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Texte Oral Analyse linéaire

Bac n°1
Prologue
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SCHIFFMAN Pronote.

Introduction
Présentation de l’auteur et de l’œuvre : Moine érudit devenu médecin, François Rabelais
est l’un des auteurs français représentatifs de la Renaissance et de l’humanisme. En 1532, paraît son
premier roman Pantagruel, inspiré de chroniques populaires à la mode à son époque. Rabelais
imagine les aventures d’un géant inspiré d’un héros mythologique issu du folklore. Son gigantisme et
son caractère vorace en font un personnage haut en couleur et un porte-parole de désir de connaître
qui caractérise l’humanisme. En 1534, Rabelais publie les aventures du père de Pantagruel,
Gargantua. Rabelais ouvre son deuxième ouvrage, Gargantua, par un prologue, dont nous allons ici
expliquer la première partie. Dans cet extrait, l’auteur se met lui-même en scène sous le
pseudonyme et anagramme d’Alcofribas Nasier, et invite le lecteur à poursuivre sa lecture en
dépassant sa première impression et en allant au-delà du caractère comique de son livre.

Lecture du texte

Problématique : Comment Rabelais parvient-il à capter l’attention de son lecteur en proposant


un guide de lecture de son livre ?

Mouvements du texte :
Premier mouvement (l.1 à 19) : présente une apostrophe provocatrice et une double référence un
peu mystérieuse à Socrate et aux silènes.

Deuxième mouvement (l 20 à 26) : le sens de l’analogie est révélé et un pacte de lecture à la fois
joyeux et exigeant est établi.

Enjeux :

-Une construction très rigoureuse,

-une proposition de lecture complice avec le lecteur,

-Une culture humaniste.


Analyse :

Premier mouvement (l. 1 à 22) : une apostrophe provocatrice et une double référence un
peu mystérieuse à Socrate et aux silènes

Premier paragraphe :
Le texte commence par une longue phrase (l. 1 à 5) : le prologue s’ouvre sur une apostrophe pour le
moins provocatrice et fondée sur la figure de l’oxymore. Rabelais/Alcofribas s’adresse à un public de
« buveurs » (ce qui apparaît fort trivial), mais ceux-ci sont « très illustres ». Gargantua s’ouvre ainsi
d’emblée sous le signe de la franche gaieté et de la joie de vivre avec l’apparition d’un lecteur
compagnon de beuverie de l’auteur. De même, les « vérolés » font partie du public que se choisit
l’auteur (ce qui constitue un élitisme risible), mais ceux-ci sont paradoxalement « très précieux ».
Après le camarade « buveur », apparaît l’amateur de plaisirs charnels (la vérole est une maladie
vénérienne). La provocation réside dans le fait que ces deux figures de lecteur sont les seules
qu’accepte l’auteur, comme l’explique la parenthèse : « (car c’est à vous, à personne d’autre, que
sont dédiés mes écrits) ». La conjonction de coordination « car » à valeur causale introduit un
présentatif qui vise à mettre en évidence le public très restreint choisi par l’auteur, par opposition à
tous les autres, qui se voient rejetés de manière catégorique.

La suite de la phrase est marquée par une rupture de ton puisqu’on passe de la provocation risible à
la très noble référence à Platon (« lequel était unanimement reconnu comme le prince des
philosophes »).

-un lien semble cependant se faire entre la bonne chère des « buveurs » et le titre de l’œuvre de
Platon, Le Banquet. Rabelais précise par ailleurs qu’il s’agit d’un dialogue (genre aimé par les
humanistes) au moment même où il entre en communication avec son lecteur et tente d’établir une
complicité avec lui.

-Cette référence à Platon permet d’introduire, sur un mode sérieux, la figure ambivalente de Socrate,
posée à travers la relation de maître à disciple : « Alcibiade au moment de faire l’éloge de son
précepteur Socrate » : C’est en fait ce même type de relation que l’auteur cherche à établir avec ses
lecteurs, mais sur un mode plaisant. La fin de la phrase indique la comparaison que le général
athénien fait de son précepteur avec des silènes, boîtes à l’extérieur grossier mais au contenu
précieux : « Alcibiade […] dit entre autres compliments qu’il était semblable aux silènes. » Dans cette
première phrase, l’auteur établit une communication familière avec son lecteur.

-Mais le propos peut sembler à première vue assez éloigné du livre. Pourquoi cette référence à
Platon et cette comparaison aux silènes, objet d’ailleurs assez mystérieux ?

