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§ 1 : la société internationale
La « société » peut être définie comme un groupe humain soumis à une législation
commune au sein duquel des liens de solidarité et d’échanges, mais également des rapports
conflictuels, sont identifiables. Au niveau international, cela signifie que les 8 milliards
d’individus vivant actuellement sur la planète constituent cette « société
internationale » (et près de 10 milliards de personnes fin 2050, selon les prévisions car il
y a 90 millions d’habitants de plus sur terre chaque année, l’équivalent d’un pays comme
le Viêt-Nam) : d’où l’expression « village planétaire ».
* une société fermée et universelle : toutes les terres émergées ont été découvertes, il
n’existe plus de terres sans maître, même s’il existe des territoires « internationalisés »
(exemple : l’Antarctique). En conséquence, la société internationale est désormais un espace
clos, parcellisé, de souverainetés étatiques ;
* une société conflictuelle : gouvernée depuis toujours par les rapports de force, la
volonté de puissance, la défense des intérêts nationaux… qui débouchent invariablement sur
des conflits, notamment armés, surtout depuis le début des années 1990 et la fin de la
bipolarisation qui induisait un certain équilibre, désormais rompu avec l’effondrement du
modèle soviétique ; outre la guerre en Ukraine (depuis février 2022), n’oublions pas qu’il y en
a plusieurs autres en cours, notamment au Yémen (depuis plus de 10 ans !), en Ethiopie, au
Nigéria, à Haïti, ou encore en Syrie ;
* enfin, une société sans autorité centrale : à la différence des sociétés internes
(étatiques) dans lesquelles existe un pouvoir central, la Société internationale ne connaît pas
d’instance ou de mécanisme permettant de régler définitivement un conflit, une situation,
malgré les efforts de l’ONU (politique), de l’OMC (commercial), de la CIJ (judiciaire)… Il
faut bien comprendre que la Société internationale est le théâtre de la rivalité des
souverainetés étatiques et qu’il n’existe rien au-dessus des Etats (cela ne signifie pas pour
autant qu’il puisse tout faire, nous y reviendrons). D’où cette réalité anarchique et cette
impression de désordre continuel au sein de la Société internationale.
§ 2 : les relations internationales
Les relations internationales ont pour objet l’étude des rapports qu’entretiennent les
acteurs agissant sur la scène internationale, les uns avec les autres ; elles comportent des
aspects à la fois historiques, politiques, idéologiques, juridiques...
§ 3 : le droit international
1. Le DI peut être défini comme le corps de règles applicables aux normes (actes) et
aux institutions (acteurs) destinées à régir la Société internationale.
Il comporte un aspect privé (droit international privé) qui vise les rapports entre individus ou
les personnes morales privées (questions de nationalité lorsque 2 personnes de pays différents
se marient par exemple, plus largement « conflits de lois » (c’est-à-dire quel est le droit
applicable) ou relations transnationales précédemment évoquées) qui ne nous intéressera
pas ici et un aspect public (droit international public) qui se rapporte aux sujets originaires
que sont les Etats, aux OI qui sont des sujets dérivés et aux personnes privées dès lors qu’elles
ont des relations avec les uns ou les autres.
Le DIP s’intéresse donc aux acteurs qui évoluent dans la Société internationale et aux
modalités juridiques qu’ils utilisent pour organiser leurs rapports et fonder leur action.
Enfin, il faut garder à l'esprit le mouvement que capte le Professeur Mireille DELMAS-
MARTY (actuel professeur au Collège de France) : "L'internationalisation du droit n'est pas
une catégorie juridique comme le droit interne ou le droit international, mais un mouvement
qui les transforme l'un et l'autre, l'un par l'autre, en créant une sorte de tension entre le relatif
et l'universel." (in "Le relatif et l'universel, les forces imaginantes du droit"). Pour preuve les
conclusions d'une étude du Conseil d'Etat sur "la norme internationale en droit français : la
haute juridiction administrative constatait en 2000 que "les évolutions du cadre
constitutionnel… ainsi que l'adoption des normes internationales et communautaires, dans
des domaines de plus en plus divers, ont produit au cours des dix dernières années des ruptures
majeures dans la place que le droit français fait au droit d'origine externe. Ainsi le droit
international est invoqué de plus en plus souvent devant les juridictions nationales ».
