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Institutions administratives

Séquence 2 : LES STRUCTURES ADMINISTRATIVES

Institutions administratives
Dr. Baba Aliou Thiam
Séquence 2 : LES STRUCTURES ADMINISTRATIVES

CHAPITRE II- LES STRUCTURES ADMINISTRATIVES

L’administration a pour objet principal de satisfaire les besoins collectifs et les intérêts communs à
l’ensemble des usagers. Mais le mot même d’« administration» peut revêtir deux sens bien différents. Dans un
sens général, il s’agit de toutes les activités qui ont pour objet de satisfaire l’intérêt général, et plus précisément
d’assurer l’application des lois et règlements ainsi que la bonne marche des services publics, et ce conformément
aux instructions données par le pouvoir exécutif. L’administration peut exercer une fonction de prestation en
assurant elle-même plusieurs services, tels que la police (administration étatique principalement), l’aide sociale
(administration départementale), la gestion des immeubles scolaires (administrations communale,
départementale) ou l’éducation (administration étatique). Dans un sens plus précis, l’administration est
constituée par l’ensemble des organes et des personnes participant à ces fonctions.

L’administration est rattachée au pouvoir exécutif. Elle est considérée comme le prolongement du
pouvoir politique. Par conséquent, elle est subordonnée à l’Etat. Au sommet de l’Etat, se trouve l’administration
centrale (section I) qui est chargée de la gestion des affaires nationales du pays. Au niveau local, il existe ce que
l’on appelle l’administration décentralisée (section II) qui constitue un aménagement du pouvoir central en vue
de rapprocher l’administration des administrés.

Section I- L’administration centrale

Généralement, l’administration centrale est considérée comme l’ensemble des administrations et des
services publics qui mettent en œuvre la politique du pouvoir exécutif. Ils dépendent de l’Etat et des différents
ministères et disposent de compétences nationales, contrairement aux administrations territoriales.
Concrètement, l’administration centrale désigne les services centraux d’un ministère ayant une compétence sur
l’ensemble du territoire national. Il s’agit d’un mode de gestion des affaires publiques ou du pouvoir central qui
se fait au sommet de l’Etat qu’on appelle communément la centralisation (paragraphe I).

La centralisation de l’autorité exige, pour se maintenir sur de vastes territoires, une déconcentration du pouvoir

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au profit de représentants du pouvoir central au niveau local, soumis comme tels à sa puissance hiérarchique.
Centralisation et déconcentration apparaissent de la sorte comme pratiquement indissociables. L’aménagement
du pouvoir central est une technique qui consiste à désengorger l’administration centrale de certaines affaires.
La déconcentration est le procédé permettant de déléguer un pouvoir de décision à des agents dans
l’administration d’Etat en vertu du principe hiérarchique (paragraphe II).

Paragraphe I- Le modèle de gestion du pouvoir central : centralisation

La centralisation est un mode d’organisation administrative qui fait de la capitale d’un pays le siège
d’une administration étatique exerçant sans partage la totalité du pouvoir administratif sur l’ensemble du
territoire. Toutes les décisions administratives adoptées émanent du pouvoir central. De nombreux agents
publics, dont la plupart exercent leurs fonctions dans des ministères ou dans des établissements publics relevant
de l’autorité de l’État, exécutent les décisions. La centralisation administrative est la conséquence logique du
caractère unitaire de l’État, confirmé par l’article 1er, alinéa 1 de la Constitution du 22 janvier 2001, qui dispose
que la République du Sénégal « assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction d’origine, de
race ou de religion» : tous les citoyens sont soumis aux mêmes règles. Le processus de centralisation permet
d’assurer un certain ordre social et politique, les décisions étant homogènes.

La centralisation accorde le monopole de l’activité administrative à une seule personne morale de droit public :
l’Etat. Mais c’est là une conception idéale, rarement réalisée puisque cette volonté de soumettre les affaires du
pays à un centre de décision ne peut convenir qu’à de petits ensembles.

A- Avantages de la centralisation

La centralisation « c’est le système dans lequel l’ensemble des décisions administratives relève des organes
centraux de l’Etat ».

La notion de centralisation a toutefois joué un rôle très important dans la constitution des Etats modernes.
De fait, comme l’expose Michel Prélot « en principe, selon la logique interne et, souvent aussi dans le concept
historique, la centralisation accroît, complète et couronne l’unification politique ». Mais dans le cadre des Etats
modernes, la centralisation n’est concevable que dans les micros Etats. En effet, on ne retrouve pas, dans ce
cadre, les deux inconvénients attachés à l’idée de centralisation. D’une part, compte tenu de l’exiguïté du
territoire national et de la faible densité de la population, le pouvoir central est nécessairement proche des
préoccupations locales. D’autre part, pour les mêmes raisons, il est concevable que les autorités centrales aient
la capacité de prendre rapidement les décisions administratives nécessaires au bon fonctionnement de la société.

Les avantages de la centralisation vont dans le sens de l’aménagement du territoire (1) et de la délocalisation
des services centraux de l’Etat (2).

1. L’aménagement du territoire
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La centralisation n’exclut pas une division administrative du territoire, par exemple en communes, en
départements et en régions. Mais dans ce cadre, les différentes autorités qui vont représenter ces entités seront
dépourvues de pouvoir de décision. Elles n’auront qu’un pouvoir d’information et de sollicitation de l’autorité
centrale. Il n’y a donc pas nécessairement d’antinomie entre la centralisation et l’aménagement du territoire.

2. La délocalisation des services

De la même façon, des services centraux peuvent être délocalisés en dehors de la capitale. Sont en cause des
services qui sont différents des services de proximité des finances publiques qui sont déjà organisés localement.
Il s’agit en effet de services de soutien, par exemple de centres d’appel ou de pôles de contrôle à distance des
dossiers fiscaux.

B- Inconvénients de la centralisation

Il n’en demeure pas moins qu’un système centralisé présente deux défauts majeurs. D’une part, il est
extrêmement lourd à gérer. En effet, l’autorité centrale qui prend toutes les décisions administratives risque
d’être rapidement débordée. Les décisions seront alors prises avec retard. D’autre part, l’autorité centrale se
situe loin des préoccupations locales. Pour ne donner qu’un exemple, il est évident qu’un maire est plus apte à
règlementer la circulation ou le stationnement dans sa commune qu’un ministre.

Paragraphe II- L’aménagement du pouvoir central : déconcentration

Si la centralisation soumet les citoyens à des règles identiques sur l’ensemble du territoire, une
centralisation poussée à l’extrême mène à la paralysie du système administratif. Par la forte concentration du
pouvoir de décision qu’elle suppose, elle conduit à une situation d’engorgement des services administratifs
centraux. C’est la raison pour laquelle des mesures de déconcentration sont adoptées afin d’adoucir la rigidité
de la centralisation.

Hors cette hypothèse, un système administratif totalement centralisé est irréaliste, et c’est justement
l’impossibilité de gérer l’ensemble des tâches au niveau national qui justifie la déconcentration.

A- La notion de déconcentration

La déconcentration, « c’est une modalité de la centralisation. Elle consiste à accorder à des organes non
centraux un pouvoir de décision limité, étant donné que les agents sont soumis au pouvoir hiérarchique d’une
autorité centrale compétente ». L’article 1er du décret français n° 2015-510 du 7 mai 2015 portant charte de la
déconcentration précise quant à lui que « la déconcentration consiste à confier aux échelons territoriaux des
administrations civiles de l’Etat le pouvoir, les moyens et la capacité d’initiative pour animer, coordonner et
mettre en œuvre les politiques publiques définies au niveau national et européen, dans un objectif d’efficience,
de modernisation, de simplification, d’équité des territoires et de proximité avec les usagers et les acteurs

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locaux ».

1. Déconcentration et subordination

Ainsi, on peut observer que l’organisation déconcentrée suppose l’existence de deux éléments : des
organes centraux également appelés administrations centrales ; des organes déconcentrés également appelés
organes extérieurs.

Les organes déconcentrés sont étroitement subordonnés aux organes centraux qu’ils représentent au
niveau local. Tel est le cas, par exemple, du préfet qui représente l’autorité centrale dans les départements et les
régions. Selon l’expression célèbre d’Odilon Barrot, « c’est toujours le même marteau qui frappe, mais on en a
raccourci le manche ».

C’est le Premier ministre, titulaire du pouvoir règlementaire de droit commun, et non pas le législateur, qui
est compétent pour opérer la distinction entre les administrations centrales et les services déconcentrés.

2. Déconcentration et délocalisation

Il faut enfin se garder de confondre les notions de déconcentration et celle de délocalisation qui se
caractérise, comme on l’a vu, par le fait de transférer géographiquement des services centraux en dehors de la
capitale.

