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section 4 p 74 et 75
« Mais pour nous convaincre que toutes les lois de la nature et toutes les opérations des
corps sans exeption se connaissent seulement par expérience, les réflexions suivantes peuvent
nous suffire ». Cette phrase qui ouvre le texte est aussi celle qui en donne le fil conducteur. Hume
au début de cette section de « L’enquête » fait la différence entre deux types de recherches ou
d’objets de la raison humaine : les relations d’idées et les faits. Aux relations d’idées
correspondent les affirmations « qui sont intuitivement ou démonstrativement certaines » et elles
renvoient aux sciences de la géométrie , de l’algèbre et de l’arithmétique. Ce qui caractérise ces
affirmations c’est « qu’on peut les découvrir par la seule opération de la pensée sans dépendre de
rien de ce qui existe dans l’univers ». Le Traité signalait qu’elles renvoyaient aux quatre relations
philosophiques qui dépendent uniquement des idées : ressemblance, contrariété, degré de qualité,
et proportion de quantité ou de nombre. Avant d’en arriver au fait et pour éviter toute fausse
appréciation de celui-ci, il faut préciser que cette dichotomie entre d’une part des relations d’idées
et d’autre part des faits, les unes renvoyant à la démonstration, les autres à l’inférence causale et
donc à l’expérience, ne renvoie pas à l’opposition du « logique » et du « factuel ». Il n’y a pas chez
Hume de « coupure épistémologique » entre l’idéel et le réel, ce qui explique les contresens typi-
quement Husserlien sur la notion d’expérience pratiquée à la lumière de cette différence. Les
relations d’idées ne caractérisent pas un domaine abstrait et « a priorique » qui s’opposerait au
domaine purement factuel qui serait délimité par l’expérience et les sciences expérimentales. La
différence relations d’idées et faits traverse et le domaine des sciences démonstratives et le
domaine des sciences expérimentales. On connaît les réserves de Hume à l’égard de la géométrie.
« Ses premiers principes se tirent encore de l’apparence première des objets » ( cf Traité I, III ,1 ).
Donc la géométrie porte elle aussi sur des faits, même si ceux-ci sont moins trompeurs et plus
évidents que les évènements de l’expérience elle-même. Hume fait aussi les mêmes réserves pour
l’algèbre et l’arithmétique . La théorie n’apparaît dans ces domaines que lorsque les
mathématiciens délaissent les apparences sensibles pour raisonner sur de pures vues
intellectuelles. La coupure relation d’idées et faits traverse donc les sciences démonstratives
comme elle traverse les sciences du fait par la différence entre les règles générales et les
évènements que celle-ci groupent. La différence relation d’idée et faits n’oppose donc pas deux
domaines scientifiques, mais établit deux degrès de connaissance : en partant des relations d’idées
on peut « de jure » atteindre la certitude, la plus grande évidence possible de vérité ; en partant du
fait on ne peut « de facto » qu’atteindre à la preuve et donc à la plus grande évidence possible de
probabilité. Et encore ces affirmations doivent être nuancées et le texte lui-même apportera ces
modifications pour le niveau du fait. Notons en ce qui concerne les relations d’idée qui renvoient
à la faculté de distinguer le vrai d’avec le faux, c’est-à-dire à l’entendement au niveau des idées
pures, qu’elles ne produisent à elles seules qu’une croyance faible. Si la croyance n’était qu’un pur
effet de la relation d’idées « sans aucune addition de de force ou de vivacité, elle devrait
infailliblement se détruire et, en tout cas aboutir à une totale incertitude du jugement » ( Traité I,
IV, 1 ) . On ne doit donc pas opposer la démonstrativité de la Raison à l’inférence parce que
comme le précise le 3ème des dialogues sur la religion naturelle « Lorsque la raison est analysée
convenablement, on découvre qu’elle n’est rien d’autre qu’une espèce d’expérience ». Il ne faut
donc pas oublier que souvent lorsque Hume parle de raison, c’est stratégiquement pour opposer
unr faculté aux croyances naturelles et en ce sens cette raison - soit intuitive soit démonstrative -
tend à se confondre avec l’entendement. Mais à côté de cette raison analytique existe une raison
« qui n’est rien d’autre qu’une détermination calme et générale des passions fondée sur une vue
ou une réflexion lointaine ». ( Traité III, III, 1 ).
