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Presse Med.

2009; 38: 55–62 en ligne sur / on line on


ß 2008 Elsevier Masson SAS. www.em-consulte.com/revue/lpm
Tous droits réservés. www.sciencedirect.com Médecine interne

Mise au point
Syndrome de non-dissociation de la vitamine
B12 de ses proteines porteuses ou de
maldigestion des cobalamines alimentaires

Khalid Serraj1, Thomas Vogel2, Laure Federici1, Ecaterina Ciobanu1, Mustapha Mecili1,
Georges Kaltenbach2, Emmanuel Andrès1

1. Service de médecine interne, diabète et maladies métaboliques, Clinique


médicale B, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, F-67091 Strasbourg, France
2. Service de médecine interne et gériatrie, Hôpital de la Robertsau, Hôpitaux
universitaires de Strasbourg, F-67091 Strasbourg, France

Correspondance :
Emmanuel Andrès, Service de médecine interne, diabète et maladies métaboliques,
clinique médicale B, Hôpital Civil – Hôpitaux universitaires de Strasbourg,
Disponible sur internet le : 1 porte de l’Hôpital, F-67091 Strasbourg Cedex, France.
5 novembre 2008 emmanuel.andres@chru-strasbourg.fr

Key points Points essentiels

Food-cobalamin syndrome Le syndrome de NDB12PP est une entité nouvellement décrite


qui occupe actuellement une place importante parmi les étiologies
Food-cobalamin malabsorption is a new well-characterized des carences en cobalamine notamment chez la personne âgée.
syndrome. In association with pernicious anemia, it is the leading Malgré sa fréquence, la NDB12PP reste un diagnostic d’exclusion
etiology of cobalamin deficiency in adult, especially in elderly patient. qui nécessite un raisonnement bien codifié afin de pouvoir éliminer au
Currently, it is an exclusion diagnosis that requires a well-codified préalable l’ensemble des autres causes de carence en cobalamine
clinical strategy for diagnosis. notamment la maladie de Biermer.
There are several causes of food-cobalamin malabsorption, Les causes de la NDB12PP sont diverses et multiples, dont en
mainly gastric disorders and drugs (metformin and anti-acid drugs). premier lieu les pathologies gastriques et les médicaments (bigua-
Current treatment modality includes oral cobalamin adminis- nides et inhibiteurs de la pompe à protons).
tration with lower doses than in pernicious anemia. Le traitement repose sur la prise en charge de la cause et la
Studies are in the way to better characterize the food-cobalamin substitution orale avec des doses qui semblent être moindres que
malabsorption in a clinical practice perspective and to validate the celles requises au cours de la maladie de Biermer.
usefulness of oral cobalamin therapy. Les études actuelles et les projets futurs tendent à encore mieux
caractériser ce syndrome de NDB12PP et à confirmer l’efficacité du
traitement par vitamine B12 administrée par la voie orale.

L a carence en vitamine B12 (ou cobalamine) est un désordre


fréquent et potentiellement grave du fait de ses complications
multiples, notamment neuropsychiatriques et hématologiques.
Jusqu’au début des années 1990, le profil étiologique des
déficits en cobalamine était dominé chez l’adulte par la maladie
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tome 38 > n81 > janvier 2009


doi: 10.1016/j.lpm.2008.09.017
K Serraj, T Vogel, L Federici, E Ciobanu, M Mecili, G Kaltenbach et al

