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Chapitre 22

Drépanocytose
Objectifs :
- Décrire la répartition géographique de la drépanocytose
- Décrire la physiopathologie de la drépanocytose
- Décrire les complications de la drépanocytose
- Enoncer les mesures préventives des crises drépanocytaires
- Décrire les principes thérapeutiques de la crise vaso-occlusive

Première maladie moléculaire décrite, la drépanocytose est une affection génotypique


extrêmement répandue en Afrique Noire, caractérisée par l'apparition d'une hémoglobine
anormale, l'hémoglobine S. Elle constitue un problème majeur de santé publique en Afrique
Noire où elle est responsable d'une forte mortalité au cours des premières années de la vie. Son
évolution est souvent émaillée de multiples complications survenant aussi bien chez l'enfant
que chez l'adulte.

L'expression de la maladie est à la fois liée au type d'hémoglobine, à l'âge du malade,


aux conditions du diagnostic, au contexte sanitaire et aux mesures thérapeutiques
engagées. La bénignité habituelle du trait drépanocytaire contraste avec la sévérité des
hémoglobinoses SS, SC et S-bêta-thalassémie.
Epidémiologie
La ceinture sicklénique s'étend du 15è parallèle Nord au 20è parallèle Sud. La prévalence du
trait drépanocytaire est de 20 à 25% sur la côte ouest-africaine et de 30 à 40% dans certaines
régions d'Afrique Equatoriale (tableau I). A Lomé, l'hémoglobine S est présente chez 22% des
consultants de rhumatologie (16% d'HbAS, 4% d'HbSC et 2% d'HbSS).

Tableau I : Fréquence des hémoglobines S et C et de la  thalassémie dans différentes populations

Hb S Hb C  thalassémie

Afrique de l’Ouest 1-30% 20% 0.8%

Afrique de l’Est 2-45% 0% Non disponible

Italie du Sud <1% 0% 7%

Arabie Saoudite 5-25% 0% Non disponible

Inde du Centre et du Sud 5-30% 0% Non disponible

Antilles 6-10% 3.5% 0.8%

Afro-Américains 9% 2% 0.8%

La distribution de la drépanocytose déborde largement le strict cadre africain. La maladie est


présente non seulement en Amérique (prévalence de 9% chez les Africains Américains et de
12% dans les Antilles françaises), mais également en Grèce, en Inde et en Arabie Saoudite où la
prévalence du trait drépanocytaire atteint 20 à 30% dans certaines régions (tableau I). La
distribution quasi-cosmopolite de la drépanocytose tient à la fois à un phénomène de mutation
de l'hémoglobine et à des mouvements migratoires.

Physiopathologie
L'hémoglobine normale comprend trois fractions: l'hémoglobine A (HbA) représente la quasi-
totalité de l'hémoglobine chez le sujet adulte (97%); l'hémoglobine A2 (HbA2) ne représente que
1 à 2% de l'hémoglobine du sujet adulte; l'hémoglobine foetale (HbF) disparaît normalement
dès le 2è semestre de la vie.

Ces hémoglobines ne se différencient que par la structure de leurs globines. Celle-ci comprend
quatre chaînes polypeptidiques identiques deux à deux. La globine de l'HbA a deux chaînes 
et deux chaînes  (22); la globine de l'HbA2 a deux chaînes  et deux chaînes  (22); la
globine de l'HbF a 2 chaînes et 2 chaînes  22). Le contrôle génétique de la synthèse de
l'hémoglobine est double : les gènes de structure sont responsables de la qualité des chaînes
synthétisées  et les gènes régulateurs de la quantité relative des différentes chaînes.

Il existe deux types d'hémoglobinoses :

- les hémoglobinoses par trouble qualitatif où la mutation d'un gène de structure est
responsable de l'apparition d'une hémoglobine anormale;

- les hémoglobinoses par trouble quantitatif (thalassémies) avec déficit en chaînes   , ou


.
La plupart des hémoglobinoses sont transmises sur le mode autosomique codominant.