Mme DELMAS-MARTY (in "Le relatif et l'international" p.13, édition SEUIL)
souligne "qu'à mesure que la justice se mondialise, elle se trouve confrontée à des
contradictions pour déterminer le sens de l'internationalisation du droit". Une contradiction
apparaît en effet entre "l'internationalisation éthique qui suppose le soutien actif des Etats et
la globalisation économique qui se traduit souvent par leur impuissance… mais aussi entre
l'idée même d'universalisme… et la société de marché".
2. Sur un plan plus théorique, se sont succédées plusieurs doctrines relatives au DIP.
Pour s’en tenir aux plus importantes, nous en présenterons rapidement 4.
* L’école du droit naturel : le père de cette théorie est Hugo de Groot ou Grotius
(hollandais, 1583-1645), poète, philosophe, diplomate et juriste. Cette école considère que si
les Etats sont souverains, ils doivent accepter de se soumettre aux règles du droit naturel
correspondant à des règles de comportement raisonnables et honnêtes (sorte de « morale »
pour les Etats) ; en conséquence, le « droit volontaire » élaboré par les Etats doit respecter le
droit naturel (grands principes « moraux ») : il y a donc une limitation du pouvoir de l’Etat,
comme il y a nécessairement une limitation de la volonté des individus. Parmi les disciples de
Grotius, on trouve notamment Samuel Pufendorf (1632-1694) et Emmanuel Kant (1724-
1804) ;
Après avoir précisé la définition du DIE que nous retiendrons (A), nous évoquerons
rapidement le contenu de cette matière (B) et sa principale différence avec le droit
international général (C).
A – La définition du DIE :
Deux conceptions du DIE s’affrontent encore aujourd’hui, l’une est extensive et l’autre
restrictive (voir D. CARREAU et P. JUILLARD, Droit international économique, Dalloz,
2017, pp. 3-9).
Dans son approche extensive, le DIE est considéré comme comprenant l’ensemble des
règles qui régissent les opérations économiques de toute nature, dès lors que ces opérations
se dérouleraient dans un cadre plus vaste que celui d’un Etat. En vertu de cette logique, une
vente internationale conclue entre des personnes ne possédant pas leur établissement dans un
même Etat serait régie par le DIE.
Cette approche présente une faiblesse importante : elle est beaucoup trop large et
embrasse toutes sortes de situations qui sont hétérogènes, comme les règles du système
international commercial qui définissent le cadre juridique qui s’impose aux Etats et aux
opérateurs économiques, tout autant que les règles du commerce international qui régissent,
elles, une transaction particulière (vente internationale par exemple). Or ces règles ne
peuvent pas être assimilées car elles n’ont pas le même objet, même si elles ont toutes
deux une dimension internationale : il s’agit d’une intervention de l’Etat dans le premier
cas, et de relations entre opérateurs privés dans le second, ce dernier correspondant plutôt à
l’expression « droit du commerce international ».
Dans son approche restrictive, le DIE serait constitué par l’ensemble des règles qui
régissent l’organisation des relations internationales économiques, c’est-à-dire pour l’essentiel
les relations macro-économiques par rapport aux relations micro-économiques. Selon cette
logique, les règles du système commercial international seraient des règles de DIE à la
différence des règles de la vente internationale qui n’en seraient pas. C’est cette acception
que nous retiendrons dans le cadre de cet enseignement.
On l’aura compris, la définition du DIE fait finalement appel à la distinction entre
macro-économie et micro-économie : alors que la macro-économie s’attache à la description
des grands ensembles économiques, de leurs actions, réactions et interactions, la micro-
économie s’attache à la description des comportements individuels des opérateurs
économiques et à leur incidence sur le fonctionnement des marchés. La macro-économie a
donné naissance au DIE, macro-droit consacré à l’étude des grands ensembles, alors que la
micro-économie a donné naissance au droit des opérations internationales, le droit du
commerce international.
Notons que l’expression DIE est toutefois trompeuse car les sources de cette matière
ne sont pas toutes d’origine internationale, même si ces dernières sont les plus nombreuses.
Exemple : en matière de relations financières, chacun sait que les
règlementations applicables aux investissements dont se dotent les Etats ont une
incidence évidente sur les mouvements de capitaux à l’échelle internationale,
les encourageant ou à l’inverse les décourageant.
B – Le contenu du DIE :
Si l’on envisage maintenant le contenu du DIE d’un point de vue analytique, on est
conduit à distinguer entre les activités de production d’une part et les mouvements
internationaux de production d’autre part : alors que les premières sont le plus souvent
géographiquement limitées à l’intérieur d’un cadre national et ne présentent donc pas
d’élément d’extranéité propre à les intégrer au DIE, les seconds constituent le cœur même du
DIE.