de Biermer [1]. Néanmoins et grâce aux progrès réalisés, Encadré 1


depuis une quinzaine d’années, dans la compréhension du Caractéristiques du syndrome de non-dissociation de la vitamine
métabolisme de la vitamine B12, de nouveaux concepts phy- B12 de ses protéines porteuses selon Andrès et al [1,6]*.
siopathologiques ont été mis en évidence avec, comme impact
Concentration sérique de vitamine B12 < 200 pg/mL
clinique principal, la description d’un nouveau cadre étiologique
connu actuellement sous le nom de « syndrome de non-dis- Test de Schilling « standard » (avec de la cyanocobalamine libre
W
sociation de la vitamine B12 de ses protéines porteuses » marquée au cobalt-58, Cyanocobalamine Ge Healthcare )
(NDB12PP) [1,2]. Cette entité, également appelée « mal diges- normal ou test de Schilling « modifié » (utilisant de la vitamine
tion des cobalamines alimentaires », ce qui traduit plus fidèle- B12 radioactive liée à des protéines alimentaires) anormal**
ment l’expression anglo-saxonne de « food-cobalamin Pas de carence nutritionnelle en vitamine B12 (apport > 2 mg
malabsorption », occupe actuellement dans plusieurs séries par jour)
récentes de la littérature le premier rang parmi les étiologies
Existence d’un facteur prédisposant à la carence en vitamine B12
des carences en cobalamine et fait l’objet de recherches actives
[1,8] :
[1,3].  Gastrite atrophique, infection chronique à Helicobacter pylori,
Ce syndrome étant méconnu d’un grand nombre de cliniciens, il
gastrectomie, bypass gastrique
nous a semblé opportun de présenter dans un article de
 Insuffisance pancréatique exocrine (éthylisme. . .)
synthèse les différents aspects physiopathologiques et clini-
 Ethylisme chronique
ques, ainsi que les particularités thérapeutiques de ce syn-
 Prise d’antiacides (antihistaminiques 2 ou inhibiteurs de la
drome de NDB12PP, et ce, à partir d’une revue des données de
pompe à protons) ou de biguanides (metformine)
la littérature et de notre expérience personnelle.
 Pullulation microbienne, SIDA
Définition et physiopathologie  Sjögren, sclérodermie
 « Idiopathique » : lié à l’âge ou au déficit congénital homozygote
La vitamine B12 est apportée exclusivement par l’alimentation
en haptocorrine
avec des besoins quotidiens moyens de l’ordre de 2 et 5 mg *
La présence des 3 premiers items est nécessaire au diagnostic du
[3,4]. Au niveau gastrique, elle est véhiculée sous forme
syndrome de non-dissociation de la vitamine B12 de ses protéines
essentiellement liée aux protéines alimentaires et aux glyco- porteuses.
protéines salivaires et gastriques dont la plus importante est **
Le test de Schilling « modifié » utilise de la vitamine B12 liée à
l’haptocorrine [3,5]. La dissociation de la vitamine B12 de ces des protéines d’oeuf, de poulet, de poisson. . . ; Test non-disponible
différentes protéines et sa remise sous forme libre sont des en routine clinique.
préalables indispensables à sa liaison ultérieure au facteur
intrinsèque et donc à son absorption iléale distale par la
cubuline [5]. Le syndrome de NDB12PP correspond à tout
état pathologique faisant suite à un défaut au niveau de cette
étape de dissociation [6,7]. Il s’agit d’une entité qui a été
individualisée dans les années 1990 par Carmel qui avait les différentes étapes métaboliques de la vitamine B12 et leurs
observé, chez un bon nombre de patients carencés en coba- principales implications étiologiques et thérapeutiques. Les
lamine, une discordance entre un test de Schilling utilisant la causes spécifiques de la NDB12PP sont abordées plus loin dans
vitamine B12 liée à des protéines alimentaires perturbé (« test cet article.
de Schilling modifié » utilisant de la vitamine B12 radioactive
liée à des protéines d’oeuf, de poulet, de saumon) et un test Épidémiologie
utilisant la vitamine B12 libre normal [test de Schilling standard Le déficit en cobalamine est un désordre fréquent et ubiqui-
utilisant de la vitamine B12 radioactive libre (non liée)] [8]. En taire, notamment dans la population âgée. Dans la cohorte de
fait, la description princeps mais qui est restée sans suite a été Framingham, la prévalence de la carence en vitamine B12 a été
faite par Doscherholmen et Swain en 1973 [9]. Par extension, il estimée à environ 12 à 20 % [10]. Une prévalence de l’ordre de
concerne maintenant tous les déficits en vitamine B12 liés aux 40 % a été avancée par certains auteurs chez les personnes
étapes précédant l’absorption. L’encadré 1 reprend les critères vivant en institution [1,11]. Dans notre expérience, la préva-
que nous avions édictés pour définir de façon précise ce lence de ce déficit chez des patients hospitalisés est proche de
syndrome [1,6]. Il est à noter ici que nous considérons, en 5 % (chez des sujets d’âge moyen proche de 70 ans), le
accord avec les données non consensuelles de la littérature, syndrome de NDB12PP représentant entre 50 et 60 % des
que les patients présentent un déficit en vitamine B12 pour des causes [1,6]. La figure 2 présente nos données concernant la
valeurs de vitamine B12 sériques inférieures à 200 pg/mL répartition des étiologies des carences en vitamine B12 chez
( 150 mmol/L) [1,3]. Dans la figure 1, nous schématisons l’adulte [1]. Une sorte de gradient nord sud semble exister
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Syndrome de non-dissociation de la vitamine B12 de ses proteines porteuses ou de maldigestion des cobalamines alimentaires
Médecine interne

