christ en Lydie 10 d’abord, puis dépôt dans les coffres des banques, puis
en Grèce). Petit à petit, le caractère précieux contre de la monnaie divisionnaire. On
du métal s’est détaché du numéraire apposé fait remonter leur apparition au x e siècle
par frappe sur la pièce. Néanmoins, au en Chine, et aux xvie‑xviie siècles en Europe
cours du x ix e siècle, de la fin des guerres où ils étaient notamment utilisés par les
napoléoniennes au déclenchement de la marchands de Venise ou d’Amsterdam.
Première Guerre mondiale, le monde a vécu Dans ces cas, la valeur de l’instrument
sous le régime de l’étalon‑or, dans lequel n’est pas intrinsèque, mais dépend de la
les monnaies nationales étaient définies par crédibilité de la promesse de conversion
leur poids en or (et/ou en argent). En France, de l’émetteur 12. Petit à petit toutefois, le
la dernière référence à l’or remonte au franc volume des billets est devenu supérieur
« Poincaré » en 1926. Mais l’émission à l’encaisse métallique des banques, qui
excessive de monnaie destinée à financer comptaient que l’ensemble des porteurs
l’effort de guerre en 1914‑1918 ainsi que n’en demanderaient pas la conversion en
la crise de 1929 et ses suites ont contra­int même temps et les ont donc émis en
l’ensemble des pays à abandonner toute partie « à découvert », endossant ainsi
convertibilité effective des billets en or. L’or a un risque de faillite. En France, la Banque
continué toutefois, dans le cadre du régime de France a reçu en 1848 le mono­pole de
de l’étalon de change or (ou gold exchange leur émission. Ainsi, le billet constitue,
standard) 11 institué par les accords de à l’instar de la monnaie divisionnaire,
Bretton Woods de 1944, à jouer un rôle la seconde forme de monnaie fiduciaire
sur le plan inter­national jusqu’en 1976, (il représente aujourd’hui environ 12 % du
date de sa démonétisation complète. stock de monnaie circulant dans l’économie
Seuls figurent maintenant sur les pièces française) : la monnaie papier représente
la valeur en unité de compte, et le sceau de une reconnaissance de dette de la banque
l’émetteur ; on parle alors de monnaie divi‑ centrale (et figure à ce titre au passif du
sionnaire. Cette forme de monnaie constitue bilan de cette dernière).
la première forme de monnaie fiduciaire
(du latin fiducia signifiant confiance), dont 2.3. Le rôle grandissant
la valeur faciale est parfaitement distincte de la monnaie scripturale 10 Les Lydiens étaient un
de la valeur intrinsèque (la valeur du poids peuple indo‑européen
de métal). La monnaie divisionnaire repré‑ La monnaie scripturale est ainsi nommée qui occupait le centre
de la Turquie actuelle.
sente aujourd’hui environ 1 % du stock de car elle se matérialise par une inscrip‑
11 Dans ce système moné‑
monnaie circulant dans l’économie française tion en compte dans le livre de l’entité taire, l’or sert d’étalon de
(M1, cf. section 2.4). émettrice, inscription qui constitue référence pour établir les
une reconnaissance de dette de taux de change entre
les principales devises.
2.2. Le développement l’entité émettrice. Ainsi, le stock d’or des
de la monnaie papier pays évalués permet de
déterminer les cours des
Son apparition est antérieure à celle des parités de devises.
La monnaie papier constitue une étape pièces et des billets de banque : on en
12 
C ’est‑à‑dire, dans ce
importante dans le processus de déma‑ retrouve ainsi des traces dès 1800 avant contexte, de la confiance
térialisation des instruments monétaires, notre ère, sur des tablettes en Mésopotamie. du porteur dans la qualité
et la quantité de métaux
puisque sa valeur faciale est dès le Les Grecs et les Romains connaissaient déjà précieux que l’émetteur
départ totalement dissociée de la valeur les virements entre comptes, de même que conserve dans ses coffres.

Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale – 9


Chapitre 1 La monnaie


Encadré n° 1 : La notion de cours légal

La monnaie fiduciaire se compose des billets et des pièces. En général, les billets sont émis par la banque
centrale, tandis que les pièces sont émises par leTrésor (elles sont ensuite physiquement mises en circulation
par la banque centrale).

La monnaie fiduciaire bénéficie en outre souvent (et c’est le cas en France) d’un cours légal.

La notion juridique de cours légal désigne le fait que, sur le territoire où celui‑ci s’applique, personne ne
peut refuser de recevoir en règlement d’une dette libellée dans une unité monétaire donnée, un moyen de
paiement bénéficiant du cours légal. Elle permet aux auto­rités publiques d’imposer le pouvoir libératoire 1
de ces moyens de paiement.
La notion de cours légal est ainsi différente de celle de cours forcé (inconvertibilité dans l’actif sous‑jacent
lorsque la monnaie était définie par un poids de métal), mais on peut considérer qu’elle en constitue un
corollaire, le cours légal visant, une fois l’inconvertibilité d’un instrument prononcée, à protéger ses porteurs
de sorte qu’ils ne puissent se le voir refuser en paiement (condition fondamentale de son acceptabilité).
La notion de cours légal n’est toutefois pas appréhendée de la même manière dans toutes les juridictions et
dans tous les contextes 2. Dans l’Eurosystème, les textes 3 indiquent que « l’Union établit une union écono-
mique et monétaire dont la monnaie est l’euro », et que « les billets de banque émis par la BCE et les banques
centrales nationales sont les seuls à avoir cours légal dans la Communauté ». Pour préciser cette notion, la
Commission européenne a adopté le 22 mars 2010 une recommandation sur l’étendue et les effets du cours
légal des billets et des pièces en euros. Les différents États membres ne donnent toutefois pas tous la même
force juridique à la notion de cours légal.
En droit français, l’article 1343‑3 nouveau du Code civil dispose que « le paiement en France d’une obligation
de somme d’argent s’effectue en euros » et l’article R. 642‑3 du Code pénal français sanctionne le refus d’ac‑
cepter en paiement les billets et les pièces ayant cours légal : le cours légal s’applique bien alors au support de
l’unité de compte. Par ailleurs, l’article 442‑4 du Code pénal rend passible de cinq ans de prison et 75 000 euros
d’amende « la mise en circulation de tout signe monétaire non auto­risé ayant pour objet de remplacer les
pièces de monnaie ou les billets de banque ayant cours légal en France ». On notera aussi que, en France, la
force du cours légal est atténuée par des dispositions obligeant un créancier à effectuer, au‑delà d’un certain
montant, ses paiements par voie scripturale. Par ailleurs, l’obligation faite au créancier d’accepter de recevoir
en paiement une forme monétaire ayant cours légal ne lui inter­dit pas d’exiger du débiteur de faire l’appoint.