B- Le pouvoir hiérarchique

Le pouvoir hiérarchique s’applique sur un plan vertical entre un agent appelé supérieur et un autre appelé
subordonné. Il s’exerce sur les actes (1) et sur les personnes (2) et se manifeste sous plusieurs pouvoirs.

1. Le pouvoir exercé sur les actes

a) Pouvoir d’instruction et de retrait

Instruction : Concernant le pouvoir d’instruction, l’autorité hiérarchique évoque l’affaire et la traite


directement.

Substitution : Enfin, en principe, le pouvoir d’instruction ne peut pas autoriser la substitution du supérieur
hiérarchique à son subordonné. Cette substitution n’est possible que dans certains cas prévus par les textes, et
elle doit faire l’objet de démarches préalables de la part du supérieur hiérarchique.

Direction : Le supérieur hiérarchique – et notamment le ministre qui se situe au sommet de la pyramide


ministérielle – peut indiquer à ses agents subordonnés certaines modalités d’action avant même la prise de
décision. On peut donc assimiler ce pouvoir d’instruction à un véritable pouvoir de direction qui va consister,
par exemple, à s’assurer qu’un texte de loi ou de décret s’appliquant au ministère concerné sera interprété de la
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même façon par tous les agents du ministère.

Retrait : Lorsque l’acte administratif est illégal, le supérieur hiérarchique peut demander au subordonné, auteur
de l’acte son retrait de l’ordonnancement juridique.

b) Pouvoir de réformation et d’annulation

Ce pouvoir peut être exercé en principe à tout moment, pour des raisons d’illégalité ou d’opportunité.
Cependant, comme on le verra, des conditions sont posées lorsque l’acte porte atteinte aux droits de son
bénéficiaire. La décision par laquelle l’autorité supérieure retire ou abroge l’acte créateur de droits d’un
subordonné ne peut en effet intervenir, en principe, que dans un délai de quatre mois à compter de la date à
laquelle il est intervenu et seulement pour des motifs touchant à son illégalité, dès lors que cet acte est créateur
de droits. Ces règles qui résultaient à l’origine de la jurisprudence du Conseil d’Etat français sont aujourd’hui
codifiées à l’article L. 242-1 du Code des relations entre le public et l’administration.

Au Sénégal cette codification jurisprudentielle est faite à travers la loi n° 65-51 du 19 juillet 1965 portant
code des obligations de l’administration.

L’annulation d’un acte administratif unilatéral par le juge présente un caractère rétroactif, dès lors que
celui-ci statue sur une mesure ou un comportement ayant déjà produit des effets de droit. L’acte censuré par le
juge est censé n’avoir jamais existé.

2. Le pouvoir exercé sur les personnes

a) Un pouvoir multiforme

Le supérieur hiérarchique a notamment le droit de déterminer l’affectation des fonctionnaires (, de


procéder à leur notation annuelle (évaluation), ou encore de prendre des sanctions à leur encontre en cas de
manquement à leurs obligations de service.

Affectation : Tout fonctionnaire est placé soit en activité, soit en service détaché, soit en disponibilité, soit sous
les drapeaux (art. 55). L’activité est la position du fonctionnaire qui, régulièrement titulaire d’un grade, exerce
effectivement les fonctions de l’un des emplois correspondant soit qu’il soit affecté dans un service relevant de
l’autorité ayant pouvoir de nomination, soit qu’il soit mis à la disposition d’une autre administration (art. 56).

Evaluation : L’évaluation a pour objectif permanent de donner à l’Administration les moyens de juger de la
qualité et de l’efficacité du fonctionnaire. Elle vise la promotion du professionnalisme et du mérite. La note
chiffrée annuelle et l’appréciation globale portées sur la fiche d’évaluation sont communiquées au fonctionnaire
concerné.

Sanction : Les sanctions du premier et du deuxième degré sont prononcées sans consultation du conseil de

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discipline mais, auparavant, le fonctionnaire est tenu, sauf cas de force majeure, de présenter par écrit ses
explications sur les faits qui lui sont reprochés. Le refus de présenter les explications demandées entraîne
automatiquement l’application d’une sanction du premier ou du deuxième degré (art. 45).

Le pouvoir de substitution permet à l’autorité hiérarchique peut se substituer à son subordonné et agir en ses
lieu et place.

b) Un pouvoir limité

Les fonctionnaires ont obligation de ne pas exécuter « les ordres manifestement illégaux et de nature à
compromettre gravement un intérêt public ».

Par ailleurs, le juge élargit progressivement son contrôle. La notion de mesure d’ordre intérieur s’efface
en cas d’atteinte aux droits statutaires des agents. Des 1962, le Conseil d’Etat a accepté d’examiner les recours
dirigés contre les notes attribuées aux fonctionnaires (23 novembre 1962, Camara). Une mesure de
réorganisation du service ayant pour effet de retirer à un agent les attributions afférentes à son emploi mais
« prise en raison de son comportement » ne peut être qualifiée de mesure d’ordre intérieur. (CE, 25 septembre
1987, Commune de Brain). Des observations faites à un agent, des lors qu’elles sont versées à son dossier,
cessent d’être mesure d’ordre intérieur et deviennent donc susceptibles de recours (CE, 25 mars 1981, Arbault).

Dans certains cas, tout d’abord, le subordonné a l’obligation de désobéir à l’ordre de son supérieur. Pour
que cela soit le cas, pour les agents soumis au statut général de la fonction publique, deux conditions doivent
être réunies : l’ordre doit être manifestement illégal et il doit compromettre gravement un intérêt public.

Les harcèlements sexuel et moral sont interdits dans les relations professionnelles entre le supérieur
hiérarchique et le subordonné. Face à de tels cas, le subordonné dispose d’un droit désobéissance. La
jurisprudence française a appliqué ce droit de désobéissance pour harcèlement sexuel (CEF, 15 janvier 2014, La
Poste SA) et harcèlement moral (CEF, 24 novembre 2006, Ballet c. Office nationale de la chasse).

Section II- L’administration décentralisée

L’administration décentralisée provient de la décentralisation de l’administration centrale ou du pouvoir


central. La décentralisation s’analyse ainsi comme un moyen d’aménagement du pouvoir central. Elle permet
de désengorger l’administration centrale en créant de nouvelles entités distinctes de l’Etat. Au Sénégal, la
décentralisation est aujourd’hui le fruit d’une longue évolution. L’histoire de cette décentralisation remonte en
1872 avec la création des premières communes de Saint Louis et Gorée et puis en 1880 avec la commune de
Rufisque et en 1887 avec celle de Dakar. Il s’agit là des quatre communes de plein exercice. Plusieurs réformes
de l’administration territoriales ont vu le jour notamment en 1960, 1990, en 1996 et en 2013.

La décentralisation est un processus d’aménagement de l’État unitaire qui consiste à transférer des compétences

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administratives de l’Etat vers des entités (ou des collectivités) locales distinctes de lui. Elle permet également
de confier certaines tâches ou services à d’autres structures délocalisées.

La décentralisation obéit à des principes (paragraphe I) et s’opère selon des modalités précises (paragraphe II).

Paragraphe I- Les principes de la décentralisation

La décentralisation est certes un avantage en ce sens qu’elle permet d’alléger la lourdeur des tâches du
pouvoir central mais elle offre en même l’occasion de rapprocher les administrés et de mieux gérer leurs besoins.
Logiquement, si les affaires nationales sont gérées par l’Etat, il devrait y avoir, au niveau local, une autre
personne morale de droit public qui prendrait en charge la gestion des affaires locales. La décentralisation
respecte un certain nombre de principes. Dans un premier temps, il doit exister une libre administration de la
collectivité décentralisée (A). En second lieu, la décentralisation doit se faire dans le respect de l’unité nationale
(B).

A- La libre administration

La libre administration est prévue par l’article 102, alinéa 1er de la loi n° 2001-03 du 22 janvier 2001
portant Constitution du Sénégal et par l’article 1er, alinéa 2 de la loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant
code général des collectivités locales.

Juridiquement, quatre conditions sont posées pour parler de collectivité locale : la personnalité morale, les
affaires propres, l’autonomie locale et le pouvoir de décision.

1. La personnalité morale

a) Définition

La notion de personnalité morale est prévue par l’art. 1er, al. 2 de la loi n° 72-25 du 19 Avril 1972 relative
aux communautés rurales et par l’art. 1er, al. 2 de la loi n° 2013-10 du 28 Décembre 2013 portant code général
des collectivités locales.

Constater la personnalité morale c’est, selon Marcel WALINE, « constater qu’un certain nombre de
personnes physiques se sont reconnues des intérêts communs, que ces intérêts d’autre part leur sont propres, les
distinguant du reste des hommes. Et c’est constater qu’en ce qui concerne les relations juridiques avec les tiers,
il est commode de considérer tous les membres de ce groupe comme formant un groupe indivisible ». Parler de
personnalité morale, c’est donc considérer qu’un groupe possède en tant que tel, indépendamment des membres
qui le composent, un certain nombre de droits et d’obligations.

