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Fonction publique FORUM-Dos 20mm_couv Jamin 30/05/13 10:32 Page1

F O R U M F O R U M

FORUM
La fonction
publique Arnaud
La fonction publique, à l'instar de l'État, occupe une place singulière en France.
Certains lui prêtent toutes les vertus, louant la qualité des services publics
FREYDER
hexagonaux et le professionnalisme, voire le dévouement, des fonctionnaires qui
les font exister au quotidien. D'autres au contraire s'insurgent contre un système
qui maintient près d'un cinquième de la population active sous un statut
protecteur et en dehors des sphères productives de l'économie française. Les
appréciations régulièrement portées sur la fonction publique sont pleines de telles
La fonction

La fonction publique
contradictions et les médias, faute de bien la connaître, véhiculent à son égard
des clichés qui ont souvent la vie dure. La grande ambition de cet ouvrage de
référence, écrit par l'un des spécialistes de la fonction publique en France, est
de dépasser tous ces faux-semblants, en prenant le recul de l'Histoire et en
analysant, en profondeur et à partir des données les plus à jour, la révolution
silencieuse que connaît le régime des fonctionnaires depuis plusieurs années,
publique
dans tous les domaines. Quel est le juste périmètre de la fonction publique ? Les
fonctionnaires sont-ils trop nombreux ? Faut-il supprimer le statut des
fonctionnaires ? Les fonctionnaires sont-ils bien gérés ? bien payés ? Et sont-ils Chronique d’une révolution silencieuse
des retraités privilégiés ? Voilà quelques-unes des 10 questions clés qui agitent
régulièrement le débat public et auxquelles l'auteur, ancien conseiller au cabinet

Arnaud FREYDER
du Premier ministre de 2009 à 2012, répond avec clarté... et sans tabou.

Historien de formation, ancien élève de l'ENS Ulm, de l'ENA et de Sciences Po,


Arnaud Freyder travaille depuis près de 10 ans sur la réforme des politiques
publiques en France. Il a notamment été, de 2009 à 2012, conseiller au cabinet
du Premier ministre pour la réforme de l'État et la fonction publique. Il est
actuellement directeur des ressources humaines d'une grande institution
publique.

www.lextenso-editions.fr

978-2-275-04072-1
25 €
Arnaud FREYDER

Fonction
publique
Chronique d’une révolution silencieuse
Dans la même collection :

Baptiste Bonnet, Repenser les rapports entre ordres juridiques, 2013.


Lauréline Fontaine, Qu’est-ce qu’un grand juriste ? – Essai sur les
juristes et la pensée juridique contemporaine, 2012.
Christophe Jamin, La cuisine du droit. L’École de Droit de Sciences Po :
une expérimentation française, 2012.
Bertrand Mathieu, Constitution : rien ne bouge et tout change, 2013.
Sommaire

Introduction .................................... 7
La fonction publique, le roman des origines . . . . . . . . 15

Première partie. Les défis collectifs ........ 111


Chapitre 1. Quel est le juste périmètre
de la fonction publique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Chapitre 2. Les fonctionnaires sont-ils trop
nombreux ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
Chapitre 3. Faut-il supprimer le statut
général des fonctionnaires ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 155
Chapitre 4. Faut-il augmenter la place
du contrat dans la fonction publique ? . . . . . 179
Chapitre 5. Sait-on dialoguer dans
la fonction publique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195

Deuxième partie. Des enjeux individuels . . 221


Chapitre 1. Faut-il supprimer les concours
de la fonction publique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
Chapitre 2. La fonction publique est-elle
ouverte à la diversité de la société fran-
çaise ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241

5
Fonction publique

Chapitre 3. La carrière des fonctionnaires


est-elle bien gérée ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
Chapitre 4. Les fonctionnaires sont-ils bien
payés ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303
Chapitre 5. Les anciens fonctionnaires
sont-ils des retraités privilégiés ? . . . . . . . . . . . 341
Conclusion générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 363

6
Introduction

L a société française entretient avec les fonctionnai-


res qui la servent des rapports quasi schizophréni-
ques : ceux qui poussent des cris d’indignation en
lisant un article facile sur les « privilèges » des
agents publics, que certains hebdomadaires com-
mettent de manière saisonnière, sont souvent les
mêmes qui réclament plus d’intervention publique
et qui ensevelissent les corps de gendarmes ou de
sapeurs-pompiers sous les applaudissements d’un
14 juillet ensoleillé. Quittant en 2005 les bancs
d’une école qui cristallise, comme nulle autre,
cette contradiction, j’ai rejoint, pour un premier
poste, la direction générale de l’administration et
de la fonction publique (DGAFP). De ce moment
date mon envie, indéniablement saugrenue, de
comprendre en profondeur cet univers d’une rebu-
tante aridité : la fonction publique. Car, dès l’ori-
gine, je ne me suis guère résigné à tous les poncifs
qui fleurissent autour de cette drôle de dame qui a
la particularité d’être aussi critiquée que mal
connue. Chacun sait bien, au moins depuis Vol-
taire, que la superstition est fille de l’ignorance.

7
Fonction publique

Jusqu’à une date récente, les principaux services


de la DGAFP se trouvaient au 32 rue de Babylone à
Paris, derrière le portail d’un bel hôtel particulier
(Hôtel Cassini) qui jouxte les jardins de Matignon.
Cette direction générale, qui est peu connue du
grand public, l’est davantage des fonctionnaires et
plus encore des gestionnaires des ressources humai-
nes des différentes administrations, qui y trouvent
leur interlocuteur de référence pour toutes les ques-
tions ayant trait au statut général des fonctionnai-
res. J’ai rapidement songé que l’ancienne localisa-
tion de cette direction racontait beaucoup des
attributs de la fonction publique française. Dès les
premiers pas dans le jardin qui encadre avec majesté
cet édifice, le visiteur était en effet gagné par deux
impressions aussi contradictoires que révélatrices.
La solennité des lieux, ménageant un petit par-
terre à la française, une salle de la chapelle et une
salle de marbre, révélait un écrin à la mesure des
enjeux que je commençais alors seulement à déchif-
frer : créée par l’ordonnance du 9 octobre 1945, soit
avant même le statut général des fonctionnaires de
1946, la DGAFP a la lourde tâche d’être la gar-
dienne des droits et des obligations de plus de
cinq millions de fonctionnaires de même que de
coordonner les politiques de gestion des ressources
humaines des ministères. Et les enjeux sont immen-
ses, comme en atteste ce seul chiffre : les dépenses
de personnel de l’État (y compris pensions) repré-
sentent chaque année près de 120 milliards d’euros,
soit 40 % de son budget.

8
Introduction

L’étonnement n’en était alors que plus grand de


constater – seconde impression, antagoniste – que
l’édifice, quoique solennel, était résolument réduit
et fragile : au fond du jardin, des bâtiments préfa-
briqués étaient devenus des emplacements pérennes
pour de nombreux bureaux de la DGAFP, démon-
trant ainsi que le provisoire, dans la fonction
publique, peut aisément devenir œuvre durable.
Même surprise en apprenant que 150 agents seule-
ment veillaient ainsi au bon respect et à la moder-
nisation du droit de la fonction publique,
c’est-à-dire d’un droit qui a vocation à couvrir la
situation de plus d’un cinquième de la population
active française. On a connu des ratios de producti-
vité plus défavorables... Même s’il faut en réalité y
ajouter, pour être juste et complet, l’ensemble des
services de gestion des ressources humaines ministé-
riels, la direction générale des collectivités locales
(DGCL) pour la fonction publique territoriale et la
direction générale de l’organisation des soins
(DGOS) pour la fonction publique hospitalière.
Depuis ces bureaux jusqu’au cabinet du Premier
ministre, que j’ai quitté en 2012 pour rejoindre le
Conseil d’État, j’ai pourtant eu le sentiment de par-
courir la chronique d’une révolution silencieuse,
plus capitale qu’on ne l’imagine pour l’avenir de
notre pays. Car ce qui séduit celui qui s’intéresse à
la fonction publique, à la manière dont elle s’orga-
nise et à la façon dont elle évolue, c’est qu’elle
reflète toujours une certaine idée de notre constitu-
tion politique. Elle est le miroir de tous les choix
qu’une nation a formulés, au cours de son histoire,

9
Fonction publique

pour organiser le déploiement de ses politiques


publiques. Le terme « état » lui-même évoque un
instantané, une situation appelée à évoluer dans le
temps, un équilibre ayant vocation à s’ajuster en
permanence : en se dotant d’une majuscule, par
l’un de ces retournements dont l’Histoire a le secret,
l’État est pourtant souvent empreint, dans l’imagi-
naire collectif, de l’apparat du Léviathan immuable
et immobile.
Bien des historiens ont eu le loisir de tordre le
cou à cette vision simpliste, démontrant que l’État
n’a cessé d’évoluer, que l’adaptabilité est pour lui
bien plus qu’un principe juridique et que les servi-
ces publics que nous connaissons aujourd’hui
constituent une idée assez neuve. Le terme même
de « fonction publique » n’apparaît-il pas dans la
langue française en la fin du XIXe siècle seulement ?
D’autres soutiennent, avec un talent sans doute
égal, que notre fonction publique est à bien des
égards l’héritière d’une tradition administrative
dont le fil remonte à Philippe Auguste, voire au
Bas-Empire romain. La plongée dans plusieurs siè-
cles d’histoire de la fonction publique, qui sera pro-
posée à la faveur du premier chapitre de cet
ouvrage, viendra pareillement confirmer les deux
thèses : les frondaisons sont souvent d’autant plus
vertes que les racines sont profondes.
Ce que je souhaiterais restituer à la faveur des
pages qui suivent, c’est le bilan, au terme de plu-
sieurs années de réformes, de la révolution silen-
cieuse qui me paraît aujourd’hui à l’œuvre : je ne
songe pas tant aux évolutions indéniables qu’a

10
Introduction

connues l’organisation des différentes administra-


tions, dans le sillage hier de la « révision générale
des politiques publiques » et aujourd’hui de la
« modernisation de l’action publique », mais plutôt
aux transformations qui affectent le contexte et le
régime de travail des fonctionnaires, ce « capital
humain » qui représente un cinquième de la popu-
lation active en France. Je suis convaincu qu’on a
trop souvent limité les réflexions autour de l’État à
sa dimension constitutionnelle ou organique. Qu’on
a trop souvent aussi cantonné les réflexions sur la
fonction publique sur le seul terrain du droit admi-
nistratif. Ce qu’elle réclame pourtant, ce sont des
considérations stratégiques.
Je souhaite ici m’adresser aux fonctionnaires, à
ceux qui aspirent à le devenir ou tout simplement
à ces curieux qui ne se résignent pas aux idées tou-
tes faites en ce domaine.
Je leur propose d’affronter une énigme originelle.
Dans un pays où un ancien président du Conseil
pouvait se permettre le plaisir de bons mots (par
exemple : « les hauts fonctionnaires sont comme
les livres d’une bibliothèque, ce sont les plus hauts
placés qui servent le moins »), comment compren-
dre que près de 800 000 personnes, plus ou moins
jeunes, se présentent chaque année à un concours de
l’État ? Chiffre auquel s’ajoute d’ailleurs la cohorte
de ceux qui tentent les concours des fonctions
publiques territoriale et hospitalière, ce qui aug-
mente de plusieurs centaines de milliers le total
des candidats aux concours administratifs. Les col-
lectivités publiques constituent, invariablement,

11
Fonction publique

les premiers recruteurs de France, même lorsque


l’État s’applique une règle de non-remplacement
des fonctionnaires partant à la retraite. D’aucuns se
posent alors légitimement ces premières questions :
tous ces candidats rêvent-ils vraiment de devenir
fonctionnaires ? Est-ce là une vocation qu’ils
embrassent ? Ou bien une voie à laquelle ils se rési-
gnent ?
Disons-le tout de suite : cette interrogation,
comme beaucoup d’autres que nous formulerons,
ne peut trouver de réponse simple et univoque.
Dans un contexte de crise économique, personne
ne saurait nier que la perspective de devenir fonc-
tionnaire offre la promesse d’une stabilité précieuse,
improprement assimilée d’ailleurs à la « sécurité de
l’emploi ». Pourtant, une explication limitée à ce
seul facteur ne convainc pas. S’il suffisait à expli-
quer cet engouement, on constaterait logiquement
une corrélation entre le nombre de candidats et les
cycles économiques. Or, il n’en est rien : les candi-
datures aux concours administratifs sont d’une cons-
tance indéniable depuis des décennies. Alors il faut
bien l’admettre : au pays de Courteline et des répli-
ques au vitriol sur les fonctionnaires, il est encore
des fous pour choisir la voie de la fonction publique
par vocation, engagement, voire souci de l’intérêt
général.
Pour comprendre les ressorts de cette vocation,
nous commencerons par remonter le cours de l’his-
toire de la fonction publique. Car son roman nous
enseigne beaucoup de choses sur les grands enjeux
qui structurent depuis longtemps l’administration

12
Introduction

en France. Une fois quittés ces charges d’Ancien


Régime, ces officiers, intendants et autres commis-
saires dont les siècles nous ont laissé le souvenir trop
vague, nous embrasserons les débats qui président
aujourd’hui à la politique de modernisation de la
fonction publique. J’ai pour ma part forgé la
conviction que la réforme de la fonction publique
n’a de sens et de portée qu’à la condition de combi-
ner deux niveaux d’exigences : d’une part, répondre
aux impératifs collectifs, notamment à ceux que
nous assignent des usagers attentifs à la qualité des
prestations qui leur sont fournies et des contribua-
bles légitimement soucieux de l’utilisation des
deniers publics ; d’autre part, satisfaire aux attentes
individuelles de millions de fonctionnaires, désireux
d’une juste reconnaissance de leur travail et de pers-
pectives professionnelles sans cesse améliorées.
Je m’essaierai, dans les chapitres qui suivent, à
restituer les tendances à l’œuvre au cours des années
récentes sur ces deux registres, en espérant ne pas
verser dans ces deux travers si fréquents sur le sujet :
le catastrophisme ou l’angélisme. Je m’appuierai
pour cela sur les travaux les plus récents, en parti-
culier sur les chiffres que fournit chaque année l’ex-
cellent rapport statistique de la DGAFP. Les enjeux
collectifs se résument à des questions aussi simples
que redoutables :
— Quel est le juste périmètre de la fonction
publique ?
— Les fonctionnaires sont-ils trop nombreux ?
— Faut-il conserver un statut général des fonc-
tionnaires ?

13
Fonction publique

— Faut-il élargir la place du contrat ?


— Sait-on dialoguer dans la fonction publique ?
Mais la fonction publique, ce sont aussi des exi-
gences individuelles, là aussi réductibles à quelques
interrogations clés :
— Faut-il supprimer le recrutement par
concours dans la fonction publique ?
— La fonction publique est-elle ouverte à la
diversité de la société française ?
— Les carrières des fonctionnaires sont-elles bien
gérées ?
— Les fonctionnaires sont-ils bien rémunérés ?
— Les anciens fonctionnaires sont-ils des retrai-
tés privilégiés ?
Les fonctions que j’ai occupées depuis 2005 ont
été diverses mais elles ont eu un même fil direc-
teur : la réforme de la fonction publique. Cela me
permet de revendiquer aujourd’hui une connais-
sance approfondie et récente des questions en
débat. Et le lecteur m’autorisera, dans ce domaine
où le consensus national est si rare, de faire mienne
la formule chère à Goethe : je puis promettre d’être
sincère mais pas d’être impartial.

14
La fonction publique,
le roman des origines

L e 28 janvier 1960, le général de Gaulle se rend


devant le Conseil d’État pour y prononcer un dis-
cours mémorable dans l’histoire de cette institution.
Une formule parmi d’autres restera : « Il n’y a
de France que grâce à l’État. La France ne peut se
maintenir que par lui. Rien n’est capital que la légi-
timité, les institutions et le fonctionnement de
l’État ». D’aucuns, parmi les plus critiques sur la
fonction publique, trouveront sans doute que ces
propos du général sont le reflet d’une conception
très étatique de la société française, qui en explique-
rait bien des maux. Pourtant, un survol de plusieurs
siècles d’histoire donne indéniablement raison à
l’homme du 18 juin tant la nation française s’est
construite à mesure que la puissance étatique gran-
dissait.
Le vocabulaire dit en lui-même beaucoup de la
place singulière qu’ont l’État et ses agents publics
au sein de notre édifice national. Il est intéressant
de souligner la différence qui existe encore aujour-
d’hui entre le vocable qu’on utilise pour désigner

15
Fonction publique

les personnels travaillant dans le secteur privé et


celui utilisé dans la fonction publique : les premiers
sont, pour la plupart, des « salariés », autrement dit
désignés par leur mode de rétribution ; les seconds
sont des « fonctionnaires », c’est-à-dire identifiés
par l’emploi qu’ils occupent. Cette terminologie
nous dit finalement deux choses s’agissant des fonc-
tionnaires : travailler dans la fonction publique,
c’est être porté non par des intérêts propres mais
par une exigence particulière, celle de l’intérêt
général ; c’est aussi être directement responsable
d’une parcelle, même infime, de cet intérêt, au
point de s’identifier à la fonction qu’on occupe.
Pour comprendre comment se sont construites
ces caractéristiques fondamentales, il faut plonger
assez loin dans l’histoire. Nous nous appuierons
pour cela, dans les pages qui suivent, sur le monu-
mental travail réalisé en 1993 sous la direction
de Marcel Pinet, conseiller d’État, et intitulé « His-
toire de la fonction publique en France », en trois
tomes (Nouvelle Librairie de France). Que tous les lec-
teurs avides de plus amples détails se plongent avec
gourmandise dans cette belle œuvre collective !
Car il ne faut pas se méprendre : si la « fonction
publique » n’apparaît comme concept que dans les
célèbres dictionnaires universels de la fin du
e
XIX siècle, ses racines, complexes et foisonnantes,
sont bien plus profondes. L’Histoire nous rappelle
que les débats passés autour de la fonction
publique, avant même que celle-ci soit identifiée
et dénommée comme telle, ont bien des parentés
avec ceux qui nous agitent encore aujourd’hui : y

16
La fonction publique, le roman des origines

a-t-il une ou plusieurs fonctions publiques ? Est-elle


ouverte à tous les talents ou bien un marqueur de la
hiérarchie sociale ? Les fonctionnaires doivent-ils
être régis par un statut particulier assurant leur
« indépendance » ou au contraire être soumis à un
principe hiérarchique fort à l’égard de l’autorité
qui les rémunère ?... Ce sont autant de questions
et de tensions, parfois contradictoires, qui ont
forgé notre modèle contemporain.

1. L’héritage romain (Ve-Xe siècles)


L’administration, depuis les royaumes mérovin-
giens jusqu’à la fin du Xe siècle, porte l’indéniable
héritage de la Rome antique. La prégnance d’un
vocabulaire romain pour désigner de nombreux
emplois actuels (agents, préfet, officier,
président...) en est la manifestation la plus tan-
gible : la « fonctio publica » est elle-même une
expression juridique romaine devenue carolin-
gienne. Au Ve siècle, la fonction publique se
confond assez largement avec les bureaux de l’Em-
pire, à la tête desquels siège le « maître des offi-
ces », ce référendaire qui dispose du sceau permet-
tant d’authentifier les diplômes royaux. Dadon en
est resté la figure la plus célèbre, soulignant dès
l’origine combien la fonction publique française
s’ancre dans une tradition juridique et scripturale :
les « services publics », concept évidemment totale-
ment anachronique à cette époque, ne peuvent se
concevoir que par la délivrance d’actes écrits, que
seule la signature de l’Empereur investit d’un pou-
voir normatif. La « loi romaine des Burgondes »,

17
Fonction publique

l’un des textes les plus importants de l’époque, est


la parfaite illustration de ce pouvoir prêté à l’anneau
sigillaire. La nécessité de porter ces actes à la
connaissance de tous, sur un territoire aussi vaste
que l’Empire, explique en outre l’importance accor-
dée, dès cette date, à l’administration des postes :
des agents et espions officiels sont spécifiquement
chargés de son contrôle.
L’organisation « centrale » est alors encore
embryonnaire. Trois grands bureaux travaillent res-
pectivement à la correspondance du prince, à la
réponse aux suppliques qu’il reçoit et à l’organisa-
tion de ses déplacements. Parallèlement, le grand
chambellan assure le bon fonctionnement du palais,
un questeur joue le rôle de porte-parole de l’Empe-
reur, un ministre des finances se veut, selon une
belle expression de l’époque, le « comte des larges-
ses sacrées ». Marque supplémentaire de la préémi-
nence du droit et de l’écrit, ces emplois sont pour-
vus par des anciens élèves des plus grandes écoles de
rhétorique et de droit, au prix le plus souvent d’un
cursus honorum bien défini : d’abord spectabiles puis
illustres, les meilleurs deviennent clarissimi. Ces caté-
gories, qui rassemblent les plus « hauts fonctionnai-
res », ont une communauté de privilèges, leur trai-
tement se faisant le plus souvent en nature. En
dessous, on trouve la grande masse des bureaucrates,
dont la situation est globalement bien supérieure à
celle des artisans et paysans. 2 000 agents travail-
lent ainsi à Trèves, capitale de l’Empire. Les provin-
ces sont le plus souvent le théâtre d’une concurrence
farouche entre les gouverneurs, qui sont à la fois

18
La fonction publique, le roman des origines

recteurs et juges, et les comtes, amis du prince, sou-


vent missi dominici avant l’heure. Pour gérer les
bureaux municipaux, on est décurion de père en
fils, ce qui, somme toute, marque les prémices
d’un des grands débats de l’époque moderne : la
transmission des offices. L’Empereur s’emploie,
tant bien que mal, à contrôler les réalités municipa-
les en chargeant fréquemment des « defensores civita-
tis » de recueillir les doléances des habitants des vil-
les. Mais la période des invasions ne fera que
renforcer une autonomie municipale indéniable,
personnifiée par les « comtes de la cité ». Dans ce
contexte, la corruption est bien l’une des plaies de
l’administration, malgré les tentatives répétées
de Constantin d’interdire les cadeaux émanant des
particuliers.
Les invasions « barbares », dont l’image déplo-
rable a souvent été forcée par les commentateurs
romains, n’ont pas mis à bas cet héritage. La roma-
nisation de ces « peuples venus de loin » s’illustre
dans la quasi-totalité des domaines de l’administra-
tion : recours très large à des juristes de l’Empire,
conservation du système fiscal, du cadastre, du
droit de frapper monnaie (des agents, les « monétai-
res », sont spécifiquement chargés de surveiller
cette frappe), maintien de la tradition judiciaire
(cf. la loi salique de Clovis), utilisation du latin
pour les actes (cf. le Code théodosien). L’administra-
tion carolingienne marque cependant quelques
inflexions. À l’héritage romain se mêlent des
influences lombardes et byzantines. Et l’influence
de l’Église va croissant : c’est le chancelier, un des

19
Fonction publique

notaires de la chapelle du roi, qui remplace le réfé-


rendaire, jusqu’ici laïc. C’est aussi une période où la
qualité des actes progresse, particulièrement lorsque
le maire du palais deviendra le roi. Car le souci de
diffuser largement les ordres et les actes de l’Empe-
reur reste évidemment central. L’engagement per-
sonnel de Charlemagne, après son couronnement,
en témoigne : ses missi parcourent le pays pour
recueillir les serments et surveiller le gouvernement
des comtes.

2. L’administration entre déclin et renouveau


(Xe-XIIe siècles)
Au cours de cette période, l’histoire de la fonc-
tion publique se confond étroitement avec celle de
la royauté : nulle surprise donc à constater qu’elle
en suit le relatif déclin puis le renouveau. Au cours
du Xe siècle, au moment où s’ouvrent les « temps
féodaux », la confiscation des pouvoirs régaliens
par les chefs des grandes principautés devient une
réalité de plus en plus tangible. Les villes ont une
force politique de plus en plus affirmée au point de
disposer de leurs propres fonctionnaires. La royauté
est affaiblie. Les possessions royales, réduites au
triangle Orléans, Senlis et Laon, sont très dimi-
nuées, au moins jusqu’au XIIe siècle. Il n’y a pas de
monnaie royale à proprement parler, la justice est
en partage et le niveau social et académique des
fonctionnaires se dégrade. C’est aussi l’époque où
la papauté grégorienne redouble d’efforts pour que
les évêques retournent à leurs charges et abandon-
nent les fonctions séculières. Il s’ensuit une baisse

20
La fonction publique, le roman des origines

relative du caractère sacré de la royauté et des agents


qui la servent. Dans ce contexte, les prévôts royaux
ne sont que de faibles relais sur le terrain.
Le renouveau vient avec la reconstitution de la
puissance royale, sous Philippe Auguste. Paris, de
siège de la royauté, devient progressivement la capi-
tale du royaume, à travers l’affirmation renforcée du
pouvoir capétien et de nouvelles structures et
méthodes de gouvernement. « Auguste » affuble le
roi en tant qu’il « augmente la reipublica » : il
domine les hommes parce qu’il domine les terres.
Le rôle de Suger, depuis l’abbaye de Saint-Denis,
est remarquable dans cette transition subtile du
déclin au renouveau. En l’absence des rois en croi-
sade, il est investi d’un pouvoir de régence avant
l’heure : fort d’un diplôme royal de 1124 le disant
« fidèle et familier », il en use avec talent (et profit),
assainissant la situation financière et rétablissant en
partie les valeurs de justice et de protection. Dans
l’élan du renouveau intellectuel des XIIe et XIIIe siè-
cles, il contribue à redonner à l’administration un
peu de la sacralité perdue avec la réforme grégo-
rienne. La « couronne » devient, sous sa plume,
une abstraction juridique, préfigurant notre notion
moderne d’État. La fidélité est désormais exigée de
tous les évêques qui souhaitent se voir remettre les
regalia. Cette recherche d’une sacralité renouvelée
est manifeste dans l’utilisation qui est faite, à
l’époque, de la légende carolingienne : la période
voit fleurir les faux et les miracles.
La célèbre ordonnance « Testament » de Philippe
Auguste (1190) vient concrétiser ce renouveau et

21
Fonction publique

constitue en ce sens un acte clé dans l’histoire de la


fonction publique. Elle prolonge un mouvement
engagé quelques décennies auparavant, en particu-
lier avec les ordonnances royales du milieu du
e
XII siècle. À la faveur de son « Testament », le roi
fixe ses directives sur l’organisation du royaume et
l’administration du domaine durant son absence.
Bien conseillé par les fameux juristes qui l’entou-
rent, il consacre l’idée, appelée à la plus belle posté-
rité, que l’absence du roi n’efface en rien la conti-
nuité de son pouvoir et de l’État. Et le préambule
de cette ordonnance formule alors des concepts
appelés à être au cœur de la construction contempo-
raine de la fonction publique : « l’office du roi est
de pourvoir à tous les besoins de ses sujets et de
faire passer l’intérêt public avant son intérêt privé ».
Elle marque également le souci du roi de recentra-
liser le pouvoir : l’ordonnance installe les baillages,
prévoit chaque mois un jour d’assises pour recueillir
les doléances locales et la subordination des prévôts
est affirmée. Philippe Auguste exige en outre d’être
tenu régulièrement au courant de l’évolution des
affaires du royaume, par lettres. L’augmentation du
territoire rend en effet indispensables les relais sur le
terrain. Un nouveau type de fonctionnaires apparaît
à cette occasion : le bailli doit reprendre en main les
prévôts du Nord, le sénéchal, son correspond méri-
dional, affirmer le pouvoir royal à l’égard des bayles
du Midi. C’est sans doute la première illustration
concrète de fonctionnaires nommés, salariés, sur-
veillés de près par l’autorité centrale, en charge d’of-
fices révocables. Les fonctions sont diverses : admi-
nistrateurs, juges, receveurs, officiers de police. Et la

22
La fonction publique, le roman des origines

possibilité de sanctions n’est pas théorique : les


archives témoignent qu’à la fin des années 1240,
une vingtaine de baillis et sénéchaux ont été dépla-
cés et révoqués.
À l’évidence, cette mainmise nouvelle du roi sur
le territoire ne doit pas être exagérée : dans les faits,
les situations locales présentent une grande variété.
Mais le tournant est indéniable et s’illustre aussi au
niveau central. Les distinctions se précisent entre
une domus, de moins en moins politique et de plus
en plus proche de l’intendance, et une curia qui,
elle, s’étend au-delà de la seule cour de justice. Le
roi y appelle les collaborateurs qu’il souhaite, faisant
émerger progressivement autour de lui un conseil.
L’histoire en a gardé la trace, notamment dans un
diplôme de 1153 aux termes duquel le roi décide
et agit sur « l’intervention de ceux qui appartien-
nent à son conseil ». Ses membres ne connaissent
pas encore de spécialisation et sont plutôt des
conseillers politiques que des fonctionnaires. Mais
c’est un témoignage assez nouveau du fait que le
roi ne décide pas seul. Ce développement de l’en-
tourage royal se traduit d’ailleurs dans le vocabu-
laire : le « baron », dans une acception proche de
« serviteur », illustre les débuts, encore timides,
d’un phénomène de cour. Enfin, la volonté royale
de couvrir des champs de plus en plus vastes de
« l’espace public » est explicite : les ordonnances
sur les juifs de 1223 et 1230 interdisent l’usure ;
la pratique de l’asseurement (pacte de
non-agression signé en présence d’un officier royal)
se développe ; la justice royale se renforce dans sa

23
Fonction publique

lutte contre la justice ecclésiastique et la diffusion


de la monnaie royale progresse, même lentement.

3. Les agents publics forment un groupe


de plus en plus distinct et cohérent (XIIIe-
e
XV siècles)

Il serait profondément anachronique de préten-


dre que lorsque s’ouvre le XIIIe siècle, les serviteurs
du roi constituent un ensemble cohérent et un
groupe social clairement identifié. Ce n’est qu’à
l’époque moderne que l’office désignera une fonc-
tion publique permanente, nettement déterminée
et rémunérée par des gages. Au XIIIe siècle, le
« fonctionnaire » reste appréhendé de manière très
foisonnante : les ordonnances en sont réduites à énu-
mérer les baillis, sénéchaux, prévôts, juges,
receveurs... qui font vivre « l’administration »,
aucun terme générique n’existant pour les réunir.
À ce titre, le contraste avec la fin du XVe siècle est
saisissant. En 1467, on trouve ainsi, sous la plume
des juristes de la chancellerie royale, ce qui consti-
tue sans doute la première vraie définition d’une
« fonction publique » : « en nos officiers consiste
sous notre autorité, la direction des faits par lesquels
est policée et entretenue la chose publique de notre
royaume » et de ce royaume « ils sont les ministres
essentiels comme membres du corps dont nous
sommes le chef ». Que s’est-il donc passé, dans
l’intervalle, pour permettre cette émergence pro-
gressive d’une « fonction publique » ? Les étapes
sont nombreuses mais les deux premières

24
La fonction publique, le roman des origines

s’identifient sans équivoque à deux rois : Saint Louis


et Philippe Le Bel.
Sous Saint Louis, la haute administration prend
une importance nouvelle et l’État s’organise pro-
gressivement pour appréhender son territoire.
Comme en attestait déjà antérieurement le rôle
de Suger, l’absence de Saint Louis est un moment
fondateur. Devoir administrer sans la personne du
roi consacre l’importance d’une « haute administra-
tion » : les conseillers et officiers conservent la
« couronne », en assurent la continuité, dans des
conditions parfois difficiles (Étienne Marcel...). La
barrière linguistique entre les « élites » et le peuple
tend d’ailleurs à s’estomper progressivement : elles
écrivent désormais en latin comme en français,
ainsi que l’illustreront un peu plus tard, au XVe siè-
cle, les nombreux manuels à l’usage des fonction-
naires. Le latin lui-même devient de plus en plus
« français », de manière à être compris de tous.
Le royaume reste longtemps une abstraction juri-
dique : le célèbre « État des paroisses et des feux de
1328 », premier document statistique, défie toute
géographie ! Mais le territoire n’en gagne pas
moins progressivement en clarté : le Parlement
de Paris, cour d’appel, cour souveraine de la justice
royale, définit l’étendue et les limites du royaume ;
ses assignations (copiées et recopiées tous les ans)
jouent un rôle primordial. D’autant que la naissance
de l’État moderne n’a pas sédentarisé les premiers
Valois. Au contraire, ils ont été de grands voya-
geurs, appréhendant lentement l’étendue de leur
royaume. L’Histoire a conservé le témoignage de

25
Fonction publique

« l’excellence » du réseau routier aménagé par Saint


Louis. Et si les prémices d’une administration des
postes remontent aux Mérovingiens, on prête à
Louis IX les mérites d’avoir créé « la poste », pris
le plus grand soin à faciliter la transmission des
ordres et informations et consacré le rôle des che-
vaucheurs royaux.
Les légistes et comptables de Philippe le Bel
sont, eux, les pères mythiques de tous les fonction-
naires français. Son règne voit s’accroître considéra-
blement les gradués en droit. Ces hommes, nourris
de droit romain, forment une catégorie de mieux en
mieux identifiée. C’est le résultat d’une formation
efficace, transmise de génération en génération,
puisque les légistes s’investissent eux-mêmes dans
la fondation des collèges qui éduqueront leurs suc-
cesseurs. L’organisation de la puissance royale illus-
tre leur place grandissante : ils aspirent à intégrer la
chancellerie, qui regroupe les « notaires et secrétaires
du roi ». Les légistes, regroupés en son sein, dessi-
nent minutieusement les contours de l’acte admi-
nistratif idéal : ordre, clarté, soin de l’écriture. Ce
n’est pas un hasard si cette époque voit la création
du titre de garde des Sceaux, en lieu et place du
chancelier de France. Et les transcriptions des pre-
miers arrêts du Parlement sont autant de monu-
ments fondateurs de la jurisprudence royale. Autre
marque de l’estime que l’on porte aux écrits admi-
nistratifs, le souci de conserver des archives se
concrétise : en 1309, pour la première fois, un
notaire est chargé de la garde des « lettres, chartes
et privilèges du roi ». Dévolu à ce qui constituera le

26
La fonction publique, le roman des origines

futur trésor des chartes de la Sainte-Chapelle, il ne


se contente pas de stocker les documents royaux, il
s’efforce de les mettre en ordre et de les rendre
accessibles.
La période est également marquée par la volonté
de mieux contrôler les agents publics, ce qui est la
preuve de leurs autonomie et pouvoir croissants : les
baillis font l’objet de fréquentes mutations, qui sou-
lignent la volonté du roi de ne pas attacher trop
longtemps ses agents à un seul et même territoire.
La célèbre ordonnance du Vivier-en-Brie crée, en
1320, la Chambre des comptes. Symbole de l’im-
portance que Philippe le Bel destine à cette der-
nière, une salle lui est réservée dans le Palais de la
Cité. Elle est chargée de contrôler les comptes des
bailliages et sénéchaussées, ce qui constitue un tra-
vail absolument considérable en raison des levées de
l’impôt au début du XIVe siècle. L’ordonnance, qui
est en soi l’un des premiers textes les plus aboutis
traitant d’organisation administrative, nous ren-
seigne sur le fonctionnement de cette chambre : un
personnel fixe composé de quatre clercs et de trois
laïcs et une organisation du travail précise (horaires,
commissions). Chaque année, après la chandeleur,
baillis et sénéchaux doivent envoyer leurs comptes
selon un même modèle. Par là même, la chambre
détient un pouvoir essentiel de surveillance de l’ad-
ministration du domaine. L’influence de cette
Chambre des comptes ira grandissant sous les der-
niers capétiens. De 1328 à 1345, elle constitue le
seul grand corps de l’État dont les compétences en
font un « Grand Conseil ». Son statut de

27
Fonction publique

« mémoire » de l’État ne se démentira pas. Même si


ce rayonnement va singulièrement décliner à partir
de la défaite de Crécy en 1346 : Philippe VI tend
alors à la limiter à un rôle plus comptable que stra-
tégique au point qu’elle sera, sur ce terrain, progres-
sivement distancée par le Parlement.
Les légistes, aussi bien que les clercs de la Cham-
bre des comptes, sont indéniablement autant de
pères fondateurs pour la fonction publique fran-
çaise. Gardons-nous toutefois d’en exagérer l’in-
fluence sur le terrain. Les légistes et comptables
de Philippe le Bel sont bien moins connus des
administrés que les sergents à pied ou à cheval qui
font appliquer sans ménagement les prérogatives
royales. Preuve en est : ce sont ces derniers que le
peuple vilipende dans les doléances des ligues nobi-
liaires de 1315.
La période 1350-1400 est une deuxième
séquence décisive dans la professionnalisation de la
fonction publique française. C’est le temps d’une
lutte farouche entre la construction de l’État et la
tradition de la monarchie féodale. De cette période
date sans doute la création de la fonction publique
moderne : si le début du XIVe siècle, avec les légistes
de Philippe le Bel, est celle des origines mythiques,
à compter du milieu du XIVe siècle vient le temps
des racines réelles : le Parlement s’instituant
comme grand corps de l’État, la mise en place des
offices, des lignées de hauts fonctionnaires... En
1345, une ordonnance assoit le rôle nouveau du
Parlement. Que le premier grand corps de l’État
s’identifie à cette occasion à cette « cour capitale

28
La fonction publique, le roman des origines

et souveraine du royaume » et donc à la justice n’est


pas un hasard. Dans quel autre domaine que la jus-
tice le roi doit-il prioritairement exprimer son pou-
voir et le contrôler ? Pourtant, les choses débutent
mal. Les États généraux mènent la lutte, de 1355
à 1360, contre les officiers royaux, au point que
l’administration financière ne dépend plus du roi.
Il faut la chute d’Étienne Marcel en 1359 pour
que le futur Charles V puisse solennellement réha-
biliter les officiers destitués et ainsi réaffirmer l’idée
que la nomination, le contrôle et la révocation des
officiers appartiennent au roi et au roi seul. Mais il
le fait dans un contexte d’impopularité grandissante
des fonctionnaires suite à la défaite de Poitiers : le
roi décide de restreindre rigoureusement le nombre
des officiers. Il le fait également en admettant une
forme de « collégialité » dans la décision de pour-
voir à telle ou telle charge publique. Date aussi de
cette époque le premier exemple d’élection des offi-
ciers, selon un principe hérité d’Aristote pour qui
l’élection était le meilleur mode pour pourvoir aux
fonctions publiques : l’assemblée des conseillers et
officiers du roi (membres du Grand conseil, maîtres
des requêtes de l’Hôtel, gens du Parlement et des
comptes) choisit, en la présence du roi, les premiers
d’entre eux (élection du chancelier de France en
1372, en la personne de Guillaume de Dormans).
C’est somme toute un premier pas vers une forme
de « légitimité autonome » de la fonction publique.
Cette tendance se confirme d’ailleurs sous les
quatre années du gouvernement personnel de Char-
les VI (1388-1392). Les conseillers qui l’entourent

29
Fonction publique

portent l’héritage des légistes de Philippe le Bel et


forment un groupe de plus en plus soudé, à la
faveur de pactes d’amitié et d’alliance. Ils ambition-
nent de porter une politique de progrès et de
s’adresser à tous les groupes sociaux pour, selon les
termes de l’époque, « enraciner l’État et son service
dans les hommes et dans les cœurs ». Leurs vues
sont singulièrement plus larges que celles des légis-
tes : les ordonnances royales, de plus en plus lon-
gues, brassent tous les sujets (aides, domaine, eaux
et forêts...). Face aux nombreux procès intentés par
des contribuables mécontents, on crée alors une
Chambre du Trésor et une Chambre des aides, ce
qui fonde en France l’idée d’une séparation entre
les juridictions administrative et judiciaire. On
affirme aussi le principe hiérarchique, en prévoyant
que les baillis ont autorité hiérarchique et discipli-
naire sur les fermiers. Enfin et surtout, les quatre
années du gouvernement personnel de Charles VI
voient l’élaboration d’un premier « statut » de la
fonction publique.
Le roi souhaite à la fois contrôler et protéger les
officiers. L’officier doit être « dans l’exercice de ses
fonctions » et de ce fait, il peut bénéficier de la
« sauvegarde royale » (qui protège tout officier qui
agit au nom du roi), lointaine parente du crime de
lèse-majesté. L’officier mis en procès peut bénéficier
de « l’aveu des gens du roi » (il peut être « mis hors
de procès » par intervention du procureur du roi),
lointaine apparition de l’idée d’irresponsabilité per-
sonnelle des fonctionnaires dans l’exercice de leurs
fonctions. Parallèlement, l’élection s’étend comme

30
La fonction publique, le roman des origines

mode de recrutement de tous les officiers royaux


(jusqu’aux baillis et sénéchaux), selon le modèle
ecclésiastique, et les ancêtres de nos écoles d’admi-
nistration publique voient progressivement le jour :
le droit canon s’étudie à Paris, le droit civil à
Orléans, les collèges fondés par les serviteurs du
roi se multiplient de la Montagne Sainte Geneviève
à « la Rivière ». Certains joueront d’ailleurs un rôle
éminent dans la diffusion de l’humanisme
(cf. l’influence du collège de Navarre fondé en
1304). Au Parlement, un costume est créé et le
principe de carrière et d’avancement « selon l’anti-
quité » gagne du terrain grâce à un personnel fixe et
une hiérarchisation des chambres. Enfin, les modes
de rémunération s’uniformisent (très) progressive-
ment : les officiers royaux perçoivent du roi des
« gages » et ils paient à leurs clercs un « salaire » ;
mais ces éléments ne sont que des éléments parmi
d’autres avantages en nature (logement, nourriture,
vêtement). Les agents publics, surtout, bénéficient
d’exemptions fiscales et de facilités d’emprunt, ce
qui constitue à l’époque les deux principaux avanta-
ges attachés à la situation de « fonctionnaire ». Tous
ces attributs démontrent que les « fonctionnaires »
forment un groupe de plus en plus distinct. Deve-
nir agent public est une perspective attractive : les
anoblissements de serviteurs de l’État sont nom-
breux au cours de la période, surtout parmi les
secrétaires du roi. Autre signe de la place croissante
de la « fonction publique » : le coût des fonction-
naires devient un thème de doléances. Il faut dire
qu’au-delà des gages à payer, les abus sont

31
Fonction publique

nombreux : il est de tradition de verser des « épi-


ces » à tout juge siégeant dans une affaire...
Ces attributs communs sont d’autant plus pré-
cieux que le XVe siècle s’ouvre durement pour les
institutions publiques, avec l’opposition du duc
d’Orléans et du duc de Bourgogne puis la folie du
roi. Plusieurs ordonnances s’attaquent à l’adminis-
tration : celle de 1401 fait des officiers autant de
boucs émissaires au lendemain de la peste, les
aides rentrant peu et les ateliers monétaires chô-
mant faute de métal précieux. On recourt donc à
la diminution du nombre d’officiers pour limiter
les dépenses, les gens de finances étant directement
concernés par 19 articles sur 24 dans l’ordonnance
de 1401. C’est la valse des baillis et le Parlement,
qui reste le cœur de la fonction publique à l’époque,
est au centre de toutes les luttes politiques : bannis-
sement de certains de ses membres, bataille autour
de la mise en place d’un « premier président »... Le
principe de l’élection recule alors : on s’achemine
vers la vénalité et l’hérédité des offices, avec les pre-
mières « resignatio in favorem ». La prise de Paris par
les Bourguignons aboutit à cette période singulière,
de 1418 à 1436, où coexistent deux administra-
tions. Ce n’est qu’en 1436 que Charles VII rétablira
Paris dans son rôle de capitale administrative.
Dans ce contexte, la deuxième partie du XVe siècle
sera une période de « reconstruction » pour la fonc-
tion publique. L’ordonnance de Montils-lès-Tours en
1454 en est la première étape importante : un nou-
veau vocabulaire propre à la « réforme administra-
tive » apparaît (« muer, corriger, adjouster,

32
La fonction publique, le roman des origines

diminuer »), l’accent est mis sur la transcription par


écrit des coutumes, sur le souci d’efficacité et de pré-
cision. Ce sont aussi les premiers exemples de décon-
centration administrative avec la création des Parle-
ments provinciaux, qui autorisent désormais des
carrières locales pour les agents publics. Prolonge-
ment assez naturel de cet effort de « déconcentra-
tion », est établie en 1467 ce que l’on peut considé-
rer comme la première carte officielle du royaume.
Évidemment truffée d’erreurs, elle n’en souligne pas
moins le souci du roi de projeter son action adminis-
trative à l’échelle de l’ensemble du territoire.
Mais la fin du XVe siècle est surtout la période
décisive où naissent les « offices » et, de ce fait,
une forme de « professionnalisation » des métiers
publics. Cette même année 1467, Louis XI interdit
en effet toute mutation ou destitution d’officier et
consacre ainsi l’inamovibilité des offices : seules la
mort, la destitution ou la forfaiture judiciairement
constatée peuvent y mettre un terme. Ces offices
inamovibles sont évidemment propices à tous les
« trafics ». La pratique de la « resignatio in favorem »,
déjà évoquée, permet depuis longtemps au titulaire
d’une charge de la transmettre sous la seule condi-
tion de l’avoir fait 40 jours avant sa mort. La tenta-
tion est grande de monnayer cette transmission. Le
roi ferme d’ailleurs volontiers les yeux sur les prati-
ques de vénalité occulte, pour deux raisons au
moins : d’abord, la vente des offices est une bonne
manière pour lui d’éviter de verser une « retraite »
aux anciens agents publics ; ensuite, le roi lui-même
sera amené à vendre les offices pour renflouer les

33
Fonction publique

caisses de l’État. Et la tendance n’ira qu’en s’accen-


tuant au long du XVIe siècle.

4. Le XVIe siècle marque un tournant


fondamental pour la construction
d’une fonction publique moderne
Ce siècle est pourtant un siècle de tourments,
marqué au plan administratif par des besoins colos-
saux pour financer les guerres d’annexion : l’État est
contraint, à de multiples reprises, de différer les
paiements et le remboursement des prêts antérieurs,
d’anticiper la levée de certains impôts, comme la
levée de la taille de 1522, de vendre des anoblisse-
ments et de multiplier les offices. C’est un âge d’or
pour les débuts du crédit public en France, avec la
création de rentes sur l’Hôtel de Ville de Paris ou
de Lyon et la mise en place d’impositions extraordi-
naires sur les villes. Mais aux restrictions monétaires
répond le dynamisme d’un pays en pleine expansion
démographique (la France compte 16, voire 18 mil-
lions d’habitants) et commerciale (les foires de Lyon
jouent un rôle central en Europe).
Nulle surprise à constater, dans ce contexte, que
la réflexion sur l’État et l’administration s’approfon-
dit, sous la plume de théoriciens fameux comme
Bodin et Loyseau : le pouvoir de faire la loi devient
aussi important que le pouvoir de rendre la justice,
qui était, lui, au centre de la conception médiévale
de l’État. Ce pouvoir n’est d’ailleurs pas absolu : les
remontrances sont autant d’exemples de l’opposi-
tion que le Parlement peut manifester à l’égard des

34
La fonction publique, le roman des origines

ordres du roi. Se dessinent même les contours de


« lois fondamentales », « immuables et inviola-
bles », comme les évoque le président de Harlay
en 1586 face à Henri III. Ce corpus constitutionnel
avant l’heure (catholicisme, masculinité, inaliénabi-
lité de la couronne...) renforce l’idée que l’État et
l’administration ne sont pas constitutifs d’un patri-
moine privé.
Nulle surprise non plus à voir la puissance de
l’État s’étendre bien au-delà des questions de jus-
tice, de finances et de défense. D’autres services
publics, comme l’enseignement ou l’action sociale,
relèvent certes de l’église mais la royauté entend
progressivement s’y impliquer. Le collège de France
est créé face au monopole de fait de l’Université,
consacrant l’influence des professeurs humanistes
réunis autour de Guillaume Budé. Les guerres répé-
tées poussent par ailleurs les municipalités à inter-
venir en matière sociale et les administrateurs hos-
pitaliers trouvent dans la période leurs lointains
ancêtres.
Les « offices » se multiplient tout au long du siè-
cle : si, vers 1505, la France ne compte pas plus de
12 000 fonctionnaires civils pour 15 millions d’ha-
bitants, le XVIe siècle sera celui d’une forte crois-
sance. Aux marchands succèdent les officiers : Mon-
taigne, dont l’arrière-grand-père était un négociant
bordelais, sera, lui, conseiller à la Cour des aides
de Périgueux puis au Parlement de Bordeaux. La
fin du XVe siècle a posé un double principe : l’ina-
movibilité des offices et l’interdiction de leur véna-
lité. La réalité, comme évoqué plus haut, est tout

35
Fonction publique

autre : François Ier, tout en prenant des ordonnances


pour confirmer l’absence de vénalité, crée
lui-même, dès 1522, un « bureau des parties casuel-
les » spécifiquement en charge de la vente des offi-
ces ! L’inflation des offices n’aura d’égale que la
courbe des besoins financiers : après 1560, les
métiers les plus divers sont concernés, allant des
militaires aux contrôleurs du foin et du beurre
frais... L’imagination est sans limite, un même
office pouvant parfois être scindé par semestre. Au
point qu’en 1560, les trois ordres s’unissent pour
demander au roi de ramener le nombre des offices
au nombre qu’elles étaient sous Louis XII et de sup-
primer réellement leur vénalité. Mais la tendance se
poursuit au point qu’à la fin du siècle, certains offi-
ces ont même du mal à trouver preneurs. Une étape
supplémentaire est franchie en toute fin de période,
avec la déclaration royale de 1604, prise à l’initia-
tive d’un financier ingénieux du nom de Charles
Paulet : aux termes de cette célèbre « paulette »,
les offices deviennent héréditaires mais occasionnent
en contrepartie un versement annuel.
Cette inflation des offices a pour conséquence de
diluer de plus en plus largement « l’action
publique », à la faveur de charges inutiles qui la
segmentent. Et l’inamovibilité et l’hérédité des offi-
ces, si elles sont des expédients d’abord financière-
ment efficaces, posent progressivement au roi une
difficulté redoutable : comment peut-il contrôler
cette fonction publique de plus en plus autonome,
qui échappe à ses ordres ? La création des « commis-
saires », concomitante à cette inflation des offices,

36
La fonction publique, le roman des origines

répond à cette préoccupation. En 1493, une ordon-


nance de Charles VIII proclame la dualité des char-
ges de la fonction publique : d’un côté, les officiers
inamovibles ; de l’autre, les commissaires révocables
(« de leur nature sont et doivent être révocables à
volonté »). En théorie, la distinction est assez sim-
ple : la commission est une charge publique tempo-
raire et si elle devient permanente, elle se trans-
forme en office. On est ici sans doute au lointain
fondement d’une dichotomie fondamentale et carac-
téristique de la fonction publique française, à savoir
le principe de la « double carrière » : le fonction-
naire jouit de la sécurité que lui procure son appar-
tenance à un corps ; mais il occupe des emplois qui
restent toujours à la discrétion de ses autorités hié-
rarchiques.
La commission est cet outil que le roi utilise
pour passer outre l’inamovibilité des officiers, sur-
tout lors de périodes troublées comme les guerres
de religion. Dès l’origine, elle suscite des débats
quasi théologiques : en 1579, dans les Six livres de
la République, Bodin tend à considérer la commis-
sion comme un procédé de gouvernement arbi-
traire, sauf quand elle est utilisée pour contrôler
les officiers ; a contrario, Loyseau, à la fin du règne
d’Henri IV, y voit un instrument nécessaire du pou-
voir souverain. La période connaîtra en tout état de
cause de célèbres commissaires : les grands officiers
de la couronne, dont le chancelier de France (qui
préside au conseil du roi, garde les sceaux et rend
au nom du roi la justice suprême, avec une équipe
importante de maîtres des requêtes), les

37
Fonction publique

connétables, les maréchaux, les amiraux de France,


les grands officiers de la maison du roi, les commis-
saires dépêchés pour diriger les opérations de rédac-
tion des coutumes, les « maîtres des requêtes de
l’Hôtel » qui chevauchent de province en province,
les titulaires des postes à l’étranger, qui prendront à
la fin du XVIe siècle le titre d’« ambassadeurs »...
C’est aussi dans ce contexte qu’émergent les secré-
taires d’État, qui sont au départ de simples
notaires-secrétaires assistant le chancelier de France.
Florimond Robertet en est resté l’un des représen-
tants les plus célèbres, en raison de sa longévité
notamment, puisqu’il servit sous Charles VIII,
Louis XII et François Ier. L’éminence de leur rôle
se traduit à la fin du XVIe siècle par la mission cen-
trale qui leur est dévolue : contresigner les actes
pour en certifier l’authenticité. L’idée qu’un texte
n’a de valeur que dûment contresigné est appelée à
une belle postérité... Enfin, la création des commis-
saires s’accompagne de l’embryon de règles nouvel-
les en matière de recrutement (plus théoriques que
discriminantes dans les faits) : dès 1499, on ins-
taure, pour certaines nominations de commissaires,
des épreuves de recrutement, avec l’exigence, par-
fois, d’une condition de diplôme.

5. Le XVIIe siècle consolide ces tendances et voit


naître les premiers « corps » de fonctionnaires
De 1610 à 1715, à la faveur d’une plus grande
stabilité des structures de gouvernement, l’organisa-
tion administrative se précise. Au sein de la Chan-
cellerie, le procureur général s’affirme comme le

38
La fonction publique, le roman des origines

gardien de l’activité législative, matérialisée par le


trésor des chartes et la collection des ordonnances.
Marque de l’importance accordée à cette construc-
tion législative, le principe d’une mise à disposition
des documents au public dans tous les secrétariats
d’État est posé à compter de 1661. Les secrétariats
d’État s’étoffent. Les grands commis qui les dirigent
à la fin du XVIIe siècle jouissent d’une indépendance
accrue. Certains font d’ailleurs l’objet de vives atta-
ques, tel un Chamillart pour ses choix comme secré-
taire d’État à la guerre de 1700 à 1709. C’est à cette
époque que des cabinets personnels apparaissent
autour des secrétaires d’État, lointains ancêtres de
nos cabinets ministériels. Tous les portefeuilles ne
revêtent pas la même importance. Au centre, sur-
tout à partir de 1680, se placent les questions mili-
taires : l’armée dispose d’effectifs élevés en perma-
nence et d’un énorme soutien financier.
L’évolution des emplois civils se fait ainsi en fonc-
tion des besoins de la guerre. Le soutien militaire
est à l’origine de structures administratives nouvel-
les, différentes de l’office : les « commissaires des
guerres » sont souvent des officiers des finances
mais ils doivent prendre tous les ans une lettre de
service qui leur attribue un département. La dépar-
tementalisation des fonctions est un héritage de
l’armée du Roi Soleil. De même, c’est au système
militaire que l’on doit le principe d’un avancement
selon « l’ordre du tableau », qui sera appelé à une
durable transposition pour les personnels civils.
Le nombre des officiers et des commissaires
continue de croître, prolongeant la période

39
Fonction publique

antérieure. Dès 1610, Loyseau fait paraître son célè-


bre Traité des offices. Et l’office gardera tout au long
du siècle son dynamisme : on estime que les officiers
sont deux fois plus nombreux en 1665 (42 000)
qu’en 1610 et qu’ils sont peut-être 60 000 à la fin
du siècle. Il faut dire que les vocations ne manquent
pas : en temps de guerre et de levées incessantes de
l’impôt, profiter d’exemptions fiscales s’avère parti-
culièrement précieux. Le nombre des commissaires
au sens large s’élèverait, lui, à la fin du XVIIe siècle,
à 20 000, portant le total des « fonctionnaires » à
80 000 agents environ, soit 0,4 % de la population.
La croissance des commissaires, que l’on dénomme
désormais plus volontiers des « intendants », est
donc aussi spectaculaire que celle des officiers.
Leurs pouvoirs sont d’ailleurs renforcés en 1642
puis codifiés en 1663. Et une intendance éminente
est souvent l’antichambre d’un poste de secrétaire
d’État, même si tous ne connaîtront pas la carrière
d’un Nicolas Fouquet, qui fut maître des requêtes
en 1636 et intendant d’armée entre 1642 et 1648,
d’un Sébastien de Vauban, commissaire général des
fortifications à compter de 1674, ou d’un Simon
Arnault de Pomponne, ambassadeur de 1665 à
1671. La différence entre les officiers et les inten-
dants est marquée dans les modes de rétribution :
l’intendant est « appointé » ou « gagé » et bénéficie
d’éventuelles gratifications annexes et à la différence
des « épices » de l’officier, il ne dispose pas d’un
salaire mais plutôt des moyens de soutenir la
dignité de sa fonction. Avec un peu d’audace et de
schématisme, on peut même estimer que la rému-
nération des officiers préfigure le futur

40
La fonction publique, le roman des origines

« traitement » des fonctionnaires tandis que celle


des intendants est davantage dans la logique de
l’« indemnité ». Les deux éléments se rejoindront
progressivement au cours des siècles à venir pour
constituer les deux composantes essentielles de la
rémunération que tous les fonctionnaires connais-
sent de nos jours.
Le siècle se démarque toutefois du précédent par
la création de véritables « branches d’administra-
tion » au sein desquelles le statut et la carrière des
personnels sont régularisés à l’échelle du royaume,
ce qui marque la naissance des futurs corps de fonc-
tionnaires. On citera la régie des vivres, qui est
créée sous Richelieu en 1635 sous la forme d’une
surintendance, la ferme générale des postes, dont
Louvois est le surintendant en 1662 et dont l’his-
toire retiendra les « cabinets noirs » ouvrant lettres
et paquets, et le corps des ponts et chaussées, corps
d’État à vocation technique dont la consécration
s’opère en 1713 avec la création de onze inspecteurs
généraux. Ces « corps » se distinguent par un nou-
veau mode de recrutement, qui se veut centré sur la
compétence : selon une formule de Colbert, « nulle
considération d’amitié, de parenté, ou d’autres par-
ticulières, ne prévalent à ce qui est du bien du ser-
vice ». Ces nouvelles structures, dont le XVIIe siècle
marque ainsi la naissance, portent les germes d’une
première réflexion sur l’accès aux emplois publics,
avec l’idée qu’une charge publique ne doit être
accordée que sur la base d’une capacité prouvée,
éventuellement à la faveur d’un concours : La

41
Fonction publique

Bruyère préconisera même d’appliquer ce précepte


pour pourvoir aux plus hauts postes.

6. Au XVIIIe siècle, jusqu’à la Révolution


française, les attributs de l’officier
et de l’intendant se mêlent, pour donner
progressivement naissance à notre figure
contemporaine du « fonctionnaire »
Le XVIIIe siècle voit le déclin de l’office. Dans le
sillage d’une monarchie contestée, le lien qui unis-
sait symboliquement l’office et l’ordre du
Saint-Esprit se dissout. Un glissement décisif
s’opère d’un monde où coexistaient les officiers et
les intendants vers un monde de fonctionnaires,
qui vont progressivement synthétiser leurs attributs
respectifs.
Les maîtres de requêtes, qui sont dans la mou-
vance du Parlement de Paris, illustrent parfaite-
ment ce phénomène. Leur entrée dans « la fonction
publique » se fait encore très majoritairement par
l’achat d’offices, au demeurant fort chères. Mais
leurs fonctions, qui consistent à rapporter les dos-
siers au Conseil du roi, les placent dès le départ en
lien direct avec la décision royale. Ils ont ensuite
naturellement vocation à devenir intendants ou
« commissaires départis ». Ils sont révocables et ren-
dent compte directement au contrôleur général, aux
secrétaires d’État et au roi. Ils doivent même solli-
citer l’autorisation de se marier. Enfin, les plus émi-
nents d’entre eux peuvent atteindre le Graal admi-
nistratif, à savoir le Conseil d’État, qui réunit toutes

42
La fonction publique, le roman des origines

les plus hautes charges et constitue le vivier par


excellence pour les nominations les plus importan-
tes. Recrutés comme officiers, les maîtres des requê-
tes achèvent ainsi leur carrière dans un statut bien
plus proche de l’intendance. Il est remarquable à cet
égard de les voir combiner les attributs des officiers,
des commissaires et des membres des corps qui
viennent de naître. Leurs fonctions sont en lien
direct avec la puissance royale, les érigeant avant
tout comme des intendants révocables. Leurs moda-
lités de rémunération sont pourtant plutôt celles de
l’office : ils bénéficient non pas de gages comme les
intendants du XVIIe siècle, mais de traitements
substantiels. Et ils jouissent d’une réelle stabilité,
d’autant plus notable que l’instabilité ministérielle
est grande. Leur carrière, enfin, emprunte à celles
des corps naissants : les conseillers d’État déroulent
une carrière hiérarchisée et ils font l’objet de nota-
tions, que le roi délègue au garde des Sceaux pour
tous ceux qui, comme l’écrit ce dernier de manière
savoureuse, « n’ont pas le bonheur de vous appro-
cher assez souvent pour que vous puissiez les juger
par vous-même ». Cette transition des officiers à ce
qu’on pourrait dénommer des « fonctionnaires com-
mis » a d’ailleurs trouvé des opposants inattendus.
Montesquieu dans De l’esprit des lois écrit ainsi que
« la vénalité (des offices) est bonne dans les États
monarchiques, parce qu’elle fait faire, comme un
métier de famille, ce qu’on ne voudrait pas entre-
prendre pour la vertu » et qu’« elle destine chacun
à son devoir ».

43
Fonction publique

Parallèlement, les corps qui ont vu le jour au siè-


cle précédent se renforcent et d’autres se créent : le
e
XVIII siècle voit par exemple la création d’un véri-
table corps diplomatique. Tout d’ailleurs, que ce
soient les délais de transmission ou les exigences
linguistiques, contribue à l’autonomie de ces secré-
taires d’ambassade. Plus généralement, les caracté-
ristiques du « fonctionnaire » se dégagent petit à
petit : les commis des ministères ont des emplois
de plus en plus stables et disposent d’une autono-
mie croissante. Ils peuvent s’appuyer sur des actes
en blanc souvent présignés et user de formules tou-
tes faites. En contrepartie, on exige d’eux assiduité
et déontologie, thèmes montants au temps des
Lumières, tant la corruption est encore répandue.
Mais l’Almanach royal, dont la série allant de
1758 à la Révolution est très complète et offre un
panorama détaillé de la haute administration,
témoigne d’une réalité : les grands commis se recru-
tent au sein d’un cercle encore très restreint (1 500
personnes au maximum). De sorte que les réactions
de l’opinion publique ne se feront guère attendre,
attisées par une bourgeoisie dont l’appétit pour les
emplois publics ira grandissant.

