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B. GARRETTE R. DURAND P. DUSSAUGE L. LEHMANN-ORTEGA F. LEROY


Avec la participation de O. SIBONY et B. POINTEAU

Corrigés des études de cas

PARTIE 1
La business strategy

Chapitre 1 Analyser l’industrie 5


 LinkedIn : la révolution du recrutement (p. 47) 6
Chapitre 2 Analyser la stratégie de l’entreprise 7
 Le business model de Zara (p. 81) 8
Chapitre 3 La dynamique concurrentielle 9
 Airbus et Boeing : le projet Super Jumbo (p. 108) 10
 L’écosystème Apple (p. 124) 11
 La stratégie d’Apple (p. 129) 12
Chapitre 4 Construire un avantage concurrentiel durable 13
 Southwest Airlines : le low cost devient leader en volume (p. 142)14
 La conversion d’Apple aux microprocesseurs Intel (p. 156) 15
 Vuitton et Hermès : croître en préservant la différenciation (p. 175) 16
Chapitre 5 Innover pour créer de nouveaux business models 17
 Vente-privée.com, leader de l’e-commerce en France (p. 188) 18
 HelloFresh, un business model qui répond
aux véritables besoins (p. 195) 19
 Free Mobile, nouvelle proposition de valeur
dans la téléphonie mobile (p. 199) 20
 Librinova, une plateforme d’autoédition (p. 210) 21
 Netflix : une réinvention successive du business model (p. 215) 22
PARTIE 2
La corporate strategy
Chapitre 6 Croissance, création de valeur et gouvernance 23
 Amazon : une stratégie qui porte ses fruits (p. 245) 24
 L’affaire Enron : manipulations financières complexes (p. 254) 25
Chapitre 7 Diversification, recentrage et portefeuille d’activités 26
 Le recentrage de Saint-Gobain (p. 291) 27
 Recentrage du groupe Accor (p. 296) 28
 Synergies et cohérence au sein du groupe Disney (p. 308) 29
Chapitre 8 Intégration verticale et externalisation 30
 L’intégration verticale de la maroquinerie de luxe
dans les peaux de crocodile (p. 331) 31
 L’intégration verticale dans le secteur pétrolier (p. 332) 32
 Pourquoi les constructeurs automobiles produisent-ils
leurs moteurs et pas les constructeurs aéronautiques ? (p. 338) 33
 L’externalisation des microprocesseurs et du système d’exploitation prive IBM
de sa domination sur les PC (p. 341) 34
Chapitre 9 Globalisation et stratégies internationales 35
 L’émergence de leaders mondiaux chinois (p. 357) 36
 La stratégie internationale de McDonald’s (p. 373) 37
Chapitre 10 La croissance externe : les fusions acquisitions 38
 Hanson Trust, conglomérat et acquéreur en série (p. 399) 39
 La fusion Daimler-Chrysler, autopsie d’un échec (p. 412) 40
 Procter-Gillette, ou comment combiner deux géants
de la grande consommation (p. 425) 41
Chapitre 11 Les alliances stratégiques 42

 Cereal Partners Worldwide : une alliance Nestlé-General Mills (p. 431)

43

 CFM International : une alliance devenue leader mondial (p. 436)


44

 Apprentissage et transferts de savoir-faire dans l’industrie automobile mondiale (p.


443)

46

 Les trois alliances globales entre compagnies aériennes (p. 445)


47

 Danone-Wahaha, alliance ou concurrence larvée ? (p. 455)


48

Chapitre 12 Stratégie et responsabilité sociétale des entreprises 49


 Le partenariat d’Unilever, Lipton et Rainforest Alliance (p. 479) 50
 L’intégration du développement durable dans la vision 2030
de Danone (p. 486) 51
 Michelin Fleet Solutions (p. 494) 52
 La survie des constructeurs automobiles européens passera-t-elle
par l’économie circulaire ? (p. 499) 53
 Grameen Bank, une banque sociale dans la microfinance (p. 506) 54
PARTIE 3
Manager et transformer
Chapitre 13 Incarner et fédérer 55
 Lehman Brothers en crise (p. 539) 56
 Quelle identité à la mort du Chef : le cas Bernard Loiseau (2003)
(p. 545) 57
 Air France-KLM : du « rapprochement » à la fusion
[2003-2006] (p. 555) 58
Chapitre 14 Organiser59
 Structures matricielles dans une université (p. 583)60
Chapitre 15 Décider et agir 61
 Polaroid : une tentative d’adaptation
au changement technologique (p. 618) 62
 J.C. Penney, une transformation ratée (p. 630) 63

Chapitre 16 Transformer 64

 Embraer, Li & Fung et Cisco (p. 652)


65

 Procter & Gamble (p. 655)


66

 Domino’s Pizza : une entreprise de technologie qui fait des pizzas (p. 665)

67

 Changement organisationnel et culturel chez Oticon (p. 669)


68

 Best Buy, le retournement par les valeurs (p. 672)


69
LinkedIn : la révolution du recrutement (p. 47)

Le secteur du recrutement est-il concentré ou fragmenté ?


Le secteur du recrutement est FRAGMENTE :

très nombreux acteurs et des groupes d’acteurs  profils différents et dont la taille varie
(généralistes ou spécialistes, agences d’intérim ou cabinets de recrutement, etc.)
+ aggravée par la faiblesse structurelle des barrières à l’entrée,

=> industrie globalement peu profitable et vulnérable.

LinkedIn est-il un nouvel entrant ou un produit de substitution ?

LinkedIn est un acteur d’un nouveau genre qui remplit les mêmes fonctions que les acteurs
existants, mais qui en propose aussi de nouvelles et qui a un profil différent, (réseau social)

=> C’EST DONC UN PRODUIT DE SUBSTITUTION.

Substitution car :

LinkedIn n’est pas un intermédiaire classique dans le marché du recrutement : plateforme


digitale + usages multiples (mise en relation des employeurs et des chercheurs d’emploi).
nouvelle technologie + nouveau business model => Elle change profondément le jeu
concurrentiel dans l’industrie du recrutement, à tel point que les chasseurs de têtes, par
exemple, essaient de s’adapter en utilisant LinkedIn plutôt qu’en essayant de limiter la
substitution, ce qui les amène à redéfinir leur rôle.
Pourquoi Microsoft a-t-il acheté LinkedIn pour 26 milliards de dollars au lieu de consacrer
cette énorme somme d’argent
à développer un produit concurrent ?

La réponse est dans les EFFETS DE RESEAU (voir chapitre 3). La valeur du réseau pour chaque
membre réside dans le nombre de connexions.  LinkedIn a réuni 600 millions d’adhérents et
sa croissance est exponentielle. LinkedIn est en position de « winner takes it all ».

Il devient de moins en moins probable qu’une plateforme concurrente puisse rattraper une
telle avance puisque tout nouvel individu arrivant sur le marché va toujours avoir tendance à
préférer LinkedIn, simplement parce que c’est la PLATEFORME DOMINANTE. Microsoft a
évidemment la capacité technologique de développer une plateforme rivale, et cela lui
coûterait bien moins que 26 milliards de dollars. Mais il y aurait très peu de chances que
cette nouvelle plateforme devance ou même rattrape LinkedIn, quel que soit l’investissement
que Microsoft pourrait consacrer à la R&D et à la publicité.
 LES JEUX SONT FAITS. Si Microsoft veut se positionner sur le marché du recrutement, il
vaut mieux racheter LinkedIn qu’essayer de développer un rival.

Le business model de Zara (p. 81) 8

Le business model de Zara (p. 81)


Qu’est-ce qui fait l’originalité et la cohérence du business model de Zara ?

Le CONCEPT DE FAST FASHION résume l’originalité du business model de Zara :

Comme on le voit sur la COURBE DE VALEUR, Zara propose à ses clients des produits peu
durables, collant à la mode à très court terme, dans des boutiques proches de l’ambiance des
boutiques multimarques de centre-ville. Les vêtements ne sont pas de meilleure qualité que
chez H&M, mais ils sont plus « tendance » et les magasins projettent une image plus « haut
de gamme ».

Zara a brouillé les CARTES DE LA SEGMENTATION traditionnelle du prêt- à-porter :


dichotomie entre d’un côté les franchises bas de gamme et de l’autre les boutiques
multimarques.

Côté ARCHITECTURE DE VALEUR, le business model de Zara se caractérise par une forte
intégration verticale, de la conception des vêtements aux boutiques, en passant par la
fabrication. C’est une exception dans l’industrie, où la sous-traitance vers les pays à bas coût
de main-d’œuvre est la règle.

L’intégration verticale pénalise la structure de coût de Zara, mais l’entreprise compense en


réduisant drastiquement le besoin en fonds de roulement et les remises sur les prix de vente.

La cohérence de ce business model en fait la force. La proposition de valeur (vêtements


éphémères, très mode et quasi « jetables ») est cohérente : rotation rapide des stocks +
absence de collections  grande réactivité aux tendances à court terme du marché, rendue
possible par L’INTEGRATION VERTICALE.

La cohérence entre la PROPOSITION DE VALEUR et L’ARCHITECTURE DE VALEUR est très forte.

Ce business model crée-t-il un avantage concurrentiel ?

Ce modèle crée bien un AVANTAGE CONCURRENTIEL.

La VALEUR PERÇUE par les clients est plus forte que chez un concurrent comme H&M, alors
que les prix sont au même niveau, donc nettement plus bas que dans les boutiques
multimarques. Le BENEFICE CLIENT est donc fort. Côté coût, bien que Zara ait des coûts de
production et des investissements plus élevés que ses concurrents bas de gamme qui sous-
traitent la fabrication en Asie, l’entreprise se rattrape en réduisant le besoin en fonds de
roulement (notamment les stocks), les invendus et les remises. Au total, le ROCE est
structurellement plus élevé que celui des concurrents.

Par rapport aux concurrents low cost, Zara a créé une différenciation significative et valorisée
par le même segment de clientèle.

Cet avantage concurrentiel est-il durable ?


Le modèle est coûteux à copier à cause des investissements, de l’organisation et des process
qu’il nécessite, mais il est loin d’être impossible à imiter.

L’avantage concurrentiel n’est donc pas éternellement durable.

Zara a été copié, ce qui l’a incité à sous-traiter une partie de sa production en Asie pour
réduire les coûts, s’écartant ainsi du business model originel. Il y a donc un risque que la
différenciation de Zara s’estompe sous la pression des imitateurs, alors que sa structure de
coût converge avec celle des concurrents plus orientés low cost.

Pour lutter, Zara doit d’une part jouer à plein sur les effets d’expérience et de volume pour
créer un avantage de coût, et d’autre part préserver sa différenciation en collant mieux que
ses concurrents aux tendances à court terme du marché, ce qui nécessite un travail constant
sur les process et une très forte coordination de l’architecture de valeur.

Airbus et Boeing : le projet Super Jumbo (p. 108) 10


L’écosystème Apple (p. 124) 11
La stratégie d’Apple (p. 129) 12

Airbus et Boeing : le projet Super Jumbo (p. 108)


Comment expliquer l’attitude de Boeing ? Boeing s’estimait menacé par le projet de Super
Jumbo qui venait contester le monopole de son B747 sur le marché des
avions de plus de 400 places. Le B747 était très rentable, les
coûts de développement ayant été amortis et l’effet d’expé- rience ayant drastiquement
réduit les coûts. Les profits réali- sés sur les gros-porteurs permettaient à Boeing de financer
le développement d’avions plus petits (dont le Dreamliner). Ceci explique que Boeing ait tout
fait pour dissuader Airbus de se lancer dans le projet, en faisant tout d’abord savoir que le
marché est trop étroit et les coûts trop importants. L’alliance entre les deux constructeurs
pouvant apparaître comme une solution, Boeing fait mine de s’y prêter, mais son intention
réelle reste de retarder le projet, voire de le renvoyer aux calendes grecques. En revanche,
Airbus, pour qui le projet est stratégique, finit par s’y lancer de manière autonome en
procédant à des investissements irréversibles qui mettront à mal sa rentabilité. Devant la
détermination de son rival, Boeing annonce alors un projet concurrent. Comme le marché
est très étroit, cette annonce est un coup de bluff destiné à dissuader Airbus de mener à bien
son projet. Boeing bluffe toujours lorsqu’il annonce qu’il pour- rait réaliser le projet avec des
investissements plus faibles que ceux d’Airbus. Là encore, l’objectif est de dissuader le
constructeur européen en lui signifiant qu’il sera moins compétitif que Boeing.
Tout au long de l’histoire, le comportement de Boeing s’ex- plique par un calcul très simple :
dissuader Airbus de lancer un concurrent du 747, tout en retardant au maximum le
lancement d’un remplaçant de ce même 747. Mais la stra- tégie de Boeing finit par échouer
puisqu’Airbus décide de se lancer seul dans le projet.

Selon vous, Boeing aurait-il dû s’associer à Airbus, et réciproquement ?


L’alliance aurait certainement été une bonne solution si le marché avait été suffisant pour
rentabiliser un successeur compétitif du 747. Il est très risqué pour un constructeur d’avions
de s’engager seul sur un tel projet, qui nécessite de mobiliser des ressources colossales pour
un avion qui ne trouvera peut-être pas un marché suffisant pour amortir de tels
investissements. L’alliance est donc un bon moyen de partager le poids des investissements
et répartir les risques. À l’inverse, si chacun des deux constructeurs lançait son propre projet
sur un marché trop étroit, la rentabilité ne serait au rendez-vous pour aucun des deux ! Les
premières projections de taille du marché prévoyant moins de 2000 appareils, la coopération
apparaissait comme une solution adéquate.
Il s’avère aujourd’hui que le marché était encore plus réduit que prévu, c’est pourquoi le
modèle A380 d’Airbus a vite vu ses commandes plafonner et a fait perdre de l’argent au
constructeur européen. Cependant, dans l’incertitude du moment, il est assez clair qu’Airbus
avait intérêt à collaborer pour réduire le risque et éviter que Boeing ne lance un projet
concurrent. Le problème était que l’incitation à coopérer était bien moindre pour Boeing.
Une telle alliance signifiait l’accélération de la fin de vie du B747, stratégie peu rentable et
risquée. De plus, l’alliance aurait forcé Boeing à éparpil- ler ses ressources entre le Super
Jumbo et son projet phare, le Dreamliner 787, que le Super Jumbo risquait en outre de
concurrencer, au moins à la marge. Il y aurait donc eu conflit entre les deux projets chez
Boeing, un projet autonome et un projet en coopération. Dans un tel cas, c’est toujours le
projet autonome qui gagne, ce qui évite d’avoir à partager les gains et à gérer une
coopération complexe avec un parte- naire-concurrent. Tous ces éléments expliquent
l’attitude non-coopérative de Boeing. L’alliance ne s’est pas faite parce que les incitations à
coopérer étaient bien moindres chez Boeing que chez Airbus, sachant que le coût de la
coopéra- tion aurait été élevé pour les deux, alors que les gains étaient incertains.
Chapitre 3 La dynamique concurrentielle

L’écosystème Apple (p. 124)

Le succès d’Apple est-il dû


à son écosystème dans son ensemble ou
à la stratégie de plateforme autour de l’App Store et de iTunes ?
Les deux. Les partenaires de l’écosystème sont à la fois des complémenteurs de l’offre Apple
et des intervenants sur la plateforme digitale d’Apple (voir discussion sur les plate- formes
digitales au chapitre 5). Apple est non seulement le fournisseur de certains produits et
services (iPhone, iTunes) qui nécessitent des compléments (applications, services, etc.) mais
aussi le propriétaire-gestionnaire d’une plateforme digitale sur laquelle de nombreux acteurs
proposent leurs services aux clients. Ces acteurs contribuent au succès des produits Apple en
les dotant des compléments indispen- sables (musique, services téléphoniques, applications,
etc.) et ils accèdent directement aux clients via la plateforme. Apple se rémunère sur certains
de ces acteurs, mais laisse d’autres commercialiser directement leurs services sans prélever
de commission (cf. Netflix), de manière à rendre la plateforme plus attractive pour les clients.
Apple a construit un écosystème en proposant à ses clients une série d’applications et de
produits reliés entre eux (iPhone, iTunes, iPod, App Store). Apple exploite la posi- tion
dominante de ces différents produits pour attirer des partenaires et enrichir ainsi son
écosystème. Les parte- naires profitent de façon directe ou indirecte de la notoriété d’Apple.
Apple peut par exemple enrichir son catalogue de musique et de vidéos grâce à la
convivialité de son système d’exploitation et au succès du smartphone. De même, Apple
attire de nombreux développeurs qui achètent un kit de développement à Apple puis
reversent 30 % des revenus générés par ces applications.

Comment l’écosystème permet-il


de renforcer la position concurrentielle des principaux acteurs ?
L’écosystème est un espace qui encourage la coopération entre ses différents membres, la
compétition se faisant plutôt entre deux écosystèmes en rivalité. L’écosystème d’Apple est
ainsi en concurrence avec celui d’Android. Il existe davantage d’applications disponibles sous
Android et leurs parts de marché sont supérieures, mais Apple bénéficie d’un plus grand
nombre d’applications payantes (et profite aussi de clients dont la willingness to pay est
supérieure à celle des clients d’Android).
Par ailleurs, l’écosystème d’Apple est suffisamment fort pour attirer de nouveaux acteurs qui
vont renforcer son attrac- tivité. Ainsi, les fabricants de docks hi-fi développent des matériels
pouvant accueillir des appareils Apple et versent en retour des commissions à Apple. De
même, les opéra- teurs de téléphonie mobile ont tenté d’avoir l’exclusivité de la distribution
de l’iPhone lors de sa sortie (Orange, qui avait remporté l’exclusivité, a dû, suite à une
décision de justice, laisser aussi la distribution de l’iPhone à SFR et Bouygues). En mettant en
avant les matériels Apple, les opérateurs offrent à Apple une publicité gratuite.
Apple a aussi conclu des partenariats avec Nike ou avec certaines marques de vêtements.
Apple bénéficie donc d’effets de réseau et de partenariats qui lui rapportent des revenus
supplémentaires… et dans la signature de ces parte- nariats, il est toujours en position de
force.
L’écosystème est organisé autour d’Apple et les partenariats sont conclus à l’avantage
d’Apple. Cependant, les partenaires bénéficient de la position dominante d’Apple et
renforcent ainsi leur position concurrentielle face aux firmes n’appar- tenant pas à
l’écosystème ou ayant conclu des partenariats avec des concurrents d’Apple. Le fait qu’un
opérateur comme Orange ait souhaité bénéficier de la distribution exclusive de l’iPhone
montre bien à quel point l’appartenance à l’éco- système est avantageuse. L’écosystème est
donc favorable à tous les acteurs qui en font partie même si les rapports de force sont très
déséquilibrés en faveur d’Apple.

La stratégie d’Apple (p. 129)

À quelles conditions Samsung peut-il déstabiliser Apple ?


Samsung est clairement un imitateur d’Apple avec des produits performants et un design
attractif. L’entreprise met également l’accent sur le marketing en réalisant de très lourds
investissements publicitaires. Samsung a d’ail- leurs dépassé Apple en parts de marché et
dispose désor- mais d’un réservoir d’applications plus développé grâce à Android. Il ne
semble pourtant pas que les prix plus faibles pratiqués par Samsung pour des performances
comparables à celles d’Apple lui permettent de combler son retard. Mais l’on peut dire
qu’Apple est déstabilisé. Pourtant l’entreprise continue à être plus rentable que Samsung et
peut s’ap- puyer sur une marque plus forte ainsi que sur son écosys- tème (iTunes, Apple
Music, App Store…). Pour que Samsung détrône Apple, il lui faudrait construire un
écosystème aussi puissant que celui d’Apple (Samsung a envisagé de lancer son propre
système d’exploitation, sans succès) et disposer d’une marque plus forte… ou alors Samsung
doit réaliser une stratégie de rupture et lancer un produit très innovant. Le marché devrait
être lassé des prix pratiqués par Apple ou de l’hégémonie de la marque pour que Samsung le
dépasse. Ou encore faudrait-il qu’Apple ait à souffrir de sa politique d’optimisation fiscale ou
de sa stratégie d’externalisation en Chine et de l’exploitation d’ouvriers chinois peu payés et
mal traités.

Qu’est-ce qui pourrait faire échouer la stratégie de Samsung ?