L'HbS se distingue de l'HbA par un acide aminé. Le 6è acide aminé de la chaîne , l'acide
glutamique, est remplacé par la valine. En situation de désoxygénation, c'est-à-dire lors du
passage des hématies du réseau artériel dans le réseau capillaire, l'HbS polymérise. Elle passe
de l'état de gel à l'état de fibres rigides, sur lesquelles se moule la membrane érythrocytaire
(falciformation). Ces hématies déformées et rigides circulent mal et s'accumulent dans les petits
vaisseaux (vaso-occlusion). Elles sont fragiles et leur durée de vie raccourcie. Leur destruction
massive n'est pas compensée par l'érythropoïèse pourtant plus active. Il en résulte une anémie
par hémolyse. Les épisodes de vaso-occlusion privent d'oxygène les tissus en aval, leur
répétition les endommage et favorise la survenue d'infections. La falciformation entraîne une
augmentation de la viscosité sanguine, une hypoxie, des ischémies et des infarctus viscéraux.

Chez le sujet porteur du trait drépanocytaire, la faible concentration de l'HbS explique l'absence
de falciformation in vivo. En présence de l'HbSS, la falciformation se produit aisément dans les
capillaires lorsque la pression partielle d'oxygène est inférieure à 45 mmHg. La falciformation
est favorisée par l'acidose, la déshydratation, les infections, l'hyperthermie et l'anoxie.

Ce schéma physiopathologique s’avère insuffisant si l’on tient compte du temps de latence à la


polymérisation qui, dans les conditions physiologiques, est supérieur au temps de passage dans
la micro-circulation. L’adhérence des hématies drépanocytaires à l’endothélium est susceptible
de provoquer un ralentissement circulatoire et de précipiter ainsi falciformation et vaso-
occlusion. Cette hypothèse a été renforcée par l’identification de partenaires protéiques aussi
bien sur le globule rouge que sur la cellule endothéliale. Le phénomène semble essentiellement
le fait de cellules jeunes, réticulocytes immatures, exprimant des molécules pro-adhésives telles
que l’intégrine VLA-4 (41) et la glycoprotéine CD36 ; les cellules vieillies, peu déformables,
en assureraient la propagation. Les partenaires à la surface endothéliale sont CD36 et, après
activation par des cytokines pro-inflammatoires, la protéine VCAM-1. L’interaction
VLA-4/VCAM-1 est directe, celle couplant deux molécules de CD36 fait intervenir un pontage
par la thrombospondine plasmatique. D’autres interactions de faible affinité (notamment celle
faisant intervenir le facteur von Willebrand) ont aussi été rapportées. Des mécanismes différents
semblent prédominer selon les circonstances et le territoire vasculaire : CD36 n’est présent que
sur les cellules endothéliales de la micro-circulation ; VCAM-1 n’est exprimé sur un

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endothélium activé ; l’effet du facteur von Willebrand n’est observé que sur les gros vaisseaux.
Les systèmes de la coagulation et de l’hémostase primaire de même que tous les éléments
figurés du sang sont aussi impliqués.

L'HbC se distingue de l'HbA par le 6è acide aminé de la chaîne . L'acide glutamique est
remplacé par la lysine.

Symptomatologie
L'histoire naturelle de la drépanocytose homozygote peut schématiquement se diviser en quatre
périodes. La période néonatale est asymptomatique mais importante pour organiser une
prévention efficace. Les 5 premières années de la vie sont caractérisées par un risque important
de mortalité et une morbidité élevée liée aux infections, à l'anémie et aux crises douloureuses.
La seconde enfance et l'adolescence sont émaillées de crises douloureuses et où débute la
pathologie dégénérative tissulaire. L'âge adulte est caractérisé par une diminution de la
fréquence des épisodes aigus, mais par la survenue de multiples complications dont certaines
sont parfois mortelles (accidents vasculaires cérébraux). D'autres complications (oculaires,
orthopédiques, rénales) survenant à cet âge grèvent le pronostic fonctionnel.

Les sujets porteurs du trait drépanocytaire sont généralement asymptomatiques. Ceux porteurs
d’une hémoglobinose SC ont une symptomatologie et une évolution un peu moins sévères que
celles des sujets homozygotes.

A la naissance, le sujet ne présente aucun signe distinctif. Si les circonstances n'avaient pas
orienté vers un diagnostic prénatal, la période néonatale est un moment privilégié pour
effectuer ce diagnostic, indolore au sang du cordon. Un tel diagnostic permet l'information de la
famille avant la survenue de toute complication.