1 Il s’agit du pouvoir donné à un moyen de paiement qui permet à tout débiteur de s’acquitter d’une dette en utilisant ce moyen de paiement. Le débiteur
est libéré de son obligation de paiement envers le créancier dès lors que la somme de monnaie convenue a été transférée à ce dernier.

2 Pour un aperçu plus général des divergences d’approche, le sujet est traité en annexe du rapport du CPSS, The role of central bank money in payment
systems, août 2003 : https://www.bis.org/cpmi/publ/d55.pdf

3 Article 3.4. du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, transposé en France à l’article L. 111‑1 du Code monétaire et financier.

les Arabes qui les utilisaient au ix e siècle. ces techniques va donner naissance à
Ces virements connaissent un dévelop‑ des systèmes de compensation dans
pement croissant à partir du x ii‑x ive siècle, lesquels des inter­médiaires spécialisés – les
dans des foires marchandes d’Europe où banquiers – vont s’inter­poser pour centra‑
les trans­actions pouvaient s’effectuer via liser les lettres de change, évaluer la qualité
des lettres de change (reconnaissances de celles‑ci, et effectuer les opérations
de dette entre négociants, ancêtre du de change lorsque celles‑ci sont libellées
chèque bancaire). La généralisation de dans des monnaies différentes. Se mettent

10 – Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale


La monnaie Chapitre 1


ainsi en place les premiers systèmes de moyens de paiement avec un faible risque
paiement centralisés qui préfigurent les de perte en capital.
systèmes de paiement modernes.
Il distingue en particulier trois grands
Ce n’est qu’à une période plus récente, agrégats statistiques imbriqués, du plus
avec l’apparition, à partir du Moyen‑Âge, liquide au moins liquide, et mettant en
13 C ar créée dans une
du recours à l’escompte (opération de relation un secteur dit « émetteur de large mesure à partir
crédit par laquelle une banque consent monnaie », le secteur des institutions finan‑ des opérations de
une avance à son client, égale au prix de cières monétaires 15, et les autres secteurs crédit consenties par les
banques commerciales.
marchandises représentées par des effets de l’économie : Ce point est détaillé dans
de commerce que le client endosse au la partie 3.1.
profit de la banque) que s’est effectuée la (1) M1, le plus liquide, qui comprend les 14 En règle générale, ce sont
diffusion de la monnaie scripturale dans le pièces et les billets en circulation ainsi seulement les billets
qui figurent au passif
public, avec une circulation sous la forme de que les dépôts à vue : c’est la masse de la banque centrale
virements de compte à compte. Aujourd’hui, monétaire au sens étroit, et qui corres‑ et non les pièces (qui
sont émises par le
la monnaie scripturale comprend les avoirs pond à la vision intuitive de la monnaie ; Trésor public, même si
en compte de la clientèle auprès des elles sont ensuite physi‑
banques et des émetteurs de monnaie (2) M2, qui contient l’agrégat M1, ainsi quement mises en
circulation par la banque
électronique (cf. section 2.5), ainsi que les que les dépôts assortis d’un préavis centrale). Une exception
avoirs des banques commerciales auprès de de remboursement inférieur ou égal à notable est celle du Franc
Pacifique (CFP) : les billets
la banque centrale (réserves). Le chapitre 2 trois mois et les dépôts à terme d’une mais aussi les pièces
de cet ouvrage est plus spécifiquement durée inférieure ou égale à deux ans ; en CFP sont en effet
dédié aux modalités de circulation de la émis par l’Institut d’émis‑
sion d’outre‑mer (IEOM)
monnaie scripturale. (3) M 3, qui contient M2 ainsi que les et figurent ensemble
instruments négociables sur le marché au passif du bilan de
celui‑ci (poste « billets et
2.4. Approches comptable monétaire émis par les institutions finan‑ pièces en francs CFP en
et statistique cières monétaires, et qui représente des circulation »).
avoirs dont le degré de liquidité est élevé 15 Q ui comprennent les
Si la monnaie scripturale est parfois qualifiée avec peu de risque de perte de capital en établissements de crédit
résidents tels que définis
de monnaie de crédit 13, d’un point de cas de liquidation (par exemple : OPC 16 par la législation euro‑
vue comptable ce n’est pas seulement la monétaires, certificats de dépôt) : c’est péenne et toutes les
institutions financières
monnaie scripturale, mais bien l’ensemble la masse monétaire au sens le plus large. résidentes dont l’activité
de la monnaie sous toutes ses formes est de recevoir des dépôts
actuelles qui prend, toujours, la forme En d’autres termes, M1 correspond et/ou de proches substi‑
tuts des dépôts d’entités
d’une créance sur son émetteur, ou à la monnaie telle que définie jusqu’à autres que les IFM et
d’une dette du point de vue de celui‑ci : une présent dans ce chapitre à l’aide de qui, pour leur propre
compte, consentent
créance sur la banque centrale 14 inscrite au ses trois fonctions. Les éléments addi‑ des crédits et/ou effec‑
passif de celle‑ci, pour la monnaie fiduciaire tionnels dans M2 et M3 ne servent tuent des placements
ou pour les réserves des banques, et une pas quant à eux d’intermédiaires dans en valeurs mobilières.