Le deuxième genre d’objets de la raison humaine est les faits et tous « les raisonnements
sur les faits paraissent se fonder sur la relation de cause à effet » ( Enquête, IV ). C’est à ce
domaine qu’appartiennent les lois de la nature et les opérations des corps. Ici le raisonnement a
priori qui s’exerçait tout à l’heure ne joue plus. Ce qui permet de connaître les faits, c’est
l’expérience. L’entendement agit donc de deux façons : ou bien il compare des idées ou bien il
infère en matière de faits, il « juge soit des questions de fait, soit des relations » ( cf enquête sur les
principes de la morale, appendice 1 ). L’entendement juge tantôt d’après la démonstration, tantôt
d’après la probabilité selon qu’il « considère les reletions abstraites des idées, ou les relations des
objets sur lesquels seule l’expérience nous renseigne » ( Traité II, III, 3 ) . Dans le premier cas il
opère sur le plan de la « knowledge » et formule d’après des évidences démonstratives des
jugements certains concernant le vrai et le faux. Dans le deuxième cas, qui nous interesse ici, il
opère sur le plan de la croyance et formule d’après les enseignements de l’expérience des
conclusions probables concernant la cause et l’effet. Les lois de la nature ne sont donc en fait que
des règles générales établies avec plus de méthode et de rigueur que nos préjugés courants, mais
elles continuent comme ces préjugés à exprimer autant notre propre nature que les évènements.
Les lois ne sont pas plus l’expression d’un mécanisme auquel Hume ne croit pas, que le signe
d’un intentionnalisme que Hume ridiculise comme « anthropormorphique » dans les dialogues sur
la religion naturelle. Les lois renvoient renvoient à l’expérience, c’est-à-dire aux trois relations
nécessitant l’objet : relation de temps et de lieu, identité et causalité. A leur sujet Hume reprend
ici la démarche du Traité : si ces lois de la nature et ces opérations des corps ne relèvent pas d’une
connaissance ou de raisonnements a priori, relèvent-elles de l’expérience ? d’où la question : « si
un objet se présentait à nous et qu’on nous demande ... .... dans cette opération ? » Une
précision est nécessaire avant d’aborder cette question de Hume. Les règles générales ont pour
caractéristique de déborder l’expérience qui les a éveillées. Elles s’appliquent spontanément à des
situations différentes de leur situation d’origine pour peu qu’il y ait quelque analogie entre ces
deux types de situations. Elles peuvent substituer à la particularité de la situation une généralité
(ex : l’irlandais n’est pas spirituel, la français n’a pas de solidité ). Les règles sont des règles
d’imagination qui se laissent séduire plus par les circonstances que par l’évènement lui-même.
L’imagination en accentuant ces circonstances forme ainsi des règles qui ne sont que des préjugés
populaires donnant lieu aux règles de politesse et aux lois morales élémentaires. Naissant d’une
expérience très concrète elles éveillent avec vivacité les passions même si la réflexion s’y oppose (
cf l’exemple du philosophe enfermé dans une cage de fer au-dessus du vide : il subit plus l’effet de
la profondeur et sa peur provenant de l’imagination, qu’il n’est attentif à la solidité de sa cage.