Consacrer la personnalité morale, c’est admettre que, à côté des personnes physiques, des groupes
puissent être sujets de droits. La notion de personnalité morale, a soulevé dans l’histoire d’abondantes

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controverses. Certains estiment qu’il s’agit d’une fiction, utile (école de Savigny) ou inutile (Duguit, ou encore
Jèze, dont la boutade : « Je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale » est demeurée célèbre), certains enfin
considérant, à l’époque moderne, que la personnalité morale est une technique juridique permettant de distinguer
les intérêts du groupe des intérêts de chaque membre du groupe pris isolément. Quoi qu’il en soit, le
développement de la décentralisation est étroitement lié à la reconnaissance de la personnalité morale au
groupement local. Et sans personnalité juridique, il ne peut y avoir de décentralisation, de naissance d’une
collectivité territoriale.

b) Conséquences

L’une des premières conséquences de la reconnaissance de la personnalité morale est l’imputation à la


personne morale des actes de ses organes ou de ses agents. Ainsi, à l’échelon de la collectivité territoriale, les
organes aptes à prendre des décisions, prennent celles-ci au nom de la collectivité territoriale, et les
conséquences dommageables éventuelles sont imputées à celle-ci : les délibérations du conseil rural sont des
délibérations de la communauté rurale. Lorsque le président du conseil rural signe un contrat, c’est la
communauté rurale qui est engagée à l’égard du cocontractant.

Une autre conséquence de la personnalité morale, étroitement liée à la précédente, est la possibilité pour
la personne morale d’agir en justice pour défendre ses intérêts. On attribue également parfois à la reconnaissance
de la personnalité juridique l’autonomie financière. Les collectivités territoriales sont des personnes morales
publiques. Ce qui les distingue des personnes morales de droit privé, c’est qu’elles sont finalisées : elles ne
peuvent agir qu’en vue de l’intérêt public de la collectivité.

c) Représentativité

La question de la représentativité de la personne morale a été abordée par le conseil constitutionnel français.
S’agissant des territoires d’outre-mer (TOM), le congrès doit, « pour être représentatif du territoire et de ses
habitants dans le respect de l’art. 3 de la Constitution, être élu sur des bases essentiellement démographiques »,
cette représentation ne devant pas nécessairement être proportionnelle à la population, des « impératifs d’intérêt
général » pouvant intervenir « dans une mesure limitée ».

2. Les affaires propres

Concernant les collectivités locales, la notion d’affaires propres signifie deux choses à la fois :

- En premier lieu, la distinction des intérêts nationaux et des intérêts locaux : elle repose sur l’idée que les
intérêts d’un groupement local ne sont pas les mêmes que les intérêts de la collectivité toute entière. La
contradiction éventuelle entre les intérêts locaux et les intérêts nationaux doit se résoudre naturellement
par la prééminence de ces derniers, mais elle n’annule point les premiers. Que sont ces intérêts locaux ?
Il est difficile a priori de définir précisément ce que sont ces intérêts locaux, qualifiés plus généralement
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d’affaires locales : celles-ci doivent être déduites des textes organisant les collectivités territoriales.

- En second lieu, chaque collectivité doit gérer les affaires qui lui sont propres : à la commune, les affaires
communales, à la région, les affaires régionales, à la communauté rurale, les affaires communautaires et
à l’Etat, les affaires nationales.

La reconnaissance de l’aptitude de chaque collectivité à gérer ses propres affaires n’implique aucun choix
quant au contenu de ces affaires et quant au mode de détermination de ces affaires. Elle est une condition de la
décentralisation car, à partir du moment où une collectivité se voit reconnaître par une norme, généralement de
nature législative, certaines affaires, elle pourra exiger que ce domaine d’intervention qui lui soit reconnu soit
protégé contre les empiétements des autres personnes, publiques ou privées.

Parfois, la notion de compétence est utilisée par la jurisprudence comme critère de définition de la collectivité
locale.

3. L’autonomie locale

Les collectivités locales font partie de l’Etat, sont soumises aux mêmes règles de l’Etat, ne possèdent pas
de pouvoir normatif distinct de celui de l’Etat. Mais, la collectivité locale est une personne morale autonome
par rapport à l’Etat et par rapport aux autres personnes publiques (notamment les autres collectivités locales).

a) Par rapport à l’Etat

L’indépendance par rapport au pouvoir central ne peut que signifier la non-dépendance à l’égard de ce
dernier : il ne peut y avoir de décentralisation si, à tout moment, le pouvoir central peut intervenir dans les
affaires locales, peut modifier le cours de ces affaires. Cette non-dépendance peut être obtenue de plusieurs
procédés :

- le mode de désignation des autorités locales est le procédé qui, soit permet d’asseoir, soit permet d’éviter
l’emprise du pouvoir central sur les autorités décentralisées. La désignation peut résulter d’une
nomination par le pouvoir central : dans ce cas, il est bien peu probable que les autorités désignées fassent
preuve d’indépendance à l’égard de celui ou de ceux qui les ont désignées. Cependant, la nomination
n’est pas toujours systématiquement contraire à l’indépendance des personnes désignées : si ces
dernières sont nommées pour une durée assez longue et si, plus encore, le pouvoir central ne peut les
révoquer discrétionnairement, c’est-à-dire si elles disposent de garanties pour exercer leurs fonctions
sans être inquiétées par des menaces de suspension ou de révocation, elles peuvent acquérir une
indépendance véritable à l’égard du pouvoir central.

- à notre époque, le procédé considéré comme le plus respectueux de la liberté locale est le procédé de
l’élection. Des personnes élues ne doivent des comptes qu’à leurs mandants, sont investies d’une

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légitimité du fait de cette élection, et se sentent mieux assurées de leurs droits face à l’autorité centrale.
Le lien entre l’élection et la décentralisation apparaît si fort qu’en France beaucoup ont du mal à admettre
qu’il puisse en être autrement, que la décentralisation puisse être acquise par d’autres procédés.

Toutefois, l’élection ne joue effectivement ce rôle que si le suffrage est universel (avec toutes les
approximations que cette notion comporte) car le suffrage restreint, en écartant certaines catégories de
l’électorat, est un moyen de contrôler les élus.

L’indépendance organique ne suffit pas à instaurer une véritable décentralisation, mais elle y aide
grandement. A partir du moment où des autorités se considèrent, quel que soit par ailleurs le mode de désignation
utilisé, plus comme les représentants du groupe local que du pouvoir central, elles vont acquérir peu à peu les
moyens indispensables pour exercer leurs fonctions de manière autonome.

b) Par rapport aux autres personnes publiques

Le principe de la libre administration impose le respect des compétences de chaque collectivité locale
et s’oppose à tout contrôle (ou tutelle) émanant d’une autre personne publique que l’Etat.

 Le respect des compétences

Le respect des compétences attribuées à une autorité est un principe d’ordre public, protecteur de
l’autonomie de chaque autorité. Il signifie qu’une collectivité locale ou un établissement public ne peuvent
s’immiscer dans l’exercice des compétences d’une autre collectivité ou se substituer à elle. L’application de ce
principe est simple lorsque chaque autorité dispose d’une sphère de compétences bien délimitée ; elle est plus
difficile lorsque les compétences sont mal définies, se chevauchent ou s’enchevêtrent ce qui est le cas pour les
collectivités locales.

 L’interdiction de toute tutelle

Contenue dans le principe de la libre administration, l’interdiction de toute tutelle sur les collectivités
locales, exercée par une personne juridique autre que l’Etat est rappelée expressément par le législateur. L’art.
15 du code général des collectivités locales dispose : « Les collectivités locales sont d’égale dignité. Aucune
collectivité locale ne peut établir ou exercer de tutelle sur une autre. ». Cette interdiction est d’ailleurs prévue
par l’art. 279 du code général des collectivités locales (livre II-transfert de compétences). Selon les dispositions
de cet article, « les transferts de compétences prévus par la présente loi ne peuvent autoriser une collectivité
locale à établir ou à exercer une tutelle sur une autre ».

Il n’existe donc aucune hiérarchie entre les collectivités locales, il ne peut y avoir soumission de l’une à
une autre ou à un établissement public. Les catégories de collectivités locales ne constituent pas cependant des
ensembles fermés indépendants les uns des autres. Elles agissent souvent de concert et le transfert de

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compétences de l’Etat entraîne une multiplication des relations inter collectivités que le législateur encourage
en prévoyant des interventions croisées ou complémentaires et en incitant au développement des procédures
contractuelles.