7. De 1789 à 1815, la Révolution


et l’Empire posent les grandes bases de notre
système contemporain de fonction publique,
qui connaît un « âge d’or »
À compter de la Révolution française, la fonction
publique désigne un ensemble de plus en plus déli-
mité et cohérent. Avant 1789, le terme de

44
La fonction publique, le roman des origines

« fonction publique » est profondément anachro-


nique. La sphère publique n’est encore que la
coexistence d’officiers civils et militaires, dont la
place décline, et de commissaires à l’importance
croissante dont les principaux sont chargés de la
justice, de la police et des finances et gouvernent
les provinces. L’intendance irrigue d’ailleurs tous
les niveaux hiérarchiques, les commissaires ayant
souvent de nombreux commis sous leurs ordres. La
définition d’une seule et même fonction publique
connaîtra encore beaucoup d’atermoiements au
cours du XIXe siècle : il faut attendre le Larousse de
1872 pour que la fonction publique regroupe « tou-
tes les personnes que leurs fonctions rattachent
d’une manière plus ou moins directe au gouverne-
ment, qui concourent à la gestion de la chose
publique » ou La Grande Encyclopédie de Marcellin
Berthelot (à compter de 1885) pour qu’elle réunisse
« toutes les personnes qui sont chargées d’assurer la
marche des services publics (...) et qui émargent au
budget de l’État, du département ou de la com-
mune ».
Il n’est pourtant pas contestable que la Révolu-
tion est l’acte de naissance de notre fonction
publique contemporaine. Les deux illustrations les
plus marquantes sont l’article 15 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen, qui parle
d’« agent public », et le décret du 4 décembre
1793, qui consacre, dans sa partie V (« Pénalités
des fonctionnaires publics et autres agents de la
République »), une forme d’unité de la fonction
publique. Pour la première fois, on intègre à sa

45
Fonction publique

définition les commis et employés, c’est-à-dire « les


agents inférieurs du gouvernement, même ceux qui
n’ont aucun caractère public, tels que les chefs de
bureau, les commis de la Convention, du conseil
exécutif, des diverses administrations publiques, de
toute autorité constituée et de tout fonctionnaire
public qui a des employés ». Traduction encore
plus concrète de cette cohérence nouvelle, un cos-
tume spécifique est institué en 1795, qui gagnera
en éclat sous l’Empire.
Évidemment, il subsiste bien des différences au
sein de ce groupe social, ne serait-ce qu’entre deux
sous-ensembles aux modes de recrutement très dif-
férenciés : d’un côté, des agents élus, dont l’Assem-
blée constituante enracine les nouvelles fonc-
tions (députés, membres des conseils généraux de
département, des conseils de district et des munici-
palités, juges...) ; de l’autre, des agents nommés, la
Constitution de 1791 prévoyant que le roi nomme
les ministres et que ceux-ci nomment les fonction-
naires importants. La nomination est aussi le prin-
cipe de désignation des chefs des administrations
départementales et communales. Et la Convention
puis le Directoire se réservent le droit de nommer
un certain nombre de fonctionnaires clés, comme
le receveur des impositions directes de chaque
département.
Au-delà même de ces deux grands ensembles,
une pluralité de « catégories » compose la fonction
publique :
— Le clergé : la Constitution civile du clergé
emporte la conséquence paradoxale de faire des

46
La fonction publique, le roman des origines

serviteurs du culte (les jureurs) des fonctionnaires


publics.
— Le Conseil d’État : la Constitution de l’an VIII
scelle la consécration de cet organe suprême, hérité
de l’Ancien Régime : « sous la direction des
Consuls, un Conseil d’État est chargé de rédiger
les projets de lois et les règlements d’administration
publique, et de résoudre les difficultés qui s’élèvent
en matière administrative ». Sa fonction est en réa-
lité très différente du Conseil d’État du roi, que
composaient des ministres et conseillers de nature
avant tout « politique » : le nouveau Conseil d’État
regroupe des conseillers en service ordinaire et en
service extraordinaire, de plus en plus recrutés sur
le fondement de leurs compétences techniques. Il
se subdivise d’ailleurs en cinq sections. Puis il se
hiérarchise : en 1803, avec l’apparition des audi-
teurs et en 1806, avec celle des maîtres des requê-
tes. En 1809, on lie en outre l’entrée dans la Haute
Assemblée à la détention d’un titre universitaire.
— La Cour des comptes : les chambres des comptes
et cours des aides d’Ancien Régime gagnent un
nouveau prestige avec la loi de 1807, qui fait de la
Cour des comptes l’organe suprême de vérification
des comptes, dotée du pouvoir de formuler des
observations générales et de poursuivre les concus-
sionnaires.
— Les préfets et sous-préfets : la loi du 17 février
1800 place à la tête de chaque département un pré-
fet et, à la tête de chaque arrondissement, des
sous-préfets. Leur nom est hérité de Rome et fut
déjà utilisé sous le Directoire pour désigner les
représentants du gouvernement dans les

47
Fonction publique

Républiques romaine et helvétique. Avec cette nou-


velle catégorie de serviteurs publics, la notion de
fonctionnaires révocables prend toute sa dimension :
leur nomination est à la guise du pouvoir (et souvent
prononcée à partir des listes de notabilité départe-
mentales). Bonaparte, assisté de son frère Lucien
comme ministre de l’Intérieur, prendra d’ailleurs
un soin tout particulier à nommer les premiers titu-
laires. Ils sont dotés de pouvoirs étendus puisque,
comme la loi en dispose, « le préfet sera seul chargé
de l’administration du département », sauf en
matière de justice, de finances puis d’enseignement
(dérogations appelées à une longue postérité...).
Leurs prérogatives vont jusqu’à nommer les maires
ou à tout le moins à proposer leur nomination à
l’Empereur. La vie des préfectures elle-même s’ins-
titutionnalise au début du XIXe siècle, avec la créa-
tion d’un secrétaire général et d’un conseil de pré-
fecture (qui est aussi une juridiction contentieuse).
Les sous-préfets, eux, disposent de nettement moins
de pouvoirs et ils sont généralement désignés parmi
les jeunes auditeurs au Conseil d’État.
— La magistrature : alors qu’elle était auparavant
constituée d’officiers, la Constituante pose le prin-
cipe de l’élection des magistrats (avec l’exigence de
justifier de cinq années d’expérience). La Constitu-
tion de l’an VIII instaure leur inamovibilité (à vie)
mais elle ne sera pas toujours respectée, d’autant
que la période voit la création de tribunaux d’excep-
tion dans les régions insurrectionnelles.
— L’administration financière : la Révolution sim-
plifie le système fiscal antérieur, en distinguant
trois contributions : la contribution foncière, la

48
La fonction publique, le roman des origines

contribution personnelle mobilière, les patentes


(commerçants). La loi de 1799 est le prolongement
institutionnel de ces évolutions : est créée, dans
chaque département, une direction du recouvre-
ment des impôts directs. On y trouve un directeur,
un inspecteur, des contrôleurs, là où jusqu’ici on
comptait des agents le plus souvent élus par les
contribuables ! Le système gagne ainsi notablement
en efficacité, d’autant que le principe du cautionne-
ment est posé. De cette manière, les receveurs ali-
mentent le Trésor national, conduisant à la création
d’une direction puis d’un ministre du Trésor. Ces
réformes s’accompagnent d’un travail cadastral
colossal, aboutissant à la loi de 1807 et au cadastre
général parcellaire : à la fin de l’Empire, 10 000
communes sur 40 000 sont précisément délimitées.
— L’enseignement : sous l’Ancien Régime, il était
indissociable du clergé catholique : les maîtres
d’école étaient curés ou vicaires, l’instruction des
filles était prodiguée par des religieuses et l’ensei-
gnement secondaire était aux mains des ordres reli-
gieux (Jésuites, Oratoriens, Doctrinaires, Minimes).
Il en allait de même des Universités sauf dans quel-
ques domaines comme le droit, la médecine et la
chirurgie. La Convention de 1793 est dans ce
contexte le moment d’une césure fondamentale :
l’enseignement primaire devient gratuit et obliga-
toire. Et en 1795, on crée les écoles centrales (« au
centre du département »), dédiées aux sciences de
l’observation, aux sciences mathématiques et physi-
ques ainsi qu’à la grammaire générale, aux belles
lettres et à la législation. Dans les faits, la situation
est très diverse. La gratuité reste inappliquée faute

49
Fonction publique

de moyens et de compétences suffisants. Les institu-


teurs ne sont pas des fonctionnaires d’État mais ils
sont rétribués par les communes, pour un temps
généralement assez court. Les écoles centrales, qui
mêlent religieux et clercs, fonctionnent un peu
mieux car les agents y sont mieux sélectionnés et
payés. Mais elles sont elles-mêmes rapidement
taxées d’inorganisation et supprimées en 1802 au
profit des lycées et collèges, sur le modèle du « Pry-
tanée français » (internat de Louis le Grand). La
volonté de Napoléon est alors d’en faire un corps
quasi religieux : les enseignants portent une robe
d’étamine noire, sont contraints en 1808 au célibat
et doivent obéissance au « Grand-maître » (ministre
de l’Instruction publique). Leur sélection procède
directement du Consul au terme d’une présélection
par une commission de trois savants (dont Cuvier).
Mais là aussi, la mise en place concrète sera lente.
En matière d’enseignement supérieur, secteur
encore mal défini sous le Directoire, les efforts de
l’Empire sont aussi indéniables : en 1802, le nom-
bre des écoles spéciales (droit, médecine...) est forte-
ment augmenté (même si la mesure ne sera appli-
quée que partiellement). Parallèlement se
développent les écoles privées d’enseignement supé-
rieur (prises en charge par les municipalités). Mais
la véritable impulsion intervient en 1806, avec la
fondation de l’Université impériale qui groupe les
établissements des trois ordres (primaire, secon-
daire, supérieur). Un Grand-maître est placé à la
tête du système et s’appuie sur un conseil de 30
membres et 30 inspecteurs généraux. La division
en académie et rectorat date de cette époque. Le

50
La fonction publique, le roman des origines

mode de nomination est identique à celui des pré-


fets. Enfin, une École normale supérieure voit le
jour : si une école normale avait déjà fonctionné
début 1795, l’expérience ne reprend qu’en 1808,
avec la mise en place d’un pensionnat de jeunes
gens destinés à l’art d’enseigner les lettres et les
sciences.
— La police : elle joue un rôle essentiel sous le
Consulat et l’Empire. S’il y avait déjà des commis-
saires de police sous l’Ancien Régime, le Directoire
crée un ministère de la police générale, dont Fou-
ché, à partir de 1799, prendra la tête. Il est le vrai
fondateur de la fonction publique policière : un pré-
fet de police succède au lieutenant général de police
de l’Ancien Régime, un commissaire est placé dans
toutes les communes de plus de 5 000 habitants,
des commissaires généraux de police dans les gran-
des villes de province et les villes frontières. C’est
aussi l’âge d’or de la police secrète, héritière du
« cabinet noir » de l’Ancien Régime, surtout à
compter de la nomination de Lavalette comme
directeur général des postes, qui fait office de
ministre adjoint de la police.
Et la « fonction publique » englobe aussi des sec-
teurs plus inattendus comme la presse, puisque des
censeurs sont nommés par le pouvoir auprès des
journaux et rémunérés par eux.
Dans cet univers pluriel mais qui tend à s’uni-
fier, des principes fondateurs pour la fonction
publique s’affirment. Sous l’Ancien Régime,
comme on l’a évoqué plus haut, le concours n’exis-
tait comme mode de recrutement que pour les corps

51
Fonction publique

techniques (ponts, mines, artillerie, génie). Il était


d’ailleurs assez rarement discriminant dans les
faits. Dans la plupart des cas, aucune condition
d’instruction n’était exigée pour devenir fonction-
naire : le candidat se contentait d’adresser une
demande et attendait qu’il y fût répondu... L’arti-
cle 6 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen pose un nouveau principe, fondamental
pour la diffusion à venir du concours comme mode
de recrutement de droit commun : « (...) Tous les
citoyens, étant égaux à ses deux yeux, sont égale-
ment admissibles à toutes dignités, places et
emplois publics, selon leur capacité et sans autre
distinction que celle de leurs vertus et de leurs
talents ». Au détour de cet article aujourd’hui plei-
nement intégré à notre corpus constitutionnel, les
révolutionnaires ancrent alors deux idées qui sont
au cœur du modèle français de fonction publique :
l’égalité de tous les citoyens pour l’accès à la fonc-
tion publique ; une sélection sur le seul fondement
de leurs compétences (« leurs vertus et talents »).
En 1797, un arrêté du Directoire vient y ajouter
un corollaire, la formation : « tout citoyen non
marié et ne faisant pas partie de l’armée et candidat
à une place dans l’Administration devra fournir
outre un extrait de naissance, un certificat de fré-
quentation de l’une des écoles centrales de la Répu-
blique ». Cette décision a pour double objectif de
remplir ces écoles centrales, qui viennent juste
d’être créées, et de garantir que les futurs titulaires
des emplois publics disposeront d’un niveau mini-
mal d’instruction. Les certificats ici désignés doi-
vent en effet « contenir des renseignements sur

52
La fonction publique, le roman des origines

l’assiduité du candidat, sur sa conduite civique, sur


sa moralité et sur les progrès qu’il a fait dans ses
études ». Même si les exigences resteront longtemps
éloignées de nos canons contemporains (on valorise
à l’époque chez les agents publics davantage la belle
écriture de bureau que la belle orthographe), c’est
un tournant fondamental. La Révolution impose
aussi à tous les fonctionnaires publics un serment
de fidélité, contrairement à l’Ancien Régime où il
ne s’imposait qu’à certains dignitaires. Dans le sil-
lage du serment du Jeu de Paume du 20 juin 1789
et du serment de la fête de la Fédération, la Consti-
tution du 3 septembre 1791 institutionnalise pour
tous l’obligation de former le serment « d’être fidè-
les à la Nation, à la Loi et au Roi et de maintenir de
tout leur pouvoir la Constitution du royaume décré-
tée par l’Assemblée constituante »... Si cette dimen-
sion s’exprime aujourd’hui davantage sous la forme
d’un principe hiérarchique que sous la forme d’un
serment de fidélité (ce dernier n’existera que sous
Vichy entre 1940 et 1944), un autre élément essen-
tiel est ainsi posé pour la construction de la fonction
publique. Est également solennellement consacrée
l’idée de responsabilité des fonctionnaires : aux ter-
mes de l’article 15 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, « la société a le droit de
demander compte à tout agent public de son admi-
nistration ». Cette exigence sera réaffirmée à l’arti-
cle 23 de la déclaration de 1793 : « la garantie
sociale (...) ne peut exister si la responsabilité de
tous les fonctionnaires n’est pas assurée ». Autres
caractéristiques fondamentales, les fonctionnaires
« doivent à la chose publique leurs travaux et leurs

53
Fonction publique

soins » (Assemblée constituante du 29 novembre


1789), première affirmation aussi nette de la néces-
sité pour un fonctionnaire d’être assidu à sa tâche, et
l’interdiction de cumuler certaines fonctions incom-
patibles entre elles est instituée par un décret
de 1794.
Enfin, les serviteurs de l’État trouvent sous l’Em-
pire un prestige et une position sociale inégalés. Les
décorations à destination des fonctionnaires se mul-
tiplient et comparativement au revenu moyen, leurs
traitements sont élevés. Un décret de 1795 est l’em-
bryon d’une grille unique de rémunération : il fixe
le traitement de tous les « employés » sur le modèle
des ministères parisiens et établit le paiement en
assignats, les 15 et 30 de chaque mois. Ce sont
aussi les premières tentatives d’une rémunération à
la performance : au sein de fourchettes de rémuné-
ration, les chefs de service « déterminent, d’après la
nature du travail de chaque bureau ou administra-
tion, si les employés seront placés au maximum, au
minimum ou aux degrés intermédiaires de chaque
classe ». Ces efforts sont emblématiques de la consi-
dération que l’Empereur entend accorder à la situa-
tion des agents publics, même si dans les faits, les
paiements sont souvent irréguliers ou victimes de la
dévaluation des assignats. Les agents publics béné-
ficient d’autres avantages : ils peuvent toucher des
indemnités de déplacement ; ils sont exemptés de
la contribution de la patente ; ils disposent de faci-
lités en nature (fournitures diverses...). Enfin, l’idée
d’un droit à la carrière et à l’avancement chemine.
Un système de notation déterminant l’avancement

54
La fonction publique, le roman des origines

est mis en place. Et si la retraite ne se prend pas à


âge fixe, un décret de 1795 accorde des pensions à
des « fonctionnaires publics retirés des différentes
administrations ». C’est sous l’Empire que les cais-
ses de retraite apparaissent, alimentées par des rete-
nues de 3 % sur les traitements.

8. De 1814 à 1848, les fondements


de la fonction publique contemporaine
s’enracinent, sur fond de réflexion croissante
sur le nombre et le rôle des fonctionnaires
Au sortir de l’Empire, l’impression communé-
ment véhiculée est qu’il y a beaucoup trop de fonc-
tionnaires. En 1825, au sein de l’un des volumes
des Mœurs administratives, on peut lire que « l’admi-
nistration envahit tout, les administrateurs pullu-
lent, et pourtant les quatre-vingt-dix-neuf centiè-
mes de la population ignorent complètement
quelle est la nature de cette force motrice qui,
nous poussant à coups d’ordonnances, de règle-
ments et d’arrêtés, nous contraint à marcher droit
sur la grande route de l’obéissance ». En 1834,
Thiers, alors ministre du Commerce et des Travaux
publics, évoque aussi à la tribune le « nombre
considérable d’employés » de son ministère. On
estime alors à 255 000 le nombre des fonctionnaires
(pour 25 millions d’habitants). La Restauration est
à cet égard plutôt une période de diminution car les
effectifs de l’armée baissent, le territoire impérial est
amputé et les restrictions sur les dépenses publiques
se multiplient, Villèle étant convaincu que la
dégradation des finances sous Louis XVI fut la

55
Fonction publique

principale cause de la Révolution française. Le déve-


loppement d’autres secteurs comme les postes, dont
le nombre de bureaux triple quasiment sur la
période, ne suffit pas à inverser cette tendance.
La période voit également l’émergence de la
science administrative, comme domaine autonome
par rapport au droit administratif. Avec les Études
administratives de Vivien (1845), les « fonctionnaires
publics » gagnent en consistance, « l’administra-
tion » devient une entité distincte et les premières
réflexions se déploient sur les rapports entre l’État
et l’administration. L’éminence du rôle des fonc-
tionnaires publics est soulignée : ils sont « les dis-
pensateurs ou les instruments de la force sociale »
et ils incarnent « l’État personnifié », le service
public s’étant coulé dans le moule ancien et tout
puissant du service du roi. Au-delà des théoriciens,
le gouvernement s’empare du sujet. Comme le note
le même Vivien, « le gouvernement de juillet res-
pecte les personnes, relève les traitements les plus
faibles, organise les services. Chaque année, la
chambre des députés agite des questions relatives à
ce grave sujet. Elle discute des pensions, étudie les
rapports qui rapprochent ou séparent le serviteur de
l’État de l’homme politique et tente de régler les
conditions de l’admission et de l’avancement dans
les carrières publiques ».
L’administration elle-même devient de plus en
plus technicienne. L’autorité glisse progressivement
de l’entourage immédiat du roi dans le palais des
Tuileries vers les ministres. Les portefeuilles s’orga-
nisent, autour d’un socle de six ministres : Affaires

56
La fonction publique, le roman des origines

étrangères, Guerre, Finances, Intérieur, Justice,


Marine. Le Président du Conseil est l’un d’entre
eux, généralement celui chargé des affaires étrangè-
res (Talleyrand, duc de Richelieu). Certains minis-
tres de l’Intérieur, tels Decazes, sont influents. De
nouvelles priorités s’affichent : en 1828, le minis-
tère de l’Instruction publique devient un ministère
à part entière ; le ministère des Travaux publics
s’adosse à la puissante direction générale des ponts
et chaussées et des mines. Environ 3 000 agents
font vivre cette haute fonction publique à Paris et
en province : ministres, directeurs généraux,
conseillers d’État, préfets, officiers, procureurs et
receveurs généraux, recteurs et évêques, députés et
pairs de France. Et la promotion sociale en son sein
paraît plus difficile que sous la Révolution et l’Em-
pire. La science y trouve en tous cas une place nou-
velle, aux côtés des traditions juridique, financière,
militaire et ecclésiale de l’administration française.
Les racines sont certes antérieures : après la création
au XVIIIe siècle du corps des ponts et chaussées et du
corps des mines, Bonaparte, féru des séances de
l’Institut, avait déjà affirmé l’idéal pédagogique
des Lumières avec l’École polytechnique et l’École
normale supérieure. Mais c’est la période suivante
qui consacrera la grande tradition des « techniciens
de l’État », au point qu’un célèbre naturaliste
comme Cuvier puisse être secrétaire général du
ministère de l’Intérieur et membre du Conseil
d’État. Parallèlement, le nombre des enseignants
croît, même si l’on est encore loin de l’augmenta-
tion considérable que suscitera plus tard l’école
laïque et gratuite de Jules Ferry. L’État se heurte

57
Fonction publique

au manque de maîtres qualifiés, comme l’illustrent


alors ces instituteurs itinérants, dont le nombre de
plumes indiquait s’ils savaient lire ou compter ! La
première école normale primaire voit le jour en
1810 à Strasbourg, leur augmentation est progres-
sive sous la Restauration et une loi de 1833 les
généralise à tous les départements. Mais il faudra
encore du temps pour une mise en œuvre pleine et
entière.
Cette administration nombreuse et de plus en
plus technicienne apparaît toutefois sous un jour
moins flatteur que sous l’Empire s’agissant des
niveaux hiérarchiques inférieurs. La distinction per-
siste entre les « véritables fonctionnaires » et ceux
qui ne sont que des « employés ». Les seconds ne
participent pas directement du service public, ils
sont liés à la personne même du fonctionnaire
qu’ils assistent et entretiennent avec lui des liens
de droit privé. Même si la distinction est assez théo-
rique en réalité car il n’existe pas de statut de la
fonction publique permettant de clairement délimi-
ter cette frontière. À Paris, les hiérarchies se dessi-
nent depuis le secrétaire général de ministère et le
secrétaire particulier du ministre jusqu’à la cohorte
administrative des commis-rédacteurs, commis
d’ordres, expéditionnaires, vérificateurs,
archivistes... en passant par les chefs et sous-chefs
de bureau (le catastrophique Rabourdin chez Bal-
zac !). Dans cet univers très hétéroclite, apparaissent
aussi les « surnuméraires », qui sont les stagiaires ou
vacataires de l’époque. Si le cadre de travail est plu-
tôt ordonné et codifié, il est assez médiocre. Le chef

58
La fonction publique, le roman des origines

de bureau n’a parfois d’autre ambition que de chan-


ger une chaise en merisier en une chaise d’acajou ou
de quitter les entresols pour les étages plus nobles.
Les anciens hôtels particuliers deviennent alors des
fourmilières administratives, où les fonctionnaires
s’attachent à soigner leurs plumes, encriers et pan-
cartes ou à ranger dans leurs armoires leurs manches
en toile, la lustrine et leurs casquettes... Ainsi naît
l’image, appelée à perdurer, des « ronds de cuir » !
En province, au sein des 86 départements
chefs-lieux, le préfet est entouré d’une équipe
réduite composée de jeunes sous-préfets. Il contri-
bue toujours à choisir les maires et à « faire » les
députés. Car il faudra attendre la loi départementale
et communale de 1831 pour qu’apparaisse un prin-
cipe électif. Le maire, qui jure serment au
monarque et dont la révocation est toujours pos-
sible, et le curé sont les deux autres fonctionnaires
clés au niveau local. Au plus bas de l’échelle admi-
nistrative, on trouve le cantonnier, posté en uni-
forme de drap bleu à une portion de route pour
veiller à son bon entretien, conformément aux ter-
mes d’une circulaire de 1816.
Parallèlement, de nouvelles pierres sont appor-
tées à l’édifice du « statut » de la fonction publique.
En matière de recrutement, la nomination par le
roi aux emplois publics continue de prévaloir, en
vertu de la Charte. Mais tout l’enjeu est de savoir
dans quelles conditions ce pouvoir s’exprime. Les
diplômes constituent dans certains cas des exigences,
sans être pour autant une condition universelle...
faute d’un nombre suffisant de diplômés. Les plus

59
Fonction publique

utilisés dans les procédures de recrutement sont les


titres de bachelier ès lettres et de licencié en droit,
qui ouvrent un accès à des postes parfois assez éton-
nants : être bachelier ès lettres autorisait à devenir
chirurgien militaire et être licencié en droit permet-
tait de devenir professeur de langues orientales vivan-
tes ! Parmi les autres conditions, le titre d’ancien
émigré est évidemment utile sous la Restauration.
Mais c’est de manière générale une condition de
moralité et de nationalité (sauf pour quelques savants
étrangers ou pour les proscrits) qui est requise. À
noter en outre qu’en ce XIXe siècle très masculin, les
femmes sont plus présentes dans les faits que dans les
textes : des ouvrières d’État travaillent à l’Imprimerie
nationale, à la Monnaie ou aux tabacs et allumettes,
ainsi que dans les postes qui ont des besoins immen-
ses sur tout le territoire. Dans ce contexte, le
concours gagne des partisans mais il s’écarte trop
ouvertement du pouvoir discrétionnaire du roi pour
pouvoir s’implanter : le projet de loi Dufaure en
1844 visant à l’instituer de manière générale fut
repoussé par une seule voix de majorité. Mais on
voit quand même se développer des examens d’apti-
tude à l’emploi, sur le modèle des pratiques britanni-
ques que ramènent dans leurs bagages les anciens
émigrés de Londres puis les libéraux après 1830. Ils
sont pratiqués par le ministère des Finances ou pour
les auditeurs au Conseil d’État. Enfin, les stages per-
mettant un apprentissage sur le tas ou une période
d’essai sont pratiqués dans des administrations
comme celle des postes.

60
La fonction publique, le roman des origines

Pour la formation des élites, on s’appuie sur les


institutions déjà en place : l’École des ponts et
chaussées passe d’impériale à royale (1814), l’École
normale supérieure est maintenue et bénéficie d’un
allongement de scolarité (les locaux de la rue d’Ulm
sont inaugurés en 1846 sous Louis-Philippe),
l’École polytechnique est reconstituée en 1816.
Mais l’effort de formation est notablement déve-
loppé dans d’autres sphères, avec les créations du
Conservatoire des arts et métiers en 1819, de l’École
spéciale de commerce et d’industrie en 1820, de
l’École des chartes en 1821, de l’École forestière
de Nancy, de l’École vétérinaire d’Alfort, de l’École
du Pin pour les Haras ou encore des écoles militai-
res d’application. Pour ce qui est d’une grande école
administrative, il faudra attendre le 8 mars 1848 et
la naissance d’une première École d’administration,
par arrêté du gouvernement provisoire. Mais pour la
masse des fonctionnaires et employés, la formation
reste un apprentissage sur le tas.
La doctrine se précise également en matière
d’avancement et de carrière. La loi
Gouvion-Saint-Cyr de 1817 est une étape impor-
tante. Soucieux de ne pas mettre à bas l’armée héri-
tée de l’Empire, Louis XVIII met en place un sys-
tème d’avancement des personnels militaires, dont
le principe s’étendra plus tard à la carrière des civils.
Pour devenir officier, il faut être passé par une école
militaire ou justifier de deux ans de service comme
sous-officier. Et l’avancement se fait à l’ancienneté,
tous les quatre ans minimum, pour les deux tiers
des mouvements. Le dernier tiers reste au choix du

61
Fonction publique

roi. Ce dispositif suscita de violentes objections au


motif qu’il serait contraire à la Charte. Mais on l’ad-
mit pour le soldat car il exerçait un métier difficile
et dangereux qui justifiait des garanties. L’extension
du système aux personnels civils sera plus difficile :
les tentatives se multiplient (projet de loi Dufaure
de 1844) mais sans succès. L’idée fait toutefois son
chemin dans les pratiques, y compris en matière de
rémunération : dans plusieurs secteurs de l’adminis-
tration, les fonds de fin d’exercice sont ainsi distri-
bués aux employés par ordre d’ancienneté.
Les rémunérations justement restent très dispara-
tes : traitement, appointements, gage... et il n’existe
toujours pas de grille unique. Mais on s’organise
pour disposer de sources de revenus complémentai-
res : à l’administration des finances, les conserva-
teurs des hypothèques sont payés en fonction des
extraits qu’ils délivrent ; les greffiers peuvent pré-
senter leur successeur contre paiement ; les ingé-
nieurs des ponts honoraires tirent des revenus pro-
portionnels aux travaux qu’ils conduisent ; le cumul
avec des activités lucratives se développe de même
que les congés spéciaux offerts aux cantonniers pour
participer aux vendanges... Autre avantage qui s’est
maintenu : le système des caisses de retraite de
l’Empire (par corps et administrations, 3 % sur les
appointements) qui permet à certains fonctionnaires
de jouir d’une pension de retraite. La politique de
décorations se poursuit : la Légion d’honneur créée
sous l’Empire pour les militaires s’étend à un petit
nombre de civils. La Croix de Saint-Louis, les

62
La fonction publique, le roman des origines

palmes académiques pour l’Université et l’honora-


riat pour les ingénieurs naissent pendant cette
période.
Enfin, les obligations des agents publics s’enraci-
nent. Le serment de fidélité est exigé pour les fonc-
tionnaires d’autorité même s’il s’avère très factice
dans la pratique en raison des changements inces-
sants de régime, comme le rappellera avec férocité
le célèbre Dictionnaire des girouettes. La menace de
révocation est réelle mais statistiquement rare : le
Conseil d’État, pourtant très proche du politique,
fait montre d’une grande stabilité sous la Restaura-
tion. Les employés, eux, sont très liés à la disponi-
bilité des crédits car la notion d’emploi budgétaire
n’a aucune réalité. Une ordonnance de 1843 exige
des administrations centrales, pour la première
fois, d’élaborer une sorte d’organigramme détaillant
les postes et emplois, ce qui constitue, somme
toute, une première étape vers la « stabilité de l’em-
ploi ». Dans de nombreux textes est également
posée une obligation de résidence : l’indemnité de
résidence versée aujourd’hui à chaque fonctionnaire
en est la survivance. L’obligation de réserve résulte,
elle, de la vieille tradition de secret héritée des pro-
cédures inquisitoires.

9. De 1848 à 1870, la fonction publique entre


progressivement dans l’ère des masses
1848 et les années qui suivent sont l’aube,
encore fragile, d’une nouvelle modernité politique :
l’irruption du suffrage universel fait passer le corps
électoral de 250 000 à 9 millions de Français.

63
Fonction publique

L’accroissement du nombre de fonctionnaires ser-


vant l’État ou les collectivités en est le reflet : de
moins de 500 000 sous la deuxième République,
la fonction publique regroupera près de 700 000
agents en 1870, avec une augmentation notable
des forces de l’ordre. La période voit aussi le déve-
loppement d’un « secteur public », miroir d’une
nouvelle modernité économique. Dans le sillage du
saint-simonisme, qui théorise le rôle moteur des
producteurs, le gouvernement s’érige progressive-
ment comme le chargé d’affaires de la société. Cela
se matérialise tout particulièrement par les immen-
ses travaux du chemin de fer, qui occasionnent des
lois d’utilité publique et d’expropriation volumi-
neuses. Le rôle des conseillers d’État est clé dans
cet exercice. Les préfets ne sont pas en reste : à tra-
vers, tantôt, la surveillance des chantiers et la
répression des grèves industrielles, tantôt, la lutte
contre l’alphabétisme et les épidémies, ils sont les
dépositaires d’un projet social à la fois autoritaire
et paternaliste. Ces évolutions profondes ne vont
pas sans opposition : les orléanistes persiflent en iro-
nisant sur cet « État-providence » qui va au-delà de
ses prérogatives régaliennes. Le terme restera... en
perdant sa connotation péjorative.
Pour autant, en matière de fonction publique,
c’est plutôt la continuité avec la période antérieure
qui prime : le contraste est net entre une élite admi-
nistrative et la masse des employés. La crise morale
et matérielle de la fonction publique, sensible
depuis la Restauration, demeure, même si la
défense des intérêts des fonctionnaires s’organise :

64
La fonction publique, le roman des origines

des clubs politiques se créent dans les administra-


tions (Club des bureaucrates) et les journaux et bro-
chures se multiplient (L’écho des employés). Ce sont
les premières manifestations d’un syndicalisme de
fonctionnaires, conscients d’appartenir à la piétaille
administrative qu’écrase l’augmentation des subsis-
tances et des loyers à Paris. L’insuffisance des traite-
ments, que n’harmonise aucune grille, est régulière-
ment soulignée. Un numéro de L’écho des employés
revendique, de manière assez savoureuse pour le lec-
teur d’aujourd’hui, « peu d’employés mais mieux
payés ». Et la critique porte aussi sur l’arbitraire
des recrutements et des avancements : l’extension
du modèle militaire (loi Gouvion-Saint-Cyr) est
souhaitée, de même que le développement d’une
promotion interne. Les représentants de ces mouve-
ments encore embryonnaires s’efforcent de partici-
per aux commissions de réformes mises en place
par le gouvernement provisoire. Mais ils seront
vite douchés par l’indifférence de l’Assemblée
constituante d’avril 1848 puis l’épuration de
1848-1852.
L’initiative restée la plus fameuse est la création
de la première École nationale d’administration.
Dès les années 1830, des études sont conduites sur
le noviciat de type allemand et l’idée fait son che-
min d’une faculté spéciale, qui serait distincte des
facultés de droit. Un projet de réglementation est
même élaboré par Tocqueville et Émile de Girardin
en 1843. Le projet va d’abord bon train. Le
26 février 1848, à peine nommé ministre de l’Ins-
truction publique, Carnot écrit dans son Journal :

65
Fonction publique

« École d’administration, notre première pensée ».


Dès le 8 mars 1848, un décret en opère le rattache-
ment au collège de France. En mai-juin, des exa-
mens ont lieu, sous l’égide d’un jury itinérant
auquel participe Ampère. 152 élèves sont sélection-
nés. Mais au bout de trois mois, le projet est aban-
donné, en proie à l’hostilité des conservateurs
(comte de Falloux) qui y voit une atteinte inadmis-
sible au libre arbitre du Prince-Président, aux pro-
blèmes de débouchés (aucun quota de postes d’ex-
cellence n’est réservé dans les administrations) et
aux attaques de l’Université, jalouse de ses préroga-
tives. En août 1849, la toute jeune école est suppri-
mée. D’autres tentatives de professionnalisation du
recrutement de la haute fonction publique prolon-
gent toutefois ces efforts. Napoléon III avait
lui-même théorisé le rôle-clé que pourrait jouer
l’auditorat du Conseil d’État, dans ses Idées napoléo-
niennes : il entendait faire du Conseil une grande
école d’administration où se recruteraient utilement
tous les grands serviteurs publics. Mais ces velléités
ne sont pas allées jusqu’à créer de véritables
concours de recrutement : un décret de 1852 vient
rappeler que la nomination et la révocation des
auditeurs se fait par décision présidentielle (comme
pour les maîtres des requêtes et les conseillers
d’État), l’exigence de diplôme universitaire instau-
rée en 1853 ne faisant qu’illusion.
Dans ce contexte, le fossé s’accroît entre les hauts
fonctionnaires et la masse des employés, dont la vie
quotidienne ne change guère. Certes des évolutions
sont en germe : le nombre des surnuméraires est

66
La fonction publique, le roman des origines

plafonné à 4 % au ministère des Finances ; des par-


cours de promotion interne se dessinent, allant de
l’expéditionnaire, commis, commis principal,
sous-chef, chef de bureau jusqu’aux chefs de divi-
sion et directeurs. Mais l’avancement reste très
lent, la promotion au choix restant suspecte tout
au long du XIXe siècle, ce qui crée un engorgement
important au niveau de certains grades. La difficulté
des promotions est d’autant plus vivement ressentie
que le quotidien des agents n’a pas connu de grands
changements depuis Balzac. Texier et Gaboriau
décrivent à l’envi le fonctionnaire peu assidu (mal-
gré l’instauration d’une feuille de présence en 1850)
ou se perdant dans des tâches insignifiantes (instal-
lation, taille des crayons, rangement, déjeuner),
avec pour seul but d’épuiser la durée réglementaire
de six heures. Émile Gaboriau évoque, dans une
belle formule, « cette administration qui, si elle
prive du nécessaire, donne un si beau superflu »,
grâce à un nouveau matériel : les papiers s’amélio-
rent avec la fibre de bois et les premiers glaçages,
les plumes d’acier apparaissent vers 1870, de
même que les papiers buvards. Les quelques inno-
vations doctrinales viennent souvent d’initiatives
locales : le préfet Haussmann institue un traitement
minimum pour chaque catégorie, assorti d’avance-
ments automatiques et d’un volant d’avancements
au choix. Ses travaux parisiens facilitent en outre la
réaffectation de bâtiments publics : en témoignent
les quartiers administratifs mettant fin aux bouges
de l’Ile de la cité (préfecture de police, caserne,
palais de justice...) ou l’installation des affaires
étrangères au Quai d’Orsay. Les fonctionnaires y

67
Fonction publique

gagneront, à terme, une amélioration de leurs


conditions de travail.

10. La IIIe République, dans le maquis


toujours plus inextricable des textes
et des bureaux, sème tous les germes du futur
statut général des fonctionnaires
La défaite de 1870 est l’occasion d’un grand clas-
sique des temps de crise : le précédent régime, l’ad-
ministration impériale, est jugé responsable de la
déroute. Le premier souci des républicains, dès la
fin des années 1870, est de s’assurer des sentiments
favorables des fonctionnaires à l’égard de la Répu-
blique. Certains (corps préfectoral et magistrature)
sont plus visés que d’autres (corps financiers et tech-
niques) par cette « épuration ». Et dans tous les dos-
siers des fonctionnaires se multiplient les rapports
de police sur leur moralité.
La fonction publique reste mal définie et plu-
rielle. En 1880, dans la Grande Encyclopédie, on
peut lire à l’article « fonctionnaire » : « il n’existe
point de définition suffisamment claire et compré-
hensive du mot fonctionnaire public et ce manque
de précision a donné lieu souvent à de graves diffi-
cultés juridiques. On peut, d’une manière très
générale, ranger sous ce terme toutes les personnes
qui sont chargées d’assurer la marche des services
publics, détiennent, à ce titre, une portion, si
minime soit-elle, de l’autorité publique et émargent
au budget de l’État, du département ou de la com-
mune ». Cette acception exclut des catégories

68
La fonction publique, le roman des origines

comme les notaires ou les commissaires-priseurs


mais intègre les élus ainsi que, dans le sillage de la
Révolution française, les ministres des cultes. L’ap-
partenance de ces derniers à la « fonction
publique » fait toutefois débat. Pierre Larousse,
dans son Grand dictionnaire universel du XIXe siècle,
souligne que « le prêtre est fonctionnaire dans l’or-
dre spirituel ; dans l’ordre temporel, il ne l’est pas ».
L’ambiguïté perdurera jusqu’à nos jours pour
l’Alsace-Lorraine.
Mais au-delà de ces soubresauts politiques et de
ces difficultés conceptuelles persistantes, l’extension
du champ d’actions de l’État est spectaculaire. Si la
variation des portefeuilles ministériels est infinie au
cours de la période, la tendance est indéniablement
à l’augmentation du nombre des ministères : aux six
ministères hérités de l’Ancien Régime et de la
Révolution française (justice, intérieur, contribu-
tions et revenus publics, guerre, marine, affaires
étrangères), s’ajoute dès 1871 un ministère de l’Ins-
truction publique et du culte. Dès lors, la croissance
ne se démentira pas : travaux publics, commerce,
agriculture, postes, télégraphe et téléphone. Et
trente ans d’avancées sociales se concrétisent, au
début du XXe siècle, par la création d’un ministère
du Travail et de la prévoyance sociale et l’adoption
en 1910 du premier Code du travail. En 1914,
douze ministères structurent le gouvernement,
avant que les temps de guerre n’y ajoutent encore
les anciens combattants. C’est aussi au cours de ces
décennies que se dessine le visage d’un État à la fois
souverain et entrepreneur. La régie directe

69
Fonction publique

d’entreprises industrielles et commerciales connaît


son essor dans de nombreux domaines (chemins de
fer, mines, eau, gaz, électricité). Au lendemain de la
Grande Guerre, fleurissent les sociétés d’économie
mixte (aménagement du Rhône, approvisionne-
ment en pétrole, SNCF en 1937). Le développe-
ment des activités des collectivités locales est égale-
ment spectaculaire. Reflet de cette extension du
champ des politiques publiques, le nombre des
fonctionnaires connaît une croissance exponentielle :
alors qu’on estime à 250 000 fonctionnaires le nom-
bre des serviteurs de l’État en 1870, ils sont un mil-
lion en 1945. S’étoffent surtout les services exté-
rieurs et les bataillons de l’instruction publique,
des PTT et des finances.
L’administration se structure. C’est la IIIe Répu-
blique qui fait de l’Hôtel Matignon le centre du
gouvernement. Les lois constitutionnelles de 1875
ne prévoyaient en effet pas de président du Conseil.
Il fallut la guerre pour susciter des réflexions,
notamment chez Léon Blum, sur le manque de
coordination interministérielle et sur la nécessité
de disposer d’un Président du conseil sans porte-
feuille ministériel spécifique, à l’exemple de la
Grande-Bretagne. Le décret du 31 janvier 1935 est
fondateur à cet égard. C’est sous le gouvernement
de Pierre-Étienne Flandin que s’organise un secréta-
riat général de la présidence du Conseil, dans l’hôtel
qui jouit du plus grand jardin de Paris, auparavant
siège de l’Ambassade d’Autriche et du tribunal
d’arbitrage pour le traité de Versailles. La IIIe Répu-
blique est aussi le moment où la hiérarchie au sein

70
La fonction publique, le roman des origines

de chaque département ministériel (directeur,


sous-directeurs, chefs de bureau, sous-chefs de
bureau et rédacteurs) se cristallise. C’est également
vrai pour ce qui concerne la nouvelle terminologie
statutaire. La jurisprudence du Conseil d’État
consacre les corps et les grades administratifs.
Manque encore la notion de « catégorie » (A, B, C
et D).
Autre tendance de fond, la fonction publique se
féminise. Alors que les femmes ne représentent que
10 % des effectifs en 1870, elles en constituent
30 % à la veille de la Seconde Guerre mondiale, ce
qui n’est pas sans lien avec l’adoption de la loi de
1880 organisant l’enseignement secondaire des jeu-
nes filles. Elles restent rarissimes dans les institu-
tions les plus prestigieuses, les grandes écoles n’ou-
vrant que progressivement leurs portes (École des
chartes en 1907, École centrale en 1918, École
supérieure d’électricité en 1919, ouverture du bac-
calauréat aux femmes la même année...). Elles for-
ment cependant des gros bataillons d’institutrices
et d’employées des postes. Avec l’apparition de la
dactylographie (1890 voit la naissance de la
machine à écrire), elles occupent progressivement
des emplois subalternes. Certaines sont inspectrices
des services sociaux à la fin du XIXe siècle. Les
modes de recrutement ne s’adaptent pas forcément
à cette nouvelle réalité. Le célèbre arrêt du Conseil
d’État Demoiselle Bobard de 1936, qui justifie l’évic-
tion des femmes de certains emplois publics, en
témoigne.

71
Fonction publique

La réforme administrative peine, elle, à se


concrétiser. Peu de progrès technologiques sont
introduits dans les services publics, malgré l’inven-
tion du téléphone, de la machine à écrire, du
moteur à explosion, des chemins de fer, de
l’automobile... La productivité et l’état des adminis-
trations sont souvent décriés : les bons mots de Clé-
menceau sur les heures de travail des fonctionnaires
sont connus et d’aucuns évoquent régulièrement des
« taudis administratifs ». La présentation que Mau-
rice Thorez fera à la Libération à l’occasion du débat
autour du statut général des fonctionnaires sera
peut-être forcée mais sans véritable ambiguïté :
« Dans l’essentiel, notre administration est restée
ce qu’elle était sous Napoléon. Ni dans sa structure,
ni dans sa technique, l’administration n’a été adap-
tée aux conditions nouvelles de la vie économique
et sociale. Elle en est restée aux mêmes formes d’or-
ganisation, aux mêmes méthodes que par le passé ».
Pourtant, de nombreuses tentatives de réforme
administrative voient le jour sous la IIIe Répu-
blique. Il est vrai que selon une formule d’André
Tardieu qui est restée, « lorsqu’un président du
Conseil veut se faire applaudir sur tous les bancs,
il lui suffit d’annoncer la réforme administrative
car personne ne sait ce que cela veut dire ». Dès
1871, est mise en place une commission de révision
des services administratifs pour examiner les
moyens de réduire les dépenses publiques et le
nombre de fonctionnaires. Les réflexions furent en
réalité de plus grande portée, comme celle autour
de la généralisation des conseils d’administration
existant déjà dans certains ministères : l’enjeu était

72
La fonction publique, le roman des origines

de constituer dans chaque département ministériel


des organes consultatifs assurant la coordination
entre les chefs de service et éclairant les décisions
du ministre. Mais la mesure rencontra l’hostilité
de tous ceux qui souhaitaient maintenir le principe
fondamental de l’autorité et de la responsabilité
ministérielles. Parallèlement, est installée une com-
mission de décentralisation pour « fortifier la com-
mune et émanciper le département ». Elle se
concentra sur le mode de désignation des maires et
adjoints pour aboutir à la loi fondamentale de
1884. L’entre-deux-guerres verra, lui, la floraison
des commissions « guillotine ». De multiples orga-
nismes, associant parfois des représentants des usa-
gers et du personnel, se fixèrent pour objectif de
réaliser des économies budgétaires en raison de la
situation financière. La commission Louis Marin de
1922 débouche sur un plan de suppression d’em-
plois et de services inutiles, des mesures de décon-
centration et des économies de fonctionnement. Le
« comité Fayol » de 1923 préconise l’application
des règles de gestion de l’entreprise dans les admi-
nistrations françaises, relayé par le mouvement dit
de « l’État moderne ». Le gouvernement Poincaré
de 1926 prend des décisions radicales : suppression
de 106 sous-préfectures, de 227 tribunaux de pre-
mière instance, de 318 prisons, de 42 conservations
des hypothèques, de 153 recettes des finances...
Mais l’application sera inégale. Le Comité supérieur
des économies de 1932 (sous le gouvernement Her-
riot) sera quasi mort-né, tout comme le Comité
supérieur de réorganisation administrative, dit
« Comité de la Hache » de 1938, rattrapé par la

73
Fonction publique

déclaration de guerre. Globalement, toutes ces vel-


léités se sont donc heurtées à l’instabilité ministé-
rielle et à la résistance de l’administration.
Surtout, même si aucun statut à proprement par-
ler ne verra le jour entre 1870 et 1941, toutes les
fondations du futur statut général des fonctionnai-
res sont posées au cours de cette période. La Com-
mune de Paris, malgré sa brièveté, enfantera des
mesures audacieuses à cet égard : fixation d’un
maximum et d’un minimum de traitement, sup-
pression des indemnités de représentation, principes
de l’élection et de la révocation des fonctionnaires,
création de conseils d’administration pour gérer les
services, enseignement gratuit, laïque et obligatoire
dix ans avant Jules Ferry, gratuité de la justice... Il
serait certes abusif de considérer qu’il s’agit là de
précédents solides car le temps fut trop court pour
une mise en place concrète mais on peut y voir le
miroir des aspirations qui animent alors la fonction
publique. Car la conviction progresse que les fonc-
tionnaires et agents publics n’exercent pas un
métier comme les autres. Maurice Hauriou, Léon
Duguit, Henri Barthélémy, en tant que grands fon-
dateurs du droit administratif français, y contri-
buent. Et la IIIe République voit la constitution
progressive d’un corpus de règles générales, ne
serait-ce qu’au travers des statuts propres à chaque
ministère.
En matière de recrutement, les périodes antérieu-
res ont expérimenté tous les dispositifs imagina-
bles : la vénalité des offices, l’élection, la cooptation,
la nomination directe par le pouvoir exécutif,

74
La fonction publique, le roman des origines

l’examen, le concours sur titres ou sur épreuves.


Aux débuts de la IIIe République, les méthodes
anciennes restent dominantes : dans l’attribution
des places, les « testaments ministériels » jouent
un rôle non négligeable. La notion d’emploi supé-
rieur à la discrétion du gouvernement n’est pas bien
circonscrite, au point de s’étendre à certains emplois
peu élevés dans la hiérarchie administrative : un
rapport de 1886 note que « l’instituteur est à la
merci du préfet (...) qui le nomme, le suspend, le
ruine à son gré ». Et cela reste vrai au début du
e
XX siècle, qui voit un Robert de Jouvenel stigma-
tiser « la République des camarades ». Mais le déve-
loppement considérable des services et le nombre
accru de candidats diplômés vont imposer progres-
sivement le concours comme le mode de plus en
plus répandu. C’est d’ailleurs plus une manière
commode de « trier » les candidats que de les recru-
ter. Et le débat se noue périodiquement sur l’objec-
tivité des jurys. Il reste que l’égalité devant le
concours est toute relative : pour les grands corps
notamment, la cooptation sociale (les jaquettes, cra-
vates et gants blancs dans les soirées mondaines sont
autant de marqueurs) demeure répandue, au moins
jusqu’en 1914. En outre, la nomination du lauréat
est souvent différée dans l’attente de postes vacants.
Ce système, qui n’est pas sans rappeler le système
actuellement en vigueur dans la fonction publique
territoriale, peut repousser de deux voire trois
ans l’entrée effective dans l’administration. Corol-
laire du recrutement, la formation des agents
publics gagne aussi du terrain. En 1871, le jeune
journaliste Émile Boutmy fonde l’École libre des

75
Fonction publique

sciences politiques, qui bénéficiera d’un


quasi-monopole d’accès aux grands concours du
Conseil d’État, de la Cour des comptes et des affai-
res étrangères. En 1881, Jules Ferry tentera d’ail-
leurs de nationaliser l’École des sciences politiques
mais l’opération sera un échec. Ce n’est que dans
les années 1930 qu’on voit ressurgir quelques pro-
jets d’École nationale des services civils ou d’École
polytechnique des services civils. Mais il faut atten-
dre 1936 et Jean Zay pour relancer véritablement le
projet d’une École nationale d’administration. Il se
heurte toutefois à l’opposition conjuguée du parti
socialiste et de la fédération nationale des fonction-
naires, qui dénoncent ce nouveau « mandarinat
administratif » : quand la guerre éclate, le texte
n’aura eu le temps d’arriver qu’au Sénat.
La constitution d’un corpus de règles propres à la
carrière et à la déontologie des fonctionnaires pro-
gresse également au cours de ces décennies. La juris-
prudence du Conseil d’État consacre la notion de
« service » (les fonctionnaires ont l’obligation d’ac-
complir les tâches qui leur sont confiées), l’obéissance
et le principe hiérarchique (au fondement de la dis-
tinction entre magistrats et fonctionnaires, la formule
est restée : « la Cour rend des arrêts et non pas des
services »), le désintéressement (en 1932, le Conseil
d’État rend des arrêts contre la participation des
fonctionnaires à des sociétés privées soumises au
contrôle de l’administration, thème que relancera
l’affaire Stavisky ; et l’un des premiers textes du
Front populaire sera dédié à la prohibition des
cumuls : loi du 20 juin 1936), le secret professionnel

76
La fonction publique, le roman des origines

(issu des professions médicales, le principe s’étend


aux fonctionnaires), la responsabilité (en 1873, le
Tribunal des conflits distingue la faute personnelle
et la faute de service et en 1918, il est posé que,
dans le cadre d’un cumul des responsabilités, l’admi-
nistration ne peut demander réparation au fonction-
naire).
Si le principe d’autorité domine, il connaît des
tempéraments. Des statuts particuliers sont mis en
place dans certains ministères, comme au sein des
ministères de l’Instruction publique et des PTT,
qui prévoient la réunion d’instances de dialogue
social. Des textes législatifs encadrent certains
aspects de la relation entre l’administration et les
fonctionnaires : la loi de 1905, à la suite du « scan-
dale des fiches », prévoit la communication au fonc-
tionnaire de son dossier en cas d’instance discipli-
naire ; une loi de 1911 fixe une série de règles
concernant l’avancement des fonctionnaires pour
tenter de faire échec aux « testaments ministé-
riels » ; une loi de 1913 crée une possibilité de déta-
chement auprès des départements, communes, colo-
nies, pays étrangers... pour une durée de cinq ans,
consacrant une première forme de droit à la mobi-
lité ; une loi de 1924 établit un nouveau régime des
pensions civiles et militaires ; une loi de 1936 éta-
blit les limites d’âge et les conditions de cumul.
Surtout, un « statut jurisprudentiel » se crée : dans
le sillage de l’arrêt Blanco (1873), la France se dote
d’une justice administrative autonome, à la diffé-
rence des régimes anglo-saxons au sein desquels
l’administration et ses agents sont soumis aux règles

77
Fonction publique

de droit commun ; le Conseil d’État se penche aussi


sur les modalités de recrutement en examinant en
1894 une opération de concours (composition du
jury, respect du principe d’égalité) ; il rend des
arrêts sur les questions de déroulement de carrière
(tableaux d’avancement, nomination pour ordre,
reconstitution de carrière en cas d’acte illégal) ; il
élabore la théorie des « circonstances exceptionnel-
les » et pose le principe de continuité du service
public. Le domaine dans lequel la mise en cohé-
rence reste sans doute la moins visible est celui des
rémunérations. Les pratiques sont très disparates
pour un même emploi, même si après la Grande
Guerre, un système d’échelles se met en place de
même que les indemnités de résidence. En 1921,
on assiste à une révision générale des traitements.
Elle sera cependant très longue à mettre en place.
Au point que le désordre sera à son comble pendant
la Seconde Guerre mondiale.
Enfin, le mouvement social des fonctionnaires se
structure. Il ne peut certes pas se constituer en syn-
dicats : la loi de 1884 limite le droit syndical à la
« défense des intérêts économiques, industriels,
commerciaux ou agricoles » et garde le silence sur
la fonction publique ; dans un arrêt explicite de
1885, la Cour de cassation interprétera ce silence
comme un refus. Il n’empêche que le mouvement
associatif se développe. Cela commence au XIXe siè-
cle chez les instituteurs et les membres du corps des
ponts et chaussées. Puis plusieurs dizaines d’associa-
tions (sociétés de secours notamment) deviennent
officielles à compter de la loi de 1901. Les relais se

78
La fonction publique, le roman des origines

font dans des journaux spécialisés : Le Journal des


fonctionnaires, La France administrative, La Revue
administrative... Beaucoup de ces associations se
regroupent en 1904 dans la « Fédération générale
des associations professionnelles des employés de
l’État ». Au plan doctrinaire, les débats sur le droit
syndical des fonctionnaires sont récurrents. Clémen-
ceau, dans le contexte des grèves du début du
e
XX siècle, s’oppose farouchement aux syndicats de
fonctionnaires. Certains adoptent à la même période
une vision plus nuancée, à l’instar de Théodore
Steeg, ministre de l’Instruction publique en 1907
qui déclare : « le mouvement de syndicalisme chez
les fonctionnaires n’est pas dû simplement aux exci-
tations subversives d’un certain nombre de mem-
bres de la CGT. Il ne tient pas non plus aux
manœuvres désintéressées de ceux qui voudraient
en tirer profit électoral pour leur parti. Cette agita-
tion, ce mouvement sont dus au développement
excessif et parfois scandaleux du favoritisme dans
les administrations ». En 1919, lors de son congrès,
la Fédération des fonctionnaires relance les débats
en proposant : une convention dans chaque admi-
nistration, des conseils professionnels paritaires à
l’image des comités Whitley en Angleterre, l’ins-
tauration de principes généraux sur les recrute-
ments, les avancements, la discipline, les traite-
ments et indemnités... En 1924, le cartel des
gauches d’Edouard Herriot franchit une étape sup-
plémentaire vers la reconnaissance des syndicats de
fonctionnaires mais sans reconnaître le droit de
grève. Et tout au long de l’entre-deux-guerres, le
pouvoir doit composer avec la puissante fédération

79
Fonction publique

générale CGT, souvent prise à parti lors de campa-


gnes anti-fonctionnaires.

11. La Seconde Guerre mondiale est


le prétexte à des mesures d’exception
La déclaration de guerre est l’occasion d’un
retour à des règles autoritaires. Un décret-loi du
1er septembre 1939 instaure les recrutements à
titre précaire et révocable. Vichy prolonge ces
mesures d’exception en les appuyant sur l’idéologie
du régime : une loi du 17 juillet 1940 permet de
relever de leurs fonctions tous les fonctionnaires ne
collaborant pas à « l’œuvre de redressement natio-
nal » ; les syndicats de fonctionnaires sont dissous ;
les agents publics doivent formuler un serment de
fidélité au maréchal Pétain ; les naturalisés sont
exclus des emplois publics à compter de 1941,
ainsi que les juifs et les femmes mariées.
Le statut des fonctionnaires de 1941 permet cer-
tes de codifier les statuts particuliers des ministères
et la jurisprudence du Conseil d’État tels qu’évo-
qués ci-dessus, ce qui constitue une réelle avancée
conceptuelle, tant la IIIe République avait échoué à
créer par la loi un statut général des fonctionnaires.
Mais la conception autoritaire y domine de manière
écrasante, excluant le droit syndical et de grève et
consacrant les mesures d’exception précitées. Le sta-
tut de Vichy fera primer l’obéissance sur la léga-
lité avant que la jurisprudence du Conseil d’État
en 1944 en vienne à établir le principe, toujours
en vigueur, selon lequel « le fonctionnaire ou
agent public commet une faute grave s’il exécute

80
La fonction publique, le roman des origines

un ordre manifestement illégal et de nature à com-


promettre gravement le fonctionnement du ser-
vice ». Dans son exposé des motifs du statut de
1941, l’amiral Darlan étend même le principe hié-
rarchique jusque dans la vie privée en prévoyant
que le mariage des fonctionnaires peut être soumis
à l’autorisation préalable de l’administration. Mais
dans les faits, le statut de 1941 n’aura le temps
d’être appliqué que très partiellement, jusqu’à son
abrogation par l’ordonnance du 9 août 1944.

12. La IVe République voit la naissance


du premier vrai statut général
des fonctionnaires
La Libération est l’occasion de lancer la recons-
truction et la professionnalisation de l’administra-
tion française. La fonction publique n’échappe évi-
demment pas aux commissions d’épuration prévues
par l’ordonnance du 27 juin 1944. Au total, on
estime que 14 000 sanctions ont été prononcées,
dont 5 000 révocations, sur un total de 800 000
fonctionnaires. Le renouvellement touche particu-
lièrement les cadres : la Cour des comptes et l’Ins-
pection générale des finances sont toutefois moins
concernées que le Conseil d’État ; le corps préfecto-
ral, qui ne connut aucune démission à l’avènement
du gouvernement de Vichy, est au premier rang des
accusés ; les communistes essaiment dans beaucoup
de ministères, dans le contexte de dissolution des
milices patriotiques. Mais au-delà de l’épuration,
l’heure est à la reconstruction de l’administration
française. Le 25 juillet 1944, devant l’Assemblée

81
Fonction publique

consultative provisoire, le général de Gaulle s’ex-


prime en des termes forts : « Nous aurons à remet-
tre sur pied, soit autour du gouvernement, soit loca-
lement, l’administration française, sans le labeur et
le dévouement de laquelle il ne saurait y avoir que
désordre et confusion ». C’est en cette période plus
qu’en nulle autre que la conception faisant de
l’agent public le premier des serviteurs de l’État se
forge, de même que l’idée que la fonction publique
est unitaire et que tous les agents, quel que soit leur
niveau hiérarchique, ont pour même objectif d’œu-
vrer à la reconstruction de la France d’après-guerre.
Une mission provisoire de réforme de la fonction
publique, conduite par Michel Debré, se met
immédiatement en place. Elle sera la cheville
ouvrière d’un texte demeuré fondateur, l’ordon-
nance du 9 octobre 1945, qui crée tout à la fois
l’ENA, un corps des administrateurs civils, une
direction de la fonction publique placée auprès de
la Présidence du Conseil et un comité consultatif
paritaire (« Conseil permanent de l’administration
civile »). Il ne faut pas mésestimer la révolution
copernicienne que traduisent ces quatre actes fonda-
teurs, antérieurs au statut général des fonctionnaires
lui-même : professionnaliser, au prix d’un même
concours et d’une même école, la formation des
hauts fonctionnaires ; adosser la conduite des affaires
publiques à un corps interministériel (les adminis-
trateurs civils), capable d’irriguer tous les départe-
ments ; la confier à une direction dédiée, placée au
plus près des instances décisionnelles ; consacrer une
nouvelle forme de dialogue social dans la gestion de

82
La fonction publique, le roman des origines

la fonction publique, à la faveur d’une instance


paritaire.
Michel Debré raconte, dans ses mémoires,
qu’en avril 1945, lors d’un entretien avec le général
de Gaulle qui l’interroge sur ses intentions pour
l’administration, sa première réponse fut : « le
recrutement de la haute fonction civile et la décen-
tralisation municipale et départementale ». La créa-
tion de l’ENA, présentée comme la « base de l’État
nouveau », est au cœur de cette ambition. Le géné-
ral et le haut fonctionnaire sont conjointement
convaincus que le fait que la République forme ses
militaires, les ingénieurs de tous ses corps techni-
ques, ses instituteurs et ses professeurs, mais ne
forme ni ses administrateurs ni ses financiers, est
une grave lacune. Le succès de l’École libre des
sciences politiques, dont le recrutement reste très
parisien, ne peut pas faire illusion et le système
des concours spécialisés, dont Michel Debré a pour-
tant été le bénéficiaire en entrant au Conseil d’État,
ne permet pas l’ouverture et le brassage que le nou-
veau pouvoir souhaite pour la haute fonction
publique. La conviction est simple et fondatrice :
« il faut placer très haut la formation professionnelle
et morale de ceux qui seront les animateurs et les
dirigeants de l’administration ». Michel Debré rap-
pelle volontiers que l’un des objectifs présidant à la
création de l’ENA a été de « faire appel à des esprits
intéressés par la fonction publique mais issus de
familles ou de milieux étrangers, par tradition ou
situation sociale, à l’administration supérieure ».
La sélection de la première promotion, telle

83
Fonction publique

qu’arrêtée par Michel Debré, ne se fonda d’ailleurs


sur aucune condition de diplôme ou de niveau
social. Un seul critère fut dirimant : les jeunes
ayant des titres de guerre furent seuls admis à
concourir et le nom de baptême de cette première
promotion en sera la traduction : « France Combat-
tante ». Pour lutter contre le parisianisme, on crée
aussi des Instituts d’études politiques en province.
La pratique des stages se développe. Le recrutement
s’ouvre aux femmes. Des concours internes s’organi-
sent pour assurer des voies de promotion. Et le
corps des administrateurs civils est un premier
exemple d’une architecture statutaire appelée à
faire florès : définition précise des missions, division
en cinq classes, consécration de la séparation du
grade et de l’emploi dans la fonction publique
civile. Cette logique s’étend aux « secrétaires d’ad-
ministration », autre corps créé à cette époque
« pour accomplir les tâches d’exécution et les tra-
vaux courants ».
Prolongement de ces velléités fondatrices, le pre-
mier vrai statut général des fonctionnaires, si l’on
excepte le précédent malheureux de 1941, voit le
jour. Les représentants des fonctionnaires y sont
pourtant très hostiles car ils privilégient l’assimila-
tion des fonctionnaires aux salariés du privé, pour
leur permettre de bénéficier du droit syndical, du
droit de grève et du droit de négociation collective.
La reconnaissance du droit syndical à la faveur de
l’ordonnance du 9 octobre 1945 n’entamera pas
leur opposition. Et c’est donc avec une certaine iro-
nie pour le lecteur d’aujourd’hui que Maurice

84
La fonction publique, le roman des origines

Thorez, secrétaire général du Parti communiste,


alors ministre d’État en charge de la Fonction
publique, est contraint de défendre l’utilité d’un
statut général contre la CGT et la Fédération géné-
rale des fonctionnaires. Soucieux de leur donner des
gages mais aussi d’établir de nouveaux rapports
entre l’État et les fonctionnaires, Maurice Thorez
met en place une commission syndicale d’études et
rédige lui-même les dispositions du statut interdi-
sant de faire figurer dans le dossier du fonctionnaire
toute « mention faisant état des opinions politiques,
philosophiques ou religieuses de l’intéressé ». Main-
tenu en poste lorsque Georges Bidault succéda au
général de Gaulle le 20 janvier 1946, il opère, dès
l’origine, des choix déterminants : le champ du
futur statut exclut les collectivités locales, pour ne
pas heurter une CGT soucieuse d’éviter une étatisa-
tion de la fonction publique territoriale, les établis-
sements publics industriels et commerciaux, afin de
ne pas fonctionnariser le personnel des sociétés
nationalisées, et de nombreux agents qui resteront
hors champ : en 1946, 46 % des agents de l’État
resteront sous contrat (516 000 titulaires, 271 000
auxiliaires et 107 000 contractuels). La marche vers
les « trois versants » d’une même fonction publique
(pour reprendre une expression chère aux organisa-
tions syndicales) est renvoyée à plus tard : une loi de
1952 étendra certaines garanties aux personnels des
communes (environ 250 000 agents en 1950), qui
seront proches de celles des fonctionnaires de l’État
mais contraintes par le respect des prérogatives des
maires ; une loi de 1955 créera un statut des agents
des établissements d’hospitalisation, de soins ou de

85
Fonction publique

cure publics (au nombre de 125 000 à l’époque)


mais sans en gommer les spécificités ; enfin, l’auto-
nomie de certains corps de métiers subsistera jus-
qu’à nos jours, celle des magistrats judiciaires (sta-
tut de 1958) et celle des militaires (statut de 1972).
Pour autant, la tendance générale est à l’unifica-
tion des règles, même si l’on introduit, dans le sta-
tut général, la possibilité de déroger aux règles
générales à la faveur des statuts particuliers, ce qui
est critiqué dès l’époque par certains juristes. Des
principes aussi fondateurs que le droit syndical, le
droit de participation, la liberté d’opinion, les obli-
gations de secret et de discrétion professionnels, la
consultation du dossier avant toute sanction disci-
plinaire, trouvent leur place au sein du nouveau
texte. Un Conseil supérieur de la fonction publique,
présidé par le Président du conseil, est créé. La fonc-
tion publique se trouve ordonnée en quatre catégo-
ries (A, B, C et D), à l’initiative de la Fédération
nationale des fonctionnaires soucieuse de hiérarchi-
ser les postes en fonction du diplôme : les cadres
d’exécution doivent disposer du certificat d’études
primaires, le cadre moyen du brevet élémentaire,
le cadre principal du baccalauréat et le cadre supé-
rieur du niveau licence. Cette hiérarchisation par les
diplômes reste encore parfaitement d’actualité. Le
statut général de 1946 prévoit aussi, de manière
très moderne, le recrutement par concours externe
et interne, sans distinction de sexe, une notation
annuelle et une appréciation générale sur la valeur
professionnelle, permettant de contrebalancer
l’avancement automatique à l’ancienneté. Maurice

86
La fonction publique, le roman des origines

Thorez aurait souhaité aller plus loin, notamment


s’agissant des pouvoirs dévolus à la nouvelle direc-
tion de la fonction publique. Mais il se heurta à
l’opposition des autres ministres.
Globalement, le statut général des fonctionnaires
de 1946 fut accueilli sans enthousiasme par le
groupe socialiste et le parti radical et ne trouva
qu’un soutien discret auprès du MRP. La doctrine
sera même ouvertement critique, voyant ce nouveau
statut sonner le glas de l’autorité hiérarchique et
matérialiser la rencontre de deux principes contrai-
res : hiérarchique et démocratique. Il n’en reste pas
moins que toutes les bases de l’architecture statu-
taire, dont la fonction publique actuelle est l’héri-
tière directe, sont ainsi posées dès la Libération.
Ce qui préoccupe davantage les contemporains,
c’est l’état des rémunérations. Le statut général de
1946 est l’occasion d’en établir les grandes compo-
santes : un traitement de base, des suppléments
pour charge de famille, une indemnité de résidence
et des primes de rendement. Il faut d’ailleurs relever
que ces primes peuvent dès l’origine être indivi-
duelles ou collectives et sont obtenues en cas de
dépassement des objectifs, de la réalisation de tâches
urgentes ou difficiles, d’initiatives heureuses... On
pose aussi le principe que la rémunération ne sau-
rait être inférieure à 120 % du minimum vital.
Pour autant, les tensions sont vives en la matière
dans cet immédiat après-guerre qui voit les Français
manquer de tout. Face à la menace de grève géné-
rale, une commission de reclassement est mise en
action, d’abord sous la présidence de Maurice

87
Fonction publique

Thorez, puis à compter de 1947 sous celle du MRP


Pierre-Henri Teitgen. Ces réflexions aboutiront à
un texte moins connu du grand public que le statut
général de 1946 mais qui demeure encore aujour-
d’hui une bible pour les praticiens de la fonction
publique : un décret du 10 juillet 1948 porte clas-
sement de tous les grades et emplois des personnels
civils et militaires de l’État, chaque emploi étant
affecté d’un indice compris entre 100 et 800 ; au
sommet de cet édifice, les emplois supérieurs sont
classés « hors échelle » (lettres A et B). Le coût de
la mesure, calibrée en fonction du mieux-disant des
pratiques ministérielles, fut si élevé qu’il dut être
échelonné jusqu’au 25 décembre 1950. L’édifice
montre en effet très rapidement ses limites : dès
1951, le gouvernement doit prendre des mesures
de majoration des traitements les plus modestes,
venant brouiller la hiérarchie des rémunérations ;
entre 1955 et 1957, il développe un nouveau plan
de remise en ordre des rémunérations qui aboutira à
classer « hors échelle » (de A à G) toutes les traite-
ments indiciaires dépassant l’indice brut 1 000 ;
enfin, le plan Guillaumat de 1960-62 est l’occasion
d’une nouvelle « simplification », qui porte mal son
nom tant la confusion du vocabulaire reste grande,
entre les indices brut, net, réel et majoré ! Dans les
faits en tout cas, on assiste progressivement à un
écrasement de la hiérarchie des rémunérations, d’au-
tant que les revalorisations sont immédiatement
gommées par l’inflation. Et les rigidités redoutables
de cette construction indiciaire apparaissent : le
classement des emplois dépendant du seul niveau
de recrutement, et non des responsabilités

88
La fonction publique, le roman des origines

effectives, il devient délicat de valoriser une fonc-


tion sans s’exposer à de multiples demandes en cas-
cade, dites « reconventionnelles ». La période voit
enfin la mise en œuvre d’avantages spécifiques
pour les fonctionnaires des DOM (majoration spé-
ciale, complément temporaire et indemnité d’éloi-
gnement), eux aussi promis à une belle postérité.
Corollaire de ces efforts sur le front des rémuné-
rations, des avancées notables sont aussi consenties
en matière de retraites des fonctionnaires. La loi du
20 septembre 1948 améliore l’ensemble du système
des pensions. La pension de réversion est instituée
selon des modalités qui resteront en vigueur jus-
qu’en 2004. La loi apporte surtout des aménage-
ments aux règles applicables aux pensions des fonc-
tionnaires, en posant le principe de l’adaptation
automatique des pensions aux traitements d’acti-
vité : la règle de calcul des pensions complètes s’éta-
blit à 75 % du traitement indiciaire des six derniers
mois, règle qui fonde aujourd’hui encore la grande
spécificité du régime des fonctionnaires.
En dépit de l’ensemble de ces réformes ambitieu-
ses, le malaise de la fonction publique est grand.
L’instabilité gouvernementale n’aide pas : au cours
de la IVe République, deux gouvernements seule-
ment ont duré plus d’un an. Les cabinets ministé-
riels sont pléthoriques et souvent en conflit avec les
administrations. Des voies se font régulièrement
entendre pour dénoncer l’absence d’une politique
de réforme administrative, qu’elles jugent indisso-
ciables d’une politique ambitieuse en matière de
fonction publique. Certes, les bureaux dits

89
Fonction publique

« d’organisation et de méthode » jouent un rôle


croissant au sein des ministères à compter de la
Libération, un comité central d’enquête sur le coût
et le rendement des services publics est créé, de
même qu’un institut technique d’administration
publique destiné à rapprocher public et privé.
Mais cette ambition manque de continuité, des pro-
positions de loi échouant en 1948, 1950 et 1953 à
créer un commissariat général permanent. En outre,
la déconcentration lancée en 1953 puis en 1964
vient ajouter en complexité car les administrations
centrales restent jalouses de leurs prérogatives. Tout
cela contribue à nourrir ce phénomène bureaucra-
tique que Michel Crozier analysera en profondeur.
Et, faute d’une vraie ligne directrice, le gouverne-
ment laisse filer les effectifs : 528 000 titulaires en
1947, 623 000 en 1950, 756 000 en 1956. À ce
nombre, il faut d’ailleurs ajouter 400 000 agents
non-titulaires.
Les liens très étroits que les fédérations des fonc-
tionnaires entretiennent avec les partis politiques ne
contribuent pas à apaiser les débats : le pluralisme
syndical reflète en effet le pluralisme poli-
tique (CFTC et MRP, CGT et PC, CFDT FEN et
SFIO). Rien d’étonnant donc à constater qu’au sein
des débats sur la fonction publique sous la
IVe République, la grève occupe une place de
choix. Le statut de 1946 n’évoque pas le droit de
grève, silence que le très important mouvement de
grève de 1947 met cruellement au jour. Les années
suivantes sont plutôt tournées vers des mesures de
limitation du droit de grève : lois de 1947-48 sur

90
La fonction publique, le roman des origines

les CRS et gardiens de la paix ; circulaires donnant


instruction de ne pas payer les jours de grève... L’ar-
rêt Dehaene de 1950 du Conseil d’État fera dans ce
contexte jurisprudence : il établit qu’en l’absence de
loi applicable, il appartient aux chefs de service de
réglementer le droit de grève des fonctionnaires.