Mise au point
Figure 1
Étapes du métabolisme de la
vitamine B12 et étiologies
correspondantes [1,3,6]

concernant le profil des étiologies de carence en cobalamine et américaine sur 202 personnes, les origines latino-américaine
l’âge des patients carencés. Ainsi, dans les pays industrialisés, et afro-américaine, l’âge avancé et l’existence d’une infection à
la maldigestion des cobalamines alimentaires est constam- Helicobacter pylori ont été mis en évidence comme étant des
ment prépondérante par rapport aux autres étiologies de facteurs de risque indépendants de survenue du syndrome
carence en cobalamine et touche surtout des patients d’un de NDB12PP. Signalons enfin qu’une prédominance féminine
âge avancé, ce qui n’est pas le cas dans les pays pauvres où le a été objectivée dans certaines études mais que celà reste à
profil étiologique est dominé par les défauts d’apport alimen- vérifier [15].
taire chez une population faite essentiellement d’enfants [12].
Les conditions socio-économiques et leur impact sur le niveau Aspects cliniques et biologiques
de vie et le régime alimentaire des patients expliquent certai- La vitamine B12 joue le rôle de co-enzyme indispensable dans
nement ce constat. Toutefois, il nous paraît important de un certain nombre de processus cellulaire notamment la
souligner certaines études qui ont montré l’influence d’autres synthèse de l’ADN et intervient dans un grand nombre de
facteurs notamment ethniques sur le profil étiologique de la cycles participant à la conversion de l’homocystéine en méthio-
carence en vitamine B12. Dans une série indienne, il a été nine et à l’intégrité structurelle et fonctionnelle de la myéline
constaté une plus grande fréquence du déficit chez les patients nerveuse [1,16,17]. Dans le cadre de la NDB12PP, le syndrome
d’origine indienne par rapport aux patients d’autres races et carentiel ne présente pas de spécificités cliniques propres par
une absence totale du syndrome de NDB12PP chez rapport aux carences d’autres étiologies. Les particularités que
tous les patients carencés [13,14]. Dans une autre étude l’on rencontre en pratique sont en effet plutôt imputables au
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K Serraj, T Vogel, L Federici, E Ciobanu, M Mecili, G Kaltenbach et al

Figure 2
Distribution des diverses
étiologies de carence en
vitamine B12 chez l’adulte
(n = 160 patients) [1,6]
NDB12PP : non-dissociation de la
vitamine B12 de ses protéines
porteuses.