En considérant que le champ du DIE se résume donc aux règles régissant
l’ensemble des mouvements internationaux des facteurs de production dès lors qu’ils
présentent un caractère macro-économique, plusieurs sous-ensembles apparaissent : le
droit international du commerce (qui inclut désormais le commerce des marchandises, celui
des services et celui des droits de propriété intellectuelle au sens large), celui des
investissements, et enfin celui des financements internationaux sans lequel les diverses
activités économiques ne pourraient pas prospérer.
Si ces différents aspects sont naturellement indissociables les uns des autres (encore
plus depuis une trentaine d’années avec l’ampleur prise par le phénomène de mondialisation),
il est incontestable que le DIE prend sa source dans le droit du commerce qui a précédé
les autres domaines d’intervention : voilà pourquoi nous focaliserons logiquement notre
attention sur le droit du commerce qui est essentiellement élaboré au sein de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) dont nous parlerons en détails plus loin.
C- DIG et DIE :
Pour terminer ces brefs propos relatifs aux dimensions du DIE, évoquons les liens
que cette matière entretient avec le droit international général, au sein de laquelle elle a
émergé.
Dès le début des années 1970, Prosper Weil avait affirmé : « sur le plan scientifique, le
DIE ne constitue qu’un chapitre parmi d’autres du droit international général » (« Le droit
international économique, mythe ou réalité », in Aspects du droit international économique,
Pedone, 1972, pp. 34 et s.).
En effet, le DIE tout comme le droit international général sont liés à l’existence
d’Etats-nations, indépendants, dont les frontières constituent les limites de leur action
politique et économique. Mais le droit international général a fondamentalement vocation à
préserver l’indépendance politique de l’Etat, à défendre sa souveraineté, dans ses différentes
dimensions, face aux velléités des autres Etats : en d’autres termes, c’est un droit de
protection.
En revanche, le DIE peut être qualifié de droit d’expansion dans la mesure où il repose
sur l’idée que l’enrichissement des Etats constitue un objectif légitime et que celui-ci passe
nécessairement par l’établissement de relations d’interdépendance économique entre ceux-ci.
Cette différence de logique peut être illustrée par le rôle dévolu à la frontière.
Il faut enfin y ajouter des « sources de tiers ordre » : l’expression désigne des normes
qui émanent de l’effort concerté d’opérateurs, plus précisément les firmes multinationales, et
vont avoir des conséquences juridiques. De par leur implantation planétaire et leur puissance
financière, leur influence peut être en effet décisive dans un secteur économique donné :
exemples de l’entente entre les principales sociétés pétrolières américaines et européennes
(les « Seven Sisters ») qui ont organisé l’exploitation et la distribution des produits pétroliers
entre les années 1950 et 1980 à l’échelle de la planète, ou de l’action des principales banques
internationales qui a pu être à l’origine du développement d’un marché monétaire et financier
privé à l’échelle européenne (euro-devises ou euro-obligations).
Cette diversité des sources se conjugue avec une souplesse particulière de celles-ci
dans la sphère économique internationale : dans cette matière en effet, le pragmatisme est
de mise (souvent afin de répondre à l’urgence de la situation) et l’intitulé ou la forme de l’acte
importe moins que le consensus politique qui s’est créé lors de son acceptation : ainsi en est-
il des actes para-conventionnels (ou engagements non contraignants), expression permettant
de regrouper des actes qui juridiquement ne sont pas contraignants mais devront pourtant être
respectés de bonne foi par leurs auteurs.
Exemples : les déclarations ou communiqués adoptés à l’issue de réunions
internationales (G8 par exemple), les lignes directrices ou encore les pratiques
recommandées (respectivement « guidelines » et « best practices ») dans le
cadre de l’OCDE et de la Banque mondiale en particulier.