Les cinq premières années constituent une période très critique en ce qui concerne le pronostic
vital. Vingt à 50% des sujets homozygotes meurent au cours de cette période et seulement cinq
à 10% atteignent l'âge adulte.

Les premiers signes cliniques coïncident avec le remplacement progressif de l'hémoglobine


foetale, quantitativement prépondérante à la naissance, par l'hémoglobine adulte, porteuse de la
mutation S. La symptomatologie est dominée par l'anémie, les infections et les crises vaso-
occlusives.

L'anémie apparaît vers le 4è mois. Elle est normochrome, normocytaire, régénérative. La


ferritine est élevée, de même que la bilirubine libre. L'anémie s'accompagne d'un ictère, d'un
souffle cardiaque, d'une discrète tachycardie, d'une splénomégalie et d'une hépatomégalie.

La séquestration splénique aiguë correspond à l'urgence anémique la plus fréquente et la plus


grave à cet âge. Elle est caractérisée par une aggravation de l'anémie, un ictère, une
splénomégalie et une hépatomégalie. La mort par collapsus circulatoire est possible.

Les complications infectieuses peuvent être non spécifiques, de cause banale chez un jeune
enfant (otite virale ou bactérienne, rhino-pharyngite, gastro-entérite). Cependant, la fièvre, la
déshydratation et l'acidose métabolique sont des circonstances favorisant la polymérisation de
l'hémoglobine S.

Le sujet drépanocytaire est plus vulnérable que le sujet normal à l'infection bactérienne par les
germes encapsulés. La rate joue en effet un rôle important de défense vis-à-vis de ces germes,
surtout chez le sujet jeune, non immun.

L'asplénie fonctionnelle est l'aboutissement en quelques années des infarctus spléniques


répétés. Les infections à pneumocoque (septicémie, méningite, pneumonie), à staphylocoque et
à haemophilus sont fréquentes chez l'enfant drépanocytaire. Les salmonelles et d'autres germes

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à multiplication intracellulaire élective (Mycoplasma pneumoniae, Chlamydia pneumoniae)
contribuent de manière importante à la morbidité.

Les salmonelles et les staphylocoques sont les germes les plus souvent en cause dans les
ostéomyélites du sujet drépanocytaire. Ces ostéomyélites, parfois multifocales, surviennent à
tout âge. Elles sont d'évolution aiguë ou chronique et se compliquent fréquemment de
séquestres et de fractures pathologiques.

Les crises vaso-occlusives se traduisent typiquement chez le nourrisson et le jeune enfant par la
dactylite aiguë ou syndrome pied-main. Il s'agit d'une tuméfaction douloureuse, bilatérale,
souvent symétrique, d'un ou de plusieurs doigts ou orteils, associée à une augmentation de la
chaleur locale et à un oedème de la face dorsale des mains et des pieds. Ce syndrome parfois
associé à une fièvre impose la recherche d'une infection osseuse sous-jacente et la mise en route
d'une antibiothérapie intraveineuse.

Les signes radiologiques, souvent retardés, comportent un épaississement des corticales des
phalanges, des os du carpe ou du tarse, des dédoublements périostés et des remaniements de la
trame en "sucre mouillé". La régression complète est possible, mais inconstante.

Les crises vaso-occlusives des os longs se rencontrent à tout âge, de même que les crises
abdominales. le priapisme peut aussi se rencontrer chez le jeune enfant.

Au cours de la seconde enfance et de l'adolescence, la symptomatologie est dominée par les crises
douloureuses vaso-occlusives. L'aspect général est caractérisé par une pâleur, un subictère, un
retard pubertaire et un retard scolaire. L'aspect est longiligne, les extrémités effilées, une tête
volumineuse avec bosses pariétales, saillie du front et élargissement de la base du nez.

Le retard scolaire est d'autant plus préoccupant que le choix d'un métier de force est interdit au
malade qui peut en outre être menacé d'un sentiment de dévalorisation, de découragement, de
révolte ou d'angoisse vis-à-vis de l'avenir. La puberté est habituellement différée dans les deux
sexes (premières règles entre 15 et 16 ans, premiers signes pubertaires entre 14 et 16 ans chez le
garçon).