4. Le pouvoir de décision

La décentralisation suppose que soit reconnu aux autorités décentralisées un pouvoir de décision. Celui-
ci est l’aptitude juridiquement reconnue à une personne d’édicter des actes qui produisent des effets à l’encontre
des autres personnes. Dans le droit public, le pouvoir de décision signifie la possibilité de prendre des actes
exécutoires créant une situation juridique nouvelle. Pour qu’il y ait décentralisation, il faut que ce pouvoir de
décision s’applique à des affaires relevant de la compétence des collectivités locales : certaines autorités
décentralisées, tel le maire, agissant en effet tantôt pour le compte de la collectivité qu’elles représentent, tantôt
pour le compte de l’Etat. C’est une application de la théorie dite du doublement fonctionnel exprimée, en termes
imagés, par la formule de « la double casquette ».

Le pouvoir de décision reconnu à une autorité locale n’est pas significatif, pour la décentralisation, si
cette autorité intervient au nom de l’Etat. Au demeurant, il n’est pas toujours aisé de savoir si ladite autorité
intervient au nom de l’Etat ou au nom de sa collectivité. L’exemple des pouvoirs de police du maire le montre :
certains sont exercés au nom de la commune, d’autres au nom de l’Etat. La difficulté tient en grande partie à
l’imprécision ou à la complexité des textes eux-mêmes. Le pouvoir de décision relevant de l’exécutif local va
être concrétisé par les délibérations prises par l’Assemblée représentant la collectivité. Le pouvoir de décision
n’a de sens que s’il porte sur des matières suffisamment significatives par leur nombre et par leur importance.
Il faut encore que ce pouvoir de décision ne soit pas annihilé par différents procédés :

- il peut être réduit d’abord, par toutes les conditions procédurales qui peuvent être exigées, par le contrôle,
notamment a priori, qui peut être appliqué à l’exercice de ce pouvoir.

- il peut être réduit ensuite, de manière plus subtile, par la dissociation que l’on peut observer entre la
compétence de décision et la compétence d’exécution. Lors même que les collectivités locales disposent
d’un pouvoir de décision dans les affaires qui relèvent de leur compétence, ce pouvoir peut être annihilé
par le fait que l’Etat dispose de la compétence d’exécution.

B- Le respect de l’unité nationale

Le préambule de la Constitution du 22 janvier 2001 proclame : le principe intangible de l’intégrité du


territoire national et de l’unité nationale dans le respect des spécificités culturelles de toutes les composantes de
la Nation.

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L’unité nationale est la cohésion de l'ensemble des composantes humaines de la société. Elle est donc,
par excellence, l'instrument primordial de l'action commune dans la Nation. S'unir sous une même bannière et
choisir un destin commun. Hélas ! Si l'on sait à quoi peut servir « l'unité nationale », facilement perceptible par
le sens commun, on ne sait cependant pas comment la réaliser. Car justement, il n'en existe pas de définition. Le
sens commun « perçoit » l'intérêt de « l'unité nationale » mais ne peut dire ce que c'est. Il en est ainsi
fondamentalement des politiciens. Ils emploient la notion « d'unité nationale », connaissant bien sa réceptivité
par l'auditoire, mais ne s'accordent ni sur son identification, ni sur les moyens ou les instruments pour la réaliser.
Et pour cause ! C'est une notion qui dans son édiction est simple mais dans sa réalisation complexe. Car
composée des deux termes « unité » et « Nation », elle comporte en elle-même les germes de son insaisissabilité.

« Unité » : « Caractère de ce qui est un, unique, de ce qui est considéré comme formant un tout dont les
diverses parties concourent à constituer un ensemble indivisible. Qualité de ce qui est homogène, non composite.
». « Nation » : communauté humaine ayant conscience d'être unie par une identité historique, culturelle,
linguistique ou religieuse. Où est l'erreur ? La voici : la « Nation » ne se définit pas sans son unité. Il n’y a pas
de nation, là où il n y a pas d'unité ! Alors que signifie « l'unité nationale ? ». Rien ; si on accorde à cette notion
la valeur d'un slogan politique. Tout ; si on lui donne le contenu socio-psychologique qui doit la sous-tendre.

En effet, la Nation se base sur une « prise de conscience » de son unité par ceux qui la composent. Ainsi,
dire renforcer « l'unité nationale » est redondant. Dire renforcer « la Nation » c'est plus explicite. Mais si l'on
sacrifie à la notion « d'unité nationale », toute la question se résoudra à cette notion de « prise de conscience »
que le politique se doit de véhiculer et d'asseoir. Mais la grande question est de savoir : une « prise de conscience
» de quoi ? Et c'est là où le bât blesse. La « Nation » ayant été définie comme une communauté humaine ayant
conscience d'être unie par une identité historique, culturelle, linguistique ou religieuse.

1. L’unicité de la souveraineté

L'Etat unitaire se caractérise par l'unité du pouvoir politique, qui se traduit, sur le plan juridique, par
l'existence d'une seule catégorie de lois, adoptées par des représentants de la souveraineté ou directement par
référendum, et qui ont vocation à s'appliquer sur l'ensemble du territoire. Cette indivisibilité du pouvoir normatif
implique qu'il n'existe qu'une seule catégorie de lois.

Si la loi peut tolérer l'édiction de règles de droit qui s'appliquent sur une portion du territoire, comme
peuvent l'être les actes des autorités déconcentrées ou même décentralisées, ces normes locales ne peuvent
cependant être édictées qu'en application et en conformité avec les normes nationales préalables. Elles ne
peuvent être créées que si la loi nationale détermine les matières dans lesquelles elles peuvent intervenir. Ainsi,
les autorités locales, c'est-à-dire les collectivités locales, ne disposent d'un pouvoir normatif que dans le cadre
de la loi.

La souveraineté interne signifie que l’Etat a le monopole exclusif du pouvoir de commandement à l’intérieur de
Dr. Baba Aliou Thiam 12
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Séquence 2 : LES STRUCTURES ADMINISTRATIVES

son territoire national. C’est là le sens positif de la souveraineté. A l’inverse, la souveraineté externe épargne
l’Etat de tout autre pouvoir ou force extérieure. Il s’agit de la souveraineté externe. Dans ce sens, tous les Etats
sont égaux en droit international et qu’aucun Etat ne peut se permettre d’exercer une quelconque domination ou
influence de nature à porter atteinte à la souveraineté d’un autre Etat.

La souveraineté internationale n’est pas absolue mais relative puis qu’elle doit composer avec d’autres
souverainetés équivalentes. L’égalité signifie que tous les Etats disposent de la même capacité d’être titulaires
de droit et d’obligation mais ne signifie pas le contenu des engagements internationaux soit identique pour tous.
En d’autres termes, l’Etat dessine lui-même en accord avec les autres, l’étendue de ses engagements. De même,
l’égalité n’implique pas non plus la symétrie des obligations, il y a une égalité de consentement mais pas
nécessairement une égalité de contenu des engagements (exemple : Traité sur la non-prolifération des armes
nucléaires de 1968, tous les Etats ont donné leur consentement mais le contenu des engagements était variable).

2. L’intégrité du territoire national

Les collectivités locales ne peuvent réclamer une indépendance politique ou une portion de territoire de
l’Etat. Le territoire de l’Etat est indivisible et sacré. Aucune collectivité locale ne peut réclamer une portion du
territoire de l’Etat pour prévaloir une indépendance politique. Cependant la délimitation qui existe entre les
collectivités locales est un moyen devant leur permettre d’exercer des compétences administratives et de gestion
des affaires locales.

L’intégrité territoriale est un principe de droit international. Il concerne le droit et le devoir inaliénables
d’un Etat souverain de préserver ses frontières. Il donne aux nations un prétexte suffisant pour entretenir une
armée pour en assurer la défense : sa violation constitue un casus belli (acte de déclaration de guerre). L'idée à
la base de l'intégrité territoriale est simple. Entre Etats souverains et égaux, chacun doit respecter le territoire de
l'autre. Le territoire étant le substrat matériel de la souveraineté –sur lequel s'exercent les compétences étatiques
à l'égard des personnes qui s'y trouvent – tout Etat a droit de déployer la plénitude de ses prérogatives sur son
territoire et doit respecter que ses égaux fassent de même sur le leur. Dans ce sens, la notion d'intégrité territoriale
a toujours été présente dans les relations internationales.

Mais le sens de l’intégrité territoriale soit être entendu au niveau interne de l’Etat unitaire. Il s’agit par-
là de l’intangibilité des limites territoriales de l’Etat. Le territoire national ne peut faire l’objet d’aucun
morcellement ou fraction au profit d’une collectivité locale existante. Le territoire dont dispose les collectivités
locales servent de base et d’assiettes imposables. La superficie d’une commune par exemple est le lieu d’exercice
des compétences fiscales et réglementaires sur les personnes ainsi que les biens et activités socioéconomiques
qui évoluent à l’intérieur de cette superficie.

Paragraphe II- Les modalités de la décentralisation

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A- La décentralisation territoriale

Dans la décentralisation territoriale, les autorités décentralisées sont les collectivités territoriales ou
locales (communes, départements). Les collectivités territoriales jouissent de la personnalité morale, de moyens
et de compétences propres, donc d’une certaine autonomie locale (art. 102 de la Constitution du 22 janvier
2001).