La stratégie de Samsung pourrait échouer en raison de la résistance d’Apple et de la capacité
de la firme californienne à lancer éventuellement des équipements à des prix un peu moins
élevés qui viendraient directement concurrencer Samsung. Par ailleurs, Samsung est
menacée par des concur- rents chinois comme Xiaomi, Huawei, HTC ou encore Acer qui
peuvent monter en gamme et lancer des équipements très performants mais beaucoup
moins chers que Samsung. L’entreprise coréenne serait donc prise entre un concur- rent
différencié s’appuyant sur une marque indétrônable et des concurrents low cost très
compétitifs, avec un très bon rapport qualité prix et pouvant offrir grâce à Android autant
d’applications que Samsung. Samsung ne pourrait donc faire valoir ni sa différenciation ni des
prix compétitifs.
Southwest Airlines : le low cost devient leader en volume (p. 142)14
La conversion d’Apple aux microprocesseurs Intel (p. 156) 15
Vuitton et Hermès : croître en préservant la différenciation (p. 175) 16

Southwest Airlines : le low cost devient leader en volume (p. 142)

Qu’est-ce qui fait la supériorité du modèle


low cost de Southwest Airlines ?
Southwest a inventé le modèle de la compagnie aérienne low cost aux États-Unis dans les
années 1970. Marginale au départ, elle est devenue la compagnie leader en nombre de
passagers depuis plusieurs années. La supériorité du business model tient à sa cohérence et
son efficacité dans la réduction des coûts, sans transiger sur la ponctualité, la fréquence et la
qualité de service, ce qui permet de maintenir une valeur perçue relativement élevée alors
que les prix défient toute concurrence. Tous les attributs de l’offre décrits dans le cas (classe
unique, flotte homogène, aéroports secondaires, vente directe, etc.) contribuent à réduire
les coûts. Ils forcent les clients à faire des arbitrages, c’est-à-dire à renoncer à certains
attributs de valeur (pas de correspondances, pas de transfert de bagage, pas de business
class, pas de repas à bord…) pour accéder à d’autres (vols directs, ponctualité, forte
fréquence…), pour un prix très bas, ce qui rend l’offre plus attractive que celle de la
concurrence pour le segment de clientèle ayant le besoin couvert par Southwest : une liaison
rapide, point-à-point, pour une ville à moins d’une heure de vol du lieu de départ. Tous les
éléments de l’offre de Southwest sont cohérents à la fois en termes de réduc- tion des coûts
et de satisfaction de la cible de clientèle visée. En revanche, les voyageurs faisant un trajet
international en business class, qui sont les plus rentables pour la plupart des compagnies
classiques, ne sont absolument pas visés.
Pensez-vous que le volume et l’effet d’expérience y jouent un rôle ?
Oui. À ses débuts, Southwest était un nouvel entrant qui a dû faire des choix originaux pour
pénétrer le secteur du trans- port aérien, subsister et éventuellement croître. Certains de ces
choix étaient contraints, comme le choix des aéroports secondaires, qui était dû au refus des
grands aéroports d’hé- berger la compagnie. Mais ces choix se sont révélés sources
d’avantage concurrentiel : les frais d’aéroport sont moins chers dans les aéroports
secondaires, ce qui réduit les coûts. De plus, ces aéroports sont moins congestionnés, ce qui
réduit les temps d’attente à l’atterrissage et au décollage, évite les retards et améliore la
satisfaction client.
C’est ainsi que Southwest a inventé le modèle low cost. Puis, avec le succès et la croissance,
Southwest est progressive- ment sorti de la marginalité pour devenir un acteur dominant du
secteur. Ce faisant, la compagnie a accumulé une expé- rience inégalée sur les opérations
composant son modèle.

Les effets d’expérience et d’échelle renforcent donc son avantage de coût, qui était fondé au
départ sur un business model innovant et cohérent, mais marginal.
Pourquoi les concurrents ont-ils autant de mal à imiter Southwest ?
Les concurrents ont du mal à imiter Southwest parce qu’une imitation parfaite les conduirait
à perdre leurs clients tradi- tionnels, alors qu’une imitation partielle les mettrait en posi- tion
défavorable par rapport à Southwest.
En effet, comme on l’a vu, l’offre de Southwest est très ciblée. En fait, elle a attiré sur le
marché du transport aérien des passagers qui prenaient le bus ou la voiture pour faire des
trajets à l’intérieur des États-Unis. En revanche, les passagers traditionnels des grandes
compagnies classiques, par exemple les hommes d’affaires ou les touristes faisant des vols
internationaux, ne sont pas attirés par cette offre. En se convertissant au modèle Southwest,
les concurrents risqueraient de perdre leurs clients les plus fidèles et les plus rentables.
De plus, la conversion au modèle Southwest exigerait de changer toutes les ressources, les
actifs et la base installée de compagnies classiques, dont le modèle est à l’opposé de
Southwest (grands aéroports, flotte diversifiée, hub, corres- pondances, etc.). Le coût est
exorbitant alors que la seule certitude est de perdre les clients actuels.
L’imitation partielle a été tentée par plusieurs concurrents qui ont créé des modèles
hybrides, par exemple en orga- nisant des vols moins chers à partir d’aéroports classiques.
Cette stratégie a généralement échoué. En effet, tout se tient dans le modèle Southwest :
quand on change un des éléments, on est conduit à en changer un autre, ce qui détri- cote
très vite tout le système. Par exemple, on doit avoir des avions de différentes tailles et offrir
des correspondances si on adopte le système hub-and-spoke ; on doit servir des repas sur
des vols de plus d’une heure ; on doit numéroter les sièges si on fait une section économique
dans un vol qui a aussi une business class, etc. Tous ces compromis tendent soit à créer des
surcoûts par rapport au modèle « pur », soit à mécontenter la clientèle cible de Southwest. Il
est donc pratiquement impossible de créer un avantage par rapport à Southwest en
procédant de la sorte.
Les seules imitations réussies sont celles de nouveaux entrants qui ont copié le modèle
Southwest sur un autre continent. C’est le cas de Ryanair en Europe. Compagnie marginale à
ses


Chapitre 4 Construire un avantage concurrentiel durable


débuts, Ryanair est devenu le leader européen du low cost en répliquant le modèle
Southwest pratiquement à l’identique. L’imitation peut donc réussir, mais sur un autre
marché que celui sur lequel Southwest est devenu dominant.
Que recommanderiez-vous pour intégrer l’acquisition d’AirTran ?
L’acquisition d’AirTran avait pour but de croître vers le Mexique et l’Amérique Centrale, dans
un contexte où Southwest commençait à saturer le marché états-unien. Les deux grandes
possibilités pour l’intégration de l’acquisition étaient :
soit de continuer à opérer AirTran de la même manière (mêmes lignes, mêmes avions, etc.)
en améliorant son management et sa structure de coût pour restaurer sa rentabilité ;

soit de réorganiser tout de suite AirTran pour l’intégrer au modèle Southwest, c’est-à-dire
notamment se débarras- ser des Boeing 717 pour ne conserver que les Boeing 737, et
supprimer le hub d’Atlanta pour ne plus offrir que des vols directs.
La seconde solution était de loin la plus coûteuse, mais c’est celle que Southwest a adoptée.
Il était hors de question de compromettre le modèle. Les B717 ont été loués à Delta Airlines,
Atlanta n’est plus un hub et toutes les opérations ont été mises au standard Southwest.
L’intégration a duré deux ans et demi. Elle a été couronnée de succès malgré les difficultés.
La compagnie a ensuite repris ses habitudes de rentabilité record et de la croissance
organique.

La conversion d’Apple aux microprocesseurs Intel (p. 156)


Dans cet exemple, on applique à « Power PC » la pente de la courbe d’expérience observée
sur les chiffres d’Intel. Le résultat obtenu est-il juste ou entaché d’erreur ?
Appliquer à Motorola la courbe d’expérience d’Intel revient à procéder par approximation.
On fait l’hypothèse implicite que les tâches requises pour la production des microproces-
seurs Intel, d’une part, et IBM/ Motorola, d’autre part, sont suffisamment similaires pour que
la relation coût/expérience soit mathématiquement identique. L’estimation est d’autant plus
approximative que les puces Power PC sont produites conjointement par IBM et Motorola,
deux sociétés distinctes avec des niveaux d’expérience divers. Le calcul proposé ne peut donc
donner qu’un ordre de grandeur, qu’il convient de considérer avec prudence.

La décision d’Apple était-elle inéluctable ? Quels inconvénients présente-t-elle ? Y avait-il


d’autres solutions ?
La décision d’Apple n’était pas inéluctable mais dépendait du surcroît de prix qu’Apple était
en mesure de faire payer à ses clients au titre de la différenciation liée au processeur Power
PC. Tant que cette technologie permettait de produire un PC considéré comme très supérieur
par les clients, Apple pouvait accepter un surcoût car celui-ci était compensé par un prix de
vente plus élevé. La conversion d’Apple en 2006 est le signe que cette équation n’était plus
tenable. Elle n’était toutefois pas sans créer un inconvénient majeur : la différenciation liée
au processeur employé par Apple disparaissait. À l’opposé de la stratégie choisie, Apple
aurait pu choisir d’accentuer la différenciation liée au processeur. À en juger par la progres-
sion des parts de marché d’Apple depuis la conversion, on peut constater que la stratégie
d’Apple a en fait réussi, ce qui suggère que l’entreprise disposait d’autres vecteurs de diffé-
renciation (qualité du système d’exploitation et des logiciels spécifiques à la plateforme,
quasi-absence de virus, design différenciant) reconnus et valorisés par ses clients.

Vuitton et Hermès : croître en préservant la différenciation (p. 175)

Par quoi peut être menacée une stratégie de différenciation ?


Une stratégie de différenciation peut être menacée, parado- xalement, par son succès.
L’entreprise pourrait alors dévier de son équation stratégique fondamentale. En voulant
toucher une zone de marché plus importante, la proposi- tion de valeur risque d’être diluée,
perdre sa spécificité et devenir « attrape-tout », ce qui réduirait la valeur perçue par les
clients et réduirait donc l’avantage concurrentiel. En gagnant des clients, l’entreprise banalise
son offre et élar- git son marché, ce qui se fait généralement aux dépens des concurrents.
Ceux-ci sont donc incités à imiter la différen- ciation, ce qui provoque une baisse des prix. Le
risque est donc de se retrouver « stuck in the middle », comme dirait Porter. L’enjeu est donc
de croître tout en conservant une proposition de valeur différenciante, mais il faut veiller à
ce que l’élargissement du marché ne se fasse pas au détriment de la valeur perçue et de la
qualité des produits (recours à la sous-traitance, relâchement des critères de qualité, etc.).

Comment redresser la situation ? Quel est le risque de cette manœuvre ?


Il est difficile de restaurer la valeur perçue d’une différencia- tion dégradée. D’une part
l’image de marque a été dévaluée, ce qui est difficile et long à rectifier. D’autre part, revenir à
l’équation initiale implique une révision du business model et donc des restructurations qui
peuvent entraîner une baisse significative du chiffre d’affaires sans pour autant retrou- ver
immédiatement la rentabilité perdue. Ainsi LVMH n’a pas arrêté la production de son sac en
toile qui affiche des marges très élevées. En revanche l’entreprise s’est position- née sur le
segment du luxe en commercialisant de nouveaux modèles. La situation est plus complexe
pour des entreprises qui ne bénéficient pas de l’image de LVMH ni de la force de sa marque,
comme c’est le cas pour Michael Kors. Se reposition- ner sur le haut de gamme prend du
temps alors que la perte de chiffre d’affaires peut être rapide. D’ailleurs Michael Kors
continue à faire des promotions sur certains de ses articles, stratégie assez surprenante dans
l’univers de la haute qualité.

Vente-privée.com, leader de l’e-commerce en France (p. 188) 18


HelloFresh, un business model qui répond aux véritables besoins (p. 195) 19
Free Mobile, nouvelle proposition de valeur dans la téléphonie mobile (p. 199) 20
Librinova, une plateforme d’autoédition (p. 210) 21
Netflix : une réinvention successive du business model (p. 215) 22

Vente-privée.com, leader de l’e-commerce en France (p. 188)

En quoi Vente-privée.com est-il


un nouveau business model ? A-t-il créé un nouveau marché ?
Vente-privée.com est bien un nouveau business model, car en vendant des produits de fin de
série sur Internet, l’entre- prise en a radicalement modifié la proposition de valeur : ces
produits sont accessibles à tous, où qu’ils se trouvent, à condition de faire partie des
premiers acheteurs. L’archi- tecture de valeur a elle aussi été radicalement modifiée, puisque
les achats se font sur Internet. Enfin, il en résulte une équation de profit différente, puisque
les produits sont vendus sans être stockés (ils n’arrivent chez Vente-privée. com que lorsqu’ils
sont tous vendus), créant un besoin en fonds de roulement négatif. En basculant son modèle
vers Internet, Venteprivée.com a rendu beaucoup plus facile pour les marques la vente de
produits d’anciennes collections et, en ce sens, a bien créé un nouveau marché.
Quelles sont les ressources qui ont permis l’expansion de Vente-Privée.com ?
Vente-privée.com a bénéficié des ressources clés déte- nues par son fondateur grâce à sa
précédente activité : la relation avec les marques. Celle-ci est en effet primordiale dans ce
business model : si les produits proposés sont de bonne qualité, il est facile de trouver des
acheteurs. Jacques- Antoine Granjon appelle d’ailleurs souvent les marques

« ses clients » (alors que, d’un point de vue comptable, ce sont des fournisseurs), car il
considère qu’elles doivent être choyées pour que son site puisse bénéficier des meilleures
affaires. Vente-privée.com est de fait une place de marché : son business model est celui
d’une plateforme digitale (voir section spécifique au chapitre 5).
Quels peuvent être les axes de croissance après près de vingt ans d’existence ?
L’entreprise s’est largement diversifiée au cours des années, tant dans les types de produits
offerts (des spectacles, des voitures, des voyages, etc.) que dans les modalités (enchères,
vente ponctuelle, permanente, etc.). Le déploiement à l’in- ternational reste plus difficile, car
chaque pays a son leader établi, qui bénéficie de la ressource rare de ce business model : les
relations avec les marques. C’est pour cette raison que Veepee cherche à se développer
grâce à des joint-ventures ou des rachats plutôt que par croissance organique.

HelloFresh, un business model qui répond aux véritables besoins (p. 195)

En quoi le modèle HelloFresh est-il un nouveau business model ? L’entreprise


a-t-elle créé un nouveau marché ?
Lors de son lancement, HelloFresh a bien créé un nouveau business model. Comme le
montre la courbe de valeur (figure 5.5), La proposition de valeur de HelloFresh.com est
originale et combine des caractéristiques offertes jusque-là par des acteurs différents (repas
classique préparé à la maison et repas prêt à consommer livré à la maison).
L’architecture de valeur est elle aussi originale, puisque HelloFresh prend en charge les
étapes de la commande, de la recette, de la collecte des ingrédients et de la livraison. Toutes
ces étapes existaient dans les modèles précédents mais étaient réalisées différemment (par
exemple, pas de commande pour le repas classique, alors qu’il y a une étape de livraison
pour le repas livré à domicile).

Comment ce business model peut-il devenir profitable ?


HelloFresh n’est pas encore rentable : en effet, l’entreprise mise sur la croissance au
détriment de la profitabilité, ce qui est un choix fréquent chez les licornes. Les dépenses de
marketing sont notamment très élevées. L’objectif est de saturer le marché afin d’éviter
l’arrivée de nouveaux entrants et par ailleurs de bénéficier d’économies d’échelle. Les
économies d’échelle sont à la fois locales (car les cuisines sont nécessairement à proximité
des clients et ne peuvent être centralisées pour un pays par exemple) et nationales (achats
d’ingrédients, conception des recettes…). La crois- sance est donc clé pour assurer la
rentabilité promise aux investisseurs !

Free Mobile, nouvelle proposition de valeur dans la téléphonie mobile (p. 199)

Décrivez le business model de Free : en quoi est-il différent de celui de ses concurrents ?
Le business model de Free est différent de celui de ses concur- rents sur l’ensemble de ses
composantes.
La proposition de valeur : sur un marché saturé d’offres très différentes mais régi par des
règles communes, Free propose deux offres très simples à comprendre : une offre de
communication illimitée et une offre basique (1 heure de communication), sans prise en
charge du mobile, sans enga- gement et à un prix très bas.
L’architecture de valeur : alors que la concurrence dispose de boutiques et met l’accent sur la
qualité du service dans les points de vente, Free propose une vente directe par Internet et
par téléphone. De plus, Free externalise ses infrastruc- tures, alors que la concurrence
investit massivement dans ce domaine.
L’équation de profit : le chiffre d’affaires unitaire de Free est faible mais l’opérateur génère de
gros volumes. Les coûts d’exploitation et les capitaux engagés sont peu élevés car Free ne
possède pas de réseau de boutiques ni d’infrastruc- tures.

Comment expliquer que ce nouveau business model soit lancé par un nouvel entrant ?
La maîtrise des infrastructures était l’un des dogmes de l’in- dustrie de la téléphonie mobile.
Tous les acteurs en place investissaient lourdement dans les réseaux. Ils ne voyaient pas
l’intérêt d’offrir de l’illimité puisqu’ils se rémunéraient sur les minutes de communication. Il
était donc plus facile pour un nouvel entrant, sans base installée ni clientèle établie, de
remettre en cause ces règles du jeu et de mettre en place un business model radicalement
différent.
Pourquoi les opérateurs historiques ont- ils copié le business model de Free ?
Parce qu’ils n’ont pas eu le choix ! Les opérateurs historiques ont imité la proposition de
valeur de Free, en proposant des offres à prix bas, afin de pouvoir lutter contre ce nouvel
entrant qui avait capté très rapidement 13 % du marché.
Free a-t-il créé un nouveau marché ?
Grâce à son offre à bas coût, Free a attiré sur le marché de nouveaux clients qui n’avaient pas
d’abonnement télépho- nique jusque-là, car ils considéraient celui-ci comme trop cher. À ce
titre, on peut donc dire que Free a créé un nouveau marché en « créant » de nouveaux
clients, c’est-à-dire un volume d’affaires inexistant auparavant. Cependant, l’intro- duction de
l’offre à bas prix de Free a obligé tous les acteurs à baisser leurs tarifs. Au total, en valeur, le
marché de la télé- phonie en France a chuté (33 % de baisse du revenu moyen par abonné),
et en ce sens, il est difficile de dire que Free a contribué à créer un nouveau marché.

Librinova, une plateforme d’autoédition (p. 210)


Que pensez-vous du business model
de Librinova ? Est-il innovant ? Quel est son avantage compétitif ?
Le business model de Librinova est innovant par rapport à l’édition traditionnelle. Il s’agit
d’un modèle de plateforme, c’est-à-dire un marché multiface avec d’un côté les écrivains qui
cherchent à publier leurs manuscrits et, d’un autre côté, les éditeurs qui cherchent de
nouveaux talents à publier. Une troisième face concerne les lecteurs, qui peuvent acheter les
livres directement chez Librinova, mais cet aspect du modèle est peu innovant : il s’agit d’un
rôle de libraire en ligne clas- sique, semblable au rôle des sites Internet d’Amazon ou de la
Fnac.
Librinova innove aussi par rapport aux autres plateformes d’autoédition. En effet, à la
différence de ses concurrents directs, Librinova introduit les éditeurs dans son modèle. Par
exemple, KDP (filiale d’Amazon, leader de l’autoédition dans le monde) est seulement une
plateforme entre auteurs et lecteurs : l’auteur poste son manuscrit sur la plateforme et les
lecteurs peuvent aller l’y acheter. Ce qui est unique chez Librinova, c’est que les éditeurs
accèdent gratuitement aux manuscrits et aux données qui les intéressent, notamment les
chiffres de vente, ce qui leur permet de repérer les auteurs qui les intéressent. Dans les cas
où cela se produit, Librinova devient agent de l’auteur. Les autres plateformes n’offrent pas
ce pont vers la publication classique.
Ce lien avec l’édition traditionnelle est à la source de l’avan- tage concurrentiel de Librinova.
Alors que les concurrents offrent seulement des services d’autoédition, Librinova vend en
plus à ses clients-auteurs le rêve d’être publiés par une maison d’édition classique. Cette
proposition de valeur est très attractive pour des auteurs qui rêvent de voir un jour leur livre
en vitrine dans une librairie ! Alors que l’autoédition est souvent vue comme un pis-aller
pour les auteurs dont les manuscrits sont refusés par les éditeurs classiques, Librinova
positionne son offre d’autoédition comme un tremplin vers le « Graal de la publication » chez
un grand éditeur. Cela augmente énormément la valeur perçue par les clients sans
augmenter les coûts de Librinova de manière significative. Les seuls surcoûts sont liés à la
face « éditeurs » de la plate- forme et au salaire d’une personne qui joue le rôle d’agent

littéraire. Toute la question, en revanche, est de savoir si cet avantage est copiable, ce qui est
difficile à dire sur la base des données du cas.
Les plateformes d’autoédition
comme Librinova sont-elles comparables aux plateformes digitales qui se sont développées
dans d’autres activités (Uber, Airbnb, Facebook…) ?
La plupart des plateformes d’autoédition ne sont pas comparables aux exemples cités car ce
ne sont pas vrai- ment des marchés bifaces. L’auteur poste bien son manus- crit sur une
plateforme mais la ressemblance s’arrête là : les lecteurs ne vont pas sur cette plateforme
pour acheter les livres directement aux auteurs. Ils les achètent à une librairie en ligne
classique, amazon.fr ou autre, qui prélève ses 30 % de commission comme tout
intermédiaire qui se respecte. En revanche, Librinova a innové en créant une véri- table
plateforme qui met directement en contact les auteurs avec des éditeurs. En ce sens, son
modèle auteur/éditeur se rapproche, davantage que celui de ses concurrents, de celui
d’Uber (passager/chauffeur) ou d’Airbnb (locataire/ propriétaire). Librinova vend non
seulement aux auteurs le rêve d’être publié, mais aussi aux éditeurs la possibilité de recruter
de nouveaux talents. L’autoédition chez Librinova permet à un livre de faire ses preuves en
autoédition et donc aux éditeurs de repérer des textes qu’ils auraient ignorés s’ils avaient
simplement reçu le manuscrit par la poste.
Que recommanderiez-vous pour accélérer la croissance de Librinova et améliorer
sa rentabilité ?
Pour accélérer sa croissance, Librinova doit convaincre les auteurs amateurs qu’ils ont intérêt
à autoéditer leurs livres chez Librinova plutôt que de soumettre directement leurs manuscrits
à des éditeurs traditionnels. Si Librinova arrive à capter les milliers de manuscrits qui sont
soumis en pure perte aux éditeurs, l’entreprise aura gagné son pari et deviendra la
plateforme de référence en France, balayant au passage les autres plateformes d’autoédition,
qui restent cantonnées dans le petit marché de l’autoédition car elles ne soumettent pas les
manuscrits aux éditeurs.