13. Les débuts de la Ve République voient


la relance d’une politique de la fonction
publique ambitieuse
La Constitution de 1958, en renforçant notable-
ment les pouvoirs du gouvernement, renforce aussi
ceux de l’administration. Le mode de nomination
aux emplois publics est d’ailleurs précisément enca-
dré par le nouveau texte constitutionnel : le Prési-
dent de la République nomme aux emplois supé-
rieurs, dont une loi organique fixe la liste, et le
Premier ministre, explicitement désigné comme
chef de l’administration, nomme aux autres emplois
civils et militaires. La Constitution prévoit en outre
qu’il est de la compétence de la loi de définir les
garanties fondamentales des fonctionnaires civils et
militaires, le reste étant du niveau réglementaire.
Avec ce même objectif de remise en ordre, une
refonte du statut général de 1946 est lancée : si l’es-
prit est globalement le même, l’ambition est de n’y
laisser que les garanties fondamentales. L’ordon-
nance du 4 février 1959, complétée des décrets du
14 février 1959, en est la concrétisation : au nombre
des garanties fondamentales, on pose la liberté
d’opinion, l’égalité des sexes, le droit syndical, la

91
Fonction publique

participation, la protection des fonctionnaires, la


prise en charge des condamnations civiles, le recru-
tement par concours, la rémunération après service
fait, l’accès au dossier individuel, le droit à pension
et à la sécurité sociale, des garanties disciplinaires,
le droit à congés, la consultation d’une commission
administrative paritaire pour les mutations, la
publicité des vacances d’emplois et le principe de
la carrière. Comme en 1946, le nouveau statut
reste muet sur le droit de grève, avec l’idée de ne
pas fixer les limites au niveau de la loi. Il ne pose
pas non plus explicitement le principe de séparation
du grade et de l’emploi, même si celui-ci, prévu
pour le corps des administrateurs civils en 1945,
s’érige dans les faits comme un principe fondamen-
tal de gestion. Un décret du 3 février 1959 trans-
forme la direction générale de la fonction publique
en une direction générale de l’administration et de
la fonction publique (DGAFP). Si ses attributions
ne changent guère, ce nouvel intitulé est la marque
d’une volonté nouvelle de développer l’inter-
ministérialité et l’unité de l’administration. La
DGAFP est placée sous l’autorité directe du Pre-
mier ministre, de manière à lui octroyer, si ce n’est
une autorité hiérarchique, au moins une autorité
morale sur les directions de personnel des ministè-
res. Ce souci de renforcer l’interministérialité irri-
gue d’ailleurs plusieurs autres textes pris au milieu
des années 1960 : on pose, pour tous les corps recru-
tant à la sortie de l’ENA, une obligation de mobi-
lité, avec l’idée, comme l’explique joliment le rap-
port au Premier ministre présentant ce texte, de
« remédier aux faiblesses qu’entraîne le caractère

92
La fonction publique, le roman des origines

immuable de certaines tâches et permettre une sorte


de renouvellement des esprits et un développement
de la faculté d’adaptation des hommes » ; on crée
des corps à statut commun formant une filière
administrative (attachés pour la catégorie A, secré-
taires administratifs pour la catégorie B, adjoints
administratifs pour la catégorie C) ; on donne nais-
sance aux Instituts régionaux d’administration
(IRA) qui, à l’instar de l’ENA pour les cadres supé-
rieurs, doit former les futurs cadres intermédiaires
(attachés) servant dans tous les départements minis-
tériels. Enfin, autre exemple de clarification au
cours de la période, 1964 voit l’adoption d’un
« Code des pensions civiles et militaires de
retraite », qui regroupe les différentes législations
précédentes et devient le texte de base des pensions
civiles de l’État.
Mais ces efforts d’unification vont être fragilisés
dès les années 1960, sous l’effet conjugué de la
croissance forte des effectifs et d’une complexité sta-
tutaire croissante.
Dans les années 1960, l’augmentation des effec-
tifs des services civils de l’État est en effet spectacu-
laire : de 965 000 agents en 1958, on passe à
1,4 million en 1969, la croissance affectant tous
les ministères mais en particulier les PTT et l’édu-
cation nationale. Dans ce contexte, l’universalité des
règles s’appliquant aux agents publics connaît des
dérogations importantes. Outre le fait que le statut
des magistrats judiciaires de 1958 leur confère une
autonomie explicite par rapport au reste de la fonc-
tion publique (comme cela sera le cas pour les

93
Fonction publique

militaires en 1972), la situation se complexifie au


sein même de la fonction publique civile d’État :
la modification du statut général en 1964 permet
aux statuts particuliers qui régissent les corps issus
de l’ENA, les corps enseignants et les corps ayant
un caractère technique, de déroger à certaines dis-
positions du statut général. Cette faculté de déroga-
tion, si elle se comprend pour adapter les règles à
des situations différentes, ne contribuera pas, par
son caractère très large, à la simplicité du corpus
juridique applicable à l’ensemble des fonctionnai-
res. D’autant que la complexité sera renforcée par
la nécessité de créer des statuts spéciaux pour limi-
ter le droit de grève, par exemple s’agissant des pré-
fets et sous-préfets, sur le fondement de la règle
assez malléable posée par la Constitution de 1958 :
« le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui
le réglementent ». Prolongeant le sort particulier
réservé aux compagnies républicaines de sécurité et
à la police nationale en 1947-48, l’interdiction du
droit de grève s’applique en 1958 aux services exté-
rieurs de l’administration pénitentiaire, en 1964
aux contrôleurs de la circulation aérienne et en
1968 au service des transmissions du ministère de
l’Intérieur. Parallèlement, les lignes hiérarchiques
pour les prises de décision publique sont affectées
de mouvements contraires : les emplois à la décision
du gouvernement, tels que créés par la Constitution
de 1958 et l’ordonnance de 1959, créent une rela-
tion étroite et de confiance entre l’autorité politique
et les plus hauts fonctionnaires ; à l’inverse, la crois-
sance des cabinets ministériels, qui sont de création
ancienne mais connaissent un développement fort

94
La fonction publique, le roman des origines

sous la Ve République, contribue à couper le lien


direct entre le politique et l’administratif. Enfin, le
principe d’égalité des sexes consacré à la Libération
n’a pas supprimé la faculté de créer des dispositions
spéciales dans les statuts particuliers, justifiées par
la nature des fonctions : si l’accès des femmes aux
corps issus de l’ENA a été établi dès 1945, c’est
seulement en 1970 qu’elles accèdent à l’École poly-
technique et donc aux corps d’ingénieurs de l’État
et en 1974 qu’est nommée la première femme dans
le corps préfectoral.
Les années 1970 sont également des années
contrastées.
D’un côté, elles inaugurent de nouvelles formes
de dialogue social dans la fonction publique. L’or-
donnance de 1967 donne une impulsion à la poli-
tique de participation, qui trouvera à s’appliquer
dans les établissements publics à caractère industriel
et commercial. L’idée de concertation voire de
négociation sur les rémunérations prospère avec le
protocole Oudinot, signé entre Georges Pompidou
et toutes les organisations syndicales : augmentation
des rémunérations, revalorisation des catégories C et
D, réduction de la durée de travail, instauration de
la semaine de travail de 5 jours et d’une 5e semaine
de congé annuel. La pression est d’autant plus forte
que des évolutions différenciées affectent les rému-
nérations servies dans les entreprises publi-
ques (Charbonnages de France, EDF-GDF, SNCF),
provoquant divers mouvements de grève. Le prin-
cipe de concertation dans le cadre du Conseil supé-
rieur de la fonction publique s’étend à de nouveaux

95
Fonction publique

thèmes, que ce soient le logement, les horaires de


travail ou les régimes de retraite. La formation pro-
fessionnelle, à compter de la loi du 3 décembre
1966, est l’un des terrains de prédilection de cette
concertation syndicale inédite. Dès 1971, la loi est
refondue pour ouvrir la formation à la promotion
culturelle et à l’épanouissement personnel et pour
consacrer la notion de formation permanente. S’en-
suivront les dispositifs de préparation aux concours
(comme l’institut du ministère des Finances), les
décharges d’activité pour préparer les concours de
l’ENA, la création des centres de préparation à l’ad-
ministration générale dans les universités, le déve-
loppement des formations initiales d’adaptation à
l’issue des concours, la mise en place d’un congé
pour formation personnelle de trois ans. Au-delà
de l’administration stricto sensu, les entreprises
publiques sont également un laboratoire pour cette
nouvelle « politique contractuelle » : alors que la
première convention salariale à EDF-GDF est
signée en décembre 1969, 60 contrats seront para-
phés dans le secteur public entre 1969 et 1974.
Cette intensité nouvelle du dialogue social dans la
fonction publique aboutit à une instruction du
14 septembre 1970 relative à l’exercice des droits
syndicaux dans la fonction publique. Comme l’écrit
alors Jacques Chaban-Delmas, il s’agit de « porter
au plus haut niveau d’efficacité et de confiance
mutuelle les rapports entre l’État et les représen-
tants des fonctionnaires ». Cette circulaire fonda-
trice fixe les conditions d’exercice des droits syndi-
caux (locaux, panneaux, collecte des cotisations), les
règles d’autorisation d’absence pour activités

96
La fonction publique, le roman des origines

syndicales ainsi que les règles d’organisation et de


fonctionnement des organismes paritaires (commis-
sions administratives, comités techniques).
La réforme administrative connaît aussi des avan-
cées très importantes. Les méthodes de management
héritées des États-Unis trouvent un écho grandissant
chez les décideurs politiques. Ces méthodes font la
part belle aux systèmes d’information, aux analyses
coûts-avantages, à la gestion par objectifs... En
1968, est ainsi lancée la « rationalisation des choix
budgétaires » (RCB), à la faveur d’une décision du
Conseil des ministres : dans chaque ministère, il
s’agit de structurer un programme, d’y affecter les
ressources nécessaires et de le doter d’un système de
gestion administrative et de contrôle de gestion
adapté. Cette première grande initiative suscitera un
intérêt certain : on développera même les échanges
avec les États-Unis et le Canada (Centre de formation
supérieur au management et Centre d’études supé-
rieures du management public). Des avancées sont
également notables s’agissant des relations entre l’ad-
ministration et les usagers : création en 1973 d’un
médiateur, programme d’accueil et d’information
des usagers par l’intermédiaire des Centres intermi-
nistériels de renseignements administratifs, loi infor-
matique et libertés de 1978, loi du 17 juillet
1978 prévoyant que toute personne peut avoir libre
accès aux documents administratifs de caractère non
nominatif, une Commission d’accès aux documents
administratifs pouvant être saisie pour avis, et loi
du 11 juillet 1979 créant une obligation de motiver
toutes les décisions individuelles défavorables.

97
Fonction publique

Mais les effets ne sont pas les mêmes dans tous


ces domaines : la réforme administrative est, elle,
très lente à produire des résultats, d’autant qu’elle
se heurte, dans la pratique, à des obstacles culturels
et juridiques ; la « nouvelle politique contrac-
tuelle », a contrario, a des conséquences immédiates,
notamment sur la dynamique des rémunérations.
De 1969 à 1975, elle s’avère rapidement préoccu-
pante pour l’équilibre des finances publiques car
toute hausse de 1 % des rémunérations coûte alors
1,5 milliard de francs. Cet effet « boule de neige »
est entretenu par la croissance des effectifs de l’État
(2,35 millions d’agents contre 2 millions en 1969)
et la poussée des effectifs de chaque fonction
publique (+ 200 000 agents pour chacune sur la
période). Au Conseil des ministres du 15 septembre
1976, Raymond Barre se voit dans l’obligation de
présenter un plan de redressement, prévoyant
notamment le blocage pendant six mois de tous les
« tarifs publics ». Même si le principe de maintien
du pouvoir d’achat des agents publics est affirmé en
parallèle, l’opposition syndicale est immédiate. Une
journée d’actions est organisée le 7 octobre 1976,
avec en tête de cortège la CGT, la CFDT, la FEN
et les partis politiques de la gauche. Et la fin des
années 1970 voit aussi monter la contestation de la
haute administration, qui serait inféodée au pouvoir
politique. Les cabinets ministériels, où les fonction-
naires ne cessent de croître, sont dénoncés comme
faisant écran entre les autorités politiques et les
directions opérationnelles. L’ouvrage d’Alain Peyre-
fitte Le mal français connaît un formidable succès et
Philippe Malaud, ancien ministre de la Fonction

98
La fonction publique, le roman des origines

publique, fustige l’administration et ces secteurs


entiers « dirigés par des maffias
technocratico-syndicales ». L’agitation n’épargne
aucun secteur. Dans la police, un mouvement s’or-
ganise en 1976, pudiquement appelé « journée de
réflexion ». Dans l’armée, malgré le statut de
1972, on revendique un syndicalisme militaire.
Une grève touche en 1976 la magistrature, au
nom de la mise en cause de son indépendance
(suite à la sanction d’un magistrat), et des mouve-
ments s’organisent dans les administrations civiles
(après la mutation d’office d’un agent des finances
ayant tenu des propos inappropriés à la télévision).
Il faudra attendre 1978 pour voir la situation s’apai-
ser quelque peu.

14. Le changement politique de 1981 marque


la victoire de la République des fonctionnaires
Au lendemain de l’arrivée au pouvoir de François
Mitterrand, le profil des nouveaux dirigeants politi-
ques témoigne de la place centrale de la fonction
publique au sein des nouvelles élites : 53 % des
députés sont issus du secteur public ; beaucoup de
ministres le sont ; plusieurs dirigeants syndicaux
font leur entrée au gouvernement. Comme un loin-
tain écho au Maurice Thorez de l’après-guerre, le
portefeuille de la fonction publique échoit au com-
muniste Anicet le Pors. L’ambition de refonder le
droit de la fonction publique est rapidement placée
au rang des priorités politiques. La croissance des
effectifs en sera le reflet : on estime à près de
200 000 le nombre de fonctionnaires de l’État

99
Fonction publique

supplémentaires entre 1981 et 83, avant que cette


dynamique ne se stabilise dans le cadre de la nou-
velle politique de rigueur.
En premier lieu, l’accent est mis sur le dévelop-
pement du dialogue social et des droits syndicaux.
Dès 1982, les décrets relatifs au droit syndical et
aux organes consultatifs reprennent les principaux
éléments de la circulaire précitée de 1970 mais
dans un sens plus favorable aux syndicats : barème
revu à la hausse pour les dispenses, obligation d’af-
fichage de tous les textes d’origine syndicale, possi-
bilité d’organiser des réunions mensuelles d’infor-
mation pendant les heures de service, extension de
la compétence du Conseil supérieur de la fonction
publique à tout projet de loi statutaire et obligation
de présenter un rapport annuel sur l’état de la fonc-
tion publique, création d’une commission des
recours pour examiner en appel les procédures disci-
plinaires, obligation de consultation des comités
techniques paritaires pour tous les textes relevant
de leurs compétences... L’activité du Conseil supé-
rieur de la fonction publique est d’ailleurs particu-
lièrement intense au cours de la période, et ce d’au-
tant plus qu’une commission des statuts, qui en
émane, est créée pour accélérer l’examen des statuts
particuliers. Des initiatives sont également prises
sur le terrain du droit de grève, avec des effets per-
vers : une loi de 1961 avait posé le principe selon
lequel la retenue pour absence de service ne pouvait
être inférieure à un trentième du traitement men-
suel ; la loi Le Pors du 19 octobre 1982 institue
désormais un prorata temporis, qui fera, dans la

100
La fonction publique, le roman des origines

pratique, renaître les grèves d’une heure, notam-


ment dans les services postaux. La règle sera abrogée
en 1987.
Dans ce contexte de dialogue social tous azimuts,
le gouvernement signe avec ses partenaires, dès sep-
tembre 1981, un relevé de conclusions prévoyant
une revalorisation des traitements de 10,5 % en
1982 (calculée sur l’inflation), assortie d’une clause
de sauvegarde si l’inflation est plus élevée. En 1982
et 1983, la revalorisation sera de 8 % environ
chaque année, profitant en particulier à certaines
catégories comme les instituteurs, chiffres qui lais-
sent évidemment songeur le lecteur d’aujourd’hui.
Parallèlement, le gouvernement affiche ses velléités
sur plusieurs dossiers sensibles :
— L’ENA est réformée. François Mitterrand
s’était engagé, au cours de sa campagne, à suppri-
mer l’école, relayant notamment les stéréotypes sur
son caractère trop élitiste et trop parisien, sur son
absence de participation à la formation continue
et sur le caractère formaté des élèves qui en sont
issus. Le nouveau Président de la République limite
en réalité son action à faire évoluer les voies d’accès
et la scolarité à l’ENA : mise en place d’un concours
interne réservé aux fonctionnaires justifiant d’une
certaine durée de services publics ; création, beau-
coup plus critiquée, d’une troisième voie réservée
aux anciens syndicalistes ou responsables d’associa-
tions (qui sera d’ailleurs supprimée en 1987 puis
remplacée en 1990 par une troisième voie réservée
aux personnes justifiant d’une expérience de huit
ans dans le privé) ; suppression de la distinction au

101
Fonction publique

sein de l’école entre deux cursus (administration


générale et administration économique, datant de
1971) ; augmentation des places aux concours ; aug-
mentation de la limite d’âge et création d’une direc-
tion de la recherche et de la formation permanente.
Dans le prolongement, le gouvernement réforme
aussi les Instituts régionaux d’administration
(IRA) qui avaient été créés en 1966. Les concours
directs de recrutement pour les corps de catégorie
A sont supprimés et le passage par les IRA devient
la voie de droit commun, les érigeant en véritables
écoles d’application interministérielles.
— Une troisième vague de nationalisation est
lancée après celles de 1936 et de 1945. En
1981-82 sont ainsi nationalisés 5 groupes indus-
triels, 39 banques et 2 compagnies financières :
674 000 agents viennent ainsi grossir la sphère
publique. En 1984, on compte ainsi 2,7 millions
d’agents de l’État, 1,7 million pour les fonctions
publiques territoriale et hospitalière et 2,2 millions
pour les entreprises publiques. Le secteur public
représente alors 31 % de la population active
occupée.
— La décentralisation est relancée par la loi de
1982 : les pouvoirs des préfets sont circonscrits,
des compétences sont transférées aux collectivités
territoriales, un contrôle de légalité vient se substi-
tuer à la tutelle et le préfet devient le seul représen-
tant de l’État dans le département, seuls les réseaux
éducation nationale et finances gardant leur autono-
mie. La vague de décentralisation pose toutefois
cruellement le problème du statut des personnels

102
La fonction publique, le roman des origines

transférés, en l’absence de statut propre à la fonction


publique territoriale.
— Enfin, un plan de titularisation, d’une
ampleur inédite, est décidé. Une loi du 11 juin
1983 définit ainsi solennellement les conditions
dans lesquelles doivent être pourvus les emplois
civils permanents de l’État et de ses établissements
publics, le principe étant que « les emplois perma-
nents à temps complet (...) sont occupés par des
fonctionnaires ». Tirant les conséquences de ce prin-
cipe, la loi autorise l’intégration dans la fonction
publique des agents non titulaires occupant de tels
emplois. La question sera par la suite régulièrement
réinvestie : la loi du 16 décembre 1996, dite « loi
Perben », et la loi du 3 janvier 2001, dite « loi
Sapin », mettront en place des mécanismes destinés
à empêcher la reconstitution de l’emploi précaire et
ouvriront des nouvelles vagues de titularisations.
Mais la période est surtout celle qui voit la créa-
tion d’un nouveau statut général des fonctionnaires.
Le ministre Anicet Le Pors a le souci d’unifier les
règles à l’échelle des trois fonctions publiques dans
le respect de leurs spécificités constitutionnelles
(libre administration des collectivités notamment).
Des lois distinctes voient donc le jour mais elles
sont présentées solidairement comme les Titres I,
II, III et IV d’un même statut général. Ces lois,
maintes fois modifiées par la suite, restent aujour-
d’hui celles qui forment le statut en vigueur pour
tous les fonctionnaires : la loi du 13 juillet 1983
(Titre I) fixe les droits et obligations s’imposant à
tous les fonctionnaires ; la loi du 11 janvier 1984

103
Fonction publique

(Titre II) régit la fonction publique de l’État, celle


du 26 janvier 1984 (Titre III) la fonction publique
territoriale et celle du 9 janvier 1986 (Titre IV) la
fonction publique hospitalière. Cette refonte est
présentée comme reposant sur trois principes fonda-
mentaux : au nom du principe d’égalité, le concours
est solennellement posé comme le mode de recrute-
ment de droit commun, le recrutement d’agents
sous contrat ne pouvant être que dérogatoire, et les
fonctionnaires d’un même corps doivent faire l’objet
d’un traitement égal au cours de leur carrière ; au
nom du principe d’indépendance, sont affirmés les
garanties statutaires, le principe de la carrière, la
séparation du grade et de l’emploi ; au nom du
principe de citoyenneté, on consacre peu ou prou
pour les fonctionnaires les mêmes libertés indivi-
duelles et collectives que pour tout citoyen. Les
trois lois propres à chaque fonction publique com-
portent les mêmes items : modalités de concerta-
tion, structure de la carrière, régime des positions
statutaires, modalités du recrutement, de l’avance-
ment, cessation de fonctions, régime disciplinaire...
Les nouveautés par rapport aux précédents statuts
ne sont en réalité pas nombreuses car la très large
majorité des principes et des règles posés existait
déjà auparavant. C’est ce qui explique d’ailleurs lar-
gement que lors de l’alternance politique de 1986,
ces lois ne seront pas abrogées. Mais on sent indé-
niablement un équilibre nouveau dans la délicate
conciliation, à laquelle se confronte toute politique
de la fonction publique, entre un « principe hiérar-
chique » et un « principe démocratique » : en 1983,
le second tend à prendre le pas sur le premier.

104
La fonction publique, le roman des origines

Avec le tournant de 1983, l’accent est davantage


mis sur la modernisation de l’administration. Face
au risque d’insoutenabilité de la croissance des
effectifs et de la dynamique des rémunérations
décrite plus haut, le gouvernement inaugure une
politique de relative maîtrise, qui sera poursuivie à
compter de 1986. Dans le prolongement, la moder-
nisation de l’administration est relancée, avec l’ob-
jectif, plus ou moins explicite en fonction des alter-
nances politiques, de la faire gagner en
productivité. Cela se traduit en premier lieu en
matière de temps de travail. En 1968, on était
passé de 45 à 44 heures pour le personnel adminis-
tratif et technique et de 48 à 46 h 30 pour les per-
sonnels de service. Une nouvelle diminution avait
été consentie en 1975. L’objectif affiché par le can-
didat socialiste dès la campagne présidentielle de
1981 était d’aller plus loin, en réduisant à 35 heures
la durée hebdomadaire légale du travail. Le pouvoir
en place renonce à cet objectif, rapidement jugé
inatteignable sans provoquer un choc négatif sur la
productivité de l’administration : en 1985, la durée
moyenne s’établira entre 39 et 40 heures. Pour opti-
miser la force de travail, on approfondit aussi une
politique inaugurée en 1970 avec l’apparition du
temps partiel (seul le mi-temps existait alors) : l’or-
donnance du 31 mars 1982 consacre un nouveau
régime, plus souple d’utilisation pour les gestion-
naires et les agents. En 1989, la « circulaire
Rocard » sur le « renouveau des services publics »
met l’accent sur l’efficacité des administrations : il
s’agit de valoriser la fonction de gestion des person-
nels, la gestion prévisionnelle des effectifs, les

105
Fonction publique

pratiques de formation et de mobilité, de dévelop-


per, dans le respect du dialogue social, des « projets
de service » et enfin d’entrer dans une nouvelle ère
d’évaluation des politiques publiques. D’autres ini-
tiatives feront date par la suite : la Charte des servi-
ces publics de 1992, portée par Jean-Pierre Soisson,
met en avant, avec une insistance inédite, la relation
à l’usager ; la politique de déconcentration de 1991
marque le souci d’une plus grande proximité dans
la gestion des personnels, de même que la loi de
1992 sur l’administration territoriale de la Répu-
blique. Cette ambition de créer une nouvelle ges-
tion publique culminera le 1er août 2001 avec la
loi organique relative aux lois de finances (LOLF),
rare exemple récent d’une réforme majeure
trans-partisane. Cette profonde réforme du cadre
budgétaire de l’État lance une nouvelle gestion
publique reposant sur la performance (missions,
programmes, objectifs, indicateurs). La LOLF, loin-
tain écho de la RCB des années 1970, dessine un
nouveau cadre de gestion des personnels, les res-
sources humaines devenant un élément du pilotage
par la performance. Rien d’étonnant à ce que paral-
lèlement des mesures soient prises pour mieux éva-
luer les fonctionnaires de l’État. Un décret du
29 avril 2002 encadre ainsi les conditions générales
d’évaluation, de notation et d’avancement des fonc-
tionnaires de l’État. Il sera modifié à plusieurs repri-
ses par la suite.
Les années 1990 et le début du XXIe siècle se
caractérisent par une interrogation croissante sur la
place de la fonction publique au sein de la société

106
La fonction publique, le roman des origines

française. La croissance continue des effectifs se


poursuivra en dépit des alternances politiques : en
2007, on comptera un tiers de fonctionnaires de
plus qu’en 1980. Mais les débats n’en sont pas
moins récurrents et de plus en plus vifs sur le carac-
tère insoutenable de cette dynamique, au sein d’une
économie dont la croissance est de plus en plus
atone. C’est d’autant plus vrai que les grilles de
rémunération des fonctionnaires doivent être pério-
diquement réévaluées pour tenir compte de l’évolu-
tion du coût de la vie et des qualifications. Le pro-
tocole dit « Durafour », de février 1990, est à
l’origine d’une revalorisation de l’ensemble des gril-
les de rémunération de la fonction publique
(excluant toutefois les hauts fonctionnaires). Cette
rénovation générale et statutairement complexe,
d’ampleur inédite, produira ses effets tout au long
des années 1990. Combinée à l’augmentation des
effectifs mais aussi au passage aux 35 heures, elle
pèsera lourdement sur les finances publiques.
Autre débat principiel : l’ouverture de la fonction
publique. Les conditions d’accès à la fonction
publique rebondissent en effet au tournant des
années 1990, avec la condamnation de la France
devant la CJCE : il est reproché à notre corpus juri-
dique d’avoir réservé aux seuls nationaux les
emplois d’infirmiers. La France se voit alors dans
l’obligation de légiférer : une loi du 26 juillet
1991 ouvre l’accès aux ressortissants de la Commu-
nauté européenne, à condition notamment qu’il
s’agisse d’« emplois dont les attributions soit sont
séparables de l’exercice de la souveraineté, soit ne
comportent aucune participation directe ou

107
Fonction publique

indirecte à l’exercice de prérogatives de puissance


publique ». Au cours des années les plus récentes,
le dossier rebondira à deux reprises : un décret du
6 janvier 2003 ouvrira de nombreux corps et
emplois de fonctionnaires de l’État aux ressortis-
sants des États membres de la Communauté euro-
péenne ou d’un autre État partie à l’accord sur l’Es-
pace économique européen, notamment pour
prendre en compte la jurisprudence de la CJCE ;
surtout, une loi du 26 juillet 2005 ouvrira par prin-
cipe l’ensemble des corps de la fonction publique
aux ressortissants communautaires : à l’avenir seuls
certains emplois (et non des corps dans leur
ensemble) comportant des prérogatives de puissance
publique pourront leur être fermés. Enfin, la fin du
e
XX siècle est l’occasion de polémiques autour des
nominations dans les corps les plus prestigieux et
concernant les départs de fonctionnaires vers le sec-
teur privé : on débat de l’utilisation des « tours
extérieurs », qui permettent de procéder à des
nominations au Conseil d’État et à la Cour des
comptes et de la loi de 1984 qui institutionnalise
un tour extérieur uniforme pour la plupart des ins-
pections générales (avec, pour seule condition d’éli-
gibilité, un âge de 45 ans) ; les discussions autour
de la mobilité des fonctionnaires entre le public et
le privé se cristallisent, elles, au moment de la loi
du 28 juin 1994, qui renforce le contrôle du pas-
sage des fonctionnaires vers l’entreprise, en insti-
tuant une commission de déontologie.
Écrire en quelques dizaines de pages le long
roman de la fonction publique, outre le plaisir que

108
La fonction publique, le roman des origines

l’exercice procure, fait toujours courir le risque de


glisser sur le toit des siècles, en passant trop rapide-
ment des rois mérovingiens à l’orée du XXIe siècle.
Mais cette plongée dans l’Histoire a ceci de précieux
qu’elle révèle des constantes : le lien étroit entre l’his-
toire politique et l’histoire de l’administration, qui
ne surprendra que ceux qui ignoreraient encore tout
ce que la nation française doit à l’impulsion d’un
État puissant ; le caractère souvent trans-partisan
des évolutions, l’absence de maîtrise des effectifs en
étant l’illustration la plus emblématique ; enfin
et surtout, la pérennité des préoccupations auxquel-
les toute politique de la fonction publique s’est
confrontée à travers les âges.
Ce qui s’avère sans nul doute le plus fascinant,
c’est en effet la volonté de chaque époque de résou-
dre peu ou prou les mêmes tensions contradictoires :
faut-il se satisfaire d’une fonction publique plu-
rielle, héritée du passé, ou tenter résolument de
l’unifier ? Faut-il appliquer aux fonctionnaires des
règles uniformes, « objectives », ou plutôt adapter
ces règles à la diversité des enjeux et des situations ?
Faut-il privilégier l’égalité absolue de tous les fonc-
tionnaires ou bien le principe d’obéissance hiérar-
chique et les outils de différenciation ?
Toute la chronique récente de la fonction
publique, après 1945, procède de deux soucis, par-
fois antagonistes : d’un côté, unifier autant que pos-
sible la fonction publique et le corpus des règles
statutaires applicables aux fonctionnaires, que l’His-
toire a façonnés trop complexes et trop plurielles ;
de l’autre, les adapter sans cesse aux exigences et

109
Fonction publique

enjeux multiples d’une économie moderne, en


pleine évolution.
Bref, la fonction publique, comme dans tout bon
roman, a son couple de tragédie : le collectif face à
l’individuel. Il est temps désormais de mesurer
comment ce couple a vécu au cours des années les
plus récentes, à la faveur des questions clés qui
continuent de l’agiter.

110
Partie I
Les défis collectifs
Chapitre 1
Quel est le juste périmètre
de la fonction publique ?

A. Enjeux
Parcourir l’Histoire a le mérite de démontrer,
surabondamment, que la fonction publique n’a
cessé de se préoccuper de son bon périmètre. L’in-
flation des « offices », à compter du XVIe siècle en
particulier, a posé crûment la question du champ
légitime d’intervention de la puissance publique.
Or, les discussions autour de ce « juste périmètre »,
des siècles plus tard, demeurent toujours aussi pas-
sionnées.
En 2007, les ministres en charge de la Fonction
publique, conscients que le débat sur ce thème était
souvent embrouillé, ont lancé une « conférence
nationale sur les valeurs, missions et métiers de la
fonction publique ». Il s’agissait de retrouver les
principes fondamentaux sur lesquels la fonction
publique s’était construite au cours des dernières
décennies. Avec l’idée d’en dégager non seulement
un socle de valeurs communes à tous les fonction-
naires mais aussi des grandes orientations pour

113
Fonction publique

l’avenir. Cette conférence de six mois a intéressé jus-


qu’aux fédérations de fonctionnaires, qui ont bien
voulu participer à l’exercice. Les fonctionnaires
eux-mêmes ont été nombreux à témoigner. Mais
au final il faut reconnaître que ces mois de discus-
sion n’ont mobilisé ni l’opinion ni les usagers des
services publics. Je ne crois pas qu’on puisse en
faire le reproche aux seuls protagonistes de cette
conférence, qu’ils soient ministres ou partenaires
sociaux. Les discussions n’ont en réalité pas réussi à
surmonter la première difficulté de taille à laquelle
tout débat sur la fonction publique est confronté :
dissiper les malentendus sur son périmètre actuel,
avant même d’en évoquer les évolutions. En effet,
l’ambiguïté n’a jamais été vraiment levée, au cours
de cette conférence, quant à savoir si elle s’adressait
aux usagers et devait donc embrasser les services
publics dans leur ensemble ou si elle s’adressait
avant tout aux fonctionnaires et devait en consé-
quence s’en tenir au périmètre de la fonction
publique stricto sensu. En 2012, la ministre en
charge de la Fonction publique a finalement rejoint
les mêmes questionnements, en engageant avec les
partenaires sociaux une réflexion sur les valeurs de
la fonction publique destinée à alimenter un préam-
bule au statut général des fonctionnaires.
Ce qui est sûr, c’est qu’au sein de l’opinion
publique à tout le moins, une grande confusion
règne parmi les concepts. Demandez à une personne
non initiée quelles sont les institutions qui incar-
nent par excellence le « fonctionnaire », elle vous
répondra très souvent La Poste ou la Sécurité

114
Quel est le juste périmètre de la fonction publique ?

sociale. Or, au sein de la première, les fonctionnai-


res sont désormais à peine majoritaires et ceux qui
font fonctionner la seconde, ce ne sont pas des fonc-
tionnaires mais des agents sous contrat de droit
privé ! Le premier défi est donc celui-ci : bien iden-
tifier ce que recouvre aujourd’hui la « fonction
publique », faute de quoi les discussions autour de
son périmètre ne peuvent rester que caricaturales.

B. Constats

1. L’« emploi public » n’est qu’un


sous-ensemble d’un champ plus large :
le « service public »
Les services publics se définissent, de manière
schématique, comme l’ensemble des prestations
dont tous les citoyens peuvent bénéficier. Or, la
notion de services publics ne recoupe pas stricte-
ment celle d’emploi public. En effet, la puissance
publique peut décider de s’organiser elle-même
pour fournir les prestations requises. Dans ce cas,
elle s’appuie généralement sur un ensemble
d’agents soumis à des règles de droit public spécifi-
ques composant effectivement « l’emploi public ».
Mais elle peut aussi décider de recourir à des formes
d’organisation différentes, notamment à l’externali-
sation d’un ou plusieurs services publics. Cette
externalisation consiste à confier à une entreprise
privée tout ou partie d’une activité qui, jusqu’alors,
était réalisée par l’administration. Elle ne doit pas
être confondue avec la privatisation qui consiste,

115
Fonction publique

elle, à céder au privé des actifs qui appartenaient


jusqu’alors au secteur public. L’externalisation se
fait par délégation de tout ou partie d’un service
public au secteur privé, sans que l’administration
se sépare pour autant de ses actifs. Cette délégation
peut concerner aussi bien des opérations d’investis-
sements (construction de prisons, d’établissements
de santé...) que des actes de gestion (nettoyage des
locaux, surveillance...). La délégation prend souvent
la forme de contrats de partenariat consistant, pour
une personne morale de droit public, à confier à un
particulier ou une société l’exécution d’une activité
de service public avec le cas échéant le versement
par la collectivité publique de subventions d’inves-
tissement et/ou de fonctionnement. La rémunéra-
tion du délégataire peut être liée au résultat de l’ex-
ploitation de l’activité, ce qui revient à lui faire
assumer une part du risque d’exploitation. Le
contrat de partenariat public privé (PPP) en est la
forme la plus récente : c’est un marché public de
longue durée qui confie à un tiers le financement,
la construction, l’entretien et la gestion d’un
ouvrage public moyennant versement d’un loyer.
Dans ce contexte, on comprend que « l’emploi
public » trouve l’essentiel de sa consistance dans le
périmètre des services publics qui sont non délé-
gués. C’est la raison pour laquelle les comparaisons
internationales sont si délicates à conduire. Comme
le relève une note de veille du Centre d’analyse stra-
tégique datée de juillet 2009, les pratiques sont en
effet très différentes d’un pays à l’autre. Si beaucoup
de pays ont transféré au secteur privé des activités

116
Quel est le juste périmètre de la fonction publique ?

de gestion et de soutien, quelques-uns sont allés


jusqu’à étendre l’externalisation à des domaines tra-
ditionnellement régaliens : le service public péni-
tentiaire (Canada, Royaume-Uni et États-Unis), la
défense (pour partie, Royaume-Uni et États-Unis)
ou les services de secours et de lutte contre l’incen-
die (Danemark). Les partenariats public-privé sont
principalement utilisés pour les infrastructures tel-
les que le réseau routier (Portugal, Italie,
Royaume-Uni), les liaisons ferroviaires à grande
vitesse (Pays-Bas) ou la construction d’hôpitaux et
d’écoles (Royaume-Uni). Sans compter que certains
pays de l’OCDE ont également recours aux « trans-
ferts sociaux en nature », c’est-à-dire à la prise en
charge d’une prestation par des agents privés, qui
sont ensuite remboursés par l’État. C’est l’exemple
des « chèques service » utilisés principalement dans
les secteurs de l’éducation, de la santé et du loge-
ment. Dans ce cas, l’usager qui veut bénéficier
d’un « service public » a le libre choix parmi des
prestataires potentiels sans être contraint de passer
par un seul et même délégataire.
Il s’ensuit que, lorsqu’on compare l’emploi
public en France à celui d’autres États, le débat est
dès l’origine biaisé : un pays dans lequel l’externali-
sation des services publics est peu pratiquée a toutes
les chances d’avoir un niveau d’emploi public plus
important. C’est évidemment la situation dans
laquelle la France se trouve. Cela n’invalide pas
toute comparaison internationale mais contribue
dès l’origine à les relativiser.

117
Fonction publique

2. Plus de 6 millions de personnes travaillent


en France dans les services publics...
L’INSEE fait régulièrement paraître un « tableau
de synthèse » de la population active en France. Cet
outil donne la mesure statistique des différentes
catégories d’emploi public et privé, selon différents
critères, et il permet de situer la fonction publique
au sein de l’emploi total en France.
La première approche utilisée par l’INSEE est
économique : les services publics se définissent
comme les services non marchands, c’est-à-dire tou-
tes les unités financées majoritairement par les pré-
lèvements obligatoires, lesquelles, publiques ou pri-
vées, constituent le secteur des administrations
publiques au sens de la comptabilité nationale. En
d’autres termes, le statut juridique de l’employeur
ou celui du salarié n’intervient pas dans la défini-
tion, c’est le critère du financement qui prime. Si
l’on épouse ce critère, les administrations publiques
emploient un peu plus de 6 millions de personnes
en métropole et dans les départements d’outre-mer.

3. ... Mais ce sont 5,2 millions d’agents qui


travaillent dans la fonction publique stricto
sensu
D’autres préfèrent à cette approche économique
une approche juridique, celle qui est la plus cou-
ramment utilisée pour délimiter le périmètre de la
fonction publique : on ne retient alors que les orga-
nismes de droit public à caractère administratif
dont les agents sont soumis aux règles du droit

118
Quel est le juste périmètre de la fonction publique ?

public. Cette définition est adossée au statut général


de la fonction publique institué par les lois de
1983, 1984 et 1986. Le critère juridique prime
sur le critère de financement. Selon cette dernière
approche, la fonction publique compte un peu
plus de 5,2 millions d’agents, ce qui représente un
peu moins de 20 % de l’emploi total en France. Ce
chiffre représente la somme de tous les agents qui
travaillent en métropole, dans les départements et
collectivités d’outre-mer ainsi qu’à l’étranger, sous
des statuts divers mais de droit public, dans les ser-
vices civils et militaires de l’État, les conseils régio-
naux, les conseils généraux et les communes, les
établissements publics nationaux et locaux à carac-
tère administratif et les hôpitaux publics, les mai-
sons de retraite, les établissements sociaux ou/et
médico-sociaux.
Les quelque 900 000 agents qui différencient les
deux périmètres (économique et juridique) sont
ceux qui exercent leur fonction :
— soit dans des organismes publics qui recru-
tent des agents de droit privé. Sont ainsi classés,
au regard de la comptabilité nationale, en adminis-
trations publiques (sans entrer dans le champ de la
fonction publique) : les caisses nationales du régime
général de la sécurité sociale (établissements publics
administratifs au régime particulier), les organismes
consulaires, les groupements d’intérêt public, les
associations syndicales autorisées, les établissements
publics à caractère industriel ou commercial à acti-
vité principalement non marchande (ex. : le Com-
missariat à l’énergie atomique, les Charbonnages

119
Fonction publique

de France, l’Institut français du pétrole, l’Institut


national audiovisuel, la Réunion des musées natio-
naux, les théâtres nationaux...) et les établissements
publics industriels et commerciaux locaux (ex. : les
offices publics d’aménagement et de construction).
Ces organismes comptent 150 000 personnes
environ ;
— soit dans des organismes privés ou des entre-
prises publiques qui exercent des missions de ser-
vice public. Certains organismes privés sont en
effet placés sous la tutelle étroite des pouvoirs
publics en raison de leur financement (sur prélève-
ments obligatoires) ou de leurs conditions de fonc-
tionnement. Il s’agit des associations financées
majoritairement par les pouvoirs publics (dont les
salariés non enseignants de l’enseignement privé
sous contrat), des organismes de protection ou de
sécurité sociale, des hôpitaux privés à but non lucra-
tif, de l’enseignement privé sous contrat. Ces orga-
nismes privés, qui appartiennent aussi au secteur
des « administrations publiques », rassemblent
700 000 salariés environ.
Le paysage n’est toutefois complet qu’en men-
tionnant trois autres catégories d’agents, dont
l’ajout porterait évidemment le total bien au-delà
des 6 millions d’agents :
— ceux qui travaillent dans les mêmes structu-
res que les agents publics mais sous un régime de
droit privé, à l’instar des emplois aidés ;
— ceux qui travaillent dans les entreprises
publiques détenues, totalement ou partiellement,
par l’État : la Poste, la SNCF, la RATP, l’Office

120
Quel est le juste périmètre de la fonction publique ?

national des forêts, les Ports autonomes sont contrô-


lées directement par l’État tandis qu’EDF, GDF,
Aéroports de Paris, Snecma moteurs, GIAT Indus-
tries, la Française des jeux, l’Imprimerie nationale
sont des entreprises publiques dans lesquels l’État
est simplement majoritaire. Certaines entreprises
publiques emploient une majorité de fonctionnaires
dans leur personnel, La Poste notamment ;
— les fonctionnaires qui exercent dans des socié-
tés privées du secteur marchand pour des raisons
historiques. C’est notamment le cas de France
Télécom.

C. Réflexions
Ce rapide détour par les grandes caractéristi-
ques de « l’emploi public » en France n’a d’autre
ambition que d’en souligner la richesse et la com-
plexité. Il permet surtout de souligner l’ambi-
guïté qui entoure les tenants de ces deux thèses
antagonistes : la fonction publique n’est pas
assez étendue ; elle l’est beaucoup trop. En effet,
les premiers qui, d’un côté de l’échiquier poli-
tique, réclament plus d’État et donc de fonction-
naires, restent plus ou moins consciemment dans
l’ambiguïté : préconisent-ils d’élargir le périmè-
tre que recouvrent les « administrations publi-
ques » telles que définies plus haut ? Autrement
dit, envisagent-ils que la puissance publique
intervienne, quelle qu’en soit la forme, sur des
champs pour l’heure laissés au secteur marchand ?
Ou bien proposent-ils simplement qu’au sein

121
Fonction publique

d’un périmètre des services publics inchangé, la


fonction publique et en particulier le nombre
d’agents sous statut augmentent encore leur
place ? Ceux qui, de l’autre côté de l’échiquier,
suggèrent un rétrécissement du périmètre de la
fonction publique ne sont pas exonérés de la
même ambiguïté : s’agit-il dans leur esprit de
diminuer le périmètre d’intervention globale de
la puissance publique ou simplement de dimi-
nuer, parmi les agents publics, le nombre de
ceux qui sont sous statut ?
On comprend que, derrière la question du péri-
mètre de la fonction publique, se dissimulent en
vérité trois interrogations différentes : les adminis-
trations publiques françaises couvrent-elles un
champ trop étendu ? Est-ce que les modes d’inter-
vention qu’elles privilégient sont les plus efficaces ?
Et est-ce que le nombre de fonctionnaires y est
excessif ? Un prochain chapitre sera l’occasion d’ap-
porter des éléments de réponse à cette troisième
interrogation. Concentrons-nous ici sur les deux
premières.

1. La France se caractérise, comparativement


à d’autres pays, par le nombre important
de ses agents publics associé à des dépenses
directes et indirectes de fonctionnement élevées
Si l’on s’en réfère à la note du Conseil d’analyse
stratégique précitée, il existe, au sein des pays de
l’OCDE, quatre grands modèles d’intervention
publique.

122
Quel est le juste périmètre de la fonction publique ?

Un premier groupe se compose des pays qui,


comme la France, la Suède ou le Danemark, sont
caractérisés par une forte intensité d’emploi public
associée à des dépenses directes et indirectes de
fonctionnement élevées. C’est un modèle reposant
sur le principe de gratuité ou de faibles coûts des
services sociaux de base. Ce principe limite souvent
la concurrence avec le secteur privé, notamment
dans les grands postes de dépenses tels que l’éduca-
tion, les structures d’accueil pour les enfants, la
prise en charge des personnes âgées et la santé. Un
deuxième groupe de pays, constitué de l’Autriche,
de l’Allemagne et du Japon, modère l’emploi
public et les coûts salariaux tout en maintenant un
faible niveau de dépenses de fonctionnement. Ce
sont des pays à faible production de services publics
effectuée par l’administration. Un troisième groupe,
réunissant les Pays-Bas et le Royaume-Uni, agit sur
l’emploi public en diversifiant fortement les modes
de gestion des services publics. C’est ainsi par
exemple qu’en 1996, une partie du système public
de santé et le régime d’assurance-maladie néerlan-
dais ont été transférés au secteur privé. Enfin,
vient le quatrième groupe constitué des pays pré-
sentés comme peu interventionnistes (faible niveau
de dépenses de fonctionnement) tels que le Canada
ou les États-Unis.
La question est dès lors celle-ci : la France
aurait-elle intérêt à rejoindre un autre groupe que
le sien ? Trois constats complémentaires nous évite-
ront des conclusions hâtives. Au Japon, si le secteur
des administrations publiques est très restreint avec

123
Fonction publique

une incidence directe sur le niveau de l’emploi


public, il intervient en réalité sous d’autres formes,
telles que des garanties de prêts aux PME. De
même, si les Pays-Bas ont contenu fortement les
dépenses de rémunération (gel des salaires dans les
années 1980 et en 1994 par exemple), ils ont
cependant tout aussi fortement augmenté les trans-
ferts sociaux en nature (plus de 3 points de PIB
entre 1990 et 2007). Le Royaume-Uni, exemple
sans doute le plus connu, a certes substantiellement
réduit le poids de l’emploi public, mais il a accru
celui des consommations intermédiaires (de près de
4 points de PIB entre 1990 et 2007), en recourant à
l’externalisation d’activités précédemment réalisées
par les administrations publiques (système national
de santé (NHS) notamment).
Autrement dit, il faut tordre le coup à une idée
reçue fort répandue. Aucune étude sérieuse ne
démontre que les services publics des pays épousant
d’autres modèles que la France sont mécaniquement
moins coûteux. Car ce qui est économisé en termes
d’emplois publics peut très bien être plus que com-
pensé par le coût des externalisations vers le secteur
privé. Les chiffres fournis par l’OCDE et exploités
par le Livre blanc sur l’avenir de la fonction
publique (remis au gouvernement par le conseiller
d’État Jean-Ludovic Silicani le 17 avril 2008) en
attestent : en termes de dépenses de fonctionnement
(hors intervention et hors investissement) des admi-
nistrations publiques rapportées au PIB, la France,
avec 18 %, se trouve dans une situation médiane
vis-à-vis des autres pays et meilleure par exemple

124
Quel est le juste périmètre de la fonction publique ?

que le Royaume-Uni (21,5 %). Mais on note aussi


que la France est le pays qui consacre la part la plus
importante de son PIB à la rémunération des agents
des administrations publiques (13,1 %). C’est une
invitation salutaire à des jugements nuancés. Car
ce qu’il convient de déterminer, plutôt que de cher-
cher à faire entrer la France dans un modèle donné
et en réalité assez théorique, c’est si la France pour-
rait fournir les mêmes services publics, avec une
même, voire une meilleure efficacité, tout en géné-
rant des coûts moindres pour la collectivité.

2. La réduction des déficits publics passe


pour la France avant tout par la maîtrise
de ses dépenses d’intervention
Ne déduisons pas de ce qui précède que la France
ne peut pas progresser dans la maîtrise de ses
dépenses de fonctionnement. Deux chantiers fonda-
mentaux de la politique conduite au cours des der-
nières années, la révision générale des politiques
publiques lancée en juillet 2007 et la règle de
non-remplacement d’un fonctionnaire de l’État sur
deux partant à la retraite, ont témoigné que des
marges de manœuvre existaient sur les dépenses de
fonctionnement dans de nombreux secteurs. Nous
aurons l’occasion de revenir dans le chapitre qui
suit sur le bilan que l’on peut faire de ces
démarches.
Mais avant d’entrer dans ces débats, il faut s’em-
presser de les relativiser au regard de la réduction
des déficits publics. Les enjeux sont en réalité

125
Fonction publique

ailleurs que sur les dépenses de fonctionnement : si


la rationalisation de l’appareil administratif et la
maîtrise des effectifs de fonctionnaires sont à mon
sens des démarches essentielles et incontournables,
comme nous tâcherons de l’établir, elles ne suffisent
en aucune manière à répondre au formidable défi
que constitue pour la France et nombre de nos
homologues la montée des déficits publics. En
France, le niveau d’endettement s’est établi à 86 %
du PIB fin 2011 et à 90 % environ fin 2012. Avec
un PIB de l’ordre de 2 000 milliards d’euros, cela
place la dette à 1 800 milliards d’euros ! Ce sont
des chiffres vertigineux, qui situent bien l’ampleur
des difficultés financières de la France.
Pour parvenir à réduire cet endettement chro-
nique, il faut par définition commencer par ne
plus voter de budgets en déficit, comme c’est le
cas depuis près de 40 ans. À cet effet, il n’existera
jamais que deux voies, qui peuvent être utilement
combinées : augmenter les recettes et/ou réduire les
dépenses. Or, la France ne pourra emprunter l’une
ou l’autre de ces voies qu’en fonction de ses
contraintes propres.
S’agissant de la dynamique des recettes, la
France, en raison d’un taux de prélèvement obliga-
toire très élevé, ne peut plus augmenter les impôts
de manière substantielle (ce qui ne dispense aucu-
nement de travailler à l’optimisation et à la clarifi-
cation de notre système fiscal). En augmentant
encore les impositions en 2013, le gouvernement a
sans doute utilisé les dernières marges de manœuvre
en la matière, la Cour des comptes ayant récemment

126
Quel est le juste périmètre de la fonction publique ?

souligné, dans son rapport public, les limites de


l’exercice. L’enjeu en termes de recettes est désor-
mais double : renouer avec une dynamique de crois-
sance soutenue pour que les rentrées fiscales aug-
mentent substantiellement (on estime que 0,5 %
de plus de croissance augmente d’environ 0,25
point de PIB les recettes publiques et minore donc
d’autant le déficit) ; réduire voire supprimer les
niches fiscales et sociales les plus inefficaces. Un
rapport sur les niches fiscales et sociales que le gou-
vernement avait transmis en août 2011 au Parle-
ment mettait en exergue toute une série de disposi-
tifs coûteux et inefficaces : abattement de 10 % sur
les pensions, crédit d’impôt sur les intérêts d’em-
prunt immobilier, indemnités versées lors de la rup-
ture du contrat de travail, titres restaurant, TVA à
5,5 % sur les travaux d’amélioration du logement...
Plus de 50 milliards d’euros de niches fiscales
et sociales, sur un montant évalué de 104 milliards
d’euros, seraient totalement inefficaces ou peu effi-
cientes. De quoi reprendre un peu d’espoir quant à
nos marges de manœuvre !
Mais il est sûr que la France n’a plus les moyens
de centrer sa stratégie de redressement sur ses seules
recettes fiscales. Comme le souligne la Cour des
comptes dans son rapport public annuel 2013, « la
priorité absolue est désormais d’intensifier l’effort
de maîtrise de la dépense dans l’ensemble des admi-
nistrations publiques. En effet, l’effort structurel
prévu pour 2013 est déséquilibré : il repose pour
moins de 25 % sur la maîtrise des dépenses et
pour plus de 75 % sur des hausses des prélèvements

127
Fonction publique

obligatoires. En outre, les économies prévues tien-


nent, pour partie, à l’impact de mesures ancien-
nes ». On ne saurait mieux dire : la France est face
au grand défi de ses dépenses publiques, qui repré-
sentent 56 % de son PIB. Si notre pays, comme
évoqué plus haut, se situe, en termes de dépenses
de fonctionnement de ses administrations publi-
ques, à des niveaux médians, comparables à d’au-
tres, elle combine cette caractéristique avec un
montant de dépenses d’intervention (transferts
sociaux) pour le coup absolument colossal. Les pres-
tations sociales et autres transferts représentent près
de 600 milliards d’euros chaque année, soit plus de
la moitié de la dépense publique annuelle (1 000
milliards d’euros environ, en comptant les consom-
mations intermédiaires et la charge de la dette).
Si l’on souhaite remédier au déséquilibre de nos
finances publiques, plus encore que du bon périmè-
tre de la fonction publique ou des dépenses de fonc-
tionnement des ministères, c’est donc de la perti-
nence de chacune des dépenses d’intervention qu’il
convient de discuter en profondeur. Autrement dit,
la maîtrise du déficit et de la dette publics ne
pourra s’opérer dans notre pays qu’au prix d’un
nouveau modèle de redistribution sociale, inévita-
blement moins généreux et sans doute mieux ciblé
sur les catégories les plus défavorisées. On se doute
que le contexte est rarement propice à l’ouverture
d’un débat de cette ampleur, d’autant plus que la
générosité du système de protection sociale français
est souvent mise en avant pour expliquer que la
France ait traversé les récentes crises un peu moins

128
Quel est le juste périmètre de la fonction publique ?

mal que d’autres. Il suffit de citer quelques grands


axes de cette politique d’intervention pour se
convaincre de la sensibilité du sujet : prestations
familiales, aide médicale d’État, indemnisation des
chômeurs, hébergement d’urgence, bourses étu-
diantes et scolaires, allocation de rentrée scolaire,
aide publique au développement, aides diverses
aux entreprises... Il n’en reste pas moins que le
débat ne pourra plus indéfiniment être esquivé :
les soubresauts continuels en matière de finance-
ment des dettes souveraines des États, notamment
parmi ceux de la zone euro, aussi bien que le vieil-
lissement tendanciel de la population, qui aug-
mente mécaniquement les dépenses de pensions et
d’assurance-maladie, démontrent que c’est à la révi-
sion complète de notre modèle d’intervention
publique et de redistribution sociale que les pro-
chains gouvernements devront s’atteler. Et cela à
très court terme. Car pour revenir à l’équilibre en
2017 (c’est-à-dire supprimer tout déficit budgé-
taire), si l’on prend comme hypothèse une crois-
sance moyenne à 1 % (ce qui est très loin de la ten-
dance 2013 à 0 %), la France devra réaliser chaque
année plus de 30 milliards d’euros d’efforts struc-
turels.
Cette redéfinition de notre modèle de protection
sociale nécessiterait un ouvrage entier pour être
traité correctement. Mais on peut se contenter de
souligner ici qu’une réduction des dépenses

129
Fonction publique

d’intervention peut schématiquement embrasser


deux grandes voies :
— si l’on décide de conserver peu ou prou le
même périmètre d’intervention publique,
c’est-à-dire de ne pas supprimer telle ou telle pres-
tation, la seule voie est celle d’un rabot général sur
l’ensemble des prestations sociales, prenant par
exemple la forme d’une désindexation par rapport
à l’inflation. La mesure est puissante et commode,
mais par construction aveugle ;
— si l’on décide au contraire de procéder à un
véritable changement de périmètre, plusieurs che-
mins sont possibles, tels que recentrer les presta-
tions vers les publics les plus défavorisés ou aban-
donner purement et simplement certaines
interventions de l’État, jugées secondaires ou pou-
vant utilement et à moindre coût être déléguées au
secteur privé. La mesure est sans doute plus intelli-
gente et plus « structurelle » mais elle suppose un
travail d’identification, d’élaboration et surtout de
conviction beaucoup plus délicat que la première.
Car les dépenses de transferts, qui représentent
55 % de la dépense des administrations publiques,
sont très majoritairement des prestations sociales
aux ménages.
Bien évidemment, ces deux grandes options peu-
vent être combinées, en fonction du calendrier, plus
ou moins rapide, à la faveur duquel les gouverne-
ments souhaiteront réaliser le retour à l’équilibre.

130
Quel est le juste périmètre de la fonction publique ?

D. Conclusion
Le périmètre de la fonction publique est un
espace complexe à appréhender, ne serait-ce que
parce qu’il diffère en fonction des définitions, éco-
nomique ou juridique, que l’on retient. Les compa-
raisons internationales, si elles n’établissent pas
mécaniquement la supériorité d’un modèle sur un
autre, démontrent toutefois que la France se classe
parmi les pays dont le périmètre d’intervention est
très étendu. Dans le contexte de la nécessaire réduc-
tion des déficits, le périmètre de la fonction
publique renvoie donc surtout à la réinvention de
l’État-providence à la Française : avec près de
600 milliards d’euros de dépenses de transferts, les
administrations publiques françaises figurent au
rang des plus généreuses et des plus dispendieuses
au monde. Recentrer ce modèle, pour qu’il soit à la
fois plus modeste et mieux ciblé, est sans conteste le
principal défi des prochaines décennies pour que la
France retrouve sa souveraineté financière et, au
final, politique.

131
Chapitre 2
Les fonctionnaires
sont-ils trop nombreux ?

A. Enjeux
Réfléchir au bon périmètre de la fonction
publique renvoie à une autre question, qui lui est
en partie liée : les fonctionnaires sont-ils trop nom-
breux ? Là aussi, l’histoire ne cesse de se répéter. Je
citais, dans le premier chapitre de cet ouvrage, ces
lignes que l’on retrouve dès 1825 au sein de l’un
des volumes des Mœurs administratives : « l’adminis-
tration envahit tout, les administrateurs pullulent,
et pourtant les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de
la population ignorent complètement quelle est la
nature de cette force motrice qui, nous poussant à
coups d’ordonnances, de règlements et d’arrêtés,
nous contraint à marcher droit sur la grande route
de l’obéissance ». Il serait aisé de remonter encore
bien plus loin dans le temps (cf. les doléances
médiévales !) ou au contraire à l’époque la plus
contemporaine (cf. les fameux « comité de la
hache » ou « comités guillotine » de
l’entre-deux-guerres !) pour trouver la trace, en des

133
Fonction publique

termes à peine différents, de cette sempiternelle cri-


tique du nombre des fonctionnaires en France.
Ce débat historique a recouvré une intensité nou-
velle lorsqu’en 2007, le Président de la République
nouvellement nommé, confirmant un engagement
de campagne, a érigé le non-remplacement d’un
fonctionnaire de l’État sur deux partant à la retraite
comme une règle incontournable pour la maîtrise
des effectifs de la fonction publique. De 2008 à
2012, la règle a été strictement appliquée à l’en-
semble des effectifs ministériels, aboutissant, à rai-
son de départs à la retraite annuels avoisinant les
65 000 agents, à ne pas remplacer un peu plus de
30 000 agents chaque année. Et la polémique s’est
nouée sous les assauts répétés des détracteurs de la
mesure, qui ont développé invariablement les trois
mêmes catégories d’arguments : diminuer le nom-
bre de fonctionnaires contribuerait à amoindrir la
qualité du service public et participerait ainsi de la
« casse du service public » ; il serait plus logique de
partir d’une analyse des besoins des services publics
et, alors seulement, d’en déduire l’évolution des
moyens et des effectifs ; enfin, son objectif ne serait
que budgétaire et en l’espèce non atteint puisque le
non-remplacement d’un fonctionnaire de l’État sur
deux ne permet d’économiser « que » un milliard
d’euros par an, dont la moitié au moins est, qui
plus est, réutilisée pour améliorer la rémunération
des fonctionnaires, soit une échelle d’économies
bien éloignée des 1 800 milliards d’euros de la
dette publique française.

134
Les fonctionnaires sont-ils trop nombreux ?

Avant de débattre de la pertinence de ces argu-


ments, un détour par quelques constats s’impose.
Car l’évolution des effectifs de fonctionnaires au
cours des 30 dernières années est éclairante à plus
d’un titre.

B. Constats
Un rapport thématique de la Cour des comptes,
reprenant les éléments statistiques fournis annuelle-
ment par la DGAFP, a récemment retracé trois
décennies d’évolution des effectifs. Les principaux
constats suivants s’en dégagent.

1. La croissance des effectifs des trois fonctions


publiques est ininterrompue depuis 30 ans
et elle est principalement due aux collectivités
territoriales, et singulièrement aux communes
et à leurs groupements
En 2007, on comptait un tiers de fonctionnaires
de plus qu’en 1980 : 3,9 millions de fonctionnaires
en 1980 contre 5,3 millions en 2007. Parallèle-
ment, pendant cette période, les pensions de retrai-
tes ont plus que doublé. Cette dynamique a été bien
supérieure à l’évolution de la population active de la
France, dont la progression s’est limitée à + 15 %.
Conséquence, la part de la fonction publique dans
l’emploi total est passée de 17,8 à 20 %.
Sur la période considérée, seule la fonction
publique de l’État a progressé moins vite que la

135
Fonction publique

population active, en passant de 2,2 à 2,5 millions


d’agents (+ 14 %). La fonction publique hospita-
lière a vu ses effectifs augmenter de 54 % (passage
de 670 000 à un million d’agents). La croissance des
effectifs a été particulièrement nette à partir de
2000 en raison de la réduction du temps de travail,
qui a affecté l’organisation des établissements de
santé. La fonction publique territoriale a vu ses
effectifs exploser, passant de 1 à 1,7 million
d’agents (+ 71 %). Cette croissance correspond à
une augmentation de 340 000 emplois pour les
communes, de 263 000 emplois pour les structures
intercommunales, de 80 000 emplois pour les
départements et de 44 000 emplois pour les
régions. La contribution des collectivités territoria-
les à la croissance des effectifs a donc été très majo-
ritaire : en 1980, les effectifs de la fonction
publique territoriale représentaient le quart des
emplois publics, ils en représentaient le tiers en
2007. Si la croissance pour les régions et pour les
départements peut en partie s’expliquer par les dif-
férentes mesures de décentralisation les ayant
impactés, il est beaucoup plus malaisé de justifier
la très forte augmentation des effectifs des commu-
nes et des groupements de communes (plus de
600 000 emplois sur la période), en tant qu’ils ont
fait l’objet de très peu de transferts spécifiques de
compétences.
À noter également que si les effectifs de la fonc-
tion publique de l’État ont connu une progression
plus modérée, les établissements publics ont pris
une part sans cesse croissante dans cette progression.

136
Les fonctionnaires sont-ils trop nombreux ?

Les effectifs de l’État se sont renforcés de 311 000


agents entre 1980 et 2007 et parmi eux, 180 000
ont grossi les rangs des établissements publics.
Autrement dit, le nombre des agents des établisse-
ments publics administratifs (nationaux et locaux) a
cru beaucoup plus vite que celui des administra-
tions sous la tutelle desquelles ils sont placés. Ils
représentaient ainsi, en 2007, 10 % des effectifs de
la fonction publique de l’État, contre 5 % en 1980.

2. D’une manière générale, les mesures


de décentralisation et de déconcentration
des personnels ont eu peu d’effet sur le rythme
de progression des effectifs de l’État
Le rapport de la Cour des comptes précité ana-
lyse, sur longue période, l’impact de deux politi-
ques structurelles : la décentralisation, qui consiste
à transférer aux collectivités territoriales (régions,
départements, communes) des compétences
jusque-là assumées par l’État (et, souvent, les per-
sonnels qui les exercent), doit se traduire, en toute
logique, par la diminution à due concurrence des
effectifs de l’État ; la déconcentration, qui consiste
à modifier, au sein de l’État, la répartition des attri-
butions ou des tâches de gestion entre les adminis-
trations centrales et les services déconcentrés
(locaux), n’a de conséquence sur le niveau des effec-
tifs qu’à la condition que le périmètre des compé-
tences de l’État évolue également.
Or, une étude sur les trois dernières décennies
met au jour que la décentralisation n’a eu qu’un

137
Fonction publique

effet très limité sur les effectifs de l’État, surtout


dans sa première phase : les mesures mises en
œuvre dans les années 1980 ne se sont pas traduites
par une diminution marquée du nombre des agents
de l’État, seul l’acte II de la décentralisation (loi du
13 août 2004) ayant conduit à un allégement subs-
tantiel des effectifs dans certains secteurs (un peu
plus de 100 000 agents ont été transférés). A contra-
rio, la décentralisation a fortement contribué à l’ex-
plosion des effectifs territoriaux évoquée plus haut.
La déconcentration, elle, ne s’est pas réellement tra-
duite par un ajustement des effectifs d’administra-
tion centrale, qui sont longtemps restés très fournis.

3. À compter de 2007 et jusqu’en 2012,


l’inversion de tendance a été toutefois nette
pour les effectifs de la fonction publique
de l’État
De 2000 à 2010, les effectifs des ministères ont
baissé de 350 000 agents. Il faut toutefois bien dis-
tinguer deux phases dans cette décroissance. Une
première phase a été celle pendant laquelle la dimi-
nution n’a en réalité consisté qu’en un « report de
charges » sur d’autres périmètres : les mesures de
décentralisation, notamment à partir de 2004, ont
conduit à des transferts aux collectivités territoriales
de personnels jusqu’ici pris en charge par l’État,
pour un total compris entre 100 000 et 150 000
agents ; les transferts de personnel vers des opéra-
teurs extérieurs (établissements publics...) se sont
poursuivis, de sorte que les établissements publics
ont dans le même temps vu leurs effectifs croître

138
Les fonctionnaires sont-ils trop nombreux ?

de 220 000 agents. Une deuxième phase s’est


ouverte à compter de 2007, au cours de laquelle
des postes ont été effectivement supprimés (et non
plus simplement transférés) : avec la mise en œuvre
du non-remplacement d’un fonctionnaire de l’État
sur deux partant à la retraite, les effectifs ministé-
riels, nous allons y revenir, ont diminué d’environ
150 000 agents entre 2007 et 2012.

C. Réflexions
À la lumière des trois dernières décennies, la
règle de non-remplacement de tous les départs à la
retraite appliquée entre 2008 et 2012 marque bien
une césure fondamentale. Rien d’étonnant à cet
égard qu’elle ait été fortement contestée. Revenons
sur les critiques qu’elle a essuyées pour en mesurer
la pertinence.

1. La maîtrise des effectifs n’amoindrit pas


mécaniquement la qualité des services publics
Les opposants à la diminution des effectifs sou-
tiennent régulièrement qu’elle contribuerait à
amoindrir la qualité des services publics. Or, rien
ne vient étayer une telle assertion. En moins de
30 ans, les services publics français se sont vus ren-
forcer de près de 1,5 million de fonctionnaires sup-
plémentaires. Cette croissance est considérable et a
toujours reposé sur un impensé de la politique de la
fonction publique : l’amélioration de la qualité des
services publics se résumerait à une question

139
Fonction publique

quantitative. Il faudrait plus d’enseignants, plus de


policiers, plus de chercheurs pour que les services
publics de l’enseignement, de la sécurité, de la
recherche puissent s’améliorer. Ce raisonnement a
largement contribué à faire aujourd’hui de la France
le pays développé où le nombre de fonctionnaires
par habitant est l’un des plus élevés au monde. Or,
cette idée ne résiste pas à l’épreuve des faits. Aucun
sondage sérieux ne met au jour une satisfaction
croissante des usagers, au cours des 30 dernières
années, à l’endroit des services dont ils bénéficient.
Le sentiment général est souvent plutôt que les ser-
vices publics en question se sont dégradés. L’éduca-
tion nationale est l’exemple le plus connu. Alors
qu’entre 1990 et 2009, le nombre de professeurs
s’est accru de 45 000, le nombre d’élèves a diminué
de plus de 600 000 : a-t-on pour autant le senti-
ment que le service public de l’éducation s’est nota-
blement amélioré au cours de la période ? Il est
donc tout aussi abusif de lier croissance des effectifs
et amélioration des services publics que de corréler
maîtrise des effectifs et dégradation de leur qualité.
Les comparaisons de tendance en Europe offrent
également une mise en perspective saisissante. Pre-
nons le cas de l’Allemagne. Entre 1991 et 2008,
que ce soit au niveau fédéral (29 % des effectifs)
ou au niveau local (71 % des effectifs), le nombre
des salariés publics a diminué de 48 %. Cet effort
a été continu, par-delà les aléas de la conjoncture
économique et des alternances politiques. De nom-
breuses mesures ont permis cette réduction : impor-
tantes restrictions budgétaires, suppression de

140
Les fonctionnaires sont-ils trop nombreux ?

postes en Allemagne de l’Est, privatisation de cer-


tains services dans les communes (hôpitaux notam-
ment), fusion des réseaux ferrés des deux Allema-
gnes, ouverture à la concurrence du marché postal,
vente de sociétés de logement social poussant à la
rationalisation de la gestion et donc à l’externalisa-
tion de certains services... Je ne dis pas qu’il faut
purement et simplement dupliquer ces mesures en
France : le chapitre précédent a permis de relativiser
la portée des politiques d’externalisation par exem-
ple. Mais il y a quand même lieu de s’interroger
face à des tendances aussi antinomiques entre les
deux grands voisins européens.
Enfin, il suffit d’avoir un tant soit peu travaillé
au sein des services de recrutement des administra-
tions pour savoir que la politique de recrutement
obéit depuis fort longtemps à des logiques pure-
ment répétitives. À qui fera-t-on croire que chacun
des 1,5 million de fonctionnaires supplémentaires
recrutés entre 1980 et 2007 l’a été à l’issue d’une
analyse fine du besoin des administrations ? Le
nombre de fonctionnaires recrutés par une adminis-
tration une année donnée est généralement la sim-
ple reconduction du niveau de recrutement de l’an-
née précédente... Le grand mérite de la politique de
non-remplacement des fonctionnaires partant à la
retraite a donc consisté non seulement à inverser
une inquiétante inflation mais aussi à rompre avec
des décennies de pratiques routinières en matière de
recrutement public.