créance sur les banques commerciales, les échanges ; ils ne sont pas de la 16 Organisme qui emploie
les fonds de ses clients
pour la monnaie scripturale commerciale. monnaie mais de la « quasi‑monnaie » : à des placements à court
Cette dette a la particularité, par rapport à ces agrégats sont calculés comme terme. Les Sicav (sociétés
d’autres formes de dette, de circuler dans outils d’analyse dans le cadre de la d’investissement à capital
variable) constituent avec
l’économie et d’être acceptée comme politique monétaire. les FCP (fonds communs
moyen de paiement. de placement) les orga‑
nismes de placement
Par ailleurs, on distingue parfois collectif en valeurs mobi‑
En termes statistiques, l’Eurosystème également l’agrégat M0, aussi appelé lières (OPC). Les titres
appréhende la monnaie via une batterie « base monétaire », qui représente d’OPC monétaires
peuvent être instanta‑
d’indicateurs qui regroupent tous les actifs les pièces et billets en circulation ainsi nément rachetés sans
permettant des achats de biens et services que les avoirs en monnaie scriptu‑ risque important de perte
en capital, ce qui les rend
ou le règlement d’une dette sur un terri‑ rale détenus auprès de la banque proches des placements
toire donné, ou facilement convertibles en centrale. L’agrégat M0 permet de liquides tels que les livrets.

Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale – 11


Chapitre 1 La monnaie


La base monétaire et les instruments constituant les agrégats monétaires

M3 M2 M1 M0
« base monétaire »
Dépôts à terme
Instruments < 2 ans Avoirs en
Dépôts à vue
négociables sur Pièces et billets monnaie
auprès des
le marché monétaire en circulation scripturale de
Dépôts avec banques
émis par les IFM banque centrale
préavis ≤ 3 mois

mettre en lumière le rôle de la banque contre remise de fonds 18, et être acceptée
centrale dans le processus de création pour une opération de paiement par une
monétaire, mais il n’est pas considéré personne morale ou physique autre que
comme faisant intégralement partie de la l’émetteur. Un détenteur de monnaie élec‑
masse monétaire (au sens des conven‑ tronique doit donc préalablement créditer
tions statistiques) car une partie de ses un compte, généralement tenu par une
composants (les réserves des banques) banque, afin d’obtenir en échange de la
ne circule pas entre l’ensemble des monnaie électronique émise le plus souvent
agents économiques, mais seulement par un établissement de monnaie électro‑
entre les banques. nique, parfois par une banque.

Les placements à long terme (plans Conçue à l’origine pour définir les unités
d’épargne logement, placements en obli‑ monétaires stockées sur des supports
gations) et les placements plus risqués physiques, de type carte prépayée, le
sont en revanche exclus de la définition de concept de monnaie électronique a ensuite
la masse monétaire. été étendu à la tenue de compte en ligne
fonctionnant sur le même principe de
2.5. La monnaie électronique : pré‑alimentation. Dans un cas comme dans
une forme spécifique de monnaie l’autre, la vocation des services de monnaie 17 
E n transposition en
dédiée aux trans­actions électronique est avant tout trans­actionnelle : droit français de la
deuxième directive euro‑
péenne sur la monnaie
Aux termes de l’article L. 315‑1 du Code • les cartes prépayées servent ainsi électronique (DME2).
monétaire et financier 17, la monnaie élec‑ comme moyen de paiement alternatif 18 De ce fait, il ne peut y
tronique est définie comme « une valeur aux cartes de paiement classique, avoir de création auto‑
monétaire qui présente la spécificité au chèque ou aux espèces pour le nome et spontanée
d’une sphère monétaire
d’être stockée sous forme électronique, règlement des trans­actions au point de monnaie électro‑
et qui représente une créance sur son de vente, et s’appuient sur certains cas nique, l’émission étant
systématique adossée
émetteur ». Elle doit en outre respecter d’usage spécifiques, tels que les cartes à la remise de fonds en
une série de conditions, à savoir être émise cadeaux par exemple ; monnaie officielle.

12 – Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale


La monnaie Chapitre 1


• sous forme de compte en ligne, la juridique de la monnaie locale, ainsi que


monnaie électronique permet un sur le régime d’agrément par l’ACPR et
paiement direct entre clients d’un même de surveillance par la Banque de France
émetteur, sans avoir à recourir aux (cf. chapitre 3) des entreprises émettrices.
moyens de paiement inter­bancaires clas‑ Ce ne sont pas des monnaies ayant cours
siques (carte, virement, prélèvement, légal et elles peuvent ainsi être refusées
chèque), ce qui se traduit généralement en paiement, y compris dans leur zone
par des paiements crédités quasi immé‑ géographique d’émission. Toutefois, dans
diatement sur le compte du bénéficiaire la mesure où les monnaies locales complé‑
et une facturation unique par l’émet‑ mentaires présentent la caractéristique
teur. En outre, le caractère prépayé du d’être à la fois reconnues par le Code
compte constitue une mesure efficace monétaire et financier et émises selon une
contre la fraude, le compte de monnaie stricte parité avec l’euro par des entreprises
électronique ne pouvant pas être mis à spécifiques et contrôlées, elles peuvent
découvert en cas d’usurpation de l’iden‑ être considérées comme des moyens de
tité du payeur par un fraudeur. Du fait de paiement au sens légal, dès lors qu’elles
ces caractéristiques, la monnaie électro‑ respectent certaines spécificités selon les
nique sous cette forme a rencontré un supports sur lesquels elles sont émises 19.
certain succès avec l’essor des trans­ Si les titres de monnaie locale complémen‑
actions entre particuliers sur inter­net, taire ne respectent pas ces spécificités,
comme en témoigne le rôle central joué ils ne sont plus considérés comme des
par PayPal dans les échanges de ce type. moyens de paiement et tombent hors du
champ de la réglementation.
2.6. Les monnaies
locales complémentaires En France, plus de quatre‑vingt projets
de monnaies locales complémentaires
Introduites dans le Code monétaire existent ou ont été lancés. Ces systèmes
et financier par la loi n° 2014‑856 s’inspirent d’initiatives étrangères de longue
du 31 juillet 2014, les monnaies locales date, telles que les « Local Exchange Trading
complémentaires peuvent être définies Systems » (LETS) canadiens – qui existent
comme des monnaies non officielles, depuis le début des années 1980 et encou‑
dont l’utilisation est restreinte à une zone ragent l’échange ou le commerce régional
géographique limitée, et créées dans le fondé sur l’utilisation d’une monnaie
but de servir d’instruments d’échange de locale complémentaire – ou encore le Wir
complément à la monnaie ayant cours légal. en Suisse, monnaie complémentaire gérée
L’émission de ces monnaies s’inscrit souvent par la banque WIR depuis 1934, dont le but
dans un projet politique ou associatif visant est de faciliter l’entraide et, éventuellement,
à favoriser l’inclusion sociale et le dévelop‑ les prêts entre les sociétés coopératrices
pement local ; ainsi, conformément au titre du réseau (près de 60 000 aujourd’hui).
de l’article L. 311‑5 du Code monétaire et
financier, ces monnaies ne peuvent être 2.7. Les crypto‑actifs, ces prétendues
émises que par des entreprises respec‑ monnaies qui n’en sont pas
tant les principes de l’économie sociale
et solidaire. La première génération de crypto‑actifs