La question de la rentabilité est plus délicate car tout le problème est de savoir si ce modèle
est « scalable ». Si Libri- nova voyait arriver une déferlante de manuscrits, l’entreprise
pourrait-elle les gérer sans augmenter ses coûts en propor- tion ? Les données du cas ne
permettent pas de répondre à cette question, mais il est intéressant d’en montrer

l’importance aux étudiants : si Librinova reste une petite structure qui travaille de manière
artisanale, elle ne pourra pas devenir une plateforme dominante. D’un autre côté, si elle
renforce sa structure pour faire face au volume, elle risque de faire exploser ses coûts et
donc de croître aux dépens de sa rentabilité.

Netflix : une réinvention successive du business model (p. 215)

Quels sont les différents business models


développés par Netflix ?
Netflix a débuté comme loueur de DVD par correspondance. Les disques étaient commandés
par Internet mais livrés par courrier. Dès 2007, en parallèle de cette activité, Netflix s’est
lancé dans le streaming, dès que l’infrastructure technolo- gique le lui a permis. Enfin, Netflix
est devenu également producteur de contenu, de manière à s’affranchir de l’hégé- monie des
majors.
Le point commun de tous ces différents modèles est l’utili- sation d’Internet, l’exploitation
des données et le modèle de revenu : au forfait et non par film, remettant ainsi en cause le
dogme des loueurs classiques (et une grande partie de leur chiffre d’affaires, lié aux pénalités
de retard !). Si au départ, la performance du modèle paraissait inférieure puisqu’il fallait
attendre la livraison du courrier (les premiers clients étaient des étudiants peu pressés et
férus d’Internet), le passage au streaming a considérablement augmenté la performance de
l’offre, dépassant ainsi l’offre existante de Blockbuster, illus- trant la théorie du dilemme de
l’innovateur.

En quoi ces étapes ont-elles permis à Netflix de toujours mieux servir


le « besoin brut » de ses clients (choix, personnalisation, accès rapide et facile) dans un
environnement changeant ?
Dès le départ, Netflix voulait pouvoir proposer de manière simple un large choix de films
correspondant au goût du client (besoin brut). Dans le modèle initial (DVD livré par la poste),
il était important de pouvoir proposer un film simi- laire au client déçu de ne pas pouvoir
obtenir le film souhaité. L’algorithme ainsi développé permettait donc de répondre au besoin
brut de choix pertinent simplifié. Le streaming a permis par la suite de répondre à la
demande d’instantanéité du client. Enfin, le modèle actuel propose en plus des conte- nus
originaux et attractifs pour le client.

Amazon : une stratégie qui porte ses fruits (p. 245) 24


L’affaire Enron : manipulations financières complexes (p. 254) 25
Amazon : une stratégie qui porte ses fruits (p. 245)

Que penser de la stratégie d’Amazon fondée sur la croissance au détriment des profits ?
Jeff Bezos raisonne comme le ferait un patron de start-up : il vaut mieux privilégier la
croissance que maximiser les profits. Aussi longtemps que les actionnaires adhèrent à cette
stra- tégie, le patron a intérêt à la suivre, car elle lui permet de financer le développement
exponentiel de son entreprise en collectant des fonds toujours plus importants auprès des
investisseurs. La rémunération se fait par la croissance du cours de Bourse et non par les
dividendes. Tant qu’elle tient, cette stratégie est très difficile à contrecarrer par des
concurrents qui cherchent à protéger leur profitabilité à court terme et se retrouvent
contraints et forcés de céder des parts de marché à Amazon. Il se peut que, sur le long
terme, Amazon réussisse à faire disparaître tous ses concur- rents et se retrouve dans une
situation de monopole qui lui permettrait d’augmenter les prix, assurant ainsi une renta-
bilité élevée sur le dos des clients. Alors viendront les divi- dendes qu’attendent toujours les
actionnaires d’Amazon…
Si la stratégie d’Amazon est favorable au client à court terme, elle le sera probablement
beaucoup moins si l’entreprise se retrouve en situation de monopole.

Que pourrait-il se passer si


les actionnaires perdaient confiance en la stratégie ?
Les actionnaires qui perdraient confiance en la stratégie d’Amazon auraient le choix entre
deux options. La première option serait de vendre leurs actions (« voter avec les pieds »). Si
de nombreux actionnaires se mettaient à vendre, le cours de l’action baisserait, ce qui
conduirait à une baisse du TRS et pousserait vraisemblablement d’autres action- naires à
vendre leurs actions, entraînant une spirale de chute du cours de Bourse. La deuxième option
serait de chercher à remplacer Jeff Bezos à la tête de l’entreprise. Pour ce faire, il faut
constituer une majorité et avoir des alternatives à proposer, ce qui semble difficile vu le
pouvoir et la part de capital détenue par Jeff Bezos lui-même.
Est-il habituel pour des dirigeants
de se positionner ainsi sur le long terme ?
Si cette attitude privilégiant le long terme est caractéris- tique des start-up, qui doivent
d’abord prouver leur capacité à croître avant d’atteindre la rentabilité, elle est beaucoup
moins répandue chez les grands groupes, surtout ceux qui sont cotés. Ceux-ci subissent en
général une forte pression de leurs actionnaires pour créer de la valeur à court terme. Si
Amazon réussit à se distinguer de la sorte, cela est princi- palement à cause de l’attitude de
Jeff Bezos et de son intran- sigeance par rapport à cette stratégie qui, pour l’instant, a
toujours réussi à convaincre ses actionnaires !

L’affaire Enron : manipulations financières complexes (p. 254)


En quoi les conditions de la faillite d’Enron sont-elles dues à une défaillance
de la gouvernance de l’entreprise ?
Le scandale Enron illustre l’imbrication des mécanismes de gouvernance et permet
notamment de souligner le rôle essentiel – et en creux, les défaillances – du conseil d’ad-
ministration qui se trouve à l’interface des mécanismes de contrôle internes et externes à
l’entreprise. De manière formelle, le conseil d’administration d’Enron était composé de 15 à
19 membres se réunissant régulièrement et orga- nisé en cinq comités spécialisés. Les
enquêtes postérieures à la faillite d’Enron ont révélé les liens d’affaires unissant la société
Enron et certains administrateurs, et par suite, les conflits d’intérêts susceptibles d’entraver
le jugement et l’action de ces derniers. Ainsi, l’indépendance réelle du conseil
d’administration par rapport aux dirigeants d’En- ron a été clairement mise en doute. Mais
au-delà de la composition et l’organisation formelle du conseil d’admi- nistration, c’est la
question de la « dynamique » du conseil dans l’exercice de ses missions qui est posée. Il est
établi que les administrateurs d’Enron étaient informés des pratiques comptables discutables
et fortement risquées mises en œuvre par la société. Collusion avec les dirigeants, négligence
ou myopie ? Le conseil d’administration d’En- ron n’a pas exercé l’autorité, la volonté ou la
compétence nécessaires pour « tirer le signal d’alarme » : dénoncer des pratiques financières
et comptables discutables ; alerter les parties prenantes de l’entreprise des risques encourus,
ou engager toutes les investigations nécessaires pour mesurer ces risques ; imposer les
mesures correctrices pertinentes ; et de manière plus générale, exercer auprès de la
direction son droit de regard sur la stratégie, au lieu de se contenter d’entériner la politique
de l’entreprise sans questionner les pratiques établies.
Quels mécanismes de gouvernance ont plus particulièrement failli ?
Pour autant, dans le cas d’Enron, ce n’est pas uniquement le conseil d’administration qui a
failli. Selon l’approche de la gouvernance dominée par la transparence de l’information, dans
laquelle le marché financier joue un rôle de régulateur ultime, le conseil d’administration
n’est qu’un des éléments de la chaîne d’information allant de l’entreprise au marché. Or
d’autres éléments de cette chaîne d’information ont failli.
En interne, l’entreprise menait une politique de rémuné- ration agressive des cadres et
dirigeants, en grande partie

composée de stock-options. Traduisant une culture indivi- dualiste forte, orientée vers la
recherche de performance individuelle à court terme, cette politique de rémunéra- tion était
de nature à encourager des comportements, sinon déviants, au moins extrêmes, poussant
chacun à embellir les performances réalisées.
Hors de l’entreprise, l’affaire Enron a révélé les négligences du cabinet d’audit Arthur
Andersen, auditeur de la société depuis 1986, et a permis de remettre en cause l’exercice
simultané, par un même cabinet, de missions légales d’au- dit des comptes d’une part et
d’activités contractuelles de conseil d’autre part. En effet, dans une telle situation, comment
garantir la fiabilité d’un audit portant sur des recommandations éventuellement formulées
par le même cabinet, et pouvant remettre en cause des missions de conseil, beaucoup plus
lucratives ?
La faillite d’Enron révèle donc les défaillances de multiples mécanismes de gouvernement
d’entreprise. Elle révèle leur complémentarité dans la chaîne d’information qui relie l’en-
treprise au marché. Elle révèle également leur imbrication dans un système plus large de
valeurs, dont l’influence, bien qu’indirecte, est essentielle. Le contexte généralisé de libé-
ralisation des marchés, la culture particulière de l’entreprise influencée par ses succès passés
mais également la person- nalité de ses dirigeants, les systèmes de management privilé- giés
par ces derniers constituent et traduisent des systèmes de valeurs dont il faut tenir compte
pour comprendre la complexité des mécanismes qui ont conduit à la faillite d’Enron.
Pourquoi le cabinet d’audit Arthur Andersen a-t-il été entraîné dans la chute d’Enron ?
L’enquête a révélé que le cabinet d’audit Arthur Andersen, alors très prestigieux, avait négligé
sa mission d’auditeur pour protéger ses intérêts de société de conseil auprès d’En- ron.
Accusé d’avoir détruit des documents comptables ainsi que des fichiers informatiques et des
courriers électroniques, le cabinet a vu sa réputation d’indépendance et de qualité très
rapidement ternie. Aucune entreprise ne voulant de comptes certifiés par un cabinet d’audit
contesté, tous les gros comptes d’Arthur Andersen ont changé d’auditeur en moins d’un an.
Bien que sa condamnation pour entrave à la justice ait été finalement invalidée par la cour
suprême des États-Unis en 2005, le cabinet ne devait pas se relever de ce scandale.

Le recentrage de Saint-Gobain (p. 291) 27


Recentrage du groupe Accor (p. 296) 28
Synergies et cohérence au sein du groupe Disney (p. 308) 29

Le recentrage de Saint-Gobain (p. 291)


Comment expliquer historiquement l’existence de la branche conditionnement dans le
groupe Saint-Gobain ?
L’existence de la branche conditionnement s’explique par l’histoire même du groupe qui a
fondé son activité sur le verre plat et sur l’emballage en verre, à l’époque où les tech-
nologies de production utilisées dans ces deux segments étaient de même nature, ce qui
n’est plus le cas. Les compé- tences initiales de Saint-Gobain expliquent donc l’existence de
cette branche. Cette activité était par ailleurs en phase avec les besoins du marché et
l’absence de produits de subs- titution.
Pourquoi le groupe a-t-il décidé de se désengager de cette activité ?
Le groupe a décidé de se désengager de l’activité car cette dernière ne représentait qu’une
faible partie du chiffre d’af- faires et qu’elle n’était plus très rentable (2,4 milliards d’eu- ros
en 2014 et un résultat d’exploitation de 230 millions d’euros contre plus de 41 milliards
d’euros de ventes pour Saint-Gobain et près de 2,8 milliards d’euros de résultat d’ex-
ploitation en 2014). De plus, cette activité était soumise à la pression de produits de
substitution (emballages en carton, en plastique, etc.). Ses perspectives de croissance étaient
faibles et sa rentabilité condamnée à décroître en raison de la pression sur les prix. La
solution passait par une restruc- turation et une concentration du secteur, une stratégie que
Saint-Gobain n’était pas en mesure de mener, à la différence

des concurrents spécialisés (Ardagh) ou des fonds (Apollo) qui se sont portés acquéreurs. En
revanche, les autres activi- tés de Saint-Gobain, notamment le verre plat, affichent de
meilleures perspectives de croissance et une bonne rentabi- lité, à condition que Saint-
Gobain se concentre dessus et ne disperse pas ses ressources dans des activités trop
éloignées du métier de base.
D’après vous, dans quel type d’activité Saint-Gobain va-t-il investir avec le produit de la
vente ?
Au-delà du verre plat qui reste une activité de commodité, le groupe va probablement se
recentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée où il pourra échapper à la guerre des
prix : verres spécialisés, isolants et solutions pour la maison, etc. L’entreprise va donc
commercialiser à la fois des produits et des services pour proposer des solutions intégrées
pour la maison et les entreprises. C’est ce qui est désigné sous les termes assez génériques et
assez peu clairs de « la conception, la production et la distribution de solu- tions innovantes
et de haute performance pour l’habitat et l’industrie, où le groupe poursuit son
développement ». Ces solutions sont en phase avec la croissance du marché et la demande
d’économie d’énergie et de préservation de l’envi- ronnement. On peut imaginer que la
position concurrentielle de Saint-Gobain sera meilleure sur ces segments et que l’en- treprise
n’aura pas à contrer des concurrents low cost faisant pression sur les prix.

La corporate strategy

Recentrage du groupe Accor (p. 296)


La cession des différentes activités
du groupe Accor est-elle stratégiquement pertinente ? Le portefeuille d’activités détruisait-il
de la valeur ?
Les deux activités (hôtellerie d’une part et titres de services de l’autre) présentaient un
intérêt aux yeux des dirigeants d’Accor. En effet, les tickets-restaurant étaient fortement
générateurs de cash, tandis que l’hôtellerie exigeait du cash. Pour utiliser le vocabulaire de la
matrice du BCG, l’activité titres était la « vache à lait » qui finançait la « star » hôtel- lerie.
Cependant, les synergies brillant par leur absence, la coexistence de ces deux activités au
sein d’une même entre- prise ne créait pas de valeur. La valeur de l’ensemble n’était pas
supérieure à la somme des parties. C’était même l’in- verse puisqu’Accor souffrait d’une
décote de conglomérat significative. En ce sens, on peut dire que le groupe détruisait de la
valeur en « confisquant » les cash-flows des tickets restaurants pour les consacrer à
l’hôtellerie, ce qui bridait de développement des titres de services et les empêchait
d’exprimer tout leur potentiel de création de valeur. Cette interprétation est corroborée par
la mauvaise performance du titre en Bourse avant la scission.
Selon vous, à quelles motivations
la scission entre l’hôtellerie et les titres de services répond-elle ?
Cette scission a clairement été réalisée sous la pression des actionnaires, déçus par la
médiocre performance boursière, attribuée à l’absence de synergie entre les deux activités.
Sur

un marché financier efficient, une entreprise dont le projet est créateur de valeur devrait
pouvoir se financer facilement : les actionnaires ne pouvaient donc pas admettre l’argument
d’Accor qui consistait à transférer les flux financiers d’une activité à l’autre, ce qui constitue
une internalisation du marché financier et prive les actionnaires de leur pouvoir d’arbitrage
et d’allocation de ressources entre les deux acti- vités. Aux yeux des actionnaires, la scission
allait créer de la valeur en libérant le potentiel des titres de services et en forçant l’activité
hôtellerie à se financer par elle-même, à son vrai coût du capital. Comme on le lit dans
l’étude de cas, la scission a contraint l’hôtellerie à changer de stratégie et notamment à se
dessaisir de l’immobilier pour se concentrer sur la gestion des hôtels, une scission dans la
scission qui était certainement voulue par les actionnaires.
Le nouveau groupe Edenred possède-t-il une bonne position concurrentielle face
à la Sodexo ?
Le groupe Edenred dispose d’atouts non négligeables dans son industrie. Il est vrai que son
principal concurrent en France, Sodexo, dispose également d’une autre activité, la
restauration collective, qui lui permet de proposer une offre plus large à ses clients
entreprises, créant ainsi une synergie commerciale. Cependant, la scission d’Accor n’a pas a
priori d’effet négatif sur la position concurrentielle d’Edenred. Au contraire, sa nouvelle
autonomie lui permet d’affecter son cash à sa propre croissance, ce qui constitue
certainement une force. C’est du moins le pari qu’ont fait les actionnaires.

Synergies et cohérence au sein du groupe Disney (p. 308)

Pourquoi les personnages sont-ils


des ressources stratégiques pour Disney ? On trouvera des éléments d’analyse des
personnages Disney en tant que ressources stratégiques au chapitre 2 (pages 90-91). Il
apparaît notamment que les person-
nages Disney ont tous les attributs VRIO (voir chapitre 2, pages 93 et suivantes). Ce sont des
ressources valori- sables (V), rares (R) et difficiles à imiter (I). De plus, toute l’organisation (O)
de Disney est tournée vers l’exploitation de ces ressources « tous azimuts », c’est-à-dire dans
tous les secteurs d’activités envisageables, ce qui explique le haut degré de diversification du
groupe. Vu de l’extérieur, on pour- rait croire à une diversification conglomérale, mais en
réalité la plupart des activités s’articulent autour des personnages des films d’animation.
Ceux-ci constituent donc un pivot de diversification systématique, assurant de fortes
synergies entre les métiers du groupe.
Le groupe Disney s’appuie-t-il d’abord sur des synergies de coûts ou sur des synergies de
revenus ?
Il s’agit avant tout de synergies de revenus. Dès qu’un nouveau film d’animation sort, les
personnages sont décli- nés dans toutes les activités du groupe (jouets et produits dérivés,
parcs d’attractions, croisières, télévision, etc.) pour générer de nouveaux flux de revenus
dans ces activités. En revanche, les structures de coût étant très différentes, il y a peu de
coûts partagés entre branches d’activités, et donc peu de synergies de coûts.
Disney est-il un bon parent, voire
le meilleur des parents pour Pixar et Lucas Film ?
Disney est certainement un bon parent car le groupe ouvre à Pixar et Lucas Film un champ
d’exploitation des franchises que les deux entreprises ne pourraient pas se procurer par
elles-mêmes. Un personnage créé par Pixar sera forcément mieux rentabilisé dans le groupe
Disney, dans les cinémas, à la télévision, à travers les parcs d’attractions et les produits
dérivés, que s’il restait confiné au domaine d’activité couvert par Pixar, à savoir le studio de
création de films d’animation.