Le libre-échange peut être défini comme un système économique dans lequel les
échanges sont libres de toutes entraves douanières, administratives ou autres. A l’inverse, le
protectionnisme vise à protéger le marché intérieur et à limiter les importations par la mise en
place de barrières qui peuvent être de différentes natures :
* les barrières tarifaires qui consistent à prélever des droits de douane ou des taxes à
l’importation : l’objectif est d’augmenter le coût du bien importé afin de réduire sa
compétitivité sur le territoire de l’Etat importateur ;
* les restrictions quantitatives (ou quotas) consistent à imposer des limitations au
volume des importations pouvant être effectuées pendant une certaine période (système de
licence d’importation afin de respecter les volumes fixés) ;
* enfin les barrières non tarifaires sont constituées de tous les autres obstacles aux
échanges : on les appelle parfois les obstacles techniques car ils portent sur la composition,
l’emballage, l’étiquetage, les normes de sécurité, les normes environnementales…
A partir du 15ème siècle, les mercantilistes (notamment Colbert, ministre des finances
de Louis XIV) furent parmi les premiers à défendre la mise en place de politiques
ouvertement protectionnistes ; à la fin du 18ème siècle, Adam Smith (avec sa théorie des
avantages absolus) puis David Ricardo (avec sa théorie des avantages comparatifs, ouvrage
en 1817 « Principes de l’économie politique et de l’impôt »)) devaient à l’inverse insister sur
les vertus du libre-échange.
L’idée essentielle est que les pays ont intérêt à se spécialiser dans la production d’une
marchandise pour laquelle ils sont efficaces en termes de quantité de travail
nécessaire (approche reprise au milieu du 20ème siècle, notamment par un auteur comme
Samuelson).
Principaux arguments en faveur du libre-échange : les entreprises, visant des marchés
plus larges que le seul cadre national, pourront faire des économies d’échelle ; les
consommateurs du pays importateur peuvent se procurer des marchandises à meilleur prix ;
le libre-échange entraînera une égalisation des coûts des facteurs de production (notamment
salariaux) augmentant le bien-être et le pouvoir d’achat de tous les pays participant au
commerce international…
Principales critiques : l’impossibilité pour les pays du Sud de renoncer aux taxes à
l’importation car ces recettes douanières constituent l’essentiel des rentrées financières de
ces pays ; le protectionnisme peut permettre de protéger, temporairement, les industries
naissantes et des secteurs stratégiques (agriculture, acier, produis chimiques…).
La Grande-Bretagne s’affirma comme la championne du libre-échange tout au long
du 19ème siècle (en raison de son industrialisation précoce) alors que les autres pays européens
allaient l’expérimenter sur des périodes très courtes, notamment la France et l’Allemagne. Le
reste du monde, notamment les Etats-Unis d’Amérique et le Japon, restaient pendant cette
période ouvertement protectionniste.
Aujourd’hui, même si la philosophie libre-échangiste incarnée par le GATT hier et
l’OMC aujourd’hui n’est pas véritablement remise en cause, certains proposent qu’elle soit
« tempérée », nuancée : théorie du « patriotisme économique » (notamment en France avec
Arnaud Montebourg il y a quelques années) permettant de « fermer » certains secteurs
(notamment au capitaux étrangers).
* Quant aux acteurs, leur place respective antérieure est remise en question :
- l’Etat souverain (longtemps élément central des relations internationales) semble
menacé, contesté, par un marché globalisé qu’il a du mal à maîtriser : certains auteurs
prétendent même que la mondialisation annonce le « dépérissement de l’Etat » dans la mesure
où ils doivent clairement renoncer à l’autonomie de leurs politiques économiques ;
- le rôle des organisations internationales est à l’inverse revalorisé car la
mondialisation impose une réponse mondiale aux questions telles que de la gestion des
marchés, le développement, la protection de la concurrence ou de l’environnement… A cet
égard, la création de l’OMC et son développement (164 Membres) sont emblématiques ; les
intégrations régionales (UE, Alena, Mercosur…) apparaissent également comme un
dépassement des Etats, la volonté de « recréer une certaine cohérence économique » pour
mieux organiser et réguler les marchés ;
- l’irruption de la « société civile » s’explique par le fait que leur « sort » ne se décide
plus désormais à l’échelon des Etats mais des organisations mondiales par lesquelles ils ne
peuvent être entendus que s’ils se mobilisent (cf. manifs à Seattle, « forums sociaux » à Gênes
ou Porto Alegre…) ; par là même, ils revalorisent le rôle des ONG qui peuvent fédérer leurs
revendications et défendre légitimement (c’est-à-dire de manière désintéressée) des intérêts
généraux (santé, environnement, droits de l’homme…) ;
- les acteurs du DIE qui seront présentés de manière plus approfondie (I) ;
- le contenu (ou la substance) du DIE (II) ;
- enfin, les modalités contentieuses en DIE (III).