141
Fonction publique

2. La maîtrise des effectifs de fonctionnaires


participe à la réduction des dépenses
publiques mais elle est avant tout au service
d’un profond changement de culture
Les détracteurs du non-remplacement d’un fonc-
tionnaire sur deux partant à la retraite ont également
pointé sa faible logique : on devrait commencer par
repenser les missions dévolues à l’administration puis
seulement en déduire les moyens en personnel à leur
affecter. C’est indéniablement un raisonnement de
bon sens et chaque gouvernement successif s’efforce
d’ailleurs, à sa manière et avec plus ou moins de suc-
cès, de l’adopter : la révision générale des politiques
publiques hier, la modernisation de l’action publique
aujourd’hui, malgré leurs différences affichées, ont en
commun d’avoir voulu et de vouloir repenser les mis-
sions de l’État. On oublie notamment de rappeler
que la RGPP a aussi initié un important programme
de simplifications administratives (dématérialisation
de nombreuses procédures administratives), que le
nouveau gouvernement souhaite légitimement pour-
suivre et intensifier.
Mais autant il est indispensable et possible de
moderniser en profondeur l’action publique et la
relation aux usagers des services publics, autant il
me paraît délicat, pour ne pas dire illusoire, de défi-
nir in abstracto un périmètre idéal des services
publics, comme le chapitre précédent l’a démontré.
Et il serait au demeurant tout aussi périlleux de
s’essayer à déduire de cet hypothétique périmètre
idéal une répartition idéale des effectifs. On peut
certes tenter de comparer une mission de service

142
Les fonctionnaires sont-ils trop nombreux ?

public à une autre, au regard de leur importance


relative pour la collectivité. On peut aussi, dans un
secteur bien considéré, évaluer approximativement
le besoin en effectifs. Mais faire ce travail globale-
ment est d’autant plus artificiel que la réalisation
d’une mission de service public peut prendre,
comme évoqué précédemment, une pluralité de for-
mes (concours de personnes physiques, dématériali-
sation, externalisation...). Autrement dit, des gran-
des missions que l’on retiendrait comme faisant
partie du champ du service public, on ne pourrait
certainement pas déduire mécaniquement un
niveau d’effectifs idéal. Les 30 ans de la politique
de décentralisation suffisent à l’attester : si les mis-
sions de l’État ont été repensées (puisque transférées
pour partie aux collectivités territoriales), ses effec-
tifs n’ont été aucunement ajustés en conséquence.
Enfin, les détracteurs du non-remplacement d’un
fonctionnaire sur deux partant à la retraite ont sou-
ligné qu’une telle règle n’est de toute façon pas à la
hauteur des enjeux financiers : elle ne permet d’éco-
nomiser qu’un milliard d’euros chaque année, dont
la moitié seulement va au désendettement de l’État,
le reste profitant aux rémunérations des fonction-
naires en place. Il conviendrait sans doute de nuan-
cer cette affirmation par une analyse moins
court-termiste : on estime qu’un renoncement à
150 000 recrutements représente, en y incluant les
coûts induits par la carrière et la retraite dont
auraient bénéficié les fonctionnaires non recrutés,
une économie de l’ordre de 200 milliards d’euros,
ce qui n’est pas vraiment négligeable... Mais l’idée

143
Fonction publique

selon laquelle le non-remplacement d’un fonction-


naire sur deux n’est pas à la mesure des enjeux
immédiats de réduction des déficits publics n’est
en soi pas contestable. Seulement, à mon sens, ce
qui importe dans la mise en place d’une règle de
maîtrise des effectifs de fonctionnaires, quelle
qu’elle soit, ce n’est pas tant les économies qui en
résultent que le changement de culture radical
qu’une telle règle impose à tous les acteurs : repen-
ser et mieux justifier les recrutements, faire de la
gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et
des compétences (GPEEC) une réalité dans l’admi-
nistration plutôt qu’un sujet de colloque, monter
des plans de requalification et de formation en
conséquence, développer la dématérialisation des
procédures... Je suis profondément convaincu
qu’un aiguillon par construction arbitraire mais
d’une grande simplicité (que ce soient « le un sur
deux », le « un sur trois » ou le « deux sur trois »,
peu importe la règle) est salutaire pour la moderni-
sation de l’administration car elle permet de mettre
l’ensemble des administrations face à un objectif de
plus grande productivité. En ce sens, la maîtrise des
effectifs publics telle qu’initiée en 2007 est, selon
moi, incontournable en France. Il n’en reste pas
moins que le succès de cette politique repose sur
plusieurs conditions.

144
Les fonctionnaires sont-ils trop nombreux ?

3. Première condition du succès : la maîtrise


des effectifs doit s’adosser à une réforme
administrative réelle
Une règle transversale ne peut être appliquée
avec succès que si elle est appliquée avec intelli-
gence et discernement, c’est-à-dire avec différencia-
tion en fonction des situations. Contrairement aux
clichés, c’est bien l’enjeu qui a présidé à la révision
générale des politiques publiques (RGPP), officiel-
lement lancée en juillet 2007 : questionner la perti-
nence de chaque politique publique pour « docu-
menter » les économies possibles en termes
d’emplois comme en termes de crédits. Car après
tout, si un gouvernement se donnait pour seul
objectif d’appliquer arithmétiquement à chaque
ministère le non-remplacement d’un fonctionnaire
sur deux partant à la retraite, quelle nécessité
aurait-il de l’accompagner d’une réforme des struc-
tures ? Il lui serait plus simple de se contenter de
faire des coupes sombres dans les autorisations de
recrutement. La RGPP a sans nul doute eu bien
des insuffisances, nous y reviendrons. Mais aucun
observateur un tant soit peu objectif ne peut lui
reprocher sa mécanicité : il suffit de reprendre une
à une chaque loi de finances initiale entre 2008 et
2012 pour mesurer combien l’application du « un
sur deux » a été différenciée selon les périmètres
ministériels, certains comme la justice et la recher-
che ayant même gagné des emplois sur la période.
Si l’on pousse d’ailleurs le raisonnement jusqu’au
bout, l’actuelle « modernisation de l’action
publique » (MAP) procède d’une logique assez

145
Fonction publique

similaire : accompagner les ministères « non sanc-


tuarisés » dans leur démarche de réduction des
effectifs. La vraie différence réside dans le postulat
de départ : hier, il s’agissait de diminuer globale-
ment le nombre de fonctionnaires sur un quinquen-
nat ; aujourd’hui, il s’agit de le maintenir au même
niveau.
L’histoire de la fonction publique rappelle en
tous cas que les périodes les plus fastes ont toujours
été celles où le pouvoir politique combinait réforme
de l’État et réforme de la fonction publique. Il doit
être mis au crédit de la politique conduite entre
2007 et 2012 d’avoir souhaité avancer sur ces deux
terrains en parallèle. Sans prétendre brosser un
tableau idyllique des résultats obtenus par la désor-
mais fameuse « RGPP », qui s’est concrétisée par la
mise en œuvre de près de 500 mesures d’inégale
importance, il faut lui reconnaître des réformes
emblématiques : la création de la Direction générale
des finances publiques, fusionnant le Trésor et les
Impôts, à laquelle tous les gouvernements successifs
avaient renoncé et qui est désormais une réalité ; la
création de Pôle Emploi dont les 910 agences ont
ainsi vu le jour par rapprochement des agences
ASSEDIC et UNEDIC, offrant un guichet certes
imparfait mais désormais unique aux demandeurs
d’emploi ; la restructuration de l’appareil de
défense, mutualisé en bases de défense depuis le
1er janvier 2011, qui en rationalise les implanta-
tions logistiques ; la reconfiguration de la carte
judiciaire, qui a permis la diminution de près de
30 % du nombre de tribunaux ; la fusion à grande

146
Les fonctionnaires sont-ils trop nombreux ?

échelle des directions régionales et départementales


de l’État, qui a permis de passer de 35 services à
moins de cinq par département ; ou encore la
modernisation de ses fonctions support : un seul
système informatique, dit Chorus, centralise l’en-
semble de la dépense de l’État depuis le 1er janvier
2011 et ont été constitués un service des achats de
l’État, un service France Domaine pour l’immobi-
lier et récemment une direction des systèmes d’in-
formation de l’État. La « modernisation de l’action
publique », elle, en est à ses débuts, il est donc trop
tôt pour en évaluer les résultats. Espérons simple-
ment qu’elle poursuivra, à sa manière et au-delà
des considérations politiques, ce mouvement qui
consiste à adosser toute politique de maîtrise des
effectifs à une réforme administrative en profon-
deur. Le fait qu’elle n’ait en réalité remis en cause
aucune des grandes réformes précitées est un pre-
mier signe encourageant.

4. Deuxième condition du succès : elle doit


profiter aux fonctionnaires en place
L’autre intérêt pratique d’une mesure de réduc-
tion des effectifs jouant sur les départs à la retraite
est qu’elle n’implique aucun licenciement de fonc-
tionnaires. Nous rappellerons dans un chapitre ulté-
rieur la place tout à fait marginale qu’occupe le
licenciement dans la fonction publique. Il va de
soi qu’une politique de maîtrise des effectifs qui
consisterait à l’utiliser comme levier serait violem-
ment contestée et rapidement inopérante. L’avan-
tage de ne jouer que sur les volumes de

147
Fonction publique

recrutement, dans une période de forts départs à la


retraite dans le secteur public, est de rendre la maî-
trise des effectifs beaucoup plus acceptable.
Bien évidemment, le fait que le « un sur deux »
ne se traduise par aucun plan social est appréciable
pour la communauté des fonctionnaires. Mais c’est
une satisfaction un peu par défaut. Aussi
importe-t-il, dans le cadre de toute politique de
maîtrise des effectifs, d’intéresser directement les
agents restant en place à sa mise en œuvre : c’est
tout l’enjeu du principe, qui avait été posé dès
2007, de restituer aux fonctionnaires en activité la
moitié des économies générées par le
non-remplacement des départs à la retraite, afin
d’améliorer leurs propres rémunérations. Cette
règle a d’ailleurs été si bien respectée entre 2007
et 2012 que certains parlementaires en sont venus
à s’inquiéter en 2012 que ce « retour catégoriel »
puisse être en réalité supérieur aux 50 % initiale-
ment envisagés, certaines études tendant à l’estimer
à 70 %. Le problème cependant est que les fonc-
tionnaires n’ont eu qu’une perception très faible de
ce « retour sur investissement » : parce que les
ministères les plus contributeurs à la réduction des
effectifs n’ont pas toujours été ceux qui ont bénéfi-
cié des plus gros « retours catégoriels » ; surtout
parce qu’avant 2007, le montant des « retours caté-
goriels » était déjà important, sans être pourtant
adossé à des réductions d’effectifs, de sorte que les
fonctionnaires n’ont guère pu voir la différence...
Cela n’a pas été sans incidence sur l’image dégradée

148
Les fonctionnaires sont-ils trop nombreux ?

de la RGPP qui a fini par s’imposer parmi les


agents publics.
Dans ce contexte, l’équation dans laquelle le
nouveau gouvernement s’est placé en 2012 ne sera
guère facile à résoudre : comment assurer un inté-
ressement réel pour les fonctionnaires des ministères
dont les effectifs diminueront fortement lorsqu’on
postule que le nombre de fonctionnaires sera globa-
lement stable sur le quinquennat et la progression
de la masse salariale modérée ?

5. Troisième condition du succès : elle doit être


bien expliquée
Toute réforme administrative d’ampleur, couplée
à une maîtrise des effectifs, suppose beaucoup de
pédagogie. Il est certain qu’en la matière, la carica-
ture est plus facile que le discours de responsabilité :
on a tôt fait, comme on l’a vu, de glisser du
non-remplacement de fonctionnaires partant à la
retraite à la « casse du service public ». Il n’empêche
que c’est sur ce terrain que la démarche « RGPP » a
sans nul doute était la moins convaincante. Les
interventions des autorités politiques, allant du Pré-
sident de la République aux ministres en charge du
budget et de la fonction publique en passant par le
Premier ministre, ont certes été nombreuses pour
défendre la politique de maîtrise des effectifs. Il est
pourtant indéniable qu’elles n’ont pas toujours eu
l’effet escompté, les raccourcis médiatiques étant
toujours saisissants et la communication des syndi-
cats en la matière souvent davantage relayée. Et
l’idée qu’un bon ministre est celui qui a su négocier

149
Fonction publique

pour son secteur un confortable budget plutôt que


celui qui y a porté des réformes courageuses reste
très prégnante en France. Il est vrai aussi qu’avec
le raccourcissement du temps politique qu’impose
le quinquennat et a contrario la force d’inertie de
toute réforme administrative, le choix a été fait,
dès 2007, de privilégier une démarche très directive
et peu participative. Au point que beaucoup de
fonctionnaires, et singulièrement les cadres inter-
médiaires, ont pu avoir le sentiment, en partie légi-
time, que le « terrain » a été peu écouté.
Il y a pourtant matière à démontrer que réduc-
tion des effectifs ne rime pas mécaniquement avec
perte d’efficacité. Prenons l’exemple des forces de
sécurité. Additionner le nombre de postes suppri-
més dans le cadre du non-remplacement d’un fonc-
tionnaire sur deux partants à la retraite aux minis-
tères de l’Intérieur et de la Défense pour étayer
l’idée que les policiers et gendarmes ont diminué
sur la voie publique est notoirement insuffisant,
pour ne pas dire mensonger : les effectifs des minis-
tères de l’Intérieur et de la Défense agglomèrent
certes des agents travaillant sur la voie publique
mais aussi des agents dédiés à des tâches adminis-
tratives. Au sein même des agents sur la voie
publique, il faut départager ceux qui sont simple-
ment affectés à des gardes statiques et ceux qui font
un travail de ronde ! Autrement dit, ce n’est qu’en
entrant dans le détail qu’on peut valablement por-
ter une appréciation sur le renforcement ou l’ap-
pauvrissement des forces de sécurité. Or, en la
matière, le précédent gouvernement aurait pu, de

150
Les fonctionnaires sont-ils trop nombreux ?

manière plus audible, souligner que la RGPP a


précisément consisté à recentrer les policiers et les
gendarmes sur leur cœur de métier et à les libérer
d’un certain nombre de charges périphériques : les
gardes statiques, les transferts de détenus non dan-
gereux, les procurations électorales... De même, la
maîtrise des effectifs a pu s’appuyer sur la mutuali-
sation de plusieurs fonctions entre les policiers et
les gendarmes dans le cadre du rapprochement
police-gendarmerie, la fusion des deux grandes
directions chargées du renseignement (DST et
RG, devenus DCRI)... En 2012, on estimait d’ail-
leurs qu’il y avait sur le terrain plus de 145 000
policiers et 96 000 gendarmes contre 143 000 et
93 000 il y a dix ans.
Toute politique combinée de maîtrise des effec-
tifs et de réformes administratives nécessite donc de
mener la bataille de la communication, interne
comme externe. Le combat est certes difficile, sou-
vent mené à armes inégales, mais il n’en est pas
moins incontournable.

6. Quatrième condition du succès : elle ne doit


épargner aucune fonction publique
Mais la plus grave faiblesse de la politique de
réduction des effectifs conduite de 2007 à 2012
aura sans nul doute été de n’avoir couvert que
50 % du champ de bataille. En effet, en ne s’appli-
quant qu’aux effectifs de l’État, elle a laissé de côté
tous les personnels des collectivités territoriales et
des établissements de santé. Or, le seul exemple de
la fonction publique territoriale, dont l’explosion

151
Fonction publique

des effectifs a été rappelée plus haut, montre la dif-


ficulté posée par l’absence d’universalité de la règle.
Entre 1998 et 2008, les collectivités ont créé plus
de 500 000 postes de fonctionnaires territoriaux,
dont plus de 100 000 agents non titulaires. Toutes
ces créations de postes, on l’a vu, ne peuvent de loin
pas être expliquées par la décentralisation et les
transferts de compétences : on estime à 120 000 les
emplois transférés par l’État dans le cadre de la
décentralisation, ce qui justifie donc moins d’un
quart de la hausse. Hors décentralisation, l’augmen-
tation des effectifs en dix ans est de près de 400 000
agents, soit en moyenne 40 000 emplois par an. Ce
chiffre annuel suffit à gommer tous les efforts de
réduction des effectifs de l’État, qui rappelons-le se
sont élevés entre 2008 et 2012 à moins de 35 000
suppressions d’emplois par an.
Le principe constitutionnel de libre administra-
tion des collectivités territoriales ne saurait justifier
qu’elles restent un tel point de fuite dans la maîtrise
des effectifs publics. Car pour le contribuable, l’ad-
dition reste la même... En ce sens, le gel en valeur
des dotations de l’État aux collectivités territoriales,
initiée par le gouvernement à la fin du précédent
quinquennat, fut une mesure bienvenue. Au regard
des chiffres connus à ce jour, il semble avoir porté
ses fruits : en 2010, la hausse des effectifs territo-
riaux s’est limitée à + 0,2 %, contre + 2,1 % en
2009 et + 3,9 % en 2008. Le fait que le nouveau
gouvernement ait décidé d’accentuer encore cette
contrainte sur les dotations budgétaires est un
motif supplémentaire de satisfaction. Reste à

152
Les fonctionnaires sont-ils trop nombreux ?

vérifier que cette mise sous tension, via la diminu-


tion des dotations de l’État aux collectivités territo-
riales, se concrétisera bien, sur une longue période,
par une maîtrise des effectifs de fonctionnaires terri-
toriaux et du train de vie des exécutifs locaux.

D. Conclusion
Toute étude sérieuse sur les effectifs des fonction-
naires en France et leur dynamique au cours des
dernières décennies démontre que la maîtrise des
effectifs publics est incontournable et leur diminu-
tion sans aucun doute salutaire. La mise en place du
non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux par-
tants à la retraite entre 2008 et 2012, malgré ses
faiblesses conceptuelles et les points de fuite qui
ont subsisté, s’est avérée un outil, à la fois puissant
et habile, pour inverser la tendance à l’inflation des
effectifs en France. Adossée à une réforme adminis-
trative de grande ampleur, cette politique a permis
de supprimer 150 000 postes de fonctionnaires et a
surtout eu pour effet d’obliger les administrations à
repenser leurs habitudes de recrutement et de fonc-
tionnement. Dans ce contexte, le choix fait par le
nouveau gouvernement en 2012 de maintenir au
même niveau les effectifs de fonctionnaires à
l’échelle du quinquennat peut susciter deux types
de réactions : une inquiétude de voir la dynamique
de réduction ainsi stoppée, dans un contexte où les
départs à la retraite restent pourtant forts ; un sou-
lagement de constater que si les pouvoirs publics
ont renoncé à poursuivre la décroissance des

153
Fonction publique

effectifs, ils n’ont pas pour autant renoué, hormis


dans quelques secteurs comme l’éducation natio-
nale, avec la politique inflationniste du passé, qui
pèse si lourd aujourd’hui sur nos finances publiques
et sur la productivité de nos administrations.

154
Chapitre 3
Faut-il supprimer le statut général
des fonctionnaires ?

A. Enjeux
Le « statut des fonctionnaires » cristallise beau-
coup de débats autour de la fonction publique : cer-
tains lui prêtent toutes les vertus, en l’érigeant
comme le garant incontournable des droits et de
l’indépendance des fonctionnaires ; d’autres le ren-
dent, parfois pour les mêmes raisons, responsable
de tous les maux dont souffre le fonctionnement
de l’administration. Il est finalement à l’image de
la fonction publique dans son ensemble : considéré
tantôt comme une création récente, avec le statut
fondateur de 1946, tantôt comme le prolongement
d’une tradition beaucoup plus ancienne, qui tisse
son fil au moins jusqu’aux légistes de Philippe Le
Bel ou aux Marmousets qui ont entouré Charles VI
et érigé les premières « règles statutaires » à la fin
du XIVe siècle. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que
l’histoire nous invite à la modestie en la matière. En
1946, le ministre qui vient à la tribune du Parle-
ment défendre le Statut général des fonctionnaires
est un certain Maurice Thorez. Et il se voit

155
Fonction publique

contraint de le défendre contre qui ? Les syndicats


et notamment la puissante CGT, qui ne voyaient
alors dans le statut général proposé qu’un moyen
pour le pouvoir politique de placer les agents
publics dans une relation hiérarchique vis-à-vis de
l’État plutôt que contractuelle. Le plus éminent
des ministres communistes de l’époque, avec le sou-
tien du général de Gaulle, a ainsi dû s’armer de cou-
rage pour l’imposer aux centrales syndicales ! On est
bien loin de l’idée, si communément répandue,
selon laquelle le statut général des fonctionnaires
serait le dogme historique des fédérations de fonc-
tionnaires.
Bref, s’il est un sujet sur lequel il faut éviter les
conclusions hâtives, c’est bien celui du statut des
fonctionnaires. Il est donc essentiel de revenir aux
fondamentaux. Car derrière l’expression « statut
général des fonctionnaires » se dissimule en réalité
une pluralité de situations, qu’il nous faut ici rappe-
ler, avant de réfléchir à la pertinence de cette cons-
truction historique.

B. Constats
Le statut des fonctionnaires n’est pas l’ensemble
monolithique et figé que l’on nous dépeint trop
souvent : songeons d’ailleurs qu’il n’existe à ce
jour, même si un projet est en cours d’élaboration,
aucun Code de la fonction publique (comme il
existe un Code de l’urbanisme ou des impôts), le
« statut » n’étant que l’ensemble que forment les
quatre lois fondamentales évoquées plus haut et

156
Faut-il supprimer le statut général des fonctionnaires ?

une multitude de textes réglementaires. De fait,


malgré le statut général, la communauté des agents
publics connaît au moins quatre divisions fonda-
mentales.

1. Les 5,2 millions d’agents se répartissent


en trois fonctions publiques distinctes
La mise en place d’un nouveau statut général des
fonctionnaires par les quatre grandes lois promul-
guées entre 1983 et 1986 s’est voulue un acte
d’harmonisation entre la fonction publique de
l’État (essentiellement les agents des ministères), la
fonction publique territoriale (les agents des collec-
tivités locales) et la fonction publique hospitalière
(les agents des établissements de santé). Cette har-
monisation est allée jusqu’à une unification pour
tout ce qui concerne les droits et obligations fonda-
mentaux : les fonctionnaires des trois « versants » de
la fonction publique, pour reprendre une expression
chère aux organisations syndicales, sont aujourd’hui
régis par la même loi de 1983 (Titre I : loi
nº 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obliga-
tions des fonctionnaires). Il n’en demeure pas moins
que la distinction entre ces trois univers subsiste
au plan législatif puisque chaque fonction publique,
au-delà des droits et obligations qui leur sont com-
muns, est régie par une loi qui lui est propre
(Titre II : loi nº 84-16 du 11 janvier 1984 portant dis-
positions statutaires relatives à la fonction publique de
l’État ; Titre III : loi nº 84-53 du 26 janvier 1984 por-
tant disposition statutaires relatives à la fonction publique
territoriale ; Titre IV : loi nº 86-33 du 9 janvier 1986

157
Fonction publique

portant dispositions statutaires relatives à la fonction


publique hospitalière) et par une pluralité de décrets
spécifiques. Les effectifs en jeu ne sont d’ailleurs
pas les mêmes : près de la moitié des effectifs appar-
tient à la fonction publique de l’État (2,3 millions
d’agents), un peu plus d’un tiers à la fonction
publique territoriale (1,8 million) et 21 % à la fonc-
tion publique hospitalière (1,1 million).
On notera également que le statut général des
fonctionnaires couvre un champ bien circonscrit :
comme le prévoit l’article 2 du Titre I précité, il
ne concerne que les « fonctionnaires civils des admi-
nistrations de l’État, des régions, des départements,
des communes et de leurs établissements publics y
compris les établissements mentionnés à l’article 2
du Titre IV du statut général des fonctionnaires de
l’État et des collectivités territoriales (établisse-
ments de santé) ». Ce qui revient à exclure les fonc-
tionnaires des assemblées parlementaires (les agents
travaillant à l’Assemblée nationale et au Sénat sont
régis par les règlements intérieurs de ces deux
chambres), les magistrats de l’ordre judiciaire et les
militaires (ces deux catégories disposant de leur pro-
pre statut général) et les agents qui, dans les servi-
ces et les établissements publics à caractère indus-
triel ou commercial, n’ont pas la qualité de
fonctionnaire. Au sein même de chacune de ces
trois fonctions publiques, les situations peuvent
être très diverses : cultures ministérielles différentes,
fonctionnement hétérogène des collectivités locales
et hôpitaux en fonction de leur taille... Enfin, le sta-
tut général des fonctionnaires ne doit pas masquer

158
Faut-il supprimer le statut général des fonctionnaires ?

la très grande diversité des métiers. L’élaboration


récente d’un répertoire interministériel des métiers
de l’État (RIME) a mis au jour que la seule fonction
publique de l’État recouvrait un ensemble de près
de 300 métiers différents.
Bref, rien ne serait plus faux que de croire que les
5,2 millions d’agents publics sont placés dans un
moule commun, ayant vocation à régir, à l’iden-
tique, l’ensemble de leur devenir professionnel.

2. Ils se distinguent aussi par leur régime


de travail...
Les textes ménagent une césure fondamentale au
plan juridique, entre les agents sous statut (les
agents dits « titulaires », qui sont les fonctionnaires
stricto sensu) et les agents sous contrat de droit public
(les agents dits « non titulaires »). Seuls les premiers
ont vocation à faire toute leur carrière dans la fonc-
tion publique et sont régis par le statut général des
fonctionnaires. Les seconds sont dans une relation
contractuelle avec l’employeur public, plus proche
de la situation des salariés du secteur privé, même
si leurs contrats sont généralement de droit public
et obéissent à des règles sensiblement différentes.
Nous aurons l’occasion de traiter de la question
des contractuels dans la fonction publique dans le
prochain chapitre. Mais notons dès à présent que
la distinction entre titulaires et non titulaires ne
joue pas qu’à la marge.
Le statut général des fonctionnaires place les
agents non titulaires dans une situation

159
Fonction publique

dérogatoire : ils peuvent être recrutés pour des


emplois très spécifiques (caractère particulier des
missions accomplies) ou en raison de leur caractère
non permanent (les assistants d’éducation, les ensei-
gnants et chercheurs temporaires, les recrutés
locaux, les adjoints de sécurité de la police
nationale...). Mais la majorité des emplois d’agents
non titulaires (près de 60 %) vise à faire face à des
besoins temporaires de gestion. Historiquement, la
place des agents non titulaires a toujours été impor-
tante, et ce dès la mise en place du statut
après-guerre. Pour l’ensemble de la fonction
publique, elle est aujourd’hui estimée à 900 000
personnes, soit 17 % des effectifs. Leur place a eu
tendance à s’accroître au cours de la période
récente : entre 2000 et 2010, le nombre de non
titulaires a augmenté de près de 200 000 agents,
avec une progression moyenne de 2,6 % par an.

3. ... Par leur catégorie hiérarchique...


Au sein de l’ensemble que forment les fonction-
naires titulaires, les textes ménagent aussi des dis-
tinctions importantes, qui tiennent au niveau de
responsabilités. Comme le prévoient actuellement
les textes, les fonctionnaires « sont répartis en qua-
tre catégories désignées dans l’ordre hiérarchique
décroissant par les lettres A, B, C et D ». La catégo-
rie D ayant disparu, la fonction publique est aujour-
d’hui hiérarchisée entre des personnels de catégorie
A (cadres et enseignants), de catégorie B (fonctions
de rédaction) et de catégorie C (fonctions d’exécu-
tion). Le classement dans l’une des catégories

160
Faut-il supprimer le statut général des fonctionnaires ?

emporte des conséquences en termes de grilles de


rémunération.
Les proportions à l’échelle des trois fonctions
publiques sont les suivantes : 30 % d’agents de
catégorie A, un peu moins de 25 % de catégorie B
et un peu plus de 45 % de catégorie C. Mais les
différences sont marquées d’une fonction publique
à l’autre. La catégorie A est prépondérante dans la
fonction publique de l’État en raison du poids des
enseignants. Même en excluant les enseignants, la
part de cadres y est plus forte que dans les deux
autres fonctions publiques (moins de 20 %) ou
dans le secteur privé (16 %). La catégorie C
(ouvriers et employés) est très représentée dans la
fonction publique territoriale, où elle représente
75 % des effectifs, et dans la fonction publique hos-
pitalière, où elle représente près de 50 % des effec-
tifs (aides-soignants et agents de service hospitalier
qualifiés à plus de 60 %). Et la tendance à l’œuvre
est sans équivoque : la part des agents de catégorie
A gagne du terrain, en particulier dans la fonction
publique de l’État, où elle est passée de 42 % à
50 % de 2000 à 2010.

4. ... Et par l’appartenance à un corps


ou cadre d’emplois
L’un des attributs les plus fameux de la fonction
publique est constitué par l’existence de corps (ou
« cadres d’emplois » dans la fonction publique ter-
ritoriale), qui sont pour les fonctionnaires autant de
signes distinctifs. Tout lauréat d’un concours de la
fonction publique entre en effet dans un corps de

161
Fonction publique

fonctionnaires déterminé pour être ensuite affecté à


un emploi ; et c’est au sein de ce corps qu’il a voca-
tion à effectuer toute sa carrière statutaire (sauf
mobilité interne), en passant de grade en grade (les
corps se subdivisent en différents grades) et d’éche-
lon en échelon (les grades se subdivisent en
échelons).
Pourquoi a-t-on créé ces corps de fonctionnaires ?
Il s’est agi dès l’origine, comme nous l’avons déjà
rappelé, de combiner une exigence hiérarchique
(l’autorité publique doit pourvoir aux emplois
selon les seules nécessités du service) et une exi-
gence démocratique (le fonctionnaire doit bénéficier
de garanties le rendant indépendant des aléas poli-
tiques). Le principe, sur lequel se fonde tout l’édi-
fice du statut général des fonctionnaires, est en effet
celui de la « double carrière » : tout fonctionnaire
déroule dans le même temps une carrière statutaire
(il bénéficie d’avancements dans son corps d’appar-
tenance) et une carrière fonctionnelle (il occupe suc-
cessivement des emplois, auxquels peuvent s’atta-
cher des primes différenciées). Cette distinction
entre le corps/grade et l’emploi est la clé de voûte
de l’édifice et on la retrouve posée dès les premiers
articles sur la carrière des fonctionnaires, dans une
formule qui peut paraître sibylline pour le non ini-
tié mais qui est en réalité fondamentale : « le grade
est distinct de l’emploi. Le grade est le titre qui
confère à son titulaire vocation à occuper l’un des
emplois qui lui correspondent ».
Dès lors, pourquoi les corps de fonctionnaires
sont-ils si régulièrement critiqués ? Comme le

162
Faut-il supprimer le statut général des fonctionnaires ?

rappel historique qui a ouvert cet ouvrage le


démontre, les corps, dont certains sont très anciens
(ponts et chaussées, mines...), ont été créés pour
identifier, en un même ensemble, les fonctionnaires
recrutés avec un niveau de formation similaire et
ayant vocation à exercer un métier semblable ou
proche. Chaque corps est régi par un statut particu-
lier, définissant les règles de recrutement, d’avance-
ment, de mobilité... de ses membres. Pour repren-
dre la formule consacrée par les textes, les corps ou
cadres d’emplois « groupent les fonctionnaires sou-
mis au même statut particulier et ayant vocation
aux mêmes grades ». Or, les missions assignées à la
puissance publique n’ont cessé de s’enrichir et
d’évoluer depuis 1945 et de nouveaux métiers ont
émergé, conduisant à une multiplication des corps
de la fonction publique de l’État. Les deux autres
fonctions publiques (territoriale et hospitalière),
qui sont de création plus récente, n’ont pas connu
une multiplication similaire : moins de 60 corps
ou cadres d’emplois composent chacune d’entre
elles. L’inflation du nombre de corps de la fonction
publique de l’État a été telle qu’en 2003, dans son
rapport public, le Conseil d’État en recensait près
de 1 000. Or, à l’instar des « offices » sous l’Ancien
Régime, ces centaines de corps ont le grand défaut
de segmenter la fonction publique, de freiner la
mobilité en son sein, de générer une gestion des sta-
tuts particuliers lourde, complexe et forcément
incohérente... Cela explique qu’un effort important
de fusions de corps ait été conduit depuis le début
des années 2000 : en 2010, le nombre de corps était
ainsi revenu à 380 corps « actifs » (c’est-à-dire

163
Fonction publique

continuant de recruter) dans la fonction publique


de l’État, tous les autres ayant disparu ou ayant été
mis en extinction progressive. Il n’en reste pas
moins qu’à cette date, la segmentation restait
encore particulièrement forte en catégorie A avec
223 corps, moindre en catégorie B (avec 91 corps)
et en catégorie C (avec 66 corps). Et cette segmen-
tation ménageait de vraies incohérences : le nombre
de corps « vivants » par ministère n’était pas pro-
portionné au nombre d’agents (à titre d’exemple,
l’éducation nationale représentait 61 % des effectifs
mais seulement 19 % des corps ministériels) et le
nombre de corps à « faibles effectifs » était encore
très élevé (90 corps environ regroupaient 90 % des
effectifs des administrations de l’État tandis que 71
corps ministériels et 53 corps d’établissements
publics comptaient moins de 150 agents).

C. Réflexions
Ce rapide panorama a pour objectif de tordre le
coup à cette idée, si récurrente, selon laquelle le sta-
tut général des fonctionnaires serait un ensemble
immense, monolithique, ne laissant place à aucune
particularité. C’est tout le contraire, le statut général
des fonctionnaires ne saurait masquer la très grande
diversité des situations au sein de la fonction
publique, entre ceux qui servent l’État et ceux qui
servent dans les collectivités et les hôpitaux, entre
ceux qui sont titulaires et ceux qui sont contractuels,
entre ceux qui sont cadres et ceux qui sont des
agents d’exécution et selon l’appartenance à l’un

164
Faut-il supprimer le statut général des fonctionnaires ?

des 380 corps de l’État qui composaient encore la


fonction publique de l’État en 2010. C’est une invi-
tation à revenir aux questions originelles : pourquoi
avoir institué un statut général des fonctionnaires ?
Cela reste-t-il pertinent ? Si oui, doit-il évoluer ?
Nous allons tâcher d’y répondre point par point.

1. Le statut général des fonctionnaires est


un instrument de souplesse
pour les employeurs publics et il ne doit pas
être supprimé
Certains commentateurs soutiennent régulière-
ment que le statut général des fonctionnaires est à
l’origine de bien des maux de la fonction publique
et que la solution serait purement et simplement de
le supprimer afin de placer les fonctionnaires sous
l’empire du Code du travail. Je veux dire ici avec
force que le débat n’a rien de tabou mais qu’il doit
être correctement posé. Rappelons d’abord ce qui a
conduit le général de Gaulle à soutenir la création
d’un statut général des fonctionnaires au sortir de la
Seconde Guerre mondiale. C’est une idée simple
mais forte : les agents publics, s’ils sont divers dans
leurs métiers et dans leurs missions (cf. supra), ont
cet élément clé en commun, celui de servir l’intérêt
général. Il ne s’agit pas de dire que le secteur mar-
chand, qui produit la richesse nationale, ne sert pas,
lui aussi, des objectifs d’intérêt général. Mais cette
finalité est indirecte : le salarié d’une entreprise a
pour mission première de la faire progresser en chif-
fre d’affaires, productivité et compétence ; ce n’est
qu’indirectement, en servant d’abord des intérêts

165
Fonction publique

particuliers, qu’il rend ainsi service à la collectivité.


À l’inverse, un agent public a pour mission pre-
mière et directe de servir l’ensemble de la collecti-
vité. C’est pour cette raison fondamentale que s’at-
tachent à sa fonction des obligations particulières,
notamment en termes de continuité, d’adaptabilité
et d’accessibilité du service rendu.
Le statut général des fonctionnaires traduit cette
exigence particulière, en posant que chaque fonc-
tionnaire est placé « vis-à-vis de l’administration
dans une situation statutaire et réglementaire » (arti-
cle 4 du titre I). Cela signifie que le fonctionnaire est
par construction placé dans une situation hiérar-
chique, encadré par lois et décrets : étant donné
qu’il sert un intérêt qui le dépasse, ses conditions
d’emploi doivent pouvoir être fixées unilatéralement
par l’autorité publique, pour modifier les règles dans
le sens de l’intérêt du service, sans qu’il puisse invo-
quer un droit acquis au maintien des règles anté-
rieures. Une relation contractuelle imposerait, elle,
que les règles ne puissent pas déroger aux stipula-
tions initialement arrêtées par les parties. On com-
prend dès lors mieux les positions d’après-guerre et
notamment pourquoi les syndicats se sont initiale-
ment opposés à la création du statut général des
fonctionnaires. Ils ont précisément compris sa fina-
lité : un instrument de souplesse et de flexibilité
pour l’autorité politique, qui doit pouvoir, dans
tous ses secteurs d’intervention, disposer d’agents
mobiles et loyaux. Certes, on pourrait sans doute
imaginer que cette souplesse soit prévue par l’intro-
duction de clauses particulières et systématiques

166
Faut-il supprimer le statut général des fonctionnaires ?

dans les relations contractuelles que noueraient les


collectivités publiques et leurs agents. Mais en quoi
cela serait-il différent d’un statut général de bâtir la
fonction publique sur une pluralité de contrats où
figureraient précisément les mêmes clauses incon-
tournables ?
Il ne s’agit pas de soutenir que les fonctionnaires
doivent être asservis au pouvoir politique : l’histoire
conserve les stigmates de ces époques où le serment
de fidélité a primé sur toute autre considération.
Mais il faut comprendre l’équilibre décisif qui pré-
side au statut général des fonctionnaires, que la for-
mule « dans une situation statutaire et réglemen-
taire » traduit parfaitement : le fonctionnaire a des
obligations particulières (obéissance hiérarchique,
obligations de service...) mais il a aussi, en contre-
partie, des droits fondamentaux (carrière et mobi-
lité, liberté d’opinion, droit de participation, droit
syndical, protection dans l’exercice de ses
fonctions...). C’est en ce sens que je suis profondé-
ment opposé à l’idée de supprimer le statut général
des fonctionnaires. Contrairement à ce que pensent
les tenants de cette mesure radicale, cela viendrait
rompre l’équilibre indispensable que l’après-guerre
a entendu créer entre des obligations et des droits
particuliers et l’efficacité du secteur public ne pour-
rait que s’en trouver très amoindrie.

2. ... Mais il faut en retrouver les fondements


N’en déduisons pas que la situation ne saurait
évoluer. Car il est indéniable que ces grands princi-
pes, aux sources mêmes du statut général des

167
Fonction publique

fonctionnaires, ont été souvent perdus de vue, par-


fois même dévoyés. Le mal ne vient pas tant des dis-
positions générales qui irriguent l’ensemble du
titre Ier du statut général des fonctionnaires : on ne
voit guère qui pourrait contester aux fonctionnaires
le droit à la carrière, à la mobilité, à une rémunéra-
tion pour service fait, à la participation, à la grève...
Ce qui pose problème, c’est que la segmentation de
plus en plus sophistiquée de l’édifice statutaire en
corps et statuts particuliers, telle que soulignée
plus haut, a fragilisé ces principes de base : au sein
d’une même fonction publique, les corps ou cadres
d’emplois sont devenus autant de citadelles et de
freins à la mobilité, parce qu’ils se sont dotés de sta-
tuts particuliers aux règles dérogatoires, que ce
soient pour le recrutement, l’avancement, la mobi-
lité ou encore les grilles indiciaires ; entre les fonc-
tions publiques, les règles de gestion ont progressi-
vement divergé, rendant les allers-retours d’autant
plus difficiles ; et le dialogue social a rapidement
évolué vers une forme de cogestion statutaire, abou-
tissant à faire examiner des milliers d’actes par des
commissions administratives paritaires sans réelle
valeur ajoutée, au détriment de discussions plus
fondamentales sur l’évolution des services, des
métiers et des compétences. Au fil des années, s’est
ainsi construit un ensemble statutaire de plus en
plus illisible, où seuls les spécialistes peuvent se
frayer un chemin. Un retour aux fondamentaux me
semble donc s’imposer et devoir reposer sur trois
chantiers essentiels.

168
Faut-il supprimer le statut général des fonctionnaires ?

3. Il faut d’abord résolument poursuivre


la fusion des corps de la fonction publique
de l’État...
La fragmentation en de multiples corps rend en
effet le statut général des fonctionnaires inutilement
rigide. Chaque corps est doté d’un statut particulier
(qui prend la forme d’un décret en Conseil d’État)
qui ménage des règles propres. C’est ainsi que
chaque corps, jusqu’à la récente loi relative à la
mobilité et aux parcours professionnels dans la fonc-
tion publique (août 2009), pouvait prévoir une liste
limitative de corps dont les membres étaient sus-
ceptibles d’être accueillis en détachement et/ou
intégrés : les fonctionnaires qui appartenaient à un
corps ne figurant pas sur cette liste n’avaient aucun
droit à le rejoindre et donc à occuper les emplois
correspondants. Et chaque corps, par la voie de ses
représentants syndicaux, négocie sa propre grille de
rémunération et ses propres primes, ce qui rend
continuel le travail d’ajustement des grilles indiciai-
res et incessantes les demandes dites « reconven-
tionnelles ». S’ensuit tout un travail de gestion sta-
tutaire, souvent laborieux et de peu d’intérêt pour
la dynamique des ressources humaines.
Fusionner les corps permet de lutter contre ces
particularismes statutaires qui grippent les mobili-
tés et complexifient inutilement la gestion des per-
sonnels. Dans le sillage des constats alarmants du
Conseil d’État en 2003 sur leur inflation, la poli-
tique de réduction des corps de la fonction
publique s’est heureusement intensifiée. Depuis
2005, au moins 440 corps ont été concernés par

169
Fonction publique

des fusions, aboutissant à 305 suppressions. Cela a


permis de porter la fonction publique de l’État,
comme évoqué plus haut, à un total de 380 corps
actifs environ. Depuis 2010, la dynamique s’est
encore intensifiée, le gouvernement décidant alors
le lancement d’un nouveau programme de 150
fusions de corps. Ce plan quinquennal a eu pour
objectif d’approfondir les efforts de fusion anté-
rieurs, en établissant, ministère par ministère, les
fusions répondant à une logique de métiers et en
cherchant à supprimer systématiquement les corps
à faibles effectifs. Il a aussi eu pour originalité de
promouvoir la mise en place de corps interministé-
riels : schématiquement il s’agit, sur le modèle du
corps des administrateurs civils, de passer d’une
situation où chaque ministère gère et défend des
corps qui lui sont propres à un seul corps dont les
membres ont vocation à servir dans tous les minis-
tères. C’est ainsi qu’est en train de se constituer une
véritable filière administrative au sein de la fonc-
tion publique de l’État, qui sera composée à
terme, en catégorie A +, d’un corps interministériel
des administrateurs civils, en catégorie A, d’un
corps interministériel des attachés d’administration,
en catégorie B, d’un corps interministériel des
secrétaires administratifs et en catégorie C, d’un
corps interministériel des adjoints administratifs.
Cette démarche devrait ensuite s’étendre aux autres
filières (technique, financière...).
Parallèlement, il a été décidé de rendre la seg-
mentation en divers corps moins pénalisante. La
loi relative à la mobilité et aux parcours

170
Faut-il supprimer le statut général des fonctionnaires ?

professionnels dans la fonction publique du 3 août


2009 a ainsi permis d’effacer les frontières artificiel-
les que les corps ont érigées entre eux : elle prévoit
que les possibilités de détachement et d’intégration
entre corps et cadres d’emplois de niveau compa-
rable sont de droit et qu’ainsi, les statuts particu-
liers ne peuvent plus être opposés à un agent
quand il veut exercer des missions dans un autre
corps de niveau comparable au sien. Cette règle
vaut d’ailleurs pour passer d’une fonction publique
à l’autre. Bref, la loi écrase désormais tous les statuts
particuliers, dont on a souligné les effets pervers. Ce
travail affectant l’architecture statutaire peut paraî-
tre abscons. Il est pourtant décisif. Car en fusion-
nant les corps de la fonction publique ou en en
gommant les frontières, l’État se donne les moyens
de retrouver la souplesse et la mobilité qui prési-
daient aux ambitions du statut général de 1946.

4. ... La mise en place de grands « cadres sta-


tutaires » ou la fusion des trois fonctions
publiques apparaissant des mesures illusoires
à court terme
Le livre blanc sur l’avenir de la fonction publique
remis au gouvernement au printemps 2009, repre-
nant une proposition esquissée dans le rapport
public du Conseil d’État de 2003, avait même pré-
conisé d’aller plus loin encore : les centaines de
corps de fonctionnaires seraient remplacées par une
cinquantaine de « cadres statutaires », qui seraient
classés par filières professionnelles et niveaux hiérar-
chiques. Citons le résumé que ce Livre blanc faisait

171
Fonction publique

de cette réforme radicale : « Pour l’ensemble des


trois fonctions publiques, quatre niveaux de qualifi-
cation seraient retenus en cohérence avec les niveaux
de diplômes européens :
— Niveau 1 pour un recrutement au niveau du
CAP et du BEP ou, à titre dérogatoire, sans
diplôme ;
— Niveau 2 pour un recrutement au niveau du
baccalauréat ou équivalent ;
— Niveau 3 pour un recrutement au niveau de
la licence ou équivalent ;
— Niveau 4 pour un recrutement au niveau du
master ou équivalent.
(...) Pour chaque niveau serait créé un ou, excep-
tionnellement, plusieurs cadres statutaires, chacun
comprenant, en règle générale, trois grades compo-
sés de plusieurs échelons. On aurait donc au total
environ le même nombre de cadres statutaires au
sein de la fonction publique de l’État que de cadres
d’emplois au sein de la fonction publique territo-
riale (une cinquantaine). Il est aussi préconisé de
créer un niveau 5, purement fonctionnel. Il corres-
pondrait essentiellement aux actuels emplois de
direction (directeurs d’administration centrale, pré-
fets, directeurs généraux des grandes collectivités
territoriales ou des grands hôpitaux...) ».
L’idée est indéniablement séduisante : la mise en
place de vastes ensembles statutaires, ne correspon-
dant plus strictement aux périmètres ministériels,
permettrait de s’extraire de la gestion trop statutaire
dont souffre tant la fonction publique (modification
incessante des statuts particuliers, échelle de

172
Faut-il supprimer le statut général des fonctionnaires ?

perroquet entre les grilles indiciaires, avancements à


l’ancienneté) pour se concentrer sur les vrais enjeux
managériaux (gestion prévisionnelle des emplois,
des effectifs et des compétences, nomination, muta-
tion, mobilité, rémunération liée aux responsabili-
tés fonctionnelles et à la manière de servir). Elle
dessine en ce sens indubitablement l’horizon à
atteindre. Mais je pense illusoire de vouloir prati-
quer ce « grand soir » à court terme. Ne serait-ce
que parce que substituer à une pluralité de corps
un seul cadre statutaire, outre la complexité tech-
nique d’une telle bascule, revient à les aligner inva-
riablement et brutalement sur le mieux-disant, ce
qui engendre des coûts immédiats potentiellement
très importants. Il va de soi que la période actuelle
ne plaide pas pour les solutions coûteuses. Intensi-
fier la fusion des corps, en privilégiant la mise en
place de corps interministériels, me paraît un
moyen de tendre vers cet horizon d’une manière
plus progressive et sans doute plus réaliste, en éta-
lant dans le temps le coût inévitable de la tran-
sition.
Il en va de même de l’idée de mettre fin à la dis-
tinction entre les trois fonctions publiques. Harmo-
niser les règles et les grilles de rémunération les
concernant et faciliter les passerelles de l’une à l’au-
tre sont deux objectifs incontournables. C’est
notamment ce qu’a récemment permis la loi relative
à la mobilité et aux parcours professionnels dans la
fonction publique. On peut sans doute aussi avancer
vers la création de corps inter-fonctions publiques,
notamment pour ce qui concerne la filière

173
Fonction publique

administrative. Mais aller jusqu’à faire disparaître


toute spécificité statutaire à un espace comme la
fonction publique territoriale, qui est gouvernée
par des milliers d’employeurs publics là où l’État
n’en forme qu’un, est à mon sens également illu-
soire. Et il faut se méfier de la tentation de créer
artificiellement un immense jardin à la française.

5. Il faut clarifier le partage entre statut


et contrat
Un prochain chapitre sera l’occasion d’examiner,
dans le détail, la place du contrat dans la fonction
publique. Disons simplement ici que la mise en
place du statut général des fonctionnaires dans les
années 1980 a largement contribué à faire de
l’agent contractuel un agent « par défaut »,
c’est-à-dire celui qu’on recrute à titre dérogatoire,
notamment faute de trouver un corps de fonction-
naires compétent ou suffisamment spécialisé pour
les tâches à accomplir. Le vocabulaire est d’ailleurs
explicite en la matière : les agents sous contrat se
classent dans la catégorie des « agents non titulai-
res »... Or, l’histoire démontre pourtant que le
contrat a toujours eu une place substantielle parmi
les effectifs des agents publics, et ce en dépit de
multiples plans de titularisation. On estime ainsi
qu’en 1946, la proportion des non titulaires s’éle-
vait déjà à 36 %. Les contractuels représentent
aujourd’hui encore, nous l’avons indiqué, 17 %
des effectifs de la fonction publique, malgré les dif-
férents plans de titularisation intervenus depuis
1950. Il faut donc bien admettre que les

174
Faut-il supprimer le statut général des fonctionnaires ?

administrations ne sauraient fonctionner avec leurs


seuls agents titulaires : les processus de recrutement
sont souvent longs, les fonctions concernées ne
nécessitent pas toujours le recrutement d’un agent
pour plus de 40 ans de carrière et les administra-
tions doivent pouvoir faire face à des besoins tempo-
raires (remplacement, activité saisonnière...). En ce
sens, les évolutions qui seront décrites plus loin par-
ticipent d’une banalisation bienvenue du contrat,
afin d’en faire un outil parmi d’autres à la main
des employeurs publics. La contrepartie étant que
les garanties des contractuels de droit public soient
bien explicitées, ce que les récentes évolutions s’ef-
forcent précisément de faire.
Faut-il pour autant que cette normalisation aille
jusqu’à la soumission de ces agents sous contrat aux
dispositions du Code du travail, autrement dit jus-
qu’à recourir à des contractuels de droit privé dans
la fonction publique ? Le Livre blanc sur l’avenir de
la fonction publique de 2009 envisageait explicite-
ment une telle hypothèse : les emplois ne compor-
tant pas de prérogatives de puissance publique
seraient occupés, à titre principal, par des agents
titulaires et, à titre complémentaire, « en régime
de croisière », par des contractuels de droit privé.
Toutefois, pendant une période transitoire, ces
emplois pourraient continuer à être occupés par
des contractuels de droit public. Je ne suis pour
ma part pas convaincu qu’une telle évolution soit
souhaitable. Outre le fait qu’en l’état actuel, les ges-
tionnaires des ressources humaines des administra-
tions sont très peu connaisseurs des dispositions du

175
Fonction publique

Code du travail, il faut rappeler l’enjeu : le recours à


des contrats doit rester un élément de souplesse
pour les employeurs publics, afin de faire face aux
besoins évolutifs du service public. Or, cette exi-
gence se combine sans doute malaisément avec un
Code du travail dont chacun connaît parfaitement
les rigidités actuelles.

6. Il faut rendre le corpus juridique


composant le statut général beaucoup plus
lisible
Le droit de la fonction publique, qui est le miroir
de sa sophistication statutaire, reste un véritable mil-
lefeuille législatif et réglementaire. Il est donc temps
de lui faire gagner en lisibilité, en élaborant un Code
de la fonction publique. Ce travail de codification à
droit constant s’est engagé depuis de nombreuses
années. Il est en voie d’achèvement pour la partie
législative : environ 350 lois ou articles de lois sont
en voie d’être codifiés ou abrogés (parce qu’obsolè-
tes). Ainsi seraient rassemblés dans un corpus juri-
dique unifié des textes aujourd’hui épars, parfois
méconnus et souvent mal articulés entre eux. Il
s’agit notamment de regrouper par grands thèmes
ce qui est rédigé aujourd’hui de manière pratique-
ment identique d’un titre à l’autre (recrutement, car-
rière, rémunération...). On peut ainsi raisonnable-
ment espérer que le transfert dans un Livre Ier de
toutes les dispositions communes aux trois fonctions
publiques, de même que le déclassement en partie
réglementaire de toutes les dispositions ayant ce
caractère, amélioreront considérablement la lisibilité

176
Faut-il supprimer le statut général des fonctionnaires ?

du droit de la fonction publique et faciliteront à


l’avenir sa modernisation.

D. Conclusion
Le statut général des fonctionnaires ne doit pas
être supprimé. Ce qu’il exprime, c’est un équilibre
nécessaire entre des droits et des obligations parti-
culiers, qui s’attachent inévitablement aux métiers
publics. La contestation qui l’entoure confond abu-
sivement les principes qui le fondent et l’architec-
ture, de plus en plus sophistiquée, qui en a procédé.
Le recours sans cesse croissant à des statuts particu-
liers, conduisant à l’inflation des corps de la fonc-
tion publique, de même que des pratiques de ges-
tion trop soucieuses d’égalitarisme et de cogestion
l’ont progressivement dévoyé. La consécration dans
les années 1980 de l’existence de trois fonctions
publiques distinctes, gouvernées par des lois pro-
pres, n’a qu’ajouté à cette complexité. Tout l’enjeu
est désormais de retrouver les valeurs fondatrices du
statut général de 1946 et son équilibre entre un
principe hiérarchique fort et un principe démocra-
tique réel. Je suis convaincu que les efforts entrepris
au cours des dernières années pour fusionner les
corps, lever les freins statutaires aux mobilités,
créer des passerelles entre les fonctions publiques,
introduire des parts de rémunération à la perfor-
mance, repenser le partage entre statut et contrat...
participent de cet objectif. Si elles inscrivent cette
démarche refondatrice dans la durée et savent esqui-
ver les idées faussement modernes (comme basculer

177
Fonction publique

toute la fonction publique sous le régime du Code


du travail), les autorités publiques successives pour-
ront légitimement espérer donner au statut général
des fonctionnaires un nouveau souffle.

178
Chapitre 4
Faut-il augmenter
la place du contrat
dans la fonction publique ?

A. Enjeux
1946 est l’année de naissance du premier vrai
statut général des fonctionnaires (si l’on excepte le
statut de 1941) et en conséquence, l’acte fondateur
de la fonction publique contemporaine. Nourrie
d’un héritage pluriséculaire, cette fondation a eu la
caractéristique, que l’on rappelle trop peu souvent,
de ne pas faire basculer l’ensemble des agents
publics sous ce nouveau régime juridique : on
estime à 36 % le nombre d’agents laissés alors sous
contrat, soit en dehors du tout jeune statut général.
C’est ce qui explique – autre originalité – que dès
1950, le gouvernement a dû procéder à un « plan
de titularisation », premier d’une longue série. Le
partage entre des agents sous statut et des agents
sous contrat est donc originel. Le raisonnement est
simple : caractérisée par un régime juridique statu-
taire et réglementaire, la fonction publique emploie
par principe des agents titulaires mais, par

179
Fonction publique

exception et dans certains cas, il permet le recours à


des agents contractuels pour faire face aux besoins
spécifiques du service public.
Voilà plus de soixante ans que la question est
régulièrement reposée : faut-il supprimer ou au
contraire généraliser la place du contrat dans la
fonction publique ? Sans aller jusqu’à ces extrémi-
tés, faut-il plus ou moins d’agents contractuels ?
Le choix n’est d’ailleurs pas qu’hexagonal : une évo-
lution majeure est intervenue en 2005, dans le
cadre d’une transposition de directive communau-
taire, avec l’introduction par le législateur du
contrat à durée indéterminée (CDI) dans la fonction
publique. Et la nature même des contrats fait désor-
mais débat : le récent Livre blanc sur l’avenir de la
fonction publique a ainsi préconisé de faire basculer
tous les contrats dans la fonction publique sous un
régime de droit privé.
Pour mieux répondre à tous ces questionne-
ments, revenons aux fondamentaux : pourquoi
faut-il des agents contractuels ? Leur nombre est-il
trop important ? Leur régime et leur gestion satis-
faisants ?

180
Faut-il augmenter la place du contrat dans la fonction publique ?

B. Constats

1. Les agents contractuels sont recrutés


par exception au principe selon lequel
les emplois permanents doivent être pourvus
par des agents titulaires
L’article 3 de la loi du 13 juillet 1983 portant
droits et obligations des fonctionnaires prévoit que
dans le cadre de l’exécution d’un service public
administratif, les emplois permanents doivent être
occupés par des fonctionnaires. Cette règle posée
par le statut général de 1983 figurait déjà à l’arti-
cle premier du statut de 1946. Elle s’applique aux
services publics administratifs, mais non aux servi-
ces publics industriels et commerciaux, dont les
agents relèvent normalement du Code du travail.
Le même article 3 du statut autorise toutefois à
déroger à ce principe. La loi délimite en effet les cas
dans lesquels le recours à des contractuels est pos-
sible. La faculté est ouverte pour pourvoir aux
emplois supérieurs dont la nomination est laissée à
la décision du gouvernement et aux emplois de cer-
tains établissements publics administratifs de l’État
(EPA), dits « dérogatoires », qui, en application de
l’article 3 de la loi du 11 janvier 1984, peuvent
recruter des agents non-titulaires sur leurs emplois
permanents en raison du caractère particulier de
leur mission. Une quarantaine d’établissements et
institutions est concernée, comme le Conseil de la
concurrence, le Conseil supérieur de l’audiovisuel,
les agences de l’eau, l’Institut géographique

181
Fonction publique

national, les Centres régionaux des œuvres universi-


taires et scolaires... Plus généralement, le recours est
possible lorsqu’il n’existe pas de corps ou cadres
d’emplois de fonctionnaires susceptibles d’assurer
les fonctions correspondantes ou, notamment pour
des emplois de catégorie A, lorsque la nature des
fonctions et les besoins des services le justifient. Ce
recours est également autorisé pour permettre le
remplacement d’un fonctionnaire titulaire indispo-
nible en raison notamment de congés (maladie,
maternité ou parental), pour pourvoir des emplois
à temps incomplet ou non complet et pour répon-
dre à des besoins temporaires (besoins saisonniers ou
occasionnels...). Enfin, le recrutement sous forme de
contrat peut bénéficier, dans les trois fonctions
publiques, aux travailleurs handicapés, qui sont
recrutés pour une durée d’un an renouvelable une
fois et, à l’issue de cette période, titularisés sous
réserve qu’ils remplissent les conditions d’aptitude
pour l’exercice de la fonction.
La liste des dérogations ne s’arrête pas là. Des
autorisations existent aussi pour le recrutement de
contractuels sur des fonctions spécifiques, comme
celles d’enseignants chercheurs des établissements
d’enseignement supérieur ou d’assistant d’éducation
pour la fonction publique de l’État et de secrétaire
de mairie dans les communes de moins de 1 000
habitants pour la fonction publique territoriale, ou
nécessitant des connaissances techniques hautement
spécialisées pour la fonction publique hospitalière.
À noter, pour ajouter à la complexité du paysage,
que les fonctionnaires et les agents contractuels

182
Faut-il augmenter la place du contrat dans la fonction publique ?

n’épuisent d’ailleurs pas le champ des agents


publics, que composent aussi des ouvriers d’État,
des assistantes maternelles de la fonction publique
territoriale, des médecins des hôpitaux publics, qui
constituent autant de catégories ad hoc, de même
que les emplois aidés.

2. Les agents contractuels représentent


une part importante des effectifs des trois
fonctions publiques et constituent
une population hétérogène, aux parcours
divers
La place du contrat dans la fonction publique est
ainsi paradoxale. La loi le cantonne à une situation
dérogatoire. Et pourtant, les cas de recours prévus
par le législateur se sont multipliés, et souvent
dans des termes suffisamment généraux pour auto-
riser des flux de recrutement importants. C’est ce
qui explique que la part des agents non titulaires
s’établisse en moyenne sur les trois fonctions publi-
ques à 17 % des effectifs, soit 900 000 personnes.
En dix ans, le nombre d’agents non-titulaires a
donc augmenté en moyenne de 2,6 % par an et
leur proportion est particulièrement forte dans la
fonction publique territoriale, au sein de laquelle
un agent territorial sur cinq est un agent
contractuel.
Contrairement à une idée reçue, qui consiste à
assimiler fonctions régaliennes et agents titulaires,
une majorité d’agents non titulaires de l’État sont
recrutés pour accomplir des besoins spécifiques

183
Fonction publique

dans des domaines régaliens (enseignement,


sécurité...) : les assistants d’éducation (79 000 per-
sonnes), les enseignants temporaires et les cher-
cheurs temporaires (36 000 personnes), les person-
nels recrutés localement (10 000 personnes) à
l’étranger ou dans les collectivités d’outre-mer, les
adjoints de sécurité de la Police nationale (9 500
personnes). A contrario, dans la fonction publique
territoriale, le recrutement d’agents non titulaires
répond souvent à des besoins occasionnels ou saison-
niers. C’est notamment vrai dans la filière anima-
tion, où 60 % des agents sont des agents non titu-
laires. Dans la fonction publique hospitalière, les
130 000 agents contractuels de droit public appar-
tiennent majoritairement à la filière soignante et de
rééducation (plus de 60 %). Dans tous les cas, le
turn-over est important et les parcours profession-
nels divers : une étude récente de la DGAFP concer-
nant l’État a démontré que plus d’un agent
non-titulaire sur deux présents au cours de l’année
2003 avait quitté l’État cinq ans plus tard.

3. Les plans de titularisation qui se sont


succédé depuis 1946 n’ont pas diminué
la place des agents contractuels
On ne dénombre pas moins de 16 plans de titu-
larisation depuis 1946, dont certains ont été d’am-
pleur : la loi du 11 janvier 1984 fixant le statut de
la fonction publique de l’État a conduit à la titula-
risation d’environ 146 000 contractuels ; la loi du
16 décembre 1996 relative à l’emploi dans la fonc-
tion publique, dite « loi Perben », a permis environ

184
Faut-il augmenter la place du contrat dans la fonction publique ?

60 000 titularisations ; la loi du 3 janvier 2001 rela-


tive à la résorption de l’emploi précaire, dite « loi
Sapin », a été suivie de près de 33 000 titularisa-
tions dans la fonction publique de l’État, d’environ
4 600 dans la fonction publique territoriale et d’en-
viron 2 160 dans la fonction publique hospitalière.
Cette nécessité de procéder périodiquement à des
titularisations tient à deux facteurs : d’une part, la
frontière juridique est souvent poreuse entre néces-
sité de recruter des titulaires et possibilité de recou-
rir à des contractuels, les cas de recours aux contrats
étant multiples et sujets à interprétation ; d’autre
part, les agents contractuels recrutés sur des besoins
en réalité permanents font légitimement pression,
au bout de plusieurs renouvellements successifs,
pour que leur situation gagne en pérennité. Mais il
est notable qu’en dépit de ces plans, le nombre de
contractuels ait gardé sa constance, démontrant par
les faits que le recours au contrat est un instrument
de souplesse indispensable au bon fonctionnement
de l’administration.

4. Le contrat à durée indéterminée (CDI) a


été récemment introduit dans la fonction
publique
La loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesu-
res de transposition du droit communautaire à la
fonction publique est venue transposer à la fonction
publique française une directive communautaire sur
le travail à durée déterminée. Elle a eu pour objet
notable d’étendre le champ du CDI de droit public
dans la fonction publique. Jusqu’en juillet 2005 en

185
Fonction publique

effet, et à l’exception des catégories dérogatoires et


de la fonction publique hospitalière, les seuls agents
bénéficiant de contrats à durée indéterminée étaient
ceux recrutés avant la loi du 13 juillet 1983 (dits les
« Le-Porsiens »), ceux ayant bénéficié des disposi-
tions de l’article 34 de la loi du 12 avril 2000 (les
« Berkaniens ») et ceux recrutés pour un besoin per-
manent impliquant un service à temps incomplet.
Dans la majorité des cas, les contractuels de droit
public étaient recrutés à la faveur de contrats à
durée déterminée de trois ans maximum, éventuel-
lement renouvelables. Des agents pouvaient ainsi
voir renouveler leur contrat plusieurs fois sans pour
autant bénéficier d’une perspective d’accès à un
CDI. Cette pratique n’étant pas conforme au droit
communautaire, qui pose le principe d’un encadre-
ment du nombre de renouvellements de CDD, la
loi du 26 juillet 2005 a franchi une étape impor-
tante : elle a introduit la règle selon laquelle la
durée des contrats à durée déterminée successifs
conclus pour répondre à un besoin permanent ne
peut excéder six ans, ces contrats ne pouvant,
au-delà de cette date, être reconduits qu’en
CDI. Autrement dit, le CDD d’une durée maximale
de trois ans est maintenu pour les contractuels de
droit public, mais il ne peut désormais être renou-
velé que dans la limite de six ans, délai au-delà
duquel son renouvellement le transforme automati-
quement en CDI. Cette loi a permis de stabiliser la
situation d’un nombre important d’agents puis-
qu’on estime qu’entre 8 000 et 10 000 agents ont
immédiatement profité de ces nouvelles disposi-
tions législatives.

186
Faut-il augmenter la place du contrat dans la fonction publique ?

C. Réflexions
Un précédent chapitre a été l’occasion de rappe-
ler que le recours à des agents contractuels est légi-
time et utile pour le bon fonctionnement des admi-
nistrations publiques. Mais les quelques constats
ci-dessus mettent en exergue la complexité des
règles, des usages et des situations individuelles.
Fort de ce constat général, des discussions ont été
menées en 2010-2011 entre le gouvernement et
les fédérations de fonctionnaires et ont abouti à plu-
sieurs avancées substantielles, concrétisées par une
loi du 12 mars 2012.

1. Il faut donner au contrat une place


complémentaire au statut, en clarifiant
les modalités de recours au contrat
L’édifice juridique de la fonction publique est
bâti sur l’idée que le contrat ne peut avoir qu’une
place dérogatoire dans la fonction publique. Cette
posture frise l’hypocrisie lorsqu’on lui met en
regard le millefeuille des cas de recours au contrat
que prévoit la loi elle-même ou lorsqu’on rappelle la
stabilité du nombre d’agents contractuels depuis la
création du statut de 1946, et ce malgré les plans de
titularisation successifs. Je crois au final qu’il faut
vraiment assumer l’idée que le contrat est un instru-
ment de souplesse dont l’administration a besoin et
qui doit être pérennisé. C’est pourquoi l’on ne peut
que souscrire à la proposition figurant dans le Livre
blanc sur l’avenir de la fonction publique de faire
du contrat un outil complémentaire et non plus

187
Fonction publique

dérogatoire au statut. Cela permet d’assumer l’exis-


tence d’une « fonction publique où coexistent des
agents relevant soit du statut, soit du contrat, sans
chercher à établir une cloison étanche entre les espa-
ces statutaire et contractuel, qui serait illusoire et
contre-productive en termes de gestion ».
Jusqu’à la loi du 12 mars 2012, qui est venue
transposer un accord entre le gouvernement et les
fédérations de fonctionnaires, la définition des cas
de recours aux agents contractuels dans le statut
général était particulièrement insatisfaisante car à
la fois complexe et floue. Définies à partir de
notions comme celles de « nature de fonctions »,
de « besoins du service » ou de « besoins occasion-
nels ou saisonniers », les conditions légales de
recours au contrat ne permettaient souvent pas
d’identifier clairement la situation objective à
laquelle répondait le recrutement d’un agent non
titulaire ni d’appréhender toujours la diversité et
l’évolutivité de ces situations. Autrement dit, les
besoins temporaires justifiant la conclusion de
contrats à durée déterminée étaient parfois mal dis-
tingués des situations justifiant des recrutements
plus pérennes. À cet égard, la loi du 3 août 2009
relative à la mobilité et aux parcours professionnels
dans la fonction publique n’avait permis qu’une cla-
rification partielle, en harmonisant dans les trois
fonctions publiques les recours aux agents non titu-
laires pour le remplacement d’un fonctionnaire
absent ou pour pourvoir une vacance temporaire
d’emploi. De même, les conditions de recrutement
et de renouvellement des contrats apparaissaient

188
Faut-il augmenter la place du contrat dans la fonction publique ?

encore insuffisamment définies et souvent mécon-


nues. Si le statut général consacre le principe de
l’occupation des emplois permanents par des fonc-
tionnaires et oblige à une publication des emplois
vacants, aucune procédure précise n’était fixée
s’agissant du recrutement des agents non titulaires.
Cette absence de clarté du cadre juridique était
d’ailleurs renforcée par les pratiques des administra-
tions qui ne se conformaient pas toujours à l’obliga-
tion, pourtant réglementaire, d’établir un contrat
écrit comportant un certain nombre de mentions
obligatoires. Enfin, les conditions juridiques de
reconduction des contrats en CDI étaient soumises
à des interprétations parfois divergentes de l’admi-
nistration. Aucune définition législative ou régle-
mentaire n’était en effet donnée de la notion de
« contrats successifs » que posaient la loi et les cri-
tères cumulatifs dégagés par le Conseil d’État (uni-
cité de l’employeur, identité de l’objet du contrat et
de la nature des fonctions exercées, continuité dans
le temps) ne permettaient pas d’établir la base de
pratiques homogènes. En particulier, les change-
ments de fonction en interne pouvaient, selon les
cas, être considérés comme un nouveau contrat ou
au contraire comme le renouvellement ou la pour-
suite du contrat en cours, ce qui n’avait pas la
même conséquence s’agissant de l’accès au CDI.
Dans ce contexte, la loi du 12 mars 2012 a eu
l’intérêt de clarifier à la fois les cas de recours aux
agents non titulaires et les conditions de renouvel-
lement des contrats, notamment les critères de
reconduction en contrat à durée indéterminée. Des

189
Fonction publique

orientations ont également été fixées afin que la


procédure de recrutement soit mieux formalisée :
renforcement de l’obligation de publicité des vacan-
ces d’emploi, encadrement de la possibilité de
recruter un contractuel pour faire face à une vacance
temporaire d’emploi... S’agissant des besoins tem-
poraires, les notions « d’accroissement saisonnier
d’activité » et d’« accroissement temporaire d’acti-
vité » ont remplacé les notions peu lisibles de
« besoin occasionnel » et de « besoin saisonnier »
et les durées des contrats conclus pour ces besoins
ont été harmonisées dans les trois versants de la
fonction publique.
Mais la loi a surtout eu pour ambition de préve-
nir les recours abusifs aux CDD à répétition. Elle a
d’abord ouvert aux agents contractuels remplissant
certaines conditions d’ancienneté une possibilité
exceptionnelle d’accéder à la titularisation. Des
concours professionnalisés et contingentés doivent
être ouverts à cet effet pendant une durée de quatre
ans (d’ici 2016). On estime à 50 000 environ le
nombre d’agents contractuels qui pourraient bénéfi-
cier de cet accès réservé à la fonction publique. Plus
fondamentalement, la loi a facilité la transformation
de certains contrats en contrat à durée indétermi-
née : désormais il est obligatoirement proposé un
CDI aux agents recrutés en CDD qui assurent
leurs mêmes fonctions, depuis au moins six ans,
même s’il s’agit d’employeurs différents ; la faculté,
ouverte à titre expérimental, pour les employeurs
publics d’offrir dès l’origine un recrutement en
CDI a même été ouverte, en faisant ainsi, ce qui

190
Faut-il augmenter la place du contrat dans la fonction publique ?

n’existait que dans la fonction publique hospita-


lière, une modalité d’accès à part entière aux fonc-
tions publiques.