terrain de prédilection qu’est le sujet âgé qu’à la non-dissocia- une macrocytose moins marquée chez les patients avec une
tion elle-même. Néanmoins, il convient de souligner qu’initia- NDB12PP par rapport à ceux avec maladie de Biermer, celà
lement, Carmel pensait que la maldigestion des cobalamines étant lié à une profondeur moindre de la carence en vitamine
alimentaires n’était responsable que de déficits modérés en B12 [12]. À ces manifestations, il convient d’ajouter celles en
vitamine B12 et donc de tableaux cliniques frustes (« subtle rapport avec l’étiologie de la maldigestion.
cobalamin deficiency ») [8]. Les données récentes que nous
avons publiées contredisent cette assertion, comme l’illustre Diagnostic positif et étiologique
l’encadré 2 [1,6]. Ainsi, outre les manifestations hématologi- Théoriquement, seule l’association d’un test de Schilling
ques classiquement rencontrées comme l’anémie macrocytaire « standard » normal et d’un test de Schilling « modifié »
mégaloblastique et les autres cytopénies, il n’est pas rare de anormal permettrait de poser avec certitude le diagnostic de
voir chez les patients d’autres tableaux hématologiques peu NDB12PP (encadré 1) [8,12,23,24]. En pratique, la non-dispo-
communs, et parfois très inquiétants, d’hémolyse clinique et/ nibilité, à l’heure actuelle, de ces tests fait du syndrome de
ou biologique authentique (hémolyse intramédullaire), de NDB12PP un diagnostic d’élimination (Amersham ayant cessé
purpura thrombopénique, de myélodysplasie, d’aplasie médul- toute commercialisation de dernier kit disponible en France
laire voire de tableaux pouvant passer pour une leucose débu- dans les années 2001-2002). Après la confirmation de la
tante (notamment sous forme aplasiante) ou de pseudo- carence en cobalamine, la première étape consiste à écarter
microangiopathie thrombotique (devant la présence d’un ta- des causes évidentes telles une carence d’apport alimentaire
bleau associant anémie hémolytique, thrombopénie et schizo- ou une malabsorption intestinale, en réalisant une enquête
cytose) [1,6,12,18–20]. Aussi fréquentes que les atteintes alimentaire soigneuse et en vérifiant la présence, ou non, de
hématologiques, les manifestations neuropsychiatriques syndrome clinique et/ou biologique de dénutrition, de mal-
constituent l’autre volet clinique important et sont souvent nutrition ou de malabsorption [1,3]. L’étape suivante est in-
au premier plan voire isolées en dehors de toute anomalie contournable puisqu’elle a pour objectif d’éliminer le principal
hématologique associée. La sclérose combinée médullaire, les diagnostic différentiel de la NDB12PP à savoir une maladie de
neuropathies périphériques ainsi que les anomalies des fonc- Biermer par une recherche d’anticorps antifacteur intrinsèque
tions supérieures en sont les expressions les plus classiques et anticellules pariétales gastriques et la réalisation d’une
[1,5,21,22]. À noter qu’il a été constaté, dans une étude gastroscopie avec biopsies systématiques, à la recherche de
comparative, une moindre fréquence d’anémie profonde et fundite atrophique auto-immune [25–27]. Au terme de ces 2
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Syndrome de non-dissociation de la vitamine B12 de ses proteines porteuses ou de maldigestion des cobalamines alimentaires
Médecine interne