Les crises vaso-occlusives sont liées à l'ischémie tissulaire due à la falciformation des globules
rouges in vivo. Ces crises constituent l'une des manifestations les plus fréquentes et les plus
invalidantes de la maladie, dont elles résument presque la symptomatologie pour certains
malades. Elles s'observent chez 60 à 70% des sujets porteurs de l'HbSS, 45 à 60% de ceux
porteurs de l'HbSC et 65 à 75% des patients atteints de S-bêta-thalassémie.

La falciformation est responsable d'une stase et d'une obstruction des vaisseaux. Les crises sont
souvent déclenchées par une infection, un accès palustre, une hypoxie, une déshydratation, une
acidose, une exposition au froid ou à l'humidité (saison des pluies, harmattan), ou la prise
d'alcool. Cependant, elles peuvent être spontanées. Elles sont dominées par des douleurs
osseuses, articulaires et abdominales, associées à une fièvre modérée. Elles durent
habituellement quelques jours.

Les douleurs affectent les métaphyses des os longs, plus rarement des épiphyses. La
tuméfaction articulaire est exceptionnelle. Son existence impose une ponction articulaire à la
recherche d'une infection.

Le diagnostic différentiel entre crise vaso-occlusive et ostéomyélite est parfois difficile. Une
antibiothérapie parentérale s'impose en cas de doute. De même, le diagnostic précoce de
possibles valvulopathies rhumatismales surajoutées et graves est difficile. Il s'agit en effet de
sujets souvent algiques, souvent fébriles, et souvent porteurs depuis leur jeune âge de souffles
et de cardiomégalie.

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L'adulte drépanocytaire vit, selon un rythme très différent, la continuation des manifestations
subies dans l'enfance. Il est en outre exposé au risque de nombreuses lésions dégénératives
d'organes.

Les périodes de stabilité de la maladie (comprises entre les crises) sont propices à une
information complète, répétée et détaillée sur la maladie, sur les risques de complications liées à
l'hypoxie, à la déshydratation, aux infections et aux efforts. La prise en charge personnalisée et
médicale des problèmes, les différentes thérapeutiques possibles et les aspects génétiques seront
abordés.

On procède à une évaluation personnalisée de l'évolution de la maladie, au dépistage et au


traitement des complications dégénératives débutantes, à la détection des facteurs de risque et à
la mise à jour des vaccinations.

Les crises anémiques s'espacent. Il s'agit le plus souvent de crises hémolytiques ou de crises
aplasiques.

Les complications infectieuses diminuent avec l'âge. La morbidité est d'abord le fait de
syndromes pulmonaires aigus, parfois mortels, des ostéomyélites et des infections urinaires. Les
méningites, les septicémies et les infections digestives sont plus rares.

La nécrose de la tête fémorale est, de toutes les atteintes osseuses, celle responsable du plus
important handicap fonctionnel. La coxopathie drépanocytaire est la première cause de la
pathologie coxofémorale en Afrique Noire. Elle affecte habituellement le grand enfant et
l'adulte jeune. Elle se traduit par des douleurs de la racine du membre inférieur (aine, fesse,
région trochantérienne) irradiant de façon descendante vers la cuisse et le genou. Les douleurs
surviennent d'abord à l'effort et s'estompent au repos. Elles deviennent ensuite permanentes et
sont responsables d'une boiterie et d'une limitation du périmètre de marche. Les mouvements
de la coxofémorale sont limités à l'examen.

La radiographie est normale au début de la nécrose. Les signes radiographiques (image en


coquille d'oeuf, perte de sphéricité de la tête, condensation irrégulière de la tête, marche
d'escalier, effondrement du fragment nécrosé) s'observent dans les formes plus ou moins
évoluées. Les signes scintigraphiques sont par contre plus précoces. Le scanner et l'imagerie par
résonance magnétique nucléaire permettent une bonne appréciation des lésions.