Deuxième paragraphe (l. 6 à 12)


- définition et description des silènes.

Définition : objets du passé (imparfait + adverbe de temps « jadis »), du temps d’Alcibiade et de
Socrate, mais le lecteur peut s’en faire une idée précise en observant des boîtes similaires
(comparaison « comme celles que… ») chez les « apothicaires » (c’est-à-dire les pharmaciens). Plus
précisément, les silènes sont des boîtes. Pourquoi cette comparaison avec Socrate ?

Description de l’objet, fondée sur une opposition entre intérieur et extérieur, contenant et
contenu, structurant le paragraphe et marquée par l’adverbe « toutefois » :

-La première partie se concentre sur l’apparence des Silène. Celle-ci est grotesque, comme le
souligne l’énumération comique des « figures amusantes » ornant leurs couvercles. L’auteur fait la
liste de créatures animales fantastiques « telles que harpies, satyres, oisons bridés, lièvres cornus,
canes bâtées, boucs volants, cerfs attelés », et souligne la dimension comique de ces « peintures
imaginées pour faire rire les gens ». Une parenthèse vient préciser l’origine étymologique et
mythologique de ces figurines : « (Silène, maître du bon Bacchus, était ainsi fait) ». Silène, qui a
donné son nom à l’objet décrit ici, est en effet, dans la mythologie grecque, un satyre, précepteur et
père adoptif de Dionysos/Bacchus, et personnifiant, comme ce dernier, l’ivresse. On voit ici que
Rabelais tisse des liens entre les références mythologiques qu’il utilise et la dimension dionysiaque
qu’il compte donner à son œuvre.

- leur contenu est précieux. L’auteur utilise une nouvelle fois la figure de l’énumération (« baume,
ambre gris, amomon, musc, civette, pierreries »), les différents éléments de la liste étant encadrés
par deux expressions mettant en évidence leur valeur extraordinaire : « fines substances », « choses
précieuses », en écho à « figures amusantes et frivoles » et « imaginées pour faire rire les gens »
présents dans la première partie du paragraphe.

Le troisième paragraphe (l. 13 à 22)


-revient à la comparaison de Socrate à un silène, introduite au premier paragraphe, par
l’intermédiaire de la référence au Banquet de Platon :

-après avoir affirmé l’analogie entre Socrate et le silène (« tel était Socrate », « tel » renvoyant au
paragraphe précédent consacré aux silènes), l’auteur en explique la raison, dans une proposition
introduite par la conjonction de coordination « car » à valeur causale.

-on retrouve alors la structure en opposition rencontrée au paragraphe précédent :


extérieur/intérieur :

Rabelais dresse d’abord de manière comique le portrait physique du célèbre personnage en mettant
en évidence sa laideur (« tant il était laid et ridicule »). Il se permet un rapprochement très :
prosaïque, en opposition avec la qualité de grand philosophe de Socrate : « vous n’en auriez pas
donné une pelure d’oignon » ;

- puis il procède par accumulation de noms pour le physique (« nez », « regard », « visage »),
d’adjectifs pour l’aspect moral (« simple », « rustique », « pauvre », « infortuné », « inapte »), de
verbes au participe présent pour le comportement (« riant », « trinquant », « se moquant »,
« dissimulant »). Ce procédé de l’énumération, ainsi que le registre comique rappellent les peintures
grotesques évoquées au paragraphe précédent.

- la conjonction de coordination « or » introduit l’opposition entre l’apparent ridicule du personnage


et son âme exceptionnelle : La comparaison avec la « boîte » est explicite et Rabelais reprend, pour
parler de Socrate, le terme de « substance » utilisé auparavant pour les silènes.

Autant les termes et expressions renvoyant au physique du personnage étaient péjoratifs, autant
ceux renvoyant à son intériorité (Socrate possède toutes les qualités) sont mélioratifs, voire
hyperboliques et l’apparentent même à un dieu : « céleste et inappréciable », « surhumaine »,
« incroyable », « invincible », « sans pareille », « complète », « parfaite », « absolu ». Il se trouve au-
dessus des « hommes », qui eux, « veillent, courent, travaillent, naviguent et bataillent », c’est-à-dire
s’agitent (on note l’emploi absolu de tous les verbes de cette énumération) au lieu de penser.

Deuxième mouvement (l. 23 à la fin) : le sens de l’analogie révélé et l’établissement d’un


pacte de lecture à la fois joyeux et exigeant

-La seconde partie de l’extrait s’ouvre sur une question directement adressée au lecteur, de la
même manière que la première débutait par une apostrophe. On note alors une nouvelle rupture de
ton, cette fois entre l’évocation de la perfection de Socrate (à la fin du premier paragraphe) et le
questionnement brutal sur l’intention cachée (puis avouée) de l’auteur (au début du second
paragraphe).