L’imagination en prenant le pas sur l’entendement lui fait donc subir le vertige ). Les lois de la
nature sont les mêmes règles générales mais cette fois-ci d’entendement et non d’imagination. Les
règles sont donc dégagées du prestige des apparences. Les règles de la connaissance sont les lois
de la nature corrigées de leur extension. Ici la croyance est prise en compte par l’entendement
qui la maintient lui-même dans les limites de l’expérience passée. Ce sont donc des règles de la
probabilité philosophique et non pas des règles de la probabilité non- philosophique. Les lois de
la nature sont donc des lois où l’entendement en maintenant la croyance tente d’assurer la
conformité de l’habitude et de l’expérience en dissipant les fictions du langage, et la fantaisie
passionnelle de certains préjugés. De même pour les « opérations des corps » qui nous sont
présentées de façons discontinue et séparées dans l’expérience et qui se fondent en une seule
image dans l’entendement. Le corps n’est pas pour Hume connaissable en lui-même, il l’est par
ses opérations et avant tout par sa perception. Si Hume ne nie pas l’existence du monde extérieur,
il nie la possibilité d’une justification rationnelle de nos croyances à son sujet. Les éléments
primitifs de toute connaissance - celle de l’homme comme celle du monde - sont pour lui des
impressions soit de sensations soit de réflexion. La différence entre les impressions de sensation
et de réflexion étant que les premières comportent un élément de plus : le monde extérieur lui-
même, ce que que Hume appelle comme ici tantôt « corps », tantôt « objets» . Les corps et ses
objets, nous n’en savons rien : ils ne sont pour nous que des impressions cf « Aucun objet
extérieur ne peut se faire connaître immédiatement à l’esprit - sans l’interposition d’une image ou
d’une perception » ( Traité I, IV, 5 ). Sil’on doit se référer à l’expérience passée pour statuer sur
l’opération qui résulte de la présentation d’un objet, c’est parce que le corps et l’objet n’exixtent
en fait que par une illusion spontanée de l’imagination qui attribue aux perception une existence
continue et indépendante. Rien dans l’expérience ne permet de valider une réalité qui s’appellerait
objet ou corps, pas plus d’ailleurs que n’existe un moi, une substance. Les objets et les corps sont
d’abord créés par l’imagination, création renforcée par la réflexion méthodique. Dans leur origine,
comme dans leur genèse les objets ne sont que des créations de l’imagination. Si les objets, c’est-
à-dire des ensembles complexes sont en tant que perceptions des fictions de l’imagination, le
monde ou la nature qui ne sont que des objets plus complexes que les autres ne sont qu’une
immense fiction. Les éléments dont ils se composent ne sont pas seulement créés par
l’imagination mais organisés entre eux par elle en un système. Le système est lui-même un
complexe : d’une part un système de « réalité » comprenant les impressions de sens et de la
mémoire comprenant « tout ce qui à notre souvenance, a été présent à notre perception
intérieure ou à nos sens » ; puis uni à celui-là le système du jugement c’est-à-dire de la causalité
qui « peuple le monde et nous donne la connaissance des êtres, qui en raison de leur éloignement
dans le temps et dans l’espace, se trouvent hors de portée des sens et de la mémoire » ( passage
fondamental du Traité I, III 9 p186 et 187 de la traduction Leroy ). C’est à l’intérieur de ce
deuxième système que Hume pose la question « si ces objets .. ... opérations » . Si rien dans le
monde matériel des lois de la nature et des opérations des corps n’est relié à quoi que soit d’autre
par une nécessité logique et démonstrative, la « liaison nécessaire » de l’objet et de l’effet doivent
s’appuyer sur « l’expérience passée ». Notons avant de pénétrer dans le fondement de
l’argumentation de Hume, que sans cette expérience les lois de la nature qui traduisent cette
expérience du monde des choses et des faits, en exprimant la structure de ce monde ne sont elles
aussi que des créations de l’esprit. L’attente qu’elles font naître en lui quant aux évènements à
venir n’étant elle aussi qu’une extrapolation de l’expérience.
En effet « sans consulter l’expérience passée » qu’elle est l’inférence que l’esprit pourra
tirer ? « Faut-il qu’il invente, ou imagine un événement qu’il attribuera à l’objet comme effet ? ».