Mise au point
Encadré 2 de la vitamine B12 cristalline (libre) administrée par voie orale
Profil de 92 patients présentant une carence en cobalamine est absorbée par un mécanisme de diffusion passive (voie
secondaire à un syndrome de non-dissociation [6]. indépendante du facteur intrinsèque et de la cubuline)
[3,30]. Depuis 1995, tous les essais cliniques se sont accordés
Âge moyen : 76  8 ans
pour confirmer la non-infériorité de la voie orale par rapport à la
Sex ratio (femmes/hommes) : 2 voie parentérale au cours du syndrome de la NDB12PP avec une
Patients symptomatiques normalisation des différents désordres hématologiques et une
Cliniquement : 70 % régression des signes cliniques notamment neuropsychiatri-
Biologiquement : 76 % ques chez la majorité des patients. Le tableau I expose les
Principales manifestations cliniques résultats des différents travaux que nous avons menés avec de
la vitamine B12 administrée par voie orale sous forme de
Polyneuropathie sensitive : 45 %
cyanocobalamine dans le cadre du syndrome de NDB12PP
Troubles cognitifs : 23 %
[31–33]. Dans notre expérience ainsi que dans d’autres séries
Asthénie : 21 %
de la littérature, l’utilité de la vitamine B12 orale a été mise en
Principales manifestations biologiques évidence également dans la maladie de Biermer [34–36]. Les
Macrocytose : 53 % voies nasale et sublinguale ont été également essayées dans
Anémie : 21 % les carences en vitamine B12, toutes causes confondues, avec
Leucopénie : 11 % des résultats satisfaisants [37,38].
Thrombopénie : 9 %
Dose
Pancytopénie : 6,5 %
Dans le but d’assurer une correction rapide de la carence et
surtout de ses manifestations (en particulier neuropsychiatri-
ques), différents travaux ont montré qu’une dose initiale de
l’ordre de 1 000 mg par jour pendant une semaine était néces-
étapes, le diagnostic positif de NDB12PP peut être retenu, ce saire, suivi de l’administration, d’au moins 1 000 mg par se-
qui implique par la suite une démarche toute aussi indispen- maine pendant un mois, puis une à deux fois 1 000 mg par mois
sable, celle de retrouver la cause exacte de la non dissociation. [1,3,7,12]. Dans le cas de la NDB12PP, cette posologie n’a
En effet, la non-dissociation n’est pas une maladie mais un toutefois cessé d’être revue à la baisse et ce de manière de plus
syndrome dont la découverte doit conduire à la recherche d’un en plus importante, ceci s’expliquant par le fait qu’une partie de
certain nombre d’étiologies dont la prise en charge doit aller de l’absorption par le complexe facteur intrinsèque-cubuline est
paire avec la substitution vitaminique. Les principales causes de respectée et s’ajoute à la part absorbée par voie passive. Dans
cette NDB12PP sont les origines iatrogènes (inhibiteurs de la un des essais strasbourgeois, les réponses biologique et cli-
pompe à protons et anti-H2, biguanides), l’alcoolisme, les nique étaient favorables, et surtout similaires à la dose pleine,
pathologies gastriques, les insuffisances pancréatiques chro- chez tous les patients ayant reçu 250 à 500 mg/jour [39]. Cette
niques et les étiologies infectieuses notamment l’Helicobacter donnée a été documentée par la suite par plusieurs autres
pylori [1,12,28,29]. L’encadré 1 présente la liste complète des études ayant utilisé des doses beaucoup plus faibles et dont la
causes responsables de NDB12PP [1,8]. L’âge avancé est une plus récente a été publiée en 2007, montrant une efficacité
situation physiologique classiquement associée à la non dis- optimale avec des posologies ne dépassant pas 80 mg/jour
sociation selon certains auteurs [12]. Dans la figure 3, nous mais avec une durée plus prolongée de 30 jours [40]. Dans cette
présentons une vision pragmatique des différentes étapes du étude, l’une des conclusions les plus importantes va dans le
diagnostic positif, différentiel et étiologique du syndrome de sens d’une éventuelle possibilité d’envisager un traitement
NDB12PP. préventif à large échelle par enrichissement alimentaire systé-
matique comme moyen de prévention primaire de la carence
Traitement en B12 (ce qui est déjà réalisé notamment aux États-Unis et au
Canada). Sur le plan pratique, les posologies utilisées actuelle-
Voie d’administration ment dans le syndrome de NDB12PP sont de 125 à 1 000 mg/
Dès l’identification du syndrome de NDB12PP et sa reconnais- jour de cyanocobalamine comme dose d’attaque et de 125 à
sance comme cause majeure de carence en cobalamine, l’hy- 500 mg/jour comme dose d’entretien [1,7]. La vitamine B12
pothèse de l’efficacité éventuelle de la voie orale dans le sous forme de cyanocobalamine administrable par voie orale
traitement des carences en vitamine B12, jusque là traitées est disponible dans la pharmacopée française (son AMM n’est
par voie parentérale systématique, a été soulevée et aussitôt pas limitée à la maladie de Biermer). Elle est disponible sous
confirmée [1]. Notons sur un plan pragmatique qu’environ 1 % forme de comprimés ou d’ampoules buvables de 250 à
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Figure 3
Différentes étapes du diagnostic positif et étiologique du syndrome de non-dissociation [1,3,6].

