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Jean Cazeneuve

Quelques attitudes à l'égard de la télévision


In: Communications, 5, 1965. pp. 120-123.

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Cazeneuve Jean. Quelques attitudes à l'égard de la télévision. In: Communications, 5, 1965. pp. 120-123.

doi : 10.3406/comm.1965.1037

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1965_num_5_1_1037
ENQ UÊTES

Jean Cazeneuve
(en collaboration avec Paule Bendano
et Claude BreteauJ

Quelques attitudes à l'égard de la télévision

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blème et de les provoquer à s'exprimer sur ce sujet, afin de noter les réflexions
et les thèmes particuliers qui pouvaient être ainsi évoqués. Le moyen le plus
simple était de solliciter des réponses par écrit. Nous avons donc fait diffuser
un appel par tous les moyens possibles. La presse de Paris et de province, à
de très rares exceptions près, a gracieusement accepté de l'insérer dans ses
feuilles, en bonne place ; la radiodiffusion française le reproduisit oralement
plusieurs fois au cours de ses émissions sur deux de ses chaînes ; et la télévi
sionfrançaise, à deux reprises, fit projeter ce texte sur le petit écran en le fa
isant lire en même temps par la speakerine. Sous des formes un peu différentes,
suivant les cas, cet appel invitait le public à se demander si la radio et la télé
vision avaient élevé son niveau de connaissance, à dire de quelle façon, et sur
tout à s'exprimer librement sur ce problème. Il ne s'agissait donc pas d'un
questionnaire à proprement parler, mais d'une sollicitation à écrire sans cadre
prédéterminé ce qu'on pouvait penser sur le très vaste sujet du rôle culturel
de la radio et de la télévision.
Il est inutile de préciser que le but de cette démarche n'était nullement d'ob
tenir des renseignements ayant une valeur statistique. Mais, étant donné le
caractère en somme insaisissable du public en question, il nous paraissait qu'au
cunmoyen d'approcher ces problèmes, même de façon très lointaine, ne devait
être a priori négligé. L'important est, en somme, de ne pas demander à une
investigation ce qu'elle ne peut pas donner, et de la prendre pour ce qu'elle est.
Les lettres reçues ont été au nombre d'un peu plus de trois mille, ce qui est
relativement peu, si Ton songe au nombre très considérable de personnes qui
avaient pu lire, voir ou entendre notre appel, et si l'on compare avec le volu
mineux courrier que suscitent certaines émissions de la télévision. Parmi ces
lettres, beaucoup ne concernaient pas le sujet proposé : plusieurs centaines de
personnes avaient profité de l'occasion pour dire leur sentiment sur tel ou tel
point sans rapport avec celui-là, ou bien pour demander des renseignements.
Ces missives inopportunes étant écartées, il restait un total de 2 210 réponses.

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Quelques attitudes à V égara de la télévision

Rares étaient celles qui traitaient à la fois de la radio et de la télévision ; il