Cette supposition est celle d’une pratique a priori de l’opération causale : si on quitte les relations
objectives et l’expérience, on en est réduit à «plaquer » sur l’événement la problématique de la
production, problématique abstraite et qui s’effectue par raisonnement. On en est alors réduit à
supposer soit la nécessité d’une cause pour toute nouvelle existence, soit à dire que tout doit avoir
une cause, soit encore à affirmer l’effet de façon abstraite en disant qu’il faut une cause car alors
si cet effet n’était produit par rien il serait causé par le néant. Cette problématique abstraite
examinée dans le Traité ( I, III, 2 ) est une problématique « fallacieuse ». Dans ce cas-là l’esprit
invente et imagine mais au sens péjoratif d’erreur et de mensonge. Tout ce passage de Hume est
organisé pour prouver et manifester l’illusion de ceux qui veulent déterminer la nature de la
conjonction nécessaire à partir de raisonnements abstraits. Mais ici des précisions sont nécessaires
en particulier sur le statut de l’imagination et sur sa fonction. En effet l’esprit a besoin d’inventer
et d’imaginer. Certes l’imagination, la partie de l’esprit qui invente et imagine, peut comme c’est le
cas ici tomber dans l’erreur et la fausseté si elle ne tire pas tous ses matériaux de l’expérience
sensible. Mais si elle est redevable à l’expérience passée des impressions non seulement de ses
éléments mais aussi d’un grand nombre de combinaisons dont celle-ci lui offre le monde, si le
cours des idées doit rester en harmonie avec celui des choses, il n’empêche que l’ imagination
n’est pas limitée dans son activité par l’expérience . Ce qui explique sa différence avec les idées de
la mémoire qui si elles sont encore caractérisées par la « vivacité » se bornent à « conserver l’ordre
et la position des idées simples » ( Traité I, I, 3 ). L’imagination gagne en liberté de combinaison
ce qu’elle perd en vivacité, elle a la liberté de transposer et de changer ses idées. C’est là tout le
pouvoir créateur de l’esprit qui même s’il ne se borne à rien de plus qu’à la faculté de composer,
de transposer, d’accroître ou de diminuer les matériaux que nous apportent le sens et
l’expérience » n’en témoigne pas moins de son importance. Certes le compositeur est tenu de
respecter la gamme mais il n’en reste pas moins une multitude de « compositions » possibles à
l’intérieur de ce respect. Les métaphores musicales ( composer, transposer ) et sonores ( accroître
et diminuer ) sont bien là pour signifier le rôle de l’imagination pour Hume. Donc la mémoire
suit une progression rectiligne qui lui est dictée par la vivacité tandis que l’imagination se livre à
des compositions variées dont la principale est l’élaboration d’idées complexe plus ou moins
originales .« L’imagination a toutes ses idées sous son commandement et peut les joindre et les
mêler et les varier de toutes les façons possibles » ( Traité I, III, 7 appendice ). Non seulement
l’imagination fournit à l’esprit les idées simples, mais elle fournit le groupement de ces idées ou
idées complexes, et elle organise les idées en « train de pensée ». Les idées de l’imagination ne
sont pas dégagées de tout lien : « une qualité les associe par laquelle une idée en introduit
naturellement une autre » ( Traité I, 1 ). Les idées de l’imagination ne sont pas seulement
débordantes, elles obéissent à une sorte d’attraction qui les soumet à des lois analogues à celles
qui régissent les corps célestes et cette attraction n’est pas autre chose que la tendance naturelle
que certaines impressions, certaines idées ont à s’évoquer mutuellement (Traité I, 14 ).Attraction
qui n’est pas irrésitible et absolue mais qui est « une force calme qui l’emporte couramment »
(Traité I,14). Il s’agit ici de l’association des idées dont l’un des effets le plus remarquable est la
formation des idées complexes c’est-à-dire de relations, de modes et de substances. De plus, mais
cela nous serons obligés de le considérer par la suite cette capacité de l’esprit à imaginer et à
inventer a un rôle fondamental à jouer non seulement dans la croyance et dans l’expérience mais
aussi dans la relation de causalité. Si au niveau de l’effet l’esprit ne consulte pas l’expérience
passée il risque « d’imaginer un événement qu’il attribuera à l’objet comme effet ». Si on ne
recourt pas à l’expérience il faut se réfugier dans la pure et simple abstraction. Mais
alors : « Manifestement il faut que cette invention soit entièrement arbitraire. L’esprit ne peut sans
doute jamais trouver l’effet dans la cause supposée par l’analyse et l’examen le plus précis ». Si
l’on tente d’établir le lien de l’objet à l’effet hors de l’expérience par analyse, on ne rend pas
compte de cette opération, l’on imagine. Si cette invention est arbitraire, c’est parce qu’on plaque
sur le domaine des faits et de la croyance, un schème abstrait qui n’est efficace qu’au niveau des
ralations d’idées. Démarche fondamentalement arbitraire puisqu’on applique à un événement qui
relève de la croyance, une analyse intellectuelle qui lui est hétérogène. Les questions de fait sont
seulement des objets de croyance. Si on feint d’admettre rationellement qu’il ne peut y avoir
d’existence sans cause on commet un sophisme. Une preuve rationnelle est perception évidente
d’une qualité ou d’une relation et on peut par « analyse » concevoir tour à tour l’existence ou
l’inexistence d’un effet sans faire intervenir l’idée de la cause. Certes certains ont essayé de valider
cette idée d’une compréhension rationnelle de l’effet dans la cause. Hobbes par exemple prend
prétexte de l’homogénéité des points de l’espace pour déclarer la nécessité d’une cause pour
engendrer un événement dans un temps et dans un lieu donnés. Ici pour Hume on confond deux
questions : celle de la prévision de la production de l’effet, et celle du lieu de sa production. De
même Locke commet une erreur en déclarant que si l’effet n’avait pas de cause il aurait encore le
néant pour cause. Si on écarte aussi rationellement ainsi l’idée de cause, les effets disparaissent et
il n’y a plus que de nouvelles existences ( cf sur ces analyses, Traité I, III, 3 ). L’échec de ces
sophismes a l’avantage de montrer que la raison à elle seule ne peut pas engendrer d’explication
réelle car « l’effet est totalement différent de la cause et par suite on ne peut l’y découvrir ».