Le statut de ces monnaies locales est Les crypto‑actifs sont nés à la fin de
néanmoins complexe, et varie selon le la décennie 2000 dans le sillage du
support utilisé pour leur émission, qui peut développement du réseau internet et
19 Cf. Les monnaies locales,
prendre trois formes : celle de titre‑papier, du perfectionnement des techniques La revue de l’Autorité
de monnaie scripturale ou de monnaie de cryptographie. Le premier bloc du de contrôle prudentiel
et de résolution, n° 14,
électronique. La nature du support a des crypto‑actif le plus emblématique, le bitcoin, septembre‑octobre
conséquences directes sur la qualification a ainsi été créé en janvier 2009. Cette 2013, p. 14‑15.

Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale – 13


Chapitre 1 La monnaie


Encadré n° 2 : De l’inefficacité des régimes monétaires métalliques


à l’inefficacité du bitcoin comme régime monétaire

L’avantage principal avancé par certains pour défendre les monnaies assises sur des métaux précieux
comme l’or consiste à souligner qu’ainsi la politique monétaire serait totalement déterminée par le
stock existant de métal détenu par la banque centrale ; la masse monétaire étant limitée par son offre
« naturelle », il serait ainsi peu probable que les pouvoirs publics puissent créer de l’inflation à une
échelle significative, par exemple pour dévaloriser la dette publique. La relation instaurée entre la
quantité de métal détenue et l’émission permettrait de protéger la monnaie de l’arbitraire de l’autorité
chargée de l’administrer. Toutefois, dans les régimes de type étalon‑or, la relation entre les quantités
de métaux précieux et la quantité de monnaie émise n’est, en réalité, pas garantie, dans la mesure où
l’émetteur peut revenir sur son engagement, comme l’a notamment illustré la dévaluation Poincaré.

Une partie de la rhétorique de promotion des crypto‑actifs comme le bitcoin ramène aux régimes
monétaires métalliques et la référence aux métaux précieux et à l’or est omniprésente dans le discours
des communautés d’utilisateurs de crypto‑actifs. Ce discours met en avant la rareté programmée du
nombre d’unités en circulation (21 millions à terme pour ce qui concerne le bitcoin) : le bitcoin est
ainsi présenté par ses promoteurs comme une forme d’« or digital », qu’il s’agit de « miner » jusqu’à
épuisement de la ressource.

Ce type d’argument méconnaît en premier lieu le coût de tels mécanismes en termes de stabilité
économique 1. En effet, les arrangements des régimes monétaires métalliques ont pu pâtir du fait
que l’évolution du stock d’or, et donc de l’offre de monnaie, dépend des aléas des découvertes de
minerai (chocs exogènes et aléatoires affectant l’offre de monnaie), et non de l’activité économique
et du volume des transactions. De manière générale, dans ce type de régimes, l’offre de monnaie
est inélastique. Cette pratique est à l’inverse des politiques monétaires actuelles dans les grandes
économies développées, qui laissent au contraire varier la quantité de monnaie offerte pour assurer
la stabilité des prix. Par ailleurs, la période de l’étalon or s’est accompagnée d’une grande variabilité
de la production : dans le cadre contraignant posé par ce type de régime, l’offre de monnaie dans
une économie étant déterminée par le solde des échanges de métaux mis en circulations, les ajus‑
tements macroéconomiques doivent se faire partiellement par les variations de prix et de salaires,
durant généralement un laps de temps long, et par des modifications de taux d’intérêt permettant
d’attirer des capitaux étrangers.

De façon encore plus claire que dans le cas des régimes monétaires métalliques, le bitcoin ne possède
aucune caractéristique d’absorption de chocs et rien ne garantit que son rythme d’émission accom‑
pagne l’activité économique, dans la mesure où il ne repose sur aucun sous‑jacent économique réel
et où, n’étant pas utilisé dans les échanges de biens et services, il en est complètement décorrélé.
Si l’on considère que l’efficacité d’un système monétaire est subordonnée à sa capacité à contribuer
à la stabilité économique, le système proposé par les promoteurs du bitcoin n’est pas efficace.
1 Pour plus de détails, se référer au Focus Banque de France « Qu’est‑ce que l’étalon‑or ? », n° 5, publié en 2010.