est donc naturel, pour rendre compte des résultats du dépouillement, de mettre
à part ces deux domaines. Puisque nous ne reparlerons ici que de la télévision,,
disons tout de suite que, une fois écartés les billets fantaisistes ou inintelligibles,
nous avons retenu 1 400 lettres de téléspectateurs dont le texte correspondait
à ce qui avait été demandé dans nos appels (et, en ce qui concerne la radio,
il y aurait à retenir environ 1 800 lettres, dont beaucoup sont en partie con»
sacrées à la radio et en partie à la télévision).
Une première indication qu'on peut retenir de ce courrier, c'est celle qui
concerne précisément la méthode employée, ou, si l'on préfère, la partie du
public qui répond à des appels de ce genre. Jacques Lacomblez, analysant les
différents moyens de connaître les réactions de l'auditoire radiophonique, notait
ce qui suit, en ce qui concerne « le courrier provoqué qui fait suite à un appel
à l'opinion et au jugement des auditeurs », c'est-à-dire la même source de ren
seignements que celle dont nous parlons ici : « II semble, à l'analyse, que
répondent surtout des auditeurs réguliers appartenant à des groupes sociaux
déterminés, personnes disposant du temps d'écrire et animées de la volonté
de collaborer bénévolement. Il s'agit de personnes vivant, au. moins sur un plan,
en dehors de la bousculade qu'entraîne la vie moderne x. » Ces caractéristiques
sont très différentes de celles que le même auteur reconnaît au courrier spon
tané, qui, lui, émane plutôt de personnes irascibles, marginales, caractérielles-
et, en tout cas, peu représentatives, dans leur ensemble, de la masse des audi
teurs, mais qui traduit des courants pouvant devenir « leaders » si la situa
tion se dégrade. Les lettres que reçoivent, sans les avoir sollicitées, les respon
sables des émissions correspondent à des opinions extrêmes : approbation,
enthousiaste, délirante, ou bien critique violente, récrimination impatiente. Les-
lettres que nous avons écartées comme ne répondant pas du tout à notre
demande, pourraient être, pour la plupart, rangées dans la catégorie du cour
rier spontané. Leurs auteurs avaient tout simplement saisi l'occasion d'en
voyer à une adresse nouvelle les récriminations qui, habituellement, étaient
destinées à la direction des programmes. Par contre, les 1 400 lettres que nous-
avons retenues en ce qui concerne la télévision et qui répondaient vraiment
à l'appel diffusé, se distinguaient très nettement du courrier spontané habituel
non seulement par le ton mais aussi par les opinions nuancées qui s'y trou
vaient exprimées.
Quelle est la composition de cet ensemble de 1 400 correspondants ? Ce sont,
en majorité des hommes (65 % du total). Quant à l'âge, la répartition est la.
suivante : 39 % au-dessus de 60 ans ; 27 % de 46 à 60 ans ; 20 % de 31 à 45 ans ;
10 % de 20 à 30 ans ; 4 % au-dessous de 20 ans. On trouve donc 66 % de per
sonnes ayant dépassé la quarante-cinquième année. Quant à l'origine géogra
phique des lettres, elle s'établit ainsi : 47 % venaient de Paris ou de sa ban
lieue ; 45 % de villes de province de plus de 4 000 habitants ; 8 % de la cam
pagne ou de villes de moins de 4 000 habitants. Enfin, selon les professions^
on obtient le classement suivant :

1. Jacques Lacomblez. < La radio et ses publics » (in Techniques de diffusion col
lective, n° 3, Bruxelles, août 1960), p. 55.
12£
Jean Cazeneuve
Professeurs 19 %
Ingénieurs et cadres supérieurs 15,6%
Cadres moyens 12,5 %
Instituteurs 11,4 % .
Employés de bureau, techniciens 10,4 %
Commerçants 5,4 %
Artistes Illustration non autorisée à la diffusion 5,4 %
Petits cadres 4,5 %
Médecins 4,5 %
Lycéens et étudiants 3,4 %
Clergé 2,7 %
Ouvriers 2,4 %
Cultivateurs 1,6 %
Avocats 1,2 %
Si l'on réunit en un seul groupe toutes les professions qu'on a coutume de
considérer comme « intellectuelles » (Professeurs, ingénieurs et cadres supér
ieurs, instituteurs, artistes, médecins, étudiants et lycéens, clergé, avocats),
on voit qu'elles constituent au total, plus de 63 % de l'ensemble considéré.
En définitive, les 1 400 téléspectateurs ayant répondu à notre appel au s(ujet
du rôle culturel des moyens de diffusion par les ondes sont en majorité des per
sonnes âgées et des intellectuels, et l'on y compte plus d'hommes que de
femmes. Presque tous, enfin, sont des citadins.
Quels sont les thèmes principaux qui apparaissent dans le dépouillement de
ces 1 400 lettres, dont on ne doit pas perdre de vue l'origine très particulière,
puisqu'elles émanent de personnes qui ont bien voulu prendre la peine de
répondre à une pré-enquête concernant la valeur éducative de la télévision,
c'est-à-dire de personnes sensibilisées à ce problème précis ? La très grande
majorité des lettres répondent affirmativement : oui, la télévision élève le
niveau des connaissances. Seulement 5 % des correspondants ne sont pas de
cet avis et estiment que la télévision ne les instruit pas. Si l'on calcule le pour
centage non plus par rapport à la totalité du courrier, mais par rapport aux
diverses catégories qui le composent, on s'aperçoit que le pourcentage des
réponses négatives à cette question est deux fois plus élevé chez les hommes
que chez les femmes, deux fois plus élevé aussi chez les personnes âgées de
plus de 45 ans que chez les plus jeunes et qu'il est sensiblement le même chez
les « intellectuels » que chez les autres. Un thème annexe est fourni par l'idée
qui apparaît spontanément dans 7 % des lettres : l'image facilite la compréh
ension. Les pourcentages, ici, sont plus élevés chez les hommes que chez les .
femmes, plus chez les non-intellectuels que chez les intellectuels et plus aussi
chez les ruraux et les villageois que chez les citadins. Une autre affirmation
apparaît spontanément, dans 14 % des lettres : la télévision donne une ouver
turesur le monde ; elle permet de mieux connaître les autres hommes, les
autres façons de vivre. Ici, les rapports sont à peu près inversés, car les pour
centages les plus élevés sont dans les lettres des femmes, des intellectuels, des
moins de 45 ans et des ruraux.
Un certain nombre de correspondants ont profité de l'occasion pour dire
qu'à leur avis la principale mission de la télévision était de distraire, et que
cette tâche devait passer bien avant celle d'instruire ou d'informer. Cette opi
nion est exprimée dans 10 % des lettres d'hommes et seulement 4 % des lettres
de femmes. Les pourcentages par rapport aux autres catégories sont les suivants :