Chercher de façon rationnelle l’effet dans la cause, c’est tomber dans la problématique de la
production du pouvoir qui sont autant d’idées obscures et incertaines. L’appel à l’expérience est
déjà accompli ici car la différence entre l’effet et la cause ne peut s’y établir que sur elle d’où les
exemples qui suivent dans le texte et qui sont autant de références à l’expérience ( mouvement de
deux billes de billard, de la pierre et du morceau de métal ). Si on ne recourt pas à l’expérience et
si on essaye d’inférer abstraitement de la première bille comme cause son effet, c’est-à-dire le
mouvement de la deuxième, on n’aboutira pas car « il n’y a rien dans l’un qui suggère la plus
petite indication dans l’autre ». De même pour la pierre ou le morceau de métal « à considérer la
question a priori ... .... métal ? ». Ici notons la pétition de principe de Hume : on ne peut pas
découvrir l’effet dand la cause de façon a priori parce que Hume fait déjà auparavant intervenir
l’expérience pour différencier la cause et l’effet. La cause étant différente de l’effet (inférence
expérimentale) il devient ridicule et hallucinant de trouver l’effet dans la cause par l’analyse
rationnelle. Pour différencier la cause de l’effet il faut avoir consulté l’expérience et c’est
uniquement d’après elle qu’est réfutée la lecture rationnelle. Autrement dit les exemples choisis
par Hume ne sont pas en fait de véritables exemples d’argumentation. Il place le rationaliste
devant une expérience à laquelle il assisterait pour la première fois. Dans ce cas ce temoin neuf
assistant à la production causale serait d’autant moins incapable d’inférer la cause de l’effet que
tout se réduirait pour lui à une pure succesion d’évènements. Par contre la différence cause-effet
suppose une observation répétée et la passage de l’idée de conjonction à celle de connexion. Tout
cela établit donc que « les questions de fait ne sont pas susceptibles de démonstration » ( Traité
III, 1 ). Leur évidence n’est pas du même ordre que celle des questions a priori parce que le
contraire d’un fait quelconque n’implique aucune contradiction, ce que rappelle la fin de ce
passage : la pierre élevée en l’air, considérée a priori, pourrait aussi bien continuer à monter que
se stabiliser, ou redescendre etc etc. D’où la conclusion que tirera le 5ème dialogue sur la religion
naturelle « Quand vous allez d’un pas au-delà du système du monde, vous ne faîtes qu’exiter une
humeur curieuse qu’il est à jamais impossible de satisfaire ». En considérant les questions de fait
de manière a priori que on ne fait que multiplier les causes, ce qui est contraire au critère de
simplicité newtonien que Hume reprendra à son compte « Il y a donc une évidente absurdité à
prétendre démontrer une chose de fait, ou à la prouver par des arguments a priori quels qu’ils
soient » ( 9ème dialogue ). Il faut donc recourir ici à la méthode expérimentale .
