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SEANCE A-8

LE CONTRAT DE TRAVAIL

Toutes les personnes qui travaillent ne sont pas salariés… comment, alors, reconnaitre la relation
de salariat d’une autre relation contractuelle ? Qu’est-ce qu’un contrat de travail ? Qu’est-ce qui le
distingue d’autre forme d’activité ?

I. LA DEFINITION DU CONTRAT DE TRAVAIL

Il n’y a pas de définition du contrat de travail dans le code du travail.

Au mieux et, par référence aux définitions générales données par le code civil (art. 1106), on peut
qualifier le contrat de travail de contrat « synallagmatique », c'est-à-dire d’un contrat par lequel
deux contractants s'obligent réciproquement l’un à l’égard de l’autre. Ces deux cocontractants
sont respectivement appelés « employeur » et « salarié ».

C’est, en fait, la doctrine et la jurisprudence qui ont défini le contrat de travail comme un contrat
par lequel une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la direction d'une autre
personne, moyennant rémunération.

Trois éléments permettent, dès lors, de caractériser le contrat de travail :


 la fourniture d'un travail,
 le paiement d'une rémunération,
 l'existence d'un lien de subordination juridique.

A. LA FOURNITURE D’UN TRAVAIL

L’existence d’un contrat de travail implique la fourniture d’un « travail » par le salarié.

A défaut d’en donner une définition claire, la notion de « travail » est indirectement définie par le
code du travail à travers la notion de « durée du travail » qui, au terme de son article L.3121-1,
correspond au « le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se
conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles ».

En pratique, cette prestation peut consister en des activités extrêmement variées et plus ou moins
contraignantes selon le type d’emploi considéré (activité intellectuelle, activité physique, travail
extérieur, contrainte physique, …) mais, pour exister, le contrat de travail implique nécessairement
la fourniture d’un « travail ».

Si la fourniture d’un travail constitue un élément nécessaire, elle n’est cependant pas suffisante
pour caractériser l’existence d’un contrat de travail.

B. LE VERSEMENT D’UNE REMUNERATION

Le versement d’une « rémunération » constitue un autre élément permettant de caractériser une


relation de travail salarié même si elle n’est pas, comme pour le premier critère, suffisante pour
distinguer le contrat de travail d’autres types de contrats.

Comme la notion de « travail », la notion de « rémunération » n’est pas définie, en tant que telle,
par le code du travail. Elle l’est, de manière incidente, par son L.3221-3 relatif à l’égalité de
rémunération entre les femmes et les hommes qui dispose que « constitue une rémunération au
sens du présent chapitre, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres
avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par
l'employeur au salarié en raison de l'emploi de ce dernier ».

C. L’EXISTENCE D’UN LIEN DE SUBORDINATION

Si la réunion de ces deux premiers éléments est nécessaire, elle n’est pas suffisante pour
caractériser l’existence d’un contrat de travail car l'accomplissement d'un travail moyennant
rémunération se retrouve dans d’autres types de relations contractuelles distinctes du
salariat (contrat de prestation de service, contrat…)

L’élément qui permet de distinguer le contrat de travail de ces autres formes de relation
contractuelle est appelé « lien de subordination juridique ».

C’est un critère déterminant du salariat car c’est le seul des trois éléments constitutifs du
contrat de travail qui permet, juridiquement, de le distinguer d’autres types de relation
contractuelle (prestation de service, sous-traitance, …).

Remarque :
Contrairement au lien de subordination juridique, la « dépendance économique » n’est pas un
élément permettant de caractériser une relation de travail.

Cette position a notamment été affirmée, dans un arrêt de principe rendu en 1931 dans lequel la
Cour de cassation a estimé que « La condition juridique d'un travailleur à l'égard de la personne
pour laquelle il travaille ne saurait être déterminée par la faiblesse ou la dépendance économique
dudit travailleur [...] la qualité de salarié implique nécessairement l'existence d'un lien juridique de
subordination du travailleur à la personne qui l'emploie. »

Ce critère est, cependant, à l’origine de l’extension du salariat à certaine catégorie de salarié


(présomption de salariat – cf. infra)

En 1996, la Chambre sociale de la cour de cassation a donné une définition de la subordination


juridique commune au droit du travail et au droit de la sécurité sociale. (Cass. soc., 13 nov. 1996,
n° 94-13.187)

Dans cet arrêt de principe (appelé arrêt « Société Générale »), les magistrats vont, par un moyen
relevé d’office, définir le lien de subordination comme « l'exécution d'un travail sous l'autorité
d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler
l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».