2. Il faut améliorer les perspectives


professionnelles des agents contractuels...
La place nouvelle qu’a désormais vocation à occu-
per le CDI dans la fonction publique pose de
manière accrue la question des parcours de carrière
offerts aux agents non titulaires. Car on sait qu’ac-
tuellement, la mobilité des agents contractuels reste
délicate. La réforme de 2005 s’est traduite par la
reconnaissance au bénéfice des agents en CDI d’un
certain nombre de garanties pour favoriser leur par-
cours professionnel dans la fonction publique. En
particulier, ont été créés des outils leur permettant
d’exercer temporairement une mobilité dans la
fonction publique ou vers d’autres organismes
publics ou privés, sans perdre le bénéfice de leur
engagement à durée indéterminée dans leur admi-
nistration, collectivité ou établissement public
d’origine. Toutefois, ces nouvelles règles relatives à
la mobilité des CDI demeurent assez largement
méconnues et leur application peut soulever des dif-
ficultés en gestion. Qu’il s’agisse de la mise à dispo-
sition ou du congé de mobilité, le lien maintenu
avec l’administration d’origine est assez largement
artificiel et celle-ci peut rencontrer des difficultés
lors du réemploi des intéressés.
Aux termes de la loi du 12 mars 2012, il est
désormais possible pour tout employeur qui le sou-
haite de recruter directement en CDI un agent

191
Fonction publique

bénéficiant déjà d’un engagement à durée indéter-


minée au sein de la même fonction publique, dès
lors qu’il s’agit d’exercer des fonctions de même
niveau hiérarchique. La conservation du bénéfice
de l’engagement à durée indéterminée ne vaudra
évidemment pas conservation des stipulations du
contrat, l’agent étant régi par les conditions d’em-
ploi applicables dans sa nouvelle administration.
Cette avancée doit s’accompagner d’un certain nom-
bre de dispositions non législatives sur le renforce-
ment des droits à évaluation, formation profession-
nelle et rémunération des agents contractuels. Il est
notamment prévu de clarifier leur mode de rémuné-
ration, afin d’harmoniser et de sécuriser des prati-
ques actuellement très hétérogènes (fixation et évo-
lution périodique).

3. ... Mais en évitant de créer progressivement


une « fonction publique bis »
La nécessité de telles évolutions est incontes-
table, ne serait-ce que parce derrière chaque contrat,
il y a un homme ou une femme qu’on ne peut lais-
ser longuement sans perspective professionnelle
claire. On ne peut néanmoins cacher que ces évolu-
tions posent une question quasi existentielle pour la
fonction publique : si le recours au CDI gagne pro-
gressivement du terrain et si les agents en CDI
finissent par disposer de droits (mobilité, rémunéra-
tion, formation...) très voisins de ceux des fonction-
naires, voire plus avantageux, ne va-t-on pas créer
de toutes pièces une « fonction publique bis »,
dont la distinction avec les titulaires sera peu

192
Faut-il augmenter la place du contrat dans la fonction publique ?

compréhensible ? Je pense que ces évolutions ne


sont tenables qu’à la condition de bien marquer ce
qui fait la spécificité des agents en CDI par rapport
aux agents titulaires : la possibilité pour l’adminis-
tration de mettre fin à leurs fonctions dans des
conditions plus faciles (notamment dans les cas de
suppression des emplois sur lesquels les contrats
sont assis). Mieux préciser les motifs de licencie-
ment à partir d’une analyse approfondie de la juris-
prudence administrative (suppression d’emploi,
insuffisance professionnelle, inaptitude physique,
faute disciplinaire...) est à cet égard capital. Cela
doit évidemment se combiner avec une explicita-
tion des règles relatives au délai de prévenance et à
la conduite d’un entretien préalable, de même que
des voies de recours des agents contractuels en la
matière.
Faire en sorte que les contrats puissent être rom-
pus plus facilement que le statut ne ménage les
conditions de licenciement des fonctionnaires me
paraît d’autant plus indispensable qu’il protège un
des principes fondamentaux du statut général des
fonctionnaires : l’égalité de tous pour l’accès aux
emplois publics. Car imaginons que le CDI
devienne un régime d’emploi aussi stable que le sta-
tut général des fonctionnaires, alors la dérive est
toute trouvée : un candidat aura tout intérêt à éviter
les procédures de recrutement de droit commun
(concours) pour être recruté sous contrat ; ce
contrat, s’il est initialement à durée déterminée,
sera alors très rapidement, six ans après au plus
tard, requalifié en CDI, lui permettant alors

193
Fonction publique

d’obtenir les mêmes avantages qu’un fonctionnaire


recruté à la faveur d’un concours anonyme
et sélectif.

D. Conclusion
Le contrat tend progressivement à prendre une
place moins dérogatoire que complémentaire au
sein du corpus juridique de la fonction publique.
Le droit communautaire a été pour beaucoup dans
cette évolution, ce dont il faut se féliciter. Car le
recours au contrat n’est pas nécessairement syno-
nyme de précarité pour les agents concernés, sauf
les cas de recours abusifs sur des emplois en réalité
pérennes, contre lesquels il convient effectivement
de lutter. Il est un instrument de souplesse pour
des administrations qui auront toujours à satisfaire
des besoins ponctuels ou spécifiques pour remplir
leurs missions de service public. Se dessine dès lors
progressivement un paysage dans lequel les condi-
tions de recours au contrat se clarifient, de même
que les perspectives professionnelles des agents,
notamment ceux bénéficiant d’un CDI. Tout l’en-
jeu des années à venir sera d’assumer cette complé-
mentarité sans aboutir pour autant à la constitution
d’une « fonction publique bis », celle que compose-
raient des agents en CDI à côté des agents titulaires,
recrutés différemment mais bénéficiant en réalité
rigoureusement des mêmes garanties.

194
Chapitre 5
Sait-on dialoguer
dans la fonction publique ?

A. Enjeux
Dans l’opinion publique, le fonctionnaire a fré-
quemment l’image d’un agent engagé syndicale-
ment et aisément gréviste. Cette image est pourtant
mise à l’épreuve par deux réalités : le taux de syndi-
calisation dans la fonction publique, certes plus
élevé que dans le secteur privé, ne dépasse pas
15 %, ce qui est très bas en comparaison d’autres
pays ; la conflictualité n’est pas aussi importante
qu’on le dit puisque depuis 1970, le nombre de
jours de grève recensés recule de 10 % par an en
moyenne. Il y a bien des raisons qui expliquent tou-
tefois la persistance d’une telle image : la visibilité
immédiate de tout mouvement de grève dans la
fonction publique, puisqu’il paralyse des services
publics essentiels à la vie quotidienne des Français ;
le lien historiquement fort entre les syndicats et les
partis politiques, qui continue de faire des centrales
syndicales des acteurs à part entière de la vie poli-
tique française. L’appel lancé en 2007 à un « troi-
sième tour social », de même que la prise de

195
Fonction publique

position du secrétaire général d’une grande centrale


en faveur d’un des deux candidats à l’élection prési-
dentielle de 2012, ont été à cet égard emblémati-
ques. Il est toutefois notable que le premier n’a
aucunement été suivi d’effet, démontrant, in fine,
le respect par les organisations syndicales du verdict
des urnes.
L’histoire retracée plus haut souligne en tous cas
que la possibilité pour les associations de fonction-
naires de se constituer en syndicats a été l’une des
questions les plus débattues, en particulier sous la
IIIe République, du fait du silence assourdissant de
la loi de 1884 sur ce point. Toute la discussion
repose sur l’idée qu’il ne va pas de soi que des
agents qui obéissent à un principe hiérarchique
fort et sont au service de l’intérêt général puissent
se constituer en syndicats défendant des intérêts
particuliers et à terme obtenir le droit de grève. La
Fédération générale des associations professionnelles
des employés de l’État, qui voit le jour en 1904, est
évidemment au cœur de ce débat doctrinal qui ne
trouvera son terme qu’avec l’ordonnance du 9 octo-
bre 1945 (naissance du paritarisme) et le statut
général de 1946 (reconnaissance du droit syndical).
Pour faire justice aux clichés nombreux dans ce
domaine, il faut en revenir à la question fondamen-
tale : le dialogue social s’organise-t-il de manière
satisfaisante dans la fonction publique ? Partons
pour cela de quelques constats, sur le modèle fran-
çais de dialogue social d’abord et les spécificités de
ce dialogue dans le champ particulier de la fonction
publique ensuite.

196
Sait-on dialoguer dans la fonction publique ?

B. Constats

1. Le modèle français de dialogue social est


en pleine évolution
En France, l’État est un acteur majeur de la régu-
lation sociale, pour de multiples raisons : méfiance
historique envers les corps intermédiaires, opposi-
tions souvent vives entre patronat et syndicats ou
encore conviction que seul l’État détient la légiti-
mité pour incarner l’intérêt général. L’État a en
conséquence la responsabilité, parfois inconfortable,
d’être à la fois négociateur et régulateur des rela-
tions sociales. Autre tension qui caractérise le dialo-
gue social en France : 97 % des salariés du secteur
privé sont couverts par une convention collective,
démontrant ainsi le très fort impact du dialogue
social sur les entreprises privées ; pourtant, le taux
de syndicalisation en France n’est que de 8 %, et
même de 5 % au sein du seul secteur privé. Autre-
ment dit, le taux moyen de syndicalisation en
France est l’un des plus bas du monde occidental
alors même que la vie des salariés est très dépen-
dante des discussions que ces mêmes syndicats
mènent avec leurs employeurs.
Et la France n’échappe pas à d’autres tendances
plus générales. La mondialisation, la fin du modèle
fordiste, l’apparition de préoccupations liées au
cadre de vie ainsi que la montée de l’individualisme
ont contribué à une évolution profonde du dialogue
social. Il s’est enrichi de nouveaux thèmes (éga-
lité hommes/femmes, santé au travail...), de

197
Fonction publique

nouvelles scènes (Europe, territoire...) et de nou-


veaux acteurs (associations, coordinations...). Pour
beaucoup d’observateurs, on serait ainsi passé d’un
« dialogue social » à un « dialogue sociétal »,
c’est-à-dire s’étendant au-delà du seul champ des
relations de travail.
Enfin, comme évoqué plus haut, la conflictualité
n’est pas en France aussi importante qu’on le pense
spontanément : depuis 1970, le nombre de jours de
grève recensés recule de 10 % par an en moyenne.
Cette tendance à la baisse des conflits se retrouve
d’ailleurs chez la plupart des pays voisins. Pourtant,
l’impression est à la persistance de cette conflictua-
lité : sa place privilégiée dans certains secteurs éco-
nomiques sensibles, comme les transports ou la
fonction publique, de même que la radicalisation
des formes de certains conflits ou le sentiment
d’une certaine automaticité des mouvements de
grève (cf. les journées d’action annoncées avant
même la tenue d’un sommet social) y contribuent.

2. Dans ce cadre général, le dialogue social


dans la fonction publique présente
d’indéniables spécificités
Le taux de syndicalisation y est sensiblement
plus élevé que dans le secteur privé (15 % contre
5 % environ), ce qui démontre que la culture syn-
dicale des fonctionnaires est plus développée que
celle des salariés du privé. Autre particularité
remarquable, c’est l’État employeur qui fixe unila-
téralement les conditions d’emploi de ses agents,

198
Sait-on dialoguer dans la fonction publique ?

ainsi que l’étendue de leurs droits et obligations,


sans que puissent s’y opposer des droits acquis.
Cela emporte principalement deux conséquences,
qui constituent autant de spécificités fortes du dia-
logue social dans la fonction publique. En premier
lieu, la fonction publique est le secteur où la confu-
sion des rôles de régulateur et de négociateur de
l’État est totale : il n’y a pas d’acteur patronal dans
la fonction publique, c’est-à-dire aucun équivalent
d’un « Medef des employeurs publics » qui mène-
rait les discussions avec les fédérations de fonction-
naires. En second lieu, les accords conclus dans la
fonction publique n’ont qu’une valeur politique et
morale : en raison de la « situation statutaire et
réglementaire » des fonctionnaires, les accords
conclus entre le gouvernement et les syndicats ne
trouvent de traduction concrète et de portée norma-
tive qu’au bénéfice des lois et règlements qui les
traduisent dans les faits. Ces deux attributs sont en
réalité le produit du compromis fondateur de 1946,
qui s’est efforcé de trouver un équilibre entre prin-
cipe hiérarchique et participation. Cela a conduit
certains observateurs à considérer que le dialogue
social dans la fonction publique se place dans une
optique plus protectrice que partenariale, affirma-
tion sur laquelle il y aura lieu de revenir.

3. Le statut général des fonctionnaires fait


désormais toute sa place à la reconnaissance
des droits syndicaux
Les textes consacrent la liberté de créer ou d’adhé-
rer à un syndicat, les prérogatives des organisations

199
Fonction publique

syndicales et les garanties matérielles et statutaires


qui sont accordées à leurs membres pour remplir
leur rôle. Comme évoqué à la faveur du premier cha-
pitre de cet ouvrage, le droit syndical n’a été reconnu
aux fonctionnaires que tardivement, en l’occurrence
en 1946. Le préambule de la Constitution du
27 octobre 1946 énonce ainsi que « tout homme
peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action
syndicale et adhérer au syndicat de son choix ». Il
garantit le droit à la participation en disposant que
« tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses
délégués, à la détermination collective des condi-
tions de travail ». Cette consécration au niveau
constitutionnel du droit syndical a permis de l’éten-
dre à la fonction publique. Sur ce fondement, l’arti-
cle 8 du titre Ier du statut général garantit en effet à
tout fonctionnaire le droit syndical. Les fonctionnai-
res peuvent ainsi créer librement des organisations
syndicales, y adhérer et y exercer des mandats. Un
syndicat peut être créé par simple déclaration à l’ad-
ministration auprès de laquelle il est constitué.
Comme en droit privé, le syndicat doit avoir un
but professionnel et ne pas revêtir un caractère stric-
tement politique.
Ce même article 8 établit les droits des organisa-
tions syndicales, et notamment leurs prérogatives
majeures. Elles peuvent ester en justice pour défen-
dre les intérêts de leurs membres et, plus générale-
ment, des fonctionnaires qu’elles représentent. Plus
précisément, elles peuvent contester devant les juri-
dictions compétentes « les actes réglementaires
concernant le statut du personnel », tels que les

200
Sait-on dialoguer dans la fonction publique ?

règles statutaires proprement dites ou les règles qui


ont des conséquences sur l’ensemble du personnel,
et « les décisions individuelles portant atteinte aux
intérêts collectifs des fonctionnaires ». Les organisa-
tions syndicales bénéficient également d’un droit à
la participation : elles ont qualité pour « conduire
au niveau national avec le gouvernement des négo-
ciations préalables à la détermination de l’évolution
des rémunérations » et « débattre avec les autorités
chargées de la gestion, aux différents niveaux, des
questions relatives aux conditions et à l’organisation
du travail ».
Ces prérogatives sont assorties d’avantages maté-
riels. Le budget de la fonction publique prévoit
chaque année des subventions aux organisations
syndicales représentatives dans la fonction publique
de l’État. Les collectivités territoriales peuvent éga-
lement accorder des subventions à des syndicats qui
remplissent des missions d’intérêt général dans leur
ressort. L’administration doit mettre un local à la
disposition des organisations syndicales, ainsi que
les équipements nécessaires à l’accomplissement de
leur mission. Ce local peut être commun aux diffé-
rentes organisations syndicales lorsque les effectifs
du service sont inférieurs à 500 agents. Les organi-
sations syndicales peuvent en outre organiser des
réunions dans les bâtiments administratifs pendant
les heures de service et diffuser des documents syn-
dicaux sur des panneaux d’affichage. Elles ont éga-
lement droit à une réunion mensuelle d’information
d’une durée d’une heure. Ces avantages matériels se
doublent de facilités statutaires accordées aux

201
Fonction publique

représentants syndicaux : elles prennent la forme


d’autorisations spéciales d’absence accordées aux
titulaires de mandats syndicaux, sous réserve des
limites fixées par décret et des nécessités du service,
pour participer aux congrès syndicaux, aux réunions
des organismes directeurs des syndicats et aux réu-
nions des organismes paritaires ou des conseils d’ad-
ministration. Les représentants syndicaux bénéfi-
cient aussi de congés de formation syndicale
rémunérés, d’une durée maximale de 12 jours par
an. Ils peuvent enfin faire l’objet de décharges de
service pour diminuer leur durée de travail, qui
peuvent être partielles ou totales.

4. Le dialogue social dans la fonction publique


est toutefois marqué par la complexité
de son architecture...
Les instances de dialogue social sont d’une
grande complexité. La participation des fonction-
naires s’exerce principalement au sein d’organismes
consultatifs, pour certains paritaires, prévus par les
textes : les conseils supérieurs de la fonction
publique, les comités techniques et les commissions
administratives paritaires. Les conseils supérieurs de
la fonction publique – Conseil supérieur de la fonc-
tion publique de l’État (CSFPE), Conseil supérieur
de la fonction publique territoriale (CSFPT) et
Conseil supérieur de la fonction publique hospita-
lière (CSFPH) – connaissent des questions généra-
les. Les attributions des conseils supérieurs sont
consultatives (ils sont saisis pour avis des projets
de loi relatifs à la fonction publique, des textes

202
Sait-on dialoguer dans la fonction publique ?

statutaires et des décrets de portée générale relatifs à


la situation de l’ensemble des agents) et disciplinai-
res (le CSFPE et le CSFPH exercent les fonctions
d’organe supérieur de recours pour certains litiges
individuels relatifs aux sanctions disciplinaires, aux
licenciements, à la notation et à l’avancement). Les
comités techniques connaissent, eux, de l’organisa-
tion des services. Placés auprès de chaque direction
ou service, les comités techniques doivent être saisis
des questions de durée du travail, de suppressions
d’emplois liées aux réorganisations du service, des
évolutions dans les méthodes et techniques de
travail... À noter que dans la fonction publique ter-
ritoriale, les comités techniques se voient communi-
quer divers rapports, annuels pour la plupart : le
bilan de l’état de la collectivité, le bilan de la situa-
tion de l’emploi public territorial et de la gestion
des ressources humaines effectué par les centres de
gestion, un rapport dressant l’état des agents mis à
disposition, un rapport sur l’emploi des travailleurs
handicapés... Ajoutant à la complexité, les textes
prévoient également que les questions d’hygiène et
de sécurité, qui relèvent de la compétence des comi-
tés techniques, peuvent être traitées, à titre subsi-
diaire, par des comités d’hygiène et de sécurité
(CHS). Dans la fonction publique de l’État, il existe
un CHS par ministère, auprès du comité technique
central mais des CHS locaux ou spéciaux peuvent
également être créés, notamment si un comité tech-
nique local le demande. Dans la fonction publique
hospitalière, les comités techniques paritaires ont
été supprimés en 1991 pour les établissements
publics de santé et en 2002 pour les établissements

203
Fonction publique

publics sociaux ou médico-sociaux. Ils ont été rem-


placés par des comités techniques d’établissement
(CTE), dont les compétences sont plus larges que
celles des anciens comités techniques paritaires.
Enfin, les commissions administratives paritaires
(CAP) connaissent des mesures d’ordre individuel.
Elles ont vocation à représenter une garantie pour
les agents contre l’arbitraire des chefs de service.
Ces fameuses « CAP » peuvent en effet connaître
de toute question individuelle relative à la carrière
du fonctionnaire, sur demande du fonctionnaire
concerné. Pour certaines décisions (la titularisation
ou le refus de titularisation d’un fonctionnaire sta-
giaire, les mutations et les mobilités, la notation, les
décisions relatives à l’avancement d’échelon, les
tableaux d’avancement de grade, le licenciement
pour insuffisance professionnelle, les sanctions disci-
plinaires autres que l’avertissement et le blâme...),
la saisine par l’administration est obligatoire.
La sophistication de cette architecture est encore
renforcée par le fait que ces comités techniques et
commissions administratives peuvent être créés à
différents niveaux administratifs. Dans les corps les
plus nombreux, il est possible de créer des CAP
locales afin de gérer les personnels au niveau décon-
centré. Dans la fonction publique territoriale,
chaque CAP correspond à une catégorie hiérar-
chique (A, B ou C) et non à un cadre d’emplois.
Enfin, la création des comités techniques est obliga-
toire dans plusieurs cas : auprès du ministre ; auprès
du directeur du personnel de l’administration cen-
trale, du directeur du personnel des services

204
Sait-on dialoguer dans la fonction publique ?

déconcentrés et dans chaque établissement public à


l’exception des établissements publics industriels et
commerciaux (EPIC) ; au niveau régional ou dépar-
temental lorsque les effectifs sont égaux ou supé-
rieurs à 50 agents... Enfin, en termes de fonctionne-
ment, outre le fait que jusqu’à une date récente, la
composition de ces instances était nécessairement
paritaire (nombre égal de représentants de l’admi-
nistration et des organisations syndicales), le nom-
bre de sièges de chaque comité ou commission est
variable selon les effectifs de fonctionnaires
concernés.

5. ... Et par la multiplicité des acteurs


syndicaux
Depuis que le Conseil d’État a admis l’organisa-
tion « Solidaires » au nombre des organisations
représentatives des fonctionnaires au sein du Conseil
supérieur de la fonction publique de l’État, le gou-
vernement dispose au niveau national de huit inter-
locuteurs syndicaux : CFDT, CGT, FO, FSU,
CFE-CGC, Solidaires, CFTC, UNSA. Sans compter
que la plupart d’entre eux sont multiples en leur
sein (ex. : la FSU qui est historiquement le rassem-
blement d’une nébuleuse syndicale) et qu’au niveau
local, on trouve d’autres syndicats encore, non
représentés au niveau national. Cet émiettement
tient pour beaucoup à l’histoire de la représentati-
vité syndicale en France. La représentativité syndi-
cale au niveau national est déterminée en fonction
de différents critères. Avant la réforme de 2010,
l’article 9 du titre Ier du statut général prévoyait

205
Fonction publique

deux conditions alternatives pour qu’une organisa-


tion syndicale puisse être considérée comme repré-
sentative au niveau national dans l’ensemble des
trois fonctions publiques : disposer au moins d’un
siège dans chacun des trois conseils supérieurs de
la fonction publique ; avoir obtenu au moins 10 %
de l’ensemble des suffrages exprimés lors des élec-
tions des représentants des personnels aux commis-
sions administratives paritaires dans les trois fonc-
tions publiques et au moins 2 % des suffrages
exprimés dans chaque fonction publique. La repré-
sentativité syndicale au niveau local, c’est-à-dire
dans un département ministériel, dans une collecti-
vité territoriale, dans un établissement public ou
dans un service, était, elle, appréciée par l’adminis-
tration au regard de plusieurs éléments. Étaient
considérées comme représentatives les organisations
syndicales satisfaisant les critères de représentativité
fixés par l’article L. 133-2 du Code du travail,
devenu l’article L. 2121-1 : les effectifs ; l’indépen-
dance ; les cotisations ; l’expérience et l’ancienneté
de l’organisation ; l’attitude patriotique pendant
l’occupation. Dans ce schéma, une organisation syn-
dicale représentative au niveau national ne l’est pas
nécessairement au niveau local et inversement.
S’agissant du secteur privé, les critères de repré-
sentativité des organisations syndicales ont été
modifiés par la loi nº 2008-789 du 20 août 2008
portant rénovation de la démocratie sociale et
réforme du temps de travail. Toutefois, cette loi a
maintenu les cinq anciens critères pour la fonction
publique. Cette présomption de représentativité a

206
Sait-on dialoguer dans la fonction publique ?

subsisté dans la répartition des sièges aux conseils


supérieurs : un siège dit « préciputaire » était attri-
bué aux organisations syndicales considérées comme
les plus représentatives.

6. Le dialogue social prend dès lors une forme


très institutionnelle et souvent artificielle
dans la fonction publique
Qui a expérimenté un tant soit peu le dialogue
social dans la fonction publique ne peut que recon-
naître que cette sophistication génère un dialogue
social peu satisfaisant. L’État, à la fois employeur
et régulateur, a bien du mal à discriminer entre ses
deux rôles. Il a en outre face à lui des interlocuteurs
trop nombreux et dont la représentativité est toute
relative. Il s’ensuit des discussions souvent très ins-
titutionnelles. Le symbole en est l’examen à la
chaîne et caricatural de milliers d’actes individuels
auxquels les CAP centrales des plus gros ministères
se livrent en vertu des textes. Car les CAP, qui
connaissent des questions individuelles, sont histo-
riquement les lieux par excellence du dialogue
social, au détriment des comités techniques, en
charge des enjeux collectifs. Avec souvent pour
conséquence un intérêt moindre pour les questions
stratégiques et l’organisation des services.
Les conseils supérieurs de la fonction publique
(FPE, FPT et FPH) sont généralement l’occasion
de déclarations liminaires et de postures, prenant
la forme de monologues successifs des deux côtés
de la table, bien plus que d’échanges au fond. Ils

207
Fonction publique

empruntent aux ressorts d’une vraie théâtralité, où


le décorum lui-même a son importance : en 2007,
les fédérations de fonctionnaires ont immédiate-
ment regretté que les discussions quittent, avec le
transfert de la compétence fonction publique vers
le ministre du Budget, la salle de la chapelle du
32 rue de Babylone au profit du centre de conféren-
ces de Bercy. De même, ce dialogue social très ins-
titutionnel finit par focaliser l’attention davantage
sur les formes que sur le fond : l’importance des
dates de réunion, des mots choisis...
La pluralité des acteurs syndicaux est aussi pro-
pice aux surenchères, donnant l’image d’un dialo-
gue social beaucoup plus conflictuel qu’il ne l’est
en réalité : les relations interpersonnelles qui unis-
sent le ministre de la Fonction publique et les
patrons des fédérations sont souvent bien meilleures
que ne le laisse penser la vivacité des échanges dans
le cadre des instances.

C. Réflexions
Au sein de ce paysage que l’histoire a rendu émi-
nemment complexe et sophistiqué, le dialogue
social dans la fonction publique a connu récemment
des évolutions profondes, en gagnant de la subs-
tance en dehors des instances formelles et grâce à
une refonte des textes en vigueur.

208
Sait-on dialoguer dans la fonction publique ?

1. Le dialogue social a reconquis


de la substance en dehors des instances
réglementaires
Le dialogue social dans la fonction publique
s’exerce de fait beaucoup plus désormais en marge
des cadres institutionnels (CAP, CT...), à la faveur
de discussions ad hoc. La période 2007-2012 en a
offert un bon exemple. Le gouvernement a lancé
dès 2007 une « conférence nationale » sur les
valeurs, missions et métiers de la fonction publique,
dont il a été dit un mot plus haut. Il a également
tenu trois « conférences sociales » sur les questions
de rémunération, de mobilité et de dialogue social.
Ces cycles de discussion se sont tenus en dehors du
cadre formel des Conseils supérieurs de la fonction
publique et ce sont eux qui ont débouché sur le lan-
cement de négociations spécifiques. Quatre d’entre
elles ont occasionné des protocoles d’accord ou rele-
vés de conclusion entre le gouvernement et plu-
sieurs syndicats : sur les rémunérations (février
2008), sur la rénovation du dialogue social (juin
2008), sur les conditions de travail (novembre
2009) et sur les agents non titulaires (mars 2011).
Autrement dit, le dialogue social dans la fonction
publique s’est peu à peu scindé entre une sphère
informelle (celle où l’on négocie, signe puis suit
des protocoles d’accord) et une sphère institution-
nelle (les CSFP, CT et CAP où l’on examine le
tout-venant des textes et situations individuelles).
La frontière entre les deux sphères n’est évidem-
ment pas étanche puisque la seconde est souvent

209
Fonction publique

saisie de la mise en œuvre des orientations arrêtées


par la première.
Je trouve cette évolution positive à compter du
moment où ce partage des rôles et la séquence des
discussions sont bien connus et compris de tous.
Dans cette perspective, on peut relever le progrès
qu’a constitué à partir de 2008 la détermination
chaque année, à l’instar de ce qui se pratique dans
le secteur privé, d’un agenda social dans la fonction
publique, qui fixe la liste des grands dossiers qui
seront traités dans l’année. Le nouveau gouverne-
ment, en 2012, a fait sienne cette pratique, à la
faveur d’un agenda social qui traite de manière
informelle de tous les chantiers qu’il a entendu
ouvrir. Mais il est indéniable, dans le même
temps, que cette coexistence entre des instances
informelles (concertations ou négociations ad hoc,
comités de suivi des accords...) et des instances for-
melles ajoute à la grande complexité des lieux de
dialogue social dans la fonction publique. Cela
explique assez nettement le souhait qui a présidé à
la loi portant rénovation du dialogue social dans la
fonction publique du 5 juillet 2010 de « revitali-
ser » les cadres formels du dialogue social, que
sont les instances prévues par les textes.

2. Le cadre législatif et réglementaire


du dialogue social dans la fonction publique a
été profondément rénové en 2010
La loi relative à la rénovation du dialogue social
dans la fonction publique du 5 juillet 2010 est la

210
Sait-on dialoguer dans la fonction publique ?

transposition des « accords de Bercy » conclus le


2 juin 2008 entre le ministre du Budget, des
comptes publics et de la fonction publique, le secré-
taire d’État chargé de la fonction publique et six des
huit organisations syndicales représentatives de la
fonction publique (CGT, CFDT, FSU, UNSA, Soli-
daires, CGC). Aucun accord n’avait été jamais signé
sur ce thème depuis le compromis fondateur de
1946 et ce sont ainsi des organisations syndicales
représentant plus de 75 % des personnels qui se
sont alors engagés aux côtés du gouvernement. Ces
dispositions sont le pendant, pour la fonction
publique, des orientations retenues dans le secteur
privé, qui ont donné lieu successivement à la « posi-
tion commune sur la représentativité » du 10 avril
2008, puis à la promulgation de la loi nº 2008-789
du 20 août 2008 portant rénovation de la démocra-
tie sociale et réforme du temps de travail.
En premier lieu, la loi du 5 juillet 2010 a permis
de conforter la légitimité des organisations syndica-
les de fonctionnaires et des instances où le dialogue
social s’organise : la loi place l’audience au cœur de
la légitimité syndicale, en élargissant les conditions
d’accès aux élections et en ne conditionnant plus la
présentation de listes à certains critères de représen-
tativité ou au bénéfice d’une présomption de repré-
sentativité (cf. supra) ; comme les comités techni-
ques de la fonction publique territoriale et les
comités techniques d’établissement de la fonction
publique hospitalière, les comités techniques de
l’État sont désormais élus directement par les agents
qu’ils représentent, et non plus désignés sur la base

211
Fonction publique

des équilibres procédant des CAP ; pour garantir


une représentation plus complète des personnels au
sein des comités techniques, les personnels non titu-
laires des administrations sont devenus membres du
corps électoral ; dans cette même logique, les
conseils supérieurs de la fonction publique de
l’État, de la fonction publique territoriale et de la
fonction publique hospitalière sont désormais com-
posés à partir des résultats agrégés des élections aux
comités techniques, et non plus aux commissions
administratives paritaires ; enfin, pour marquer
l’importance des élections professionnelles et par
souci de simplification, les cycles électoraux ont
été harmonisés dans les trois versants de la fonction
publique, les mandats de l’ensemble des instances
de consultation de la fonction publique ayant été
fixés à quatre ans, ce qui permet désormais la
tenue simultanée des élections professionnelles
dans les trois fonctions publiques. Il faut bien sou-
ligner l’importance de ces mesures, d’apparence
technique. En plaçant la seule audience au cœur
de la représentativité syndicale, la loi est le prélude
à une recomposition en profondeur du paysage syn-
dical. Et en déplaçant le point d’équilibre du dialo-
gue social des CAP (questions individuelles) vers les
comités techniques (questions collectives), elle fait
le pari d’un dialogue social institutionnel davantage
tourné sur les vrais enjeux, collectifs et stratégiques.
En deuxième lieu, la loi s’est attachée à promou-
voir la place de la négociation dans la fonction
publique. Un accord dans la fonction publique, on
l’a relevé plus haut, a pour spécificité de n’avoir

212
Sait-on dialoguer dans la fonction publique ?

aucun impact juridique direct sur les dispositifs


légaux et réglementaires. La loi du 5 juillet 2010
n’a pas remis en cause cette spécificité mais elle a
élargi le champ de la négociation à des thèmes
comme le déroulement des carrières ou la formation
professionnelle tout au long de la vie. Dans le
même esprit, elle a précisé les critères permettant
d’attester la validité des accords conclus : la règle
de l’accord majoritaire en suffrages exprimés consti-
tuera l’unique critère de validité des accords à
compter du 31 décembre 2013 au plus tard. Cette
irruption du principe de l’accord majoritaire dans la
fonction publique est une véritable novation, dont
on peut difficilement mesurer, dès ce stade, toutes
les conséquences sur la dynamique du dialogue
social dans la fonction publique.
En troisième lieu, la loi est venue renforcer le
rôle des organismes consultatifs et améliorer leur
fonctionnement. Constatant la place sans cesse
croissante des thèmes interministériels et surtout
inter-fonctions publiques, la loi a créé un Conseil
commun de la fonction publique, nouvel espace de
dialogue avec les partenaires sociaux au niveau
inter-fonctions publiques. Il est chargé d’examiner
toute question d’intérêt général relative aux trois
fonctions publiques. Sa création a réaffirmé avec
force l’unité des trois fonctions publiques, en tant
qu’elles rencontrent des problématiques communes.
L’architecture et les compétences des comités techni-
ques ont par ailleurs été adaptées aux nouveaux
enjeux de gestion publique. L’objectif était de per-
mettre la concertation à tout niveau d’administration

213
Fonction publique

où une question collective doit faire l’objet d’une


discussion dans un cadre formalisé. Elle a également
fait évoluer la composition de ces instances pour
donner plus de poids au contenu qu’aux questions
formelles. Constatant que le paritarisme numérique,
qui aboutissait à mettre artificiellement face à face le
même nombre de représentants de l’administration
et de représentants syndicaux, plaçait le dialogue
social dans une logique de confrontation, le gouver-
nement a décidé de le supprimer : l’idée est en effet
que les parties prenantes au dialogue soient bien
celles qui ont expertise et autorité sur les questions
examinées.
Enfin, prolongement de la réforme de la repré-
sentativité syndicale, les droits et moyens des orga-
nisations syndicales ont été modifiés. D’un côté, la
loi a consolidé les droits et garanties des personnels
investis de mandats syndicaux, en particulier pour
mieux reconnaître l’expérience acquise au titre de
l’exercice du mandat syndical dans la construction
des parcours professionnels. De l’autre, elle a revu
l’architecture et l’attribution des moyens syndicaux,
régis par des textes vieux de 30 ans. Alors que la
certification des comptes est devenue une obliga-
tion légale pour toutes les centrales syndicales, l’ob-
jectif a été de rendre l’attribution et l’utilisation des
moyens syndicaux plus transparentes. Il faut rappe-
ler que les moyens alloués aux syndicats de fonc-
tionnaires représentent des sommes très importan-
tes : un rapport remis au ministre de la Fonction
publique en 2010 estimait qu’à l’échelle de la fonc-
tion publique, la masse des moyens apportés aux

214
Sait-on dialoguer dans la fonction publique ?

organisations syndicales se situerait chaque année


au-delà d’un milliard d’euros. L’essentiel est consti-
tué par des moyens humains, dont l’utilisation est
très largement à la discrétion des syndicats : les
décharges et autorisations d’absence représentent
92 % des coûts, les moyens matériels 8 % ; les 4/
5e des absences sont consacrés à la vie syndicale
« librement organisée », 1/5e seulement au parita-
risme proprement dit. Dans le prolongement de la
loi du 5 juillet 2010, des discussions ont ainsi eu
lieu entre le gouvernement et les partenaires syndi-
caux pour refondre les règles d’autorisations d’ab-
sence et de décharges de service en des ensembles
plus lisibles et plus cohérents, unifier les règles
d’une fonction publique à l’autre, à travers un
socle réglementaire commun aux trois fonctions
publiques, et mieux assurer la transparence des
moyens utilisés (certification des comptes, obliga-
tion pour les employeurs publics de produire un
bilan et pour les syndicats d’en annexer un à leurs
comptes annuels...). Ce sont des bases nouvelles,
dont il faut se féliciter, même s’il faudra du temps
pour que la transparence progresse effectivement.

3. La recomposition du paysage syndical est


en marche
Ne faire dépendre la représentativité syndicale
que de l’audience, comme la loi du 5 juillet 2010
le prévoit, emporte des conséquences majeures sur
le paysage syndical. En la matière, le système
prévu dans la fonction publique est certes moins
radical que celui consacré dans le privé puisqu’au

215
Fonction publique

sein de ce dernier, un seuil de représentativité de


10 % a été fixé par la loi. Mais il n’empêche que
les plus petites organisations syndicales, si elles
obtiennent un nombre trop faible de voix, ne dispo-
seront plus de sièges dans les principales instances.
Il s’ensuivra mécaniquement une perte de moyens
syndicaux pour syndicats concernés. Afin de modé-
rer la brutalité de ces évolutions potentielles, des
mesures de transition ont été prévues. Une clause
de garantie a été introduite permettant par exemple
à un syndicat ayant perdu, à l’issue du scrutin du
20 octobre 2011, le siège dont il bénéficiait au
CSFPE de le conserver à titre transitoire. S’agissant
des moyens alloués aux organisations syndicales, le
système retenu tient compte non seulement du
nombre de sièges détenus au comité technique
ministériel mais aussi du nombre de voix obtenues.
Ce partage à 50/50 des deux critères, combiné avec
une clause de garantie d’un an (maintien à titre pro-
visoire des moyens existants), amortit la brutalité
des évolutions en termes de moyens pour les plus
petites organisations syndicales. Enfin, s’agissant
de l’introduction de l’accord majoritaire, comme
évoqué précédemment, il n’entre en vigueur qu’à
compter de 2013.
Mais ces mesures transitoires ne doivent pas mas-
quer que le nouveau dispositif est indéniablement
appelé à radicalement changer l’équilibre des forces
en présence. Les nouvelles règles vont en effet
conduire les organisations syndicales, notamment
les plus petites, à se regrouper afin de conserver
une audience suffisante. Il s’ensuivra sans doute à

216
Sait-on dialoguer dans la fonction publique ?

terme un émiettement moins grand des interlocu-


teurs syndicaux du gouvernement. D’aucuns esti-
ment que le gouvernement court dès lors le risque
de ne conserver face à lui que les grosses centrales
les plus contestataires. Ce risque doit être nuancé,
ne serait-ce que parce que le positionnement,
modéré ou contestataire, des syndicats sera
lui-même appelé à évoluer en fonction des nouvelles
configurations.
Soulignons enfin que des évolutions importantes
sont aussi à l’œuvre pour mieux concrétiser la fonc-
tion « employeur » des pouvoirs publics : au sein de
l’État, le rôle d’animation de la DGAFP va croissant
depuis plusieurs années, notamment à la faveur de
comités de pilotage réguliers associant tous les
DRH des ministères ; l’unité entre les trois versants
de la fonction publique tend à s’affirmer, les asso-
ciations d’employeurs territoriaux (Associations des
maires de France, des départements de France et des
régions de France) et d’employeurs hospitaliers
(Fédération hospitalière de France) étant désormais
systématiquement associées à toutes les négocia-
tions nationales conduites par le ministre de la
Fonction publique. La mise en place récente d’un
Conseil commun de la fonction publique ne devrait
que renforcer cette tendance.

D. Conclusion
La conquête du droit syndical par les fonction-
naires est à l’échelle de l’histoire une œuvre récente
puisqu’il aura fallu attendre 1946 pour sa

217
Fonction publique

consécration. Les décennies qui ont suivi ont vu le


dialogue social dans la fonction publique s’étendre
et s’institutionnaliser. À cet égard, les textes fonda-
teurs du début des années 1980 dessinaient un pay-
sage sophistiqué, favorable à une cogestion organi-
sée à tous les niveaux, qui avait indéniablement
vieilli. Le début du XXIe siècle s’est caractérisé par
une croissance des lieux informels du dialogue
social et par la multiplication des instances ad hoc
de négociation. Le mérite de la refonte de 2010 est
d’avoir pris acte de ces transformations et dépous-
siéré des dispositifs anciens, jugés à bon droit sclé-
rosants par tous les gestionnaires publics. Car il ne
faut jamais perdre de vue que le dialogue social
dans la fonction publique doit conserver son équili-
bre spécifique, entre un principe légitime de parti-
cipation d’une part et un principe incontournable
d’autorité hiérarchique d’autre part. Déplacer le
centre de gravité du dialogue social des questions
individuelles (qui inondent les CAP) vers les ques-
tions stratégiques et collectives (qui sont de la com-
pétence des comités techniques) est en ce sens fon-
damental. Faire reposer la composition des comités
techniques sur la seule élection et étendre leur
champ de compétences sont autant de pierres à
l’édifice. Il faut toutefois reconnaître que les évolu-
tions affectant le rôle des commissions administrati-
ves paritaires, qui traitent des questions individuel-
les, sont, elles, restées très minimes. Or, la question
peut être légitimement posée, pour l’avenir, d’un
allégement de cette cogestion bureaucratique, qui
ferait par exemple des CAP simplement des instan-
ces d’appel, uniquement saisies des cas individuels

218
Sait-on dialoguer dans la fonction publique ?

véritablement problématiques. S’agissant des


acteurs enfin, on perçoit que le paysage syndical
est en pleine recomposition, que ce soit du côté
des employeurs publics ou du côté des fédérations
de fonctionnaires, dont la légitimité et les moyens
ne doivent bientôt plus reposer que sur la seule
audience aux élections. On peut donc estimer, sans
excès d’optimisme, qu’avec ces nouvelles règles de
représentativité syndicale mais aussi l’introduction
progressive de l’accord majoritaire, le dialogue
social dans la fonction publique confirmera son
entrée progressive dans une ère plus partenariale
que conflictuelle.

219
Partie II
Des enjeux individuels
Chapitre 1
Faut-il supprimer les concours
de la fonction publique ?

A. Enjeux
Tous les directeurs des ressources humaines, que
ce soit dans une administration ou dans une entre-
prise, le soulignent volontiers : le recrutement est le
premier acte de management à destination d’un col-
laborateur. De l’autre côté du miroir, au seul prisme
de la sélection qu’il franchira, ce salarié ou ce fonc-
tionnaire se forge en effet ses premières impressions
sur l’organisation qu’il rejoint. Il faut certes espérer
qu’il se sera quelque peu renseigné au préalable sur
celle-ci, ne serait-ce que pour escalader avec succès
cette première marche qui lui permettra de franchir
la porte. Mais rien n’enlèvera que cette procédure
d’embauche sera pour lui le premier lien, direct et
concret, qu’il nouera avec son nouvel univers profes-
sionnel. Or, dans la fonction publique, l’importance
de ce premier acte de management est à certains
égards encore accrue. Pour une raison somme toute
simple : devenir fonctionnaire, cela revient, pour
l’agent, à épouser une carrière de plusieurs décen-
nies ; et recruter un nouveau collaborateur, cela

223
Fonction publique

revient, pour son employeur public, par voie de


conséquence, à prendre un engagement réel sur
l’avenir.
Voilà sans doute pourquoi la question de l’accès
de la fonction publique est si ancienne dans ses
enjeux, comme l’histoire de la fonction publique
retracée en ouverture de cet ouvrage le rappelle.
Dès 1789, la dernière phrase de l’article 6 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a
posé le principe qui reste fondateur : « Tous les
citoyens (...) sont également admissibles à toutes
dignités, places et emplois publics, selon leur capa-
cité et sans autre distinction que celle de leurs ver-
tus et de leurs talents ». Cette règle originelle, qui
irrigue le droit des concours de la fonction publique
depuis plus de deux siècles, est plus redoutable qu’il
n’y paraît. Elle impose au système de recrutement
mis en place par les administrations de satisfaire à
deux grandes catégories d’objectifs : assurer d’un
côté l’égalité des chances à travers un système
ouvert à tous, sans discrimination ; permettre de
l’autre à l’administration de sélectionner les candi-
dats en fonction uniquement des capacités, vertus et
autres talents qu’ils révèlent. Cette exigence de
compétences est d’autant plus grande que la
même Déclaration des droits de l’homme impose à
l’administration de rendre des comptes sur l’effica-
cité de son action. Or, la difficulté réside bien dans
la conciliation de ces deux impératifs : le premier
d’entre eux incite plutôt l’administration à privilé-
gier des procédures de recrutement anonymes car ce
sont elles qui paraissent garantir le mieux l’absence

224
Faut-il supprimer les concours de la fonction publique ?

d’arbitraire dans le recrutement ; mais le second


appelle à une sélection plus tournée vers les
savoir-faire individuels et donc nettement plus indi-
vidualisée. Et voilà comment la question de l’accès à
la fonction publique, forte de cette contradiction, se
trouve placée au cœur du débat républicain : l’éga-
lité des chances confrontée à l’inégalité des talents.

B. Constats

1. La fonction publique est juridiquement


très ouverte
Le statut général des fonctionnaires, dans le sil-
lage de cet article 6 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, dessine tous les contours
juridiques d’une égalité d’accès à la fonction
publique. Il prévoit d’abord un accès quasi univer-
sel aux corps et cadres d’emplois de la fonction
publique sous les seules réserves que pose l’article 5
du titre I du statut général des fonctionnaires :
« (...) Nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire :
1º S’il ne possède la nationalité française ;
2º S’il ne jouit de ses droits civiques ;
3º Le cas échéant, si les mentions portées au bul-
letin nº 2 de son casier judiciaire sont incompatibles
avec l’exercice des fonctions ;
4º S’il ne se trouve en position régulière au
regard du Code du service national ;

225
Fonction publique

5º S’il ne remplit les conditions d’aptitude phy-


sique exigées pour l’exercice de la fonction compte
tenu des possibilités de compensation du han-
dicap ».
La « condition de nationalité française »
elle-même a été nettement tempérée. Depuis la loi
du 26 juillet 2005, l’ouverture aux ressortissants
communautaires est devenue la règle de droit com-
mun. Aux termes de l’article 5 bis du titre I, « les
ressortissants des États membres de la Communauté
européenne ou d’un autre État partie à l’accord sur
l’Espace économique européen autres que la France
ont accès, dans les conditions prévues au statut
général, aux corps, cadres d’emplois et emplois ».
Ne leur restent aujourd’hui fermés que les emplois
dont les attributions « ne sont pas séparables de
l’exercice de la souveraineté » ou « comportent une
participation directe ou indirecte à l’exercice de pré-
rogatives de puissance publique de l’État ou des
autres collectivités publiques ». En d’autres termes,
les ressortissants de l’Union européenne peuvent se
présenter à tous les concours de la fonction
publique : seuls leur resteront fermés, au cours de
leur parcours, les quelques emplois « de souverai-
neté », sans que cela n’hypothèque leur possibilité
de dérouler une carrière professionnelle complète
dans la fonction publique française. Une nouvelle
étape a d’ailleurs été franchie avec l’article 26 de la
loi relative à la mobilité et aux parcours profession-
nels dans la fonction publique de 2009 : les ressor-
tissants communautaires pourront désormais se pré-
senter aux concours internes dans les mêmes

226
Faut-il supprimer les concours de la fonction publique ?

conditions que les candidats issus des administra-


tions françaises, en faisant valoir les services
accomplis dans l’administration de leur État mem-
bre d’origine.
Corollaire de cette volonté d’ouverture, une autre
règle cardinale est posée par le statut général des
fonctionnaires s’agissant de l’accès à la fonction
publique : « Les fonctionnaires sont recrutés par
concours sauf dérogation prévue par la loi ». Cette
règle de base (recrutement par concours) irrigue
tout le droit de la fonction publique. Elle connaît
quelques exceptions notables mais numériquement
négligeables. Je ne vise pas ici les recrutements sous
contrats (dont un précédent chapitre a traité) car
ceux-ci ne confèrent pas le statut de fonctionnaires
et ne s’entendent donc pas, à strictement parler,
comme des recrutements dans la fonction publique.
Les exceptions ici évoquées répondent à des préoc-
cupations précises : des dispositifs ad hoc tels que le
Parcours d’accès aux carrières de la territoriale et de
l’État (PACTE) proposé à des jeunes sans qualifica-
tion pour devenir agents de catégorie C ou les pro-
cédures de recrutement sans concours au bénéfice
des personnes handicapées (cf. chapitre suivant)
ont vocation à assurer une plus grande diversité
dans la fonction publique ; des voies de recrutement
sans concours en catégorie C, récemment créées,
visent, elles, à simplifier les modalités de recrute-
ment pour les métiers d’exécution.

227
Fonction publique

2. Mais le contenu actuel des concours crée


des inégalités de fait et n’assure pas
systématiquement, pour l’administration,
l’adéquation des besoins et des compétences
En 2007, le gouvernement commandait deux
rapports sur les concours dans la fonction publique :
l’un, remis par Mme Desforges, inspectrice générale
de l’administration, en février 2008, portait sur le
contenu des concours de l’État ; l’autre, remis par
Mme Dorne-Corraze, conseillère à la Caisse des
dépôts et consignations, en juillet 2008, portait
sur leur organisation. Pour la première fois, ces
deux rapports ont dessiné un panorama riche et
étayé sur l’état des concours administratifs.
Le premier rapport est venu souligner, en une
formule aussi forte que juste, que l’État a le grand
défaut de « sélectionner au lieu de recruter » : les
concours de la fonction publique de l’État sont
organisés sans objectif précis en termes d’emplois à
pourvoir ; les raisons du recrutement ne sont jamais
(totalement) explicitées par l’administration, à
savoir pourquoi, comment et qui l’administration
recrute ; les critères retenus pour sélectionner ne le
sont guère plus, faute souvent de précisions sur les
fondamentaux et les compétences attendus ; et peu
de directives sur le contenu des épreuves sont don-
nées aux jurys, dont la composition est, au demeu-
rant, diverse et aléatoire. Le même rapport a égale-
ment constaté combien l’architecture des concours
est hétéroclite : épreuves (écrites et/ou orales) en
nombre variable, système d’options très hétérogène,
existence de voies professionnelles spécifiques... Il

228
Faut-il supprimer les concours de la fonction publique ?

s’ensuit que l’information sur les concours est diffi-


cile d’accès, éclatée et incomplète : chaque minis-
tère développe sa propre information sur ses recru-
tements sans souci d’homogénéité avec les autres
ministères et dans son propre vocabulaire adminis-
tratif ; le candidat peut malaisément trouver des
renseignements par métier ou par filière
professionnelle. Sur le contenu des épreuves
elles-mêmes, les savoirs académiques apparaissent
trop exclusivement valorisés : épreuves de composi-
tion ou de culture générale fréquentes, options sou-
vent classiques, programmes très lourds (52 pages
pour le concours de l’ENA), insuffisance d’épreuves
pratiques, épreuve d’entretien avec le jury mal
définie... Il a été également relevé que l’évaluation
des recrutements est quasi inexistante : on se satis-
fait d’un taux de sélectivité élevé et flatteur (13
pour 1 environ) sans faire, sauf exceptions, d’enquê-
tes qualitatives auprès des employeurs sur la qualité
et l’adéquation des profils qui rejoignent l’adminis-
tration. Le rapport concluait sur les conséquences
sociales très négatives de cette situation, notam-
ment en termes de reproduction sociale :
sur-représentation des enfants de fonctionnaires,
lauréats surdiplômés...

3. L’organisation des concours manque


de lisibilité, d’efficacité et de transparence
Le deuxième rapport, rendu en juillet 2008, a
mis en exergue une organisation des concours
encore très artisanale. Le nombre de procédures
annuelles dessine un paysage d’une grande

229
Fonction publique

complexité : 590 concours et examens, se démulti-


pliant en plusieurs voies (externes, internes,
déconcentrées...), seraient organisés chaque année
dans la seule fonction publique de l’État. L’organi-
sation matérielle des concours, en dépit de bonnes
pratiques, apparaît insatisfaisante : on dénombre
800 000 inscrits et seulement 515 000 présents,
soit un taux d’absentéisme très élevé de 36 %
(dont 38 % pour les concours externes et 25 %
pour les concours internes) ; le nombre des concours
communs à plusieurs ministères est très faible, n’au-
torisant pas d’économies d’échelle ; les
télé-inscriptions se développent mais les pratiques
restent différentes ; l’externalisation de la gestion
logistique (location de salles, impression des
sujets...) est répandue sans être systématique. Au
total, le rapport évalue les coûts annuels de fonc-
tionnement à 110 millions d’euros, soit un coût de
1 800 euros par lauréat.

C. Réflexions
Forts de ces constats, les tenants d’une suppres-
sion du principe du concours dans la fonction
publique se font régulièrement entendre. Au
concours, on prête en effet tous les maux : celui de
participer à la fermeture de la fonction publique, à
son académisme, à sa complexité aussi. Il y a indé-
niablement une part de vrai dans ces assertions. Per-
sonne ne peut nier par exemple que les concours de
la fonction publique constituent souvent une bar-
rière pour l’accès à la fonction publique de profils

230
Faut-il supprimer les concours de la fonction publique ?

différents, appartenant notamment à des milieux


défavorisés. Pour autant, l’idée de supprimer le
principe du concours ne convainc pas. Elle me
paraît même particulièrement dangereuse car
contraire aux idéaux sur lesquels notre modèle répu-
blicain s’est construit. Le concours, si l’on revient
aux fondamentaux, n’est rien d’autre que « l’exa-
men où ne sont admis qu’un nombre limité et
déterminé à l’avance de candidats, qui, après classe-
ment, obtiennent une place, un prix, un titre »
(Larousse). Pour le dire plus directement, ce qui
fonde le concours, c’est l’existence d’une pluralité
de candidats pour un nombre limité de places, bref
c’est le principe fondamental de mise en concur-
rence.
Renoncer au concours d’accès à la fonction
publique, ce serait alors embrasser la seule alterna-
tive, à savoir une logique de gré à gré, voire de
cooptation, où la mise en concurrence des candidats
n’aurait évidemment plus du tout la même pré-
gnance. Il me paraît inconcevable de renoncer à
cette exigence sans contrevenir aux valeurs fonda-
mentales énoncées à l’article 6 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen : chacun doit
être en mesure de faire valoir ses « vertus et
talents » à occuper un emploi public et c’est sur
ces seuls fondements que la décision de recrutement
doit être prise. Je suis donc pleinement hostile à
toute remise en cause du concours dans la fonction
publique.

231
Fonction publique

1. Il faut réviser régulièrement le contenu


de l’ensemble des concours de l’État
Les gouvernements successifs n’ont d’ailleurs
jamais cédé à cette tentation facile. Car ce qu’il
faut combattre, ce n’est pas le fait qu’il existe des
concours pour accéder aux différents corps et cadres
d’emplois de la fonction publique, c’est le fait que
les concours puissent faire la part trop belle aux
épreuves théoriques et académiques et donc ne pas
répondre aux exigences d’égalité des chances, d’une
part, et d’efficacité du recrutement, de l’autre.
Autrement dit, c’est le contenu des concours qu’il
convient de revoir afin de trouver un équilibre
entre une égalité des chances reposant sur des
épreuves ouvertes et anonymes (pour les épreuves
écrites bien entendu) et une détection des compé-
tences s’appuyant sur de véritables mises en situa-
tion professionnelle. La voie s’est ouverte en ce
sens en février 2007, la loi de modernisation de la
fonction publique et la loi relative à la fonction
publique territoriale ayant introduit à cette date
dans le statut général des fonctionnaires un principe
nouveau important : la « reconnaissance des acquis
de l’expérience professionnelle » (RAEP). Les recru-
teurs publics se fondent de manière croissante sur ce
principe de bon sens pour organiser leurs épreuves
de recrutement, notamment les épreuves orales
d’admission : on se rapproche ainsi de l’entretien
d’embauche du secteur privé, en cherchant à identi-
fier, par une analyse de la formation et de l’expé-
rience antérieures des candidats, leurs compétences
acquises et les potentialités de leur profil.

232
Faut-il supprimer les concours de la fonction publique ?

Parallèlement, une révision générale du contenu


des concours a été initiée à compter de 2008. Ce
chantier de longue haleine a consisté à toiletter
dans l’ensemble des ministères, sous l’égide de la
DGAFP, les près de 600 concours de l’État, à partir
de critères simples : introduction d’épreuves prati-
ques, sélection sur expérience professionnelle pour
les voies de promotion interne, limitation des épreu-
ves de culture générale pour les catégories C...
L’exercice était difficile puisqu’il invitait à éplucher
les concours progressivement, un à un, afin d’assurer
que le format des épreuves changeait mais aussi les
sujets donnés. Cette révision, qui méritera d’être
périodiquement réalisée, s’est achevée en 2012.
Lors du lancement de cette démarche, de nombreux
éditorialistes se sont insurgés contre « la fin de la
culture générale » au sein des concours administra-
tifs. Le reproche était parfaitement excessif : il ne
s’est pas agi de faire entrer tous les concours de
l’État, quel que soit le domaine ou le niveau hiérar-
chique, dans un même format, duquel serait exclue
toute épreuve de culture générale. Conserver des
épreuves de culture générale a continué d’être par-
faitement justifié pour certains concours, notam-
ment en catégorie A. Mais les concours administra-
tifs n’apparaissaient pas faire œuvre utile en
exigeant, pour reprendre des exemples trouvés dans
certains concours, de futurs aides techniques de
laboratoire (catégorie C) qu’ils sachent répondre à
des questions aussi fondamentales pour leurs activi-
tés futures que : « Parmi les divinités suivantes,
laquelle n’est pas égyptienne ? Anubis, Isis, Hathor
et Thor ? », « L’artiste Arthur H est : le frère de M,

233
Fonction publique

le fils de Jacques Higelin, le fils de Françoise Hardy


ou le petit-fils de Jimi Hendrix ? » ou encore :
« Parmi les verbes suivants, lequel n’appartient pas
au troisième groupe ? choir, moudre, rire ou
finir ? ». En posant des questions de ce type, on
sélectionne les candidats au lieu de les recruter et
on décourage des vocations, sans d’ailleurs que l’ad-
ministration elle-même ne gagne de certitude quant
à l’adéquation des profils recrutés aux compétences
recherchées. Personne ne prétend d’ailleurs qu’un
agent de catégorie C de la fonction publique n’ait
pas besoin de culture générale : c’est utile et pré-
cieux pour tout type d’activité professionnelle.
Mais il ne faut pas se tromper de cible : les épreuves
des concours administratifs ne sont pas là pour pal-
lier les carences du système éducatif qui les précède
et dont la vocation est précisément de fournir ce
bagage culturel commun à tous.
Nous manquons encore de recul pour affirmer
que les effets sont d’ores et déjà visibles et concrets.
Nul doute que des mauvaises pratiques subsistent
toujours. Mais il y a indéniablement une ambition
et une cohérence nouvelles dans la démarche de
réforme des concours qui s’est ainsi engagée
depuis 2008.

2. S’agissant du format et de l’organisation


des concours, les progrès sont plus lents
Les concours administratifs, comme souligné
plus haut, souffrent également du caractère artisanal
de leur organisation. Ce n’est pas tant leur coût qui
est en cause. Les 110 millions d’euros de coût de

234
Faut-il supprimer les concours de la fonction publique ?

fonctionnement que le rapport de 2008 a reconsti-


tués constituent une somme certes non négligeable.
Mais elle ne paraît pas si exorbitante lorsque l’on
songe aux recrutements de masse que l’État doit
organiser chaque année et lorsqu’on compare cette
somme à celles que d’autres systèmes de recrute-
ment à la fois plus sophistiqués et plus coûteux doi-
vent mobiliser (ex. : le système EPSO des institu-
tions européennes). Ce qui frappe l’observateur,
c’est plutôt le peu de lisibilité du système et sa rela-
tive fragilité. Les ministères ne mutualisent rien ou
presque : ni leurs épreuves, ni leur calendrier, ni
leur jury... Il s’ensuit pour le candidat l’impression
d’un maquis inextricable, au sein duquel il est aussi
périlleux de trouver une voie qu’une vocation. Car,
s’il existe bien un calendrier prévisionnel des
concours de l’État, que la DGAFP met chaque
année en ligne, il reste très lacunaire et rarement
actualisé en temps réel. Les revues et forums spécia-
lisés y gagnent leur fonds de commerce. Le peu de
lisibilité des concours administratifs est d’ailleurs
aussi la traduction de la complexité statutaire de la
fonction publique, en vertu d’un axiome bien
connu : à chaque corps correspondent le plus sou-
vent un, voire plusieurs concours spécifiques, de
sorte qu’il existe encore plus de voies d’accès à la
fonction publique que de corps et cadres d’emplois
en son sein. C’est dire... On y trouvera toutefois
motif à réconfort pour les mêmes raisons : si la fonc-
tion publique avance résolument dans la voie de sa
simplification, grâce aux fusions de corps évoquées
plus haut, les concours administratifs ne pourront
gagner qu’en lisibilité.

235
Fonction publique

Tout cela plaide en tous cas pour qu’à côté de la


révision du contenu des concours, le format et l’or-
ganisation des concours soient également réformés
en profondeur. Or, sur ce terrain, les progrès tar-
dent à se concrétiser. Pour ce qui est du format, la
sophistication du système des concours n’a fait que
grandir depuis le statut général de 1946. L’arti-
cle 19 du titre II du statut général des fonctionnai-
res, à la faveur d’une rédaction particulièrement
touffue, distingue plusieurs voies de recrutement
différentes pour accéder à un même corps : les
concours dits « externes » sont « ouverts aux candi-
dats justifiant de certains diplômes ou de l’accom-
plissement de certaines études » et sont tradition-
nellement les concours qui s’adressent aux
étudiants sans expérience professionnelle ; les
concours dits « internes » sont réservés aux fonc-
tionnaires appartenant déjà à l’une des trois fonc-
tions publiques (ou à une fonction publique d’un
des pays de l’UE) ; les « troisièmes » concours, de
création plus récente, sont réservés aux candidats
justifiant de l’exercice pendant une durée détermi-
née d’une ou plusieurs activités professionnelles
dans le secteur privé. Cette dernière voie s’est vou-
lue à son origine le moyen d’une plus grande ouver-
ture de la fonction publique au secteur privé. Pour
chaque corps, les règles de candidature sont établies
par les statuts particuliers et donc différentes d’un
concours à l’autre. Et les concours eux-mêmes peu-
vent prendre une pluralité de formes : sur titres et
travaux, déconcentrés...

236
Faut-il supprimer les concours de la fonction publique ?

Il me semble donc incontournable que l’on en


revienne à plus de simplicité sur le format des
concours. La suppression des limites d’âge pour pré-
senter les concours plaide d’ailleurs en ce sens : elle
rend désormais très ténue la frontière entre le public
du concours externe et celui du troisième concours,
différenciation sur laquelle le Conseil constitution-
nel s’était fondé en 1983 pour admettre la création
de cette troisième voie. De même, le caractère très
marginal que conserve le troisième concours dans le
nombre des recrutements montre qu’il ne remplit
qu’imparfaitement son rôle d’ouverture sur la
sphère privée. La simplification consisterait à s’en
tenir, pour chaque filière professionnelle, en dehors
des processus de promotion interne au choix, à deux
grandes voies : un premier concours ouvert aux jeu-
nes diplômés ou sortant du système scolaire en
n’ayant pas ou peu d’expérience professionnelle
antérieure (concours de recrutement initial) ; un
concours professionnel ouvert à toute personne
(sans considération de diplômes) ayant acquis une
expérience professionnelle antérieure sous un
régime de droit privé ou public. Le système gagne-
rait ainsi en lisibilité pour les administrations ges-
tionnaires comme pour les candidats.
Pour ce qui est de l’organisation des concours, là
aussi la réforme reste encore largement à conduire.
Si la mise en place d’un répertoire interministériel
des métiers de l’État (RIME) a récemment permis
de mieux caractériser les carrières qu’offre la fonc-
tion publique et donc de mieux les faire connaître,
il ne permet pas pour autant au candidat de faire

237
Fonction publique

plus facilement son chemin dans le maquis des


concours administratifs : le lien entre ce RIME et
les concours reste très imparfait. On peut pareille-
ment se féliciter de la création d’un portail unique
des concours, dénommé « Score », lancé en mai
2010, qui rend l’information sur les concours admi-
nistratifs plus accessible. Mais la création d’un site
internet ne suffit pas, en elle-même, à répondre à ce
qui paraît par ailleurs indispensable : mutualiser
davantage entre ministères le calendrier et l’organi-
sation des concours. Deux chantiers expérimentaux
ont été lancés en ce sens : des concours communs à
plusieurs ministères pour le recrutement des secré-
taires administratifs ; la mise en place de centres de
services partagés chargés de la logistique des
concours, à laquelle participent un certain nombre
de ministères. Au-delà de ces actions pilotes, il est
sans doute indispensable de porter une réforme plus
radicale, qui consisterait à créer un opérateur de
l’État spécifiquement dédié à la maîtrise d’œuvre
des concours administratifs. Le système y gagnerait
sans nul doute en professionnalisme : sécurisation
des procédures, uniformisation des logiciels et des
télé-inscriptions, banques d’épreuves, répertoire de
membres de jurys formés à l’exercice, mutualisation
des moyens logistiques... Les ministères garderaient
évidemment la main sur le contenu des concours
pour les adapter à leurs besoins mais toute la logis-
tique serait assurée par ce prestataire interministé-
riel, avec d’importantes économies d’échelle à la
clé. Dans la fonction publique territoriale, ce rôle
est d’ores et déjà pour partie dévolu au Centre
national de la fonction publique territoriale

238
Faut-il supprimer les concours de la fonction publique ?

(CNFPT) et surtout aux centres de gestion. La mul-


tiplicité des collectivités territoriales a rendu très
rapidement cette mutualisation incontournable.
Bien qu’elle reste, dans ce cas d’espèce, imparfaite
à bien des égards, c’est sans doute dans la voie
d’une telle mutualisation que l’État devra à l’avenir
s’engager.

D. Conclusion
Le principe du concours irrigue l’ensemble de
notre modèle républicain de fonction publique.
Supprimer cette règle de droit commun serait à
mon sens une grave erreur car le concours reste le
garant du meilleur équilibre entre l’égalité d’accès
aux emplois publics, qui a rang constitutionnel, et
la nécessaire adéquation entre les besoins de l’admi-
nistration et les profils recrutés, qui est une néces-
sité. Bien évidemment, il n’en demeure pas moins
que les concours administratifs peuvent souffrir de
nombreuses imperfections, largement détaillées au
cours de ce chapitre. Le travail récemment réalisé
pour toiletter les épreuves des concours, de manière
à les rendre plus professionnelles, va dans le bon
sens. Le principal chemin qui reste à parcourir
consiste à simplifier l’architecture statutaire des
concours, qui demeure bien trop sophistiquée, et à
professionnaliser et mutualiser leur organisation,
afin d’en sécuriser le déroulement et de réaliser
d’importantes économies d’échelle.