La Constitution et la loi de 2013 prévoit le droit à l’existence des collectivités locales (1). Mais ces dernières
sont créées par voie réglementaire. Ainsi, un décret pris sur proposition du ministre chargé des collectivités
locales crée les communes et les départements érigés en collectivités locales. De même, la loi opère un transfert
de compétences d’une part entre l’Etat et les collectivités locales et d’autre part entre les collectivités locales
elles-mêmes (2).

1. L’existence de collectivités locales

On peut parler tantôt de collectivités locales, tantôt de collectivités territoriales. Le sens revient à la
même chose. Il s’agit d’entités infra étatiques ayant une personnalité juridique et disposant d’un territoire, d’une
population et d’un pouvoir de décision propre. Ainsi, l’art. 1er, al. 1 de la loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013,
dispose : « Dans le respect de l'unité nationale et de l'intégrité du territoire, les collectivités locales de la
République sont le département et la commune. ».

Les collectivités territoriales sont des structures locales, distinctes de l’administration de l’État, qui doivent
prendre en charge les intérêts de la population d’un territoire précis. Aujourd’hui, il y a deux catégories de
collectivités : les communes et les départements. Elles sont régies par le code général des collectivités locales.

Trois critères sont à retenir :

- elles disposent d’une personnalité morale et d’une autonomie administrative ;

- elles détiennent des compétences propres, qui leur sont confiées par le Parlement ;

- elles exercent un pouvoir de décision, par délibération au sein d’un conseil de représentants élus (conseils
municipal et départemental). Les décisions sont ensuite appliquées par les pouvoirs exécutifs locaux.

Les collectivités acquièrent ainsi la possibilité de garantir leur autonomie de gestion des politiques
publiques. Mais ce statut d’autonomie accordé aux collectivités territoriales n’a cependant rien à voir avec un
quelconque caractère étatique. En effet, la structure de l’Etat unitaire ne permet pas une telle évolution des
pouvoirs octroyés, puisque cela va directement à l’encontre avec cette notion. Il est fait parfois mention de «
tutelle » de l’Etat, même si ce terme n’apparaît pas directement dans les textes.

L’une des caractéristiques majeures de la décentralisation, c’est bien sûr le renforcement des collectivités

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territoriales, qui ont par-là acquis une personnalité morale, mais bien plus encore la place du citoyen dans le
processus de gestion de leur vie quotidienne. En effet, les différentes élections au suffrage universel direct,
comme les élections cantonales assurent leur représentation. Les collectivités infra nationales n’agissent pas
selon une orientation unique, mais obéissent à l’Etat. En outre, il y a autant de politiques que de collectivités.
En ce sens, la proximité des citoyens engendre des inégalités de droits et de traitements selon la collectivité. On
peut discuter dans ces conditions du progrès démocratique alors que l’égalité de droit est consacrée dans la
Constitution. La décentralisation peut être perçue comme l’intégration du citoyen ou, au contraire, comme un
moyen au service du désengagement de l’Etat. Mais ce désengagement ne peut se vérifier que dans la mesure
où le montant des ressources allouées aux collectivités territoriales est inférieur à celui utilisé précédemment
par l’Etat pour effectuer les mêmes tâches.

Les collectivités territoriales ont d’abord vocation à « prendre des décisions pour l’ensemble des
compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». Il s’agit là du principe de subsidiarité.
Cependant, une fois encore, la libre administration reste limitée par l’absence de la mention de « libre
gouvernement » ou de « libre réglementation » du fait du principe d’unicité du pouvoir normatif. Il faut ajouter
que, malgré cette limite, la décentralisation possède un caractère bien plus démocratique que la déconcentration
du fait des élections au sein des collectivités territoriales. En effet, le citoyen est rapproché par ce phénomène
de la gestion et le développement des politiques publiques locales en désignant démocratiquement ses
représentants dans les différents conseils et aux différents échelons de l’administration locale. La
décentralisation apparaît en ce sens comme un facteur de renforcement de la démocratie locale, d’ailleurs de
plus en plus revendiqué par les citoyens, intéressés dans le processus décisionnel de mesures qui les touchent
directement.

2. Le principe de transfert de compétences

La création de collectivités locales s’accompagne d’un transfert de compétences de l’Etat vers ces
collectivités locales. Le transfert de compétences consiste à déléguer un certain nombre de pouvoirs aux
collectivités locales. D’ailleurs, des pouvoirs conférés aux collectivités locales étaient prévus par la loi n° 66-64
du 30 juin 1966 portant code de l’administration communale. Mais cette loi a posé plusieurs problèmes de
détermination exacte de compétences dévolues à chaque collectivité locale à cause certaine de la notion de
« clause générale » de compétence qu’elle contenait. La clause générale de compétences est vague et fourre-
tout.

C’est pourquoi, en 1996 une réforme majeure est intervenue pour mieux clarifier les compétences
propres à chaque échelon de collectivités locales (région, commune et communauté rurale). De ce fait, l’on
distingue généralement trois types de compétences : des compétences propres, des compétences partagées et des
compétences d’attribution.

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Avec la réforme entreprise en 2013, il existe une nette répartition entre les deux ordres de collectivités
locales (départements et communes). C’est le sens de l’art. 280 de la loi de 2013 qui précise : « La répartition
des compétences entre les collectivités locales s'effectue en distinguant celles qui sont dévolues aux
départements et aux communes. ».

Il ne faut pas perdre de vue que le transfert de compétences s’accompagne aussi d’un transfert
concomitant de ressources nécessaires à l’exercice des compétences transférées. C’est ce que prévoit l’art. 281
de la loi de 2013 en ses termes : « Les ressources nécessaires à l'exercice par les collectivités locales de leurs
compétences leur sont dévolues soit par transferts de fiscalité, soit par dotations, ou par les deux à la fois. ».

Aussi, des fonds de compensation et des fonds de concours ou de dotation sont alloués aux collectivités
locales. Suivant les dispositions de l’art. 320, al. 1 de la loi de 2013, « Les charges financières résultant pour
chaque département ou commune des transferts de compétences définies par le présent code font l'objet d'une
attribution par l'Etat de ressources d'un montant au moins équivalent auxdites charges. ».

B- La décentralisation technique

Dans la décentralisation fonctionnelle ou technique, les entités décentralisées sont des établissements publics
chargés de gérer un service public (universités, hôpitaux publics, musées nationaux, etc.). Ils bénéficient de la
personnalité morale et de moyens propres, mais ne disposent que d’une compétence d’attribution qui correspond
à l’objet même du service public qui leur est transféré.

La décentralisation technique, encore appelée décentralisation par service, les établissements publics (1)
sont confiés l’exercice d’une mission de service public (2) à vocation d’intérêt national ou local.

1. L’existence d’établissements publics

Les établissements publics sont créés par voie législative. C’est le cas par exemple de loi n° 2008-21 du 22
avril 2008 modifiant les articles 1er, 2 et 12 de la loi n° 2000-01 du 10 janvier 2000 portant création d'un
Etablissement public de Santé a statut spécial dénommé « Hôpital Principal de Dakar ». On peut citer aussi la
loi n° 2017-32 du 15 juillet 2017 fixant les règles d'organisation et de fonctionnement d'un établissement public
à statut spécial dénommé « Caisse des Dépôts et de Consignations ».

Ici, les établissements publics visés sont ceux qui sont soumis aux règles de droit public. Ils sont certes des
personnes morales dotées d’une autonomie administrative et financière. Il existe plusieurs types d’établissement
publics (déjà exposés au premier chapitre du cours). Mais généralement, on peut citer deux grandes catégories
d’établissements publics : les établissements publics à caractère administratif (EPA) et les établissements
publics à caractère industriel et commercial (EPIC).

Ce qu’il convient de retenir c’est que les établissements, à l’instar des collectivités locales, dispose d’une

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personnalité juridique. En revanche, ils ne possèdent pas de territoire. Ils ont quand même un lieu où siègent
leurs agents et services. Les établissements publics sont dotés d’une autonomie de gestion. Ils disposent d’une
marge de liberté considérable dans la mise en œuvre des missions qui leur sont conférées.

Les établissements publics sont de même rattachés à une administrative centrale ou locale qui exerce une
tutelle sur eux. Il peut s’agir de l’Etat ou d’une collectivité locale (département, commune). Les établissements
publics font par conséquent l’objet d’un contrôle en vue de compenser leur autonomie. Autrement dit, les
établissements publics sont soumis à la légalité. Leurs actes doivent être conformes au droit.

Enfin, les établissements publics sont caractérisés par une spécialisation de leur mission. Chaque
établissement public dispose de compétences très précises. Ce qui fait distinguer plusieurs types
d’établissements publics. Certains ont un caractère administratif, d’autres sont techniques ou scientifiques, etc.