Pour savoir si Disney est le meilleur parent, il faut comparer Disney avec des groupes
similaires, tels que Time Warner, Comcast (NBC, Universal, Dreamworks), Viacom (Nickelo-
deon, MTV, Paramount). Les données du cas présenté ne le permettent pas, mais il est de
notoriété publique que ces groupes, s’ils sont peu ou prou diversifiés dans les mêmes
métiers que Disney, n’ont pas la même capacité à exploi- ter systématiquement les synergies.
Ils le font de manière opportuniste, mais aucune activité ne dirige vraiment les autres. Disney
est donc certainement le meilleur parent pour Pixar. Du reste, c’est l’équipe Pixar qui a pris le
pouvoir dans les studios Disney au moment de la fusion, ce qui a consi- dérablement
amélioré les capacités créatrices de Disney. En effet, Disney était quelque peu dépassé par le
succès de l’animation 3D dont Pixar était le maître incontesté. En revanche, Disney n’avait
rien perdu de son leadership sur toutes les autres activités, ce qui a ouvert des possibilités
immenses à Pixar.
Le groupe Disney est-il stratégiquement cohérent ou souffre-t-il d’une trop grande
diversification ?
Les points qui précèdent montrent la cohérence du groupe Disney, véritable machine de
guerre pour rentabiliser au maximum les créations des studios historiques ou rache- tés par
le groupe. Cependant, comme le souligne l’étude de cas, on peut se poser le problème de la
diversification dans les chaînes de télévision généralistes. Tant que Disney s’en tenait au
Disney Channel, la synergie était évidente. C’est moins le cas avec ABC ou ESPTN. Le risque
est d’aller vers des activités non liées aux studios et d’y réussir moins bien que des
concurrents qui ne s’embarrasseraient pas du lien avec une maison mère aussi exigeante.
Quel est le core business du groupe Disney ?
La création des films reste le core business du groupe car toutes les autres activités sont
synchronisées avec les sorties de films pour en exploiter au mieux les franchises. Comme on
l’a vu plus haut, le pôle télévision tend à s’écarter de cette logique. Si Disney poursuit ce
genre de diversification, la notion de core business deviendra moins claire.

L’intégration verticale de la maroquinerie de luxe dans les peaux de crocodile (p. 331) 31
L’intégration verticale dans le secteur pétrolier (p. 332) 32
Pourquoi les constructeurs automobiles produisent-ils leurs moteurs
et pas les constructeurs aéronautiques ? (p. 338) 33
L’externalisation des microprocesseurs et du système d’exploitation prive IBM
de sa domination sur les PC (p. 341) 34

L’intégration verticale de la maroquinerie de luxe dans les peaux de crocodile (p. 331)

2. Pourquoi les grandes maisons


de maroquinerie de luxe s’intègrent-elles en amont dans la production de cuirs
et peaux précieuses ? Pourquoi ne pas acheter ces peaux au fournisseur offrant la meilleure
qualité au prix le plus bas ?
Si le marché des peaux précieuses est un marché efficient, notamment parce que de
nombreux fournisseurs sont capables de répondre aux exigences de qualité des maroqui-
niers de luxe tout en se faisant concurrence, ce qui contri- bue à faire baisser les prix, il n’y a
aucune raison pour que les grandes maisons s’intègrent en amont dans l’élevage et la
tannerie. Si en revanche seuls de rares éleveurs ou tanneurs sont capables de répondre aux
besoins spécifiques de tel ou tel maroquinier, alors s’intégrer est peut-être la seule façon de
garantir les approvisionnements tout en échappant au risque de hold-up par un fournisseur
en position de quasi-monopole.
Il semble cependant difficile de croire que, dans des secteurs somme toute assez
traditionnels comme l’élevage – même s’il s’agit d’espèces aussi particulières que les
serpents, les lézards ou les crocodiles – ou la tannerie, de nouveaux four- nisseurs ne
puissent pas émerger si la rentabilité devient très forte du fait d’un déséquilibre entre offre
et demande. On perçoit mal quels pourraient être les savoir-faire, compé- tences ou actifs
qui pourraient faire défaut à de nouveaux fournisseurs pour apparaître dans de telles
conditions. Il faut donc chercher d’autres motivations à ce mouvement assez généralisé
d’intégration par les maroquiniers de luxe.

En quoi les préoccupations en matière de traçabilité ont-elles pu influencer cette décision ?


Il est possible que les préoccupations en matière de traça- bilité jouent un rôle déterminant
dans le mouvement d’intégration constaté. Tout manquement en matière d’im- pact
écologique, de traitement des animaux, de justice sociale, etc., pourrait avoir des effets
désastreux sur la réputation et l’image des marques et des entreprises. Or les exigences en
termes d’impact environnemental et sociétal des fournisseurs sont complexes et floues,
rendant la rédac- tion d’un contrat complet difficile. De plus, il est difficile de vérifier que les
fournisseurs respectent les engagements qu’ils ont pris. Les sanctions encourues par ces
mêmes fournisseurs s’ils manquent à leurs obligations sont sans commune mesure avec le
préjudice réputationnel subi par les marques. Des images vidéo clandestines tournées dans
une ferme de crocodiles aux États-Unis et montrant les mauvais traitements infligés aux
animaux, ainsi que les conditions d’abattage particulièrement cruelles, auraient pu avoir des
conséquences commerciales désastreuses pour Hermès. Faute de parvenir à imposer à leurs
fournisseurs des comportements irréprochables, certaines sociétés de maro- quinerie de luxe
ont pu considérer que seule une gestion directe des activités controversées permettrait
d’éviter à coup sûr des scandales à l’impact potentiellement catastro- phique, ce qui les a
conduites à s’intégrer en amont dans ces activités « sensibles ».

L’intégration verticale dans le secteur pétrolier (p. 332)

Pourquoi l’intégration verticale a-t-elle été le modèle dominant dans l’industrie pétrolière
tout au long du xxe siècle ?
La plupart des grands groupes pétroliers se sont dévelop- pés à la toute fin du xixe siècle et
dans la première moitié du xxe siècle. À cette époque, les grandes infrastructures néces-
saires au bon fonctionnement de l’industrie n’existaient pas encore et se sont mises en place
progressivement, à l’initiative des groupes pétroliers eux-mêmes. Après avoir identifié les
gisements de pétrole, les groupes pétroliers se sont mis à les exploiter, puis à acheminer le
pétrole produit en mettant en place des flottes de tankers ou en construisant des oléoducs, à
raffiner ce pétrole en construisant des raffineries et enfin à le distribuer en établissant des
réseaux de stations-service. C’est donc l’absence de fournisseurs ou d’acheteurs
indépendants aux divers stades de la filière jusqu’au milieu du xxe siècle qui a conduit les
groupes pétroliers à s’intégrer.
Que pensez-vous des arguments en faveur de l’intégration verticale mis en avant par les
majors ?
Les principaux arguments mis en avant par les groupes pétroliers pour justifier leur
intégration verticale relèvent de deux logiques :
la sécurité des approvisionnements et des débouchés ;
le besoin de lisser la rentabilité entre stades de la filière, rentabilité qui fluctue en fonction
de l’environnement externe et qui peut être élevée sur certains stades et faible sur d’autres.
Le premier argument n’est pertinent que si le marché ne garantit pas la sécurité des
approvisionnements et des débouchés, avec une concurrence suffisante entre acteurs aux
différents stades de la filière. Comme nous venons de le décrire ci-dessus, c’était le cas
jusque dans les années 1960. Auparavant, les groupes pétroliers n’avaient guère d’autre
choix que de s’intégrer. C’est désormais moins vrai.

Le deuxième argument relève davantage de la diversification des risques. Mais compenser un


déclin de rentabilité dans un secteur par une rentabilité accrue dans une autre activité est
une arme à double tranchant : ce que l’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre. Des
marchés financiers bien développés sont capables de comprendre et d’anticiper les
fluctuations et ne devraient trouver aucun avantage à une telle diversi- fication, d’autant plus
que toutes ces activités sont en fait liées et que la diversification des risques qui en résulte
est très incomplète. Les investisseurs pourraient diversifier leur portefeuille
d’investissements mieux et à moindre coût.
4. Que pensez-vous des stratégies d’externalisation mises en œuvre récemment par certains
des acteurs du secteur ? À quelles conditions ces stratégies d’externalisation sont-elles
appropriées ? Pensez-vous que ces conditions soient aujourd’hui réunies ?
Depuis les années 1960, les groupes pétroliers ont progres- sivement commencé à utiliser les
infrastructures les uns des autres. En effet, rien – et notamment aucune raison technique –
n’empêche que le pétrole produit par l’un des groupes pétroliers ne soit raffiné dans une
raffinerie appar- tenant à un autre groupe, ou bien distribué dans un autre réseau de
stations-service. De plus, de nouveaux opérateurs sont entrés sur tel ou tel stade de la filière,
sans être des groupes pétroliers intégrés. CGG Veritas s’est spécialisé dans l’exploration, des
investisseurs indépendants ont construit des raffineries et la grande distribution s’est mise à
vendre de l’essence. Les produits échangés sont pour l’essentiel des commodités, identiques
d’un producteur à l’autre. Rien n’empêche donc d’avoir recours à des transactions entre les
différents stades de la filière pétrolière. C’est donc l’émer- gence de marchés efficients à
toutes les interfaces entre acti- vités dans la filière du pétrole qui a conduit plusieurs groupes
pétroliers à externaliser certaines de leurs activités.

Pourquoi les constructeurs automobiles produisent-ils leurs moteurs et pas les constructeurs
aéronautiques ? (p. 338)
Pourquoi les constructeurs d’avions n’ont- ils pas produit dès l’origine leurs propres
moteurs ?
Les premiers avions ont été développés au début du xxe siècle, alors qu’une industrie
automobile existait déjà (avec des constructeurs comme Panhard & Levassor, Peugeot,
Renault, Berliet, ou encore Oldsmobile, Ford, Daimler, Benz, etc.) et produisait des moteurs
perfor- mants pour l’époque. Les pionniers de l’aviation, Blériot, Farman, Santos-Dumont,
Martin, Sopwith, De Havilland, Junkers, etc. se sont donc naturellement tournés vers les
constructeurs automobiles pour acheter des moteurs susceptibles d’équiper leurs aéronefs.
En quoi cela a-t-il permis l’émergence de fournisseurs de moteurs d’avions spécialisés ?
De façon à mieux servir leurs clients de l’aéronautique, les constructeurs automobiles ont été
amenés à modifier leurs moteurs pour les adapter aux besoins particuliers des avions.
Renault a ainsi produit son premier moteur d’avion spéci- fique dès 1908. Progressivement,
les moteurs d’avions se sont écartés des moteurs d’automobiles, ce qui a conduit nombre de
constructeurs automobiles à confier la concep- tion et la fabrication de ces moteurs à des
divisions spécia- lisées. Certains d’entre eux ont ensuite choisi de se séparer de ces activités,
donnant naissance à des firmes spécialisées dans la production de moteurs d’avions. Ce fut le
cas de Rolls-Royce qui scinda ainsi son activité en deux entreprises distinctes. Par ailleurs,
l’habitude prise par les constructeurs d’avions d’acheter leurs moteurs à des fournisseurs
exté- rieurs a créé une demande que des entrepreneurs indépen- dants ont cherché à
satisfaire. Au bout de quelque temps, une véritable industrie des moteurs d’avions avait
émergé en parallèle avec le développement de la construction aéro- nautique.

Pourquoi les constructeurs automobiles sont-ils intégrés dans la production


des moteurs ?
L’industrie automobile s’est en fait développée à l’origine autour des systèmes de propulsion,
d’abord à vapeur, puis à combustion interne. Ce sont les progrès des moteurs qui ont permis
le développement des premières véritables automo- biles. Les pionniers de l’automobile
étaient donc avant tout des motoristes qui plaçaient leurs moteurs sur des châssis très
rudimentaires, à peine mieux que des charrettes ou des carrioles privées de leurs animaux de
trait. Ces constructeurs ont ensuite amélioré les châssis et carrosseries. Mais pour des
modèles plus haut de gamme, les clients pouvaient faire appel à des carrossiers spécialisés,
qui ne représentaient cependant qu’une faible part du marché. Le rachat de Fisher Bodies,
l’une des plus grosses sociétés spécialisées dans les carrosseries automobiles, par General
Motors en 1919, a signé la fin des carrossiers indépendants. Tous les principaux
constructeurs étant désormais intégrés, il était impossible, faute de débouchés, à des
fabricants de moteurs – ou à des fabricants de châssis et carrosseries – spécialisés d’émerger.
Que nous révèle le fait que les constructeurs automobiles se vendent les uns aux autres
des moteurs sur la spécificité réciproque des véhicules et des moteurs ?
Le fait que les constructeurs automobiles se vendent les uns aux autres des moteurs prouve
bien que les moteurs de l’un peuvent équiper, moyennant quelques adaptations et ajus-
tements, les modèles de l’autre. Il n’y a donc pas de raisons techniques insurmontables pour
que les constructeurs auto- mobiles fabriquent tous leurs propres moteurs. C’est bien
davantage en raison du contexte dans lequel l’industrie s’est développée, lié à des
considérations concurrentielles, que tous les constructeurs automobiles sont intégrés
verticale- ment dans la production de leurs moteurs.
L’externalisation des microprocesseurs et du système d’exploitation prive IBM de sa
domination sur les PC (p. 341)

Pourquoi l’entreprise IBM a-t-elle acheté à Intel et Microsoft le microprocesseur


et le système d’exploitation de son PC au lieu de développer ces composants en interne ?
Le défi principal auquel doit faire face IBM en 1980 résulte de son arrivée tardive dans les PC.
L’entreprise doit combler très rapidement son retard si elle ne veut pas être définitivement
exclue de ce marché. Acheter sur étagère un microprocesseur et un système d’exploitation
existants est beaucoup plus rapide que de se lancer dans des développements internes.
Pourquoi cela a-t-il empêché IBM
de se différencier ? Pourquoi ne pas avoir joué sur le prestige de la marque ?
Le système d’exploitation, qui est très lié techniquement au microprocesseur, détermine
largement l’ergonomie et les fonctionnalités d’un PC. Tout autre fabricant achetant le même
microprocesseur à Intel et le même système d’exploi- tation à Microsoft peut produire un PC
aux caractéristiques et aux performances très similaires à celles des PC d’IBM.
Au début, IBM a pu jouer sur sa marque et sa réputation auprès des entreprises clientes pour
gagner des parts de marché et vendre ses PC à des prix élevés. C’est ce qui explique le fait
que, en 1985, avec un tiers du marché en nombre de machines vendues, IBM arrive à capter
près des deux tiers du chiffre d’affaires du secteur. Mais jouer ainsi sur la réputation de
l’entreprise alors que les PC vendus ne sont guère différents n’est possible que si les clients
connaissent mal les produits et ont besoin d’être rassurés par une marque forte, ce qui était
le cas jusqu’au milieu des années 1980.
Par la suite, les clients sont progressivement devenus mieux informés et ont été capables de
juger par eux-mêmes de la performance et de la qualité des produits. Ils n’ont alors plus
accepté de payer une prime de prix pour la marque. IBM a alors vu la rentabilité de son
activité PC baisser et sa part de marché s’effriter. Conserver la part de marché aurait exigé

d’aligner les prix sur ceux des concurrents. D’un autre côté, essayer de maintenir la
rentabilité aurait conduit à un effon- drement de la part de marché.
Pourquoi IBM a-t-elle lancé son propre système d’exploitation OS2 en 1987 ? Pourquoi la
manœuvre a-t-elle échoué ? Qu’aurait-il fallu faire ?
En lançant OS2, IBM espérait recréer une différenciation liée aux caractéristiques techniques
du système d’exploitation, cette fois développé par l’entreprise elle-même et donc
inaccessible aux concurrents. Si les clients avaient voulu acheter des PC équipés de ce
système OS2, ils n’auraient eu d’autre choix que d’acheter des machines IBM, plus chères que
celles d’autres marques. Malheureusement pour IBM, la plupart des utilisateurs s’étaient
habitués au système MS-DOS de Microsoft lorsque OS2 a été lancé. Le nouveau système
propre à IBM n’avait pas des caractéristiques et performances suffisamment suéprieures
pour les inciter à changer. Sans s’en rendre compte, IBM avait fait du système Intel +
Microsoft le standard du marché.
Pour réussir, il aurait fallu que OS2 soit lancé plus tôt et surtout soit tellement mieux
comparé à MS-DOS que les clients eussent souhaité migrer vers ce nouveau système malgré
un prix plus élevé. Mais il était certainement déjà trop tard. Avec le recul, on peut penser
que, dès le début de l’histoire, il aurait mieux valu qu’IBM prenne quelques mois de plus
pour développer son PC et le doter d’un système d’exploitation – et peut-être même un
microprocesseur – développé en interne et donc exclusif à la marque. IBM aurait peut-être
même pu négocier à l’époque un contrat d’exclusivité sur MS-DOS avec Bill Gates – qui
n’avait aucun pouvoir de négociation en ce temps-là. Cela aurait empêché Microsoft de
vendre le système à d’autres fabricants de PC et permis à IBM de rentrer rapidement sur le
marché, tout en lui donnant le temps de développer son propre système d’exploitation.

L’émergence de leaders mondiaux chinois (p. 357) 36


La stratégie internationale de McDonald’s (p. 373) 37

L’émergence de leaders mondiaux chinois (p. 357)

Quel est l’objectif principal que poursuit chacune des entreprises décrites, au travers de sa
stratégie internationale ?
Bien que ces entreprises se développent toutes fortement à l’international, elles poursuivent
des objectifs différents :
Haier cherche à devenir un des leaders mondiaux de l’élec- tronique grand public, porté par
une marque mondiale. Sa stratégie repose sur la conquête de positions fortes dans les pays
émergents comme dans les pays développés.
Le développement international de Huawei Technologies est avant tout à visée commerciale :
il s’agit de gagner des parts de marché auprès des opérateurs de télécommuni- cation du
monde entier. Certains de ses développements sont motivés par l’acquisition de savoir-faire
(notamment aux États-Unis) ou l’accès à des ressources technologiques (en Inde).
L’achat de la division PC d’IBM a permis à Lenovo de se hisser, en une seule opération, parmi
les trois leaders mondiaux du secteur. Son principal actionnaire étant contrôlé par l’État, cet
objectif comportait une compo- sante symbolique forte.

Quels sont les différents modes d’entrée dans les marchés étrangers utilisés
par ces entreprises ?
L’expansion internationale de ces entreprises combine diffé- rents modes d’entrée :
Haier établit des têtes de pont dans les zones où l’entre- prise souhaite asseoir son
développement commercial. Selon les opportunités qui se présentent, le groupe opte pour la
création de filiales (par exemple aux États-Unis, où il a installé une usine) ou pour
l’acquisition d’entreprises locales (comme en Italie). Pour se rapprocher des marchés visés,
l’entreprise a notamment installé des usines de montage et des réseaux de distribution en
Asie émergente (Vietnam, Indonésie, etc.).
Huawei Technologies crée des filiales de vente et de service sur les marchés où l’entreprise se
développe. Ses activités de recherche restent majoritairement localisées en Chine et,
secondairement, à Bangalore en Inde.
Lenovo a conduit une seule très grande opération d’acqui- sition : la prise de contrôle de
l’activité PC d’IBM. Cette acquisition fondatrice a été suivie par une JV majoritaire avec NEC.
Quelles que soient les modalités retenues, le développement international de ces entreprises
est surtout remarquable par la vitesse à laquelle il a été exécuté. Les multinationales
chinoises, privées comme publiques, ont agi de concert, accompagnant en cela le plan de
développement national orchestré par le gouvernement de Pékin.

La stratégie internationale de McDonald’s (p. 373)

De quel côté de l’axe global/multi- domestique est positionnée l’activité du fast-food ?


Par essence, la restauration est un métier local. Le choix, critique dans ce secteur, de
l’emplacement des restaurants ne peut s’effectuer qu’avec une connaissance intime du
marché local. La main-d’œuvre est recrutée sur place et les approvisionnements en produits
alimentaires se font essen- tiellement sur le marché local. Il s’agit donc d’une activité par
nature multidomestique, comme en témoignent les multi- ples aménagements opérés par
les restaurants McDonald’s pour s’adapter à leur marché. Pour autant, quelques groupes
parviennent à adopter une approche globale. C’est le cas de McDonald’s qui se fonde sur des
standards de qualité établis à l’échelle mondiale pour proposer une offre partiellement
globalisée, mais qui varie, bien plus qu’on ne pourrait le croire, d’un pays à l’autre.

Comment la stratégie de McDonald’s tient-elle compte de cette caractéristique de son


secteur d’activité ?
La stratégie de McDonald’s consiste à reconstruire au niveau local la plus grande partie de la
chaîne de valeur, tout en centralisant ce qui peut l’être. Avant tout, l’entreprise veille à ce
qu’un standard de qualité homogène soit respecté dans l’ensemble de ses restaurants, quels
que soient les produits servis, la clientèle visée et le niveau de prix. Cela passe par la mise en
œuvre de formations et de procédures opération- nelles communes à tous les restaurants
portant l’enseigne McDonald’s. Dans la mesure du possible, les achats sont également
centralisés au niveau international pour réduire les coûts. Cette approche ne fonctionne que
si l’offre ainsi proposée surpasse ce que pourrait offrir une entreprise purement locale. Pour
cela, McDonald’s doit a) recruter localement de très bons managers (les franchisés), et b) les
convaincre qu’ils feront mieux sous la marque McDonald’s qu’en étant indépendants.