« De même que la première imagination ... ... cause ». Hume étend donc ici ses
conclusions au sujet de l’effet à la connexion entre la cause et l’effet . On pourrait ajouter, mais
cela nous le validerons en commentant la 3ème partie du texte que cette imagination resterait
totalement arbitraire même si elle avait lieu dans la répétition et si ce n’était pas la première
imagination. Mais elle sera « arbitraire » au sens de l’inférence imaginative et non plus au sens de
la fausseté spirituelle car ce n’est pas l’expérience et la répétition qui peuvent non plus que le
raisonnement rendrent raison de la connexion et de l’effet. Pour le moment et suivant la
démarche de Hume nous entrons dans une 2ème patie où Hume montre la nécessité de faire appel
à l’expérience pour expliquer aussi bien l’effet particulier que la connexion entre la cause et l’effet.
« De même que la première imagination ou invention ... ... de cette cause ». Il faut donc
consulter l’expérience pour sortir de l’arbitraire et ce qui était valable pour l’effet particulier l’est
aussi pour « le lien supposé ou la connexion entre la cause et l’effet ». C’est ce que déclarait aussi
le Traité : « Puisque ce n’est pas de la connaissance ni d’aucun raisonnement rigoureux que nous
tirons l’opinion qu’une cause est nécessaire pour toute nouvelle production, cette opinion doit
nécessairement venir de l’observation et de l’expérience » ( I, III, 3 ). L’effet et son invention
serait arbitraire si on ne consulte pas l’expérience d’abord et avant tout parce que toute idée doit
renvoyer et renvoie à l’impression correspondante. A plus forte raison pour la connexion entre la
cause et l’effet. Si on considère abstraitement cette relation elle n’est pas validée dans la mesure
où toute idée distincte étant en droit réparable, on ne trouvera aucun lien entre l’idée de cause et
celle d’effet. De plus pour Hume, les perceptions sont unies les unes aux autres par des relations
soit d’idées soit d’impression. Mais la connexion est avant tout une relation et Hume différencie
deux types de relations : les relations philosophiques découvertes par comparaison entre deux
idées déjà présentes dans l’esprit. Les relations naturelles qui conduisent d’une idée ou d’une
impression à une autre que le passage soit ou non légitime . Cette distinction établit une
différence toute relative entre l’épistémologique et le psychologique puisque on retrouve la
ressemblance et la causalité ainsi que la contiguïté ( sous le nom de relation de temps et d’espace )
à l’intérieur des relations naturelles qu’elles constituent en entier, et des relations philosophiques.
Si l’on ne fait pas appel à l’expérience la connexion nécessaire sera aussi arbitraire prise comme
relation naturelle, que comme relation philosophique. En effet pour inférer un lien quelconque
entre deux objets et faire de l’un la cause et de l’autre l’effet il faut croire, et cette croyance ne peut
se faire de façon abstraite mais seulement en accompagnant des perceptions que la mémoire ou
les sens présentent. « ce qui rend impossible qu’un autre effet puisse résulter de l’opération de
cette cause » c’est cette liaison entre la croyance et l’impression. Lorsque je dis que tel effet et non
tel autre découlera de l’opération de cette cause seule la vivacité d’une impression qui rejaillit sur
la croyance ( puisque seule une différence de vivacité sépare l’imagination de la croyance )
n’autorise à le faire . Et pour cela j’ai besoin de l’expérience cf « C’est (...) la force et la vivacité de
la perception qui constituent le premier acte du jugement et qui posent la base du raisonnement
que nous construisons quand nous dégageons la relation de cause à effet » ( Traité I, III, 3 ). Si je
n’opérais pas ainsi les hypothèses que Hume soumet dans ses exemples sur la bille de billard
seraient toutes acceptables. Comme il l’écrit, sans faire appel à l’expérience, « toutes ces
conceptions sont cohérentes et concevables ». Si je quitte le sol soit de l’impression présente, soit
de souvenir dans la mémoire c’est à dire de l’experience passée autrement dit si je sépare l’idée de
l’impression je peux substituer à cette impression n’importe quelle idée. En ce sens face au
mouvement d’une bille de billard vers une autre toutes les hypothèses les plus arbitraires et