2. L’exercice de la mission de service public

La doctrine juridique définit classiquement le service public comme étant la réunion de trois critères : la
présence d’une activité considérée d’intérêt général, un lien plus ou moins étroit avec une personne publique, et
la soumission de cette activité à un régime exorbitant du droit privé. Ces trois critères sont souvent présentés
comme une œuvre duale, mêlant les conceptions prétoriennes et doctrinales. À dire vrai, la notion de service
public a été, dès la formation d’un droit dérogatoire au droit commun, une des notions centrales de celui-ci.
L’arrêt Blanco (Tribunal des Conflits, 8 février 1873) mentionne ainsi l’expression « service public » en la
présentant comme fondement d’un droit spécifique.

La gestion du service public est souvent faite par une personne publique. C'est le procédé public le plus
pur. L'État et les personnes publiques entretiennent spécialement un certain nombre d'organes pour assurer les
prestations de service public. Mais, dans d’autres cas, la gestion du service public peut être confiée à une
personne privée dans le but de poursuivre l’intérêt général.

La mission de service public s’effectue selon les principes suivants : l’égalité, la continuité et la mutabilité.

Le principe d'égalité qui régit le fonctionnement des services publics est une conséquence du principe d'égalité
devant la loi, inscrit dans la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 (art. 1er « Les hommes naissent et
demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune
»). Ce principe d'égalité est au minimum une garantie d'égalité juridique, c'est-à-dire une égalité de statut entre
usagers, et éventuellement entre contractants. Le principe d'égalité devant le service public est en même temps
un principe général du droit consacré par la jurisprudence administrative indépendamment de toute référence à
un texte.

Le principe de continuité était dans la théorie juridique du début du siècle d'une importance exceptionnelle.
Aujourd'hui ce principe semble passer au second plan, probablement parce que cette continuité ne pose plus,
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dans les faits, en raison de l'extension de l'intervention publique, du niveau économique et de l'expérience de
gestion, de véritable problème. Il ne faudrait pas cependant oublier sa nature profonde, ni l'utilisation que l'on
en a relativement à d'autres principes du droit public.

Le principe de mutabilité (ou d'adaptation) signifie que le statut et le régime des services publics
doivent pouvoir être adaptés, chaque fois que l'imposent l'évolution des besoins collectifs et les exigences de
l'intérêt général. On peut songer à l'amélioration quantitative, qualitative des prestations, en fonction des
améliorations de la technique, du progrès économique ou de l'aménagement de l'ordre juridique. L'exemple en
fut donné, au tournant du siècle par le remplacement de l'éclairage au gaz des voies publiques, par l'éclairage
électrique.

CHAPITRE III- L’ORGANISATION DE L’ACTION ADMINISTRATIVE

L’administration est un ensemble de personnes et structures et d’activités qui utilisent des moyens de
puissance publique dans un objectif d’intérêt général. L’action de l’administration concerne les activités
administratives à travers lesquelles les besoins de la collectivité publique sont gérés. Il existe plusieurs types
d’activités administratives. Certaines sont exercées directement par l’administration elle-même, d’autres sont
exécutées entre l’administration et une autre personne contractante.

L’action administrative de l’Etat, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics s’appuie
sur un cadre juridique spécifique lié notamment à la prise en compte de l’intérêt général. C’est précisément le
but d’intérêt général recherché qui fait la particularité de l’action administrative.

Généralement, l’action administrative se déploie sous deux formes : la police (section I) et le service public
(section II).

Section I- La police administrative

La police administrative désigne une activité de service public ayant pour but le maintien de l’ordre
public ; elle se traduit par l’édiction de normes et par la mise en place de contrôles. La police administrative
dispose de nombreuses prérogatives, ce qui pose la question des éventuelles atteintes portées aux individus. Les
fonctions de la police administrative sont donc strictement encadrées.

Dans un Etat de droit, la police administrative joue principalement deux grands rôles : le maintien de l’ordre
public (paragraphe I) et la prévention (paragraphe II) au profit de la collectivité et de ses biens.

Paragraphe I- Organisation de la police administrative

La police administrative peut être perçue comme un ensemble de personnes et de moyens (ou procédés)
tendant à assurer le maintien de l’ordre public, la tranquillité, la salubrité et la sécurité publique. Il s’agira de

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voir d’une part les autorités de police (A) et d’autre part les formes de police (B).

A- Les autorités de police

Généralement on distingue les autorités centrales (1) des autorités locales (2).

1. Les autorités centrales

Le président de la république peut intervenir par décret en conseil de ministres pour prendre des mesures
de police. Le premier ministre dispose d’une compétence de police générale. Le président de la république peut
en dehors de toute délégation législative déterminer les mesures de police qui doivent être appliquées sur
l’ensemble du territoire.

Ces règlements sont assujettis au respect de la loi, et quand le législateur est intervenu dans le domaine
de la protection de l’ordre public il incombe au premier ministre d’exercer son pouvoir de police générale sans
méconnaître la loi ni en altérer la portée.

Le minimum indispensable à l’exercice des libertés et droits fondamentaux est susceptibles d’être adopté au
nom de la nécessité sans aucune habilitation formelle.

2. Les autorités locales

On distingue le cas du Sénégal de celui de la France.

En France, le maire est chargé de la police municipale. Il exerce cette fonction au nom de la commune dans le
cadre de ses pouvoirs propres (et non pas en l’exécution d’une délibération du conseil municipal) sur l’ensemble
du territoire de la commune. Il agit au nom de l’Etat que pour l’exécution des mesures de sûreté générale.

Le préfet est compétent pour prendre au nom de l’Etat toute mesure en matière de salubrité, de sûreté et de
sécurité publique dont le champ d’application dépasse le territoire d’une seule commune. Et à condition que des
circonstances particulières le justifient. Le préfet peut se substituer à une commune pour prendre des mesures
de police générale en cas de carence de celle-ci.

Il a une fonction d’animation et de coordination de l’ensemble du dispositif de sécurité intérieure. Il est


compétent pour une partie de la police de la tranquillité. Il intervient pour les questions liées aux rassemblements
occasionnels (manifestations, rixes, tapages nocturnes, émeutes).

Au Sénégal, le maire est la seule autorité locale investie de pouvoirs propres en matière de police administrative.
Le président du conseil départemental ne dispose pas, en vertu des textes, de pouvoirs de police administrative.

Ainsi, la loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant code général des collectivités locales (CGCL) énumère
les différents pouvoirs de police conférés au maire dans les articles 118 à 127.
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Le maire est chargé, sous le contrôle du représentant de l'Etat, de la police municipale et de l'exécution des actes
de l'Etat qui y sont relatifs (art. 118, al. 1 du CGCL). La création d'un service de police municipale est autorisée
par décret qui en fixe les attributions, les moyens et les règles de fonctionnement (art. 118, al. 2 du CGCL). La
police municipale a, sous réserve des dispositions de l'article 123 du présent code, pour objet d'assurer le bon
ordre, la sûreté, la tranquillité, la sécurité et la salubrité publics (art. 119 du CGCL).

B- Les formes de police

1. La police administrative générale

La distinction entre polices administratives générales et spéciales est essentielle, car les procédures, les
autorités investies et les personnes ou activités concernées diffèrent. Le pouvoir de police administrative est
général lorsque l’autorité de police exerce son pouvoir sur un territoire donné, à destination de toute activité ou
de toute personne et en dehors de texte d’habilitation spéciale. Il est spécial, lorsque la finalité, le champ
d’application, le contenu ou les modalités du pouvoir de police sont déterminés par un texte précis. Pour autant,
la ligne de démarcation entre les deux formes de police n’est pas toujours limpide. Ainsi, les pouvoirs de police
générale du maire l’autorisent à démolir ou réparer des édifices et monuments funéraires menaçant ruine (article
L.2212-2 du CGCT)… alors même qu’il existe une police spéciale des édifices menaçant ruine.

Au Sénégal, on peut citer l’art. 118, al. 2-1, -2 du CGCL qui confère des pouvoirs de police spéciale au maire.

2. La police administrative spéciale

Les polices spéciales sont diverses et nombreuses, mais elles sont identifiables, car nécessairement créées
par un texte qui permet, en outre, de déterminer l’autorité investie de ces pouvoirs spécifiques. On compte ainsi
la police de la route, qui vise à encadrer l’usage des véhicules motorisés, prévenir les accidents et sanctionner
certains comportements. On peut également citer la police des réunions et des manifestations, qui constitue le
corollaire de la liberté de réunion publique instaurée par la loi du 30 juin 1881, ou encore la police des cultes,
instaurée par la loi du 9 décembre 1905 et qui vise à encadrer les réunions publiques cultuelles, l’instauration et
l’encadrement des lieux de cultes. D’autres polices spéciales existent, comme la police des jeux et des spectacles,
des édifices menaçant ruine, des funérailles et cimetières, des animaux errants et dangereux, etc.