Hanson Trust, conglomérat et acquéreur en série (p. 399) 39


La fusion Daimler-Chrysler, autopsie d’un échec (p. 412) 40
Procter-Gillette, ou comment combiner deux géants de la grande consommation (p. 425)
41

Hanson Trust, conglomérat et acquéreur en série (p. 399)

À quelle(s) catégorie(s) appartiennent les acquisitions de Hanson Trust ?


Hanson Trust réalisait des acquisitions conglomérales en rachetant des entreprises
appartenant à des secteurs diffé- rents, sans qu’il soit possible d’exploiter des synergies entre
les différentes entreprises rachetées. Les cibles apparte- naient à des secteurs très différents
(l’extraction minière, le tabac, les matériaux de construction, etc.) et n’avaient pas d’autre
point commun que d’opérer dans des industries à maturité. Ces opérations de fusion-
acquisition suivaient donc une logique d’extraction de valeur financière reposant sur la
restructuration des cibles et leur rationalisation pour en accroître la rentabilité et les
revendre par la suite.
L’histoire de Hanson Trust est-elle cohérente avec la perspective historique sur la création de
valeur et la gouvernance présentée au chapitre 6 ?
L’histoire de Hanson Trust illustre bien l’apparition et l’évolu- tion du paradigme de la
création de valeur des années 1970 à la fin des années 1990, telle qu’elle est décrite au
chapitre 6. Une stratégie de diversification conglomérale pouvait réus- sir dans les années
1970 où il existait de nombreuses proies caractérisées par une forte destruction de valeur
parce que le pouvoir des actionnaires était faible. Prendre le contrôle

d’un canard boiteux et se comporter en actionnaire exigeant pour en extraire toute la valeur
possible avant de le revendre était une stratégie exceptionnelle à l’époque. Hanson Trust
alignait soudain les intérêts du management avec celui des actionnaires en jouant les deux
rôles à la fois dans les entre- prises acquises, d’où une amélioration rapide des perfor-
mances. Au fond, Hanson se comportait comme un fonds de private equity avant la lettre, à
la différence près qu’il prenait directement les rênes des sociétés dont il prenait le contrôle.
Au cours des années 1990, avec la montée en puissance des actionnaires, une meilleure
efficience des marchés financiers et la généralisation des règles de gouvernance modernes, il
est devenu de plus en plus difficile de faire mieux que le marché ou que les entreprises elles-
mêmes en matière de restructuration, d’amélioration de la performance et de turnaround.
Via les private equity, les LBO, les actionnaires activistes…, voire le conseil d’administration
lui-même, le marché rétablit de lui-même la convergence des buts entre dirigeants et
actionnaires. Les entreprises sont poussées à se restructurer pour maximiser la valeur
actionnariale avant de tomber dans l’escarcelle d’un Hanson Trust, dont la compétence
distinctive était de remettre brutalement les actionnaires au pouvoir dans des entreprises où
leurs intérêts avaient été trop longtemps négligés.

La corporate strategy

La fusion Daimler-Chrysler, autopsie d’un échec (p. 412)

À quel type de fusion-acquisition appartient l’opération Daimler-Chrysler ? Quelles en étaient


les motivations ?
La fusion Daimler-Chrysler était en fait une acquisition hori- zontale internationale, le groupe
allemand Daimler-Benz prenant le contrôle de son concurrent américain Chrysler. Le but était
de consolider l’industrie automobile, tout en exploitant des synergies géographiques et une
complémen- tarité de gamme. Daimler-Chrysler était destiné à devenir un géant mondial,
présent sur tous les continents et tous les niveaux de gamme. De plus, l’opération visait à
rationa- liser les capacités de production et à accroître l’efficience opérationnelle des deux
entités en générant des économies d’échelle dans les achats, la R&D, la production et la
distri- bution. Sur le papier, les synergies de coûts et de revenus semblaient donc très
significatives et le pouvoir de marché de l’industrie automobile devait s’en trouver conforté.
En termes de stratégie, de structure et d’identité, quelles sont les principales raisons de cet
échec ?
A posteriori, il apparaît que les synergies envisagées avaient été surestimées et surtout que
les difficultés de mise en œuvre, notamment en matière de culture et d’identité, avaient été
sous-estimées. Les différences entre les modèles américain et européen, la difficulté à créer
des ponts entre des organisations opérant sur deux continents différents, ont rendu
l’exploitation des synergies plus difficile que prévu. Quant aux différences culturelles, elles
ont accentué la frustration des équipes de Chrysler face à la mainmise de Daimler sur
l’organisation. La « fusion entre égaux » s’est révélée être un mythe, provoquant la fuite des
ressources clés de Chrysler. À bien des égards, les décideurs de la fusion ont été sujets à une
« illusion de contrôle », en surestimant leur degré de maîtrise sur la mise en œuvre de cette
opéra- tion complexe et délicate.
Comment se fait-il que les entreprises n’aient pas anticipé les difficultés de mise en œuvre ?
Cette fusion a certainement été mal préparée. Les entre- prises ne se connaissaient pas
suffisamment pour que soient anticipées les difficultés que la fusion a fait naître. Les
anticipations de synergies ont été faites au sommet de l’organisation, sans que le détail en
soit élaboré et discuté

par les équipes opérationnelles, et se sont finalement révé- lées en grande partie
chimériques. L’exemple du projet de plateforme commune entre les deux constructeurs est à
ce titre révélateur : les différences de conception (traction vs. propulsion) entre Allemands et
Américains rendaient un tel projet très complexe et peu réaliste. De fait, non seulement le
prix payé pour acquérir Chrysler s’est avéré très élevé, mais la fusion, loin de créer de la
valeur, en a massivement détruit. Il y a loin de la coupe aux lèvres : les synergies
effectivement mises en œuvre ont été très en dessous du potentiel existant, qui était lui-
même très en dessous des synergies espérées par les actionnaires de deux groupes.
Un rapprochement Daimler-Chrysler aurait-il pu réussir ? Comment ?
Une meilleure préparation aurait été nécessaire, mais c’est souvent difficile car le projet de
fusion doit rester confiden- tiel tant qu’il n’est pas annoncé officiellement, ce qui réduit la
durée et l’ampleur des travaux préparatoires. Une révision à la baisse des synergies
escomptées aurait probablement permis de réduire la prime de contrôle, ce qui aurait pu
relâ- cher la pression sur les équipes et faciliter la collaboration. Daimler-Benz et Chrysler
auraient pu décider de travailler sur des projets en joint-venture avant d’envisager une
fusion, de manière à mieux se connaître et à vérifier leur compatibilité.
Cependant, c’est surtout dans la phase post-fusion qu’on aurait certainement pu améliorer
les choses. Par exemple, donner plus de poids dans la structure aux responsables de Chrysler
aurait évité ou atténué la fuite des cerveaux ; constituer des groupes de travail composés de
membres des deux entités avec des objectifs communs aurait facilité le dialogue et la
coopération, etc. Pour reprendre la typologie des modes d’intégration présentée dans la
dernière section du chapitre, il s’agit d’un cas typique d’absorption : les syner- gies
potentielles sont très élevées, mais elles nécessitent une absorption très poussée d’une
organisation par l’autre, ce qui présente un niveau de risque très élevé et des difficultés de
mise en œuvre particulièrement importantes.

Procter-Gillette, ou comment combiner deux géants de la grande consommation (p. 425)


À quel type de fusion-acquisition appartient l’opération Procter-Gillette ?
Quels en étaient les motivations et les risques ?
L’opération Procter-Gillette est une « acquisition d’extension produit ou marché ». Elle visait
à donner à Procter & Gamble, qui opère sur des marchés à maturité, des relais de croissance.
La fusion avait pour objectif de créer de la valeur par des synergies de coûts (économies
d’échelle et accroissement du pouvoir de négociation) et des synergies de revenus (pouvoir
de marché, innovation par fertilisation croisée, etc.). Lors de l’opération, la principale
interrogation tenait à la capacité de Procter & Gamble, entreprise entièrement construite par
croissance organique, à intégrer Gillette et à en extraire les compétences, sans casser son
propre modèle de ressources humaines, exclusivement fondé sur la promotion interne.
Pourquoi le succès de cette fusion a-t-il dépassé les espérances des analystes ?
La fusion, perçue comme risquée car en rupture avec le modèle historique de croissance
interne de Procter & Gamble, avait été accueillie avec prudence par les analystes. Pourtant,
Procter & Gamble connaissait bien la cible, suivie de longue date. Les écueils potentiels
avaient été anticipés et les synergies étudiées en détail. De ce fait, leur mise en œuvre

ne posa pas de problème majeur, conduisant le nouveau groupe à dépasser les prévisions
des analystes. Gillette était une entreprise en bonne santé et dotée d’une culture forte.
C’était un actif solide, qui présentait de nombreuses complé- mentarités, à la fois
industrielles et culturelles, avec Procter & Gamble, qui a su l’intégrer avec intelligence.
Quelles leçons peut-on en tirer en matière de stratégies de croissance externe et de
management de l’intégration post- fusion ?
Une fusion de cette ampleur doit être anticipée avec précau- tion. La cible doit être étudiée
en détail de manière à s’as- surer que les cultures sont compatibles et les organisations
complémentaires. Il est très important d’évaluer avec préci- sion les synergies de coûts et de
revenus, de manière à la fois à payer un prix correct et à s’assurer que ces synergies seront
effectivement réalisées. Comme l’illustre le cas de Daimler- Chrysler (p. 412), les estimations
élaborées par les dirigeants ou les banquiers d’affaires peuvent se révéler irréalistes,
conduisant à de graves échecs. Enfin, l’intégration doit être pilotée avec tact et intelligence,
de manière à ménager les transferts de compétences entre les entités sans provoquer la
fuite des hommes et la perte des ressources stratégiques associées.
Cereal Partners Worldwide : une alliance Nestlé-General Mills (p. 431) 43
CFM International : une alliance devenue leader mondial (p. 436) 44
Apprentissage et transferts de savoir-faire dans l’industrie automobile mondiale (p. 443)
46
Les trois alliances globales entre compagnies aériennes (p. 445) 47
Danone-Wahaha, alliance ou concurrence larvée ? (p. 455) 48

Cereal Partners Worldwide : une alliance Nestlé-General Mills (p. 431)

Pourquoi Nestlé et General Mills n’ont-ils pas fusionné au lieu de faire cette alliance ?
General Mills (GMi) et Nestlé sont tous deux des groupes agroalimentaires diversifiés. Une
fusion aurait entraîné la mise en commun de toutes leurs activités là où seule une
collaboration dans le domaine des céréales avait du sens. Dans ce cas de figure, l’alliance
apparaît comme un véhi- cule particulièrement adapté : elle permet de mettre en commun
une activité bien circonscrite, dans laquelle des synergies identifiées existent entre les
partenaires. Ici, Nestlé n’avait pas la volonté de se développer aux États-Unis, mais souhaitait
rattraper son retard sur le marché des céréales pour petit-déjeuner, un domaine dans lequel
GMi possédait une expertise et des marques fortes. Le groupe américain, quant à lui, désirait
se développer à l’international, sans pour autant avoir les moyens d’acquérir Nestlé.
L’alliance offrait aux deux partenaires l’opportunité de réaliser un objectif stratégique, sans
entrer dans un processus complexe, délicat et coûteux de fusion.
Les contributions, les positions
et les gains des deux partenaires vous semblent-ils équilibrés ?
Cereal Partners Worldwide (CPW) est une alliance complé- mentaire (voir figure 11.8 p.
466) : les positions et contribu- tions de chaque partenaire sont par nature déséquilibrées.
En position de l’allié A, GMi apporte à l’alliance sa compé- tence dans le domaine des
céréales, alors que Nestlé, l’allié B, détient l’accès au marché. On ne peut pas supposer que
ces contributions soient équilibrées à 50/50, même si le capital de la co-entreprise est
partagé à égalité. Sur le plan finan- cier, nul doute que le contrat signé entre les partenaires
tient compte de ces déséquilibres et les compense.
D’un point de vue stratégique cependant, chaque allié y trouve son compte. Nestlé, groupe
très orienté produit, n’avait pas trouvé le bon business model dans les céréales, produits
simples à concevoir et à produire mais dont le succès repose essentiellement sur une
approche marketing appropriée. Quant à GMi, l’alliance lui offrait l’opportunité de rattraper
son retard sur Kellogg’s à l’international.

À terme, qu’est-ce qui pourrait conduire à une rupture ? Quelle autre issue serait
envisageable ?
Une alliance complémentaire repose sur l’intérêt que chaque partenaire trouve à collaborer.
Si un des groupes parvient à faire tout seul ce que l’alliance est destinée à produire, cette
dernière perd sa raison d’être. La rupture peut donc se produire si Nestlé estime qu’il dispose
désormais du savoir- faire et du business model nécessaires pour pouvoir se lancer seul dans
les céréales de petit-déjeuner, sans les marques de GMi, ou si GMi considère qu’il est en
position de se lancer seul à l’international.
Comme l’essentiel de l’activité opérationnelle de l’alliance est assuré par les filiales de Nestlé,
on peut estimer que la rupture serait plus difficile pour GMi. Nestlé, qui maîtrise désormais
le business model, pourrait se développer seul sur ce marché à condition d’investir
suffisamment. Pour se lancer seul, GMi, en revanche, devrait disposer des compé- tences
(marketing, logistique, etc.) et ressources requises dans chacun des pays couverts, qui sont
certainement plus difficiles à acquérir. La continuation de l’alliance semble toutefois indiquer
que les deux partenaires s’en trouvent toujours satisfaits, ou qu’aucun ne pense pouvoir faire
mieux en se séparant de l’autre.
On pourrait toutefois esquisser d’autres hypothèses d’évo- lution de l’alliance. Le joint-
venture pourrait prendre son autonomie et être introduit en Bourse ou vendu à un fonds
d’investissement. Ou alors, un des deux partenaires pour- rait décider de racheter l’activité
de l’autre pour l’intégrer. GMi pourrait, par exemple, faire de CPW sa filiale internatio- nale.
On pourrait enfin imaginer en théorie qu’un des deux groupes finisse par racheter l’autre, si
ce n’est que les parte- naires se sont interdit cette issue par contrat au moment de la
création de CPW.

CFM International : une alliance devenue leader mondial (p. 436)

Pourquoi Safran et General Electric ont-ils formé CFM International ?


Pour Snecma, la formation de cette alliance répondait à un objectif clair : entrer sur le
marché de l’aviation civile avec l’aide d’un puissant allié, et s’ouvrir le marché américain, qui
représentait à l’époque les deux tiers du marché mondial.
De prime abord, la décision de GE semble moins évidente à comprendre. GE est un grand
groupe industriel, qui dispo- sait de la technologie nécessaire pour construire un moteur
d’avion civil. Bien que principalement présente dans l’avia- tion militaire, la branche moteur
de GE avait déjà développé une offre dans le domaine civil (le moteur CF6). Il faut en fait aller
chercher ailleurs les raisons de cette alliance : en collaborant avec un acteur européen, GE se
positionnait pour accéder à la motorisation des premiers Airbus, alors en plein
développement. Dans le même temps, comme le groupe américain apportait un réacteur à
haute pression (F101) déjà développé, l’alliance ne lui coûtait rien. C’était donc un projet peu
coûteux qui permettait éventuellement de conquérir de nouveaux marchés. Évidemment,
rien ne laissait alors présager le succès qu’allaient connaître les moteurs CFM. Si GE l’avait su,
peut-être le groupe américain se serait-il lancé tout seul.
Comment pourrait-on en améliorer l’organisation et l’efficacité ?
Les partenaires ont choisi une organisation singulière pour cette alliance : ils ne font rien
ensemble. GE apporte la partie haute pression du moteur et distribue celui-ci en Amérique
du Nord et du Sud ainsi qu’en Asie et en Australie. Snecma est responsable de la partie basse
pression et commercia- lise le moteur en Europe, au Moyen-Orient, en Inde et en Afrique.
Les alliés se partagent, à parts égales, non pas les profits mais le chiffre d’affaires réalisé sur
la vente de chaque moteur, en s’étant réparti équitablement au préalable le développe-
ment et la fabrication. Dans cette configuration, chacun des partenaires est incité à accroître
sa productivité pour réduire ses coûts de production, puisque toute économie réalisée lui
revient intégralement. Si les alliés avaient opté pour un partage des profits, chacun aurait
intérêt à charger un maxi- mum de coûts sur le joint-venture car ce serait une manière de se
faire subventionner par le partenaire.

De plus, dans la configuration CFM, chaque allié reste maître de ses investissements puisqu’il
n’y a pas d’actifs en joint-venture. C’est ce qui a permis notamment à Safran d’utiliser
l’alliance pour développer un réseau commercial en propre.
Principal inconvénient : personne n’assume la responsabilité globale du projet, dont la
réussite repose, paradoxalement, sur une forte entente entre les partenaires. Bien que l’al-
liance prévoie une séparation totale des activités, sa réussite dépend d’une collaboration
étroite entre les deux entre- prises. De plus, chaque partenaire gérant ses propres coûts,
aucun ne sait ce que dépense ni ce que gagne l’autre, et personne ne sait à quel point les
coûts et les investissements sont globalement optimisés. Enfin, le mode d’organisation
adopté favorise les duplications : les chaînes d’assemblage et de test des moteurs sont
dupliquées (en France et aux États-Unis) et la force commerciale de Safran sur sa zone
duplique celle de GE qui commercialise les moteurs 100 % GE comme le CF6 ou le CF34.
On pourrait donc rationaliser l’alliance et améliorer sa profi- tabilité en la mettant sous une
autorité unique et en suppri- mant les duplications. Mais en réalité, aucun partenaire
n’accepterait de le faire. Vis-à-vis des compagnies aériennes et des avionneurs, chaque allié
veut apparaître comme un motoriste à part entière et non pas comme un vulgaire sous-
traitant. Il est donc hors de question de renoncer à l’assemblage final, à la commercialisation
des moteurs et à son autonomie de décision dans l’alliance.
En quoi l’alliance franco-russe PowerJet diffère-t-elle de l’alliance franco-américaine CFM ?
Dans le cadre de l’alliance CFM, Safran se voit interdire l’accès au marché américain, un des
plus vastes du monde, puisque celui-ci reste la chasse gardée de GE. Safran doit donc, pour
exister en dehors de GE et être considérée comme un constructeur de moteur à part entière,
déve- lopper d’autres produits que l’entreprise française pourra commercialiser de manière
autonome dans le monde entier, y compris aux États-Unis. C’est ce qui a motivé le projet
SaM146, développé en coopération avec UEC-Saturn. Dans cette alliance, Safran est
responsable du corps haute pres- sion alors que UEC-Saturn fournit la partie basse pression.


C’est donc un accord miroir par rapport à CFM. Safran joue le rôle que GE jouait au départ
dans CFM. Cet arrangement permet à Safran de développer l’équivalent d’un moteur
complet à travers les deux projets, au lieu de se spécialiser dans la basse pression. Encore
une fois, il s’agit de démon- trer que Safran possède toutes les compétences d’un moto- riste
à part entière. Malheureusement, PowerJet n’a pas eu le succès escompté.
Quelle stratégie devrait adopter Safran pour devenir un des leaders mondiaux des moteurs
d’avions de ligne ?
Du point de vue stratégique, Safran chemine sur une voie étroite. Une part significative de
son activité provient de l’alliance CFM, qui la lie industriellement à GE et lui ferme
commercialement les portes du marché américain. Si l’en- treprise ne parvient pas à
s’émanciper et à s’imposer sur le marché comme motoriste d’avion reconnu, l’activité
pourrait finir par être absorbée par GE. La probabilité de cette issue dépend évidemment de
la stratégie de Safran, conglomérat

formé par la fusion de Snecma et de Sagem sous le regard bienveillant de son actionnaire
principal, l’État.
Une autre issue serait de développer un projet autonome dans une gamme de moteurs non
couverte par le contrat CFM. Le problème est que l’accord d’exclusivité couvre un spectre
très large, qui n’exclut que les très gros moteurs, où la concurrence fait rage, et les moteurs
de jets régionaux, segment en croissance où Safran a décidé d’investir avec PowerJet, sans
succès jusqu’ici. L’ironie de la situation est que le principal concurrent de Safran dans les
petits moteurs est le CF34 de GE, un moteur qui ressemble étrangement à un CFM56 en
modèle réduit. Safran pourrait essayer de prendre son allié/concurrent de vitesse en
développant un petit modèle inspiré du LEAP, mais il y a fort à parier que GE n’apprécierait
guère cette initiative. De toute manière, la commercialisation sur le continent américain
poserait problème. C’est pourquoi Safran a essayé de s’abriter derrière des alliances sur
d’autres marchés (le marché des avionneurs russes avec PowerJet) pour s’émanciper de GE
sans lui faire frontalement concurrence.