239
Chapitre 2
La fonction publique
est-elle ouverte à la diversité
de la société française ?

A. Enjeux
L’égalité est une valeur frappée au frontispice de
toutes nos mairies. Chacun sait qu’elle est au fonde-
ment de notre démocratie et de notre République,
contribuant notamment à sa devise. Dans le sillage
de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen, la Constitution de la Ve République lui
réserve une place de choix. Seulement comme tou-
tes les grandes valeurs, l’égalité a deux attributs
redoutables. D’abord, elle ne se décrète pas et doit
sans cesse être démontrée. Autrement dit, avant
d’être un principe, elle est une ambition : elle
porte en elle cette caractéristique, frustrante à cer-
tains égards, d’être toujours un horizon pour
demain, plus qu’une réalité d’aujourd’hui. Ensuite,
l’égalité est une valeur très malléable, au sens où
chacun peut l’invoquer pour poursuivre ses objectifs
propres. Le débat autour de la rémunération à la
performance, qu’on abordera plus loin, en est la

241
Fonction publique

parfaite illustration : c’est au nom de l’égalité entre


les fonctionnaires – d’aucuns parleraient d’ailleurs
d’« égalitarisme » – que les syndicats privilégient
les augmentations salariales uniformes sur toute dif-
férenciation des rémunérations ; c’est pourtant au
nom de la même égalité – d’aucuns parleraient ici
plutôt d’« équité » – que le gouvernement entre
2007 et 2012 a jugé incontournable de rémunérer
les fonctionnaires en fonction de leurs résultats et
mérites individuels.
Au cours des années récentes, la notion même
d’égalité s’est trouvé un corollaire encore plus
médiatique : la diversité. Cette notion s’appréhende
aujourd’hui d’une manière très extensive : diversité
sociale, diversité des âges, diversité des sexes, accès
des personnes handicapées... Elle revêt une acuité
particulière dans la fonction publique. D’une part,
l’égalité, comme on a déjà eu l’occasion de le souli-
gner, est l’une des valeurs cardinales sur laquelle
notre système de fonction publique s’est bâti.
Au-delà de l’article 6 de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen, déjà évoqué, le statut
général des fonctionnaires lui consacre des disposi-
tions très importantes : « La liberté d’opinion est
garantie aux fonctionnaires. Aucune distinction,
directe ou indirecte, ne peut être faite entre les
fonctionnaires en raison de leurs opinions politi-
ques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de
leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur
âge, de leur patronyme, de leur état de santé, de
leur apparence physique, de leur handicap ou de
leur appartenance ou de leur non-appartenance,

242
Fonction publique et diversité de la société française ?

vraie ou supposée, à une ethnie ou une race ». D’au-


tre part, les administrations ont un devoir d’exem-
plarité : plus encore que les entreprises, elles doi-
vent refléter, dans leurs effectifs, la diversité de la
société française.
Or, à la lecture des constats qui vont suivre, le
paradoxe va se nouer assez rapidement : la fonction
publique vient aujourd’hui témoigner qu’une éga-
lité juridiquement consacrée peut ne pas être auto-
matiquement au service d’une diversité effective.

B. Constats

1. Même si la fonction publique est un secteur


féminisé à près de 60 %, les inégalités
professionnelles entre les femmes
et les hommes existent
Le rapport que la députée Françoise Guegot a
remis au Président de la République en février 2011
a mis en lumière plusieurs faits saillants : la réparti-
tion assez stéréotypée de la main-d’œuvre suivant
les métiers puisqu’une écrasante majorité de fem-
mes se trouve dans les filières médico-sociales et
éducatives alors que leur représentation dans les
filières techniques est très faible ; la plus forte pro-
portion de temps partiel chez les femmes (environ
17 % d’entre elles sont à temps partiel contre
2,5 % pour les hommes) qui y recourent très sou-
vent pour des raisons familiales ; la faible représen-
tation des femmes aux postes les plus élevés, la
fonction publique de l’État ne comptant que 20 %

243
Fonction publique

environ de femmes aux postes d’encadrement diri-


geant, la fonction publique territoriale que 18 %.
Les règles de la fonction publique ne génèrent pas
en elles-mêmes ces inégalités entre les sexes : les
grilles indiciaires de rémunération sont bien évi-
demment appliquées dans les mêmes conditions
aux hommes et aux femmes. Le statut général des
fonctionnaires lui-même consacre cette égalité juri-
dique : « Aucune distinction, directe ou indirecte,
ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison
de leur sexe. Toutefois, des recrutements distincts
pour les femmes ou les hommes peuvent, exception-
nellement, être prévus lorsque l’appartenance à l’un
ou à l’autre sexe constitue une condition détermi-
nante de l’exercice des fonctions ». Ce sont donc
bien davantage les pratiques, notamment de pro-
motion, et les modes d’organisation du travail, qui
sont en cause.

2. La diversité des âges pour accéder


à la fonction publique est désormais consacrée
Les limites d’âge qui avaient été introduites au
fil du temps dans la plupart des textes régissant les
concours de la fonction publique ont été suppri-
mées de manière transversale. Elles sont désormais
limitées à de rares exceptions, tenant aux exigences
spécifiques de certains métiers : récemment suppri-
mées pour les concours de l’ENA, elles subsistent
pour l’accès à des catégories dites « actives » telles
que la police, la gendarmerie... Il est trop tôt pour
affirmer que cette disparition quasi complète de
toute limite d’âge a eu une conséquence notable

244
Fonction publique et diversité de la société française ?

sur la diversité des âges dans la fonction publique


mais c’est une avancée indéniable, puisqu’il est
désormais loisible, aux différents âges de la vie, de
présenter les concours d’accès à la fonction
publique.

3. La diversité sociale, difficile à mesurer,


souffre dans la fonction publique
de la tendance à la surqualification
des lauréats aux concours
Faute de découpage ethnique des effectifs, il
n’est pas possible – et c’est heureux ! – de disposer
de chiffres précis sur la diversité ethnique de la
fonction publique. S’agissant de la diversité sociale,
les données sont relativement mieux connues. Ce
que les études récentes soulignent, c’est la forte ten-
dance de la fonction publique à recruter « ses pro-
pres enfants » : les enfants de fonctionnaires, par un
phénomène de reproduction sociale peu surprenant,
y sont surreprésentés et sur série longue, les classes
les plus populaires n’y paraissent guère plus présen-
tes que par le passé. Le phénomène de fond le plus
marquant est sans doute la surqualification des nou-
veaux entrants dans la fonction publique : leur
niveau d’études reste structurellement plus élevé
que celui requis par le concours. C’est particulière-
ment vrai dans le cas des emplois de catégorie C. À
ce niveau de compétences, le niveau du brevet des
collèges est juridiquement suffisant. Or, plus de
65 % des lauréats ont au moins le baccalauréat, par-
fois bien davantage (bac + 5). Ces profils surdiplô-
més choisissent, faute de mieux, d’occuper des

245
Fonction publique

emplois à plus faible qualification dans la perspec-


tive d’évoluer ensuite au sein de la fonction
publique par le biais des concours internes. Cela
constitue donc un double barrage pour les moins
qualifiés : à l’entrée dans la fonction publique, les
plus diplômés sont mieux armés pour affronter
avec succès les épreuves, surtout lorsqu’elles restent
académiques ; en cours de carrière, pour les mêmes
raisons, ils sont les premiers à profiter des procédu-
res de promotion interne.

4. L’accès des personnes handicapées


à la fonction publique reste en deçà
des exigences légales (6 %)
La loi fait obligation à l’administration, comme
aux entreprises, de compter au moins 6 % de tra-
vailleurs handicapés dans ses rangs. Ce chiffre n’est
toutefois atteint ni dans le secteur public ni dans le
secteur privé. Le taux d’emploi à l’échelle des trois
versants de la fonction publique est de 4 % environ,
chiffre qui est toutefois supérieur à celui du secteur
privé (moins de 3 %). Des progrès ont cependant
été enregistrés au cours des dernières années dans
la fonction publique grâce à la continuité des
efforts. En 2007, toutes les administrations ont eu
l’obligation de mettre en place des plans plurian-
nuels chiffrés de recrutement de travailleurs handi-
capés pour la période 2008-2012 afin d’atteindre
progressivement l’objectif d’emploi de 6 % dans la
fonction publique de l’État. Le respect des objectifs
de recrutement de l’année considérée est garanti en
début d’exercice par un gel de crédits équivalant à

246
Fonction publique et diversité de la société française ?

l’objectif de recrutement. Si les objectifs ne sont pas


atteints, les crédits correspondants peuvent être
supprimés pour le ministère fautif. Au-delà de
cette menace de sanction, les employeurs publics
sont contraints, aux termes du Code du travail, à
contribuer à un Fonds pour l’insertion des person-
nes handicapées dans la fonction publique
(FIPHFP). Géré par un établissement public placé
sous la tutelle de l’État, ce fonds a pour mission de
favoriser l’insertion professionnelle des personnes
handicapées au sein des trois fonctions publiques,
ainsi que la formation et l’information des agents.
Il assure notamment le financement et la mise en
œuvre des parcours de formation professionnelle
des demandeurs d’emploi handicapés qui sont
recrutés dans la fonction publique. La contribution
respective de chaque employeur à ce fonds est calcu-
lée en fonction du delta qui sépare son taux d’em-
ploi des 6 % exigés par la loi. Tous ces efforts, com-
binant plans pluriannuels de recrutement et actions
spécifiques, portent progressivement leurs fruits,
malgré le contexte de moindre recrutement qui
affecte les administrations.

C. Réflexions
La promotion de l’égalité professionnelle entre
les hommes et les femmes, de la diversité sociale et
du recrutement de personnes handicapées doit faire
l’objet d’une politique volontariste dans la fonction
publique. Mais les résultats, très dépendants des

247
Fonction publique

pratiques, ne peuvent être obtenus qu’à moyen et


long terme.

1. Les mesures prises pour favoriser l’égalité


hommes-femmes dans la fonction publique
mettront du temps à porter leurs fruits
Depuis plusieurs années, l’État a développé des
mesures d’action sociale, comme l’aide à la garde
d’enfant ou encore la réservation de places en crè-
ches, qui profitent en pratique avant tout aux
mères. Au-delà, il entend s’inspirer des bonnes pra-
tiques de certains pays européens voisins. La Suède
et le Royaume-Uni ont par exemple instauré des
programmes de promotion des talents, prenant la
forme de formations et d’une communication
active. Se multiplient aussi les chartes de gestion
du temps visant à donner aux agents les moyens
de mieux s’organiser pour concilier vie profession-
nelle et vie privée. Des premières avancées ont
aussi été consenties en France pour favoriser l’accès
et la promotion des femmes. Le statut général des
fonctionnaires prévoit par exemple que « des dis-
tinctions peuvent être faites entre les femmes et les
hommes en vue de la désignation, par l’administra-
tion, des membres des jurys et des comités de sélec-
tion constitués pour le recrutement et l’avancement
des fonctionnaires (...), afin de concourir à une
représentation équilibrée entre les femmes et les
hommes ».
Le rapport précité de la députée Françoise Gue-
got a aussi formulé une série de propositions pour

248
Fonction publique et diversité de la société française ?

aller plus loin : renforcer le dispositif statistique


pour mieux connaître certains sujets relatifs à l’éga-
lité professionnelle (inégalités salariales notam-
ment) ; fixer des objectifs contraignants de propor-
tion de femmes aux postes d’encadrement supérieur
et dirigeant et créer un « vivier des hauts poten-
tiels » ; transposer la loi Copé-Zimmerman (40 %
de femmes au minimum dans les conseils d’admi-
nistration) aux établissements publics de l’État ne
présentant pas un caractère industriel et commer-
cial ; transposer à la fonction publique territoriale
et à la fonction publique hospitalière les textes rela-
tifs à la féminisation des jurys à hauteur de 30 % de
leurs membres ; instituer par décret un entretien
obligatoire avec un responsable des ressources
humaines avant et après l’interruption de carrière ;
assurer la conservation de la totalité des droits
d’avancement pendant le congé parental ; générali-
ser les chartes de « gestion de temps » à tous les
ministères et développer les services existants pour
faciliter la vie quotidienne (CESU, crèches, télé-
travail).
La continuité des préoccupations entre le précé-
dent gouvernement et l’actuel dans ce domaine est
particulièrement remarquable : une négociation
lancée avec les syndicats au début de l’année 2012
s’est poursuivie au cours du deuxième semestre
2012 pour aboutir à un accord. Au final, beaucoup
des propositions évoquées ci-dessus ont été reprises.
Un point a toutefois fait débat, celui des quotas de
nomination aux emplois supérieurs. Même si je
comprends les réticences de ceux qui considèrent

249
Fonction publique

de telles règles peu conformes à l’article 6 de la


Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,
je crois indispensable ce volontarisme, pour que les
équilibres évoluent enfin substantiellement. Le pré-
cédent gouvernement a retenu, pour cela, un objec-
tif réaliste portant sur les flux de nomination :
chaque année devront avoir été nommées en Conseil
des ministres au moins 20 % de femmes (2012),
chiffre qui progressera à 30 % en 2015 et 40 % en
2018. Pour assurer l’atteinte de ces objectifs, des
pénalités financières seront possibles. Cette poli-
tique a été confirmée par la nouvelle équipe gouver-
nementale, qui veille de près au respect de ces prin-
cipes, inédits dans la fonction publique.

2. Les efforts en faveur de la diversité sociale


dans la fonction publique doivent répondre
à notre idéal républicain
On ne peut pas faire aux autorités politiques le
reproche d’un manque d’initiatives dans ce
domaine. Institutionnellement, ce thème est porté
au plus haut niveau de l’État, au gré d’initiatives
récurrentes, plus ou moins pérennes (création d’or-
ganismes tels que la HALDE, préfets délégués à la
cohésion sociale, ancien commissaire dédié à ce
chantier...). S’agissant du champ public, les minis-
tres successifs en charge de la fonction publique se
sont efforcés de donner à cette politique une cohé-
rence nouvelle. 2005 marque une étape importante
avec la mise en place d’un dispositif de recrutement
spécifiquement tourné vers les jeunes sans qualifica-
tion. Le Parcours d’accès aux carrières de la

250
Fonction publique et diversité de la société française ?

territoriale et de l’État (PACTE) est un dispositif


dérogatoire au concours, consacré par la loi, qui per-
met de former en alternance des jeunes de 18 à
25 ans sans qualification professionnelle, avant de
les titulariser en catégorie C dans la fonction
publique. Les efforts de diffusion de cet outil dans
la fonction publique de l’État ont été poursuivis de
manière constante : plus de 2 000 jeunes ont profité
de ce dispositif depuis sa création. Certes, le chiffre
est modeste à l’échelle de la fonction publique car il
a souffert des recrutements de moins en moins nom-
breux en catégorie C. Mais ce sont autant de recru-
tements susceptibles d’en appeler d’autres et qui
démontrent une ouverture croissante de la fonction
publique à la diversité des profils. L’enjeu est sur-
tout qu’au-delà de l’État, les collectivités territoria-
les se mobilisent davantage en faveur de ce dispo-
sitif.
D’autres efforts significatifs ont visé à faciliter la
préparation aux concours administratifs des publics
défavorisés. En juillet 2007, ont été créées 1 000
allocations pour la diversité dans la fonction
publique, d’un montant de 2 000 euros, qui aident
les candidats les plus défavorisés à préparer les
concours. Ce dispositif est désormais pleinement
mis en œuvre. Parallèlement se développent dans
la fonction publique des classes préparatoires inté-
grées (CPI), qui préparent les jeunes de condition
modeste aux concours administratifs. Il en existe
désormais dans toutes les grandes écoles publiques
(ENA, IRA...). Au-delà de la préparation aux
concours, la révision du contenu des concours visant

251
Fonction publique

à les rendre moins académiques (cf. supra) fait éga-


lement œuvre utile : l’académisme des épreuves
n’est pas au service de la diversité des lauréats car
il favorise celles et ceux qui en ont les codes.
Reste une question qui revient de manière récur-
rente : faut-il aller plus loin, c’est-à-dire instaurer
de véritables quotas de recrutement qui favorise-
raient la diversité sociale voire ethnique de la fonc-
tion publique ? Disons-le sans détour : cette évolu-
tion ne me paraît guère souhaitable. La France n’a
jamais fait sienne une approche « ethnique » de la
diversité. Outre le fait que notre droit constitution-
nel s’y oppose, on peut formuler des réserves de
fond : la conception française, ce n’est pas celle
d’une fragmentation comptable de la société, ni
celle d’un espace public que l’on se répartirait à la
proportionnelle. On ne saurait donc entrer dans une
logique de quotas pour accéder à la fonction
publique, qui s’oppose aussi bien au corpus juri-
dique qu’aux idéaux républicains. L’idée de quotas
« sociaux », et non ethniques, est sans doute moins
frontalement choquante. Mais c’est impraticable :
comment définir les seuils de revenus ?
Prendra-t-on en compte tous les revenus fami-
liaux ?... Et cela reste très contestable au plan des
principes. Car le débat est bien de savoir s’il faut
adapter les concours au point d’en réserver certains
aux publics défavorisés ou plutôt aider ces publics à
élever leur niveau de préparation et de compétences
afin qu’ils réussissent les mêmes concours que les
autres candidats. L’État a jusqu’ici répondu en
faveur de cette deuxième voie, plus exigeante mais

252
Fonction publique et diversité de la société française ?

bien plus conforme à notre idéal républicain. Il


serait à mon sens très aventureux de vouloir
emprunter la première.

3. Les efforts pour favoriser le recrutement


de personnes handicapées doivent
se poursuivre
Prolongeant les initiatives décrites plus haut, la
politique en faveur du handicap se poursuit dans la
fonction publique. Et les chiffres progressent : le
nouveau taux d’emploi des personnes handicapées
dans la fonction publique est désormais bien supé-
rieur à 4 %. L’actualisation des plans de recrute-
ment pour la période 2010-2013 a conduit à fixer
un objectif ambitieux de 7 000 travailleurs handica-
pés supplémentaires, ce qui est considérable dans
une période de maîtrise des effectifs. Tous les servi-
ces sont également invités à privilégier le recours
aux services des établissements employant des sala-
riés handicapés. La question n’est d’ailleurs pas seu-
lement celle des embauches mais aussi celle des
déclarations. En effet, beaucoup d’agents publics
hésitent à se déclarer handicapés, considérant la
démarche comme dévalorisante ou préjudiciable à
leur carrière. Il faut que les esprits évoluent. C’est
dans cette perspective qu’une première journée
dédiée au handicap et commune à tous les ministè-
res s’est déroulée le 12 mai 2011 afin de lancer une
campagne de sensibilisation des agents publics. Elle
se répète désormais chaque année. Enfin, les lieux
de travail doivent encore progresser en termes d’ac-
cessibilité et de commodité pour les travailleurs

253
Fonction publique

handicapés. Ce chantier de longue haleine fait l’ob-


jet de financements ad hoc, à partir du fonds d’inser-
tion évoqué plus haut.

D. Conclusion
La diversité est devenue un thème très important
dans le débat public. La fonction publique, bâtie
sur le principe constitutionnel d’égal accès de tous
aux emplois publics, est évidemment en première
ligne. Si elle est en avance sur le secteur privé sur
certains plans, comme l’insertion des personnes
handicapées ou la diversité des âges, c’est sans
doute moins vrai sur d’autres, comme la diversité
sociale notamment : la fonction publique est un sec-
teur où la reproduction sociale joue à plein, faisant
souvent des enfants de fonctionnaires des fonction-
naires eux-mêmes. Mais les initiatives récentes, en
particulier pour favoriser la préparation aux
concours des plus défavorisés ou rendre les épreuves
moins académiques, démontrent que la volonté
politique de favoriser une plus grande diversité est
réelle. En 2011, pour la première fois, un élève de la
classe préparatoire intégrée de l’ENA a réussi le
concours de cette école. Certains esprits chagrins
diront que c’est l’arbre qui cache la forêt. Le juge-
ment est sans nul doute très excessif tant les filières
d’insertion, évoquées plus haut, se multiplient.
D’ailleurs, la moitié des élèves des classes prépara-
toires intégrées réussissent un concours de la fonc-
tion publique à l’issue de leur formation. On peut

254
Fonction publique et diversité de la société française ?

donc préférer y voir le signe avant-coureur d’une


évolution lente, mais réelle.

255
Chapitre 3
La carrière des fonctionnaires
est-elle bien gérée ?

A. Enjeux
Parmi les principes fondamentaux régissant le
fonctionnement des services publics, consacrés par
la jurisprudence du Conseil d’État, figurent la
continuité et l’adaptabilité. C’est le respect de ces
principes qui a poussé le législateur, confirmant
par là une tradition pluriséculaire, à placer le prin-
cipe hiérarchique au cœur du statut général des
fonctionnaires : « Tout fonctionnaire, quel que soit
son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exé-
cution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se
conformer aux instructions de son supérieur hiérar-
chique, sauf dans le cas où l’ordre donné est mani-
festement illégal et de nature à compromettre gra-
vement un intérêt public. Il n’est dégagé d’aucune
des responsabilités qui lui incombent par la respon-
sabilité propre de ses subordonnés ». Comment en
effet assurer sans cesse la continuité et l’adaptabilité
des services rendus si les fonctionnaires ne sont pas
soumis à des contraintes particulières d’obéissance,
de service fait ou encore de mobilité ? À l’inverse,

257
Fonction publique

les siècles de construction de la fonction publique


ont vu grandir le souci d’éviter que le respect de la
hiérarchie se confonde avec la soumission pure
et simple au pouvoir politique. Le développement
des offices, au XVIe siècle notamment, au-delà des
considérations purement financières qui ont
conduit à leur prolifération, constitue la première
tentative de donner aux agents publics un statut
qui les identifie et les protège des aléas politiques.
Mais le revers est que cela s’est souvent fait au prix
d’une indépendance croissante à l’égard des autori-
tés : la multiplicité et l’hérédité acceptée des offices
ont conduit à une forme de privatisation et de par-
cellisation de l’espace public. La réaction des auto-
rités politiques n’a guère tardé, s’exprimant par
exemple par la nomination d’intendants et de com-
missaires mandatés dans les provinces, dont le deve-
nir ne dépendait que du vouloir du roi.
Au sortir du régime de Vichy, qui a cruellement
mis au jour cette tension fondatrice, le statut géné-
ral des fonctionnaires de 1946 a donc été l’occasion
d’une construction intellectuelle subtile : elle a
abouti, si l’on schématise, à faire de chaque fonc-
tionnaire à la fois un officier (au sens de « détenteur
d’un office ») et un intendant. Comme nous l’avons
déjà esquissé plus haut, l’une des règles cardinales
du statut général est en effet que « le fonctionnaire
est, vis-à-vis de l’administration, dans une situation
statutaire et réglementaire » : au nom de sa situa-
tion statutaire, il appartient à un corps et, au sein
de ce corps, à un grade, qui constitue pour lui la
garantie de rester fonctionnaire indépendamment

258
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

des aléas politiques et plus généralement de pouvoir


dérouler une carrière ; au nom de sa situation régle-
mentaire, il doit se soumettre aux règlements édic-
tés par l’administration et n’est notamment jamais
propriétaire de son emploi, l’administration pou-
vant décider de l’affecter à d’autres fonctions pour
les besoins du service. C’est à la lumière de ce prin-
cipe, dit de la « double carrière » des fonctionnaires,
que certains articles du statut général des fonction-
naires, sibyllins pour le non initié, prennent tout
leur sens : « Le grade est distinct de l’emploi. Le
grade est le titre qui confère à son titulaire vocation
à occuper l’un des emplois qui lui correspondent.
(...) En cas de suppression d’emploi, le fonctionnaire
est affecté dans un nouvel emploi dans les condi-
tions prévues par les dispositions statutaires régis-
sant la fonction publique à laquelle il appartient ».
Autrement dit, les fonctionnaires ont droit à une
carrière, que leur garantit leur statut, mais les
emplois précis qu’ils occupent relèvent de la seule
décision de l’administration. On comprend d’ail-
leurs au passage qu’il est tout à fait impropre de
parler de « sécurité de l’emploi » pour les fonction-
naires ; pour être juste, il faudrait parler de « garan-
tie de carrière ».
Dans ce contexte, revenons sur les caractéristi-
ques fondamentales de la carrière des fonctionnaires,
pour mieux mettre au jour les évolutions profondes
qui me semblent à l’œuvre.

259
Fonction publique

B. Constats
De très nombreuses règles ont été progressive-
ment fixées pour encadrer la carrière et le temps de
travail des fonctionnaires aussi bien que pour assu-
rer leur employabilité tout au long de leur vie pro-
fessionnelle.

1. La carrière des fonctionnaires est garantie


et encadrée dans toutes ses dimensions
Placé dans un corps ou un cadre d’emplois à l’is-
sue de sa titularisation après concours, le fonction-
naire voit sa carrière encadrée par des textes précis.
Le statut général pose ainsi que « les corps et cadres
d’emplois de fonctionnaires sont régis par les statuts
particuliers à caractère national », qui déterminent
les conditions de recrutement, d’avancement, de
mobilité, de promotion... de leurs membres.
Les fonctionnaires ont d’abord des garanties de
carrière et de promotion. L’avancement du fonction-
naire au sein de son grade est quasi automatique,
grâce à des avancements d’échelon périodiques (qui
se traduisent par une augmentation de traitement).
Cet avancement se trouve parfois accéléré par des
« réductions d’ancienneté » (par rapport à l’ancien-
neté moyenne exigée), qui peuvent être accordées en
fonction de la manière de servir. En toute rigueur, il
pourrait aussi être retardé par des « majorations
d’ancienneté » que les textes prévoient mais que
les administrations n’appliquent jamais. Le fonc-
tionnaire peut également être promu à des grades

260
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

supérieurs, à la faveur de deux types de promotion


interne : l’avancement « au choix » consiste pour
l’administration à inscrire par ordre de mérite, sur
un tableau d’avancement, les fonctionnaires qu’elle
entend promouvoir, tableau qui est soumis pour
avis à la commission administrative paritaire ;
l’avancement peut aussi s’opérer par la voie de
concours professionnels, impliquant des épreuves
formelles et la constitution d’un jury, ouverts aux
seuls agents du grade inférieur. Enfin, le fonction-
naire peut accéder à des corps ou cadres d’emplois
supérieurs au sien, grâce à des procédures de sélec-
tion au choix ou des concours internes. En effet,
chaque corps ou cadre d’emplois ouvre une voie de
recrutement spécifique aux fonctionnaires apparte-
nant à des niveaux inférieurs, sous la seule réserve
de satisfaire à des conditions d’ancienneté de service
minimale. Ces concours, plus ou moins sélectifs
selon les filières mais entourés des garanties propres
aux concours de la fonction publique, permettent
ainsi aux fonctionnaires de passer d’une catégorie à
l’autre (C à B ou B à A) et donc d’avoir des perspec-
tives réelles de progression dans leur carrière.
Les fonctionnaires jouissent également d’une
pluralité de positions statutaires leur permettant
d’être mobiles aussi bien au sein de la fonction
publique qu’en dehors. Pour ne citer que les plus
courantes : si le fonctionnaire exerce effectivement
des fonctions correspondant à son grade d’apparte-
nance dans une administration, il est réputé en
« position d’activité » ; il peut aussi être « mis à dis-
position », c’est-à-dire qu’il demeure dans son corps

261
Fonction publique

d’origine et continue à percevoir la rémunération


correspondante tout en effectuant son service dans
un autre organisme, à la condition que cet orga-
nisme d’accueil ait un lien direct avec l’intérêt
général (administration de l’État, établissement
public administratif de l’État, organisation interna-
tionale, intergouvernementale, organisme d’intérêt
général public ou privé, organisation à caractère
associatif qui assure une mission d’intérêt général) ;
le fonctionnaire peut encore être « détaché » dans
un autre corps, ce qui consiste pour lui à être placé
hors de son corps d’origine et être rémunéré par son
administration d’accueil tout en continuant à béné-
ficier dans son corps d’origine de ses droits à avan-
cement et retraite ; le fonctionnaire peut enfin être
mis « en disponibilité », dans la limite d’une
période cumulée de dix ans, pour exercer des fonc-
tions dans le secteur privé.
Enfin, le statut général des fonctionnaires pose
des principes quasi-contractuels entourant la car-
rière des fonctionnaires en exercice. Ils bénéficient
d’abord d’un droit à rémunération. Pour reprendre
les termes du statut général, « les fonctionnaires ont
droit, après service fait, à une rémunération com-
prenant le traitement, l’indemnité de résidence, le
supplément familial de traitement ainsi que les
indemnités instituées par un texte législatif ou
réglementaire. Les indemnités peuvent tenir
compte des fonctions et des résultats professionnels
des agents ainsi que de la performance collective des
services. S’y ajoutent les prestations familiales obli-
gatoires. Le montant du traitement est fixé en

262
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

fonction du grade de l’agent et de l’échelon auquel


il est parvenu, ou de l’emploi auquel il a été
nommé ». Nous reviendrons en détail, dans un pro-
chain chapitre, sur ce droit à rémunération. Les
fonctionnaires bénéficient également d’une protec-
tion fonctionnelle : « les fonctionnaires bénéficient,
à l’occasion de leurs fonctions et conformément aux
règles fixées par le Code pénal et les lois spéciales,
d’une protection organisée par la collectivité
publique qui les emploie à la date des faits en
cause ou des faits ayant été imputés de façon diffa-
matoire au fonctionnaire. Lorsqu’un fonctionnaire a
été poursuivi par un tiers pour faute de service et
que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la col-
lectivité publique doit, dans la mesure où une faute
personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions
n’est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir
des condamnations civiles prononcées contre lui ».
Les textes ajoutent que « la collectivité publique
est tenue de protéger les fonctionnaires contre les
menaces, violences, voies de fait, injures, diffama-
tions ou outrages dont ils pourraient être victimes
à l’occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas
échéant, le préjudice qui en est résulté », de même
qu’elle est « tenue d’accorder sa protection au fonc-
tionnaire ou à l’ancien fonctionnaire dans le cas où
il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de
faits qui n’ont pas le caractère d’une faute person-
nelle ». En outre, les fonctionnaires ont un droit à
la retraite spécifique et « sont affiliés à des régimes
spéciaux de retraite ». Historiquement, on l’a vu, ils
ont été les premiers à en bénéficier. Un prochain
chapitre reviendra aussi en détail sur la retraite des

263
Fonction publique

fonctionnaires. À noter enfin que les fonctionnaires


jouissent désormais du « droit de grève dans le
cadre des lois qui le réglementent ». Comme rap-
pelé plus haut, cette formule, héritée du préambule
de la Constitution de 1946, n’était pas reproduite
pour les fonctionnaires dans le statut général de
1946, témoignant des débats nourris qui ont
entouré ce droit, au début du XXe siècle notam-
ment, et de l’ambiguïté qui a persisté jusqu’en
1950. Il a fallu le célèbre arrêt Dehaene du Conseil
d’État, en 1950, pour lever toute équivoque et le
titre Ier du statut général des fonctionnaires, en
1983, a législativement consacré ce droit en repre-
nant la formule. Même si rappelons-le la loi a main-
tenu une limitation du droit de grève pour certaines
catégories de personnel (police, pénitentiaire, corps
préfectoral, services de la navigation...).

2. Leur temps de travail fait l’objet


d’un encadrement tout aussi sophistiqué,
depuis la mise en place des 35 heures
en particulier
Aux termes du décret du 25 août 2000 relatif à
l’aménagement et à la réduction du temps de travail
dans la fonction publique, « la durée du travail
effectif est fixée à 35 heures par semaine ». Pour
reprendre la définition qui figure dans le même
texte, « la durée du travail effectif s’entend comme
le temps pendant lequel les agents sont à la dispo-
sition de leur employeur et doivent se conformer à
ses directives sans pouvoir vaquer librement à des
occupations personnelles ». Le décompte du temps

264
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

de travail est réalisé sur la base d’une durée annuelle


de travail effectif de 1 607 heures, heures supplé-
mentaires non comprises. Cette durée annuelle
peut être réduite, par arrêté, pris après avis du
comité technique ministériel, et le cas échéant du
comité d’hygiène et de sécurité, pour tenir compte
des sujétions liées à la nature de certaines missions
(notamment en cas de travail de nuit, de travail le
dimanche, de travail en horaires décalés, de travail
en équipes, de modulation importante du cycle de
travail, ou de travaux pénibles ou dangereux).
Des garanties minimales sont posées en paral-
lèle : « la durée hebdomadaire du travail effectif,
heures supplémentaires comprises, ne peut excéder
ni quarante-huit heures au cours d’une même
semaine, ni quarante-quatre heures en moyenne
sur une période quelconque de douze semaines
consécutives et le repos hebdomadaire, comprenant
en principe le dimanche, ne peut être inférieur à
trente-cinq heures » ; « la durée quotidienne du tra-
vail ne peut excéder dix heures » ; « les agents béné-
ficient d’un repos minimum quotidien de onze heu-
res » ; « l’amplitude maximale de la journée de
travail est fixée à douze heures » ; « aucun temps
de travail quotidien ne peut atteindre six heures
sans que les agents bénéficient d’un temps de
pause d’une durée minimale de vingt minutes ». Il
ne peut être dérogé à ces règles minimales que dans
deux cas : lorsque l’objet même du service public en
cause l’exige en permanence ; lorsque des circons-
tances exceptionnelles le justifient et pour une
période limitée. Des périodes dites « d’astreinte »

265
Fonction publique

peuvent également être établies, périodes pendant


lesquelles l’agent, sans être à la disposition perma-
nente et immédiate de son employeur, a l’obliga-
tion de demeurer à son domicile ou à proximité
afin d’être en mesure d’intervenir, pour effectuer
un travail au service de l’administration. Les textes
ménagent aussi la possibilité de travailler selon un
horaire variable, qui « peut être organisé, sous
réserve des nécessités du service, après consultation
du comité technique ». L’organisation des horaires
variables doit être déterminée « en tenant compte
des missions spécifiques des services ainsi que des
heures d’affluence du public et comprendre soit
une vacation minimale de travail ne pouvant être
inférieure à quatre heures par jour, soit des plages
fixes d’une durée au minimum équivalente, au
cours desquelles la présence de la totalité du person-
nel est obligatoire, et des plages mobiles, à l’inté-
rieur desquelles l’agent choisit quotidiennement
ses heures d’arrivée et de départ ». Enfin, le régime
de travail des cadres fait l’objet de dispositions spé-
cifiques : leur temps de travail est en général géré
« au forfait », sans décompte précis des heures pas-
sées au bureau. Les fonctionnaires peuvent aussi
accéder à des régimes de travail à temps partiel : le
temps partiel sur autorisation, qui est négocié entre
l’agent et le chef de service ou l’autorité territoriale
ayant pouvoir de nomination, et le temps partiel
qui est de droit lors de la survenance de certains
événements familiaux (naissance, maladie d’un
conjoint, enfant...) ou lorsque le fonctionnaire est
atteint d’un handicap.

266
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

Toutes ces règles ne sont évidemment pas exclu-


sives de la possibilité de réaliser des heures supplé-
mentaires, dont le volume est néanmoins dans la
plupart des cas contingenté. La valorisation du
temps de travail supplémentaire prend, dans la
fonction publique, deux principales formes : le ver-
sement d’indemnités (il s’agit essentiellement des
indemnités horaire pour travaux supplémentaires
(IHTS) des catégories C et B, communes aux trois
fonctions publiques et de régimes indemnitaires ad
hoc, pour des publics ou métiers spécifiques comme
les enseignants) ; l’accumulation sur un compte
épargne-temps de jours de congés non consommés.
Le principe du compte épargne-temps (CET) per-
met aux agents publics de capitaliser des jours de
congés non consommés pour les solder ultérieu-
rement.

3. Parallèlement, l’État employeur est tenu


de veiller à l’« employabilité »
des fonctionnaires
Il doit d’abord veiller à leurs conditions de tra-
vail. Le statut général des fonctionnaires prévoit
ainsi que « des conditions d’hygiène et de sécurité
de nature à préserver leur santé et leur intégrité
physique sont assurées aux fonctionnaires durant
leur travail ». Les CHSCT évoqués dans un précé-
dent chapitre sont chargés de veiller au bon respect
de cette obligation. De même, il doit leur assurer
un droit à la formation professionnelle tout au
long de la vie, là aussi consacré par les textes :
« tout agent bénéficie chaque année, en fonction

267
Fonction publique

de son temps de travail, d’un droit individuel à la


formation qu’il peut invoquer auprès de toute
administration à laquelle il se trouve affecté ». Ce
droit est mis en œuvre à l’initiative de l’agent
mais en accord avec son administration et celle-ci
prend en charge les frais de formation. Si les actions
de formation suivies au titre du droit individuel à la
formation se tiennent en dehors du temps de tra-
vail, les agents perçoivent même une allocation de
formation. S’y ajoute un droit à la protection
sociale. Les fonctionnaires peuvent ainsi bénéficier
de congés de maladie, de congés pour accident de
service ou maladie contractée dans l’exercice des
fonctions, de congés de longue maladie, de congés
de longue durée, de congés de maternité, de congés
d’adoption, de congés de paternité, d’un capital
décès, d’un temps partiel thérapeutique. Et les col-
lectivités publiques aident les agents à bénéficier
d’une protection sociale complémentaire.
Autre action que les administrations mettent en
œuvre au bénéfice de leurs agents, actifs et retrai-
tés : des prestations d’action sociale, notamment
dans les domaines de la restauration, du logement,
de l’enfance et des loisirs. Pour ce qui est de la fonc-
tion publique de l’État par exemple, elles se décom-
posent en deux volets complémentaires : l’action
sociale interministérielle et l’action sociale ministé-
rielle. La première, harmonisée par le Comité inter-
ministériel consultatif d’action sociale (CIAS), s’at-
tache tout particulièrement à favoriser et faciliter
pour les agents la conciliation de leurs vies profes-
sionnelle et familiale. Le budget dédié à cette seule

268
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

politique interministérielle représente près de


150 millions d’euros chaque année.
Enfin, soulignons que le fonctionnaire bénéficie
de droits à congé autres que ceux liés à la protection
sociale. Les congés annuels, pour un an de service
accompli du 1er janvier au 31 décembre, représen-
tent cinq fois les obligations hebdomadaires de ser-
vice. Avec le passage aux 35 heures, des jours RTT
sont venus abonder ces 25 jours de congés annuels.
S’y ajoutent des possibilités de congés pour forma-
tion professionnelle, pour validation des acquis de
l’expérience, pour bilan de compétences ou encore
pour formation syndicale. Bien évidemment, ces
différents droits font l’objet d’un encadrement pro-
pre à chaque cas et conforme à la durée légale du
travail.

4. En contrepartie, la carrière
des fonctionnaires fait l’objet de contraintes
particulières
Puisque la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen impose à l’administration de rendre des
comptes et que le statut général consacre de ce fait
un principe hiérarchique fort, le fonctionnaire a
l’obligation de se soumettre à différentes contrain-
tes. La première est un exercice d’évaluation et/ou
de notation annuel. Les textes prévoient ainsi des
« notes et appréciations générales attribuées aux
fonctionnaires et exprimant leur valeur profession-
nelle ». La notation a en effet longtemps été au
cœur du dispositif de reconnaissance de la valeur

269
Fonction publique

professionnelle des fonctionnaires. Mais en 2001,


un rapport du Comité d’enquête sur le coût et le
rendement des services publics a démontré que
cette procédure ne permettait pas de mesurer objec-
tivement et précisément la valeur professionnelle
des agents. Depuis, deux étapes importantes ont
été franchies : un décret du 29 avril 2002 relatif
aux conditions générales d’évaluation, de notation
et d’avancement des fonctionnaires de l’État a
d’abord introduit l’entretien d’évaluation comme
complément indispensable à la procédure de nota-
tion pour l’appréciation de la valeur professionnelle
des fonctionnaires ; à la faveur d’une deuxième
étape, afin d’aller au bout de la logique, la notation
a été supprimée et l’entretien élargi pour devenir un
véritable entretien professionnel, non limité à la
seule évaluation : l’objectif est de garantir aux fonc-
tionnaires le bénéfice d’un entretien avec leur supé-
rieur hiérarchique direct et de renforcer le lien entre
l’évaluation individuelle et les choix d’avancement,
de promotion et de modulation indemnitaire. L’en-
tretien professionnel est annuel et conduit par le
supérieur hiérarchique direct. Il porte sur un certain
nombre de thèmes tels que les résultats profession-
nels obtenus par l’agent, les objectifs à atteindre, sa
manière de servir, les acquis de l’expérience profes-
sionnelle, ses besoins de formation et ses perspecti-
ves d’évolution professionnelle.
Corollaire de ce pouvoir d’appréciation, l’admi-
nistration jouit d’un pouvoir d’affectation et de
mutation, qui est au cœur de la construction statu-
taire de la fonction publique. Le principe de

270
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

séparation du grade et de l’emploi donne en effet à


l’administration le pouvoir d’affecter les agents sur
les emplois de son choix en fonction des besoins du
service : pour reprendre les termes du statut général,
« l’autorité compétente procède aux mouvements
des fonctionnaires après avis des commissions admi-
nistratives paritaires ». Il est toutefois tenu compte
des souhaits des agents : « dans toute la mesure
compatible avec le bon fonctionnement du service,
les affectations prononcées doivent tenir compte des
demandes formulées par les intéressés et de leur
situation de famille. Priorité est donnée aux fonc-
tionnaires séparés de leur conjoint pour des raisons
professionnelles, (...) aux fonctionnaires handicapés
(...) et aux fonctionnaires qui exercent leurs fonc-
tions, pendant une durée et selon des modalités
fixées par décret en Conseil d’État, dans un quartier
urbain où se posent des problèmes sociaux et de
sécurité particulièrement difficiles. Priorité est éga-
lement donnée aux fonctionnaires placés en situa-
tion de réorientation professionnelle pour les
emplois correspondant à leur projet personnalisé
d’évolution professionnelle ».
L’activité des fonctionnaires est elle-même sou-
mise à diverses contraintes. Citons les obligations
de secret professionnel « dans le cadre défini par le
Code pénal » et de discrétion professionnelle « pour
tous les faits, informations ou documents dont ils ont
connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exer-
cice de leurs fonctions ». Mentionnons également la
restriction de leurs possibilités de cumul d’activités.
Le principe est posé que « les fonctionnaires et

271
Fonction publique

agents non titulaires de droit public consacrent l’in-


tégralité de leur activité professionnelle aux tâches
qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre
professionnel une activité privée lucrative de quelque
nature que ce soit ». L’interdiction porte plus spéci-
fiquement sur les activités privées suivantes : le fait
de donner des consultations, de procéder à des ex-
pertises et de plaider en justice dans les litiges in-
téressant toute personne publique ; la prise, par
eux-mêmes ou par personnes interposées, dans une
entreprise soumise au contrôle de l’administration à
laquelle ils appartiennent ou en relation avec cette
dernière, d’intérêts de nature à compromettre leur
indépendance... Néanmoins, les textes ménagent
des possibilités d’exercice à titre accessoire d’activités
lucratives : « les fonctionnaires et agents non titulai-
res de droit public peuvent toutefois être autorisés à
exercer, dans des conditions fixées par décret en
Conseil d’État, à titre accessoire, une activité, lucra-
tive ou non, auprès d’une personne ou d’un orga-
nisme public ou privé, dès lors que cette activité est
compatible avec les fonctions qui leur sont confiées
et n’affecte pas leur exercice ». L’exception est parti-
culièrement large dans le cas d’une création ou
reprise d’entreprise. À noter aussi que la « produc-
tion des œuvres de l’esprit » s’exerce librement,
dans le respect des dispositions relatives au droit
d’auteur des agents publics et sous réserve des dispo-
sitions relatives au secret et à la discrétion profes-
sionnels.
Enfin, et par voie de conséquence, l’administra-
tion jouit d’un pouvoir disciplinaire : « toute faute

272
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à


l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à
une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas
échéant, des peines prévues par la loi pénale ». Il
précise qu’« en cas de faute grave commise par un
fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses
obligations professionnelles ou d’une infraction de
droit commun, l’auteur de cette faute peut être sus-
pendu par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire qui
saisit, sans délai, le conseil de discipline. Le fonc-
tionnaire suspendu conserve son traitement, l’in-
demnité de résidence, le supplément familial de
traitement et les prestations familiales obligatoires.
Sa situation doit être définitivement réglée dans le
délai de quatre mois. Si, à l’expiration de ce délai,
aucune décision n’a été prise par l’autorité ayant
pouvoir disciplinaire, l’intéressé, sauf s’il est l’objet
de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonc-
tions ». Les sanctions disciplinaires font l’objet
d’une gradation, en quatre groupes : l’avertissement
et le blâme (1er groupe) ; la radiation du tableau
d’avancement, l’abaissement d’échelon, l’exclusion
temporaire de fonctions pour une durée maximale
de quinze jours, le déplacement d’office
(2e groupe) ; la rétrogradation et l’exclusion tempo-
raire de fonctions pour une durée de trois mois à
deux ans (3e groupe) ; la mise à la retraite d’office
et la révocation (4e groupe).

273
Fonction publique

C. Réflexions
Ce rapide tour d’horizon des garanties et obliga-
tions entourant la carrière des fonctionnaires
démontre que le statut général des fonctionnaires
s’efforce de dessiner un équilibre entre des droits
et des devoirs. Ce qui frappe toutefois immédiate-
ment, et ce n’est pas qu’optique, c’est que le statut
est au final indéniablement plus disert sur les
garanties que sur les obligations. À cet égard, j’es-
time que la gestion des carrières dans la fonction
publique est en train de subir une profonde trans-
formation, progressive mais certaine. Car dans le sil-
lage du statut général de 1946 et jusqu’à l’aube
d’une XXIe siècle, on peut considérer, pour repren-
dre la distinction faite au début de ce chapitre,
que les efforts ont avant tout porté sur le volet statu-
taire de la carrière du fonctionnaire, en vue de la
garantir et de l’encadrer dans toutes ses dimensions.
Au prix d’ailleurs d’une sophistication sans cesse
croissante : le Conseil d’État, dans son rapport
public de 2003 ayant fait date, estimait à plus de
1 000 le nombre de corps et statuts d’emplois au
sein de la fonction publique de l’État. Au cours
des dernières années, l’accent a au contraire été
mis, de manière grandissante, sur la dimension
fonctionnelle de la carrière des fonctionnaires, à la
faveur de nouveaux outils visant à professionnaliser
les pratiques et à individualiser la gestion des par-
cours. On peut aisément en faire la démonstration à
partir des évolutions qu’ont connues tous les grands
actes de gestion : affecter, évaluer, promouvoir,
accompagner. Même s’il reste beaucoup à faire

274
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

dans certains domaines, comme l’assouplissement


du temps de travail ou la gestion des secondes car-
rières.

1. Affecter
Le principe hiérarchique qui gouverne la fonc-
tion publique se traduit principalement par le pou-
voir d’affectation et de mutation dont dispose l’ad-
ministration. Cependant, si le principe a été
explicitement posé dès 1946, la complexité statu-
taire croissante s’est révélée une entrave indéniable
à ce pouvoir d’affectation. En effet, la multiplica-
tion des corps et des statuts particuliers a engoncé
la mobilité des fonctionnaires dans un maquis de
contraintes. Un seul exemple parmi mille : le déta-
chement d’un fonctionnaire depuis son corps d’ori-
gine vers un autre corps de niveau comparable
n’était possible, avant 2009, qu’à la condition que
le statut particulier du corps d’accueil, régi par un
décret propre, prévoie bien cette faculté. Or, une
ouverture large était loin d’être la règle universelle.
Nulle surprise à constater que depuis des décennies
la mobilité des fonctionnaires est structurellement
peu développée : en 2009, seuls 5 % des fonction-
naires exerçaient leur métier hors de leur corps ou
cadre d’emplois d’origine. Quelques expériences
dans diverses administrations suffisent d’ailleurs à
en faire le constat : il n’est pas rare que certains
agents restent sur le même poste plus de 20 voire
30 ans.

275
Fonction publique

Pour redonner à l’administration un pouvoir


d’affectation plein et entier, les efforts récents ont
donc convergé autour de plusieurs objectifs.
En premier lieu, le grand enjeu a été et reste de
simplifier l’architecture statutaire générale, en
diminuant substantiellement le nombre de corps
de la fonction publique de l’État. Nous avons sou-
ligné les enjeux de cette simplification dans un pré-
cédent chapitre. En effet, plus les espaces statutaires
sont larges, plus les membres d’un même corps ont
un accès facile à une pluralité de fonctions différen-
tes et peuvent donc être mobiles. Dans cette pers-
pective, des simplifications radicales sont régulière-
ment envisagées : il s’agirait notamment de basculer
d’un système à plusieurs centaines de corps vers un
ensemble d’une cinquantaine de grands cadres sta-
tutaires, organisés selon des filières professionnelles.
Cette idée, lancée, on l’a vu, dans le cadre du rap-
port public 2003 du Conseil d’État et reprise par le
Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique en
2008, pourrait trouver un nouvel écho dans le cadre
d’une mission de réflexion que l’actuel gouverne-
ment vient de lancer. Mais à ce stade, ces solutions
se sont avérées délicates à mettre en œuvre tant sur
un plan technique que budgétaire (en raison des
coûts de reclassement immédiats). C’est donc une
politique, plus incrémentale mais résolue, de
fusions de corps qui a été privilégiée depuis 2005 :
le nouveau programme de fusions lancé en 2010 est
en cours de déploiement et devrait permettre de
passer sous la barre des 300 corps d’ici 2015 (à com-
parer au millier de corps recensés en 2003).

276
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

En second lieu, l’administration s’est attachée à


développer de nouveaux outils en faveur de la mobi-
lité des agents. La loi relative à la mobilité et aux
parcours professionnels des fonctionnaires, votée en
2009 et complétée de plusieurs textes réglementai-
res, a procédé du constat que les mouvements sont
souvent freinés par toute une série de verrous statu-
taires, indemnitaires, voire culturels. Un ensemble
de règles nouvelles a donc été posé. Citons les prin-
cipales : création d’un droit au départ pour les
agents, suppression des obstacles juridiques au déta-
chement et à l’intégration entre corps et cadres
d’emplois de niveau comparable, création d’un
droit à l’intégration au delà d’une période de cinq
ans de détachement, création d’une possibilité d’in-
tégration directe, création d’une indemnité spéci-
fique d’accompagnement à la mobilité pour les
fonctionnaires de l’État, création d’une prime de
restructuration de service et d’une allocation d’aide
à la mobilité du conjoint, création d’une indemnité
temporaire de mobilité... Parmi ces mesures, l’une
d’entre elles, pourtant particulièrement puissante,
est presque passée inaperçue : l’élargissement des
possibilités de « position normale d’activité » pour
les fonctionnaires de l’État. Un décret du 18 avril
2008 a en effet généralisé la possibilité pour un
fonctionnaire d’exercer les fonctions afférentes à
son grade dans un autre département ministériel
ou établissement public de l’État que celui qui
assure la gestion de son corps. Concrètement, un
fonctionnaire appartenant à un corps d’administra-
tion centrale pourra désormais travailler dans tous
les services déconcentrés et établissements publics

277
Fonction publique

de l’État sans devoir au préalable se soumettre à une


procédure de changement de corps. C’est une belle
manière de gommer une grande partie des frontières
entre les corps et cadres d’emplois de niveau compa-
rable !
Tout aussi spectaculaire est la création de passe-
relles de plus en plus nombreuses entre secteurs
public et privé. On ne dit pas assez aujourd’hui
combien la palette de solutions permettant à un
salarié de travailler dans l’administration ou à un
fonctionnaire de travailler dans le secteur privé est
large. Le premier, outre le fait qu’il peut intégrer la
fonction publique à la faveur de concours réservés
(dits « 3e concours ») ou de tours extérieurs dans
les corps de l’encadrement supérieur, peut faire
une expérience dans l’administration à la faveur
d’un contrat de droit public (cf. chapitre précédent
sur ce thème). La loi du 2 février 2007 a même
prévu la possibilité de mises à disposition de per-
sonnel de droit privé en CDI pour des fonctions
qui nécessitent des qualifications techniques spécia-
lisées. Ces mises à dispositions remboursables sont
d’une durée de trois ans renouvelable mais peuvent
aussi être conclues pour la durée d’un projet ou
d’une mission (sans pouvoir alors dépasser quatre
ans). Réciproquement, un fonctionnaire peut assez
facilement rejoindre le privé. La solution la plus
simple et la plus courante est celle de la « mise en
disponibilité pour convenances personnelles »,
accordée par période de trois ans. Pendant dix ans
au cours de sa carrière, un fonctionnaire peut ainsi
aller travailler dans le privé, selon les règles du

278
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

Code du travail. Il lui est également possible d’être


placé en position « hors cadre », pour une durée de
cinq ans renouvelable, pour aller travailler dans une
entreprise publique ou un organisme international.
Depuis la loi du 2 février 2007, un fonctionnaire
peut en outre être mis à disposition d’une entreprise
de droit privé contribuant à la mise en œuvre d’une
politique publique pour les missions de service
public confiées à ces entreprises. Ces mises à dispo-
sition remboursables sont soumises au contrôle
d’une commission de déontologie et sont pronon-
cées pour des périodes renouvelables de trois ans.
Le fonctionnaire peut encore être détaché auprès
d’une entreprise ou d’un organisme privé d’intérêt
général ou de caractère associatif assurant des mis-
sions d’intérêt général ou pour exécuter des travaux
de recherche et d’intérêt national ou assurer le déve-
loppement de telle recherche. S’y ajoutent des pos-
sibilités de cumul avec une activité privée, soit à
titre partiel, soit pour créer ou reprendre une entre-
prise, soit par le régime de l’auto-entrepreneur.
Afin d’aider les fonctionnaires et les agents non
titulaires candidats à la création ou à la reprise
d’une entreprise, la durée du cumul pour création
ou reprise d’entreprise créé par la loi de modernisa-
tion de la fonction publique du 2 février 2007 a
d’ailleurs été augmentée d’un an (ainsi portée à
trois ans). Enfin, une indemnité de départ volon-
taire a été créée en 2008 pour faciliter les reconver-
sions dans le secteur privé.
Les différents éléments de cette « boîte à outils
mobilité » (au sein de la fonction publique et entre

279
Fonction publique

le public et le privé) ont certes connu des fortunes


diverses mais il est indéniable que la palette dont
dispose l’administration pour mieux affecter les res-
sources humaines en fonction de ses besoins a été
notablement élargie au cours des dernières années,
redonnant ainsi de la substance aux prérogatives
fonctionnelles de l’administration face aux garanties
statutaires des agents. C’est d’autant plus indispen-
sable que les facteurs d’immobilisme restent puis-
sants dans la période actuelle : tarissement des flux
de recrutement au niveau global (sauf depuis 2012
dans quelques secteurs), cloisonnement persistant
entre les trois versants de la fonction publique ou
encore disparités en termes de primes.

2. Évaluer
Au cœur de ce « nouveau management », l’éva-
luation des fonctionnaires, en tant qu’appréciation
individualisée de la manière de servir, a également
progressé. Jusqu’à une date récente, la reconnais-
sance de la valeur professionnelle des fonctionnaires
était quasi exclusivement fondée, on l’a vu, sur un
dispositif de notation. Instituée par l’ordonnance du
4 février 1959, reprise par le statut général de
1983, la notation consistait en l’attribution par le
chef de service à ses agents d’une note chiffrée,
dont la variation annuelle ouvrait droit à l’attribu-
tion de réductions d’ancienneté. L’enjeu de la cam-
pagne d’évaluation annuelle pour un chef de service
a rapidement fini par se limiter à la manière dont il
répartissait la progression des notes entre les agents
sous son autorité : ceux qui bénéficiaient de la plus

280
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

forte augmentation bénéficiaient aussi des plus


importantes réductions d’ancienneté et donc d’un
avancement automatique plus rapide. Le système
confinait à l’absurde : les notes focalisaient toute
l’attention, ne reflétaient plus guère la manière de
servir des fonctionnaires et ne diminuaient jamais,
au point qu’elles pouvaient rapidement atteindre,
voire dépasser le plafond de 20. Dans le prolonge-
ment d’un état des lieux réalisé, en juillet 2001,
puis de nouvelles conclusions rendues en
février 2007, une expérimentation introduite en
2007 a été réalisée dans plusieurs départements
ministériels et a abouti en 2013 à la suppression
pure et simple de la notation au profit d’un entre-
tien professionnel dans tous les ministères.
Cette évolution peut paraître anecdotique, elle
ne l’est pas : l’entretien professionnel, détaché de
l’exercice scolaire de la notation, est un cadre
modernisé d’évaluation et de dialogue entre l’agent
et son supérieur hiérarchique et il contribue à un
suivi plus régulier et plus personnalisé des agents.
Un décret du 28 juillet 2010 est venu en détailler
les caractéristiques pour les personnels de l’État. Sur
la forme, il dispose que « le fonctionnaire bénéficie
chaque année d’un entretien professionnel qui
donne lieu à compte rendu. Cet entretien est
conduit par le supérieur hiérarchique direct. La
date de cet entretien est fixée par le supérieur hié-
rarchique direct et communiquée au fonctionnaire
au moins huit jours à l’avance ». Sur le fond, il pré-
voit que « l’entretien professionnel porte principale-
ment sur :

281
Fonction publique

1º Les résultats professionnels obtenus par le


fonctionnaire eu égard aux objectifs qui lui ont été
assignés et aux conditions d’organisation et de fonc-
tionnement du service dont il relève ;
2º Les objectifs assignés au fonctionnaire pour
l’année à venir et les perspectives d’amélioration de
ses résultats professionnels, compte tenu, le cas
échéant, des perspectives d’évolution des conditions
d’organisation et de fonctionnement du service ;
3º La manière de servir du fonctionnaire ;
4º Les acquis de son expérience professionnelle ;
5º Le cas échéant, la manière dont il exerce les
fonctions d’encadrement qui lui ont été confiées ;
6º Les besoins de formation du fonctionnaire eu
égard, notamment, aux missions qui lui sont impar-
ties, aux compétences qu’il doit acquérir et à son
projet professionnel ;
7º Ses perspectives d’évolution professionnelle en
termes de carrière et de mobilité ».
Il faudra certes beaucoup de temps pour que cet
acte essentiel de management soit généralisé et vécu
comme la pierre angulaire de la gestion des ressour-
ces humaines dans l’administration, ne serait-ce
qu’en raison de l’ampleur du champ à couvrir.
Sans doute beaucoup d’efforts de formation aussi
afin que tous les agents, et en premier lieu les supé-
rieurs hiérarchiques qui ont à les conduire, soient
bien armés pour réaliser ces entretiens. L’impor-
tance attachée désormais à cet exercice n’en est pas

282
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

moins un indéniable progrès pour sortir d’une


logique de reconnaissance de la valeur profession-
nelle souvent caricaturale et artificielle, qui pouvait
ne reposer sur aucun entretien annuel. Or, dans la
fonction publique comme dans toute organisation,
il ne saurait y avoir de management éclairé sans
une évaluation efficace et régulière des fonction-
naires.

3. Promouvoir
Comme évoqué plus haut, il existe trois types de
« promotion » pour un fonctionnaire : l’avancement
d’échelon, l’avancement de grade et la promotion
dans un corps de niveau supérieur. Les années
récentes ont indéniablement permis à l’administra-
tion d’avoir une meilleure maîtrise des deux der-
niers leviers. À l’inverse, il n’a quasiment aucune
maîtrise du premier. L’avancement d’échelon per-
met en effet à un agent d’obtenir une amélioration
progressive de ses indices de rémunération. Or,
depuis la création des grilles indiciaires, cet avance-
ment est totalement automatique. Le statut général
des fonctionnaires appellerait pourtant lui-même à
plus de différenciation puisqu’il prévoit, dans le
cas des fonctionnaires de l’État, que si « l’avance-
ment d’échelon a lieu de façon continue d’un éche-
lon à l’échelon immédiatement supérieur », il est
« fonction à la fois de l’ancienneté et de la valeur
professionnelle des fonctionnaires ». Mais dans les
faits, si l’appréciation de la valeur professionnelle
est effectivement prise en compte dans certaines
administrations pour réduire l’ancienneté requise

283
Fonction publique

et donc accélérer les carrières, elle n’est jamais prise


en compte pour l’opération inverse : freiner voire
geler l’avancement d’échelon d’un fonctionnaire
dont la manière de servir serait insatisfaisante. Les
pratiques n’ont pas évolué en la matière, les fédéra-
tions des fonctionnaires restant très soucieuses de
conserver une automaticité qu’elles jugent consubs-
tantielle aux garanties statutaires. Il n’est pas cer-
tain, au regard des contraintes sur la masse salariale
de l’État évoquées plus haut, que les gouvernements
puissent faire encore longtemps l’économie d’une
appréciation plus sélective des avancements d’éche-
lon. D’autant que la question se pose légitime-
ment : peut-on justifier qu’un agent voit sa carrière
progresser et sa rémunération indiciaire augmenter
indépendamment de toute considération sur sa
manière de servir ?
L’avancement de grade, qui permet à un agent
de passer au grade supérieur de son corps, soit par
une procédure au choix, soit via une sélection pro-
fessionnelle, a davantage évolué. Outre le fait que
depuis 2005, un mécanisme de contingentement
du nombre d’agents promus (dit taux « pro-pro »)
oblige à être plus sélectif parmi les agents « pro-
mouvables », les processus de sélection profession-
nelle prennent une place croissante par rapport aux
avancements au choix et les avancements au choix
eux-mêmes se font de moins en moins exclusive-
ment à l’ancienneté. Par ailleurs, s’agissant des
cadres, l’avancement de grade peut désormais
« être subordonné à l’occupation préalable de cer-
tains emplois ou à l’exercice préalable de certaines

284
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

fonctions correspondant à un niveau particulière-


ment élevé de responsabilité ». Cette formule intro-
duite par la loi en 2010 permet de créer des « gra-
des à accès fonctionnel » (GRAF) : la promotion en
leur sein est non seulement contingentée mais
dépendante du parcours professionnel antérieur :
seuls peuvent y accéder les agents ayant occupé
une série d’emplois bien identifiés. Le GRAF créé
en 2012 pour le corps des administrateurs civils
est une première concrétisation de cette possibilité
nouvelle, qui doit trouver un prolongement en
2013 avec celui des attachés. Dans la même pers-
pective, la promotion d’un corps à l’autre gagne
aussi en professionnalisation. Comme il a été
évoqué, les concours internes ont été la cible privi-
légiée du toilettage du contenu des concours admi-
nistratifs et du développement de la « reconnais-
sance des acquis de l’expérience professionnelle »
(RAEP). Des épreuves fondées sur ce principe per-
mettent de répondre à la critique selon laquelle ne
peuvent être promus par concours internes que les
agents qui ont le temps de les préparer : avec une
épreuve de reconnaissance des acquis de l’expérience
professionnelle, l’idée est au contraire de valoriser
ceux qui s’investissent réellement dans leurs fonc-
tions.
Bien évidemment, les logiques d’ancienneté res-
tent encore très prégnantes, notamment lors des
commissions administratives paritaires associant les
gros employeurs publics et les représentants du per-
sonnel. Mais il est là aussi indéniable que la promo-
tion devient progressivement un véritable outil

285
Fonction publique

managérial dans la fonction publique. Le défi est


bien celui d’une plus grande sélectivité et d’une
moindre automaticité, questions qui sont au cœur
même des enjeux entourant la fonction publique :
l’égalité consiste-t-elle à traiter chacun de la même
manière ou bien chacun au regard de ses mérites
propres ? À mon sens, plus la fonction publique
évoluera vers la deuxième hypothèse, plus elle sera
conforme à ses valeurs fondatrices. Car rien n’est
plus démobilisateur pour les agents publics que de
constater qu’ils sont récompensés de façon exacte-
ment identique quel que soit leur degré d’investis-
sement.

4. Assouplir le temps de travail


L’encadrement qu’imposent les textes sur les
cycles de travail des fonctionnaires est compréhen-
sible dans un secteur traditionnellement marqué
par le souci d’un traitement aussi égalitaire que pos-
sible de ses agents. Il n’en demeure pas moins que
le système actuel, fortement impacté par le passage
aux 35 heures, peut susciter des critiques de plu-
sieurs ordres.
En premier lieu, le système est trop rigide pour
bien s’adapter à la multiplicité des situations. Pour-
quoi faudrait-il considérer que la même durée
(1 607 heures annuelles) et les mêmes garanties
minimales doivent s’appliquer à l’identique dans
un ministère, un hôpital et une collectivité ? Certes,
les textes ménagent des cas où il peut y être dérogé
(exigences du service public considéré, circonstances
exceptionnelles) mais la procédure est très lourde

286
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

et socialement complexe à mettre en œuvre : un


décret en Conseil d’État, pris après avis du comité
d’hygiène et de sécurité le cas échéant, du comité
technique ministériel et du Conseil supérieur de la
fonction publique est nécessaire pour déterminer les
contreparties accordées aux catégories d’agents
concernés. Or, on constate aisément, lorsqu’on ana-
lyse la consommation d’heures supplémentaires,
que chaque secteur obéit à des logiques propres et
doit disposer de marges de manœuvre pour adapter
ses cycles de travail. Il est connu que les fonction-
naires hospitaliers sont de gros consommateurs
d’heures supplémentaires. Qui rappelle par ailleurs
que 90 % des heures supplémentaires réalisées dans
la fonction publique de l’État le sont par les ensei-
gnants ? Dans le même esprit, le régime des cadres
est apparu très rapidement comme devant faire
figure d’exception, ce qui explique que le décret
du 25 août 2000 lui fasse un sort particulier : « le
régime de travail de personnels chargés soit de fonc-
tions d’encadrement, soit de fonctions de concep-
tion lorsqu’ils bénéficient d’une large autonomie
dans l’organisation de leur travail ou sont soumis à
de fréquents déplacements de longue durée peut, le
cas échéant, faire l’objet de dispositions spécifiques
adaptées à la nature et à l’organisation du service
ainsi qu’au contenu des missions de ces personnels.
Ces dispositions sont adoptées par arrêté du minis-
tre intéressé, du ministre chargé de la Fonction
publique et du ministre chargé du Budget, pris
après avis du comité technique ministériel ».