Les nécroses des autres os sont plus rares que celle de la tête fémorale. Elles concernent la tête
humérale, les phalanges, l'astragale (talus), le calcanéum et les os de la face. L'atteinte du rachis
est fréquente. Elle se traduit radiologiquement par des vertèbres de poisson ou des vertèbres en
H et peut être responsable de troubles de la croissance.

Les accidents vasculaires cérébraux s'observent en fait à tous les âges. Il peut s'agir d'infarctus
cérébraux par obstruction complète ou partielle de gros vaisseaux intracrâniens. Les signes
cliniques comportent des céphalées, des convulsions, des troubles du comportement, laissant
place à une hémiplégie. Des récidives peuvent aboutir à un tableau dramatique d'hémiplégie
spastique chez des sujets devenus grabataires, aphasiques et déficients mentaux. La
tomodensitométrie objective des zones hypodenses focalisées, souvent accompagnées
d'atrophie corticale et de dilatation ventriculaire. Les hémorragies intracrâniennes et sous-
arachnoïdiennes ont une gravité et une mortalité supérieures à celles des infarctus cérébraux.

L'atteinte ophtalmologique peut affecter toutes les structures de l'oeil. Les lésions conjonctivales
sont les plus fréquentes. Elles peuvent être non spécifiques (anévrysmes, courants granuleux)
ou spécifiques ("signe conjonctival drépanocytaire"). Des lésions uvéales, iriennes sont en outre
possibles, de même que des glaucomes. Les manifestations rétiniennes sont fréquentes. Souvent
bilatérales et symétriques, elles évoluent en plusieurs stades. Le stade I est caractérisé par un
ralentissement du flux sanguin et des occlusions des artérioles périphériques, associés à des
signes d'ischémie rétinienne et parfois à de petites hémorragies intrarétiniennes. Au stade II, les
occlusions vasculaires se majorent et des anastomoses artério-veineuses périphériques

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apparaissent. Au stade III, ces anastomoses entraînent une prolifération capillaire
perpendiculaire à la rétine. Au stade IV, les proliférations capillaires sont le siège d'hémorragies
qui peuvent aboutir à un décollement de la rétine et à la cécité (stade V)

L'atteinte cardio-pulmonaire est fréquente au cours de la drépanocytose. Certaines


manifestations cardiaques sont davantage liées à l'anémie chronique qu'à une atteinte cardiaque
intrinsèque. Il en est ainsi des souffles systoliques de type éjectionnel ou d'insuffisance mitrale
et de la cardiomégalie radiologique liée à la dilatation des cavités cardiaques en rapport avec un
important retour veineux. D'autres manifestations cardiaques ne sauraient s'expliquer par la
seule augmentation du débit. Il en est ainsi des oedèmes périphériques, des râles pulmonaires
et de l'hépatomégalie liés à la stase veineuse et non à une insuffisance cardiaque. Le poumon est
un organe-cible de la maladie drépanocytaire et l'altération des fonctions pulmonaires peut
exister en dehors de tout épisode pathologique. Une hypoxie modérée, un syndrome restrictif et
un syndrome obstructif peuvent être observés. Ces manifestations sont liées à l'altération du
rapport ventilation-perfusion et à la diminution de l'ampliation thoracique du fait de l'existence
d'une cardiomégalie. La répétition des phénomènes vaso-occlusifs au niveau des artérioles et
des capillaires pulmonaires peut être responsable de l'apparition d'une hypertension artérielle
pulmonaire. L'atteinte pulmonaire peut être sévère et évoluer dans certains cas vers le coeur
pulmonaire chronique.

Les manifestations rénales résultent des modifications hémodynamiques liées à l'anémie et des
phénomènes vaso-occlusifs à l'intérieur de la médullaire rénale. L'hyposthénurie apparaît
précocement et devient irréversible à l'âge adulte. Les hématuries, le plus souvent totales et
unilatérales, sont variables en durée et en abondance. La nécrose papillaire qui peut être
objectivée par l'urographie intraveineuse est une cause fréquente de saignement. Cependant,
l'existence d'une hématurie ne doit pas être d'emblée rattachée à la maladie drépanocytaire
mais doit faire rechercher une autre cause (une tumeur rénale maligne peut survenir chez un
sujet porteur d'une drépanocytose homozygote). Le syndrome néphrotique succède
habituellement à une protéinurie permanente et peut évoluer vers une insuffisance rénale. Les
infarctus rénaux, souvent asymptomatiques, s'accompagnent de modifications calicielles
urographiques, de nature et de degré variables. La nécrose médullaire et la nécrose papillaire
sont les deux types les plus fréquemment rencontrés.