Paragraphe II- Missions de la police administrative

La police administrative a des missions particulières qui peuvent s’analyser comme des permissions et
interdictions. Ces missions se traduisent par le maintien de l’ordre public d’une part (A) et la prévention des
troubles d’autre part (B).

A- Le maintien de l’ordre public

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1. La notion d’ordre public

L’ordre public peut se définir par la réunion de trois éléments essentiels : la tranquillité (ex : tapage
nocturne), la salubrité (ex : hygiène des lieux publics, pollution, etc.) et la sécurité publique (ex : accidents).
Pour le définir, Maurice Hauriou utilisait la formule suivante : « L’ordre public, au sens de la police, est
l’expression d’un ordre matériel et extérieur.».

Des mesures nécessaires au maintien de l’ordre public sont mises en œuvre par la police administrative
par différents moyens. Elle peut ainsi recourir à la mise en place de mesures destinées à empêcher ou limiter les
atteintes qui peuvent y être portées. C'est par exemple le cas des procès-verbaux dressés pour tapage nocturne.

2. La portée de la notion

La notion d’ordre public est variable dans le temps ; elle est fonction des évolutions de la société. Ce qui
était admis dans les sociétés traditionnelles peut ne plus l’être aujourd'hui, et inversement. Ainsi, de nouvelles
préoccupations telles que la protection de l’environnement ont un réel impact sur l’exercice de la police
administrative. Dans un autre domaine, les critères esthétiques ont vu leur importance croître.

La notion d’ordre public est donc variable dans le temps non seulement en raison de l'évolution de la
société elle-même, mais également de l'évolution de la morale, qui est fonction des époques. En effet, les «
bonnes mœurs » reposent sur des valeurs morales, déterminant les aspirations de la société à un moment donné.
La notion de « bonnes mœurs » se rapproche ainsi de la notion de morale publique.

Le Conseil d’Etat (CE) a par exemple pu juger qu’un film pouvait être interdit en raison des préjudices
susceptibles d’être causés à l’ordre public (les films Lutétia, 1959) ; le juge a également pu considérer légal un
arrêté interdisant la projection d’un film « immoral » alors même que le ministère de la culture lui avait délivré
un visa d’exploitation (Association Promouvoir, CE, 2000). Aussi, le Conseil d’Etat a intégré à la notion d’ordre
public le respect de la dignité de la personne humaine par son arrêt Commune de Morsang sur Orge de 1995 ;
depuis, la protection contre soi-même s'est ajoutée à la notion. Les références à la moralité publique restent
quant à elles relativement rares en jurisprudence.

Les exemples développés ci-dessus montrent les difficultés d’appréciation de la notion d’ordre public,
qui peut être appréhendée de manière plus ou moins extensive en fonction des circonstances.

En 2014, dans l'affaire Dieudonné, le Conseil d'Etat a ainsi admis que de simples propos puissent porter,
atteinte à la dignité, et non des traitements physiques dégradants à l'image du "lancer de nains". Cette décision
a été critiquée, certains y voyant un risque de subjectivisation de l'ordre public.

B- La prévention des troubles

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1. Distinction entre police administrative et police judiciaire

La police judiciaire a pour finalité la répression, car elle constate les infractions, et en recherche les
auteurs et les preuves ; les litiges qui concernent ces infractions relèvent du juge judiciaire. Au contraire, la
police administrative a pour finalité la prévention ; elle a pour mission de prévenir les atteintes à l’ordre public,
et relève du juge administratif. La distinction entre les deux polices est en pratique difficile à établir puisqu’il
s’agit du même personnel : des policiers qui effectuent des rondes pour prévenir une atteinte éventuelle à l’ordre
public répondent à une mission de police administrative ; mais si ces mêmes policiers constatent une infraction
lors de leur tournée parce qu’ils se retrouvent face à un voleur pris en flagrant délit, ils répondront alors à une
mission de police judiciaire. Une opération de police administrative peut donc se transformer en opération de
police judiciaire. Cela a été le cas dans l’affaire Dlle Motsch de 1977 : alors qu’un contrôle d’identité était sur
le point d'avoir lieu, un conducteur avait forcé le barrage et s’était enfui en commettant diverses infractions (feux
rouges grillés, sens interdits…).

Définir l’opération de police suppose donc de prendre en compte la finalité de l’action. Ci celle-ci se
destinait à mettre fin à une infraction pénale, on considérera généralement qu’il s’agit d’une opération de police
judiciaire. En revanche, si le but était d'ordre public, on considère qu'il s'agissait d'une opération de police
administrative.

2. Qualification des opérations de police

La distinction entre police administrative et judiciaire n’étant pas aisée, la qualification est toute aussi
difficile. C’est encore la finalité de l’opération qui est prise en compte.

Dans l’affaire Dlle Motsch de 1977, le juge a considéré que l’opération de police judiciaire avait débuté dès lors
que le barrage avait été franchi. Le juge judiciaire était donc compétent.

Les opérations de police étant difficiles à qualifier, le juge peut modifier une qualification lorsqu’il
l’estime inopportune. Cela a été le cas dans l’arrêt Frampar, de 1960, par lequel le Conseil d’Etat avait requalifié
une mesure de police en police administrative ; le litige relevait donc de sa compétence. Il s’agissant en l’espèce
d’une saisie de journaux effectuée durant la guerre d’Algérie par le préfet d’Alger.

Section II- Le service public

Le service public est une activité d’intérêt général assurée par une personne publique ou privée et
soumise à un régime juridique particulier. Le service public est qualifié par Gaston Jèze de « pierre angulaire »
du droit administratif.

La notion de service public est une notion centrale du droit administratif, mais elle est aussi par
contrecoup une notion abondamment critiquée. C'est une notion centrale parce qu'elle touche aux buts des

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institutions publiques et de l'organisation sociale. Pour Duguit par exemple, l'État n'existe pas. Il n'est qu'un
faisceau de services publics. L'existence du pouvoir d'État ne se justifie que ponctuellement en vue de garantir
la possibilité de rendre des services à la collectivité. C'est aussi une notion soumise à de fortes critiques. Tout
d'abord, pour certains elle semble inséparable de la notion de puissance publique (Hauriou). Ensuite, la
présentation théorique générale du service public comme critère unique du droit administratif est trop optimiste.
Le service public fonderait à la fois la spécificité des règles de droit administratif et la compétence des
juridictions administratives. Or, la réalité et la jurisprudence ont très vite démenti cette vision. La gestion des
services publics n'a jamais cessé d'utiliser des règles et des situations de droit privé.

Le service public sera analysé à travers son identification (paragraphe I) et son exécution (paragraphe II).

Paragraphe I- L’identification du service public

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, Louis Rolland réalise la synthèse des vues de l'École de
Bordeaux en exposant trois conditions :

- Le service public suppose la direction ou la haute direction des gouvernants. C'est l'aspect organique,
mais il est nuancé par la distinction entre la maîtrise du service (choix de création, choix du mode de
gestion, contrôle de la gestion) et la gestion du service proprement dite par les personnes publiques.

- Le service public suppose la satisfaction à donner à un besoin d'intérêt général. C'est l'aspect fonctionnel.
Certains tenants de l'École de Bordeaux comme Jèze estiment que c'est le législateur qui détermine le
besoin d'intérêt général; d'autres juristes, comme Hauriou, pensent que la notion de service public est
objective et qu'elle résulte de la nature du service. Il y aurait des services publics par nature.

- Le service public suppose la carence ou l'insuffisance de l'initiative privée. C'est une particularité
fonctionnelle destinée à limiter l'intervention des collectivités territoriales. Cette limitation ne s'applique
pas à l'État car le Parlement représentant la nation souveraine ne saurait mal faire (CE, 27 juillet 1923,
Gheusi, Rec. 638).

Le point culminant de la confusion est atteint par Gaston Jèze qui confère à la notion de service public un
caractère pleinement subjectif : « sont uniquement, exclusivement services publics, les besoins d'intérêt général
que les gouvernants d'un pays donné, à un moment donné ont décidé de satisfaire par le procédé du service
public ». Le service public devient un procédé technique que peut utiliser le législateur. Cette position prive la
notion de service public de son unité essentielle qu'est la limitation de l'État.

A- Les critères du service public

Le service public est une activité que l'administration exerce ou alors cette activité peut être également
exercée sous sa responsabilité. L'administration a le devoir d'offrir des prestations aux administrés. Ces

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prestations peuvent être par exemple, la fourniture d'énergie ou offrir des subventions, accorder des prestations
de service (culture, loisirs, etc.).

Le Conseil d’Etat a défini plus précisément la notion de service public en 1963 ; il considère comme
appartenant à cette catégorie les organismes répondant à certaines caractéristiques : rattachement à une personne
publique, la satisfaction de l’intérêt général et la soumission au droit public.