« première génération » de crypto‑actifs dont la blockchain). À l’inverse des autres


est constituée d’actifs numériques émis actifs financiers, ils ne représentent pas
de façon algorithmique au sein d’un obligatoirement une créance financière à
réseau décentralisé d’acteurs, sur la base l’égard d’une quelconque entité. Ils sont
des technologies du registre distribué originellement issus de la volonté de créer
(distributed ledger technologies – DLT, un moyen de paiement désintermédié,

14 – Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale


La monnaie Chapitre 1


sans émetteur et circulant sur des succédés, tout en mutant : dix ans après
infrastructures de règlement décentralisées, le premier bitcoin, les « crypto‑actifs de
souhaitant échapper au contrôle des deuxième génération », dits stablecoins,
banques, des États et des banques centrales. sont apparus pour remédier à la grande
La capitalisation de marché des crypto‑actifs limite des crypto‑actifs de la première
a atteint de l’ordre de 2 000 milliards génération, leur volatilité, et répondre à
d’euros en janvier 2022 20 . Malgré la de nouveaux usages : disposer d’un actif
multitude de crypto‑actifs – 16 921 crypto‑ stable à des fins de règlement entre acteurs
actifs répertoriés en janvier 2022 –, ce financiers ou à des fins de paiement.
marché reste dominé par le bitcoin, qui
concentre environ 40 % de ces crypto‑actifs Les stablecoins ou crypto‑actifs
en termes de capitalisation. de deuxième génération 22

Plus de dix ans après l’introduction du premier Les stablecoins se caractérisent par la quête
des crypto‑actifs, leur prétention initiale de d’une valorisation stable, afin de pouvoir
constituer une alternative aux monnaies offrir des fonctions de paiement visant à
légales, prétention à laquelle les banquiers rendre plus simples, rapides, accessibles et
centraux n’avaient jamais accordé foi, ne s’est moins onéreux les paiements tant domes‑
pas réalisée : leur empreinte dans l’écosys‑ tiques que transfrontières. Plusieurs critères
tème des paiements est restée marginale. peuvent être pris en compte pour catégoriser
les différentes initiatives : le type d’actifs
Les banques centrales ne considèrent pas qui constitue le fonds de réserve (pour les
les crypto‑actifs comme des formes de stablecoins assurant leur stabilité par ce
monnaie mais comme des actifs spécu‑ biais), le type de droit offert par l’émetteur
latifs 21. En effet le bitcoin et les autres et l’existence ou non d’un émetteur.
crypto‑actifs de première génération simi‑
laires ne remplissent pas, ou très mal, les La plupart des stablecoins sont adossés à
trois fonctions dévolues à la monnaie, ce un fonds de réserve composé d’actifs finan‑
qui explique que le public refuse de les ciers 23. Cet adossement à des actifs réels
considérer comme un moyen de paiement : a pour objet de stabiliser dans le temps la
valeur des crypto‑actifs. Cependant, cette
• d’abord, leur valeur fluctue très stabilité n’est pas absolue dans la mesure
fortement, ce qui ne permet pas d’en où elle dépend de la crédibilité de l’émet‑
faire des unités de compte. De fait, teur, de la qualité des actifs qui composent
très peu de prix sont exprimés dans le fonds de réserve et de l’efficacité de l’arbi‑
ces crypto‑actifs ; trage entre stablecoin et actif de référence. 20 Cf. le site
coinmarketcap.com
• ensuite, les crypto‑actifs sont impropres En ce qui concerne les droits offerts par 21 Cf. Pfister (C.) (2020),
à assurer la fonction d’intermédiaire des les émetteurs de stablecoins aux utilisa‑ « Monnaies digitales :
échanges dans la mesure où i) la volatilité teurs, plusieurs cas sont observés. Ainsi, du mythe aux projets
innovants », Bulletin de
de leurs cours rend très risquée leur utili‑ les stablecoins peuvent représenter un droit la Banque de France,
sation comme moyen de paiement, ii) ils de créance sur l’émetteur associé à un droit n° 230/1, juillet‑août.
induisent des frais et des durées de valida‑ de remboursement à 1 pour 1 contre la 22 Pour plus de détails,
tion des transactions qui sont démesurés devise à laquelle le stablecoin est adossé. on pourra se référer
à la section 2.2. du
pour de simples opérations de détail ; Une autre possibilité est que le stablecoin chapitre 20.
représente une part du fonds de réserve : le 23 Il existe aussi des stable-
• enfin, leur volatilité ne permet pas rachat du stablecoin effectué via l’émetteur coins dont l’objectif n’est
non plus d’en faire des réserves de est donc égal à la valeur liquidative de la pas d’être stable par
rapport à une monnaie
valeur crédibles. part de fonds associé. C’était par exemple de référence mais par
le cas du projet Libra (rebaptisé Diem en rapport à d’autres actifs
de référence, comme
Malgré ces déficiences, les projets décembre 2020) porté par Facebook dans l’or ou le pétrole, ou un
de création de crypto‑actifs se sont sa version originelle du printemps 2019. panier d’actifs.

Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale – 15


Chapitre 1 La monnaie


Un dernier critère de distinction concerne étaient émis par de grands établissement