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Quelques attitudes à l'égard de la télévision

Professions intellectuelles 5 %
» non-intellectuelles 11 %
Age : plus de 60 ans 8 %
de 46 à Illustration
60 ans non autorisée à la diffusion 2 %
de 31 à 45 ans 15 %
de 20 à 30 ans 2 %
moins de 20 ans 6 %
Citadins 5,4 %
Villageois et ruraux 10 %
Citons aussi quelques autres remarques relevées avec une certaine fréquence,
en donnant, par rapport à l'ensemble, le pourcentage des lettres qui en font
mention : « II y a trop de bavardage à la télévision et il faudrait donner plus
d'importance à l'image » (14 %) ; « La musique devrait être réservée à la radio,
car l'image n'y ajoute rien » (7 %) ; « La télévision incite à la lecture » (6 %) ;
« La télévision devrait être plus didactique, plus explicative » (9 %).
Enfin, pour se faire une idée de ce que les correspondants entendent par
des émissions instructives ou éducatives, il est intéressant de voir celles qui
sont le plus souvent citées en exemple. Il est significatif que le pourcentage
le plus fort (15 %) va à des jeux télévisés consistant en des questions d'éru
dition qu'on pose à des concurrents bénévoles (« La roue tourne » ; « Tél
ématch » ; etc.). Puis viennent les magazines de grande information (« Cinq
colonnes à la une », 12 %), les émissions consacrées aux pays lointains (« Magaz
inedes explorateurs », 11 %), les présentations de livres (11 %), les émissions
médicales (7 %). Bien d'autres titres sont encore cités, dont aucun n'atteint
1 % des lettres. Il faut noter que, si 15 % des correspondants insistent sur la
valeur éducative des jeux de questions, par contre 6 % prennent soin de dire
qu'ils les trouvent sans intérêt de ce point de vue.
De ce que nous venons de dire et aussi de divers éléments de l'analyse du
contenu que nous ne pouvons pas énumérer ici, quelles conclusions peut-on
tirer ? D'abord que se trouvent confirmées les affirmations de Jacques Lacom-
blez au sujet du courrier provoqué par un appel à l'opinion et au jugement
des auditeurs ou des téléspectateurs. On ne peut absolument pas en tirer d'in
dications statistiques sur l'ensemble du public. Par contre, à la différence des
lettres non-provoquées, celles-ci peuvent donner quelques indications sur les
personnes préoccupées par tel ou tel problème et désireuses d'exprimer leur
opinion sans passion. Il est d'autre part remarquable que, dans cet ensemble
restreint et très particulier, la conception même des émissions instructives
reste très imprécise. On notera aussi que les hommes, bien qu'ils aient été plus
nombreux à répondre sur ce sujet sont moins certains que les femmes de la
valeur éducative de la télévision et relativement plus portés à faire passer ici
la distraction avant la culture et l'information. Cette tendance se trouve égal
ement beaucoup plus marquée chez les personnes dans la force de l'âge que
chez les plus jeunes et les plus vieux. On pourrait émettre l'hypothèse (d'ail
leurs explicitée dans quelques lettres) que les téléspectateurs qui regardent le
petit écran après une journée de travaÛ y cherchent plus volontiers un délas
sement. Sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, nous espérons obtenir
davantage d'éclaircissements par l'enquête que nous menons actuellement par
d'autres méthodes.
Jean Cazeneuve
Centre National de la Recherche Scientifique.

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