Les complications hépatobiliaires sont dominées par les lithiases biliaires et les hépatopathies.
La fréquence des lithiases augmente avec l'âge et le degré d'hémolyse. Les calculs sont radio-
opaques dans deux tiers des cas et reconnus par l'échographie des voies biliaires réalisée à titre
systématique. Souvent asymptomatiques, ces calculs peuvent occasionner des accidents répétés
de colique hépatique, de cholécystites aiguës, de pyocholécystes avec septicémie, d'obstruction
cholédocienne, ou de pancréatite aiguë. Les complications hépatiques sont représentées par les
hépatites aiguës transfusionnelles et les infarctus hépatiques. Toutes ces complications se
traduisent par une hépatomégalie douloureuse avec cholestase. Des syndromes
d'hyperbilirubinémie extrême avec fièvre, obnubilation et perturbation des fonctions
hépatiques, aboutissent parfois au décès par insuffisance hépato-rénale et syndrome
hémorragique en l'absence de traitement.

Les ulcères de jambe affectent des adultes jeunes de bas niveau socio-économique. L'ulcération
initiale peut être traumatique ou succéder à une infection cutanée. Les ulcères siègent
habituellement au tiers inférieur de la jambe au-dessus de la cheville ou à la face antérieure du
pied. Ils sont indolores, profonds et peu surinfectés et leur extension peut être rapide. La
guérison est rare et l'évolution chronique habituelle. La cicatrisation laisse une peau fine,
atrophique et fragile. La récidive est fréquente.

La maladie drépanocytaire retentit sur la fertilité. Chez l'homme, des anomalies du


spermogramme peuvent être retrouvées, ainsi qu'une impuissance secondaire à des épisodes
antérieurs de priapisme. Chez la femme, la fertilité est normale. Le pronostic de la grossesse, de
l'accouchement et du post-partum reste risqué chez la femme drépanocytaire mais peut être
amélioré par une prise en charge rigoureuse de ces malades. La grossesse déstabilise la maladie
drépanocytaire maternelle. Les crises vaso-occlusives sont plus courantes dans le dernier

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trimestre et dans le post-partum. L'infection urinaire est fréquente. Pour le foetus, l'état
d'hypoxémie chronique est à l'origine d'une mortalité périnatale élevée. Les autres
complications possibles sont représentées par les avortements, la mort in utero et les
accouchements prématurés.

Diagnostic
Le diagnostic repose sur la mise en évidence de drépanocytes qui sont des hématies déformées
en feuille de houx, ou allongées en faucille, parfois prolongés de longs filaments. Les tests de
falciformation in vitro consistent à priver les globules rouges d'oxygène. Le test d'Emmel en est
le plus simple (lecture au bout de 24 à 48 heures). La technique au métabisulfite de soude
réducteur est plus rapide (lecture au bout de 15 à 30 minutes). Les tests de falciformation ne
permettent pas de différencier les drépanocytaires homozygotes (SS) des hétérozygotes (AS) et
des doubles hétérozygotes (SC, SD). En outre, ils ne sont pas spécifiques et peuvent être positifs
dans certaines hémoglobinoses (HbC Harlem, Hb Georgetown, HbI). L'électrophorèse de
l'hémoglobine est plus fiable que les tests de falciformation et s'effectue à différents pH. Chez le
drépanocytaire homozygote, on découvre 90 à 97% d'HbS et 3 à 10% d'HbF.

Le diagnostic néonatal de la drépanocytose est rendu possible par des techniques fiables.
L'isoélectrofocalisation permet d'effectuer le dépistage avec une excellente sensibilité et une
bonne spécificité dans toutes les conditions de prélèvement. Le dépistage néonatal revêt un
intérêt à la fois épidémiologique et médical.

Traitement
La prise en charge du patient drépanocytaire est pluridisciplinaire et comporte plusieurs
facettes: information et éducation du patient et de la famille, prise en charge psycho-sociale,
prévention des complications, et traitement des complications.