inventives au niveau de l’effet sont possibles : « ne puis-je pas concevoir que cent évènements
différents ... ... quelconque ? ». D’où la conclusion de Hume : « tous nos raisonnements a priori
ne seront jamais capables de nous montrer la raison de cette préférence ». Aucun fait
n’impliquant de contradiction c’est-à-dire l’existence et la non-existence ne relevant pas de la
démonstration il n’y a pas non plus d’objet impliquant abstraitement et de façon a priori
l’existence d’un autre objet. « si nous considérons ces objets en eux-mêmes et si nous ne
regardons pas au-delà des idées que nous nous en faisons » ( Traité I,III, 4). Ou alors en affirmant
tel effet doit découler de cette cause, cette bille doit après son contact prendre telle direction, je
ne me situe plus au niveau de l’inférence mais de la connaissance et alors cela impliquerait la
contradiction et l’impossibilité de concevoir quoi que ce soit de différent ce qui serait nié par la
variété du monde. « C’est donc par expérience seulement que nous pouvons inférer l’existence
d’un objet de celle d’un autre »(Traité I,III, 4 ). La préférence relève donc de l’expérience et cela
en vertu de la maxime générale de science de la nature humaine : « lorque une impression devient
présente, non seulement elle conduit l’esprit aux idées qui lui sont liées, mais encore elle
communique à celles-ci une partie de sa force et de sa vivacité » (Traité I,III,8)
« Ainsi en un mot tout effet est un événement distinct de sa cause ». Ce principe relève
de l’expérience. Non seulement tout effet diffère de la cause, mais la cause est antérieure à l’effet.
En effet le raisonement nous apprend que les deux évènements que sont la cause et l’effet ne
sont pas seulement contigus, mais aussi « qu’il y a antériorité temporelle de la cause par rapport à
l’effet car dans le cas contraire si la cause était contemporaine de son effet la succession serait
interdite et tous les objets coexisteraient. Mais si le raisonnement réduisait ainsi la causalité aux
deux relations de contiguité et de succession il n’apporterait ni l’idée complète de causalité, ni
l’idée catégorique de Hume à savoir la différence évènementielle de l’effet et de la cause . « La
connexion nécessaire est plus importante qu’aucune des deux relations mentionnées ci-dessus »
(Traité I,III,2). La différence entre l’effet et la cause est liée à l’expérience c’est-à-dire ici à la
conjonction constante entre l’événement cause et l’événement effet. Seule l’expérience répétée
donne l’idée de la différence cause et effet ; c’est pourquoi « On ne peut découvrir (l’effet) dans la
cause et la première invention qu’on en fait a priori doit être entièrement arbitraire » ; Contiguïté
et succession ne suffisent pas à affirmer la différence et la distinction de la cause et de l’effet
« sauf si nous percevons que ces relations se retrouvent dans plusieurs cas » (Traité I,III,6 ). C’est
seulement parce que Hume considère ici la répétition qu’il peut parler dans la phrase suivante de
conjonction. « Et même une fois que l’effet a été suggéré, sa conjonction avec la cause doit
paraître également arbitraire ; car il y a toujours ... ...cohérents et naturels ». Il faut comprendre :et
même une fois que l’effet a été suggéré à la raison par la répétition expérimentale des événements
sa conjonction.. . En effet la conjonction constante ne peut rendre compte malgré son caractère
habituel de la connexion nécessaire, et si la raison tirait des conséquences de cette conjonction
elle pourrait donc aboutir à l’arbitraire de la même façon que lorsqu’elle déterminait de façon a
priorique l’effet à partir de la cause. La relation constante « n’implique rien de plus que ceci : des
objets analogues ont été placés dans des rapports analogues de contiguïté et de succession ; et il
semble évident du moins à première vue que par ce moyen nous ne puissions découvrir aucune
idée nouvelle et que nous ne puissions seulement multiplier le nombre des objets de notre esprit,
mais non en accroître la variété » ( Traité, I,III,6). Ce qui revient à dire que l’inférence rationnelle
tirée d’un unique objet, ou de plusieurs (d’où l’idée de suggestion) peut rester totalement arbitraire
« La simple répétition d’une impression passée, même à l’infini, n’engendrera jamais une nouvelle
idée originale, comme celle de connexion nécessaire ; le nombre des impressions n’a dans ce cas
