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Hubert Macé

Les vacances passives


In: Communications, 10, 1967. pp. 20-24.

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Macé Hubert. Les vacances passives. In: Communications, 10, 1967. pp. 20-24.

doi : 10.3406/comm.1967.1140

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1967_num_10_1_1140
Hubert Macé

Les vacances passives

L'accès à la villégiature balnéaire

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des vacances au bord de la mer, dans le public ; il est cependant, très certaine
ment,freiné par des obstacles budgétaires. Ces derniers sont plus aisément
surmontés par la pratique du camping que par l'élévation des niveaux de vie.
Ainsi, pendant la même période, le nombre de journées de vacances au bord
de la mer passées sous la tente ou en caravane a connu une augmentation de
plus de 90 %, tandis que celui des journées passées dans les autres modes d'héber
gement ne s'est accru que de 26 % 2. Le littoral du Languedoc-Roussillon se
situe à la pointe de cette évolution : près de 10 % des journées de vacances
estivales passées en France au bord de la mer l'ont été en Languedoc méditerra
néen et parmi ces dernières, 55 % sont le fait de campeurs alors qu'au plan natio
nal,les vacances en camping ne représentent que 20 % des vacances au bord
de la mer. Il constitue donc un terrain privilégié pour l'analyse sociologique,
économique et culturelle du phénomène d'accès aux vacances balnéaires. Les
transformations prévues par le programme d'aménagement touristique le placent
en outre dans une situation tout à fait favorable à l'étude des perspectives de
développement du tourisme. Aussi le présent article se propose-t-il d'utiliser
les résultats d'une enquête sur le tourisme estival dans cette région 3 pour mettre
en lumière les traits caractéristiques d'une population engagée sur la voie des
vacances touristiques et saisir les tendances d'évolution de la villégiature bal
néaire.
Chaque été, près de cinq cent mille Français viennent passer leurs vacances
sur le littoral languedocien 4. Ils appartiennent à deux courants distincts. L'un

1. Claude Goguel, « Nouveaux résultats sur les vacances des Français », Études et
Conjoncture, n° 5, 1966, p. 13.
2. Les séjours en « autre ville » ont été exclus de la base des pourcentages.
3. Les données analysées dans cet article ont été principalement recueillies au cours
de l'été 1965 à l'occasion d'une enquête par questionnaire auprès d'un échantillon repré
sentatif d'estivants du Languedoc méditerranéen interrogés à l'initiative de la Mission
interministérielle pour l'aménagement touristique du littoral du Languedoc-Roussillon.
Cette enquête a été confiée à la Section de Sociologie économique du Centre de Socio
logie européenne dirigée par Jean Cuisenier.
4. J. Cuisenier, G. Barbichon, F. Chartier, M. Ca vailles H. Macé Amplitude
des flux touristiques. Paris, Centre de Sociologie européenne, 1966, 62 p.

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qui se développe rapidement rassemble les nouveaux venus, principalement des


campeurs, en train de gravir les degrés de l'escalade touristique. Ses membres,
à peine sortis des vacances bon marché (passées chez des parents, à la campagne),
se renouvellent d'année en année. Sur un substitut de Côte d'Azur, ils s'initient
aux vacances balnéaires et accèdent ainsi graduellement aux lieux et modes
de villégiature d'un plus haut niveau. L'autre courant occupe surtout les villas ;
majoritaire, mais en voie de diminution relative, il est formé d'habitués demeurés
au premier stade de la villégiature au bord de la mer.
L'ascension des premiers est imputable à une amélioration progressive de leur
niveau de vie, la stagnation des seconds, à une détérioration continue de leurs
ressources. Les nouveaux venus sont en effet des ouvriers et des employés ori
ginaires des grandes villes du Sud-Est, de la région parisienne et des zones
urbanisées du Nord et de l'Est, alors que le courant traditionnel est surtout
formé de petits commerçants et d'artisans domiciliés dans la région ou dans les
villes du Sud-Ouest. Salariés et patrons sont à la limite de leurs possibilités
budgétaires. Au même niveau social que la population nationale des estivants
et disposant de revenus très légèrement supérieurs, leurs vacances sont presque
deux fois plus coûteuses que celles de la moyenne des Français x.
L'essoufflement économique des uns et des autres n'exclut pas une certaine
variété des modes de vie de vacances et des motivations.
Sur le littoral languedocien, deux types de localités touristiques peuvent être
distingués : les stations renommées et les petites stations. Les premières sont plus
volontiers fréquentées par des estivants originaires des grands centres industriels
et les secondes par ceux qui sont domiciliés dans les villes de moins de vingt mille
habitants. Citadins et ruraux ne recherchent donc pas pour leurs débuts de vacanc
iersun dépaysement total, mais plutôt un milieu social familier, à la portée
de leurs ressources. Les raisons exprimées du choix du littoral languedocien comme
région de vacances sont d'un autre ordre. Si la possibilité de jouir de la mer et
de ses avantages connexes est presque toujours citée par les membres des deux
groupes définis plus haut, les nouveaux venus invoquent, de plus, la recherche
du soleil, et les autres le désir de renouer avec leurs attaches familiales.
Plus de la moitié des estivants du littoral sont des campeurs, dont le tiers,
improprement qualifié de « sauvage », s'installe gratuitement sur les plages en
dehors des terrains organisés 2. Le type d'habitat adopté est en effet largement
fonction du niveau social : la proportion des estivants appartenant aux catégories
les plus favorisées décroît régulièrement des hôtels au camping « sauvage », en
passant successivement par les villas ou appartements et par le camping organisé.
Le camping est donc avant tout une forme de résidence qui permet aux groupes
économiquement limités d'accéder aux vacances balnéaires. Seule une petite
minorité dont les membres appartiennent presque tous à la catégorie « professions
libérales et cadres supérieurs » a les moyens de passer ses vacances à l'hôtel.
Les amateurs de villa ou d'appartement appartiennent aux catégories interméd
iaires. A l'intérieur des principaux modes d'hébergement une gradation plus
fine peut être observée. En camping, la possession d'une caravane doit être