Apprentissage et transferts de savoir-faire dans l’industrie automobile mondiale (p. 443)

Dans l’alliance NUMMI, qui a gagné


la course à l’apprentissage : General Motors ou Toyota ?
La plupart des observateurs s’accordent à reconnaître que c’est Toyota qui a gagné cette
course à l’apprentissage. Certes, les cadres de GM passés par NUMMI ont acquis les
méthodes qui faisaient la supériorité du « Toyota Production System », mais ces méthodes
ont été très difficiles à diffu- ser dans un groupe tentaculaire et multinational comme GM.
Les cadres « nummisés » se sont vu offrir des postes en vue dans l’organisation mais ils ont
parfois eu trop peu de prise sur les opérations pour réformer GM en profondeur. En
revanche, Toyota a profité de son apprentissage dans l’al- liance pour lancer ses propres
produits sur le marché améri- cain. Les petites voitures économiques fiables et bien finies, à
la qualité irréprochable, ont vite conquis une part de marché significative sur les
traditionnelles Cadillac, Buick, Oldsmo- bile, Chevrolet et autres marques du groupe GM.
En résumé, GM cherchait des compétences à diffuser à grande échelle dans l’ensemble de
son organisation, alors que Toyota avait un objectif de pénétration géographique clair et
circonscrit, qui nécessitait de former une équipe relativement réduite de cadres à expatrier
sur le sol américain. Toyota était avantagé dans la course à l’apprentissage. L’identité des
deux groupes a fait le reste. La diversité des marques et des cultures chez GM s’est révélée
problématique, alors que la discipline et l’homogénéité de Toyota ont favorisé la réussite.

Qui utilise la coopération comme un cheval de Troie : les constructeurs occidentaux pour
entrer sur le marché chinois ou les constructeurs chinois pour développer leur propre activité
?
Les deux, évidemment. Tant que l’enjeu de ces alliances est cantonné au marché chinois, il
est difficile de dire qui a le plus de chances de tirer son épingle du jeu. En revanche, le jour
où les constructeurs chinois seront en mesure d’expor- ter massivement sur les marchés de
leurs partenaires occi- dentaux, il est clair qu’ils auront marqué un point décisif dans la
course à l’apprentissage.
À terme, qui dominera l’industrie mondiale ? Quel rôle les alliances jouent- elles dans ce jeu
international ? Quel rôle jouent les fusions-acquisitions ?
C’est la question que tout le monde se pose. Les alliances permettent d’accélérer les
transferts de compétences et de faire émerger de nouveaux concurrents sur les marchés en
forte croissance. Les fusions-acquisitions ont l’effet inverse : elles permettent de concentrer
l’industrie au niveau mondial et de rationaliser la production sur les marchés saturés.
Cependant, comme dans d’autres industries, certaines alliances peuvent conduire à des
acquisitions. La prise de contrôle partielle de PSA par son partenaire chinois en est un signe
avant-coureur.

Les trois alliances globales entre compagnies aériennes (p. 445)

Pourquoi les alliances entre compagnies aériennes sont-elles multilatérales ?


L’objectif de ces alliances est de couvrir le monde pour offrir aux clients un service de
transport réellement internatio- nal, au lieu de perdre les clients à chaque fois qu’ils veulent
se rendre dans une destination non desservie par la compa- gnie. Comme l’industrie est
fragmentée par pays, il est indispensable de combiner les réseaux de plusieurs parte- naires
pour obtenir l’effet désiré. Combiner les réseaux de deux compagnies géographiquement
complémentaires ne suffirait pas.
Quels sont leurs effets sur la concurrence et leurs conséquences pour les clients ?
Sous couvert de simplifier la vie des clients, ces alliances réduisent la concurrence en
simulant le fonctionnement d’un oligopole avec seulement trois acteurs principaux. Au lieu
de comparer les offres de toutes les compagnies sur chaque segment de ses voyages, le
client compare seule- ment trois grandes options, ce qui réduit drastiquement la
concurrence. De plus, en fusionnant leurs programmes de fidélité au niveau de l’alliance, les
compagnies parte- naires cherchent à rendre le client captif. En effet, pour un client ayant
une carte de fidélité, l’offre de l’alliance apparaît comme systématiquement supérieure à
celles des alliances rivales, ne serait-ce qu’à cause des fameux miles que chaque voyage avec
la compagnie lui permet de cumuler.
Au total, ces alliances réduisent les effets de la concurrence et évitent la guerre des prix dans
une activité de commodité, ce qui permet aux compagnies d’améliorer collectivement leur
pouvoir de marché et donc leur rentabilité.

Pensez-vous qu’elles conduiront


à des fusions en bonne et due forme ?
D’une certaine façon, ces alliances sont un ersatz de concen- tration. Il est vraisemblable
qu’elles conduiront à des fusions en bonne et due forme le jour où la réglementation et les
politiques gouvernementales l’autoriseront.
À quels types appartiennent les alliances décrites dans cette étude de cas ? En quoi cela
permet-il de prédire leur évolution ?
Il s’agit essentiellement d’alliances complémentaires puisqu’elles reposent sur le principe
d’une commercialisa- tion par un allié d’un service produit par un autre. La complé-
mentarité est de nature géographique, comme on l’a vu à la question 1. Dans ce contexte, on
peut s’attendre à des évolutions déséquilibrées, d’autant plus que les partenaires d’une
même coalition ont des tailles et des positions concur- rentielles très différentes.
L’évolution probable est que les leaders de chaque coalition prennent le pas sur leurs alliés
plus faibles et cherchent à s’ap- proprier une part croissante du business au sein de l’alliance,
en réduisant la complémentarité et en concurrençant les activités de certains partenaires. La
concurrence est certai- nement féroce entre les trois coalitions, mais l’existence même de ces
coalitions bénéficie en fait à l’ensemble de l’industrie. En revanche, il existe probablement
une concur- rence larvée à l’intérieur de chaque alliance, pour s’appro- prier une meilleure
part du gâteau et développer son propre réseau indépendamment des partenaires. Les
défections et les changements d’alliances qui se produisent de temps à autre en sont un
témoignage flagrant. Ainsi par exemple, en novembre 2018, China Southern Airlines
annonçait son retrait de l’alliance SkyTeam à compter du 1er janvier 2019. Le développement
de China Airlines et de China Eastern Airlines dans SkyTeam rendait la collaboration trop
difficile.

Danone-Wahaha, alliance ou concurrence larvée ? (p. 455)

Comment Danone aurait-il pu éviter ce conflit ?


Dans toute coopération, l’exemplarité des comportements et la franchise sont gages de
stabilité et de réussite. En consi- dérant Wahaha comme une simple filiale, Danone a entre-
tenu une certaine confusion entre l’activité du joint-venture de ses activités propres, donnant
ainsi un exemple fâcheux à son partenaire. Danone aurait dû dès le départ reconnaître
l’objectif stratégique de son partenaire chinois – l’acquisition des savoir-faire et compétences
nécessaires pour se lancer sur le marché – et clarifier sa position en conséquence. Les
partenaires auraient ainsi pu, en toute transparence, s’accor- der sur les zones d’exclusivité et
le paiement d’éventuelles royalties. Si les intérêts et les objectifs de chacun dans l’al- liance
avaient été mieux compris et connus de tous, les risques de conflit auraient été nettement
atténués.
Du point de vue de Wahaha, est-il pertinent de développer des activités en propre,
parallèlement à celles de l’alliance ?
Pour Wahaha, l’alliance avec Danone était un véhicule d’ap- prentissage pour, in fine, pouvoir
développer son activité propre. Il était donc tout à fait cohérent avec son agenda stratégique
que la société chinoise développe son propre

réseau de production et de distribution en parallèle. Dans une alliance complémentaire


comme celle de Danone et Wahaha, chaque partenaire a un intérêt stratégique à avoir des
activités séparées pour appliquer chez soi les apprentis- sages faits dans l’alliance et ainsi
encoder dans ses propres routines les capacités acquises.
Les alliances complémentaires
de ce genre sont-elles inéluctablement instables ? Si oui, pourquoi les nouer ?
Il est généralement sage de considérer les alliances complé- mentaires comme temporaires.
Dans le cadre de l’alliance, les partenaires apprennent l’un de l’autre, réduisant de fait les
complémentarités. Pour autant, l’alliance Danone- Wahaha était stratégiquement utile aux
deux partenaires, y compris pour Danone qui, dans le contexte réglementaire chinois, avait
besoin d’un partenaire local pour installer son activité. L’instabilité étant inhérente à ce type
d’alliance, il vaut mieux la prévoir et en anticiper les conséquences dès la rédaction du
contrat. Notons qu’à l’automne 2009, après une bataille juridico-médiatique homérique, les
deux parte- naires ont finalement annoncé un règlement à l’amiable de leur conflit : Danone
a cédé sa part dans le joint-venture à Wahaha.
Le partenariat d’Unilever, Lipton et Rainforest Alliance (p. 479) 50
L’intégration du développement durable dans la vision 2030 de Danone (p. 486) 51
Michelin Fleet Solutions (p. 494) 52
La survie des constructeurs automobiles européens passera-t-elle
par l’économie circulaire ? (p. 499) 53
Grameen Bank, une banque sociale dans la microfinance (p. 506) 54

Le partenariat d’Unilever, Lipton et Rainforest Alliance (p. 479)

Quels sont les avantages et les risques d’appliquer cette démarche de certification et de
commerce équitable à une aussi grande échelle ?
En s’engageant sur la voie de la certification, Unilever cherche à gagner un avantage
stratégique sur ses concur- rents. En jouant le rôle de pionnier dans ce domaine, le groupe
Unilever s’assure un avantage durable sur d’éventuels
« suiveurs » et donne un contenu concret et « perceptible » aux valeurs de responsabilité
sociétale qu’il professe. Pour autant, l’existence d’un avantage compétitif repose sur un pari :
il présuppose que les consommateurs vont accorder une valeur suffisante à la certification «
agriculture respon- sable » lors de l’achat de leur sachet de thé. Si les coûts de la certification
et le différentiel du prix d’approvisionnement en thé (de 10 à 15 %) ne se traduisent pas, en
retour, par un accroissement de la valeur perçue par les consomma- teurs, l’innovation
pourrait tourner au désavantage d’Unile- ver. Heureusement, dans le cas du thé, la matière
première représente un pourcentage très faible dans la structure de coût, ce qui permet d’en
augmenter le coût sans affecter significativement le prix de vente. Le packaging (sachets,
ficelle, boîte), le transport, la distribution et le marketing ont un poids bien plus important
que la matière première. Ainsi, pour un paquet payé 2,50 euros TTC, le thé lui-même n’a
coûté que 3 à 5 centimes, alors que la distribution et le marketing représentent plus d’un
euro. Cette stratégie serait beaucoup plus risquée avec des produits ayant une structure de
coût différente.

Quelles sont les principales difficultés de mise en œuvre qu’Unilever et Rainforest ont pu
rencontrer ?
Au-delà des questions économiques, différents obstacles peuvent survenir sur la voie de ce
partenariat. L’ambition du groupe était de certifier l’ensemble de sa production sous la
marque Lipton en 2015 ; les deux partenaires, Unilever et Rainforest, ont d’abord dû trouver
des sources d’appro- visionnement suffisantes au regard du volume requis. Cela implique de
convertir un grand nombre d’exploitants agri- coles à un mode de culture socialement
responsable et respectueux de la nature. Cette conversion requiert un travail sur le terrain
qui peut s’avérer long et compliqué car il va à l’encontre de l’intérêt de certains grands
acteurs en place. Par ailleurs, si des concurrents d’Unilever venaient à suivre la même
démarche, la demande en thé « responsable » pourrait excéder l’offre disponible sur le
marché, condui- sant à une hausse des coûts d’approvisionnement. Enfin, la démarche de
certification repose sur un strict contrôle des engagements pris et de la qualité des produits,
qu’il convient donc de contrôler de manière régulière et indépendante, sous peine de
décrédibiliser la certification même.

L’intégration du développement durable dans la vision 2030 de Danone (p. 486)

Quels sont les facteurs explicatifs


de l’approche volontariste de Danone ? L’approche volontariste de Danone est
essentiellement due à ses dirigeants, historiques et actuels. Dès les années 1970,
Antoine Riboud a proposé une lecture originale du rôle
de l’entreprise. Cette prise de position est partagée par ses successeurs, tant son fils Franck
qu’Emmanuel Faber. Cependant, cette démarche ne relève pas seulement d’une approche
éthique et personnelle de la responsabilité sociale : les dirigeants de Danone sont convaincus
que leur modèle traditionnel de grandes marques puissantes est remis en cause par les
consommateurs et qu’il convient de se réinven- ter pour les rassurer sur la qualité de ce
qu’ils consomment. Par ailleurs, un approvisionnement responsable permet de s’assurer de
la pérennité des relations avec les fournisseurs de matières premières (par exemple pour le
lait). L’engage- ment de Danone permet donc à la fois de jouer sur la valeur perçue et sur les
coûts, assurant ainsi un avantage concur- rentiel.
À quel type de tensions l’entreprise doit-elle faire face ?
Les salariés de Danone peuvent éventuellement se sentir tiraillés entre les exigences de
rentabilité, très prégnantes dans cette industrie fortement concurrentielle, et la volonté de
transformation sociétale affichée par l’entreprise. Loin d’atténuer l’importance des objectifs
financiers, la respon- sabilité sociétale peut au contraire les rendre plus difficiles à atteindre.
Le risque est que les responsables se sentent victimes d’un double discours où on exige
toujours davan- tage d’eux en mettant en avant la responsabilité sociétale, ce qui est
moralement difficile à contester, tout en accentuant la pression sur les objectifs financiers, ce
qui est profession- nellement impossible à remettre en cause.

Les actionnaires peuvent également créer des tensions significatives en exigeant de meilleurs
résultats financiers à court terme aux dépens des choix sociétaux et environne- mentaux des
dirigeants de Danone. Ainsi, les fonds activistes (hedge funds), dont l’exemple est cité dans
l’étude de cas, s’attaquent en général à des entreprises qui distribuent peu de dividendes et
affichent des résultats trimestriels perçus comme décevants, parce qu’elles privilégient le
long terme, par exemple en dépensant davantage que les concurrents en recherche et
développement. Ces fonds prennent des parts de capital et tentent d’imposer une stratégie
qui maximise le profit à court terme en coupant dans des coûts considé- rés comme
superflus ou en forçant la direction à saisir des opportunités de business immédiates,
contraires à sa vision de long terme. L’affichage d’une vision à long terme comme celle de
Danone peut rendre l’entreprise vulnérable à ce genre d’attaque. Les activistes peuvent en
effet penser que Danone néglige des possibilités de profit à court terme pour respecter sa
vision de long terme, ce qui peut suggérer des potentiels de gains conditionnés à un
changement de stra- tégie.
Ces tensions se renforcent mutuellement. La pression du marché financier pour la
performance économique se réper- cute sur les salariés et peut créer un sentiment
d’inconfort ou même d’incompréhension par rapport au discours sociétal de l’entreprise.
Pourquoi dit-on de son approche qu’elle est « intégrée » ?
La stratégie RSE de Danone est dite intégrée car elle n’est pas séparée de la stratégie de
l’entreprise ; elle en fait partie intégrante. C’est bien la démarche RSE qui contribue à la
création d’un nouvel avantage concurrentiel, fondé sur un écart significatif et durable entre
valeur perçue et coûts.

Michelin Fleet Solutions (p. 494)

En quoi Michelin Fleet Solutions constitue un nouveau business model ?


Michelin Fleet Solutions constitue un nouveau business model car les trois composantes
classiques du business model (proposition de valeur, architecture de valeur et équation de
profit) sont radicalement modifiées.
La proposition de valeur : l’offre de Michelin simplifie considérablement la gestion du parc de
pneus, puisque le client externalise cette gestion. Le coût associé devient variable et s’ajuste
à l’activité de transport du client, qui de ce fait maîtrise mieux son budget. De plus, le client
n’est plus contraint d’engager un investissement initial car il paye au fur et à mesure (ce qui
lui permet de réduire ses immobilisations). Cette offre lui permet également d’éco- nomiser
d’une part sur les dépenses de carburant, grâce à un choix approprié des pneus et un
contrôle du gonflage, et d’autre part sur les coûts de personnel, les équipes dédiées à la
maintenance des pneus n’étant plus requises. La seule contrainte pour le client, inhérente à
cette offre, est de s’engager sur plusieurs années avec Michelin. (La représentation graphique
de ces différents attributs peut se faire à travers une courbe de valeur, comme le montre par
exemple la figure 5.5 p. 196.)
L’architecture de valeur : pour proposer cette offre de vente par kilomètre, Michelin doit
réaliser la maintenance des pneumatiques, ce qui est totalement nouveau pour l’entreprise.
En effet, elle se contentait jusque-là de vendre des pneus neufs. Son architecture de valeur
se transforme donc radicalement : Michelin a notamment décidé d’ex- ternaliser cette
activité et de la confier à des distributeurs tels qu’Euromaster (qui est une de ses filiales).
L’équation de profit est également foncièrement diffé- rente. Comme Michelin facture
désormais la maintenance, son chiffre d’affaires augmente, tout comme ses coûts, car il faut
payer les distributeurs pour la réalisation de leur prestation. Par ailleurs, les pneus restent la
propriété de Michelin, ce qui se traduit par une augmentation des capi- taux engagés par
rapport à la simple vente de pneus.

Quels sont les avantages de ce business model pour les clients ?


Les avantages pour les clients ont été décrits dans la propo- sition de valeur (voir question 1).
Quels sont les avantages
et les inconvénients pour Michelin ?
Michelin tire plusieurs avantages de cette offre. Le fabricant arrive non seulement à faire
durer plus longtemps les pneus de ses clients dans les conditions de sécurité requises, mais il
a aussi ajouté un service qui lui permet d’améliorer sa marge. C’est également un moyen
pour Michelin de faire face à l’ar- rivée des pneus low cost et d’offrir à ses clients une alterna-
tive à la fois plus durable et plus performante.
Plus fondamentalement peut-être, cette offre crée un lien direct entre Michelin et ses
clients : l’entreprise accède à une information de première main sur les conditions d’uti-
lisation des camions et des pneus. Grâce à ces données, elle peut optimiser pour ses clients
le budget des pneus et de leur entretien. Dans ce nouveau business model, l’entreprise a
fortement intérêt à innover pour réduire le poids et amélio- rer l’efficience énergétique des
trains de pneumatiques, et à accroître leur durée de vie. La connaissance poussée des
conditions d’utilisation des pneus permet de mettre au point des produits moins coûteux à
fabriquer, plus durables et performants. En aiguillonnant la R&D de l’entreprise, les bases de
données recueillies via l’offre Michelin Fleet Solutions deviennent ainsi une ressource
stratégique. En revanche, cette offre contraint Michelin à s’investir davan- tage dans la
maintenance. Le nouveau business model est plus complexe sur le plan des opérations et
nécessite plus de capitaux engagés.

La survie des constructeurs automobiles européens passera-t-elle par l’économie circulaire ?