Au terme de cette définition, « est salarié celui qui exécute un travail rémunéré au profit d'un tiers
auquel il est subordonné, c'est-à-dire qui lui impose des contraintes et le contrôle et auquel il doit
obéir et rendre des comptes. Pour le dire autrement, le lien de subordination est composé d'un
triptyque direction, contrôle et sanction » (Emmanuel Dockès, in « Notion de contrat de travail »).

La caractérisation de ce lien de subordination repose sur un faisceau d’indices tenant


notamment aux conditions matérielles d’exécution de la prestation (le fait, par exemple, que
le travail soit accompli dans un lieu déterminé par l’employeur, selon des horaires fixés par
ce dernier et avec le matériel fourni à cette fin) mais aussi et surtout des éléments
démontrant que le travail en question est, dans les faits, réalisé sous l’autorité et le contrôle
de l’employeur qui dispose du pouvoir de sanctionner sa mauvaise exécution.

Ainsi, dans l’arrêt « Société Générale », la Cour de cassation a considéré que le fait que le travail
de conférenciers inscrit « au sein d’un service organisé » n’était pas suffisant pour caractériser ce
lien de subordination dès lors qu’il n’était pas établi que leur co-contractant ne déterminait pas
unilatéralement les conditions d'exécution du travail.

II. LA RECONNAISSANCE DU CONTRAT DE TRAVAIL PAR LE JUGE

La réunion de ces trois éléments (prestation de travail, rémunération et lien de subordination


juridique) suffit à caractériser l’existence d’un contrat de travail quelle que soit la dénomination
initialement donnée à la relation contractuelle litigieuse (« contrat de sous-traitance »,
« bénévolat », …).

En cas de litige, le juge vérifiera la véritable nature juridique du contrat sans se fier aux apparences
car la seule volonté des parties est impuissante à soustraire le salarié du statut social qui découle
nécessairement des conditions d'accomplissement de son travail.

« L’existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la
dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est
exercée l'activité des travailleurs » (Cass. Soc., 15 mars 2006 – n°07-40.934)

De nombreuses décisions de justice concernant des secteurs d’activité variés peuvent être
évoqués pour illustrer le rôle du juge dans la requalification de relations contractuelles en salariat
dès lors que les modalités réelles d’exécution de la prestation démontrent l’existence d’un lien de
subordination juridique.

A. Dans le secteur des taxis

La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de requalifier un « contrat de location » d'un véhicule


taxi en contrat de travail après avoir constaté que l’accomplissement effectif du travail dans les
conditions prévues par le contrat et les conditions générales annexées plaçait le « locataire d'un
taxi » dans un état de subordination à l'égard du « loueur». (Cass. soc., 19 déc. 2000, n° 98-
40.572, n° 5371 FS - P + B + R + I )

B. Dans le domaine de la téléréalité

La participation à une émission de télé réalité comme « l'île de la tentation » peut caractériser un
contrat de travail.

Dans un arrêt de 2003, La Cour de cassation a considéré qu’une activité même ludique ou exempte
de pénibilité exécutée, non pas à titre privé, mais dans le cadre d’un lien de subordination pour le
compte et dans l'intérêt d'un tiers en vue de la production d'un bien ayant une valeur économique
caractérise une prestation de travail soumise au droit du travail. (Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-
40.981, n° 1159 FP - P + B + R + I )

Dans ce litige qui opposait d’anciens candidats à une émission de téléréalité dénommée « l’Île de
la tentation » à la société TF1, les juges ont estimé que les conditions de tournage caractérisaient
l'existence d'une relation de travail dès lors que les participants :
 étaient astreints à prendre part à des réunions et à des activités ;
 se voyaient imposer des horaires de réveil et de sommeil fixés par la production ;
 ne pouvaient pas communiquer avec l'extérieur ;
 évoluaient dans le temps et dans un lieu sans rapport avec leur vie personnelle.

C. Dans le domaine de la « sous-traitance »

Les juges ont fréquemment l’occasion de requalifier en contrat de travail des contrats
prétendument de « sous-traitance ».

Dans un arrêt de 2008, la Cour de cassation a, par exemple, confirmé la reconnaissance par les
juges du fond de la qualité de salarié à un menuisier sous statut d'indépendant qui exécutait de
nombreux chantiers pour une société dans le cadre de marchés de sous-traitance. (Cass. soc.,
23 janv. 2008, n° 06-46.137)

Les magistrats ont estimé, dans cette affaire, que le lien de subordination était caractérisé par le
fait :
 d’une part, que l’intéressé ne disposait ni d'une clientèle propre ni d'un stock ou de
matériel personnel ;
 d’autre part, qu’il travaillait à des horaires imposés par l'entreprise et était rémunéré en
fonction du nombre d'heures travaillées multiplié par un taux horaire invariable (et non
pas au regard d'ordres de mission ou de contrats de prestations de service).