L'information et l'éducation du patient et de la famille sont essentielles et conditionnent la


qualité de la prise en charge. Elles doivent commencer dès la première consultation et être
répétées par la suite.

Ces explications doivent concerner la nature de la maladie, sa transmission génétique et son


caractère familial, le chiffre habituel d'hémoglobine, l'éventualité de survenue de complications,
leur nature et leurs symptômes principaux. Les parents doivent apprendre à bien prendre la
température et savoir que tout symptôme inhabituel doit motiver une consultation. Le conseil
génétique consiste essentiellement à déconseiller les unions pouvant conduire à la naissance
d’enfants homozygotes.

La prise en charge psycho-sociale vise à favoriser l'intégration des patients dans leurs familles et
à assurer leur insertion socioprofessionnelle. La fatigabilité accrue, induite par l'anémie
chronique et les complications éprouvantes (crises douloureuses) peuvent retentir sur la
scolarité de certains enfants et l'insertion professionnelle des adultes.

La drépanocytose est de plus perçue comme une maladie au pronostic dramatique. Elle possède
en Afrique une dimension culturelle et une mythologie socio-religieuse très particulières qui lui
confèrent un caractère de malédiction. Tous ces facteurs peuvent s'associer pour déterminer des
comportements dépressifs avec leurs conséquences familiales, scolaires ou professionnelles. Il
faut donc rester attentif au retentissement psychologique éventuel de la maladie, notamment
chez l'adolescent, et recourir si besoin à l'assistante sociale et au psychologue.

La prévention des complications infectieuses est un des axes essentiels de la prise en charge du
patient drépanocytaire du fait de leur gravité à tout âge. L'efficacité de la pénicillinothérapie
(50.000 U/kg en deux prises matin et soir) a été démontrée dans la prévention des infections
pneumococciques. Les vaccinations usuelles (diphtérie, poliomyélite, coqueluche, tétanos, BCG,
triple vaccination contre la rougeole, la rubéole, et les oreillons) doivent être assurées. La
vaccination contre l'hépatite B est indispensable dès la première année (en raison de la vocation

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de ces sujets à être transfusés). La prévention antipalustre doit être systématiquement assurée.
L'alimentation doit être équilibrée. Une supplémentation en acide folique est de règle.

La prévention des crises douloureuses consiste à en éviter les facteurs favorisants ou


déclenchants (froid, hypoxie, acidose, déshydratation, fièvre, infection, acidose, stase vasculaire,
efforts dyspnéisants). Les bains froids, les glaces, les boissons glacées sont à déconseiller. On
insistera sur l'importance des apports liquidiens abondants et d'une alimentation salée surtout
en période fébrile. Les multiples traitements médicamenteux proposés dans la prévention des
crises douloureuses n'ont pas fait la preuve de leur efficacité.

Le traitement des crises douloureuses repose sur l'hydratation par voie orale dans les crises
modérées et par voie veineuse dans les autres cas. L'apport hydrique comporte du B46 ou du
sérum glucosé isotonique à la dose de 2.5 l/m² (50 ml/kg chez l'adulte) associé à des
électrolytes (3 à 4 g de Nacl/l, 2 g de Kcl/l). L'acidose impose le recours au bicarbonate à 14
pour mille.

Cette hydratation sera associée à des antalgiques avec paliers d'efficacité croissante
(paracétamol : 40 à 60 mg/kg/j ; acide acétylsalicylique : 50 à 80 mg/kg/j; dextropropoxyphène
: 50 à 80 mg/kg/j ; fénoprofène : 25 à 30 mg/kg/j ; codéine: 2 à 5 mg/kg/j après 5 ans ;
antalgiques majeurs), à des anxiolytiques (Diazépam, Tranxène) et à un traitement antipalustre
par voie parentérale.

Les accidents vaso-occlusifs graves nécessitent un traitement particulièrement urgent. Les


accidents vasculaires cérébraux mettent en jeu le pronostic vital et exigent des échanges
transfusionnels. Les thromboses rétiniennes relèvent également de l'échange transfusionnel. Le
priapisme nécessitent un échange transfusionnel d'urgence, et immédiatement après une
ponction-lavage des corps caverneux sous anesthésie péridurale.