Cette interrogation porte sur le sens à donner à ce « prélude », c’est-à-dire à l’analogie établie entre
Socrate et les silènes. Dans les lignes 23 à 29, l’auteur, dans une fiction de dialogue avec son lecteur,
s’empresse de répondre à la question posée. Il faut que le lecteur considère le livre qu’il s’apprête à
lire comme un silène, et comme Socrate, ridicule d’apparence mais délivrant un enseignement
précieux. Dans cette nouvelle apostrophe (aussi provocatrice que la première, notamment avec
l’expression « fous oisifs »), les lecteurs sont appelés « bons disciples », de même qu’Alcibiade était
le disciple de Socrate. Il ne faut cependant pas juger prétentieux ce parallèle entre Rabelais et
Socrate. Rabelais ne veut pas qu’on voie en lui un nouveau Socrate, mais il souhaite faire reconnaître
entre Socrate et lui une parenté d’esprit.

-La suite du paragraphe reprend l’opposition entre l’extérieur et l’intérieur, appliquée cette fois-ci au
livre, c’est-à-dire au comparé :

L’auteur s’attache d’abord à montrer l’apparence grotesque de ses œuvres. Ainsi, celui-ci cite « les
joyeux titres » de ces œuvres, en commençant par Gargantua, puisque c’est celui-ci que le lecteur
s’apprête à lire. Viennent ensuite ceux des œuvres réelles ou imaginaires : Pantagruel, Fessepinte, La
Dignité des Braguettes, Sur les haricots au lard cum commento, tous aussi parodiques les uns que les
autres, du fait de leur trivialité.

-Mais justement, s’en tenir au titre, c’est, aller trop « rapidement » en besogne et, selon la
métaphore utilisée par Rabelais, juger la boutique à son « enseigne extérieure ». Ici, le lecteur
comprend enfin le sens de la double référence à Socrate et aux silènes. Le lecteur trop peu attentif
prendra (l’emploi du futur de l’indicatif tient au statut introductif du prologue, qui anticipe la
lecture à venir du livre présenté) à tort la surface dérisoire (Rabelais accumule ici les termes
renvoyant à l’apparence grotesque et futile du livre, en jouant sur un effet de rimes internes :
« moqueries, folâtreries et menteries […] plaisanteries ») pour « le contenu ». Ici se trouve donc
définie la figure du mauvais lecteur selon Rabelais, celui qui « pense » « trop rapidement » et qui se
lance « sans recherche approfondie », la préposition « sans » de sens négatif mettant en évidence un
manque, ici, de discernement. En creux, se trouve par conséquent brossé le portrait du lecteur idéal
selon Rabelais : certes, ce lecteur doit avoir un tempérament optimiste, être amateur de plaisirs (vin
et amour, comme l’indiquait l’apostrophe qui ouvrait le texte), mais on ne doit pas confondre la
légèreté de tempérament avec la légèreté d’esprit.
Conclusion
Le prologue de Gargantua cherche à accrocher le lecteur en s’adressant directement à lui et de
manière provocatrice. Cependant, Rabelais transforme cet exercice de parade, où Alcofribas Nasier
joue le rôle d’un amuseur de foire, en une leçon de savoir lire, grâce à la définition implicite de son
lecteur idéal. En effet, l’auteur, dans un raisonnement par analogie très structuré, explique comment
on doit considérer son œuvre. C’est un moyen pour lui de se défendre des critiques, mais c’est
surtout une manière de choisir son lecteur : joyeux, bon vivant, mais réfléchi et capable de penser
par lui-même. Ainsi établit-il un pacte de lecture à l’allure bigarrée, à la fois triviale et érudite.

Le prologue est, qui plus est, paradoxal, car, juste après nous avoir dit que nous devons savoir
déchiffrer le « plus haut sens » derrière « l’esprit de plaisanterie » de son roman, l’auteur va nous
expliquer le contraire, de sorte que nous nous retrouverons un peu perdus au seuil du roman. C’est
sans doute finalement une manière de nous forcer à lire par nous-mêmes sans nous donner de clé
préétablie.

Le caractère paradoxal du prologue sera repris dans son avis au lecteur par Montaigne, qui ira
jusqu’à indiquer que la lecture des Essais est une perte de temps.

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