287
Fonction publique

En deuxième lieu, le paradoxe veut que ce sys-


tème caractérisé par sa rigidité et son uniformité le
soit au final par sa sophistication : comme l’encadre-
ment réalisé par les textes s’adapte mal à la pluralité
des situations, il a fallu multiplier les exceptions,
notamment pour les personnels relevant de régimes
d’obligations réglementaires de service (les ensei-
gnants par exemple). Les astreintes et les comptes
épargne-temps sont deux témoignages de l’extra-
ordinaire usine à gaz qui a été créée au fil des ans.
Le décret du 25 août 2000 renvoie très largement la
définition des cas d’astreintes et leurs modalités de
compensation à des textes ministériels. C’est ce qui
explique que dans les faits, les régimes soient très
variables et compensés très diversement. La mise
en place récente des directions départementales
interministérielles, qui a été l’occasion de réunir
des agents relevant de régimes d’astreintes très
divers, a mis crûment au jour ces disparités et
oblige actuellement à un exercice de convergence
progressive. Les comptes épargne-temps (CET)
ont, eux, constitué une manière implicite de
contourner les 35 heures. Comme la continuité du
service, singulièrement dans les hôpitaux, impose
souvent une durée hebdomadaire du travail bien
supérieure, les agents ont souvent des difficultés à
consommer l’intégralité des droits à congé que les
RTT sont venues généreusement abonder. D’où
cette idée que chaque agent dispose d’un compte
sur lequel il peut déposer les jours non consommés.
Avec deux conséquences : la durée du travail est
devenue un espace temps que l’on fractionne à loisir
et que l’on épargne comme des pièces de monnaie ;

288
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

surtout, les 35 heures, déclinées en CET, ont généré


des bombes à retardement financières dans la fonc-
tion publique puisque les jours épargnés sont
autant de jours de congé en puissance et autant de
compensations financières à provisionner. En 2008,
soit avant que le dispositif ne fasse l’objet d’une
réforme en profondeur, on estimait à plus de
3,5 millions le nombre de jours épargnés sur des
comptes et l’encours financier à plusieurs milliards
d’euros. Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont
dû développer un encadrement des comptes
épargne temps beaucoup plus strict, destiné notam-
ment à limiter les conséquences potentielles de ces
jours accumulés : les jours ont été rendus monétisa-
bles mais à une valeur forfaitaire (125 euros bruts
pour un agent de catégorie A) et de manière étalée
dans le temps (l’administration ne procède à l’in-
demnisation effective des jours épargnés avant
2009 que dans la limite de quatre jours monétisés
par an, sur une période ne pouvant toutefois dépas-
ser quatre ans). Mais cela n’a pu se faire qu’au prix
d’un système complexe, consacré dans un décret du
28 août 2009 : le nombre de jours pouvant être
déposés sur un CET a été plafonné (60 jours) ; les
20 premiers jours déposés sur le CET sont conservés
pour être exclusivement utilisés sous forme de
congés ; au-delà de 20 jours, l’agent peut choisir
entre trois formules, qu’il peut combiner : soit
conserver ces jours excédentaires sur son compte
pour prendre des congés ultérieurement et à son
rythme, sous réserve de l’intérêt du service, soit
demander à bénéficier de l’indemnisation de tout
ou partie de ces jours (à des valeurs forfaitaires),

289
Fonction publique

soit décider d’améliorer sa future retraite et de pla-


cer les sommes correspondant à tout ou partie de ces
jours au sein du régime de retraite additionnelle de
la fonction publique (RAFP). Cet encadrement était
devenu incontournable. Mais l’ensemble ne brille
pas, au final, par sa simplicité...
Enfin, on peut légitimement se demander si l’ac-
tuel encadrement des régimes de travail dans la
fonction publique est véritablement adapté à l’ob-
jectif fondamental de continuité du service public.
Il est à ce titre notable que lors du passage aux
35 heures dans la fonction publique en 2000,
aucune réelle mesure n’ait été prise pour assurer le
respect de ce principe. On pouvait en effet intuiti-
vement penser qu’en diminuant la durée hebdoma-
daire du travail, les pouvoirs publics auraient pris,
en contrepartie, des mesures destinées à assurer que
cette diminution n’affecterait pas la continuité des
services publics. Or, il a fallu attendre 2008-2009
pour que soient consacrées trois mesures de bon
sens : permettre à l’administration de remplacer un
fonctionnaire momentanément absent par un agent
contractuel, ce que le statut général des fonction-
naires n’autorisait pas jusque-là dans la fonction
publique de l’État ; rendre possible le recours à l’in-
térim dans les trois versants de la fonction
publique, pour remplacer un agent momentané-
ment absent, pour pourvoir un emploi qui ne peut
être immédiatement pourvu ou pour faire face à un
accroissement temporaire de l’activité ; valoriser les
heures supplémentaires accomplies dans le secteur
public dans les mêmes conditions que le secteur

290
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

privé. Même si les mesures décidées en 2007-2008


(défiscalisation, majoration de 25 % de la rémuné-
ration des heures supplémentaires par rapport à la
rémunération des heures normales...) ont fait l’objet
d’une remise en cause avec l’alternance politique de
2012, il n’en reste pas moins que la valorisation des
heures supplémentaires me paraît constituer une
contrepartie indispensable à la continuité du service
public.
Cette gestion assouplie des régimes de travail,
qui reste encore largement à concrétiser, paraît
d’autant plus indispensable que l’administration
doit poursuivre sa mutation technologique.
Contrairement aux idées reçues, elle a déjà pris le
tournant numérique. Toute personne ayant un peu
d’ancienneté dans la fonction publique pourrait
témoigner de l’extraordinaire rapidité avec laquelle
les outils informatiques se sont diffusés au sein des
services. Un certain retard avait sans doute été pris.
La transformation n’en est que plus spectaculaire.
Dans ce contexte, à l’image des réflexions en cours
dans les entreprises, la fonction publique ne peut
esquiver la problématique du télétravail. Le télétra-
vail est indéniablement un outil d’avenir pour
moderniser encore l’administration en utilisant les
technologies de l’information et de la communica-
tion (TIC), pour mieux concilier vie professionnelle
et vie personnelle des agents et mieux satisfaire aux
exigences environnementales. Or, dans la fonction
publique, on estime qu’il ne concerne aujourd’hui
que 1 % des effectifs, alors qu’il en concernerait
7 % à l’échelle de l’ensemble de la population

291
Fonction publique

active. Sur la base d’un rapport du Conseil général


de l’industrie, de l’énergie et des technologies
(CGIET) remis en 2011, une phase d’expérimenta-
tion a été initiée, à partir de bonnes pratiques exis-
tant dans certains ministères. Il serait opportun
qu’un cadre souple soit prochainement établi afin
de fixer les principes généraux du télétravail et les
droits et obligations des télétravailleurs. La capacité
des supérieurs hiérarchiques à contrôler la réalité du
travail effectué est évidemment la condition préa-
lable à un tel développement.

5. Accompagner
La GRH dans l’administration, et la DGAFP en
a été le reflet, s’est longtemps cantonnée à gérer des
textes, des statuts, des procédures, des grilles au
détriment d’une gestion qualitative de la carrière
des personnels. Dans chaque ministère, ont fleuri
et grossi les bureaux, voire les sous-directions en
charge des « questions statutaires », démontrant
que le travail sur les textes était l’élément central.
En raison de la « double carrière » du fonctionnaire
décrite plus haut, cette dimension reste aujour-
d’hui, et devra évidemment rester, essentielle. Tou-
tefois, la dimension fonctionnelle, qualitative et
plus individualisée de la gestion des carrières tend
à progresser. Tout un ensemble d’outils s’est en
effet récemment développé à destination des
managers.
En premier lieu, les textes sont régulièrement
toilettés pour rapprocher en tant que de besoin les
agents et leurs autorités de gestion, à travers la

292
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

« déconcentration » des actes de gestion. Le statut


général des fonctionnaires ouvre en effet la faculté
de choisir le bon niveau de gestion des agents en
prévoyant que si « les corps et cadres d’emplois de
fonctionnaires sont régis par les statuts particuliers
à caractère national », « leur recrutement et leur
gestion peuvent être, selon le cas, déconcentrés ou
décentralisés ». Les circulaires visant à promouvoir
cette déconcentration abondent, au moins depuis
la circulaire du 23 février 1989 relative au renou-
veau du service public. Dans le sillage de la charte
de la déconcentration (décret du 1er juillet 1992),
un décret du 15 janvier 1997, toujours en vigueur,
a fixé le cadre applicable à la déconcentration des
décisions administratives individuelles. Ce n’est
plus le ministre mais bien le préfet qui est érigé
comme l’autorité de gestion de droit commun. Et
les pouvoirs publics réinvestissent régulièrement ce
champ pour développer encore la déconcentration
des actes de gestion. Il faut indéniablement aller
plus loin, notamment pour donner toute sa portée
à la récente réforme de l’administration territoriale.
Prolongeant ce souci de proximité et d’accompa-
gnement des carrières fonctionnelles, les adminis-
trations ont peu à peu créé des conseillers
mobilité-carrière. Placés en dehors de la ligne hié-
rarchique des agents, ils ont vocation à mieux
accompagner les démarches de mobilité et les par-
cours de carrière. Dans le même esprit, dans le cadre
d’un accord signé en 2006 entre le gouvernement et
plusieurs syndicats, les employeurs ont été forte-
ment incités à organiser un « entretien de carrière »

293
Fonction publique

lorsqu’un agent totalisant au moins cinq années


d’expérience professionnelle en fait la demande.
Parallèlement, des référentiels ont été créés pour
que l’administration raisonne davantage en termes
de métiers que de corps ou statuts : le répertoire
interministériel des métiers de l’État (RIME) a per-
mis d’identifier au sein de l’État environ 260
métiers différents, répartis en 26 grands domaines
fonctionnels. Ces répertoires, que l’on trouve dans
les trois versants de la fonction publique et qui
sont déclinés ministère par ministère, sont utiles
au manager qui élabore son plan stratégique, a
besoin de qualifier les offres de recrutement, de
conduire des entretiens de mobilité, d’élaborer son
plan de formation. À noter enfin l’utilité grandis-
sante de la bourse interministérielle de l’emploi
public (BIEP), qui propose, de manière ordonnée,
une vision complète des postes vacants dans les dif-
férentes administrations : elle est devenue en quel-
ques années l’outil de référence pour les employeurs
publics en quête de candidats et pour les agents en
quête de mobilités. Au total, même si certains de
ces outils restent parfois trop conceptuels ou trop
méconnus pour faire encore partie intégrante de la
gestion individualisée des agents, ils y contribuent
petit à petit.
En matière de formation des agents, l’accord du
21 novembre 2006 entre le gouvernement et plu-
sieurs syndicats de fonctionnaires a aussi posé des
bases nouvelles : les administrations sont désormais
dans l’obligation de formaliser un document
d’orientation à moyen terme de la formation des

294
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

agents de l’État et un plan de formation qui en est


la déclinaison annuelle ; chaque agent public dis-
pose, depuis 2008 et à l’instar des salariés du sec-
teur privé, d’un droit individuel à la formation
(DIF) de 20 heures de formation par an, cumulable
sur six ans, qui est utilisé « à l’initiative du fonc-
tionnaire » mais « en accord avec son administra-
tion », ce qui garantit que le crédit d’heures est uti-
lisé à des fins professionnelles ; le principe d’un
entretien de formation au bénéfice de chaque
agent a été consacré, qui se déroule désormais,
dans la plupart des administrations, en même
temps que l’entretien professionnel.
Tous ces outils ne peuvent que favoriser la ges-
tion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des
compétences (GPEEC) au sein de la fonction
publique, qui a longtemps été plus incantatoire
que répandue. Et la tension nouvelle sur les effectifs
de la fonction publique lui donne, à l’évidence, une
importance accrue.
Là où les évolutions se révèlent sans doute les
moins probantes, c’est sur le terrain de la gestion
des « secondes carrières ». Les administrations sont
aujourd’hui face à l’immense défi que constitue l’al-
longement de la vie et des carrières. En plus de
40 ans de services, même si un agent change régu-
lièrement de postes d’affectation, il peut très rapide-
ment être confronté à la question d’une reconver-
sion, que ce soit dans un autre secteur de la
fonction publique ou dans le secteur privé. Cette
logique de reconversion professionnelle est parfois
inhérente à un ministère. Celui de la défense,

295
Fonction publique

parce qu’il emploie des militaires aux carrières


majoritairement courtes (contrats n’allant pas
au-delà de 17 ans de service), a ainsi développé
toute une palette d’outils spécifiques pour les pré-
parer à une reconversion. Le fait que plus de 50 %
des agents du ministère soient des agents contrac-
tuels l’a obligé à développer ce type d’instruments.
Mais au-delà même de ce cas spécifique, de nou-
veaux instruments ont été mis en place à l’échelle
de toutes les administrations. La possibilité est
d’abord ouverte aux agents publics de demander
des « bilans de carrière » et des « bilans de compé-
tences ». Aux termes de l’accord du 21 novembre
2006 sur la formation professionnelle, cité plus
haut, tout agent peut en effet demander, à condi-
tion de justifier de 15 ans de service, à bénéficier
d’un bilan de carrière pendant son temps de travail.
Ce bilan doit permettre aux agents les plus expéri-
mentés de réfléchir à leur évolution et de renouveler
leurs perspectives professionnelles à l’horizon de
quatre ou cinq ans. Dans le même esprit, la possibi-
lité de bénéficier d’un « bilan de compétences » a
été repensée : le « bilan professionnel » est devenu
« bilan de compétences » afin de se rapprocher de
la terminologie utilisée pour la fonction publique
hospitalière et dans le secteur privé ; un congé
pour bilan de compétences a été institué, dont la
durée est fixée, par an et par bilan, à vingt-quatre
heures de temps de travail, consécutives ou non ; les
résultats de ce bilan peuvent être transmis, avec
l’accord de l’agent, à son administration, ce qui per-
met de nourrir le dialogue entre le manager et
l’agent sur son évolution professionnelle. Une

296
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

reconversion professionnelle supposant parfois l’ob-


tention de titres ou diplômes spécifiques, la valida-
tion des acquis de l’expérience (VAE) a aussi fait
l’objet d’une attention croissante, un congé spéci-
fique ayant notamment été institué. Enfin, des
« périodes de professionnalisation », là aussi à
l’exemple du secteur privé, ont été créées : ce sont
« des périodes d’une durée maximale de six mois
comportant une activité de service et des actions
de formation en alternance », qui ont pour objet
« de prévenir les risques d’inadaptation des fonc-
tionnaires à l’évolution des méthodes et des techni-
ques et de favoriser leur accès à des emplois exi-
geant des compétences nouvelles ou correspondant
à des qualifications différentes ».
L’utilisation de ces outils est encore circonscrite,
voire marginale pour certains d’entre eux. Il reste
donc à ce que les gestionnaires publics les utilisent
à plein pour inventer ou ménager des secondes car-
rières. C’est sans nul doute, dans l’avenir, le grand
défi posé à la gestion des carrières dans l’administra-
tion. Dans cette prise de conscience, le rôle de la
DGAFP est évidemment central, pour contribuer à
développer, ministère par ministère, une stratégie
de GRH moins tournée vers les textes et plus à
l’écoute des bonnes pratiques professionnelles.
C’est le principal enjeu des conférences de gestion
prévisionnelle des ressources humaines (GPRH)
qu’elle organise désormais chaque année, depuis
2007. Inspirées des conférences budgétaires, elles
associent, en format bilatéral, le ministère de la
Fonction publique et chaque ministère et elles

297
Fonction publique

permettent de passer en revue toutes les grandes


questions RH des administrations.
Enfin, même si c’est un sujet qui est évidem-
ment polémique, il serait souhaitable que l’admi-
nistration, de la même manière qu’elle s’attache à
accompagner la carrière de ses agents, sache parfois
faire usage du licenciement pour insuffisances pro-
fessionnelles, comme le statut général des fonction-
naires lui en donne explicitement les moyens. Pour
les fonctionnaires de l’État par exemple, les textes
prévoient que « le fonctionnaire mis en disponibi-
lité qui refuse successivement trois postes qui lui
sont proposés en vue de sa réintégration peut être
licencié après avis de la commission administrative
paritaire » et surtout que le licenciement peut être
prononcé en cas d’abandon de poste ou d’insuffi-
sance professionnelle (avec application, dans cette
hypothèse également, des règles de la procédure
disciplinaire). Il va de soi que les fonctionnaires doi-
vent être protégés par leurs garanties statutaires
mais elles ne sauraient aller jusqu’à protéger de
tout licenciement un agent ne s’impliquant aucune-
ment ou très peu dans son travail au service de la
collectivité qui le rémunère. Or, à l’heure actuelle,
on compte tout au plus quelques dizaines de cas de
licenciement par an, pour des fautes à caractère
pénal et très marginalement pour des raisons d’in-
suffisance professionnelle. Alors même que tout
gestionnaire peut légitimement constater au quoti-
dien, sans faire injure au travail des 5,2 millions
d’agents publics, que cette situation ne reflète que

298
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

très mal le nombre réel d’agents en insuffisance pro-


fessionnelle manifeste...

6. Le dossier individuel des fonctionnaires


et les systèmes d’information des ressources
humaines, reflets de cette transformation ?
Cette transition progressive d’une gestion des
carrières statutaires vers une gestion des individus,
des parcours et des compétences devra à terme être
reflétée par le dossier individuel des fonctionnaires.
Actuellement, ce dernier matérialise l’existence et le
parcours administratif de l’agent, en tant qu’il
« doit comporter toutes les pièces intéressant la
situation administrative de l’intéressé, enregistrées,
numérotées et classées sans discontinuité ». Comme
le prévoient les textes, « tout fonctionnaire a accès à
son dossier individuel dans les conditions définies
par la loi ». Or, on sait bien qu’à l’heure actuelle,
la tenue de ce dossier par l’administration est iné-
gale et son contenu souvent lacunaire. Plus encore,
ce qui frappe, c’est le caractère très administratif de
ce dossier : on y trouve avant tout les actes juridi-
ques (nomination, mutation...) qui ont scandé le
parcours de l’agent ; les aspects plus qualitatifs et
managériaux y sont beaucoup plus rares en raison
d’une réticence, que les textes traduisent, à y faire
figurer tout élément de nature un tant soit peu sub-
jective. La conséquence est d’ailleurs qu’en dehors
des cas de procédures disciplinaires ou de prépara-
tion des commissions administratives paritaires, la
consultation de ce dossier est très peu fréquente et
que la plupart des fonctionnaires n’ont jamais eu

299
Fonction publique

leur dossier entre les mains. On ne peut donc qu’en-


courager les efforts qui permettront d’en moderniser
la gestion et la transmission : soulignons à cet égard
l’introduction dans le statut général, en 2009,
d’une possibilité de dématérialiser le dossier du
fonctionnaire (« dans des conditions fixées par
décret en Conseil d’État pris après avis de la Com-
mission nationale de l’informatique et des liber-
tés »). Cette dématérialisation est destinée à faciliter
la gestion du dossier pour les administrations, ainsi
que sa transmission entre administrations dans le
cadre du développement des mobilités. En outre,
elle offrira un meilleur accès des agents publics à
leur dossier : ceux-ci pourront en effet le consulter
en temps réel à partir de leur poste informatique,
en toute confidentialité. Une telle évolution, dont
la mise en œuvre prendra toutefois beaucoup de
temps en raison du champ à couvrir, devrait per-
mettre de sortir de la logique paperassière actuelle
et de mieux exprimer la dimension fonctionnelle
des parcours de carrière.
Enfin, la GRH ne peut être efficace au sein de la
fonction publique qu’à la condition de s’appuyer
sur des outils de suivi fiables et cohérents entre les
administrations. Depuis le début des années 2000,
les efforts se sont intensifiés dans ce domaine, même
si les progrès ont été parfois lents, en raison de l’am-
pleur et de la complexité des chantiers. Ils ont
repris de l’intensité avec le lancement en 2007 du
projet de création de l’opérateur national de paye
(ONP). L’État s’emploie en effet désormais à définir
un système informatique de paye, unique et

300
La carrière des fonctionnaires est-elle bien gérée ?

centralisé, mais articulé avec l’ensemble des systè-


mes d’information des ressources humaines (SIRH)
ministériels, qui versera toutes les rémunérations
des fonctionnaires de l’État. L’objectif est d’amélio-
rer à terme la performance du processus de paye
(rapidité, sécurité, fiabilité). L’achèvement de ce
vaste projet est programmé à ce jour en 2017. Un
tel chantier a déjà occasionné et occasionnera
immanquablement encore des difficultés de mise
en œuvre et sans doute des glissements de calen-
drier. Mais il est indéniable qu’il contribue, malgré
ses lourdeurs, à mettre toutes les administrations
face à la même question : comment simplifier et
professionnaliser encore la gestion des agents pour
qu’elle soit compatible avec le futur système centra-
lisé de paye ? Ce levier est en train de jouer à plein.

D. Conclusion
Les textes offrent à tous les fonctionnaires de
réelles garanties pour construire des parcours de car-
rière riches et diversifiés. Prolongeant le droit, de
nombreux outils de GRH ont été mis en place au
cours des dernières années pour que l’évaluation, la
mobilité, la formation, le suivi des agents devien-
nent des pratiques systématiques ou courantes dans
toutes les collectivités publiques. Mais les parcours
de carrière ne se bâtissent pas à coups de textes. On
perçoit, dans tous les domaines explorés dans ce
chapitre, que l’enjeu reste celui de la mise en
œuvre pratique et effective de ces nouveaux droits
et outils. Et cela passe par une révolution culturelle

301
Fonction publique

progressive et une professionnalisation accrue des


directions des ressources humaines des collectivités
publiques, qui seules permettront de placer l’agent,
et non plus les statuts et les corps, au cœur du
système. Les germes existent. Certains progrès sont
déjà notables. Les deux décennies à venir diront si la
mue se sera poursuivie avec succès.
Il importe surtout de ne jamais perdre de vue que
le statut général ménage, pour la carrière des fonc-
tionnaires, un équilibre fondamental entre des droits
et des devoirs. La tendance naturelle de l’administra-
tion qui discute avec les syndicats de fonctionnaires
la porte à consacrer des garanties nouvelles aux
agents, plus qu’à rappeler les obligations qui prési-
dent à son bon fonctionnement, notamment la conti-
nuité et la mutabilité du service public. On peut se
réjouir, à cet égard, qu’au bénéfice de mesures récen-
tes, parler de gestion individualisée, de remplace-
ment, d’intérim ou de mobilité public-privé ne soit
plus un tabou dans la fonction publique. Même si
rien n’est jamais définitivement acquis !

302
Chapitre 4
Les fonctionnaires
sont-ils bien payés ?

A. Enjeux
La question de la rémunération des fonctionnai-
res est au cœur des enjeux entourant la fonction
publique depuis ses origines. Au temps du
Bas-Empire romain, les 2 000 « bureaucrates » qui
travaillaient à Trèves, capitale de l’Empire, étaient
des privilégiés, leur situation matérielle étant glo-
balement bien supérieure à celle des artisans et pay-
sans. L’idée que la fonction publique était une
classe sociale favorisée perdurera pendant des siè-
cles, en raison notamment d’un biais structurel :
ceux qui étaient désignés comme « agents publics »
recouvraient une catégorie généralement caractéri-
sée par un niveau d’instruction supérieur à la
moyenne, à l’instar des légistes de Philippe le Bel.
Plus diplômés, les agents publics étaient assez natu-
rellement mieux lotis que les autres. La tendance
commence lentement à s’inverser à compter du
e
XVI siècle, siècle où l’inflation des offices est aussi
spectaculaire que la courbe des besoins financiers.
En se multipliant, les « fonctionnaires » forment

303
Fonction publique

un groupe plus diffus, moins nettement favorisé et


progressivement distancé par une bourgeoisie gran-
dissante, issue du monde économique. Bien évi-
demment, en leur sein, beaucoup, notamment
dans les grands corps de l’État qui se créent, conti-
nuent de jouir d’une situation très enviable. Mais le
basculement progressif vers une fonction publique
de masse est un facteur indéniable de paupérisation
des agents publics. Le phénomène atteint son apo-
gée au XIXe siècle, à l’image du fonctionnaire décrit
par Balzac, notamment avec l’arrivée des gros
bataillons d’institutrices et d’employées des postes.
Nulle surprise à constater, au passage, que cela a
coïncidé avec la montée progressive du « syndica-
lisme » des fonctionnaires. Encore faut-il se méfier
des analyses superficielles : la rémunération des
fonctionnaires a longtemps consisté en un ensemble
d’avantages assez divers, au sein duquel le
« salaire » n’était qu’une composante. Si par exem-
ple les officiers royaux percevaient du roi des
« gages », ceux-ci n’étaient que des éléments
parmi d’autres avantages en nature (logement,
nourriture, vêtement). Les agents publics, surtout,
ont eu l’avantage de bénéficier d’exemptions fiscales
et de facilités d’emprunt spécifiques, très précieuses
au cours des siècles d’Ancien Régime.
Se demander aujourd’hui si les fonctionnaires
sont bien payés fait en tous cas écho à des siècles
de débats et de revendications sur ce thème. Et il
est compréhensible que les attributs actuels de la
rémunération des fonctionnaires soient le reflet de
cette histoire et que les discussions sur la question

304
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

soient toujours aussi passionnées. La négociation


salariale annuelle entre le gouvernement et les syn-
dicats de fonctionnaires est traditionnellement un
moment clé du dialogue social dans la fonction
publique. Revenons aux grands constats qui ressor-
tent des statistiques sur la rémunération des fonc-
tionnaires pour bien en mesurer tous les enjeux,
avant d’identifier les grandes tendances à l’œuvre.

B. Constats

1. Le statut général pose des principes


et des règles communs à la rémunération
de tous les fonctionnaires
Le principe de base est que « les fonctionnaires
ont droit après service fait à une rémunération ».
Le préalable est l’accomplissement de l’intégralité
des missions : l’administration est ainsi fondée à ne
pas payer en totalité un professeur refusant de
remettre les notes de copies d’examen ou à ne pas
verser de rémunération lors des jours de grève. Les
mêmes textes prévoient que la rémunération com-
prend « le traitement, l’indemnité de résidence, le
supplément familial de traitement ainsi que les
indemnités instituées par un texte législatif ou
réglementaire » et que « s’y ajoutent les prestations
familiales obligatoires ». Le montant du traite-
ment est fixé « en fonction du grade de l’agent et
de l’échelon auquel il est parvenu, ou de l’emploi
auquel il a été nommé ». Concrètement, chaque
corps est assorti de grilles d’indices, que les

305
Fonction publique

membres gravissent conformément aux règles


d’avancement et de promotion (cf. chapitre précé-
dent). Héritage des choix d’après-guerre, il existe
deux grilles en correspondance pour un même
corps : une grille présentant des indices « bruts »
et une grille présentant des indices dits « majorés ».
Elles expriment en réalité les mêmes montants de
référence, l’une en valeur brute, l’autre en valeur
nette. Pour calculer le montant en euros correspon-
dant à un indice, il convient ainsi de multiplier
l’indice majoré par une valeur de point d’indice.
L’indice majoré 100 est qualifié d’indice de base
de la fonction publique. La valeur du traitement
brut afférent à cet indice est fixée par un décret du
24 octobre 1985, régulièrement actualisé : actuelle-
ment, la valeur du point d’indice est légèrement
supérieure à 55 euros. Le traitement représente la
part très majoritaire de la rémunération des fonc-
tionnaires (en moyenne, plus de 80 % de sa rému-
nération totale). De manière beaucoup plus margi-
nale, s’y ajoutent une « indemnité de résidence »,
calculée en appliquant au traitement brut un taux
variable (de 0 à 3 %) selon la zone territoriale dans
laquelle est classée la commune où le fonctionnaire
exerce ses fonctions et, le cas échéant, un « supplé-
ment familial de traitement », qui est attribué aux
agents publics ayant au moins un enfant à charge.
Enfin, la deuxième grande composante de la rému-
nération des fonctionnaires est constituée d’indem-
nités, de natures très diverses (cf. infra).

306
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

2. Les primes ou indemnités


des fonctionnaires sont extrêmement diverses
Les exemples abondent, pour ceux qui aiment
réaliser le bêtisier de la fonction publique, de pri-
mes incongrues qui ont survécu, allant des « primes
de chaussures » à la « prime d’égout » en passant
par « l’indemnité de bicyclette ». Ce sont autant
de scories héritées de l’histoire et singulièrement
de l’inflation des offices au XVIe siècle, qui avait
déjà vu la consécration de charges aussi savoureuses
que « contrôleurs du foin » ou « du beurre frais ». Il
serait facile mais mensonger de sombrer dans la
caricature à laquelle incite la survivance de ce type
de primes : en réalité, elles sont d’autant plus mar-
ginales qu’elles reposent généralement sur des tex-
tes restés par erreur en vigueur et que leur montant
n’a jamais été actualisé, ce qui le rend dérisoire au
regard du rythme de l’inflation des dernières
décennies.
Mais il faut bien reconnaître que la diversité des
primes reste très grande. Le régime indemnitaire
représente en moyenne 15 % de la rémunération
totale d’un fonctionnaire de l’État. La différence
est toutefois grande entre les personnels de l’éduca-
tion nationale (pour lesquels la part du régime
indemnitaire est inférieure à 10 %), les personnels
des autres ministères (pour lesquels elle avoisine les
25 %) et les cadres (pour lesquels il n’est pas rare
qu’elle avoisine les 50 %). Au sein de ces 15 % en
moyenne, on trouve de tout ou presque : des indem-
nités pour « sujétions spéciales », qui sont attri-
buées pour compenser les contraintes subies et les

307
Fonction publique

risques encourus dans l’exercice des fonctions ; des


indemnités pour reconnaître une qualification ou
« technicité » particulière, la plupart étant propres
au personnel de chaque administration, certaines
d’application interministérielle (primes de langue,
de technicité, informatiques...) ; des indemnités
destinées à rémunérer le rendement et la producti-
vité, qui sont théoriquement variables, personnelles
et révisées chaque année ; des indemnités destinées
à accompagner les mobilités des fonctionnaires
(« prime spéciale d’installation » qui est attribuée
aux fonctionnaires qui font l’objet d’une première
affectation dans certaines communes, indemnité de
première affectation pour certains personnels
enseignants...) ; des indemnités pour rembourser
les frais engagés dans l’exercice des fonc-
tions (indemnités de déplacement, indemnité pour
frais de changement de résidence...) ; des indemni-
tés destinées à rémunérer le travail supplémentaire,
les deux dispositifs les plus répandus étant les
indemnités horaires pour travaux supplémentaires
(IHTS) et les indemnités forfaitaires pour travaux
supplémentaires (IFTS). Enfin, même s’il s’agit de
mesures de nature indiciaire (et non indemnitaire),
les années 1990 ont vu la création d’une « nouvelle
bonification indiciaire » (NBI). Ajoutant à la com-
plexité existante, la mesure a consisté à prévoir,
pour les fonctionnaires qui occupent un certain
type d’emplois, l’attribution d’un nombre de points
d’indice majorés qui s’ajoutent au traitement prin-
cipal. À titre d’illustration, les fonctionnaires ayant
le statut de personnel de direction bénéficient d’une
bonification indiciaire à raison de l’emploi qu’ils

308
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

occupent en qualité de proviseurs, proviseurs


adjoints, principaux...
Au total, comme chaque ensemble de primes se
subdivise en de multiples sous-ensembles ministé-
riels ou propres à un corps et que le cumul est géné-
ralement autorisé entre des primes dont l’objet est
différent, on aboutit à un formidable maquis. À
l’aube des années 2000 on estimait à 1 800 le nom-
bre de régimes indemnitaires différents bénéficiant
aux fonctionnaires. Ce maquis était d’autant plus
touffu que les pratiques étaient très sédimentées :
la quasi-totalité des primes, avant le passage à la
prime de fonction et de résultats, suivait en réalité
une logique forfaitaire, même les primes de rende-
ment ou les indemnités pour heures supplémen-
taires !

3. Le passage du brut au net reste plus


avantageux pour un fonctionnaire que
pour un salarié du secteur privé
Le traitement mensuel brut fait d’abord l’objet
de retenues pour la retraite. Cette retenue pour pen-
sion est à ce jour encore inférieure à 10 %, même si
la convergence avec le secteur privé est en cours
(cf. chapitre suivant). La contribution sociale géné-
ralisée (CSG) est prélevée depuis le 1er janvier 1997
au taux de 7,5 % et la contribution au rembourse-
ment de la dette sociale (CRDS) est prélevée depuis
le 1er février 1996 au taux de 0,5 %, chacune sur la
même assiette : le montant du traitement brut, de
l’indemnité de résidence et du supplément familial

309
Fonction publique

de traitement, ainsi que des primes, après déduction


d’un abattement pour frais professionnels de 3 % de
ce montant. De manière plus marginale, deux
autres retenues diminuent la rémunération effecti-
vement servie aux fonctionnaires : le régime de
retraite additionnelle donne lieu à une retenue
depuis le 1er janvier 2005 au taux de 5 %, sur les
éléments de rémunération de toute nature perçus
et non cotisés au titre de la couverture vieillesse
(indemnité de résidence, supplément familial de
traitement ...), dans la limite de 20 % du traite-
ment indiciaire brut annuel ; la contribution excep-
tionnelle de solidarité s’applique au taux de 1 % sur
le traitement mensuel net, majoré de l’indemnité de
résidence, du supplément familial de traitement et
des primes. Au final, le passage du brut au net est
plus avantageux pour un fonctionnaire que pour un
salarié du secteur privé, même si la convergence
entre public et privé s’agissant des retenues pour
pension rend le différentiel de plus en plus faible.

4. Ce système, porté par un souci


d’uniformisation des modes de rémunération,
a généré d’importants effets pervers dans
la pratique
Le système de rémunération des fonctionnaires a
la première particularité d’être, par certains côtés,
très égalitariste. Car il fait passer tous les traite-
ments sous la toise d’une même échelle indiciaire
et sous la dépendance d’une seule et même valeur,
celle du « point fonction publique ». C’est d’ailleurs
un constat qui a été fait très tôt puisque, dès 1951,

310
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

le gouvernement a dû revoir l’échelle indiciaire éta-


blie en 1946, afin de prendre des mesures de majo-
ration des traitements les plus modestes : cela a
contribué, dès l’origine, à brouiller la hiérarchie
des rémunérations. Et entre 1955 et 1957, un nou-
veau plan de remise en ordre des rémunérations,
visant à harmoniser les niveaux avec le secteur
nationalisé, a abouti à classer « hors échelle » (de A
à G) tous les traitements indiciaires dépassant l’in-
dice brut 1000, rendant encore plus complexe le
système global. Aujourd’hui, les effets pervers du
système restent patents : le classement des emplois
dépendant du seul niveau de recrutement (BEP,
BAC, licence), et non des responsabilités effectives,
il est délicat de valoriser une grille indiciaire sans
s’exposer à de multiples demandes en cascade,
dites « reconventionnelles », émanant de corps com-
parables. Avec la multiplication des corps de fonc-
tionnaires, le phénomène est allé croissant : le gou-
vernement doit continuellement arbitrer des
demandes de revalorisation spécifiques à un corps,
qui en susciteront immanquablement d’autres. Ce
phénomène dit « d’échelle de perroquet » n’est pas
pour rien dans l’inflation de la masse salariale de
l’État au cours des dernières décennies. Au point
qu’il faille périodiquement refonder l’ensemble des
grilles indiciaires, comme l’a imposé le protocole
dit « Durafour » au début des années 1990 ou plus
récemment les mesures dites « Jacob » sur l’en-
semble de la catégorie C. En outre, étant donné
qu’il est politiquement plus facile de revaloriser la
rémunération des plus bas indices, les efforts ont
une tendance naturelle à se concentrer sur les

311
Fonction publique

traitements des agents de catégorie C, aboutissant


aujourd’hui à un réel écrasement de la hiérarchie
des traitements. Ce phénomène est périodiquement
renforcé par les hausses du SMIC dans le secteur
privé. En effet, en vertu d’une jurisprudence du
Conseil d’État, le SMIC ne saurait être supérieur
au minimum de traitement dans la fonction
publique. Chaque nouvelle hausse du SMIC sup-
pose ainsi une compensation, consistant à saupou-
drer quelques points d’indice supplémentaires au
plus bas de la grille.
Les conséquences de cette vision égalitariste
apparaissent nettement lors des débats récurrents
autour de la valeur du « point fonction publique ».
Le fait d’avoir aligné autour d’une même grille
indiciaire plus de 5 millions d’agents rend financiè-
rement périlleux le moindre ajustement du point
fonction publique. Une augmentation de 1 % du
point fonction publique génère un coût d’environ
2 milliards d’euros à l’échelle des trois fonctions
publiques. Et si ce saupoudrage profite à tous les
agents, indépendamment même de leur manière
de servir, il est à peine sensible sur leur fiche de
paie : on estime en moyenne à 18 euros l’augmenta-
tion mensuelle de traitement induite par une hausse
de 1 % du point fonction publique.
Ce système très égalitariste a le paradoxe d’être
dans le même temps générateur d’inégalités totale-
ment injustifiées. En raison du maquis des régimes
indemnitaires décrit plus haut, il aboutit en effet à
verser des primes très variables d’un ministère à
l’autre même pour des fonctions similaires.

312
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

Autrement dit, alors que les indemnités devraient


être variables d’un individu à l’autre pour tenir
compte de leurs performances respectives mais
obéir au même cadre général d’une administration
à l’autre, elles sont dans les faits forfaitaires et
donc identiques pour les agents placés au même
échelon d’un même corps mais variables d’une
administration à l’autre en raison des héritages his-
toriques ! Le constat est régulièrement fait de l’iné-
galité que subit par exemple un attaché des minis-
tères sociaux ou de l’éducation nationale par rapport
à son homologue de Bercy : ils sont parfaitement
alignés en termes de grilles indiciaires mais leurs
primes peuvent, elles, être très différentes.

5. D’un point de vue statistique, les bas


salaires dans le public sont mieux lotis que
leurs homologues dans le secteur privé mais
les choses s’inversent en montant dans
la hiérarchie
Si l’on s’en réfère aux études annuelles de l’IN-
SEE, les 1,6 million d’agents des ministères civils
de l’État travaillant en France métropolitaine perçoi-
vent un salaire annuel brut moyen en équivalent
temps plein de 34 000 euros environ, soit un peu
plus de 2 800 euros par mois. Une fois prélevées les
cotisations sociales salariales, la CSG et la CRDS, la
rémunération annuelle moyenne nette de prélève-
ments est de 28 500 euros environ, soit un peu
plus de 2 300 euros par mois environ. Ce chiffre est
plus élevé que celui du secteur privé, au sein duquel
le salaire mensuel moyen net de tous prélèvements

313
Fonction publique

s’établit, selon l’INSEE, autour de 2 000 euros. Il


faut toutefois souligner les précautions nécessaires
avant toute interprétation hâtive de cet indicateur.
Le salaire moyen par tête est très dépendant de l’effet
des mouvements d’entrées-sorties (recrutements,
départs à la retraite) et des modifications de struc-
ture (par exemple, modification de la qualification
des agents et de leur niveau de rémunération) : une
population âgée (en fin de carrière) dont le salaire est
supérieur est souvent remplacée par des agents plus
jeunes et moins payés (en début de carrière), ce qui
tire vers le bas le salaire mensuel moyen. Autrement
dit, on peut observer d’une année sur l’autre une
baisse du salaire moyen, non pas en raison de la
diminution de la rémunération individuelle des
agents, mais en raison de départs importants des
salariés les mieux payés, remplacés par de jeunes
diplômés. Pour une comparaison public-privé, d’au-
tres facteurs sont d’ailleurs à prendre en compte, que
ce soient la structure des effectifs (30 % d’agents de
catégorie A dans la fonction publique contre 16 %
de cadres dans le secteur privé, des âges moyens
différents...), la diffusion plus ou moins importante
du temps partiel ou/et du temps non complet ou la
différence des taux de prélèvements sociaux sur les
salaires bruts (cf. supra).
Si les comparaisons sont donc toujours délicates,
elles divergent aussi lorsqu’on entre dans le détail
des catégories. Comme le souligne le Livre blanc
sur l’avenir de la fonction publique de 2009, « les
comparaisons salariales avec le secteur privé mettent
en évidence le fait que la catégorie C (ouvriers et

314
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

employés) est en moyenne mieux payée dans l’ad-


ministration que dans le secteur privé (...), que la
catégorie B (professions intermédiaires) est légère-
ment mieux rémunérée dans le secteur privé, qu’en-
fin la catégorie A est nettement mieux rémunérée
dans le secteur privé (...). En outre, à niveau de res-
ponsabilité égale, les rémunérations des cadres diri-
geants du secteur privé sont de 300 à 400 % supé-
rieures (hors stock-options) à celles des directeurs
d’administration centrale ». Au total, les statisti-
ques viennent ainsi corroborer deux choses : que
les fonctionnaires forment un ensemble globale-
ment mieux loti que le secteur privé ; mais que
cela se fait au prix d’un écrasement de la hiérarchie
des rémunérations dans la fonction publique, là où
l’écart entre les bas et les hauts salaires est beaucoup
plus grand dans le secteur privé. Une rapide étude à
partir des fiches de paie distingue plus concrète-
ment trois grandes cohortes au sein de la fonction
publique de l’État : 1,8 million d’agents gagnent
moins de 50 000 euros bruts annuels et 20 000
agents environ gagnent plus de 75 000 euros, le
reste se situant entre 50 000 euros et 75 000 euros.

6. Le pouvoir d’achat des fonctionnaires croît


de manière régulière et de façon
particulièrement soutenue dans les périodes
de récession ou de faible croissance
L’évolution des rémunérations des fonctionnaires
est l’objet de tous les débats lors de chaque
rendez-vous salarial entre les syndicats et le gouver-
nement. Les premiers se plaisent à mettre en avant

315
Fonction publique

de constantes pertes de pouvoir d’achat là où le


second souligne la croissance de la rémunération
moyenne des personnes en place (dite « RMPP »
dans le jargon) et les gains de pouvoir d’achat régu-
liers qu’elle occasionne. Il ne s’agit pas de dire
qu’une position est mensongère par rapport à une
autre. En réalité, le quiproquo, savamment entre-
tenu, tient au fait que les deux parties ne parlent
pas de la même chose. Les syndicats ont tradition-
nellement l’attention focalisée sur le point fonction
publique évoqué plus haut, indicateur qui selon eux
symbolise l’unité de traitement de l’ensemble des
fonctionnaires. En ne se concentrant que sur l’évo-
lution du point d’indice, on peut alors soutenir que
le pouvoir d’achat indiciaire a en effet diminué : le
point fonction publique n’évolue pas nécessaire-
ment au même rythme que l’inflation. Mais un tel
raisonnement s’avère très partiel : l’évolution du
point fonction publique n’est qu’un des détermi-
nants de l’évolution globale des rémunérations puis-
qu’elle explique chaque année moins d’un quart de
l’évolution globale des rémunérations des fonction-
naires. Les avancements automatiques et les promo-
tions individuelles, combinées à d’autres mesures
(revalorisation des grilles ou des primes), nourris-
sent un phénomène beaucoup plus puissant, de
glissement-vieillesse-technicité (dit « GVT » dans
le jargon) qui est le principal facteur de croissance
des rémunérations. C’est la raison pour laquelle le
gouvernement utilise un indicateur qui, lui, prend
en compte l’ensemble des déterminants de la rému-
nération : la rémunération moyenne des personnes
en place (RMPP). Celle-ci retrace l’évolution de la

316
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

feuille de paye des agents présents deux années


consécutives en prenant en compte les mesures por-
tant sur la valeur du point, les mesures statutaires et
indemnitaires, l’impact des mesures d’avancement
individuel et des promotions (GVT positif) et les
autres éléments susceptibles d’impacter la feuille
de paye (requalification des emplois par exemple).
En se fondant sur cet indicateur exhaustif, il appa-
raît nettement que la RMPP est chaque année supé-
rieure à l’inflation et donc que les fonctionnaires
gagnent globalement du pouvoir d’achat. Si on
prend l’exemple d’une série longue (2000-2009),
la RMPP a été chaque année d’une moyenne supé-
rieure à 3,5 % alors que l’inflation a été chaque
année sauf une (2008) inférieure à 2 %, ce qui
représente donc des gains de pouvoir d’achat supé-
rieur à 1,5 % par an. À titre de comparaison, dans
le privé, les augmentations, hors période de crise, se
situent traditionnellement entre 2,5 % et 3 % et les
gains de pouvoir d’achat sont donc rarement supé-
rieurs à 1 %.
Une analyse faite à partir de la rémunération
moyenne des personnes en place doit cependant
être nuancée sur deux points : c’est une évolution
moyenne, qui signifie simplement que les fonction-
naires voient très majoritairement leur pouvoir
d’achat progresser mais qui n’interdit donc pas une
baisse pour certains agents ; elle ne porte que sur
des fonctionnaires déjà en place, autrement dit ne
mesure pas la progression des salaires d’entrée dans
la fonction publique. Ceci étant, les salaires d’entrée
dans la fonction publique font traditionnellement

317
Fonction publique

eux-mêmes l’objet d’une attention particulière de la


part des pouvoirs publics. Comme indiqué précé-
demment, toute hausse du SMIC dans le privé est
compensée s’agissant du minimum de traitement
dans la fonction publique, par l’attribution de
points d’indice en bas de grille. Cette compensation
se fait d’ailleurs régulièrement à l’avantage des
fonctionnaires car on compare traditionnellement
les niveaux bruts en excluant de l’assiette les pri-
mes : or, on a vu que le passage du brut au net
était plus avantageux pour un fonctionnaire que
pour un salarié du privé et que les fonctionnaires
bénéficiaient en moyenne d’un régime indemnitaire
représentant 15 % de leur rémunération globale. Et
des efforts importants ont été faits au cours des der-
nières années pour augmenter la rémunération des
jeunes enseignants (prime d’entrée dans la
carrière...), ce qui tire, du fait de leur poids numé-
rique, les statistiques vers le haut.
L’autre grand enseignement que l’on peut tirer de
ces statistiques est le caractère « contra-cyclique » des
gains de pouvoir d’achat des fonctionnaires. Étant
donné que leur rémunération évolue quasi mécanique-
ment sous l’effet du glissement-vieillesse-technicité
décrit plus haut, leurs gains de pouvoir d’achat sont
avant tout liés au niveau de l’inflation. Les périodes
de faible croissance sont généralement des périodes
de faible inflation : ce sont donc celles où les gains
de pouvoir d’achat des fonctionnaires sont les plus
sensibles. L’année 2009, au cœur de la crise financière
et économique, en a apporté la démonstration : les

318
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

gains de pouvoir d’achat des fonctionnaires ont été


cette année-là en moyenne de plus de 3 %.

7. La rémunération des fonctionnaires est


chaque année au cœur de la négociation entre
le gouvernement et les syndicats
de fonctionnaires
La rémunération des fonctionnaires, en raison de
la « position réglementaire et statutaire » de ces
derniers, ne relève pas d’une logique de négociation
collective comme dans le secteur privé : l’État
conserve le pouvoir d’en fixer les déterminants.
Elle n’en constitue pas moins l’un des enjeux clés
du dialogue social dans la fonction publique. Pour
le gouvernement, la masse salariale de l’État est le
poste de dépenses le plus important : elle pèse près
de 120 milliards d’euros chaque année. On com-
prend aisément que le gouvernement ait le souci
d’en maîtriser la dynamique au plus juste. Pour les
représentants des personnels, c’est évidemment le
thème de revendication par excellence. Dans ce
contexte, le statut général prévoit que « les organi-
sations syndicales de fonctionnaires ont qualité pour
participer au niveau national à des négociations
relatives à l’évolution des rémunérations et du pou-
voir d’achat des agents publics avec les représen-
tants du gouvernement, les représentants des
employeurs publics territoriaux et les représentants
des employeurs publics hospitaliers ». Les textes
consacrent ainsi l’obligation de négociations préala-
bles à toute décision, de même que la participation
des représentants des employeurs territoriaux et

319
Fonction publique

hospitaliers, destinée à assurer que les intérêts spé-


cifiques aux deux autres fonctions publiques sont
bien pris en compte au cours des discussions. Cette
politique de nature « contractuelle » a vu le jour à
la fin des années 1960. Comme rappelé au premier
chapitre de cet ouvrage, c’était l’époque où la pro-
cédure de fixation des salaires faisait l’objet de tou-
tes les attentions : l’idée de concertation voire de
négociation sur les rémunérations a prospéré avec
le protocole Oudinot, signé entre Georges Pompi-
dou et toutes les organisations syndicales. Ce proto-
cole en inspirera beaucoup d’autres par la suite, les
thèmes abordés étant devenus des questions tradi-
tionnelles : augmentation des rémunérations, reva-
lorisation des catégories C et D, réduction de la
durée de travail, instauration de la semaine de tra-
vail de 5 jours et d’une 5e semaine de congé annuel.

C. Réflexions
Dans ce contexte, la rémunération des fonction-
naires ne peut être qu’au cœur de la politique de la
fonction publique. Ne serait-ce que parce les cons-
tats exposés ci-dessus mettent au jour les faiblesses
du système actuel autant que son caractère straté-
gique pour tout effort de maîtrise des dépenses
publiques.

320
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

1. La négociation salariale entre


le gouvernement et les syndicats s’inscrit
depuis 2008 dans un cadre rénové
Dans le sillage d’une conférence sur le pouvoir
d’achat des fonctionnaires lancé à l’automne 2007,
plusieurs relevés de conclusions ont été signés entre
le gouvernement et certaines organisations syndica-
les, le 21 février 2008. Le premier d’entre eux a
rénové de manière durable la méthode et le cadre
des négociations salariales. En premier lieu, le
calendrier des négociations salariales dans la fonc-
tion publique a été adapté afin d’assurer une meil-
leure articulation avec celui de la programmation
budgétaire et celui de l’examen parlementaire des
lois de finances de l’État et des lois de financement
de la sécurité sociale. Désormais, la négociation
salariale comprend une négociation « triennale »,
qui permet de fixer les orientations salariales qui
seront suivies sur les trois années ultérieures, pen-
dant la période du budget triennal de l’État, et des
rendez-vous salariaux, au printemps de chaque
année, qui assurent, eux, le suivi des orientations
fixées dans le cadre de la négociation triennale et
permettent de définir, si nécessaire, des mesures
d’ajustement. En second lieu, le champ des négocia-
tions salariales a été mieux défini. La négociation
triennale doit essentiellement traiter de l’évolution
de la valeur du point fonction publique au cours de
la période et de l’évolution des grilles indiciaires.
Les discussions annuelles examinent, elles, la mise
en œuvre des mesures de l’année antérieure, les
mesures catégorielles développées dans les différents

321
Fonction publique

ministères, la mise en œuvre du mécanisme de


garantie du pouvoir d’achat (cf. plus loin) et les
principes de la reconnaissance de la valeur profes-
sionnelle de chaque agent.
La mise en place de ce cadre rénové, notamment
l’idée d’une négociation pour les trois années sui-
vantes, a eu le mérite de placer la négociation sala-
riale dans une logique moins court-termiste que par
le passé. Les rendez-vous salariaux annuels ne sont
plus autant d’occasions de rouvrir tous les sujets,
sans aucune perspective pluriannuelle et sans réelle
cohérence d’ensemble. Reste à espérer que cette
vision à moyen-terme continuera de prévaloir au
cours des prochaines années.

2. Les mesures générales de revalorisation


comme l’augmentation du point fonction
publique doivent devenir très exceptionnelles
Le système décrit plus haut favorise l’uniformisa-
tion des dynamiques de rémunération. Le point
fonction publique est le symbole de cette logique
égalitariste : en privilégiant son augmentation sur
les autres mesures, on ne satisfait personne, ni les
fonctionnaires, pour lesquels l’impact est infime
sur la fiche de paie et n’a aucun lien avec leur
manière de servir, ni les employeurs publics, pour
lesquels une hausse de 1 % du point représente un
surcoût de 2 milliards d’euros. On ne rappelle d’ail-
leurs pas suffisamment combien la mesure est socia-
lement injuste puisqu’une augmentation du point
fonction publique profite par définition davantage

322
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

à ceux dont l’indice de traitement est élevé (les


cadres). Or, le paradoxe est que les syndicats de
fonctionnaires sont traditionnellement focalisés sur
cet instrument, qu’ils érigent en symbole de l’uni-
cité de la fonction publique. À chaque rendez-vous
salarial, les partenaires sociaux réclament un coup
de pouce sur le point fonction publique. Et le gou-
vernement a très souvent eu tendance à faire droit à
cette demande : entre 1996 et 2011 par exemple,
période qui couvre toutes les couleurs politiques,
le coup de pouce donné au point fonction publique
est allé au-delà de 1 % la plupart des années consi-
dérées, et même jusqu’à 1,8 % en 2005 ! Et l’on
s’étonne ensuite de la dynamique incontrôlée de la
masse salariale de l’État...
L’histoire, même récente, enseignait pourtant
que les mesures générales, conduisant à saupoudrer
des sommes considérables à l’échelle de la fonction
publique, étaient une vraie fuite en avant. Dans le
sillage du protocole Oudinot précité, qui a acté des
mesures de revalorisation générale, la dynamique
des rémunérations a été saisissante : à l’époque,
toute hausse de 1 % des rémunérations coûtait
1,5 milliard de francs et l’effet était démultiplié
par la croissance très forte des effectifs des trois
fonctions publiques. En septembre 1976, Raymond
Barre a donc été dans l’obligation de présenter un
plan de redressement, prévoyant notamment le blo-
cage de tous les « tarifs publics ». Mais la dyna-
mique est repartie de plus belle, à compter de
1981. À cette aune, la décision qui a été prise en
2009 de procéder au gel du point fonction publique

323
Fonction publique

au cours des années suivantes me paraît plus que


salutaire et l’on peut se féliciter que cette ligne ait
été maintenue en dépit de l’alternance politique de
2012. Il faut sans doute renforcer la pédagogie
concernant ce gel en rappelant, d’une part, qu’aug-
menter le point fonction publique est une mesure
indistincte et uniforme, qui ne satisfait personne
(cf. supra), d’autre part, que geler le point fonction
publique ne signifie en aucune manière geler les
rémunérations des fonctionnaires. Les chiffres cités
plus haut le soulignent avec force : en 2011, année
sans aucun coup de pouce sur le point fonction
publique, la rémunération moyenne des fonction-
naires a augmenté de 3,2 % grâce à l’avancement,
aux promotions et à l’évolution des primes. Ainsi,
entre 2007 et 2011, malgré la modération du
point fonction publique, la rémunération moyenne
des agents en place a augmenté de 19 % alors que
l’inflation cumulée a été de l’ordre de 8 %, ce qui
représente plus de 10 % de gain de pouvoir d’achat
sur la période. Il faut également mettre en avant le
fait que la politique de modération puis de gel du
point fonction publique s’est doublée de la création
d’un nouvel outil : le dispositif de « garantie indivi-
duelle du pouvoir d’achat » (GIPA) offre depuis
2008 à chaque fonctionnaire la garantie que l’évo-
lution de sa rémunération indiciaire suivra au mini-
mum l’inflation.
La GIPA est en effet une prime qui compense
l’écart d’évolution du traitement indiciaire
vis-à-vis de l’inflation sur une période de référence
de quatre ans lorsque le traitement indiciaire a eu

324
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

une évolution inférieure à l’inflation. Elle s’applique


aux fonctionnaires et à certains agents publics non
titulaires des administrations de l’État, des régions,
des départements, des communes, des collectivités à
statuts particuliers, des collectivités d’outre-mer et
de leurs établissements publics. Autrement dit, si
le traitement indiciaire effectivement perçu par
l’agent au terme de la période a évolué moins vite
que l’inflation, un montant indemnitaire brut équi-
valent à la perte de pouvoir d’achat ainsi constatée
est versé à l’agent. C’est ainsi qu’un premier verse-
ment a été effectué en 2008 sur la base des évolu-
tions de traitement indiciaire 2003-2007 : le nom-
bre de bénéficiaires a été d’environ 140 000 agents
au sein de l’État et de 200 000 à l’échelle des trois
fonctions publiques, pour un coût global d’environ
150 millions d’euros. Cette garantie a été utilisée à
plusieurs reprises par la suite et encore en 2011,
pour la période 2006-2010 : elle a alors profité à
74 000 agents dans les ministères, pour un montant
moyen loin d’être négligeable (852 euros). Là aussi,
on peut se féliciter que ce dispositif n’ait pas été
remis en cause avec l’alternance politique de 2012.
Notons au passage que cette garantie ne va d’ail-
leurs pas de soi au plan des principes : après tout,
hors convention collective spécifique, aucun salarié
du secteur privé n’a la garantie automatique de voir
son salaire compensé si l’inflation évolue plus rapi-
dement que son salaire. Une telle garantie ne tient
en outre aucun compte de la manière de servir de
l’agent. Enfin, en ne prenant pas en compte les pri-
mes pour calculer la compensation, on fait entrer
dans le champ plus d’agents que nécessaire : on a

325
Fonction publique

vu que les primes représentaient en moyenne une


part non négligeable de la rémunération globale
des fonctionnaires. Ceci étant, les gouvernements
successifs ont estimé qu’il était juste, parce qu’il
est au service de l’intérêt général, de garantir à un
agent public l’absence de pertes de pouvoir
d’achat et que la GIPA était un instrument alterna-
tif aux revalorisations du point fonction publique
qui était bien moins coûteux et qui garantissait
d’ailleurs mieux que ces dernières qu’aucun agent
public n’était laissé au bord du chemin.
Au regard de la situation des finances publiques,
on ne peut cependant exclure, même si aucun gou-
vernement ne s’est aventuré sur ce terrain à ce stade,
que les pouvoirs publics soient un jour contraints
d’aller au-delà du seul gel du point fonction
publique, par exemple en rendant non automati-
ques les avancements d’échelon. Les mesures prises
récemment par certains pays voisins de la France
ont souvent été bien plus radicales : gel des salaires
au Royaume-Uni et au Portugal, baisse de 5 % en
2010 et gel en 2011 en Espagne... Si la France se
trouvait contrainte de geler les rémunérations
publiques, les constats qui précèdent montrent
surabondamment que le gel du point fonction
publique n’y suffirait pas : il conviendrait de sup-
primer tout glissement-vieillesse-technicité, autre-
ment dit de geler tous les avancements ou promo-
tions. Je pense d’ailleurs que l’avancement
d’échelon automatique est non seulement contraire
au statut général des fonctionnaires mais très
contestable au plan des principes : pourquoi un

326
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

fonctionnaire dont la manière de servir serait totale-


ment insatisfaisante devrait-il quand même voir sa
rémunération augmenter grâce à des avancements
automatiques ?

3. La refonte des grilles indiciaires est


incontournable mais doit intégrer
l’allongement des durées de carrière
Du fait de l’évolution des métiers et des qualifi-
cations mais aussi des coups de pouce sur les bas
salaires, la réforme des grilles de catégorie C, B et
A se repose périodiquement. Toute l’histoire
récente de la fonction publique est ponctuée par
des chantiers de ce type, dont le plus célèbre reste
sans doute le protocole dit « Durafour ». En février
1990, le gouvernement décide ainsi une revalorisa-
tion de l’ensemble des rémunérations de la fonction
publique (à l’exclusion notable des hauts fonction-
naires). Il prévoit une rénovation de la grille des
classifications et des rémunérations des trois fonc-
tions publiques, afin qu’elle « prenne mieux en
considération les nouvelles qualifications mises en
œuvre par les agents publics au service de la collec-
tivité et favorise la motivation de ces mêmes agents
dans la recherche d’une plus grande efficacité et
d’un meilleur service rendu ». Cette revalorisation
générale sera statutairement complexe et d’ampleur
inédite : un ajustement de toutes les grilles de caté-
gorie C, B et A s’avérera nécessaire et produira ses
effets tout au long des années 1990.

327
Fonction publique

À l’aube des années 2000, le gouvernement a de


nouveau été dans l’obligation de revoir les grilles de
rémunération, ce qui a débouché sur le protocole dit
« Jacob » en 2005. La réforme n’a toutefois pas
embrassé la même ampleur en tant que seules les
grilles de catégorie C ont été modifiées. Surtout, la
démarche a connu une différence notable par rap-
port à celle du début des années 1990 : en contre-
partie de la revalorisation des grilles, il a été décidé
d’allonger la durée des échelons et cela afin de
mieux tenir compte de l’augmentation de la durée
de carrière des fonctionnaires. Cette contrepartie a
été jugée essentielle dans un contexte d’augmenta-
tion de l’espérance de vie et de la durée de cotisa-
tion. Elle a en outre permis de diminuer fortement
le coût des revalorisations pour les finances publi-
ques : les indices des grilles sont au final plus élevés
mais ils sont atteints moins rapidement, ce qui
ralentit le glissement-vieillesse-technicité décrit
plus haut. À la suite du protocole « Jacob », qui
ne concernait que les grilles des agents de catégorie
C, la refonte des grilles de catégorie B a été lancée
en créant un « nouvel espace statutaire » (NES). Les
indices de bas et de haut de grille ont été notable-
ment relevés pour aboutir à une grille unique com-
mune à tous les corps de catégorie B. En contrepar-
tie, les grilles ont été mises en cohérence avec la
durée effective des carrières des agents : alors que
les agents de catégorie B plafonnaient dans leur
corps ou leur grade au bout de 25 ans de carrière
environ, ce qui faisait que certains agents entrés à
25 ans n’avaient plus de perspectives d’évolution à
partir de 50 ans (sauf promotion), la durée de la

328
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

grille (pour passer du bas à son sommet) a été portée


à 33 ans. La même logique a enfin présidé à la
refonte des grilles de catégorie A, avec un élément
de réforme supplémentaire : le gouvernement a créé
un « grade à accès fonctionnel », c’est-à-dire la pos-
sibilité pour les corps de catégorie A de se doter
d’un grade supplémentaire (allongeant ainsi la car-
rière) mais dont l’accès est contingenté et limité aux
seuls agents justifiant d’un parcours professionnel
méritant. Évidemment, la portée de cet instrument,
qui s’étend progressivement aux corps de catégorie
A (attachés, administrateurs civils...), est à ce stade
limitée. Mais l’idée que la promotion dans un grade
de niveau supérieur puisse désormais se faire sans
utiliser pour unique critère l’ancienneté est indénia-
blement une grande avancée conceptuelle. Reste à
savoir si le principe ne sera pas dévoyé à l’avenir
par la suppression progressive de tout mécanisme
de sélection.
Bref, les grilles doivent continuer à être périodi-
quement revues, pour tenir compte des évolutions
du coût de la vie et des qualifications. Mais cela ne
saurait se faire sans contrepartie (l’allongement des
durées de carrière) et sans rompre avec des modali-
tés d’avancement ne tenant compte que de l’ancien-
neté. Tout l’enjeu de la nouvelle révision des grilles
de catégorie C que le gouvernement a décidé de
mettre en œuvre à compter de 2014 est de savoir
si elle sera entourée de contreparties similaires.

329
Fonction publique

4. Les primes versées aux agents doivent être


simplifiées et rompre avec leur logique
forfaitaire pour valoriser la performance
des agents
L’autre objectif devant présider à la réforme du
système est de davantage individualiser les rémuné-
rations. Et cela suppose de refondre totalement la
logique et les outils du régime indemnitaire actuel
des fonctionnaires, qui est complexe, opaque et
désincitatif. En effet, qu’y a-t-il de plus démobili-
sant pour un agent public que de savoir qu’il sera
payé rigoureusement de la même manière que son
voisin, quels que soient les mérites ou les efforts res-
pectifs ? La modernisation de la fonction publique
passe indéniablement par un renforcement de l’éva-
luation des agents et du lien entre leur rémunéra-
tion et leur manière de servir. C’est la raison pour
laquelle le gouvernement, à partir de 2009, a consa-
cré au sein du statut général des fonctionnaires le
principe selon lequel « les indemnités peuvent
tenir compte des fonctions et des résultats profes-
sionnels des agents ainsi que de la performance col-
lective des services ». Cette disposition fonde désor-
mais explicitement la possibilité de développer la
rémunération à la performance des agents publics,
individuelle comme collective. Le principal des
outils qui en ont résulté est le dispositif de prime
de fonctions et de résultats (PFR). Jusqu’à la créa-
tion de cet outil en 2009, la rémunération à la per-
formance dans la fonction publique était plus une
pétition de principe ou un sujet de colloque
qu’une réalité. Aucun véritable outil ne venait à

330
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

l’appui de cet objectif : comme on l’a vu, les primes


de rendement, insérées dans le maquis des régimes
indemnitaires, avaient quasi immédiatement obéi à
une logique purement forfaitaire, en fonction du
grade ou de l’échelon détenu. Tout l’enjeu a donc
été de promouvoir plus de différenciation au sein
de l’administration afin qu’un lien existe enfin
entre l’investissement et la performance d’un agent
et la manière dont il est rémunéré. La PFR s’est
voulue un instrument au service de cette idée de
bon sens, ainsi qu’un outil permettant une simpli-
fication radicale des régimes indemnitaires. Créée
pour un corps donné, elle a vocation à se substituer
à toutes les primes dont ses membres bénéficiaient
jusqu’alors et elle est exclusive, par principe, de
tout autre régime indemnitaire de même nature
(sauf pour un nombre très limité de primes listées
dans un arrêté). Elle se décompose en deux parts
cumulables et modulables indépendamment l’une
de l’autre, par application de coefficients multipli-
cateurs à un taux de référence : une part « fonction-
nelle », dite part « F », modulable de 1 à 6, dépend
des responsabilités, du niveau d’expertise et des
sujétions spéciales liées aux fonctions exercées ; une
part « résultats », dite part « R », modulable de 0 à
6, doit tenir compte de la performance et de la
manière de servir de l’agent. La modulation intègre,
sur cette part, l’atteinte ou non par l’agent des
objectifs qui lui ont été fixés préalablement, lors
de son entretien professionnel. Le montant de cette
part individuelle est en effet révisable d’une année
sur l’autre, en fonction des résultats constatés dans
le cadre de la procédure d’évaluation. Entre 2008 et

331
Fonction publique

2012, le gouvernement s’est attaché à l’appliquer


d’abord à la catégorie A (attachés, administrateurs
civils...) et à la filière administrative (secrétaires
administratifs). Elle a aussi été étendue aux emplois
de direction d’administration centrale et à ceux de
l’administration territoriale de l’État et concernerait
aujourd’hui plus de 200 000 agents.
Il est impératif que ce type d’outils se généralise
progressivement à l’ensemble de la fonction
publique. D’autant qu’il a le mérite, en proposant
un système unique et commun à plusieurs ministè-
res, de favoriser l’harmonisation des régimes indem-
nitaires d’une administration à l’autre, pour les
mêmes fonctions. Et le chemin reste encore long à
parcourir dans ce domaine... Le nouveau gouverne-
ment, en 2012, a certes semblé remettre en cause la
PFR. On peut cependant penser, et en tous cas
espérer, que cette remise en cause ne portera pas
sur l’ambition et la logique d’un tel dispositif, qui
est d’assurer un lien direct entre manière de servir et
rémunération. Il me paraît vraiment indispensable
que la PFR, ou le dispositif qui la remplacera,
s’étende rapidement aux autres filières et à tous les
niveaux hiérarchiques, sachant qu’il est normal
qu’un agent de catégorie C, exerçant des fonctions
d’exécution, ait une rémunération qui ne repose pas
dans la même proportion qu’un cadre sur l’atteinte
des résultats. Il faut surtout dépasser les inconvé-
nients qu’emportent inévitablement les premières
années de mise en œuvre d’une telle refonte : la pre-
mière année en effet, la fixation de la part « résul-
tats » est assez virtuelle puisqu’elle est largement

332
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

prédéterminée pour faire basculer les rémunérations


existantes dans le nouveau système. À l’inverse, en
rythme de croisière, si le dispositif est appliqué
selon son esprit, la modulation en fonction des
résultats peut être réelle et incitative pour les
agents. La qualité des entretiens professionnels évo-
qués plus haut est évidemment décisive à cet égard.
Notons, enfin, que la performance des agents
peut désormais aussi être reconnue dans un cadre
moins individuel, sous la forme d’un intéressement
collectif des services aux résultats qu’ils atteignent.
La mise en place de cet intéressement collectif a fait
l’objet de discussions approfondies en 2008 et
2009, à la suite d’un rapport parlementaire remis
par un député, M. Diefenbacher. Le gouvernement
en a tiré les conséquences en ouvrant, dans les tex-
tes, la faculté pour l’ensemble des employeurs
publics de développer un mode de rémunération
collectif, de nature à renforcer la cohésion des équi-
pes, fondé sur l’atteinte collective d’objectifs de ser-
vice public. Concrètement, les agents des services
les plus performants ou dont la progression des
résultats est la plus rapide pourraient bénéficier de
primes d’intéressement à leurs résultats. La création
de cet outil enrichit indéniablement la palette des
outils mobilisables pour valoriser la performance
des agents. On peut néanmoins craindre que sa
mise en œuvre soit compliquée (concertation préa-
lable sur les objectifs et indicateurs, difficulté à
comparer des services aux objectifs très divers...) et
risque d’en pervertir l’esprit : au lieu d’être sélecti-
ves et de verser un montant significatif aux services

333
Fonction publique

les plus méritants, les administrations seront sans


doute tentées par la logique de saupoudrage, déjà
pratiquées dans certaines d’entre elles... À ce stade
d’ailleurs, dans un contexte budgétaire de plus en
plus contraint, très peu d’administrations l’ont mis
en œuvre.
Au total, on peut considérer que les rémunéra-
tions dans la fonction publique, à travers des outils
aussi puissants que la PFR, ont pris un vrai virage
copernicien, qui porte un nom longtemps banni
dans l’administration : la rémunération à la perfor-
mance. Reste à savoir si cette inflexion décisive sera
poursuivie et approfondie au cours de la prochaine
décennie.

5. La politique de rémunération doit


continuer à valoriser le travail
supplémentaire
Les outils servant à rémunérer les fonctionnaires
doivent également favoriser le travail supplémen-
taire. Comme indiqué dans un précédent chapitre,
des mesures ont été récemment prises à cet effet,
que ce soient le paiement des heures supplémentai-
res à 125 % des heures normales, leur défiscalisa-
tion, ou encore la possibilité de monétiser des
jours RTT figurant sur les comptes
épargne-temps. On ne saurait négliger l’importance
de ce levier financier pour augmenter la durée effec-
tive du travail, en particulier dans certains secteurs.
C’est ainsi que les mesures relatives à la revalorisa-
tion des heures supplémentaires ont profité à de

334
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

nombreux enseignants (ils représentent 90 % des


heures supplémentaires réalisées par les fonctionnai-
res de l’État). Au total, les versements pour heures
supplémentaires sont passés de 1 172 millions d’eu-
ros en 2007 à 1 431 millions d’euros en 2009, soit
22 % d’augmentation en deux ans. Si depuis 2012
le gouvernement a remis en cause les mesures de
défiscalisation, il n’est pas revenu sur la monétisa-
tion des jours RTT, qui a également été un succès
immédiat. En 2009, sur le seul champ des ministè-
res, hors militaires et enseignement privé sous
contrat, près de 40 000 agents ont bénéficié du
rachat de jours de CET, pour un montant total de
18,5 millions d’euros et un montant moyen annuel
de 500 euros par bénéficiaire. Désormais, le CET,
malgré la complexité de son fonctionnement, est
devenu un instrument courant dans les administra-
tions. Avec cependant les effets pervers que l’on a
pu décrire plus haut.