pas plus d’effet que si nous en tenions une seule » (Traité idem). La généralisation rationnelle est
en fait ici arbitraire. En toute rigueur la répétition ne suffit pas à produire la différence entre
l’événement effet et l’événement cause. Cette conclusion serait valable pour le présent, sans
garantir l’avenir ce qui explique que beaucoup d’autres effets « doivent paraître à la raison aussi
pleinement cohérents et naturels ». Mais la cohérence causale n’est pas assimilable à la cohérence
rationnelle qui malgré sa force se consacre toujours à une opération particulière aux dépens de
toutes les autres (cf Traité I,IV,1). La cohérence causale, plus exactement l’inférence qui me fait
supposer que l’avenir sera conforme au passé et qu’un effet sera toujours un événement distinct
de sa cause si elle ne relève pas des raisonnements a priori ne relève en fait pas plus de
l’expérience. Ici le contresens consisterait à « croire » que si « C’est donc en vain que nous
prétendons déterminer un seul événement ou conclure une cause ou un effet sans l’aide de
l’observation ou de l’expérience », cette détermination se ferait par la seule expérience. Or la fin
de ce texte signale par avance les développements de la section IV et aussi XII de l’enquête en
precisant qu’il s’agit de l’aide de l’expérience. Si on concluait de la négation de tout raisonnement
a priori dans la connexion nécessaire, à la seule nécessité de l’expérience dans celle-ci on
assimilerait la causalité à la probabilité et surtout on méconnaîtrait le rôle de l’habitude et de la
croyance. L’expérience ici n’apporte donc qu’une aide et ce mot en clôturant ce passage l’éclaire
dans sa force et dans son orientation qui est prise dans un mouvement qui conduira Hume à se
demander « Quel est le fondement de toutes nos conclusions tirées de l’expérience » (Enquête IV,
2ème partie) et ce fondement c’est « que le futur ressemblera au passé et que des pouvoirs
semblables seront conjoints à de semblables qualités sensibles ». Et ici où la raison ne joue aucun
rôle, l’expérience, elle, n’est qu’une « aide » qui renvoie à un principe plus fondamental qu’elle.
Nous partons bien de l’expérience et du donné mais pour le dépasser par l’intermédiaire de
l’habitude : cf « Toutes les conclusions tirées de l’expérience sont des effets de l’accoutumance
(habitude) et non les effets du raisonnement « ou encore ». Sans l’action de l’accoutumance nous
ignorerions complètement toute question de fait en dehors de ce qui est immédiatement présent
à la mémoire et au sens ( Enquête V, 1ère partie). Et ici l’imagination que le début du texte
minimisait a son rôle à jouer.
Ce texte qui exclut tout raisonnement a priori de la connexion entre la cause et l’effet
ne parvient à poser le principe d’une distinction de la cause et de l’effet qu’en suggérant la totalité
de la systématique événementielle de Hume. La causalité comme relation philosophique fait que
l’effet de l’experience ne produit aucune impression de réflexion puisque l’experience est
seulement sélective. Ce qui est constituant par contre c’est la causalité comme relation naturelle
liée au principe qu’est l’habitude qui elle, a pour effet une impression de réflexion qui est attente
de la croyance. La causalité se définira donc pour Hume toujours de ces deux façons conjuguées :
« soit comme relation philosophique, soit comme relation naturelle, soit comme la comparaison
de deux idées soit comme une association qui les unit » (Traité, I, III ,14). En ce sens ce texte
nous plaçait au cœur de la cosmologie de Hume : une cosmologie événementielle (mot qui revient
à trois reprises) qui prend à son compte non pas tant l’ordre, qu’une cohérence qui est une
structure variable des variétés. Contre la conception traditionnelle de la causalité, Hume constitue
une systématique de la dissolution dans l’affirmation sceptique de la relativité qui ne croit plus au
mythe d’une totalité et qui la remplace par une activité événementielle capable de successivité. Ce
n’est donc qu’à l’intérieur de la possibilité experimentale c’est- à- dire de la variabilité que Hume
pense l’analogue et l’identique. Et c’est bien ainsi qu’à travers une « analytique » imaginative
Hume constitue la genèse de la nature humaine, laquelle se construit à l’envers d’une nature dont
elle comble les vides et les lacunes.