1. Critère organique

Au sens organique, le service public est une organisation formée d’agents et de moyens matériels destinée à
accomplir certaines dispositions, au sein d’une Administration (ex: le service de la santé).

Les organismes de service public doivent être rattachés à une personne publique. Traditionnellement,
l'activité d'intérêt général devait être sous contrôle d'une administration. Mais a été admise la gestion privée du
service public dès lors qu'il existe un lien suffisant avec la personne publique (dans les faits, une simple
dépendance suffit); dans ce cas, les règles propres à l'administration peuvent s'appliquer (attribution de
prérogatives de puissance publique, obligations particulières).

2. Critère matériel

Au sens matériel du terme, le service public est un organisme à vocation générale ; si certains services
publics poursuivent un objectif de rentabilité, ils doivent avant tout avoir pour objet d'effectuer une « mission
de service public ». Le but premier est donc de satisfaire l’intérêt général. Le service public se justifie seulement
par cet objectif, difficile à déterminer car variable dans le temps et dans l’espace (comme le rappelait le Conseil
Constitutionnel dans sa décision du 26 juin 1986).

Les organismes de service public doivent avant tout satisfaire l’intérêt général, et donc ne pas recourir aux
exigences de rentabilité ou rechercher le profit (à la différence des entreprises).

3. Critère juridique

Enfin, les organismes de service public doivent se soumettre à un régime juridique de droit public Cette
troisième caractéristique complète les deux premières, et peut parfois aider à les dévoiler.

En général, le service public est une activité particulière qui exige l’application de règles spécifique du droit
administratif en raison de l’intérêt général poursuivi. Il ne saurait par conséquent être régi par des règles du droit
commun applicables aux personnes et aux activités privées.

B- Les principes du service public

1. Le principe d’égalité

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Le principe d’égalité, plus exactement le principe d’égalité d’accès au service public, signifie que tous
les usagers -y compris les agents du service public- doivent avoir un accès égal au service public, qu’ils doivent
être traités de manière équivalente. Ce principe est expressément mentionné aux articles 1er (égalité en droit),
art. 6 (égalité devant la loi et égalité d’accès aux emplois publics) et art. 13 (égalité devant les charges publiques)
de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1948 et élevé au rang de principe général du droit
(PGD) par le Conseil d’Etat, dès 1951, dans son arrêt « Société des concerts du conservatoire ». De ce principe
découlent, notamment, les principes de neutralité, de laïcité, d’interdiction de discrimination, sous réserve, dans
certains cas, d’admission de discriminations positives conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat de
1974 « Denoyez et Chorques ».

2. Le principe de continuité

Ce principe n’est issu d’aucun texte ; il est la conséquence directe du principe fondamental de continuité
de l’État. Énoncé, dès 1916, dans un arrêt du Conseil d’Etat « Compagnie du gaz de Bordeaux », il impose que
le service public fonctionne de manière ponctuelle et régulière et qu’il soit accessible aux usagers, c’est-à-dire
qu’il soit en mesure de répondre aux besoins impératifs des usagers. C’est en fonction de la nature du besoin
que le principe de continuité sera décliné. L’idée est d’écarter « l’Etat à éclipse ». Ce principe a été élevé au
rang de principe à valeur constitutionnelle, par le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 1979 « Droit de
grève à la radio et à la télévision ». En effet, il s’impose face au droit de grève reconnu par le préambule de la
Constitution de 1946. Ainsi, dès 1950, dans son arrêt « Dehaene », le Conseil d’Etat justifiait la restriction du
droit de grève dans les services publics au nom du principe de continuité. Toutefois, il importe de relever que
l’usager n’a pas un droit au maintien du service public, ceci en application du principe de mutabilité (ou
d’adaptabilité).

3. Le principe de mutabilité

Ce principe signifie que le service public a pour obligation de s’adapter. C’est le plus ancien des
principes, énoncé, dès 1902, par le Conseil d’Etat, dans son arrêt « Compagnie nouvelle du gaz de Deville-lès-
Rouen ». Ce principe s’applique, notamment, bien évidemment, aux agents. En effet, il résulte pour eux
l’obligation de s’adapter aux conditions de travail que leur impose l’évolution du service public dans sa nouvelle
organisation, mais aussi des obligations en matière de formation professionnelle. Plus généralement, il découle
de ce principe que l’administration peut librement décider de modifier l’organisation d’un service public
(Conseil d’Etat, 1961, arrêt « Vannier ») ou le supprimer (Conseil d’Etat, 1973, arrêt « Turpin »).

A ces principes, il convient d’ajouter un faux principe : le principe de gratuité, écarté par le Conseil
constitutionnel, dans sa décision de 1979 « Ponts à péages ». En effet, si certaines prestations sont gratuites,
cette gratuité ne s’impose que si elle est prévue par la loi. Outre l’éducation, il s’agit notamment des interventions
de l’Etat dans le domaine régalien. Dans les faits, le principe est que le service public est payant, soit directement

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au travers du paiement de droits, de redevances, de taxes ou de cotisations, soit il est financé indirectement par
l’impôt.

Paragraphe II- L’exécution du service public

L’administration utilise le service public comme un moyen approprié pour mettre en œuvre son action.
Autrement dit, le service public permet d’assurer la mission de satisfaction de l’intérêt général dont
l’administration s’est investie.

L’exécution ou la réalisation du service public est une activité qui obéit à des modalités (A) et poursuit une
finalité (B).

A- Les modalités d’exécution

Afin de déterminer les organismes ayant une mission de service public, le Conseil d’Etat prend en compte
le fait qu’il soit géré par un organisme public (1), et surtout qu’il relève d’une mission d’intérêt général. Lorsque
ces deux conditions sont réunies, il est facile d’identifier le service public. Mais il est des cas où seul le critère
de l’intérêt général est satisfait : c'est le cas lorsque des organismes privés (2) gèrent le service public ; seul le
critère matériel est alors rempli.

1. L’exécution du service public par un organisme public

Les missions traditionnelles de l’Etat n’ont fait l’objet d’aucune difficulté tenant à leur identification. Les
secteurs relatifs à la santé publique ou à la justice n’ont donc eu aucun mal à être déterminés.

Il est pourtant des cas dans lequel la question a soulevé quelques problèmes ; si l’activité était bien assurée
par une personne publique, la question était de savoir s’il s’agissait bien d’une activité d’intérêt général. On peut
en ce sens citer l’arrêt Epoux Bertin, dans lequel le Conseil d’Etat a pu considérer que la mission de rapatriement
de réfugiés étrangers se trouvant en France constituait un service public (CE, 1956).

2. L’exécution du service public par un organisme privé

Puisque le critère organique n’est pas satisfait, il faut trouver un particularisme à l’activité : il faut qu’elle se
soumette à un régime juridique particulier. Cette solution a été consacrée par le Conseil d’Etat, par deux grands
arrêts de 1942-1943. Une personne privée pouvait donc avoir une mission de service public.

Le premier arrêt est celui de 1942, Monpeurt : en l’espèce, une loi de 1940 créait une organisation provisoire
nécessaire à une production industrielle. Le Conseil d’Etat a considéré que la loi avait accordé l’octroi de
prérogatives de puissance publique, justifiant ainsi sa qualification de service public, et la compétence de la
juridiction administrative.

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Le second arrêt est l’arrêt Bouguen de 1943 dans lequel le Conseil d’Etat considère que la loi avait entendu
faire d’une organisation privée (le Conseil supérieur de l’Ordre des médecins) un service public. Cette solution
est donc applicable aux ordres professionnels dans leur ensemble.

Désormais, beaucoup d’organismes bénéficient du caractère de service public. Outre les services habituels
(justice, enseignement, santé publique…), il existe les services publics financiers et économiques, et des services
publics culturels (théâtre).

B- La finalité du service public

Le but du service public est de satisfaire l'intérêt général. C'est difficile de dire ce qu'est l'intérêt général car
c'est un terme très subjectif. En fait l'intérêt général est très lié à la satisfaction d'un besoin collectif. Cette notion
est difficile à définir car elle évolue selon les périodes. Par exemple initialement, seuls quelques services étaient
compris comme satisfaisant l'intérêt général : il s'agissait des services essentiels comme la fourniture de l'énergie
et les transports. Par la suite, la notion d’intérêt général s’est considérablement étendue aux nouveaux besoins
de la population (en matière de loisir, d’enseignement, de protection sociale, au domaine sportif…).

Cette notion est évolutive et l'exemple du théâtre le démontre très bien. En 1916, le CE dans l'arrêt Astruc
avait refusé de reconnaître que le théâtre soit considéré comme un service public. Il faut attendre 1944 pour que
le juge puisse accepter le théâtre comme un service public. Par un arrêt « Léoni » selon lequel un théâtre
municipal présentait un intérêt public dans la mesure où il faisait prédominer la qualité et les intérêts artistiques
sur les intérêts commerciaux de l’exploitation.

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