l’existence d’un émetteur. Dans le cas le financiers ou par des entreprises suscep‑
plus simple, les stablecoins sont émis par tibles de disposer d’importants effets de
une entité juridique contre remise de fonds, réseau (projet Libra/Diem de Facebook,
cette dernière étant également respon‑ cependant abandonné depuis) grâce à une
sable de la gestion du fonds de réserve base de clientèle importante et/ou trans‑
composé d’actifs traditionnels. Un autre frontière. Ces projets, s’ils devaient se
cas concerne l’émission de stablecoins sur développer en faisant levier sur les réseaux
blockchain publique sans émetteur identifié, mondiaux des Big Tech, pourraient créer
à l’instar du stablecoin DAI. Ce type de des systèmes monétaires privés complets
stablecoin est émis de façon autonome par intégrant à la fois l’infrastructure techno‑
un programme informatique exécuté sur logique, l’actif de règlement, la gestion
une blockchain publique (Ethereum dans le d’une réserve d’actifs et les applications
cas du DAI) contre la mise en garantie de de paiement pouvant être utilisées au
crypto‑actifs (Ether dans ce cas). Pour pallier quotidien. D’envergure mondiale, de tels
la volatilité des crypto‑actifs qui servent acteurs pourraient devenir systémiques sur
de sous‑jacent, ce type de stablecoin un plan économique et financier (et donc
est fortement sur‑garanti et associé à un constituer une menace pour la stabilité
mécanisme d’appel de garantie supplémen‑ financière s’ils n’étaient pas sûrs) et aussi
taire si la valeur du crypto‑actif baisse par s’ériger comme de possibles concurrents
rapport à la devise de référence 24. Enfin, aux systèmes monétaires reposant sur la
il existe des stablecoins entièrement régis monnaie de banque centrale, menaçant
par un programme informatique stabilisant alors la souveraineté monétaire.
automatiquement leur valeur 25, appelés
stablecoins algorithmiques, qui sont encore Face à ces risques, l’établissement d’une
largement expérimentaux. règlementation harmonisée et adaptée des
stablecoins est devenue une priorité des
Les stablecoins présentent ainsi une grande travaux internationaux : la position du G20
variété de profils et de risques. Les usages arrêtée en octobre 2019 et réaffirmée
sont également très variables. Les stable- depuis lors est qu’aucun projet de stable-
coins visent à la fois les paiements de détail coins mondial ne saurait être déployé tant
et les échanges interbancaires. Ils sont en que tous les risques associés n’auront pas
pratique aujourd’hui essentiellement utilisés été correctement traités (cf. chapitre 20).
par les investisseurs afin d’effectuer des
arbitrages entre crypto‑actifs. Au plan juridique, les crypto‑actifs ne
sont aujourd’hui pas reconnus comme 24 S i le détenteur n’ap‑
porte pas le collatéral
Malgré les mécanismes visant à leur donner monnaie ayant cours légal, ni comme demandé, le stablecoin
une plus grande stabilité, l’ensemble moyen de paiement : est typiquement détruit
de la chaîne de paiement en crypto‑ en échange de la restitu‑
tion des crypto‑actifs mis
actifs, y compris en stablecoins, demeure • selon l’article L. 111‑1 du Code monétaire en garantie. En ce sens,
fortement exposée à des risques de natures et financier (CMF), « La monnaie de la toutes les unités en
circulation sont toujours
diverses : risques juridiques, financiers et France est l’euro » et c’est ainsi la seule suffisamment garanties
opérationnels, cibles de piratage, vulnéra‑ monnaie ayant cours légal en France. donc stables par rapport
bilités fortes en matière de blanchiment De ce fait, il est possible de refuser un à la devise de référence.

d’argent et de financement du terrorisme, paiement en crypto‑actifs sans contre‑ 25 Soit par la création de
st ablecoins supplé‑
et de protection du consommateur, absence venir aux dispositions de l’article R. 642‑3 mentaires pour faire
de garanties en termes de concurrence du Code pénal, qui sanctionne le refus baisser la valeur du
et de protection de la vie privée. Certes, d’accepter les billets et les pièces libellés stablecoin, soit en inci‑
tant ses détenteurs, par
leur usage dans la sphère des paiements en euros ayant cours légal ; l’octroi de primes et de
reste aujourd’hui marginal, comme pour les coupons, à détruire des
stablecoins, pour faire
crypto‑actifs non adossés à un actif. Mais il • les crypto‑actifs ne répondent pas réaugmenter la valeur
pourrait néanmoins en aller autrement s’ils non plus à la définition de moyens de du stablecoin.

16 – Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale


La monnaie Chapitre 1


paiement au sens du Code monétaire n’offrent à leurs détenteurs aucune garantie


et financier, et plus particulièrement juridiquement opposable de sécurité en cas
à la définition de la monnaie électro‑ de perte ou de fraude.
nique, dans la mesure où ils ne sont
pas nécessairement émis contre Toutefois, ce cadre juridique est appelé à
remise de fonds. Cela évoluera au évoluer significativement avec le règlement
sein de l’Union européenne lorsque européen sur les marchés de crypto‑
le texte « Markets in Crypto‑Assets » actifs (dit Markets in Crypto‑Assets – MiCA),
(MiCA) sera adopté au niveau européen, proposé par la Commission européenne
puisqu’il propose d’instaurer une le 24 septembre 2020, et actuellement
catégorie de « E‑Money tokens » ; en cours de négociation (cf. présentation
des grandes lignes du texte au chapitre 20,
• l ’ o r d o n n a n c e 2 016 ‑ 16 3 5 d u section 3.4.2) dans le contexte des recom‑
1 er décembre 2016 renforçant le mandations présentées par le Conseil
dispositif français de lutte contre le de stabilité financière (Financial Stability
blanchiment des capitaux et le finan‑ Board ou FSB) au G20 en octobre 2020 sur
cement du terrorisme a introduit l’encadrement réglementaire des stable-
la première référence aux crypto‑ coins. En l’état du texte, MiCA définit un
actifs à l’article L. 561‑2, 7 bis du Code crypto‑actif comme une représentation
monétaire et financier, en ces termes : numérique d’une valeur ou de droits pouvant
« tout instrument contenant sous forme être transférée et stockée de manière élec‑
numérique des unités de valeur non tronique, au moyen de la technologie des
monétaire pouvant être conservées ou registres distribués ou d’une technologie
être transférées dans le but d’acquérir un similaire. Les dispositions de la loi Pacte,
bien ou un service, mais ne représentant qui prévoit aujourd’hui un cadre juridique
pas de créance sur l’émetteur » ; aux crypto‑actifs en France seront le cas
échéant, remplacées par les dispositions
• la loi Pacte (Plan d’action pour la du règlement MiCA.
croissance et la transformation des
entreprises) du 22 mai 2019 a repris la
définition issue de la cinquième directive 3. L’architecture hiérarchique
anti‑blanchiment du 30 mai 2018, intro‑ de la création monétaire
duisant la définition d’actif numérique
à l’article L. 54‑10‑1 du Code monétaire 3.1. Le rôle des banques commerciales
et financier (qui efface et remplace dans le processus de création
l’ex‑définition de l’article 561‑2, 7 bis) : monétaire
« toute représentation numérique d’une
valeur qui n’est pas émise ou garantie par L’acte de création monétaire consiste à
une banque centrale ou par une autorité transformer les créances de l’émetteur
publique, qui n’est pas nécessairement en moyen de paiement. Ce pouvoir est,
attachée à une monnaie ayant cours pour une monnaie comme l’euro, exclu‑
légal et qui ne possède pas le statut sivement détenu par des institutions
juridique d’une monnaie, mais qui est monétaires : les banques commerciales
acceptée par des personnes physiques et la banque centrale.
ou morales comme un moyen d’échange
et qui peut être transférée, stockée ou En premier lieu, de la monnaie est créée
échangée électroniquement ». À noter chaque fois qu’une institution financière
que cette seconde définition est plus monétaire accorde des crédits à l’économie
large et englobe les stablecoins. (à un agent non bancaire). La source de cette
création monétaire est le besoin de finance‑
L’émission des crypto‑actifs n’étant ment des agents économiques : la création
aujourd’hui pas encadrée juridiquement, ils monétaire est ainsi endogène. L’idée a

Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale – 17


Chapitre 1 La monnaie


longtemps prévalu que « les dépôts font de la Banque d’Angleterre) ou secondaire


les crédits », c’est‑à‑dire que les banques (cas de la Banque centrale européenne
commerciales agissent simplement comme – BCE) a pu entraîner une augmentation
intermédiaires, prêtant les dépôts que leur de la masse monétaire. Dans le cas des
remettent les épargnants. Cette idée ne achats de titres sur le marché secondaire
correspond plus à la réalité des économies par la BCE, cette augmentation de la masse
modernes où « les crédits font les dépôts », monétaire est conditionnée au fait que les
c’est‑à‑dire que c’est l’accord de crédit qui vendeurs de titres soient eux‑mêmes des
entraîne la création d’un dépôt de nature agents non bancaires. La monnaie ainsi
monétaire au bénéfice de l’emprunteur. acquise par les agents non bancaires a pu
La monnaie ainsi créée est créditée sur soutenir leur demande de biens et services,
le compte de l’emprunteur et apparaît au contribuant au mécanisme de transmission
passif de la banque. Cela ne signifie pas de la politique monétaire.
que les banques disposent d’un pouvoir de
création monétaire illimité (cf. section 3.2). 3.2. Les limites au pouvoir
de création monétaire
À l’inverse, lorsqu’un agent non bancaire des banques commerciales
rembourse, partiellement ou totalement,
le crédit qui lui a été accordé, il détruit de Si les banques commerciales ont le pouvoir
la monnaie. La masse monétaire dépend de créer de la monnaie par simple jeu d’écri‑
donc de la résultante de ce processus de tures, ce pouvoir n’est pas illimité.
création/destruction.
La première limite au pouvoir de création
En second lieu, la création ou la destruc‑ monétaire des banques commerciales
tion de monnaie se produit aussi à chaque réside dans la condition d’une demande de
fois que les institutions financières moné‑ crédit des agents non financiers considérée
taires achètent ou vendent des devises ou comme solvable. En outre, les exigences
autres actifs à des agents non financiers prudentielles imposées aux établissements
(particuliers, entreprises et administrations). de crédit, qui doivent disposer de capitaux
La vente (ou l’achat) de tels actifs par les propres à proportion des crédits qu’ils
banques commerciales au secteur privé non consentent et respecter des exigences
bancaire entraîne la création (ou la destruc‑ de liquidité, constituent également une
tion) de monnaie scripturale privée et donc limite à leur activité de crédit et donc à leur
une augmentation ou une diminution de la pouvoir de création monétaire.
masse monétaire circulant dans l’économie
(cf. section 2.4). Par ailleurs, les banques doivent pouvoir se
présenter sur le marché interbancaire pour
Lorsque la banque centrale prête aux y combler un déficit de trésorerie. Plus elles
banques, la masse monétaire n’augmente prêtent, plus elles créent de monnaie et
pas parce que ces actifs ne sont pas mis plus leur déficit s’accroît. Il n’en reste pas
à la disposition des agents non financiers, moins que, prises dans leur ensemble,
de la même manière que les opérations elles présentent habituellement un besoin
interbancaires sont sans influence sur la de refinancement par la banque centrale.
monnaie. Comptablement, les relations Ce besoin provient d’abord de ce que ces
entre institutions financières monétaires avoirs permettent aux banques commer‑
résidentes sont consolidées pour l’établis‑ ciales de régler auprès de la banque centrale
sement des agrégats de monnaie. les billets qu’elles souhaitent acquérir pour
répondre aux demandes des agents non
Dans la période récente, seul l’achat financiers. Ainsi, plus la demande de billets
par la banque centrale de titres de dette ou de devises de ces agents non financiers
publique sur le marché primaire (cas de est importante plus le besoin des banques
la politique d’assouplissement quantitatif commerciales en refinancement auprès de