D. Dans le domaine du sport

Les tribunaux ont également été amenés à s’intéresser à la véritable nature des relations entre les
clubs sportifs et leurs joueurs prétendument « amateurs ».

Ainsi, la Cour de cassation a eu l’occasion, en 2011, d’adapter les critères de reconnaissance d'un
contrat de travail au cas d'un joueur de rugby en analysant la convention passée entre ce joueur
et un club ainsi que les conditions réelles de l'exercice de son activité. (Cass. soc., 28 avr. 2011,
n° 10-15.573, n° 986 F - P + B)

Dans cette affaire, une convention de « défraiement » avait été conclue entre le club et le joueur
prévoyant le versement de 18 000 € par an au titre de « remboursements de frais », une
participation du club à ses frais de logement ainsi que le versement de primes de match.

Bien que ce joueur travaillait, par ailleurs, comme chauffeur-livreur en journée, les juges ont
confirmé qu’il était également salarié du club de rugby après avoir constaté :
 d’une part, qu’il était tenu sous peine de sanctions, de se conformer au règlement interne
du club et à la charte des droits et devoirs du joueur, de participer aux activités sportives,
de suivre les consignes données lors des entraînements, de se plier à une hygiène de vie
particulière ;
 d’autre part, qu’il percevait des sommes en contrepartie du temps passé dans les
entraînements et les matchs, ce dont il résultait que nonobstant la qualification
conventionnelle de « défraiement », elles constituaient la rémunération d'une prestation de
travail.
E. Dans le domaine des plateformes numériques

Avec le développement des plateformes numériques, la question s’est rapidement posée de


déterminer la nature exacte de la relation contractuelle liant ces entreprises aux « travailleurs
indépendants » (coursier, chauffeur) auxquelles elles se contenterait de fournir, selon elles, un
accès à leurs applications de mise en relation.

C’est en 2018 que la Cour de cassation a, pour la première fois, considéré requalifier en contrat
de travail la relation existante entre un livreur et une plateforme numérique. (Arrêt « TAKE AWAY
EASY » - Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-20.079)

Dans cette affaire, les juges ont considéré qu’il existait entre les parties un lien de subordination
juridique au motif :
 d’une part, que l'application développée par la société était dotée d'un système de
géolocalisation lui permettant de suivre, en temps réel, la position du coursier et de
comptabiliser le nombre total de kilomètres parcourus si bien que le rôle de la plateforme ne
se limitait pas, en réalité, à une simple mise en relation du restaurateur, du client et du coursier
comme elle le prétendait ;
 d’autre part, que l’entreprise disposait d'un pouvoir de sanction à l'égard du coursier puisque
les retards dans ses livraisons entraînaient une perte de bonus et pouvaient même conduire à
la désactivation de son compte.

Dans le prolongement de cette première affaire, la Cour de Cassation a confirmé sa jurisprudence


par un arrêt rendu le 4 mars 2020 qui confirmait une décision de la Cour d’Appel de Paris ayant
reconnu la qualité de salariés aux chauffeurs de VTC utilisant l’application UBER (Cass. soc.,
4 mars 2020, n° 19-13.316, n° 374 FP - P + B + R + I)

Les juges ont, en effet, estimé que les intéressés, bien qu'inscrits au registre des métiers, ne
pouvaient organiser librement leur activité en relevant :
 d’une part, qu’ils ne pouvaient se constituer leur propre clientèle, fixer librement leurs tarifs ou
encore déterminer les conditions d'exécution de leur prestation de transport qu’Uber était la
seule à définir ;
 d’autre part, que la plate-forme disposait d’un pouvoir de sanction à leur encontre dès lors qu’à
partir de 3 refus de courses, elle pouvait déconnecter temporairement le chauffeur de son
application et qu’en cas de dépassement d'un taux d'annulation de commandes ou de
signalements de comportements problématiques, ce dernier pouvait perdre l'accès à son
compte.

Constatant que ces chauffeurs participaient, en réalité, à un service organisé de transport dont
la société Uber définissait unilatéralement les conditions d'exercice, la Cour de cassation en a
déduit l’existence d’un lien de subordination entre les intéressés et cette plate-forme caractérisé
par son pouvoir de leur donner des instructions, d’en contrôler l'exécution et d’en sanctionner le
non-respect.