1. Frais de transport déduits, la dépense consacrée à une journée de vacances corre


spondà 15 F environ pour la moyenne des Français (cf. C. Goguel. « Nouveaux résultats
des enquêtes sur les vacances des Français ». Études et Conjoncture, n° 5, mai 1966).
Sur le littoral languedocien, elle atteint 28 F.
2. J. Cuisenier, G. Barbichon, H. Macé, Le camping dit sauvage, Paris, Centre de
Sociologie Européenne, 1966, 75 p.

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considérée comme révélatrice d'un revenu annuel voisin de 30 000 francs. Dans
les maisons, c'est le statut d'occupation qui tend à indiquer le niveau socio-
économique ; les estivants hébergés gratuitement ont un revenu très bas et celui
des locataires est en moyenne inférieur à celui des propriétaires.
De même que le stade des vacances dépendantes (passées à la campagne, chez
des parents ou amis), le premier stade des vacances balnéaires conserve un carac
tèretrès familial. Les ménages d'estivants sont le plus souvent constitués de
couples accompagnés de leurs enfants, voire de groupes parentaux plus larges
(couples, ascendants et collatéraux). Les familles nombreuses se rencontrent
surtout parmi les campeurs et les estivants logés en villa ou en appartement.
Ces derniers sont toutefois nettement plus âgés que les campeurs. Il existe en
outre une tendance non négligeable à se réunir, soit dès le départ soit sur le lieu
du séjour. Deux types de groupes se distinguent alors : les familles amies et les
bandes d'adolescents. Le premier, plus fréquent que le second apparaît princ
ipalement parmi les estivants aisés qui résident en villa ou en appartement ;
le second parmi les jeunes campeurs. Dans la majorité des cas, ils mettent en jeu
un mode de vie communautaire, mais le partage de l'hébergement est plus
répandu dans les camaraderies que dans les groupes de familles amies. Sous ces
deux formes, ce mode de relation, qui tend à substituer les amis à la famille,
introduit une nouveauté par rapport aux vacances passées chez des parents
à la campagne, mais maintient des relations de dépendance entre les indi
vidus.
Contraintes économiques et crainte du dépaysement social conduisent très
souvent à un mode de vie autarcique (les neuf dixièmes des estivants préparent
eux-mêmes les deux principaux repas) où le délassement pur et simple prend le
pas sur les activités sportives ou culturelles. Les occupations liées à la plage,
bains de soleil, baignade et petits jeux suffisent à satisfaire les besoins de la grande
majorité des estivants car elles n'impliquent ni dépenses importantes, ni acqui
sition de connaissances particulières. On décèle cependant une évolution vers
des styles de vie plus actifs : parmi les campeurs, la pratique des sports nautiques
et des excursions est plus répandue que parmi les occupants des villas pour
qui les distractions prises à l'intérieur du groupe de vacances remplissent la
majeure partie du temps libre. La cause de ces différences s'explique davantage
par des motifs économiques que par des motifs socio-culturels ; les dépenses
relatives aux distractions sont en effet inversement proportionnelles aux dépens
es relatives à l'hébergement. Le prix modeste de l'hébergement permet aux
campeurs de consacrer une partie importante de leur budget de vacances aux
distractions et les économies réalisées sur ce poste par les autres estivants leur
donnent les moyens d'entretenir ou de louer une maison. Le premier stade des
vacances balnéaires est ainsi caractérisé par une sous-consommation qui trouve
sa source dans une économie de petits moyens plutôt que dans un besoin objectif
de repos.
Dès ce stade, il existe cependant un haut niveau de satisfaction. Les exigences
des estivants sont en effet contentées par la réunion de trois éléments naturels —
la mer, le soleil, et le sable — et d'un élément social : les grands rassemblements
balnéaires. Leur présence au bord de la mer témoigne de leur accès à un style
de vacances socialement valorisé. La présence du soleil et du sable favorise la
pratique d'une forme de camping peu coûteuse et justifie le choix d'activités
simples et accessibles à tous les milieux. La présence de la foule rassure tout en
offrant un spectacle permanent. Elle confirme le bien fondé du choix du lieu de