Les hématuries imposent un repos au lit, une importante hydratation (en partie alcaline) et le
traitement d'une éventuelle infection.

Les infections aiguës (méningite, septicémie, infection urinaire) doivent être vite dépistées et
faire l'objet d'une antibiothérapie d'urgence.

Les anémies aiguës relèvent de la transfusion, sans dépasser le taux d'hémoglobine habituel du
patient.

La lithiase vésiculaire est souvent asymptomatique et mise en évidence par l'échographie. Il


semble logique d'opérer les lithiases asymptomatiques dans de bonnes conditions, sans attendre
la survenue de complications aiguës.

L'ostéonécrose de la tête fémorale doit faire l'objet d'un traitement chirurgical conservateur
quand elle est mal tolérée. La pose d'une prothèse totale de hanche se solde souvent par un
échec.

La rétinopathie proliférative doit être systématiquement dépistée dès l'adolescence. La


prolifération capillaire doit être photocoagulée pour prévenir les hémorragies vitréennes. Les
interventions ophtalmologiques sont souvent délicates et leurs indications doivent être portées
avec prudence.

Les ulcères de jambe imposent le repos, des pansements humides et la protection prolongée de
la zone ulcérée après fermeture cutanée. La greffe cutanée ne semble pas prévenir les récidives.

Chapitre 22 : Drépanocytose, Mijiyawa, Oniankitan, 2020 8


La drépanocytose

Chapitre 22 : Drépanocytose, Mijiyawa, Oniankitan, 2020 9


Chef d’orchestre des maladies moléculaires Au nouveau-né tu accordes un bref répit
Tu portes un profond mépris à la glutamine Berçant ainsi d’illusions les jeunes géniteurs
Et n’as de préférence que pour la valine Qui très tôt vont mesurer l’ampleur du défi
Qu’une mutation insère dans les sites globulaires Dont la sonnette d’alarme est souvent la pâleur

Patente est ta prédilection pour la race noire A l’enfant tu infliges un retard de croissance
Dont tu reproduis les mouvements migratoires Visible tant sous la toise que sur la balance
Mal délimités par la ceinture sicklémique De ta jeune victime tu modifies le visage
Qui en méconnaît le caractère dynamique Dont t’est caractéristique l’asiatique mirage

De la terre tu n’épargnes aucun continent De l’adolescent tu recules la puberté


Du corps humain pratiquement aucun organe De la grossesse tu entraves la maturité
De l’espace sanguin tu fais un champ de bananes De la rate tu engendres un épuisement
De l’hématie la cible de ton châtiment Suite à des accès répétés d’engorgement

Méconnue est d’habitude ta forme mineure Absolument génétique est ta transmission


Qui ménage de ses porteurs la longévité Fortuite a été ta découverte chez un Noir
Précocement reconnue est ta forme majeure Rendu morbide par manque d’oxygénation
Qui brandit tôt l’étendard de l’atrocité Et dont l’observation illustre ton histoire

Au grand mépris de leurs attributs fonctionnels Sur le raisonnement médical plane ton hégémonie
Tu génères des viscères souffrance et saignement Qui entame parfois le sens du discernement
A l’origine d’une défaillance parfois mortelle Toujours réajusté par la biologie
Laborieusement cernée par les traitements Qui épargne le praticien des égarements

A l’os tu imposes par moments une torture A la logique qui préside à ta prévention
Engendrant parfois de pathologiques fractures S’opposent les obstacles à son application
Que favorisent souvent de chroniques infections Qui souvent assujettie à l’irrationnel
Susceptibles d’émailler ton évolution Foudroie les âmes sœurs d’un choc émotionnel

Soumises aux lois et aux aléas climatiques Antidote à ton action éparse et pérenne
Tes crises sont modulées par la pluie et le froid Est l’abord pluriel de ta prise en charge
Qui mettent ta proie et ses ascendants en émoi Dont tout un arsenal de mesures est au gage
Tout en reflétant la pensée hippocratique Afin de rendre la vie de ta proie sereine

Chapitre 22 : Drépanocytose, Mijiyawa, Oniankitan, 2020 10

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