18 – Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale


La monnaie Chapitre 1


la banque centrale est important. Une autre fiduciaire (billets et pièces) et est dispo‑
« fuite » pour les banques résulte de ce nible pour tous à tout moment, garantit 26 Les établissements de
crédit établis en zone euro
que le Trésor détient un compte à la banque par sa fonction d’ancrage la stabilité du sont, en application de
centrale : les recouvrements d’impôts système monétaire et financier. La monnaie l’article 19.1 des statuts
conduisent ainsi à une baisse des soldes des commerciale est largement utilisée dans la du SEBC, assujettis à la
constitution de réserves
comptes des banques auprès de la banque fourniture de services financiers au grand obligatoires sur des
centrale, tandis que les dépenses du Trésor public, notamment via la mise à disposi‑ comptes ouverts auprès
des banques centrales
augmentent les comptes des banques. Les tion de moyens de paiement scripturaux 28. nationales de l’Eurosys‑
versements au Trésor public constituent, La complémentarité et la convertibilité au tème. Cette obligation
avec la demande de billets, des « facteurs pair de ces deux formes de monnaie appa‑ remplit deux fonctions
principales : contribuer à
autonomes » de la liquidité bancaire. raissent comme la clé de voûte du bon la stabilisation des taux
fonctionnement des paiements, garantissant d’intérêt du marché moné‑
taire, les réserves étant
Enfin, le besoin de refinancement des liberté de choix des moyens de paiement calculées en moyenne
banques est accru par un instrument de en même temps que stabilité et sécurité sur une période d’en‑
viron un mois, et élargir
politique monétaire, les réserves obliga‑ du système des paiements dans son la demande de monnaie
toires, qui imposent aux établissements ensemble 29. En effet, la monnaie de banque banque centrale en créant
de crédit de constituer des réserves dans centrale et la monnaie commerciale sont ou en accentuant un déficit
de liquidité sur le marché
les livres de la banque centrale 26. liées par un principe d’interchangeabilité. interbancaire. Pour plus
En pratique, il est possible à tout moment d’information, cf. https://
www.banque-france.fr/ et
Individuellement, un établissement peut de transformer la monnaie commerciale en https://www.bis.org/
aussi emprunter sur le marché interbancaire. monnaie de banque centrale (par exemple en
27 Contrairement à ce qui
Mais les banques dans leur ensemble ont retirant des billets d’un DAB) et inversement est parfois avancé aux
un besoin de refinancement qui doit être (par exemple en déposant des espèces sur termes d’un raisonne‑
ment selon lequel la
satisfait par la banque centrale, seule capable son compte bancaire), à un taux de change banque centrale déter‑
d’émettre la monnaie centrale (acceptée par fixe qui est de 1 pour 1. De ce fait, dans minerait la quantité de
toutes les banques). La banque centrale l’esprit du public, un euro est un euro et prêts et de dépôts dans
l’économie en contrôlant
ne contrôle ainsi pas la création monétaire on ne fait généralement pas la différence, la quantité de monnaie
en fixant le montant des réserves dispo‑ dans la vie quotidienne, entre 10 euros sous centrale (approche du
« multiplicateur moné‑
nibles 27, mais pilote indirectement celle‑ci forme de billet et 10 euros sous forme d’avoir t aire », qui repose
en satisfaisant, pour un prix donné (taux en banque. C’est un point fondamental de sur l’hypothèse d’un
directeur), l’ensemble de la demande de notre ordre monétaire et une des disposi‑ rapport constant entre
masse monétaire et base
refinancement qui s’adresse à elle (et qui tions (avec d’autres comme le régime de monétaire), et la politique
dispose des garanties qu’elle accepte). régulation et de supervision particulièrement monétaire serait ainsi
mise en œuvre en fixant
Ainsi, la banque centrale agit indirectement poussé pour les banques, ainsi que l’exis‑ un montant de réserve.
sur la création monétaire en influençant les tence de schémas de garantie des dépôts
28  C f. Au f a u v r e ( N . ) ,
taux d’intérêt et donc l’économie (toutes protecteur des déposants) qui fondent le « Digitalisation des
choses égales par ailleurs, la demande de haut niveau de confiance dont bénéficie la paiements et équilibre
du système moné‑
crédit baisse, les banques prêtent moins, et monnaie commerciale. taire », La Tribune,
donc créent moins de monnaie, lorsque les 13 octobre 2020.
taux d’intérêt montent et réciproquement Les relations entre monnaie centrale et 29 Cf. Villeroy de Galhau (F.),
lorsqu’ils baissent). monnaie commerciale ne sont cependant « Preparing Europe
payment for the
pas figées. Elles fluctuent au gré des évolu‑ digital currency age »,
3.3. Monnaie de banque centrale tions technologiques et financières ainsi que 11 septembre 2020.
et monnaie commerciale des changements dans les habitudes de 30  C f . n o t a m m e n t :
paiement 30. La forte tendance à la numé‑ Committee on Payment
and Settlement Systems,
L’architecture monétaire est fondée sur la risation des paiements, encore accélérée The role of central bank
coexistence et la complémentarité entre par la pandémie de Covid‑19, a conduit à un money in payment
les deux formes de monnaie que sont la usage croissant des moyens de paiement systems, août 2003 ;
U l r i ch B i n d s e i l e t
monnaie centrale (ou monnaie de banque scripturaux et à une diminution concomi‑ Ignacio Terol, The evol-
centrale) d’une part, et la monnaie commer‑ tante de l’usage des espèces aux fins de ving role of central bank
money in payments,
ciale d’autre part. La monnaie centrale, transaction (cf. chapitre 2). Dans le même Central Banking,
qui seule a cours légal sous sa forme temps, le développement des systèmes 15 juillet 2020.

Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale – 19


Chapitre 1 La monnaie


Les différentes monnaies et leurs objets

de paiement des banques centrales et le bon fonctionnement du système des


l’impératif de sécurité qui prévaut dans les paiements, en garantissant le rôle d’ancrage
règlements interbancaires depuis la crise de la monnaie centrale tout en soutenant l’in‑
financière ont conduit la monnaie centrale novation (par exemple en rendant la monnaie
à prendre une plus grande place dans les centrale accessible pour le règlement d’actifs
paiements de gros montant (cf. chapitre 7). « tokenisés »), et en maintenant l’équilibre
Ces évolutions structurelles modifient l’équi‑ entre monnaie centrale européenne et
libre entre monnaie centrale et monnaie monnaie privée face au développement
commerciale, réduisant la place relative de de nouveaux acteurs (Big Tech, fintech,
la monnaie centrale dans les paiements de etc.) et classes d’actifs (crypto‑actifs privés,
détail et l’augmentant dans les paiements MNBC extra‑européennes, etc.). L’émission
interbancaires. d’une MNBC de détail élargirait le champ
d’utilisation de cette monnaie publique, et
Dans ce contexte, l’émission d’une monnaie ses qualités associées de sécurité et d’in‑
numérique de banque centrale (MNBC) clusion financière, aux nouveaux systèmes
pour la zone euro viserait à préserver digitaux (cf. chapitre 20).

20 – Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale


La monnaie Chapitre 1


La monnaie numérique de banque centrale (MNBC) : une nouvelle forme de monnaie centrale

Banque centrale

Monnaie scripturale MNBC interbancaire

Pour les règlements interbancaires


Monnaie
fiduciaire MNBC Banques commerciales
pièces et de détail
billets
éme�ent et garan�ssent
Monnaie scripturale
sur les comptes des clients
(u�lisable par carte, chèque, virement, etc.)

Grand public, entreprises, etc.

Monnaie de banque centrale, émise et garan�e par la banque centrale (passif de la banque centrale)
Monnaie commerciale, émise et garan�e par les banques commerciales (créance sur en�té privée) 2

Paiements et infrastructures de marché à l’ère digitale – 21

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