(p. 499)

Pour reprendre des termes familiers de l’industrie automobile, quels seront les potentiels
moteurs et freins d’un tel changement de modèle économique ?
Les moteurs et les freins sont de plusieurs ordres. D’abord, la faible rentabilité des modèles
de moyenne gamme peut inci- ter les constructeurs à chercher une alternative, ce qui pour-
rait les pousser vers la location et l’économie circulaire. De plus, la montée des cours des
matières premières peut égale- ment constituer un bon moteur, car si de nombreuses pièces
parviennent à être recyclées grâce à l’économie circulaire, le coût global des matières peut
baisser pour le constructeur. Les changements de la part des consommateurs, pour qui
l’image « statutaire » de la voiture est de moins en moins importante, constituent également
un élément favorable.
En revanche, l’économie circulaire remet totalement en cause la chaîne de valeur du
constructeur, qui doit comprendre qu’il peut réaliser davantage de profits avec moins de
véhi- cules. Cela peut freiner le changement. Le design doit donc être pensé pour un véhicule
qui conviendrait au plus grand nombre (robuste, facile à entretenir et aisément recyclable),
alors qu’aujourd’hui, style et look sont les plus importants. Le marketing, lui aussi, serait
totalement différent, puisqu’il ne s’agirait plus tant de faire rêver le consommateur que de lui
expliquer les vertus de la consommation collaborative. L’ensemble de l’orthodoxie du secteur
devra donc être remis en cause, ce qui est généralement difficile à obtenir d’un acteur en
place (voir chapitre 5).
Pourquoi BMW s’engage-t-il sur le partage de voiture ?
BMW s’est engagé dans le programme Drive Now pour plusieurs raisons. D’abord,
l’entreprise est convaincue que lorsque l’on a conduit une BMW, on ne rêve plus que d’en
acheter une. Drive Now est donc vu en partie par les équipes marketing de la marque
comme un prétexte pour mettre une BMW entre les mains de consommateurs qui ne
peuvent ou
ne veulent peut-être pas tout de suite s’en offrir une. Ensuite, dans sa flotte de véhicules,
Drive Now propose sa i-BMW, sa voiture électrique, lui permettant ainsi de faire découvrir
cette gamme particulière. Enfin, il semble que Drive Now affiche la conviction de BMW que
l’avenir des constructeurs passe par des offres de service de mobilité. Cette prise de position
semble confirmée par le joint-venture créé avec Mercedes en 2019 pour mettre en commun
toutes leurs activités liées aux nouvelles mobilités (partage de voiture, VTC, agrégateurs tels
que ReachNow…). Mais il reste à mettre en place une vraie chaîne de valeur circulaire !
Quels sont les facteurs de succès historiques de l’industrie automobile qui pourraient être
utilisés en tant que force pour garantir le succès de la transition circulaire de l’industrie ?
Les constructeurs pourraient s’appuyer sur leurs conces- sions et leurs garages pour assurer
la commercialisation et la maintenance des voitures en partage. Leur marque pourrait
également constituer un atout, comme on le voit dans le cas de Drive Now de BMW.
Quels types d’alliance stratégique permettraient de réduire les risques d’une telle transition ?
Le joint-venture de BMW et Mercedes (donc entre concur- rents) illustre bien la nécessité de
devenir un acteur domi- nant localement de manière à emporter la mise. Une alliance avec
un loueur professionnel permettrait d’obtenir des compétences complémentaires : c’est
d’ailleurs ce qu’a fait BMW au départ en s’associant à Sixt pour créer Drive Now. Les
constructeurs pourraient également s’associer à des entreprises gérant d’autres formes de
consommation colla- borative telles que JCDecaux pour les Vélib’ (performance du système
d’information, de la géolocalisation et des relations avec les collectivités) ou Airbnb (gestion
de la réputation des hôtes par exemple).

Grameen Bank, une banque sociale dans la microfinance (p. 506)

Pourquoi demande-t-on aux emprunteuses de s’engager sur des principes moraux et des
règles de vie ?
L’action de la Grameen Bank a pour objectif de rompre le cercle vicieux qui condamne les
familles du Bangladesh à la pauvreté. Le microcrédit est un outil de cette stratégie. En
formant des groupes d’emprunteuses, la banque crée de nouvelles solidarités, cimentées par
l’adhésion à des prin- cipes moraux et à des règles de vie différentes. Tout en leur offrant
l’opportunité d’accroître le revenu de leurs familles, la banque cherche ainsi à affranchir les
emprunteuses de certaines coutumes (les dots, par exemple) qui perpétuent la misère dans
la société du Bangladesh. Par cette approche, la Grameen Bank renverse les pratiques
bancaires tradition- nelles en éliminant le besoin de garanties (nantissement ou
hypothèque). Le système de microcrédit ainsi institué substitue à ces garanties financières
des garanties morales collectives reposant sur la confiance mutuelle, la responsa- bilité, la
participation et la créativité des emprunteurs. Mais la stratégie de la Grameen Bank s’inscrit
avant tout dans une démarche de progrès socio-économique selon laquelle le
développement économique n’est rien s’il ne s’accompagne pas de progrès dans le domaine
de la nutrition, de la santé et de l’éducation de la population. La lutte contre la pauvreté est
au cœur de son action. Pour son fondateur, le professeur Muhammad Yunus, cette lutte
passe par le développement de l’initiative économique au sein des classes défavori- sées : «
These millions of small people with their millions of small pursuits can add up to create the
biggest development wonder1 »
Comment expliquer que cette banque qui prête aux pauvres ait un des meilleurs taux de
remboursement du monde ?
Même si la maximisation du profit n’est pas au centre du projet, la banque doit, pour
perpétuer son action, tenir des objectifs économiques. Comme tout établissement de prêt,
elle se doit de maintenir un taux de recouvrement le plus élevé possible (96,7 %). Elle obtient
de bons rembourse- ments car le groupe et la pression sociale sont au cœur de son dispositif.
Les femmes savent que si le projet d’une de leurs co-emprunteuses n’est pas viable, elles
devront rembourser l’emprunt pour elle. En prêtant à un groupe de femmes du même
village, de manière solidaire, Grameen s’assure que ces femmes vérifient la qualité de leurs
projets respectifs. Les projets retenus doivent en effet générer un revenu, condition sine qua
non de la réussite du modèle (par exemple, l’achat d’une vache génère un nouveau revenu
grâce à la vente de lait, ces ventes permettant à la fois d’assurer un meil- leur niveau de vie
et de rembourser le crédit). Si le projet échoue, les autres membres du groupe remboursent
le prêt. Ce dispositif de vérification et de caution solidaire assure un très haut niveau de
remboursement pour Grameen, alors que les femmes ne peuvent offrir aucune garantie
classique (hypothèque, etc.).

Source : gramen-info.org.

Lehman Brothers en crise (p. 539) 56


Quelle identité à la mort du Chef : le cas Bernard Loiseau (2003) (p. 545) 57
Air France-KLM : du « rapprochement » à la fusion [2003-2006] (p. 555) 58
Lehman Brothers en crise (p. 539)

Quels éléments de la culture de Lehman transparaissent dans ce récit ?


Le récit laisse transparaître plusieurs traits marquants de la culture de la banque Lehman
Brothers : la combativité, la fidélité à l’institution et à son leader, ainsi qu’un fort senti- ment
d’appartenance, teinté d’arrogance. Cette culture est inscrite dans les pratiques managériales
de la banque. On en retrouve les traits distinctifs dans les choix de recrutement, l’incitation à
la prise de risque, les pratiques de rémunéra- tion, etc. Elle apparaît tout aussi lisiblement
dans les mythes et légendes construits autour de la personne de Richard S. Fuld. Le patron
de Lehman Brothers y apparaît comme un
« gorille » grossier et vindicatif, dont l’activité frénétique ne se mesure qu’à son appétit
d’ogre. L’inspiration de son discours est largement puisée dans un registre guerrier des plus
crus : l’arène concurrentielle est pour lui un champ de
« bataille » où ses « troupes de combat » sont engagées pour débusquer « l’ennemi » et le «
tuer ». Quant aux traîtres, il se chargera lui-même de leur enfoncer les mains dans la gorge et
de leur arracher le cœur. En interne, cette culture forte cimentait l’identité de la banque,
dont le turn over était remarquablement faible. Mais on peut sans peine imaginer que, dans
l’univers feutré des banques d’affaires, ces valeurs ouvertement agressives et rustres
détonnaient singulièrement.
Quelles conséquences ont-ils eues lorsque la banque déclarait ses premières pertes ?
En période de croissance, la culture combative de la banque s’était révélée être un atout
pour l’entreprise, favorisant l’esprit de conquête et la fidélité des équipes. Alors que la
situation de la banque se dégradait, l’arrogance est deve- nue aveuglement, la direction de la
banque refusant de

reconnaître les erreurs de jugement commises sur le marché immobilier. La combativité a


tourné à l’entêtement, Fuld et son équipe refusant de concéder que la situation leur avait
échappé, puis à la paranoïa quand les premières rumeurs de faillite sont apparues. Quant à
la fidélité des employés, une dimension forte de l’identité Lehman, son assise fut sérieu-
sement ébranlée lorsque M. Gelband quitta la direction de la branche immobilière en
désaccord avec Fuld, montrant le chemin à d’autres cadres historiques de la banque. Dans la
tourmente, la direction n’a pas su ou pas voulu mener à bien les négociations avec les
acheteurs potentiels qui se sont présentés (Korean National Bank, Bank of America et
Barclays), ni satisfaire aux exigences requises pour obtenir une aide du gouvernement
américain (comme Bear Stearns auparavant, ou AIG et Merrill Lynch par la suite). Sans autre
recours, Lehman Brothers était acculée à la faillite.
Quelles mesures auraient pu pallier les problèmes accentués par la culture de Lehman ?
La culture de Lehman avait évolué depuis les années 1980, avec l’ascension de L. Glucksman
puis de R. Fuld, qui la personnifiait au plus haut point. Si l’organisation dans son intégralité
s’est révélée, comme d’autres établissements financiers, avoir fait preuve d’imprudence dans
ses activités d’investissements, l’aveuglement et l’arrogance de Fuld ont, semble-t-il, joué un
rôle aggravant dans la série d’événe- ments qui a conduit la banque à sa chute. Leader
incontesté du fait même de son statut central dans la mythologie de l’entreprise, Fuld ne
souffrait aucune critique de ses collabo- rateurs, ce qui le coupait des réalités. Un meilleur
contrôle du conseil d’administration sur les niveaux de risque de la banque et une
gouvernance plus stricte auraient peut-être permis de mieux évaluer la gravité de la situation
et de prendre des mesures correctives.

Chapitre 13 Incarner et fédérer

Quelle identité à la mort du Chef : le cas Bernard Loiseau (2003) (p. 545)

Sur quoi se construit l’identité de l’établissement ?


L’identité du restaurant ne s’est pas uniquement construite sur l’identité de son fondateur,
Bernard Loiseau, même si celui-ci a joué un rôle central. Cette identité est multiple et
construite par plusieurs intervenants.
L’identité est bien sûr d’abord celle du chef cuisinier, créa- teur mais aussi entrepreneur et
manager de la Côte d’Or. Elle est issue des créations de Bernard Loiseau, de son style de
cuisine, fondé sur des matières premières d’excellente qualité, sur la force du goût, sur le
principe de trilogie (pas plus de trois ingrédients) pour préserver le goût, et le refus d’utiliser
certains ingrédients ou techniques. Le style repose aussi sur l’attachement au terroir mais est
revu selon la logique épurée de la nouvelle cuisine. Outre l’identité culi- naire, l’identité de
l’établissement repose aussi sur Bernard Loiseau en tant que manager. Le chef fonctionne
selon un management informel pouvant laisser beaucoup d’autono- mie à certains mais tout
en étant omniprésent.
Cette identité est également celle du restaurant à laquelle se superpose l’identité de l’hôtel
ajouté et embelli sous l’impul- sion de Dominique Loiseau. Cette évolution est venue trou-
bler un peu l’image du restaurant et a nécessité de coûteux investissements. En revanche, on
peut considérer qu’elle jouerait un rôle d’identité de repli au cas où le restaurant perdrait
l’une de ses trois étoiles. Mais le personnel définit en premier lieu l’identité comme étant
celle du restaurant, et les qualités idéales sont celles d’un bon collaborateur en cuisine et en
salle.
L’identité est aussi de nature institutionnelle, forgée par les différents guides. C’est l’identité
affichée (par l’établisse- ment dans son discours marketing ou par le guide Miche- lin). On
pourrait parler d’image de marque. S’il y a parfois un décalage entre l’image de l’organisation
en interne et l’image projetée à l’extérieur, il est essentiel ici, pour un établisse- ment de
haute gastronomie, de réduire cet écart afin de ne pas décevoir les clients. Par ailleurs
l’identité diffusée par les guides gastronomiques est une confirmation institution- nelle de
l’identité culinaire du restaurant qui vient rassurer les clients mais aussi l’établissement, la
fréquentation étant fortement dépendante des évaluations données par les guides.

À travers quels processus s’est faite l’évolution de l’identité du groupe ?


L’évolution de l’identité était difficile pour deux raisons principales. D’une part, le fondement
de l’identité, autour duquel celle-ci s’était construite, avait disparu. D’autre part, l’identité
culinaire, la grammaire gastronomique de Bernard Loiseau étaient très précises, articulées
autour de quelques grands principes difficiles à faire évoluer. L’évolution de l’identité a donc
été progressive : la carte a d’abord gardé les classiques de Bernard Loiseau et les nouveautés
ont été introduites progressivement. Celles-ci respectaient les prin- cipes culinaires du chef
puisqu’elles étaient créées par son ancien second, qui avait travaillé très longtemps à ses
côtés. Les innovations sont ensuite devenues plus nombreuses et audacieuses, respectant à
la fois certains traits du style Loiseau mais pouvant introduire des nouveautés, voire
transgresser certaines règles. La définition du style Loiseau s’est donc assouplie pour mettre
en avant l’innovation et la qualité des produits. Cela était nécessaire, comme l’a précisé
Patrick Bertron. Il fallait éviter de transformer l’éta- blissement en musée. Parallèlement, la
référence à Bernard Loiseau a été renforcée avec le changement de nom de l’éta- blissement
et le double message contenu dans le nouveau nom, Relais (altérité) Bernard Loiseau
(identité).
Ne pouvant plus reposer sur la personne de Bernard Loiseau, l’identité s’est articulée sur une
nouvelle carte mais aussi sur un changement managérial, avec une orga- nisation plus
formalisée et des processus encadrés (prise de décision, répartition des rôles, contrôle des
coûts, commu- nication, etc.). Par ailleurs, ce sont à la fois le restaurant et l’hôtel qui ont été
mis en avant. Cette évolution en douceur a été prise en compte et validée par les guides, si
bien que le restaurant a gardé ses trois étoiles pendant longtemps (perte de la troisième
étoile en 2016) et que la fréquentation de l’établissement a été maintenue ou a même
augmenté.

Air France-KLM : du « rapprochement » à la fusion [2003-2006] (p. 555)

Concernant la phase de
« rapprochement », pour quelles raisons une telle stratégie de gestion de l’identité a-t-elle
été adoptée ?
Le rapprochement a été géré en juxtaposant les deux iden- tités et en laissant les
organisations se rapprocher progres- sivement. Cette approche collaborative était facilitée
par le contexte économique. Le marché étant porteur, il n’y avait pas d’urgence à réduire les
coûts par l’intégration. De plus, la réglementation obligeait à conserver deux compagnies
nationales, ce qui incitait à la juxtaposition. Ainsi, le choc identitaire de la fusion a été évité.
Ce contexte est exception- nel. Dans la plupart des fusions, la pression pour l’intégration est
beaucoup plus forte.

Quels principes appliquer pour réussir la deuxième phase de l’intégration ?


La nouvelle phase d’intégration nécessite de fusion- ner certaines parties de l’organisation
dans des entités communes placées sous une hiérarchie unique (achats par exemple). Il
convient donc de prendre des décisions de struc- ture beaucoup plus drastiques. Le
processus « bottomup » qui s’est déroulé jusque-là doit laisser la place à une approche « top-
down » nettement plus directive. Certaines redondances doivent au passage être éliminées.
Alors que l’approche précédente ressemblait davantage à la mise en œuvre d’une alliance,
Air France-KLM doit véritablement mettre en œuvre une fusion, avec tous les problèmes que
cela comporte.
Structures matricielles dans une université (p. 583)60

Structures matricielles dans une université (p. 583)

En vous appuyant sur votre vécu d’étudiant, comment décririez-vous la structure de votre
institution
d’enseignement supérieur ? Quels étaient ou quels en sont les avantages
et les inconvénients ?
Si vous êtes passé par deux institutions différentes, comparez leurs structures
et faites un bilan des conséquences stratégiques et opérationnelles des choix
organisationnels qui ont été faits.
Dans le cadre de cette étude de cas, les étudiants sont amenés à porter un regard sur la
structure de l’institution à laquelle ils appartiennent et à s’interroger sur sa pertinence au
regard de la stratégie choisie. Une institution d’ensei- gnement supérieur ne peut échapper
au caractère multidi- mensionnel lié à sa double mission d’enseignement d’une part,
matérialisée par différents cursus et diplômes, et de recherche d’autre part, conduite au sein
des différentes disci- plines scientifiques. Cette dualité se traduit par une structure
matricielle, les membres de l’organisation se voyant confier, dans le même temps, des
missions liées aux programmes d’enseignement (par exemple : master, MBA, etc.) et des

responsabilités attachées à leurs domaines de spécialisation (par exemple : stratégie,


marketing, finance, etc.).
Mais l’équilibre entre ces deux dimensions varie d’une institution à l’autre, une dimension
dominant générale- ment l’autre. Si les départements dominent, les activités de recherche
sont considérées comme prééminentes, au détri- ment parfois des programmes
d’enseignement proposés aux étudiants – à l’exception de ceux qui sont circonscrits à une
seule discipline.
En revanche, si la priorité est donnée aux programmes d’enseignement, la recherche peut se
trouver reléguée au second plan, au risque de limiter les opportunités offertes aux
enseignants-chercheurs. En grossissant le trait, on peut estimer que l’université tend
traditionnellement à se situer plutôt dans le premier cas de figure (priorité aux départe-
ments) et les écoles de commerce dans le second cas (prio- rité aux programmes
d’enseignement). L’équilibre entre ces deux dimensions n’est toutefois pas figé et peut être
amené à évoluer dans le temps, avec des conséquences opération- nelles et stratégiques
pour les institutions. À cet égard, on peut s’interroger sur l’impact des classements tels que
ceux produits par le Financial Times ou par l’Université de Shan- ghai (Academic Ranking of
World Universities) sur la structure et la stratégie des institutions d’enseignement supérieur.

Polaroid : une tentative d’adaptation au changement technologique (p. 618) 62


J.C. Penney, une transformation ratée (p. 630) 63

Polaroid : une tentative d’adaptation au changement technologique (p. 618)

Quelles sont les croyances qui empêchent Polaroid de réussir le tournant du numérique ?
Les croyances partagées au sein de Polaroid se sont consti- tuées au cours de la longue
histoire de l’entreprise et se sont consolidées au fur et à mesure des succès qu’elle a rempor-
tés. À l’orée des années 1980, ces croyances sont essentiel- lement les suivantes : la
technologie prime, le succès de l’entreprise se bâtit par de grandes inventions, le consom-
mateur valorise l’instantanéité et la qualité de la photo, et la rentabilité se fait sur les
consommables et non sur le maté- riel. Les premiers pas de Polaroid dans l’imagerie
numérique s’inscrivent dans cette lignée : le projet Printer in the Field mise sur
l’instantanéité, le projet Helios parie sur la qualité. Dans les deux cas, l’innovation
technologique est au cœur du projet. À l’heure d’un bouleversement technologique majeur,
les croyances accumulées à l’ère de la photographie argen- tique se révèlent inadaptées à
l’ère numérique, empêchant l’entreprise d’amorcer ce tournant.

Comment ces croyances provoquent- elles l’échec des deux nouveaux projets (appareil
numérique sans tirage instantané et système se substituant aux rayons X destiné aux
radiologues) ?
Bien que disposant des capacités requises, Polaroid ignore les opportunités qui lui auraient
permis de se développer sur le marché des imprimantes numériques. Jugées impropres à
séduire un public avant tout attentif à la qualité de l’image, les technologies de jet d’encre et
de sublimation thermique sont négligées. Pourtant, certaines des croyances de l’entreprise
évoluent. À partir des années 1990, la primauté accordée à la technologie cède le pas et la
priorité est donnée au marché. Mais ces idées, qui sont avant tout portées par de nouvelles
équipes, se heurtent à l’incompréhension de la direction géné- rale. Les nouveaux projets
misent sur la vente de matériels tech- niques, une hérésie au regard du business model
traditionnel de Polaroid, axé sur la vente de films et fondé sur un savoir-faire unique en
imagerie chimique. Insuffisamment soutenus par la direction ou mal conduits, ces projets
échouent. La proliféra- tion de nouveaux produits (notamment les appareils jouets), lancés
suite à l’arrivée d’un nouveau dirigeant en 1996, écorne la croyance dans les grands projets
technologiques, mais cette nouvelle stratégie reste en dissonance avec les croyances rela-
tives au modèle économique. En dépit de compétences réelles, notamment technologiques,
l’entreprise Polaroid s’est révé- lée incapable de penser le nouveau paradigme concurrentiel
imposé par la technologie numérique et n’a pas su retrouver un business model rentable.