Pour autant, la relation d’une telle plate-forme numérique avec les chauffeurs qui
l’utilisent n’implique pas nécessairement l’existence d’un contrat de travail si les
modalités d’exécution concrète de leur prestation ne permettent pas de caractériser un
lien de subordination.
Ainsi, dans un litige concernant la plateforme « LE CAB », la Cour de cassation a cassé la
décision de la Cour d’Appel de Paris ayant reconnu la qualité de salarié à un chauffeur
utilisant cette plateforme au motif que les constats du juge du fond n’étaient pas
suffisants pour démontrer l'existence d’un lien de subordination juridique. (Cass. soc., 13 avr.
2022, n° 20-14.870, FS–B )

Remarque :

Une loi du 8 août 2016 a introduit, dans le code du travail, des dispositions spécifiques aux
« travailleurs » utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique (art. L.7341-1
et suivant du code du travail).

Cette loi prévoit notamment la prise en charge de cotisation « accident du travail » par la plate-
forme, un droit à la formation professionnelle pour le travailleur « indépendant» et leur reconnait
même l’équivalent du droit de « grève » ou celui de constituer des syndicats… sans, toutefois,
leur reconnaitre la qualité de salarié !

Malgré l’accord trouvé entre la Commission Européenne, le Parlement et le Conseil de l’Union


Européenne sur ce texte, un projet de directive communautaire visant à protéger les travailleurs
de plateforme a finalement été rejeté en décembre 2023 par plusieurs Etat membre…dont la
France… au motif qu’il aurait facilité la reconnaissance de la qualité de salarié aux intéressés !

III. LA RECONNAISSANCE DU CONTRAT DE TRAVAIL PAR LA LOI


Dans un but de protéger certaines professions bénéficiant d'un statut particulier, le code du travail
a posé en principe qu'elles s'exerçaient dans le cadre d'un contrat de travail.

Cette présomption est dite « irréfragable » car elle ne peut pas être remise en cause par les
parties.

Sont notamment considéré « de droit » comme salarié, les personnes exerçant les professions
suivantes :
 Voyageur Représentant Placier (art. L. 7313-1 du code du travail) ;
 Journaliste (art. L. 7112-1) ;
 Artistes du spectacle (art. L. 7121-3) ;
 Mannequins (art. L. 7123-3) ;
 Travailleurs à domicile (art. L. 7412-1) ;
 Concierges, employés d'immeubles, employés de maison et assistantes maternelles
(art. L. 7211-2 et s.) ;
 Ouvreuses, préposés aux vestiaires et vendeurs de programme (C. trav., art. L. 7321-2) ;
 …certains gérants de fonds de commerce (C. trav., art. L. 7321-3).

En sens inverse, l’article L.8221-6-1 du code du travail institue une présomption de « non salariat »
pour :
 les commerçants (personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des
sociétés), les artisans (personne physique inscrite au répertoire des métiers) ou les professions
libérales ;
 les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transports routiers de
personnes qui exercent une activité de transport scolaire ou de transport à la demande;
 les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés
(par exemple : gérants majoritaires de SARL),…

C’est en vertu de ce texte que les auto-entrepreneurs bénéficient ainsi d'une présomption
de non-salariat.

Toutefois et contrairement aux salariés de droit évoqués précédemment, il s’agit là d’une


présomption qui peut être remise en cause s’il est démontré (comme dans l’arrêt UBER susvisé),
que l’intéressé réalise des prestations dans des conditions qui le place dans une subordination
juridique permanente à l'égard de son donneur d’ordre. On la qualifie de « présomption simple ».

Ainsi, dans un arrêt de 2016 (Cass. 2e civ., 7 juill. 2016, n° 15-16.110, n° 1179 FS - P + B), la Cour
de cassation a reconnu la qualité de salariés à des formateurs recrutés comme « auto-
entrepreneur » par une société spécialisée dans le soutien scolaire après notamment avoir
constaté :
 que les formateurs étaient liés à l’entreprise par un contrat « de prestations de services » à
durée indéterminée et exerçaient leur activité dans les locaux de la société ;
 que les élèves demeuraient la clientèle exclusive de la société et qu’une clause de non-
concurrence interdisait au formateur de leur proposer leurs services dans l’année suivant la
résiliation de leur contrat ;
 que les formateurs devaient suivre le programme fixé par la société et ne pouvaient concevoir
librement leurs interventions.

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