6. La dynamique des rémunérations ne


pourra être poursuivie qu’à la condition
de dégager les marges de manœuvre
nécessaires grâce à la réduction des effectifs
L’histoire moderne de la fonction publique
démontre que l’inflation des effectifs de fonction-
naires a toujours eu un revers pour eux : leur rela-
tive paupérisation. Certes, comme on l’a constaté,
les statistiques démontrent que les fonctionnaires
sont globalement mieux payés que les salariés du
secteur privé (avec les réserves susmentionnées).
Mais comment ne pas reconnaître que le maintien

335
Fonction publique

de cet avantage comparatif, combiné jusqu’aux


années récentes à une croissance continue des effec-
tifs, ne l’a été qu’au prix de choix financiers insou-
tenables ? Autrement dit, les effectifs ont crû et les
rémunérations ont peu ou prou suivi mais au béné-
fice d’une politique totalement financée à crédit. La
masse salariale de l’État représente un tiers de ses
dépenses (120 milliards d’euros). Pour lutter contre
sa dérive naturelle tout en ne diminuant pas pure-
ment et simplement le pouvoir d’achat des fonc-
tionnaires, la réduction des effectifs me paraît abso-
lument incontournable. Elle seule autorisera à
prendre des mesures de revalorisation des rémunéra-
tions qui puissent rester soutenables. C’est bien le
sens de la politique qui a été développée entre
2007 et 2012, malgré ses lacunes relevées plus
haut : en décidant qu’une partie des économies
générées par le non-remplacement de fonctionnaires
bénéficierait à ceux qui restent en place, un équili-
bre a été recherché entre des efforts de productivité
d’un côté et un retour financier de l’autre. C’est
ainsi que le « un sur deux » a autorisé un retour
« catégoriel » (ex : 644 millions d’euros en 2010)
supérieur à celui consenti par le passé (375 millions
d’euros en moyenne entre 2004 et 2007) et gagé
par des réductions d’emplois. Et c’est ce retour caté-
goriel qui a permis de faire des revalorisations
ciblées, comme celles des jeunes enseignants, des
militaires ou des policiers.

336
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

7. Parallèlement, la gestion de la paye dans


les administrations de l’État doit être
profondément modernisée
L’État, employeur de près de 2,5 millions
d’agents civils et militaires, gère depuis longtemps
leur rémunération de manière éclatée. Les ministè-
res préparent la paye des agents qui relèvent de leur
gestion. La paye est ensuite calculée et versée par le
Trésor public, qui assume des tâches de comptabi-
lisation des charges de personnel dans les comptes
de l’État, de déclarations sociales et fiscales et d’édi-
tion des bulletins de paye. Or, comme cela a pu être
mis en lumière en 2007, cette organisation éclatée
rendait possible des écarts de productivité très
importants puisque sur les 10 000 agents en charge
de la paye, le nombre de dossiers traités par agent
variait de 60 et 600 selon les ministères. La qualité
du service rendu laissait aussi à désirer (informations
tardives, générant des rappels et des indus) de
même que la qualité réglementaire et comptable :
on constatait trois fois plus d’anomalies que dans
le secteur privé, souvent persistantes. La modernité
et la sécurité des applications de paye, développées
dans les années 1970, étaient plus que douteuses,
d’autant qu’aucune mutualisation des outils infor-
matiques n’était développée. Enfin, les outils de
pilotage, de projection et de simulation concernant
les ressources humaines restaient rudimentaires,
rendant la connaissance de la masse salariale
approximative.
Fort de ces constats, un chantier de restructura-
tion de l’ensemble de la chaîne de paye a été lancé

337
Fonction publique

en 2007, sous l’appellation « opérateur national de


paye ». Depuis, les travaux, qui sont éminemment
complexes au regard de l’échelle des enjeux, se
déploient autour de quatre objectifs opérationnels :
construire et mettre en place un système unifié d’in-
formation de paye ; élaborer un Livre blanc sur les
règles de la paye de la fonction publique de l’État ;
normaliser les systèmes d’information des ressources
humaines (SIRH) développés au sein de chaque
ministère ; redéfinir l’organisation et les processus
pour la gestion de la paye de tous les agents. Ce
chantier est en cours et, même s’il connaîtra
immanquablement des difficultés de mise en
œuvre d’ici à sa réalisation pleine et effective, pro-
grammée à ce stade en 2017, il est assurément déci-
sif pour doter l’État-employeur d’un outil moderne
de gestion de la paye, capable de servir les rémuné-
rations des fonctionnaires avec rapidité, fiabilité
et simplicité.

D. Conclusion
Au plan juridique, la rémunération des fonction-
naires est encadrée par des règles et des principes
forts, tels que le paiement après service fait, qui
sont des garanties pour les fonctionnaires autant
que pour les employeurs publics. Au plan statis-
tique, si la comparaison est toujours délicate avec
le secteur privé, les fonctionnaires sont en moyenne
mieux payés que les salariés, en tous cas pour ce qui
concerne les niveaux d’exécution (catégories C de la
fonction publique). En raison de leur progression de

338
Les fonctionnaires sont-ils bien payés ?

carrière très mécanique, les fonctionnaires ont la


particularité de bénéficier, lors des périodes de sta-
gnation ou de récession, c’est-à-dire quand l’infla-
tion est au plus bas, de gains de pouvoir d’achat
bien plus élevés que leurs homologues.
Pour autant, ce système de rémunération souffre
de profondes imperfections. Les décennies
d’après-guerre ont abouti à construire un système
de plus en plus sophistiqué, opaque et au final
plus égalitariste qu’équitable. Les grilles indiciaires,
qui nécessitent des ajustements incessants et qui
sont assorties de régimes de primes multiples
et sédimentés, rendent l’ensemble excessivement
complexe et rigide : les mesures générales, à l’image
de la revalorisation régulière du point fonction
publique, sont autant de déflagrations insoutena-
bles à l’échelle des trois fonctions publiques ; les
primes sont quasi toutes forfaitaires, sans lien avec
la manière de servir, ce qui est indéniablement
source de démotivation pour les agents et choquant
en termes d’égalité devant le travail effectif ; et la
parcellisation de la fonction publique en de multi-
ples corps favorise les stratégies de surenchère cor-
poratiste. Dans ce contexte, on ne peut que sous-
crire aux grandes tendances à l’œuvre depuis
quelques années : privilégier les mesures « indivi-
duelles » (ex. : garantie individuelle de pouvoir
d’achat) sur les mesures « collectives » (ex. : aug-
mentation du point fonction publique), les premiè-
res étant moins coûteuses et plus souples pour
s’adapter à la diversité des situations concrètes ;
simplifier le système en fusionnant les milliers de

339
Fonction publique

régimes de primes, comme on fusionne les corps ;


favoriser surtout la différenciation entre les agents,
en fonction de leur manière de servir, à travers l’ex-
tension progressive de la prime de fonctions et de
résultats. La décennie à venir sera l’occasion de
mesurer si les gouvernements successifs auront su
consolider et développer ces tendances et gager la
progression des rémunérations par des réductions
d’effectifs. Et ce afin de sortir de la spirale insoute-
nable (effectifs + rémunérations en hausse) dans
laquelle l’État s’est placé depuis toujours.

340
Chapitre 5
Les anciens fonctionnaires
sont-ils des retraités privilégiés ?

A. Enjeux
Le droit à la retraite fut l’un des acquis sociaux
les plus précoces pour les fonctionnaires. Il fut
même l’un de leurs signes distinctifs. S’il faut atten-
dre 1795 pour qu’un décret vienne accorder des
pensions à des « fonctionnaires publics retirés des
différentes administrations », la vénalité des offices
dès le XVe siècle s’analyse aisément comme une
manière pour les fonctionnaires de se constituer
une retraite au moment de transmettre leur charge.
Comme le rappel historique ouvrant cet ouvrage le
souligne, le pouvoir royal a largement toléré cette
pratique de la « resignatio in favorem » et de sa moné-
tisation : cela lui permettait d’éviter de payer direc-
tement des pensions à ses vieux agents publics.
Mais c’est sous le premier Empire que les caisses
de retraite apparaissent réellement, alimentées par
des retenues de 3 % sur les traitements. Cet acquis
impérial permettra à tous les régimes lui succédant
de payer à ses anciens fonctionnaires une retraite,
même s’il faudra longtemps avant que l’idée d’une

341
Fonction publique

retraite à âge fixe se concrétise. Autre moment


important dans l’histoire des retraites de la fonction
publique : 1964 voit l’adoption d’un « Code des
pensions civiles et militaires de retraite », qui
regroupe les différentes législations précédentes et
devient alors, jusqu’à nos jours, le texte de base
des pensions civiles de l’État.
Aujourd’hui, la spécificité de la fonction publique
demeure. Les retraités de la fonction publique ont
des régimes de retraite qui leur sont propres : régime
des pensions civiles ou militaires de l’État, régime de
la Caisse nationale de retraite des agents des collecti-
vités locales (CNRACL), régime du Fonds spécial
des pensions des ouvriers des établissements indus-
triels de l’État (FSPOEIE)... Nulle surprise, dans ce
contexte, à constater que les questions reviennent de
manière récurrente : le système de retraite des fonc-
tionnaires est-il plus avantageux que le régime géné-
ral ? Et faut-il maintenir de telles spécificités ?

B. Constats

1. Les fonctionnaires ont un droit à la retraite


et relèvent d’un ensemble de régimes
spécifiques, d’une grande complexité
Le statut général prévoit que « les fonctionnaires
sont affiliés à des régimes spéciaux de retraite et de
sécurité sociale », ce qui fonde à la fois leur droit à
la retraite et la spécificité de leurs régimes. Le pay-
sage des caisses de retraite est d’une grande comple-
xité. Pour les régimes de base, on compte le Régime

342
Les anciens fonctionnaires sont-ils des retraités privilégiés ?

des pensions civiles et militaires de retraites de


l’État, géré par le service des retraites de l’État,
qui s’appliquent aux agents titulaires de l’État
dont la durée de service a été de 15 ans minimum
(pour une durée inférieure, les agents sont rétroacti-
vement transférés au régime général du privé), la
Caisse nationale de retraites des agents des collecti-
vités locales (CNRACL), qui gère les pensions de
tous les titulaires territoriaux et hospitaliers ayant
15 ans de service, et le Fonds spécial des pensions
des ouvriers des établissements industriels de l’État
(FSPOEIE), tous deux gérés par la Caisse des dépôts
et consignations, enfin, la Mutualité sociale agri-
cole, qui concerne les enseignants du privé sous
contrat dans l’enseignement agricole. S’agissant des
régimes complémentaires, l’Institution de retraite
complémentaire des agents non titulaires de l’État
et des collectivités publiques (IRCANTEC) affilie
tous les agents non titulaires, la Retraite addition-
nelle de la fonction publique (RAFP) peut profiter
aux titulaires... Sans compter tout un ensemble de
cas particuliers : caisse de retraite du personnel de
l’Assemblée nationale, caisse de retraite du person-
nel du Sénat, régime des pensions d’Alsace-Lorraine
pour les ministres du culte, caisse de retraites des
marins... Le paysage ne brille donc pas par sa sim-
plicité, d’autant que les agents ayant cumulé diffé-
rentes situations professionnelles au cours de leur
carrière dépendent, au moment de la retraite, de
plusieurs régimes différents, ce qui en fait des
« polypensionnés ».

343
Fonction publique

2. Le régime de retraite des fonctionnaires


obéit à des règles spécifiques...
Au-delà de la multiplicité des régimes, des diffé-
rences importantes existent avec le régime général.
En premier lieu, l’âge de départ connaît des déroga-
tions propres à la fonction publique. Certaines pro-
fessions, dites catégories « actives », peuvent déro-
ger à l’âge de départ à la retraite de droit commun
en partant plus précocement à la retraite (ex. :
57 ans). Il s’agit, à titre d’exemples, des personnels
actifs de la police nationale ou municipale, de sur-
veillance des prisons ou des douanes, des ingénieurs
du contrôle de la navigation aérienne, des sapeurs
pompiers professionnels... Au-delà de ces corps spé-
cifiques, les fonctionnaires parents de trois enfants
disposaient jusqu’en 2010 de la faculté de partir
sans condition d’âge à la retraite, dès le respect
d’une condition de service minimal de 15 ans.
Concernant le régime des militaires, le départ est
possible à compter de 25 ans de services pour les
officiers et 15 ans pour les autres militaires. À
noter enfin que l’essentiel des fonctionnaires ne
peut pas poursuivre leur activité professionnelle
au-delà de 65 ans (mise à la retraite d’office ; hormis
les cas ouvrant droit à prolongation d’activité) à
l’inverse de leurs homologues du privé qui peuvent
travailler jusqu’à 70 ans.
En deuxième lieu, on relève des différences nota-
bles concernant les taux de cotisation. Avant que la
réforme de 2010 ne procède à leur alignement pro-
gressif, les taux de cotisation demeuraient inférieurs
pour le personnel de la fonction publique (7,85 %

344
Les anciens fonctionnaires sont-ils des retraités privilégiés ?

contre 10,65 % pour le salarié du secteur privé). A


contrario, l’employeur public cotise sensiblement
plus : 62 % pour l’État, 108 % pour les militaires,
27 % pour l’employeur local ou hospitalier, contre
15 % dans le secteur privé. Ainsi, une part impor-
tante des retraites des agents publics est financée
par leurs employeurs, ce financement représentant
environ 34 milliards d’euros pour l’État.
En troisième lieu, le calcul des pensions obéit à
des règles différentes : dans le secteur privé, le cal-
cul des retraites se fait sur les 25 meilleures années
de salaire alors qu’il se fonde sur les 6 derniers mois
dans le public. Cependant, dans le régime privé, est
prise en considération l’intégralité du salaire, y
compris les primes, à la différence du public où le
régime indemnitaire n’est pas pris en compte.
En dernier lieu, le taux de remplacement (calcul
de la pension sur la rémunération) est plus élevé que
dans le régime général (75 % du traitement indi-
ciaire brut pour une durée d’assurance complète
contre 50 % au régime général), ce que l’on justifie
par le fait que le régime des fonctionnaires constitue
à la fois un régime de base et un régime complé-
mentaire, là où le salarié du secteur privé est affilié
à la fois à un régime de base (régime général) et à
un régime complémentaire (ARRCO ou AGIRC).

3. ... Que la réforme des retraites de 2003 n’a


que partiellement gommé
La loi du 21 août 2003 a contribué à des premiè-
res convergences entre les régimes public et privé, à

345
Fonction publique

travers l’allongement de la durée de cotisation


nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum
de la pension, la mise en place des mécanismes de
décote/surcote et une modification des paramètres
du minimum garanti. La durée d’assurance requise
pour une retraite « à taux plein » est passée de 37,5
annuités en 2003 à 40,25 annuités en 2009. Conco-
mitamment, on a constaté que l’âge moyen de
départ en retraite des fonctionnaires a augmenté
sur la période de 9 mois dans la fonction publique
d’État (fonctionnaires civils uniquement) et de
10 mois dans les fonctions publiques territoriale et
hospitalière. Les effets de la réforme de 2003 se sont
donc concrétisés par un décalage de l’âge moyen au
départ à la retraite des fonctionnaires. Comme pour
le régime général, les fonctionnaires ont aussi béné-
ficié de mesures incitatives afin de favoriser le pro-
longement d’activité : la surcote, qui est une majo-
ration de la pension appliquée aux régimes de
fonctionnaires depuis le 1er janvier 2004 ; la décote,
qui est appliquée aux pensions des fonctionnaires
ou militaires qui n’ont pas accompli la durée d’assu-
rance requise, selon une montée en charge très pro-
gressive, s’étalant de 2006 à 2020. Enfin, la réforme
de 2003 a permis une convergence des régimes
public-privé sur le calcul du minimum garanti et
plus marginalement sur l’assiette de calcul des pen-
sions. En effet, même si les primes sont restées par
principe exclues, un nouveau régime obligatoire par
points a été institué sur leur montant : le régime de
retraite additionnel de la fonction publique
(RAFP). Ce dernier a permis aux fonctionnaires
d’acquérir une retraite en cotisant sur leurs primes

346
Les anciens fonctionnaires sont-ils des retraités privilégiés ?

et indemnités dans la limite de 20 % de leur traite-


ment indiciaire.

4. Les fonctionnaires font plus facilement


des carrières complètes et partent en moyenne
plus tôt que les salariés
La France se caractérise par un taux d’emploi
des seniors parmi les plus faibles d’Europe.
Cependant, la part des 50 ans et plus est plus éle-
vée dans l’ensemble des trois fonctions publiques
(de l’ordre de 30 % des salariés) que dans le sec-
teur privé (22 %). Plusieurs phénomènes expli-
quent cette différence : principe de carrière des
fonctionnaires, qui les maintient en règle générale
dans l’emploi jusqu’à la retraite, moindre recours
aux dispositifs de préretraite, mais également
importance des recrutements d’après-guerre... De
fait, un fonctionnaire conserve son statut tant
qu’il n’est pas « radié des cadres » : la radiation
des cadres, acte administratif mettant définitive-
ment fin à la carrière du fonctionnaire, découle
soit de l’admission à la retraite, soit d’une démis-
sion régulièrement acceptée, soit d’un licencie-
ment ou d’une révocation (qui met fin aux fonc-
tions de l’agent pour des motifs disciplinaires).
Or, les cas de licenciement ou de révocation sont
très peu nombreux à l’échelle de la fonction
publique : quelques dizaines par an tout au plus,
généralement en raison de faits extrêmement gra-
ves (à caractère pénal) et non pour des motifs d’in-
suffisance professionnelle (bien que les textes pré-
voient explicitement ce type de licenciement).

347
Fonction publique

Autrement dit, sauf à commettre des actes pénale-


ment répréhensibles, le fonctionnaire a toutes les
chances de pouvoir dérouler une carrière complète
dans la fonction publique. Bénéficiant de carrières
plus linéaires et plus complètes et ne pouvant aller
au-delà de 65 ans (67 ans après la réforme de
2010), les fonctionnaires partent globalement
plus tôt à la retraite. L’âge moyen de départ à la
retraite des fonctionnaires civils de l’État est ainsi
inférieur à celui constaté dans le secteur privé :
59,6 ans contre plus de 61 ans, et cela aussi en
raison du classement de nombreux personnels en
catégorie active bénéficiant de possibilités de
départs plus précoces (cf. supra).
Cela a pour conséquence immédiate de placer le
niveau moyen des pensions dans le secteur public à
un niveau plus élevé que dans le secteur privé.
Comme pour les comparaisons salariales, le parallèle
entre le privé et le public est certes difficile : le
nombre de cadres est différent, comme le nombre
de personnels d’exécution, ce qui biaise assez subs-
tantiellement les conclusions que l’on peut tirer.
On peut néanmoins globalement estimer que les
fonctionnaires sont mieux lotis que leurs homolo-
gues du privé, dont le montant moyen est assez net-
tement inférieur aux montants qui suivent : les pen-
sions civiles des fonctionnaires de l’État sont en
moyenne un peu supérieures à 2 200 euros pour les
hommes et à 1 800 euros pour les femmes.

348
Les anciens fonctionnaires sont-ils des retraités privilégiés ?

5. Les flux de départs ont connu des sommets


au cours des années récentes
Le vieillissement des effectifs de la fonction
publique se poursuit malgré une tendance au ralen-
tissement, en particulier dans la fonction publique
de l’État où de nombreux départs à la retraite sont
intervenus au cours des dernières années. La part des
50 ans et plus représente plus de 30 % des effectifs
de la fonction publique de l’État et de la fonction
publique territoriale, ceux de la fonction publique
hospitalière n’étant pas loin de cette proportion.
Ceci explique largement que le nombre de départs
à la retraite ait récemment connu des sommets.
Entre 2000 et 2010, les hausses ont été extrême-
ment importantes, en particulier dans les fonctions
publiques territoriale et hospitalière : dans les deux
cas, le nombre de départs en 2010 était supérieur à
plus de 60 % au nombre de départs en 2000. En
2010, lorsqu’on additionnait toutes les catégories
d’agents et toutes les fonctions publiques, on obte-
nait ainsi des départs annuels supérieurs à 180 000
agents, l’État représentant moins de 60 000 départs
sur ce total. Ce seul chiffre démontre au passage que
le non-remplacement des départs en retraite
appliqué au seul périmètre de l’État, comme cela a
été le cas entre 2008 et 2012, a été loin d’utiliser à
plein l’opportunité que constituaient et constituent
encore les départs à la retraite historiquement élevés
de fonctionnaires à l’échelle des trois fonctions
publiques.

349
Fonction publique

C. Réflexions
Le régime de retraite des fonctionnaires constitue
un ensemble de règles complexes et encore très lar-
gement différentes du régime général. Le grand
enjeu reste donc aujourd’hui celui de la convergence
public-privé.

1. La loi retraites de 2010 a permis


de nouvelles convergences avec le régime
général...
Au-delà du relèvement des conditions d’âge qui
s’applique dans les mêmes termes dans le secteur
public et le secteur privé (âge d’ouverture des droits
+ 2 ans), la loi retraites de 2010 a comporté un
volet relatif à l’équité des régimes de retraite. Elle
est en effet revenue sur trois spécificités du régime
des fonctionnaires : le taux de cotisation acquitté
par les fonctionnaires pour leur retraite (7,85 %) a
été aligné, en dix ans (puis neuf ans conformément
aux décisions ultérieures), sur celui qui s’applique
aux salariés du secteur privé (10,55 %) ; le dispositif
de départ anticipé sans condition d’âge pour les
parents de trois enfants a été fermé à compter de
2012, le souci ayant été de faire disparaître un dis-
positif, spécifique au secteur public, qui conduisait
en moyenne à des départs à 50 ou 54 ans selon les
fonctions publiques et n’avait plus le caractère nata-
liste ayant justifié sa création en 1924 ; le mini-
mum garanti applicable dans la fonction publique
est désormais soumis à la même condition de

350
Les anciens fonctionnaires sont-ils des retraités privilégiés ?

durée d’activité que le minimum de pension appli-


cable aux salariés du secteur privé.
Parallèlement, le choix a été fait de déverrouiller
les possibilités de prolongation d’activité pour les
agents publics qui le souhaitent. En effet, dans le
cadre de la loi de financement de la sécurité sociale
pour 2009 et de son décret d’application, il a été
mis fin à la retraite d’office des agents civils de caté-
gories actives (policiers, douaniers, infirmières...) à
55 ans ou 60 ans. Concrètement, depuis le 1er jan-
vier 2010, sur une base volontaire, ces fonctionnai-
res peuvent prolonger leur activité au-delà de 55 ou
60 ans, sous réserve de l’aptitude physique à occu-
per leur poste. Cette mesure traduit l’amélioration
des conditions de travail, des conditions de santé
des seniors et de l’évolution des modes de vie qui
évoluent (besoin financier lié à des enfants encore à
charge, crédits immobiliers, épouse en activité...).
Cela a constitué une manière indirecte et habile de
relativiser la portée du classement d’un corps en
catégorie active, en supprimant le couperet de
l’âge limite à 55 ou 60 ans.

2. ... Mais de nombreuses spécificités demeur-


ent et peuvent être questionnées
Pour autant, la liste des spécificités qui subsis-
tent reste longue. D’abord, l’existence de « catégo-
ries actives » n’a pas été directement remise en
cause, ce qui maintient donc pour certaines catégo-
ries de fonctionnaires des dérogations avantageuses
à l’âge d’ouverture des droits à la retraite. Subsistent
schématiquement deux catégories dites « actives » :

351
Fonction publique

celles qui permettent de partir dès 50 ans (corps en


uniforme tels que les policiers, douaniers, gardiens
de prison, sapeurs pompiers...), voire en deçà pour
les militaires ; celles qui permettent de partir à
compter de 55 ans (postiers, personnel de l’équipe-
ment travaillant sur la voirie...). Ces limites spécifi-
ques ont certes été impactées par la loi retraites de
2010, qui les a fait progressivement reculer de deux
ans mais elles n’ont pas été supprimées. La question
peut être légitimement posée du maintien de ces
avantages, sachant que le contexte a bien changé,
de même que les conditions de vie, depuis leur créa-
tion après-guerre. Les cas de personnels de catégorie
active faisant valoir leurs droits à la retraite pour
immédiatement reprendre une activité dans le sec-
teur privé sont connus. Je pense donc souhaitable
d’aller à terme vers un dispositif examinant la péni-
bilité de manière beaucoup plus individuelle et
moins générique, comme c’est le cas dans le secteur
privé.
Il existe également, et souvent au bénéfice des
mêmes catégories de personnel que celles évoquées
ci-dessus, des bonifications de pension. Le régime
des fonctionnaires présente en effet toujours la spé-
cificité d’allouer des bonifications gratuites : dans
certains cas, une année d’exercice compte pour
deux à trois années en matière de retraite. Des boni-
fications profitent ainsi aux fonctionnaires civils
(ex. : « service hors d’Europe », outre-mer), aux
militaires (services en campagne, service aérien ou
sous-marin) ou aux personnels de catégorie active,
qui jouissent pour certains d’entre eux de

352
Les anciens fonctionnaires sont-ils des retraités privilégiés ?

bonifications dites du « 5e » : cinq années cotisées


donnent droit à une année gratuite. On trouve
ainsi, à titre d’exemples, des bonifications de dépay-
sement, créées en 1853 au profit des fonctionnaires
envoyés hors d’Europe et notamment dans les colo-
nies françaises, qui s’appliquent toujours dans les
collectivités d’outre-mer et profitent même aux res-
sortissants locaux, ce qui est quelque peu contradic-
toire avec la notion de dépaysement... On compte
aussi des bonifications pour bénéfices de campagne,
qui sont en quelque sorte des bonifications de
« dépaysement » mais au profit des militaires, des
bonifications pour l’exécution d’un service aérien
ou sous-marin commandé ou encore des bonifica-
tions accordées aux professeurs de l’enseignement
technique, qui consistent à comptabiliser deux fois
la même année – une fois au titre du régime général
et une fois au titre du régime de retraite des fonc-
tionnaires. Ces bonifications conduisent à un paie-
ment plus précoce des pensions que dans les autres
régimes de retraite car ces bonifications sont prises
en compte pour la durée d’assurance et le montant
de la pension. Elles permettent ainsi de disposer
d’une carrière complète plus rapidement et d’échap-
per à la décote.
Or, aucune de ces bonifications n’existe dans le
secteur privé. Il ne s’agit pas de dire qu’il faille,
sans autre examen, supprimer l’ensemble de ces
avantages. Certains ne manquent sans doute pas de
justification, notamment ceux qui s’attachent aux
militaires qui se rendent sur des théâtres d’opéra-
tion exposés. Mais on peut vraiment s’interroger

353
Fonction publique

sur les autres cas, beaucoup moins évidents, et en


tout état de cause sur l’intérêt qu’il y aurait à trans-
former ces bonifications de retraite en avantages
indemnitaires. Pourquoi faut-il indemniser la prise
de risques particuliers par des avantages retraite
plutôt que par un accroissement des primes liées à
ces sujétions spéciales ? Cela paraîtrait nettement
plus cohérent.
Certains avantages familiaux et conjugaux, en
partie revus dans le cadre de la loi retraites de
2003, mériteraient également d’être toilettés. Pre-
nons le seul exemple de la pension de réversion
pour les veufs ou veuves. Actuellement, à l’inverse
du régime général, qui fixe un âge plancher de
55 ans, le régime de retraites des fonctionnaires ne
prévoit pas d’âge minimal pour la pension de réver-
sion. Là aussi, cette divergence entre les systèmes
public et privé est difficilement justifiable.

3. Le principal débat porte sur les règles


de calcul de la pension spécifiques
à la fonction publique, et notamment le calcul
sur les seuls six derniers mois d’activité
Le calcul de la pension sur les six derniers mois
représente sans nul doute l’avantage le plus symbo-
lique et le plus médiatique qui s’attacherait aux
régimes de retraite de la fonction publique. On
compare en effet à l’envi cette durée avec celle en
vigueur pour le régime général, à savoir un calcul
sur les 25 meilleures années d’activité et avec celle
en vigueur pour les régimes complémentaires, à

354
Les anciens fonctionnaires sont-ils des retraités privilégiés ?

savoir un calcul sur toute la durée de carrière. Ce


qu’on oublie de dire cependant, c’est que si la
durée prise en compte pour le calcul est plus avan-
tageuse dans le régime public, de même que le taux
de remplacement, l’assiette des rémunérations est,
elle, plus avantageuse dans le régime privé : l’inté-
gralité du salaire, y compris les primes, sert de base,
à la différence du public où le régime indemnitaire
n’est pas pris en compte. Or, l’exclusion des primes,
qui représentent en moyenne 15 % de la rémunéra-
tion des fonctionnaires mais peuvent aller bien
au-delà dans certains cas (cadres, infirmières), peut
être très préjudiciable au montant effectif de la pen-
sion. En raison de ces différences de calcul, qui
génèrent des effets en sens inverse, mais aussi du
profil des carrières très différenciées dans le public
et le privé, il n’est donc pas si aisé d’affirmer que le
régime public est nécessairement plus avantageux.
On ne sait d’ailleurs pas, pour les mêmes rai-
sons, exactement anticiper ce que pourrait engen-
drer un alignement pur et simple du régime public
sur le régime privé : d’un côté, il va de soi qu’un
passage aux 25 meilleures années plutôt qu’aux
six derniers mois diminuerait assez sensiblement,
mais de manière différente selon les catégories
concernées, le montant des pensions publiques ser-
vies ; de l’autre, un élargissement de l’assiette des
rémunérations aux primes augmenterait mécani-
quement ce montant. Tout dépend de la manière
dont cette prise en compte se ferait, c’est-à-dire
au titre du régime des pensions civiles ou au titre
du régime additionnel (RAFP) évoqué plus haut.

355
Fonction publique

Toutes les simulations démontrent que pour ne pas


peser de manière insoutenable sur les finances
publiques, l’alignement de la durée de référence
devrait avoir pour contrepartie une prise en compte
au titre du régime additionnel (moins généreux) et
non au titre du régime des pensions civiles.
Au total, on ne peut tenir qu’un raisonnement
nuancé. D’un côté, rien ne justifie une différence
de régimes aussi grande entre le public et le privé.
La règle des six derniers mois est sans doute le loin-
tain héritier des avantages retraite que l’histoire a
depuis très longtemps prodigués aux fonctionnaires.
Certes, elle ne date que de 1948 mais la durée de
référence était déjà calculée sur une durée courte
avant cette date (trois ans). En outre, elle se traduit
par de réels effets pervers s’agissant de la gestion des
personnels : dans les ministères, dans les entreprises
publiques (France Télécom, RATP...) aussi bien
que dans les collectivités locales, on pratique fré-
quemment la promotion « coup de chapeau », sans
aucune logique autre que d’avantager la retraite des
fonctionnaires concernés : de six mois à un an avant
la retraite, un nombre plus ou moins important
d’agents est promu à l’échelon ou au grade supé-
rieur ; l’indice supérieur détenu au cours de ces six
derniers mois d’activité augmente automatique-
ment les droits à pension. De ce point de vue, il
paraît donc pleinement justifié d’aboutir à un
régime plus comparable au régime général. D’un
autre côté, la bascule d’un système à l’autre ne
peut se faire du jour au lendemain, pour les diverses
raisons esquissées plus haut. Un alignement

356
Les anciens fonctionnaires sont-ils des retraités privilégiés ?

immédiat sur les 25 meilleures années, avec, en


contrepartie, l’intégration de tous les éléments de
rémunération, pourrait coûter fort cher aux finances
publiques, déjà fortement impactées par la dyna-
mique des pensions de fonctionnaires. Cela serait
en outre source de réelles injustices : les agents
bénéficiant actuellement d’une proportion de pri-
mes très importante, comme les cadres (40 à
50 %), profiteraient d’un très fort effet d’aubaine,
à l’inverse des agents bénéficiant de peu ou pas de
primes, comme les personnels enseignants, dont le
montant de pension diminuerait alors nettement.
Sauf à inventer de complexes systèmes de compen-
sation.
Il faut donc se garder des idées simplistes dans ce
domaine et plaider pour une convergence certes
mais nécessairement progressive dans le temps.
Elle pourrait prendre la forme de l’ajout, chaque
année, d’une année de référence, combinée à une
réforme du régime additionnel de la fonction
publique permettant d’assurer progressivement
que l’élargissement des éléments de rémunération
pris en compte profite équitablement à tous les
agents publics et vienne compenser de manière
adaptée les conséquences de l’allongement de la
durée de référence.

357
Fonction publique

4. Quelles que soient les prochaines réformes


de fond, il serait souhaitable que les règles
juridiques relatives à la retraite de tous
les fonctionnaires soient réécrites pour être
plus lisibles
Tout l’édifice juridique qui s’est construit à
compter de la Libération, par exemple sur le fonde-
ment de l’ordonnance du 17 mai 1945 pour le
régime de retraite des fonctionnaires territoriaux et
hospitaliers (CNRACL), a abouti à un ensemble
d’une grande complexité, stratifié par les réformes
successives et réservant les marges de manœuvre à
la loi sur tous les points fondamentaux (durée de
cotisation, décote et surcote, âge d’ouverture, mini-
mum garanti). La liberté donnée au pouvoir régle-
mentaire est donc très limitée, même pour le
régime des pensions des fonctionnaires d’État, les
pouvoirs publics veillant à mener des réformes stric-
tement identiques pour les trois versants de la fonc-
tion publique. Dans ce contexte, une réécriture ou
plutôt une recodification du Code des pensions civi-
les et militaires aurait le mérite de redonner des
marges de manœuvre au pouvoir réglementaire, en
revenant pour le droit des pensions à une répartition
entre la loi et le règlement plus efficace et plus
conforme à la jurisprudence du Conseil constitu-
tionnel relative aux principes fondamentaux de la
sécurité sociale. Cette recodification permettrait
aussi de rendre plus intelligible l’actuel Code, dont
certaines rédactions sont centenaires et sont mal
articulées avec les lois de 2003 et 2010 et le Code
de la sécurité sociale.

358
Les anciens fonctionnaires sont-ils des retraités privilégiés ?

5. Un même souci de simplification


et d’efficacité doit accompagner
la réorganisation en profondeur de la chaîne
de traitement des pensions de l’État
En 2007, une réforme profonde de l’organisation
des ministères pour le traitement des pensions de
l’État a été engagée. L’enjeu était de donner toute
sa portée au droit à l’information des actifs et des
retraités, tel que prévu par la loi du 21 août 2003,
et notamment à la mise en place des comptes indi-
viduels de retraite (CIR). Le constat était fait que le
traitement des pensions restait trop éclaté, puisque
trois maillons insuffisamment coordonnés coexis-
taient : des services ministériels, collectant l’infor-
mation et établissant le dossier de liquidation pour
les agents de leur ministère ; le service des pensions,
dépendant du ministère des comptes, contrôlant
l’exactitude des données et gérant le calcul ; des
centres régionaux de pensions, placés au sein de la
direction générale de la comptabilité publique,
assurant le versement et le suivi de la pension
(changements d’adresse bancaire, revalorisation).
Au total, on estimait à près de 3 000 agents pour
la seule fonction publique de l’État le nombre des
personnes intervenant dans cette chaîne de traite-
ment : la fragmentation du travail générait ainsi
des délais dans les processus de liquidation, au
détriment des retraités et futurs retraités, qui en
sont les utilisateurs.
Pour rationaliser le système, un service des retrai-
tes de l’État (SRE) a été préfiguré et créé en août
2009. Ce service à compétence nationale rattaché à

359
Fonction publique

la Direction générale des finances publiques


(DGFIP) dispose désormais d’une compétence élar-
gie à l’ensemble de la chaîne de gestion des pen-
sions, depuis l’établissement des dossiers de retraite
jusqu’à leur paiement. Il est au service des ministè-
res pour tout un ensemble de tâches (aide à l’enri-
chissement des comptes, aide à la reprise des carriè-
res antérieures, listes et indicateurs produits
trimestriellement). Il anime la mise en œuvre de la
réforme sous l’égide d’instances d’arbitrage intermi-
nistérielles : un comité de coordination stratégique
(CCS) placé auprès du ministre chargé du budget et
du ministre chargé de la Fonction publique a été
créé fin 2009 pour une durée de cinq ans. La
réforme se met désormais progressivement en place :
début 2011, le taux de comptes complétés a dépassé
les 50 %, chiffre qui ne cesse de croître depuis.
L’enjeu reste cependant celui de la suppression
concrète de tout ou partie des services autrefois
dédiés à ces tâches dans les ministères afin que
tous les doublons soient progressivement supprimés
et la chaîne de traitement vraiment rationalisée.

D. Conclusion
À l’instar des questions de rémunération, la com-
paraison public-privé est délicate en matière de
retraites. On peut toutefois estimer que les anciens
fonctionnaires sont en moyenne des retraités mieux
lotis que les anciens salariés : ceux appartenant à des
« catégories actives » peuvent toujours partir bien
avant l’âge légal d’ouverture des droits ; certains

360
Les anciens fonctionnaires sont-ils des retraités privilégiés ?

bénéficient de bonifications de retraite ; et tous


liquident leurs droits à pension sur les six derniers
mois d’activité, même si l’avantage que cela leur
procure est contrebalancé par l’exclusion des primes
perçues de l’assiette de calcul. Il s’en dégage un sys-
tème protecteur, d’une grande complexité, qui
nécessitera sans doute, même à droit constant, une
réécriture substantielle du Code des pensions civiles
et militaires de retraite pour gagner en lisibilité.
Cette refonte accompagnerait utilement les engage-
ments que l’État a déjà pris en matière d’informa-
tion des fonctionnaires, à travers la consécration
d’un droit à l’information et la mise en place
récente du service des retraites de l’État. La ques-
tion centrale pour l’avenir reste celle d’une harmo-
nisation plus poussée avec le régime général, même
si certaines règles, telles que celle des six derniers
mois, ne pourront à l’évidence être revues qu’au
prix d’une démarche très progressive.

361
Conclusion générale

C e tour d’horizon approfondi sur la fonction


publique, à partir de son histoire et des grandes
questions qui l’animent aujourd’hui, dessine au
final la chronique d’une révolution silencieuse.
J’anticipe le sentiment des fonctionnaires qui, à la
lecture de ces pages, estimeront peut-être qu’elles
ne restituent qu’imparfaitement leur ressenti indi-
viduel et quotidien. La part d’inertie et de frustra-
tion que génère notre bureaucratie est indéniable.
Chaque agent public, à tous les niveaux, peut la
vivre par moments. Et je sais parfaitement que
certains fonctionnaires auraient, à l’aune de leur
propre expérience, un jugement beaucoup plus
sévère que le mien : une fiche de paye trop faible
et trop peu dynamique, un manque de perspectives
professionnelles... Mais je voulais, en toute sincé-
rité, rendre justice à cette délicate équation que
tout gouvernement doit résoudre en matière de
politique de la fonction publique : il lui faut sans
cesse combiner des impératifs collectifs et des atten-
tes individuelles. Il serait par exemple agréable à
toute autorité politique de décider d’une revalorisa-
tion de tous les traitements dans la fonction
publique, à la faveur d’une augmentation substan-
tielle du point fonction publique. Mais lorsqu’on
comprend qu’une augmentation de 1 % du point
fonction publique coûte près de 2 milliards d’euros

363
Fonction publique

à l’échelle des trois fonctions publiques et qu’elle


est en outre très peu satisfaisante pour les fonction-
naires eux-mêmes (uniforme, sans lien avec la
manière de servir, souvent dérisoire sur la fiche de
paye), on perçoit peut-être mieux que les gouver-
nants soient tentés d’explorer d’autres voies (garan-
tie individuelle de pouvoir d’achat, prime de fonc-
tions et de résultats...), plus conformes aux
nécessités du temps.
Après des siècles d’une histoire mouvementée de
la fonction publique, le statut général de 1946 a en
tous cas constitué la tentative contemporaine la plus
aboutie de concilier la logique hiérarchique (qui fait
primer le collectif sur l’individuel) et la logique
démocratique (qui fait exister l’individu face à la
collectivité) : le fonctionnaire est depuis cette date
dans une « position statutaire et réglementaire »,
qui garantit tout à la fois ses obligations de service
et ses droits individuels. Cependant, lorsqu’on
prend un peu le recul des dernières décennies,
dans tous les champs de la réflexion (concours, car-
rière, rémunération, mobilité, dialogue social...),
j’ai le sentiment que cet équilibre subtil avait été
rompu. Le statut général issu des lois de 1983,
1984 et 1986 n’était en effet pas très éloigné de
son aïeul de 1946 mais on voyait clairement qu’il
faisait pencher la balance davantage que par le
passé vers la logique démocratique : au nom du
principe d’égalité, le concours était la règle
sacro-sainte, le recrutement d’agents sous contrat
ne pouvait être que dérogatoire et les fonctionnaires
d’un même corps devaient faire l’objet d’un

364
Conclusion générale

traitement rigoureusement égal au cours de leur


carrière ; au nom du principe d’indépendance,
étaient affirmés les garanties statutaires, le principe
de la carrière, la séparation du grade et de l’emploi ;
au nom du principe de citoyenneté, on consacrait
peu ou prou pour les fonctionnaires les mêmes
libertés individuelles et collectives que pour tout
citoyen. Ces principes n’étaient pas et ne sont pas
contestables en eux-mêmes mais on perçoit très
aisément que leur conciliation avec les principes
d’autorité et d’efficacité du service public, tout
aussi décisifs, n’est pas aisée. Parallèlement, la
décentralisation a considérablement complexifié le
paysage, en créant de toutes pièces ou presque une
fonction publique gouvernée par une logique diffé-
rente et adossée à un principe constitutionnel de
libre administration dont on pourrait à loisir souli-
gner tous les effets pervers. C’est enfin et surtout la
pratique qui, en excluant tout effort de différencia-
tion des carrières ou des rémunérations en fonction
de la manière de servir, au nom de l’égalitarisme de
tous les agents, ou en faisant la part belle à une
forme de cogestion entre l’administration et les syn-
dicats de fonctionnaires, a transformé un instru-
ment équilibré de gestion des ressources humaines
en un statut rigide, sclérosant et uniformisant.
Les années les plus récentes, de manière plus ou
moins consciente, ont été l’occasion d’un nouveau
pari : retrouver les fondamentaux et l’équilibre du
statut général de 1946. Le terme « révolution »
doit être d’ailleurs compris ici dans son acception
la plus stricte, c’est-à-dire comme un retour à des

365
Fonction publique

principes originels. Autrement dit, si le change-


ment est à l’œuvre dans tous les domaines de la
fonction publique, je suis convaincu qu’il s’opère
non par la négation des valeurs qui ont porté le sta-
tut général des fonctionnaires en 1946 – ce que cer-
tains aiment à laisser croire – mais précisément par
leur revisitation. Ce qui ne signifie évidemment pas
que les réformes en cours ne souffrent aucune fai-
blesse. Cette révolution est enfin « silencieuse » car
elle se déroule dans un contexte relativement apaisé
de dialogue social : au cours des dernières années,
mise à part la mobilisation autour de la réforme
des retraites de 2010 (qui a atteint des niveaux
d’ailleurs très inférieurs à 2003), on ne compte
guère de mouvements sociaux d’ampleur. Cela ne
peut être que mis au crédit d’un dialogue social
d’une qualité grandissante, reposant sur la responsa-
bilisation de tous les acteurs.

1. Les dynamiques sont saisissantes dans tous


les secteurs de la fonction publique
C’est d’abord vrai de tous les grands enjeux col-
lectifs. Le périmètre des services publics fait désor-
mais l’objet d’un questionnement continuel, à tra-
vers la « révision générale des politiques
publiques » hier, la « modernisation de l’action
publique » aujourd’hui, même s’il est encore trop
tôt pour mesurer les résultats concrets de cette der-
nière. La RGPP, quels que soient ses indéniables
défauts, a eu le mérite de mettre les administrations
en mouvement, même si elle s’est très largement
limitée à ce stade à réformer l’organisation

366
Conclusion générale

administrative de l’État. Ce sont ainsi plusieurs


milliards d’euros qui ont été économisés en dépen-
ses de fonctionnement et de personnel. Mais plus
fondamentale encore est la prise de conscience col-
lective qu’elle a générée quant à la nécessité de la
réforme à tous les niveaux.
Dans ce sillage, le périmètre de la fonction
publique, qui ne peut être défini in abstracto, est
lui-même en pleine évolution. La part croissante
des agents de catégorie A (encadrement), au détri-
ment des agents de catégorie C (exécution), atteste
du recentrage progressif des missions de l’État sur
des fonctions de conception et de contrôle. Cette
transformation ne peut aller qu’en s’accentuant et
invite à repenser l’équilibre à trouver demain entre
des missions directement accomplies par les collec-
tivités publiques et des missions transférées ou délé-
guées au secteur privé.
La maîtrise des effectifs de l’État est, elle, deve-
nue un élément clé de la politique de la fonction
publique, ce qui rompt avec des décennies de
laxisme en la matière. Certes, la règle du
non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux a
pu être débattue sur un terrain théorique par ceux
qui soutenaient qu’avant d’ériger une règle trans-
versale de ce type, il eut fallu commencer par réflé-
chir aux missions (puis seulement en déduire les
réductions d’emplois). Je crois sincèrement qu’un
tel raisonnement était malheureusement, dans les
faits, la parfaite garantie d’un statu quo, tant il est
difficile de décider in abstracto que telle ou telle mis-
sion et les fonctionnaires qui la remplissent n’ont

367
Fonction publique

plus de raison d’être. Et il fallait, selon moi, prendre


le « un sur deux » pour ce qu’il était avant tout, à
savoir un puissant aiguillon : il invitait les ministè-
res et leurs directions des ressources humaines à
repenser au plus juste, chaque année, et dans le
cadre d’une contrainte générale, la gestion prévi-
sionnelle des effectifs, des emplois et des compéten-
ces. À cette aune, l’inflexion que le nouveau gouver-
nement a donnée en 2012 à la réduction des
effectifs de fonctionnaires me paraît contestable
puisque le choix a été fait de maintenir le nombre
de fonctionnaires à l’horizon 2017 au même niveau
qu’en 2012. Même si l’accent mis en faveur de
quelques secteurs en particulier (éducation natio-
nale, police, gendarmerie, justice) met en réalité
tous les autres sous très forte tension.
La continuité est plus évidente s’agissant des
efforts de simplification statutaire, qui ont pris une
nouvelle ampleur à compter de 2005. La situation
était devenue intenable avec une segmentation en
près de 1 000 corps à l’aube des années 2000. Le
Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique,
remis au gouvernement en avril 2009, avait préco-
nisé de basculer d’un système fondé sur ces centai-
nes de corps vers un système beaucoup plus simple
et lisible, structuré autour de sept ou huit filières de
métiers et d’une cinquantaine de « cadres statutai-
res ». Il avait ainsi bien dessiné l’horizon à attein-
dre. Mais le choix a été fait, en la matière, d’une
démarche plus incrémentale et sans doute plus réa-
liste, celle d’intensifier le programme de fusions de
corps, qui pourrait désormais aboutir à un total de

368
Conclusion générale

moins de 200 corps de fonctionnaires de l’État à


l’horizon 2017.
Le fait que le contrat prenne une place de plus en
plus complémentaire au statut est également une
évolution marquante des dernières années. À un
contrat dérogatoire, un peu honteux, succède pro-
gressivement un régime de travail beaucoup plus
assumé par les employeurs publics et permettant
une véritable souplesse de fonctionnement. La
contrepartie a été d’assurer que le recours au contrat
n’était pas synonyme de précarité pour les agents
concernés : en transposant à sa fonction publique
des règles fixées par les directives communautaires
et en renforçant par la loi du 12 mars 2012 les pos-
sibilités de passage en CDI, la France a offert de
réelles perspectives à ses agents en CDD, pour les
prémunir de tels risques de précarisation.
Enfin, le dialogue social, longtemps caractérisé
par ses lourdeurs institutionnelles et la sophistica-
tion de son paysage, est en pleine rénovation dans
la fonction publique. Les lieux informels du dialo-
gue social se sont développés, de même que les ins-
tances ad hoc de négociation. La refonte de 2010,
qui a permis de ne faire reposer la composition des
instances et les moyens des syndicats que sur la
seule élection, marque indubitablement l’aube
d’une nouvelle ère et d’une recomposition des
acteurs syndicaux. Le fait aussi que le centre de gra-
vité du dialogue social se déplace lentement mais
sûrement des questions individuelles (qui inondent
les commissions administratives paritaires) vers les
questions stratégiques et collectives (qui sont de la

369
Fonction publique

compétence des comités techniques) est une petite


révolution. Le fait enfin d’avoir introduit à compter
de 2013 le principe de l’accord majoritaire est un
formidable pari en faveur d’un dialogue social plus
partenarial que conflictuel.
Mais la révolution silencieuse est aussi prégnante
s’agissant de ce que j’ai appelé les « enjeux indivi-
duels » de la fonction publique. En matière de
recrutement, le contenu des concours administratifs
fait désormais l’objet d’un questionnement conti-
nuel et salutaire. Tous les efforts convergent pour
promouvoir des épreuves moins académiques et
plus professionnelles, particulièrement pour les
voies de promotion interne. Ces efforts, qui favori-
sent la recherche des savoir-faire plutôt que la
reconnaissance des savoirs, sont autant de portes
ouvertes à une plus grande diversité des profils.
Mais bien évidemment, seul le recul de plusieurs
années permettra d’établir s’ils ont bien porté leurs
fruits sur ces deux registres, de professionnalisation
et de diversification.
La carrière des fonctionnaires est elle aussi l’objet
de toutes les attentions : fin du système rigide
et sclérosant de la notation, généralisation des
entretiens professionnels, encadrement plus strict
des avancements et promotions, développement
d’un panel complet d’outils en faveur de la
mobilité... Le cadre juridique et managérial n’a
cessé de s’enrichir au cours des dernières années
pour mettre le suivi des carrières au centre de la
GRH dans la fonction publique.

370
Conclusion générale

La rémunération est un autre terrain où la rup-


ture avec des habitudes anciennes est particulière-
ment nette : négociation salariale insérée dans un
cadre pluriannuel, modération des mesures généra-
les (comme la hausse du point fonction publique)
au profit de réponses plus individualisées (GIPA)
et plus tournées vers la performance (PFR), amélio-
rations catégorielles subordonnées aux efforts de
maîtrise des effectifs... Dans un contexte où conte-
nir la dynamique de la masse salariale de l’État est
un enjeu de premier ordre, l’ambition est de rendre
le système moins égalitariste et plus équitable,
c’est-à-dire tenant mieux compte de l’engagement
et des performances individuels.
Enfin, les deux plus récentes réformes des retrai-
tes (2003 et 2010) ont chacune apporté des pierres
importantes à la nécessaire convergence entre les
régimes de retraite des fonctionnaires et le régime
général des salariés du secteur privé : durée de coti-
sation, création de décote et surcote, alignement
progressif des taux de cotisation, suppression des
avantages propres aux fonctionnaires parents de
trois enfants, harmonisation des modalités de calcul
du minimum garanti et du minimum contributif...
Même si d’importantes spécificités demeurent, une
tendance forte à la convergence est à l’œuvre.

371
Fonction publique

2. Ces évolutions sont à bien des égards


des retours aux fondamentaux de notre
fonction publique contemporaine
Le questionnement sur le bon périmètre des ser-
vices publics est aussi vieux que l’État lui-même,
comme le rappel historique ouvrant cet ouvrage a
permis de le souligner à de multiples reprises. On
ne compte plus le nombre de comités, aux noms
parfois explicites (comité guillotine, comité de la
hache...), que l’État a mis en place au cours de son
existence pour se réformer. La révision des politi-
ques publiques pratiquée ces dernières années n’est
venue en réalité que structurer une préoccupation
ancienne, qui avait le vrai défaut d’être souvent
plus tournée vers la conceptualisation que vers l’ac-
tion. Le périmètre de la fonction publique, lui, ne
s’est jamais confondu purement et simplement avec
le périmètre des agents sous statut. Qu’on songe
aux années 1950 qui ont vu croître un très impor-
tant secteur nationalisé, au sein duquel les régimes
de travail étaient certes proches de ceux des fonc-
tionnaires mais obéissaient pourtant à des règles de
droit et des grilles différentes. Réfléchir au partage
le plus intelligent entre un secteur public et des
missions externalisées n’est donc pas un tabou,
comme l’histoire elle-même l’enseigne. Il en va de
même s’agissant de la maîtrise des effectifs. Com-
bien de voix se sont élevées, dès la multiplication
des offices au XVIe siècle et singulièrement à
compter du XIXe siècle, sur le nombre sans cesse
croissant des fonctionnaires ! Les plus avertis théori-
saient déjà à l’époque les risques que ce choix du

372
Conclusion générale

nombre faisait peser en matière de paupérisation des


agents publics : plus on recrute, moins on a de mar-
ges pour bien gérer et rémunérer.
Tous les travaux consistant à simplifier l’archi-
tecture statutaire visent, eux, à mettre fin à une
dérive que les fondateurs du statut de 1946
n’avaient sans doute pas bien anticipée. Au sortir
de la Seconde Guerre mondiale et alors que le
maquis des régimes juridiques était encore la
règle, ces pères fondateurs étaient précisément por-
tés par une logique d’unification : un seul et même
statut général, appelé à encadrer l’ensemble des car-
rières des agents publics ; une logique subsidiaire
de fonctionnement par corps, chacun d’entre eux
étant censé réunir une même catégorie de métiers.
Cependant, en ménageant dans le statut général
lui-même une possibilité pour les statuts particu-
liers de déroger aux règles communes, le statut de
1946 a ouvert une boîte de Pandore : les corps et
leurs statuts particuliers se sont multipliés, gom-
mant très largement la volonté simplificatrice et
unificatrice des origines. Les ambitieux program-
mes de fusions de corps sont, à cette aune, autant
de mesures visant à retrouver l’équilibre originel.
S’agissant de la place du contrat aussi, on relève
que dès 1946, le statut a été réservé à une part seu-
lement des agents publics, laissant dans une situa-
tion contractuelle de nombreux agents. Par la suite,
la part des contractuels, en dépit de plus de 16
plans de titularisation successifs, est restée très
stable, démontrant que le recours au contrat ne
devait pas être considéré comme un mode

373
Fonction publique

dérogatoire de fonctionnement mais bien comme


une souplesse indispensable au bon fonctionnement
de toutes les collectivités publiques. Les réformes
récentes ont eu le mérite de mettre un terme à
cette ambiguïté, en assumant l’existence de cette
part d’agents sous contrat et en créant en parallèle
des possibilités réelles de passage en CDI pour les
agents occupant des fonctions permanentes.
Le dialogue social dans la fonction publique est,
lui, issu d’un terreau éminemment politique. Le
e
XIX siècle et singulièrement la première moitié du
e
XX siècle ont été des périodes de luttes intenses
entre les partisans et les opposants à la constitution
de syndicats de fonctionnaires, du fait du silence de
la loi de 1884 sur ce point. À cet égard, dans le
sillage de l’ordonnance du 9 octobre 1945, qui
marque la naissance du paritarisme, le statut géné-
ral de 1946, qui fonde la reconnaissance du droit
syndical dans la fonction publique, ne se comprend
que comme la recherche d’un équilibre subtil entre
un principe légitime de participation d’une part et
un principe incontournable d’autorité hiérarchique
d’autre part. Tout l’enjeu des réformes en cours est,
au sein d’une administration où la cogestion n’a
cessé de gagner du terrain, de restaurer cet équilibre
perdu.
Sur le front des « enjeux individuels » de la fonc-
tion publique, l’histoire peut pareillement être
convoquée. Le souci des gouvernements de mainte-
nir le principe du recrutement par concours, tout en
en professionnalisant les modalités, est un écho à un
principe très ancien. L’article 6 de la Déclaration

374
Conclusion générale

des droits de l’homme et du citoyen, qui consacre


l’égalité de tous pour l’accès aux emplois publics,
suppose tout à la fois de privilégier des procédures
anonymes et transparentes, obéissant à une logique
de sélection sur les seuls « talents et vertus » des
candidats, et de garantir que les caractéristiques de
cette sélection n’excluent pas de fait toute une par-
tie de la population, moins favorisée. La lutte contre
l’académisme des épreuves est bien la traduction de
cette recherche du meilleur chemin de crête entre
ces deux impératifs.
S’agissant de la carrière des fonctionnaires, le fait
de mettre l’accent sur l’évaluation et les entretiens
professionnels plutôt que sur un système de nota-
tion absurde répond à l’obligation faite à l’adminis-
tration par la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen de rendre des comptes. Et lever les freins
juridiques et financiers à la mobilité ne traduit que
le principe de mutabilité du service public, que le
Conseil d’État a depuis longtemps consacré comme
principe général du droit. Le droit à la formation,
qui ne cesse de s’enrichir depuis les années 1970,
est, lui, une conséquence directe du droit à la car-
rière des fonctionnaires : la formation participe du
maintien de leur employabilité au cours de leur vie
professionnelle.
On pourrait ainsi multiplier les références à des
règles et des principes anciens pour expliquer les
efforts à l’œuvre s’agissant de la modernisation de
tous les actes de gestion des fonctionnaires. La
rémunération à la performance elle-même, qu’elle
soit individuelle ou collective, n’est pas une idée

375
Fonction publique

neuve. Elle contribue là aussi à la satisfaction du


principe de responsabilité de l’administration posé
par la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen. Et elle était déjà très présente dans les
débats fondateurs de 1946, dans les propos d’un
Maurice Thorez notamment. Enfin, le système de
retraites des fonctionnaires est, on l’a vu, un héritier
très direct de l’histoire, qui a façonné précocement
les acquis spécifiques des agents publics dans ce
domaine. Favoriser la convergence public-privé en
la matière n’est à cet égard qu’une traduction d’un
principe ancien mais toujours nié, qui est l’égalité
de tous devant la retraite.

3. Cela ne signifie évidemment pas que


les réformes récentes soient exemptes
de faiblesses
J’estime que la RGPP a beaucoup contribué à
repenser nos politiques publiques. Mais elle s’est
surtout concentrée sur les modalités d’organisation
de l’État et de ses établissements publics, en travail-
lant peu ou indirectement à la remise en cause du
vrai gisement d’économies : les politiques d’inter-
vention et, plus particulièrement, la masse des
transferts sociaux. Repenser notre modèle social,
qui est l’impératif des décennies à venir, ne pourra
faire l’impasse sur cette indispensable remise en
question. Autrement dit, la RGPP conduite entre
2007 et 2012 était nécessaire mais elle ne peut se
concevoir que comme une première étape, en appe-
lant d’autres, plus profondes encore. Seul l’avenir
dira si la modernisation de l’action publique

376
Conclusion générale

(MAP) lancée en 2012 aura su mieux répondre à cet


enjeu central.
Il en va de même de la maîtrise des effectifs de
fonctionnaires. Poursuivre la décrue du nombre de
fonctionnaires de l’État, à travers une règle de
non-remplacement de tout ou partie des départs à
la retraite, me paraît, je l’ai dit, un impératif natio-
nal. Mais il va de soi que cela ne saurait suffire,
quand dans le même temps les recrutements de
fonctionnaires territoriaux ne font l’objet d’aucune
maîtrise comparable. Pour le contribuable, l’addi-
tion reste la même, que le fonctionnaire relève de
l’État ou d’une collectivité territoriale. En la
matière, on ne peut qu’appeler à mieux corréler le
niveau des dotations budgétaires de l’État aux col-
lectivités à une réelle maîtrise de leur masse sala-
riale.
S’agissant du périmètre de la fonction publique,
qui dessine la ligne de partage entre des personnels
sous statut et des personnels sous contrat, le débat
n’est pas clos non plus. En premier lieu, la loi de
2012 ouvre une ère où coexisteront des agents titu-
laires, des agents en CDI et des agents en
CDD. Avant 2012, ces trois catégories existaient
déjà mais la part des CDI restait limitée : en facili-
tant le passage en CDI, la réforme a ouvert une
coexistence inédite entre des deux catégories
d’agents employés pour répondre à des besoins per-
manents. Si cette évolution était souhaitable pour
mettre fin à des pratiques abusives de recours aux
CDD, il est indéniable que la manière dont cohabi-
teront ces deux catégories d’agents est incertaine :

377
Fonction publique

elle ne pourra avoir de sens que si les conditions et


les pratiques de licenciement des agents en CDI ne
sont pas aussi restrictives que celles des fonctionnai-
res stricto sensu. En second lieu, la question du bon
périmètre des agents sous statut sera inévitablement
reposée. Il est autour de la France beaucoup de
modèles de fonction publique qui réservent la qua-
lité de titulaire à un champ d’emplois beaucoup
plus restreints, souvent limité aux seules fonctions
régaliennes. Si le partage n’est pas facile à réaliser
in abstracto, il est indéniable que les frontières seront
appelées à bouger au cours des années à venir. Sans
même parler de l’opportunité de développer les pra-
tiques d’externalisation, à ce jour encore peu répan-
dues dans l’administration, faute d’ailleurs d’un
solide bilan coûts-avantages les concernant.
La simplification statutaire en cours est un chan-
tier de très longue haleine à compter du moment où
l’on procède par fusions de corps successives. C’est
en outre un chantier coûteux pour les finances
publiques car toute fusion appelle en général un ali-
gnement sur le mieux disant indiciaire et indemni-
taire : ce n’est pas le moindre des inconvénients
dans la période que nous connaissons. L’idée d’un
« grand soir », qui consisterait, comme le préconi-
sait le Livre blanc sur l’avenir de la fonction
publique en 2009, à basculer du régime des corps
à un système reposant sur une cinquantaine de
grands cadres statutaires, regroupés en filières pro-
fessionnelles, était séduisante car elle marquerait
une simplification radicale du cadre de gestion des
fonctionnaires. Mais la complexité et le coût

378
Conclusion générale

immédiat d’une telle opération ont conduit à privi-


légier une démarche plus réaliste et plus incrémen-
tale qui, par définition, ne portera ses fruits que si
elle s’inscrit dans la durée.
La refondation du dialogue social aussi est un
pari sur l’avenir. La modification des règles de la
représentativité syndicale a eu le mérite de traduire
un principe démocratique, en plaçant au centre la
seule audience aux élections. Mais la conséquence
est que les plus petits syndicats, qui sont souvent
les plus enclins à engager leur signature avec le
gouvernement, risquent de disparaître. Pour survi-
vre, et même si aucun seuil de représentativité à
10 % n’a été fixé dans le public comme il l’a été
dans le privé, ils vont devoir s’affilier à des syndicats
dont l’audience est substantielle. Le risque existe
donc pour le gouvernement de n’avoir face à lui
plus qu’un nombre réduit d’interlocuteurs, ce qui
est sans doute une bonne chose, mais privilégiant
des postures très contestataires, ce qui ne favorisera
pas le caractère constructif du dialogue social. Le
risque est d’autant plus grand que la fonction
publique va entrer dans l’ère de l’accord majoritaire,
c’est-à-dire qu’une majorité de syndicats pourra
dénoncer les termes d’un accord. A contrario, en
obligeant tous les acteurs à prendre leurs responsa-
bilités (signature ou opposition explicite), le nou-
veau système fera sans doute évoluer les postures et
les rapports de force, certains syndicats pouvant être
tentés par une démarche plus constructive. L’avenir
dira quelle logique prévaudra.

379
Fonction publique

En matière de recrutement, le toilettage de tous


les concours ne pourra avoir que des effets différés et
non mécaniques. L’académisme ne saurait disparaî-
tre du jour au lendemain, d’autant que son main-
tien peut se justifier dans toute une série de cas
(concours de catégorie A notamment). C’est une
évolution structurelle, qui passe tout autant par la
formation des jurys de concours ou l’amélioration
des préparations aux concours administratifs.
Pour la gestion des carrières de fonctionnaires,
indéniablement, la panoplie des outils s’est beau-
coup enrichie au cours des dernières années : entre-
tiens professionnels, entretiens de carrière, outils en
faveur de la mobilité, droit individuel à la forma-
tion (DIF), généralisation des conseillers
mobilité-carrière... Mais c’est typiquement le
domaine dans lequel modifier les textes ou créer de
nouveaux outils n’est pas la garantie de change-
ments réels et immédiats. Outre le fait qu’il faut
s’assurer de la pleine mise en œuvre des nouvelles
règles – il existe encore bien des situations où des
fonctionnaires n’ont aucun entretien professionnel
annuel –, il faut s’assurer que leurs objectifs soient
bien satisfaits – un entretien avec un collaborateur
est encore souvent un à-côté paperassier auquel un
cadre se soumet de mauvaise grâce pour, au final, le
pratiquer de manière superficielle ou expéditive.
On constate également combien le DIF peine à
trouver sa pleine mesure dans le secteur public (ce
qui est très vrai aussi dans le secteur privé), démon-
trant que la formation au long de la carrière n’est
pas encore inscrite dans les parcours professionnels.

380
Conclusion générale

Il faudra sans doute imaginer des dispositifs de


suivi, d’incitation, voire de sanction d’une autre
ampleur que ceux qui existent actuellement.
Dans le même ordre d’idées, les efforts décrits
plus haut pour introduire la notion de performance
dans les actes d’avancement, de promotion et de
rémunération sont remarquables. C’est indéniable-
ment une petite révolution copernicienne dans un
monde où l’égalitarisme et l’ancienneté sont deux
modes de fonctionnement cardinaux. Mais là aussi,
il faudra attendre quelques années pour mesurer si
la continuité a été de mise, si la généralisation s’est
poursuivie et si les pratiques ont évolué au même
rythme que les textes.
Enfin, la convergence public-privé en matière de
régimes de retraites a connu des avancées substan-
tielles. Mais des différences importantes subsistent,
notamment en matière d’âge de départ et de règles
de liquidation de la retraite. Ces spécificités ont
beaucoup perdu de leur raison d’être, quand
celle-ci existait. Même s’il faut se garder des idées
toutes faites en la matière (ex. : alignement immé-
diat de la règle des six derniers mois du régime des
fonctionnaires sur les 25 meilleures années du
régime général), de nouveaux efforts de convergence
devront inévitablement figurer au menu des pro-
chains rendez-vous retraites.
Toutes ces évolutions dessinent au final les attri-
buts d’une politique de la fonction publique qui,
malgré ses insuffisances, a été au cours des années
les plus récentes d’une ampleur et d’une cohérence

381
Fonction publique

inédites. L’ensemble du cadre de gestion des fonc-


tionnaires et plus largement des agents publics est
en pleine révolution. Certes, la modification des
textes et la promotion de nouveaux outils ne trans-
forment jamais, du jour au lendemain, une commu-
nauté de travail aussi nombreuse et aussi diverse
dans ses métiers que la fonction publique. Mais ces
réformes portent à tous les niveaux un changement
de culture, qui rejoint, j’en suis convaincu, les
beaux principes fondateurs de 1946.
Espérons que le privilège du temps et la conti-
nuité des choix, sur un registre non partisan, per-
mettront à ces efforts de porter tous leurs fruits,
dans un secteur où un consensus national serait si
bien venu.

382
la_fonction_publique_201_384_384 Page 384

Imprimé en France. - JOUVE, 1, rue du Docteur Sauvé, 53100 MAYENNE


N° 2 099875W. - Dé pôt lé ga l : juin 201 3

Black
Fonction publique FORUM-Dos 20mm_couv Jamin 30/05/13 10:32 Page1

F O R U M F O R U M

FORUM
La fonction
publique Arnaud
La fonction publique, à l'instar de l'État, occupe une place singulière en France.
Certains lui prêtent toutes les vertus, louant la qualité des services publics
FREYDER
hexagonaux et le professionnalisme, voire le dévouement, des fonctionnaires qui
les font exister au quotidien. D'autres au contraire s'insurgent contre un système
qui maintient près d'un cinquième de la population active sous un statut
protecteur et en dehors des sphères productives de l'économie française. Les
appréciations régulièrement portées sur la fonction publique sont pleines de telles
La fonction

La fonction publique
contradictions et les médias, faute de bien la connaître, véhiculent à son égard
des clichés qui ont souvent la vie dure. La grande ambition de cet ouvrage de
référence, écrit par l'un des spécialistes de la fonction publique en France, est
de dépasser tous ces faux-semblants, en prenant le recul de l'Histoire et en
analysant, en profondeur et à partir des données les plus à jour, la révolution
silencieuse que connaît le régime des fonctionnaires depuis plusieurs années,
publique
dans tous les domaines. Quel est le juste périmètre de la fonction publique ? Les
fonctionnaires sont-ils trop nombreux ? Faut-il supprimer le statut des
fonctionnaires ? Les fonctionnaires sont-ils bien gérés ? bien payés ? Et sont-ils Chronique d’une révolution silencieuse
des retraités privilégiés ? Voilà quelques-unes des 10 questions clés qui agitent
régulièrement le débat public et auxquelles l'auteur, ancien conseiller au cabinet

Arnaud FREYDER
du Premier ministre de 2009 à 2012, répond avec clarté... et sans tabou.

Historien de formation, ancien élève de l'ENS Ulm, de l'ENA et de Sciences Po,


Arnaud Freyder travaille depuis près de 10 ans sur la réforme des politiques
publiques en France. Il a notamment été, de 2009 à 2012, conseiller au cabinet
du Premier ministre pour la réforme de l'État et la fonction publique. Il est
actuellement directeur des ressources humaines d'une grande institution
publique.

www.lextenso-editions.fr

978-2-275-04072-1
25 €

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