J.C. Penney, une transformation ratée (p. 630)

Quels biais cognitifs peut-on soupçonner d’être à l’œuvre dans les décisions stratégiques de
Ron Johnson ?
Le cas de J.C. Penney, bien qu’extrême, n’est pas unique : il n’est pas rare que des
actionnaires ou des conseils d’admi- nistration, face à une situation qui semble désespérée,
aillent chercher à l’extérieur de l’entreprise un « homme providen- tiel » chargé de mettre en
œuvre une stratégie de rupture. On peut voir dans ce réflexe une manifestation de plusieurs
biais de modèle mental, comme l’effet de halo, voire l’erreur d’attribution : les succès passés
dont est auréolé le « sauveur » lui sont entièrement attribués, souvent sans tenir compte des
circonstances. Dans le cas de Ron Johnson, il est frappant de constater que le succès des
Apple Stores était entièrement mis à son crédit personnel. Or, si les Apple Stores ont
introduit des innovations importantes dans la distribution de matériel électronique, la
rapidité de leur croissance doit beaucoup aux lancements, pendant les neuf années où
Johnson les a dirigés, de trois produits au succès phénoménal : l’iPod, l’iPhone, et l’iPad.
Il semble clair que Johnson a été victime de biais d’action, et notamment d’un excès
d’optimisme sur au moins un point : le temps nécessaire pour que sa stratégie de
repositionne- ment radical porte ses fruits. Le changement d’assortiment, le nouveau design,
et surtout l’abandon des promotions ont très rapidement fait fuir une partie de la clientèle
tradition- nelle de J.C. Penney ; mais les nouvelles clientes que ce repo- sitionnement devait
attirer ont tardé à se manifester. Bien des années plus tard, Johnson estimait encore que, si
on lui en avait laissé le temps, sa stratégie aurait fonctionné, avec l’arrivée de cette nouvelle
clientèle… mais, à raison d’un milliard de dollars de pertes par an, on ne peut guère s’éton-
ner que son conseil d’administration ait choisi de mettre un terme à l’expérience.
Et dans les choix de son conseil d’administration ?
Plus fondamentalement, on peut s’interroger sur le réalisme d’une stratégie qui entendait
rendre à J.C. Penney sa gran- deur passée. Pas plus que Johnson, ses successeurs ne sont
parvenus à redresser la barre : après avoir perdu la moitié de sa valeur pendant le passage
de Johnson, le prix de l’action a de nouveau été divisé par deux pendant les deux ans où son

successeur, Mike Ullman, a dirigé la société, et encore divisé par trois sous la houlette de
Marvin Ellison, successeur de ce dernier (2014-2018). J.C. Penney était-il déjà condamné à un
déclin inéluctable par l’évolution du secteur et des consom- mateurs ? Se croire capable de le
sauver relèverait alors de l’illusion de contrôle.
Il est surprenant que Johnson, pendant les 17 mois où il a dirigé l’enseigne, n’ait jamais
semblé remettre en cause sa stratégie, alors même que les résultats commerciaux étaient,
dès le départ, désastreux. Au contraire, il a accéléré le déploiement de la plupart de ses
initiatives, sans les tester au préalable à petite échelle. Des biais d’inertie (coûts irré-
cupérables, aversion à la perte) peuvent expliquer cette escalade de l’engagement. La
volonté de Johnson de s’en- tourer de cadres qui partagent sa vision a en outre créé les
conditions d’un puissant biais de groupe : en se séparant de ceux qui exprimaient des
réserves sur sa stratégie, et en les remplaçant par des cadres qui partageaient son
expérience et sa culture, le P-DG a rapidement dissuadé toute forme de critique.
On peut donc soupçonner qu’au moins quatre des cinq familles de biais ont joué un rôle ici.
Quant aux biais d’intérêt, on pourrait penser qu’ils ne jouent aucun rôle, puisque les intérêts
de Johnson, largement rémunéré en stock-options, semblaient alignés avec ceux des action-
naires. La réalité est toutefois plus compliquée. À son arri- vée, Johnson a investi quelque 50
millions de dollars en warrants, lui donnant le droit d’acheter des actions à un prix
légèrement inférieur au cours de marché d’alors. Dès la mi-2012, avec l’apparition des
premiers résultats de sa stratégie, le cours de l’action était inférieur au prix d’exer- cice de ces
warrants, ce qui rendait leur valeur nulle. Johnson n’avait donc plus rien à perdre (au moins
en ce qui concerne la valeur de ces warrants) ; mais pouvait toujours espérer un profit
considérable en cas de rebond de l’action. La struc- ture des incitations de Johnson était donc
bien différente de celles des actionnaires ordinaires, qui, eux, avaient encore un capital
(même amoindri) à préserver. Quand on n’a rien à perdre, il est parfaitement rationnel de
prendre tous les risques : c’est précisément ce qu’a fait Johnson, en ignorant tous les signaux
d’alerte pour persévérer dans sa stratégie de rupture.
Embraer, Li & Fung et Cisco (p. 652) 65
Procter & Gamble (p. 655) 66
Domino’s Pizza : une entreprise de technologie qui fait des pizzas (p. 665) 67
Changement organisationnel et culturel chez Oticon (p. 669) 68
Best Buy, le retournement par les valeurs (p. 672) 69

Embraer, Li & Fung et Cisco (p. 652)

Comparez les trois exemples : qu’est-ce qui les rapproche et qu’est-ce qui
les différencie en termes de réseau ?
On retrouve au sein des trois entreprises décrites une forte dimension réseau. Mais ces
réseaux se déploient de manières très différentes. Embraer s’appuie sur un maillage de
grandes entreprises (Bombardier, Honeywell, GE, etc.), qui disposent de technologies
sophistiquées. De fait, les technologies assemblées via le réseau vont souvent au-delà de
celles que maîtrise l’avionneur. Ce dernier maîtrise le produit final mais ne contrôle pas
toutes les composantes technologiques de la chaîne de valeur. Par contraste, Li & Fung
domine entiè- rement la chaîne : l’entreprise est beaucoup plus sophisti- quée que les
fournisseurs composant son réseau et à qui elle transfère du savoir-faire. Cisco, enfin, est une
entreprise très décentralisée : son réseau est essentiellement composé de filiales, auxquelles
s’ajoutent des partenaires extérieurs avec lesquels le groupe a formé des alliances.
En quoi la confiance constitue-t-elle un élément essentiel du capital social et, en définitive,
du surcroît de valeur créé par le réseau ?
Les contrats de partenariat sont par nature incomplets : tous les cas de figure ne peuvent
être prévus à leur signa- ture. Se posent donc au sein de chaque réseau les questions du
contrôle et de la résolution des conflits. La confiance qui se construit au fur et à mesure que
les relations entre partenaires se développent permet de réduire les coûts de transaction au
sein du réseau en allégeant les procédures de contrôle. Elle permet, in fine, de limiter les
risques de conflit :

les relations sont plus transparentes et les problèmes sont débattus et traités rapidement. La
confiance crée donc de la valeur en contribuant au capital social du réseau. Cette forme
particulière de capital, qui réside dans les relations entre partenaires, n’appartient à aucun
des membres du réseau en particulier mais bénéficie à tous.
Dans quelles conditions les trois entreprises peuvent-elles être amenées à substituer à
certains partenariats
un contrôle direct, et vice versa ?
Les entreprises peuvent être amenées à prendre le contrôle de partenaires quand ceux-ci
sont défaillants. Li & Fung, par exemple, rachète certains fournisseurs qui se trouvent en
difficulté. L’entreprise a développé la capacité de réor- ganiser les partenaires défaillants
pour ensuite les revendre. Ces derniers rejoignent alors le réseau de fournisseurs et
contribuent à le renforcer. Cisco, qui a démontré son savoir- faire en matière d’intégration
des activités acquises, peut également prendre le contrôle d’un partenaire stratégique
défaillant. Dans ce cas, l’entreprise acquise vient s’ajouter au réseau interne de Cisco. Le cas
d’Embraer est différent. Ses fournisseurs étant de grandes multinationales, le groupe ne peut
envisager d’en faire l’acquisition. Même s’il en avait les moyens (ce qui n’est pas le cas), cela
n’aurait pas de sens d’un point de vue stratégique. À défaut, l’avionneur est capable, dans
une certaine mesure, de pallier les défaillances de ses fournisseurs en mettant en place des
équipes dédiées en interne. Dans ce cas, les « contrats de risque » mis en place avec les
partenaires de l’entreprise exposent ces derniers à de fortes pénalités financières.

Procter & Gamble (p. 655)

Quels sont les risques et les limites de ce mode de fonctionnement ?


Flexible et favorable à la créativité, ce mode de fonction- nement par partenariats externes
présente toutefois des limites. Procter & Gamble ne peut exercer un contrôle sur tous les
éléments de la chaîne d’innovation. Si elle s’appuyait trop sur ce réseau, l’entreprise pourrait
se trouver en situa- tion de pénurie de nouveaux produits, chaque partenaire ayant des
contraintes et des objectifs propres qui peuvent ne pas coïncider avec les siens. À l’inverse, le
flot d’innovations pourrait excéder les capacités organisationnelles ou indus- trielles du
groupe, qui se trouverait alors dans l’impossibilité de commercialiser certains des nouveaux
produits conçus par les partenaires, au risque de mécontenter et de démobi- liser ces
derniers.
Comment les contrôler ? Quels systèmes d’accompagnement mettre en place ?
Pour contrôler ce dispositif, Procter & Gamble doit conser- ver une part de l’innovation en
interne. Ce faisant, le groupe garde et continue à développer les compétences pour
orchestrer le fonctionnement de son réseau de partenaires et évaluer la qualité des projets
qui lui sont soumis. En maintenant un équilibre entre innovation interne et externe (comme
le prévoit l’objectif de 50 % de nouveaux produits apportés par le réseau), l’entreprise
combine la maîtrise de sa propre chaîne d’innovation avec la créativité apportée par des
partenaires provenant d’horizons divers. L’efficacité du réseau repose sur l’existence
d’incitations appropriées offertes aux partenaires. Ces derniers doivent avoir un intérêt à
apporter leurs meilleures idées à Procter & Gamble, plutôt que de les conserver ou de les
proposer à un concurrent. Pour que les partenariats se prolongent, l’entreprise doit égale-
ment veiller à accompagner étroitement ses partenaires et à s’assurer qu’ils disposent des
moyens nécessaires à leur déve- loppement. Il s’agit donc d’un effort à long terme, qui exige
une certaine confiance mutuelle. Si Procter & Gamble venait à se comporter de manière
opportuniste avec un partenaire (en accaparant une idée prometteuse, par exemple), l’esprit
collaboratif du partenariat pourrait s’éroder, compromettant de fait la cohésion de tout le
réseau.

Domino’s Pizza : une entreprise de technologie qui fait des pizzas (p. 665)

En quoi les choix opérationnels


et organisationnels de Domino’s pizza ont- ils permis d’accélérer sa transformation
numérique ?
Pour mener à bien sa transformation, Domino’s pizza ne se contente pas d’une vision
stratégique claire (amélioration dramatique du produit, transparence et honnêteté dans le
dialogue avec le public, expérience client exceptionnelle grâce à la technologie). L’entreprise
décide aussi d’investir méthodiquement et en profondeur sur chacun des quatre moteurs
opérationnels et organisationnels de sa révolution numérique :
Une infrastructure informatique et technologique moderne :
architecture informatique ouverte et flexible permet- tant de pousser rapidement de
nouvelles fonction- nalités vers le réseau de franchisés et de prendre les commandes de
pizza via une multitude de médias et de canaux ;
ré-internalisation des développements applicatifs et recrutement de nouveaux talents
informatiques.
Une capacité d’analyse et de valorisation des données performante :
combinaison systématique de données internes et externes pour affiner la connaissance du
client et lui apporter un meilleur service ;
test continu de nouveaux prototypes de valorisation des données dans la logistique et la
gestion de commande.
Un écosystème d’innovation actif et ouvert sur l’extérieur : partenariats approfondis et
stratégiques sur les innova- tions les plus disruptives : véhicule de livraison connecté,
livraison par drone, assistant virtuel de prise de commande par reconnaissance vocale…
Une organisation et une culture agiles et collaboratives :
collaboration systématique entre le marketing et l’in- formatique ;

application systématique des méthodes agiles ;


préférence pour des projets courts, focalisés ;
encouragement de la prise de risque.
Domino’s a compris que sa transformation numérique peut se trouver complètement
paralysée si elle n’accomplit pas simultanément des progrès suffisants sur chacun de ces
sujets. Ces thèmes ne sont pas optionnels. Les progrès sur l’un ne peuvent compenser les
retards sur l’autre.
Dans quelle mesure ces choix opérationnels et organisationnels sont-ils interdépendants ?
Domino’s sait que les quatre catalyseurs opérationnels et organisationnels de sa
transformation numérique sont fortement interdépendants. C’est la raison pour laquelle elle
avance de manière coordonnée et équilibrée sur ces quatre sujets (informatique, valorisation
des données, écosystème ouvert, organisation et culture). Pour améliorer ses capaci- tés
d’analyse de données, elle recrute des nouveaux talents informatiques et met en place des
méthodes de travail agiles. Pour développer des applications de manière plus souple et plus
productive, elle ré-internalise les développements infor- matiques et renforce la
collaboration entre l’informatique et le marketing. Pour accélérer l’innovation technique, elle
s’ap- puie sur son écosystème de partenaires externes et promeut la culture du risque. Pour
recruter des collaborateurs motivés et dotés d’un fort esprit de service, elle a largement
recours à la technologie. L’entreprise progresse en parallèle sur les quatre fronts et ceux-ci se
renforcent mutuellement de multiples manières.
Domino’s pizza a aussi compris que la dimension humaine est fortement présente dans
chacun de ces catalyseurs, même les plus techniques. Le CEO Patrick Doyle comprend que les
questions les plus délicates à traiter dans la moder- nisation de l’informatique ou la
valorisation des données ne sont pas techniques mais humaines. À chaque fois, il s’agit de
s’entourer des bonnes compétences, d’adapter son modèle opérationnel, sa culture et ses
méthodes de travail.

Changement organisationnel et culturel chez Oticon (p. 669)

À quelles conditions le changement mis en œuvre par Oticon peut-il réussir ?


Le changement mis en œuvre par Oticon est radical. Il consiste à déstructurer l’organisation.
Il faut donc trou- ver des moyens indirects pour la restructurer et réguler les comportements.
Pour remédier à la perte de repères, il importe de préserver certaines structures, en
particulier une structure RH qui permette l’évolution de carrière des employés et
l’enrichissement de leurs compétences. Par ailleurs, il importe, dans une organisation «
darwinienne » qui peut favoriser la compétition interne, de renforcer la cohésion du collectif
grâce à des valeurs fortes, explicites et dont les salariés doivent s’emparer. La culture
partagée constitue donc un élément fédérateur indispensable à la cohésion et à la réussite
de ce type de changement. C’est d’ailleurs pour cette raison que des changements aussi radi-
caux réussissent mieux dans des entreprises de petite taille où il est plus facile de cultiver
une culture forte ou alors dans des entreprises jeunes, organisées comme des startup, avec
une forte adhésion des employés au projet de l’entre- prise, à ses contraintes et à ses modes
de fonctionnement transversaux.

Quels sont les risques de ce changement radical ?


Les risques sont importants : d’une part, les employés peuvent être désorientés et perdre
leurs repères. Cela peut nuire au fonctionnement de l’organisation. Certains cadres trop
désorientés par la suppression des fonctions et des missions traditionnelles peuvent aussi
quitter l’entreprise qui perd alors des compétences. Par ailleurs, en supprimant les niveaux
hiérarchiques, la nouvelle organisation transversale favorise la compétition entre les cadres
(que ce soit pour participer à un projet ou dans la progression de carrière). D’où l’importance
d’une structure RH pour gérer les carrières et la progression des compétences. Outre la
désorientation sur les missions, les employés aussi peuvent s’interroger sur l’évolution de
leur carrière : comment progresser dans une organisation transversale ? Comment évaluer
les perfor- mances des individus lorsqu’on travaille en groupes de projet ? Un autre risque est
que, dans une organisation aussi informelle où les règles de fonctionnement sont peu
précises et où il existe une compétition forte entre les cadres, ces derniers s’imposent de
fortes contraintes et alourdissent leur charge de travail, au-delà du raisonnable. Il existe alors
un risque de burnout pour les employés.

Best Buy, le retournement par les valeurs (p. 672)

Quels sont les leviers de la transformation du groupe Best Buy entre 2012 et 2019 ?
Il faut distinguer les leviers stratégiques des leviers liés au leadership développé lors de cette
période, et en montrer la complémentarité.
Les leviers stratégiques reposent sur 3 principes forts :
La suppression de l’intérêt économique de l’achat en ligne : par la suppression du différentiel
de prix entre Amazon et Best Buy, le client perd l’intérêt économique en prix et en temps à
acheter sur Amazon.
L’utilisation de l’espace des magasins comme points relais pour la démonstration des
produits et le dispatchage des produits achetés en ligne sur Best Buy ou en magasin. Ce qui
était une source de coût (le mètre carré inexploité) devient une source de revenus en
travaillant sur l’entre- posage et la réexpédition des produits aux clients finaux.
L’importance du service : à partir du moment où le facteur prix est annihilé, chaque
expérience en magasin devient une opportunité pour présenter les produits, les offres
commerciales, et les futures nouveautés. Le lien humain représente une valeur pour une
partie de la clientèle qui dès lors peut être fidélisée autrement que par l’attrac- tion pour les
produits au prix les plus bas (souscription de plan annuel pour tout service sur les
équipements du foyer ; aides à domicile pour le remplacement et la mise en service de
nouveaux appareils, etc.).
Les leviers liés au leadership correspondent à ces leviers stratégiques :
La valorisation des efforts de chacun et l’esprit d’avoir réchappé à une mort certaine a
cimenté les relations au sein de l’entreprise et mis en avant la fragilité de la perfor- mance
économique.
La baisse du turnover a permis une exploitation plus fine des actifs de l’entreprise et la
compréhension que le salut n’existe que dans la performance économique conquise chaque
jour, autour d’une raison d’être clairement expri- mée : « enriching lives through technology
». Les vendeurs doivent intégrer que la vente d’un produit inadapté au problème de leur
client n’est pas bonne pour l’entreprise, et que les notions d’aide, d’ajout de quelque chose
de posi- tif pour le client doivent être privilégiées.
Le client doit être satisfait, et toute l’organisation est à son service : l’idée est que l’employé
Best Buy au contact du client est la personne la plus importante car elle symbo- lise la valeur
de l’entreprise vis-à-vis de ce client. Toute l’organisation doit donc faciliter son travail pour
offrir la meilleure expérience possible en fonction des problèmes exprimés par le client,
depuis le remplacement d’un simple

téléphone jusqu’à la création d’une nouvelle cuisine tout équipée dans un logement.
La complémentarité entre ces leviers stratégiques et de leadership explique les gains en
efficacité opérationnelle et économique accumulés au cours du temps.
Le rôle de l’équipe de direction s’est avéré fondamental dans l’orientation stratégique initiale
et dans l’incarnation des principes de leadership pour permettre à l’organisation, trau-
matisée par les événements du tournant des années 2010, de reprendre progressivement
pied et d’adhérer au nouveau système de valeur mis en place.
En quoi les valeurs défendues par le dirigeant et son équipe permettent-elles l’exécution de
la transformation de Best Buy ?
Dans un secteur très marqué par les départs récurrents, l’absentéisme, et la faible
motivation, l’ampleur du projet de transformation a été fondamental pour réinstituer la
confiance au sein de l’organisation.
En incarnant lui-même les principes qu’il a prônés, H. Joly a permis non seulement à l’équipe
dirigeante mais progressive- ment à l’ensemble de son réseau de distribution de déléguer et
faire plus confiance à chacun de ses employés. La démarche de confiance a a priori permis,
dans les temps les plus durs, de s’assurer d’une loyauté des employés, pour lesquels l’or-
ganisation a déployé en retour des moyens supplémentaires afin de mieux répondre à leurs
besoins (en termes de soins de santé, d’aménagement des horaires, d’éducation, etc.).
En outre, la volonté de miser sur la richesse individuelle des multiples collaborateurs
s’exprime au travers de principes mis clairement en pratique : les relations interindividuelles
sont valorisées ; le chef d’équipe, le directeur de magasin, et ainsi de suite à chaque niveau
hiérarchique, n’est pas en situation de direction parce qu’il ou elle est supposément plus
intelli- gente que les autres mais parce que permettant l’expression de l’intelligence
collective ; la compréhension des motivations de chacun et le questionnement entre finalité
individuelle et raison d’être de l’entreprise sont régulièrement abordés.
Mis bout à bout, ces différents éléments permettent :
à la circulation d’information entre unités d’être plus fluide ;
à chacun d’exprimer des idées d’amélioration opéra- tionnelle ;
d’agir en tant que personne au sein de l’entreprise comme à l’extérieur et donc d’être
reconnue pour soi- même ;
de développer une relation de plus grande confiance avec le management ;
d’accroître la performance économique de l’entreprise.

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