1 000 mg (la majorité de ces préparations n’étant pas prise en traitement substitutif correspondrait à la durée nécessaire pour
charge pas la Sécurité Sociale en dehors des ampoules injec- traiter la cause de la NDB12PP quand celle-ci a pu être identi-
tables en IM et buvables). fiée et traitée radicalement. Dans le cas contraire, il serait
difficile d’envisager l’interruption de la supplémentation, no-
Durée tamment en cas de maldigestion idiopathique ou liée par
Contrairement à la maladie de Biermer, la NDB12PP demeure exemple à la prise de médicaments que l’on ne peut arrêter
une entité très récente pour laquelle il n’y a encore pas assez de et/ou substituer [1]. Dans ce contexte, il est important d’attirer
recul pour pouvoir déterminer définitivement la durée optimale l’attention sur le risque potentiel d’inobservance au long cours
de substitution. Toutefois, il paraît logique de séparer deux et donc à la nécessité de discuter des bénéfices et des risques
situations selon la nature et la réversibilité de la cause de la de la voie orale en tenant compte du profil des patients et de
NDB12PP diagnostiquée. Ainsi, Kaptan et al. ont montré dans leur capacité à adhérer au traitement [1,42]. Dans ce cadre, un
un travail récent que l’éradication d’Helicobacter pylori suffisait traitement par voie parentérale selon des modalités usuelles
à la correction du déficit en vitamine B12 [41]. La durée du est bien entendu efficace.
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Syndrome de non-dissociation de la vitamine B12 de ses proteines porteuses ou de maldigestion des cobalamines alimentaires
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Mise au point
Tableau I
Études strasbourgeoises sur l’intérêt d’un traitement par vitamine B12 administré par voie orale dans le cadre de la non-dissociation.

Type d’étude et population concernée Modalités thérapeutiques Principaux résultats Référence


Étude prospective ouverte Cyanocobalamine administrée par Normalisation de la vitamine B12 sérique [32]
n = 10 sujets voie orale à la posologie moyenne chez 80 % des sujets
de 650 mg/jour pendant 3 mois Élévation significative de l’Hb de 1,9 g/dL et
diminution significative du VGM de 7,8 fL
Carence en vitamine B12 documentée en Disparition des anomalies cliniques chez
rapport avec un syndrome de NDB12PP 20 % des sujets

Étude prospective ouverte Cyanocobalamine administrée par Normalisation de la vitamine B12 sérique chez [31]
n = 30 voie orale à la posologie de 250 à 87 % des sujets
1 000 mg/jour pendant 1 mois Élévation significative de l’Hb de 0,6 g/dL et
diminution significative du VGM de 3 fL ; correction
de l’Hb et du VGM chez 54 % et 100 % des sujets,
respectivement
Carence en vitamine B12 documentée en Mise en évidence d’un effet dose
rapport avec un syndrome de NDB12PP (posologie > 500 mg/jour plus efficace)

Étude prospective ouverte Cyanocobalamine administrée par Normalisation de la vitamine B12 sérique chez [33]
n = 30 voie orale à la posologie de les sujets traités à une posologie > 250 mg/jour ;
125 à 1 000 mg/jour pendant mise en évidence d’un effet dose
Carence en vitamine B12 en rapport (posologie > 500 mg/jour plus efficace)
1 semaine
avec un syndrome de NDB12PP

NDB12PP : non-dissociation de la vitamine B12 de ses protéines porteuses. Hb : hémoglobine. VGM : volume globulaire moyen.

Conflits d’intérêts : aucun B12 = groupe d’Étude des CA rence en vitamine B12) ; à la Fondation de
France pour son soutien via le Prix Robert et Jacqueline Zittoun pour l’année
Remerciements : Aux professeurs Marc Imler et Jean-Louis Schlienger qui 2004, au titre de la connaissance des anémies, et des anomalies du
ont initié les premiers travaux strasbourgeois sur la vitamine B12 ; au groupe métabolisme de la vitamine B12 et des folates.
des cliniciens qui a permis la réalisation des travaux strasbourgeois (CARE

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tome 38 > n81 > janvier 2009

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