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vacances, elle protège les campeurs contre d'éventuels vols ou agressions et elle
crée une animation continuelle qui évite aux citadins une rupture trop brutale
avec leur vie quotidienne et les met ainsi à l'abri de tout sentiment de solitude.
Naturellement ces motivations existent plutôt à l'état latent qu'à l'état manifeste.
Le plus souvent, les estivants font des rationalisations. Par exemple, le choix
du camping sur un littoral ensoleillé se trouve justifié par des préoccupations
d'ordre thérapeutique ( « le changement d'air, la vie en plein air, le soleil, c'est
bon pour la santé »). La préférence donnée aux plages de sable répond au souci
de satisfaire les désirs des enfants et la présence d'une foule nombreuse est loin
d'être toujours considérée comme un élément indispensable à la parfaite réussite
des vacances. Pourtant, pas un seul campeur ne se plaindra spontanément d'un
surpeuplement manifeste. En fait, mer, sable, soleil et foule sont plus nécessaires
aux vacanciers situés au bas de l'échelle qu'à ceux qui sont parvenus aux stades
supérieurs. A la différence des seconds, les premiers n'ont ni les moyens financiers,
ni les connaissances requises pour compenser l'absence de l'un de ces éléments
par des amusements coûteux ou par des activités proprement touristiques, spor
tives ou culturelles : assujettis aux vacances passives, ils ont besoin de la mer,
du soleil, du sable et de la foule pour se donner une contenance 1.
Les perspectives d'évolution de la villégiature balnéaire apparaissent davan
tagedans les aspirations des jeunes estivants que dans les modes de vie actuels
des catégories en mouvement vers les stades ultérieurs. Les souhaits traduisent
une tendance très nettement orientée vers le dépassement du repli économique
dans une atmosphère de quiétude ensoleillée enrichie par la présence de la mer.
Les stades attendus correspondent à des styles de vacances de plus en plus
actifs et coûteux. Il s'agit tout d'abord de « voir du pays » ; le développement
des vacances à l'étranger et des croisières organisées témoigne en partie de la
force de ce nouveau besoin. Ensuite, le modèle convoité est celui des vacances
nautiques avec l'échappée sur la plage. Ce style de vacances se satisfait de dis
tractions sportives et culturelles rapidement apprises et n'exigeant que des
équipements rudimentaires (exploration et pêche sous-marine, ski nautique,
petite navigation, excursions, rencontres culturelles...). Son développement est
certes subordonné à une augmentation sensible des niveaux de vie, mais surtout
à une animation systématique du temps libre, d'où le succès croissant rencontré,
par les clubs de vacances organisées 2. Au plan de l'urbanisme, ce stade est carac
térisé par le remplacement progressif du camping par une concentration verticale
de l'habitat (principalement des studios et appartements rattachés à des clubs de
vacances organisées) ménageant des échappées sur la mer. Logique et rentable
lorsque la demande riche est faible et lorsque le prix des terrains n'est pas très
élevé, le camping n'est plus adapté à sa fonction lorsqu'une demande accrue
provoque une augmentation du prix, de la superficie et de l'éloignement des ter
rains. Le degré ultime des vacances balnéaires est probablement celui de la navi
gation de plaisance et des escales touristiques 3. L'accès à ce stade suppose la

1. J. Cuisenier, G. Barbichon, F. Chartier, J. L. Dubois, H. Macé, Ph. Pigelet,


Touristes du bord de mer en Languedoc et en Roussillon, Paris, Centre de Sociologie euro
péenne, 1967, 196 p. + annexes.
2. J. Cuisenier, J. C. Chamboredon, J. C. Marrey, L'Animation culturelle des
stations touristiques des littorals du Languedoc-Roussillon, Paris, Centre de Sociologie
européenne, 1967, 186 p.
3. J. Cuisenier, Ph. Pigelet, Les navigateurs de Plaisance, Paris, Centre de Socio
logie européenne, 1966, 42 p. + annexes.

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réunion préalable des conditions économiques sociales et culturelles qui rendent


possible une rupture complète avec la vie quotidienne. La croisière est alors
l'activité majeure et la plage de sable, devenue inutile, est remplacée par le port
ouvert sur l'exploration touristique de Parrière-pays.

Hubert Macé
École Pratique des Hautes Études, Paris.

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